city:occupy wall

  • La fin de la gauche radicale en France… et ma démission d’ATTAC | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/philippe-corcuff/blog/160519/la-fin-de-la-gauche-radicale-en-france-et-ma-demission-d-attac-1

    « Attac et la Fondation Copernic, associations dotées d’un horizon global et créées avec comme axe principal la lutte contre le néolibéralisme et la mondialisation capitaliste, n’ont pas saisi que les critiques ultra-conservatrices et confusionnistes du néolibéralisme et de la mondialisation les ont largement dépassé sur internet et sur les réseaux sociaux, tout en ayant conquis des positions dans la presse de droite (FigaroVox, Valeurs actuelles…). N’ayant pas cherché à reformuler leurs logiciels à l’aune des risques et des enjeux pour l’émancipation, leur utilité politique ne va plus de soi. Á terme, si les domaines du confusionnisme s’étendent encore, leur existence pourrait même devenir contre-productive. »

    • En fait de verbiage, c’est plutôt clair, il me semble. Le conspirationnisme (ou la tendance) de gauche est quasi omniprésent (à commencer par Seenthis) et Corcuff n’a aucun mal à trouver des exemples. Le souverainisme de gauche est aussi un bon exemple de confusionnisme.
      Ceci étant, j’aimerais bien lire les 5 autres thèses pour avoir un avis plus étayé.

    • Je me le bookmark en le commentant parce que poyr l’instant ce que j’en lis est assez proche deplein de trucs que j’ai vécu, ou plutôt subi, années après années à #Nantes. De citoyenne démocrate je suis devenue allergique au citoyennisme qui a tellement tout pacifié qu’on lui doit la gentrification « douce » de la ville, la fausse victoire de la zad et, actuellement, un drole de truc de confusion aussi autour de l’accueil des exilés. Ces personnes font beaucoup, hein, et sont sincères (et très chouettes pour certaines) mais vont trop négocier quand il faudrait stoper, refuser, hurler. On se retrouve avec un gros merdier politique... Bref faut que je lise ça tranquillement.

    • Feuilleté de Canard

      Alain Badiou. Dans un article intitulé « Leçons du mouvement des gilets jaunes », publié dans la revue « Lignes », le philosophe juge sévèrement les « mouvements de la dernière séquence historique » : « de l’Égypte et du printemps arabe à Occupy Wall Street, de ce dernier à la Turquie des grandes places, de cette Turquie à la Grèce des émeutes, de la Grèce aux indignés de tous bords, des indignés à Nuit debout, de Nuit debout aux gilets jaunes, et bien d’autre encore, [ces mouvements] semblent très ignorants des lois réelles et implacables qui gouvernent le monde. »
      Et, si certains manifestants croupissent aujourd’hui en prison , c’est leur faute : ils n’avaient qu’à lire les œuvres complètes d’Alain Badiou !

      Le Canard enchaîné | 15/5/2019
      #Alain_Badiou #verbiage #taïaut

  • Leçons du mouvement des Gilets jaunes, Badiou
    https://drive.google.com/file/d/1VGECYnlh_LgRRwKvtgd_uSU7liyudQvm/view

    La conséquence de tout cela est que la bourgeoisie française — son oligarchie dominante, les actionnaires du CAC 40 — ne peut plus entretenir à son service, sur le même pied qu’avant, notamment avant la crise de 2008, une classe moyenne politiquement servile. Cette classe moyenne a été en effet le support historique à peu près constant de la prééminence électorale des diverses droites, prééminence dirigée contre les ouvriers organisés des grandes concentrations industrielles, lesquels étaient tentés par le communisme entre les années vingt, et, justement, les années 1980-1990.
    D’où la levée actuelle d’une part importante, et populaire, de cette classe moyenne, qui a le sentiment d’être abandonnée, contre Macron, qui est l’agent de la « modernisation » capitaliste locale, ce qui veut dire : serrer partout la vis, économiser, austériser, privatiser, sans les égards, qui existaient encore il y a trente ans, pour le confort des classes moyennes, en échange de leur consentement au système dominant.

    Où l’on vérifie que « le plus grand penseur français » (Aude Lancelin) se montre apte à dégouter du marxisme voire de toute théorisation tout lecteur un tant soit peu attentif qui se refuse à définir le soulèvement Gilets jaunes comme une mobilisation des « classes moyennes », fussent-elles « populaires ».
    Je vais pas égrener ici le genre de « catégories sociales » qui sont au coeur de ce soulèvement, du cariste à l’aide soignante, de l’infirmière aux intérimeuses. Juste signaler, par exemple, que seule l’idéologie autorise à considérer globalement les #auto_entrepreneurs comme des patrons (de qui ?!, à combien ?).

    #idéologie #Bad_You !! #shame #classes_moyennes #Gilets_Jaunes #marxisme_fossile

    • Une version reçue par mel, histoire de ne pas avoir besoin d’un compte gougueule

      Leçons du mouvement des « gilets jaunes » - Alain Badiou —

      Que faut-il penser, ce qui s’appelle penser, et non courir en aboyant, de la contradiction, violente, durable, entre le mouvement des gilets jaunes et les autorités de l’Etat, conduites par le petit président Macron ?
      J’ai dit fermement, dès le tour final des élections présidentielles, que je ne me rallierai jamais ni bien entendu à Marine Le Pen, capitaine de l’extrême-droite parlementaire, ni à Macron, qui montait ce que j’ai appelé « un coup d’Etat démocratique », au service pseudo-réformateur du grand capital.

      Aujourd’hui, je ne change évidemment rien à mon jugement sur Macron. Je le méprise sans aucune retenue. Mais que dire du mouvement des gilets jaunes ? Je dois avouer qu’en tout cas, dans ses débuts, l’année dernière, je n’y ai rien trouvé, que ce soit dans sa composition, ses affirmations ou ses pratiques, qui soit à mes yeux politiquement novateur, ou progressiste.

      Que les raisons de cette révolte soient nombreuses, et qu’à ce titre on puisse considérer le mouvement comme légitime, je l’accorde sans hésiter. Je connais la désertification des zones rurales, le triste silence des rues abandonnées dans les villes petites, et même moyennes ; l’éloignement continu, pour des masses de gens, des services publics, du reste peu à peu privatisés : dispensaires, hôpitaux, écoles, bureaux de poste, gares de la SNCF, téléphone. Je sais qu’une paupérisation, d’abord rampante, puis accélérée, affecte des populations qui, il y a quarante ans encore, bénéficiaient d’un pouvoir d’achat en progression quasi continue. Il est certain que les formes nouvelles de la fiscalité, son aggravation, peuvent apparaître comme une des causes de cette paupérisation. Je n’ignore nullement que la vie matérielle de familles entières devient un casse-tête, notamment pour de nombreuses femmes, du reste très actives dans le mouvement des gilets jaunes
      En résumé : il y a en France un très fort mécontentement de ce qu’on peut nommer la partie laborieuse, majoritairement provinciale, et aux revenus modérés, de la classe moyenne. Le mouvement des gilets jaunes est une représentation significative, en forme de révolte active et virulente, de ce mécontentement.

      Les raisons historico-économiques de cette levée sont, pour qui veut bien les entendre, parfaitement claires. Elles expliquent du reste pourquoi les gilets jaunes renvoient le début de leurs malheurs à il y a quarante ans : en gros, les années quatre-vingt, début d’une longue contre-révolution capitalo-oligarchique, appelée à tort « néo-libérale » alors qu’elle était libérale tout court. Ce qui veut dire : retour à la sauvagerie du capitalisme du XIXe siècle. Cette contre-révolution venait en réaction aux dix « années rouges » — grosso modo de 1965 à 1975 —, dont l’épicentre français fut Mai 68 et l’épicentre mondial la Révolution Culturelle en Chine. Mais elle fut considérablement accélérée par l’effondrement de l’entreprise planétaire du communisme, en URSS, puis en Chine : plus rien, à échelle mondiale, ne s’opposait à ce que le capitalisme et ses profiteurs, singulièrement l’oligarchie trans-nationale des milliardaires, exercent un pouvoir sans limites.
      Bien entendu, la bourgeoisie française a suivi le mouvement contre-révolutionnaire. Elle en a même été une capitale intellectuelle et idéologique, avec les agissements des « nouveaux philosophes », qui ont veillé à ce que l’Idée communiste soit partout pourchassée, non seulement comme fausse, mais comme criminelle. De nombreux intellectuels, renégats de Mai 68 et du maoïsme, ont été de consciencieux chiens de garde, sous des vocables fétiches et inoffensifs, comme « liberté », « démocratie », ou « notre république », de la contre-révolution bourgeoise et libérale.

      Cependant, la situation de la France, peu à peu, des années quatre-vingt à aujourd’hui, s’est dégradée. Ce pays n’est plus ce qu’il a été pendant les « trente glorieuses » de la reconstruction d’après-guerre. La France n’est plus une puissance mondiale forte, un impérialisme conquérant. On la compare couramment, aujourd’hui, à l’Italie, voire à la Grèce. La concurrence la fait reculer partout, sa rente coloniale est au bout du rouleau et demande, pour être maintenue, d’innombrables opérations militaires en Afrique, coûteuses et incertaines. En outre, comme le prix de la force de travail ouvrière est bien plus bas ailleurs qu’en France, par exemple en Asie, les grandes usines sont toutes peu à peu délocalisées vers l’étranger. Cette désindustrialisation massive entraîne une sorte de ruine sociale qui s’étend de régions entières, comme la Lorraine et sa sidérurgie ou le Nord des usines textiles et des mines de charbon, jusqu’à la banlieue parisienne, du coup livrée à la spéculation immobilière sur les innombrables friches laissées par des industries en perdition.

      La conséquence de tout cela est que la bourgeoisie française — son oligarchie dominante, les actionnaires du CAC 40 — ne peut plus entretenir à son service, sur le même pied qu’avant, notamment avant la crise de 2008, une classe moyenne politiquement servile. Cette classe moyenne a été en effet le support historique à peu près constant de la prééminence électorale des diverses droites, prééminence dirigée contre les ouvriers organisés des grandes concentrations industrielles, lesquels étaient tentés par le communisme entre les années vingt, et, justement, les années 1980-1990. D’où la levée actuelle d’une part importante, et populaire, de cette classe moyenne, qui a le sentiment d’être abandonnée, contre Macron, qui est l’agent de la « modernisation » capitaliste locale, ce qui veut dire : serrer partout la vis, économiser, austériser, privatiser, sans les égards, qui existaient encore il y a trente ans, pour le confort des classes moyennes, en échange de leur consentement au système dominant.

      Les gilets jaunes, arguant de leur bien réelle paupérisation, veulent qu’on leur paie de nouveau ce consentement au prix fort. Mais c’est absurde, puisque précisément le macronisme est le résultat du fait que l’oligarchie, premièrement a moins besoin du soutien des classes moyennes, dont le financement était coûteux, depuis que le danger communiste a disparu ; et deuxièmement n’a plus les moyens de se payer une domesticité électorale de la même envergure qu’autrefois. Et que donc, il faut aller, sous couvert de « réformes indispensables » vers une politique autoritaire : une nouvelle forme du pouvoir d’Etat servira de support à une « austérité » juteuse, étendue du peuple des chômeurs et des ouvriers jusqu’aux couches inférieures de la classe moyenne. Et ce pour le profit des vrais maîtres de ce monde, à savoir les actionnaires principaux des grands groupes de l’industrie, du commerce, des matières premières, des transports et de la communication.

      Dans le Manifeste du Parti communiste, écrit en 1848, Marx examinait déjà ce type de conjoncture, et parlait, au fond, avec précision, de ce que sont aujourd’hui nos gilets jaunes. Il écrivait ceci : La classe moyenne, les petits fabricants, les détaillants, les artisans, les paysans combattent la Bourgeoisie, parce qu’elle compromet leur existence en tant que classe moyenne. Ils ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservateurs  ; qui plus est, ils sont réactionnaires  ; ils demandent que l’histoire fasse machine arrière.
      Ils le demandent aujourd’hui d’autant plus âprement que la bourgeoisie française n’est plus en état, vu le tour pris par le capitalisme mondialisé, de soutenir et encore moins d’augmenter leur pouvoir d’achat. Les gilets jaunes « combattent la Bourgeoisie », comme le dit Marx, c’est vrai. Mais ils le font pour restaurer un ordre ancien et périmé, et non pour inventer un nouvel ordre social et politique, dont les noms ont été, depuis le XIXe siècle, « socialisme », ou, surtout, « communisme ». Car pendant presque deux siècles, tout ce qui n’était pas peu ou prou défini selon une orientation révolutionnaire était très justement considéré comme relavant de la réaction capitaliste. Il n’y avait, en politique, que deux grandes voies. Nous devons absolument revenir vers cette conviction : deux voies, en politique, deux seulement, et jamais une poussière « démocratique » de pseudo tendances, sous la houlette d’une oligarchie qui se déclare « libérale ».
      Ces considérations générales nous permettent de revenir aux caractéristiques concrètes du mouvement des gilets jaunes. Ses caractéristiques en quelque sorte spontanées, celles qui ne sont pas dues à des interventions extérieures au courant principal de la levée, sont en réalité « réactionnaires », comme le dit Marx, mais en un sens plus moderne : on pourrait appeler la subjectivité de ce mouvement un individualisme populaire, rassemblant des colères personnelles liées aux formes neuves de la servitude aujourd’hui imposée à tous par la dictature du Capital.

      C’est la raison pour laquelle il est faux de dire, comme le font certains, que le mouvement des gilets jaunes est intrinsèquement fasciste. Non. Le fascisme organise de façon le plus souvent très disciplinée, voire militarisée, des motifs identitaires, nationaux ou racialistes. Il y a dans la présente levée inorganisée – comme l’est toujours la classe moyenne urbaine — et de ce fait même individualiste, des gens de toutes sortes, de tous métiers, qui se pensent souvent, et sincèrement, comme démocrates, qui en appellent aux lois de la République – ce qui, aujourd’hui en France, ne mange pas de pain. A vrai dire, chez la grande majorité d’entre eux, les convictions proprement politiques sont flottantes. Mais à considérer le mouvement — encore une fois tel qu’il se donne dans sa « pureté » initiale – à partir de ses rares aspects collectifs, mots d’ordre, énoncés répétés, je n’y vois rien qui me parle, m’intéresse, me mobilise. Leurs proclamations, leur désorganisation périlleuse, leurs formes d’action, leur absence assumée de pensée générale et de vision stratégique, tout cela proscrit l’inventivité politique. Je ne suis certes pas conquis par leur hostilité à toute direction incarnée, leur crainte obsessionnelle de la centralisation, du collectif unifié, crainte qui confond, comme le font tous les réactionnaires contemporains, démocratie et individualisme. Rien de tout cela n’est de nature à opposer au très odieux et misérable Macron une force progressiste, novatrice et victorieuse au long cours.
      Je sais que les adversaires de droite du mouvement, notamment chez les intellectuels renégats, les ex-révolutionnaires devenus les chantres du pouvoir policier dès lors que l’oligarchie et l’Etat leur assurent des tribunes pour leur bavardage libéral – accusent le soulèvement « gilets jaunes » d’antisémitisme ou d’homophobie, ou encore de « danger pour notre République ». Je sais aussi que s’il existe des traces de tout cela, elles sont le résultat, non d’une conviction partagée, mais d’une présence, d’une infiltration active, de l’extrême-droite dans un mouvement désorganisé au point qu’il est vulnérable à toutes les manipulations imaginables. Mais enfin, ne nous voilons pas la face : Divers indices, notamment des traces évidentes de nationalisme à courte vue, d’hostilité latente aux intellectuels, de « démocratisme » démagogique dans le style crypto-fasciste de « le peuple contre les élites », et de confusion dans les discours, doivent inciter quiconque à être prudent dans toute appréciation trop globale de ce qui se passe aujourd’hui. Acceptons de voir que les ragots des « réseaux sociaux » tenant lieu, pour la majorité des gilets jaunes, d’information objective, la conséquence en est que circulent partout dans le mouvement des pulsions complotistes aberrantes.

      Un proverbe d’autrefois dit que « tout ce qui bouge n’est pas rouge ». Et pour le moment, du « rouge », dans le mouvement des gilets, qui certes « bouge », il n’est pas question : je ne vois, outre le jaune, que du tricolore, toujours un peu suspect à mes yeux.
      Bien sûr, les ultragauches, les anti-fafs, les dormeurs éveillés de nuit-debout, ceux qui sont toujours à l’affût d’un « mouvement » à se mettre sous la dent, les vantards de « l’insurrection qui vient », célèbrent les proclamations démocratiques (en fait, individualistes et à courte vue), introduisent le culte des assemblées décentralisées, s’imaginent refaire bientôt la prise de la Bastille. Mais ce sympathique carnaval ne peut m’impressionner : il a conduit partout, depuis dix ans et plus, à de terribles défaites, payées très chères par les peuples. En effet, les « mouvements » de la dernière séquence historique, de l’Egypte et du « printemps arabe » à Occupy Wall Street, de ce dernier à la Turquie des grandes places, de cette Turquie à la Grèce des émeutes, de la Grèce aux indignés de tous bords, des indignés à Nuit Debout, de Nuit Debout aux Gilets Jaunes, et bien d’autres encore, semblent très ignorants des lois réelles et implacables qui gouvernent aujourd’hui le monde. Passés les grisants mouvements et rassemblements, les occupations de toutes sortes, ils s’étonnent que la partie soit si dure, et que toujours on échoue, voire même qu’on a, chemin faisant, consolidé l’adversaire. Mais la vérité est qu’ils n’ont même pas constitué le début d’un antagonisme réel, d’une autre voie, à portée universelle, au regard du capitalisme contemporain.

      Rien n’est plus important, dans le moment actuel, que d’avoir présentes à l’esprit les leçons de cette séquence des « mouvements », gilets jaunes compris. On peut les résumer en une seule maxime : un mouvement dont l’unité est strictement négative, ou bien échouera, donnant le plus souvent une situation pire que celle qui sévissait à son origine, ou bien devra se diviser en deux, à partir du surgissement créateur, en son sein, d’une proposition politique affirmative qui soit réellement antagonique à l’ordre dominant, proposition soutenue par une organisation disciplinée.

      Tous les mouvements des dernières années, quelle que soit leur localisation et leur durée, ont suivi une trajectoire pratiquement similaire et en vérité catastrophique :
      –- unité initiale constituée strictement contre le gouvernement en place. C’est le moment qu’on peut dire « dégagiste », de « Moubarak dégage » à « Faire la fête à Macron »
      –- unité maintenue par un mot d’ordre complémentaire lui-même exclusivement négatif, après un temps de bagarres anarchiques, quand la durée commence à peser sur l’action de masse, mot d’ordre du genre « à bas la répression », « à bas les violences policières ». Le « mouvement », alors, faute de contenu politique réel, ne se réclame plus que de ses blessures ;
      –- unité défaite par la procédure électorale, quand une partie du mouvement décide d’y participer, une autre non, sans qu’aucun contenu politique véritable ne soutienne ni la réponse positive, ni la négative. Au moment où j’écris ces lignes, la prévision électorale ramène Macron à ses scores antérieurs au mouvement des gilets, le total de la droite et de l’extrême droite à plus de 60%, et le seul espoir de la gauche défunte, la France Insoumise, à 7%.
      –- D’où : venue au pouvoir, par les élections, de pire qu’avant. Soit que la coalition déjà en place les remporte, et ce de façon écrasante (ce fut le cas en Mai 68 en France) ; ou qu’une formule « nouvelle » en fait étrangère au mouvement et fort peu agréable soit victorieuse (en Egypte, les frères musulmans, puis l’armée avec Al Sissi ; Erdogan en Turquie) ; ou que les gauchistes en parole soient élus mais capitulent aussitôt sur le contenu (Syriza en Grèce) ; ou que l’extrême droite soit à elle seule victorieuse (le cas de Trump aux USA) ; ou qu’un groupe issu du mouvement s’acoquine avec l’extrême droite pour s’installer dans le fromage gouvernemental (le cas italien, avec l’alliance du mouvement cinq étoiles et des fascistoïdes de la ligue du nord). Remarquons que ce dernier cas a ses chances en France, si parvient à fonctionner une alliance d’une organisation prétendument venue des « gilets jaunes » et de la secte électorale de Marine Le Pen.

      Tout cela parce qu’une unité négative est hors d’état de proposer une politique, et sera donc en définitive écrasée dans le combat qu’elle engage. Mais pour proposer un au-delà de la négation, encore faut-il identifier l’ennemi, et savoir ce que signifie de faire réellement autre chose que lui, absolument autre chose. Ce qui implique a minima une connaissance effective du capitalisme contemporain à échelle mondiale, de la place décadente qu’y occupe la France, des solutions de type communiste concernant la propriété, la famille (l’héritage) et l’Etat, des mesures immédiates mettant en route ces solutions, comme aussi un accord, venu d’un bilan historique, des formes d’organisation appropriées à ces impératifs.

      Pour assumer tout cela, seul une organisation ressuscitée sur des bases nouvelles peut rallier, en quelque sorte au futur, une partie des classes moyennes en déroute. Il est alors possible, comme l’écrit Marx, que [la classe moyenne] agisse révolutionnairement, par crainte de tomber dans le Prolétariat  : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels  ; ils abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat.

      Il y a là une indication précieuse, qui autorise une conclusion partiellement positive, mais sur un point essentiel : il existe sans doute une gauche potentielle du mouvement des gilets jaunes, une très intéressante minorité : celle que constituent ceux des activistes du mouvement qui, en fait, découvrent qu’il faut penser leur cause au futur et non au présent, et inventer, au nom de ce futur, leur ralliement à autre chose que leurs revendications statiques sur le pouvoir d’achat, les taxes, ou la réforme de la constitution parlementaire.
      On pourrait dire alors que cette minorité peut constituer une part du peuple réel, soit le peuple au sens où il porte une conviction politique stable, incarnant une voie réellement antagonique à la contre-révolution libérale.

      Bien sûr, sans incorporation massive des nouveaux prolétaires, les gilets jaunes ne peuvent représenter, tels quels, « le peuple ». Ce serait le réduire, ce peuple, à la nostalgie de la partie la plus démunie de la classe moyenne pour son statut social en perdition. Pour être, aujourd’hui, en politique, « le peuple », il faut que la foule mobilisée comporte un contingent fort et central du prolétariat nomade de nos banlieues, prolétariat venu d’Afrique, d’Asie, d’Europe de l’Est, d’Amérique latine ; il faut qu’elle affiche des signes clairs de rupture avec l’ordre dominant. D’abord dans les signes visibles, comme le drapeau rouge à la place du tricolore. Ensuite dans ce qui est dit, comme des tracts et des banderoles porteurs de directives et d’affirmations antagoniques à cet ordre. Ensuite encore, dans les exigences minimales qu’il faut clamer, par exemple l’arrêt total des privatisations et l’annulation de toutes celles qui ont eu lieu depuis le milieu des années quatre-vingt. Il faut avoir comme idée maîtresse le contrôle collectif sur tous les moyens de production, tout l’appareil bancaire, et tous les services publics (santé, éducation, transports, communication). Bref, le peuple politique ne peut se contenter, pour exister, de rassembler quelques milliers de mécontents, fussent-ils, ce que je crois, cent mille, et de réclamer d’un Etat — déclaré par ailleurs, à juste titre, détestable — qu’il veuille bien vous « considérer », organiser pour vous des référendums (lesquels, par exemple ?), entretenir quelques services de proximité et remonter un peu votre pouvoir d’achat en diminuant vos impôts.

      Mais passées les exagérations, les rodomontades, le mouvement des gilets jaunes peut être très utile dans l’avenir, comme le dit Marx : du point de vue de son futur. Si en effet nous nous tournons vers cette minorité d’activistes du mouvement des gilets jaunes qui, à force de se réunir, d’agir, de parler, ont compris en quelque sorte de façon intuitive qu’il leur fallait acquérir une vision d’ensemble, à échelle mondiale comme française, de ce qui est la source véritable de leur malheur, à savoir la contre-révolution libérale ; et qui par conséquent sont prêts à participer aux étapes successives de la construction d’une force de type nouveau ; alors, ces gilets jaunes, pensant à partir de leur futur ; contribueront sans aucun doute à l’existence, ici, d’un peuple politique. C’est pourquoi nous devons leur parler, et s’ils y consentent, organiser avec eux des réunions où se constitueront les premiers principes de ce qu’on peut appeler, ce qu’on doit appeler pour être clair, même si le mot est devenu, ces trente dernières années, à la fois maudit et obscur, un communisme, oui, un communisme nouveau. Comme l’expérience l’a montré, le rejet de ce mot a aussi bien donné le signal d’une régression politique sans précédent, celle-là même contre se lèvent, sans trop le savoir, tous les « « mouvements » de la dernière période, y compris ce qu’il y a de meilleur dans les « gilets jaunes » : les militants qui espèrent un nouveau monde.
      Pour commencer, ces nouveaux militants soutiendront ce que je crois être indispensable : créer, partout où on le peut, des grandes banlieues aux petites villes désertées, des écoles où les lois du Capital et ce que veut dire les combattre au nom d’une orientation politique totalement différente, soient enseignées et discutées de façon claire. Si au-delà de l’épisode « gilets jaunes contre Macron blanc », mais porté par ce que cet épisode avait au futur de meilleur, un tel réseau d’écoles politiques rouges pouvait voir le jour, le mouvement, par son indirecte puissance d’éveil, s’avèrerait avoir eu une véritable importance.

    • Considérer les professions intermédiaires uniquement à l’aune de la France est une erreur monumentale, actuellement, et oui, il s’agit bien de la classe moyenne à l’échelle mondiale. Et les Macron, Trump et autres Poutine gouvernent, ou plutôt dirigent, à l’échelle mondiale, eux, dans les sillons des multinationales.

  • David Graeber : « Les “gilets jaunes” montrent combien le sol bouge sous nos pieds »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/07/les-gilets-jaunes-montrent-a-quel-point-le-sol-bouge-sous-nos-pieds_5394302_

    Le mouvement s’inscrit dans un grand renouvellement des pratiques contestataires, analyse l’anthropologue et penseur du capitalisme dans une tribune au « Monde ».

    Tribune. Si l’une des caractéristiques de tout moment véritablement révolutionnaire est l’échec total des catégories conventionnelles à décrire ce qui est en train de se passer, alors nous sommes en train de vivre des temps révolutionnaires.

    La confusion profonde, l’incrédulité même, qu’affichent les commentateurs en France et à l’étranger face à chaque nouvel « acte » des « gilets jaunes », qui s’approche à grands pas de son apogée insurrectionnel, résulte d’une incapacité quasi complète à prendre en considération les changements du pouvoir, des travailleurs et des mouvements qui se sont élevés contre le pouvoir au cours des cinquante dernières années et en particulier depuis 2008. Les intellectuels, pour la plupart, saisissent très mal ces changements. Permettez-moi d’émettre deux suggestions quant à l’origine de cette confusion :
    1. Dans une économie financiarisée, seuls ceux qui sont proches des moyens de création monétaire (essentiellement, les investisseurs et les classes managériales) sont en position d’employer le langage de l’universalisme. En conséquence, toute demande politique fondée sur des besoins et des intérêts particuliers tend à être traitée comme la manifestation d’une politique identitaire ; les demandes des « gilets jaunes », au vu de leur base sociale, ne peuvent être autrement imaginées que comme protofascistes.
    2. Depuis 2011, la façon dont le sens commun conçoit la participation d’un individu à un mouvement démocratique de masse s’est transformée à l’échelle mondiale – du moins chez ceux qui sont le plus susceptibles d’y participer. Les vieux modèles d’organisation « verticaux », avec une avant-garde, ont laissé place à une horizontalité où la pratique et l’idéologie constituent simplement les deux faces d’un même objet. L’incapacité à le saisir donne l’impression erronée que des mouvements comme celui des « gilets jaunes » sont anti-idéologiques, voire nihilistes. Permettez-moi à présent d’étayer mes propos.

    Instincts profondément antidémocratiques
    Depuis que les Etats-Unis ont renoncé à l’étalon or, en 1971, la nature du capitalisme a profondément changé. Aujourd’hui, la plupart des profits des entreprises ne dérivent plus de la production ni même de la commercialisation de quoi que ce soit, mais de la manipulation du crédit, de la dette et des « rentes réglementées ». Alors que les appareils bureaucratiques gouvernementaux et financiers sont de plus en plus intimement enchevêtrés, au point qu’il devient très difficile de les distinguer l’un de l’autre, la richesse et le pouvoir – notamment le pouvoir de créer de l’argent (autrement dit le crédit) – deviennent de fait la même ch…

    et #paywall

    • ah ben @kassem, il y a 2 jours.
      https://seenthis.net/messages/742906

      Et une autre source du texte entier en anglais
      The #YellowVests Show How Much the Ground Moves Under Our Feet – Enough is Enough !
      https://enoughisenough14.org/2018/12/09/the-yellowvests-show-how-much-the-ground-moves-under-our-feet

      We often don’t agree with David Graeber and we are not very enthousiastic about the fact that it was originally published in Le Monde, but decided to republish his piece about the Yellow Vests movement on the French territory because it is one more view about the ongoing events there.

      Origininally published by Le Monde on December 7, 2018. Translated by Infoshop. Written by David Graeber.

    • Let me provide some background for these assertions.

      Since the US jettisoning of the gold standard in 1971, we have seen a profound shift in the nature of capitalism. Most corporate profits are now no longer derived from producing or even marketing anything, but in the manipulation of credit, debt, and “regulated rents.” As government and financial bureaucracies become so intimately intertwined it’s increasingly difficult to tell one from the other, wealth and power—particularly, the power to create money (that is, credit)—also become effectively the same thing. (This was what we were drawing attention to in Occupy Wall Street when we talked about the “1%’—those with the ability to turn their wealth into political influence, and political influence back into wealth.) Despite this, politicians and media commentators systematically refuse to recognize the new realities, for instance, in public discourse one must still speak of tax policy as if it is primarily a way of government raising revenue to fund its operations, whereas in fact it is increasingly simply a way of (1) ensuring the means of credit-creation can never be democratized (as only officially approved credit is acceptable in payment of taxes), and (2) redistributing economic power from one social sector to another.

      Since 2008 governments have been pumping new money into the system, which, owing to the notorious Cantillon effect, has tended to accrue overwhelmingly to those who already hold financial assets, and their technocratic allies in the professional managerial classes. In France of course these are precisely the Macronists. Members of these classes feel that they are the embodiments of any possible universalism, their conceptions of the universal being firmly rooted in the market, or increasingly, that atrocious fusion of bureaucracy and market which is the reigning ideology of what’s called the “political center.” Working people in this new centrist reality are increasingly denied any possibility of universalism, since they literally cannot afford it. The ability to act out of concern for the planet, for instance, rather than the exigencies of sheer survival, is now a direct side-effect of forms of money creation and managerial distribution of rents; anyone who is forced to think only of their own or their family’s immediate material needs is seen as asserting a particular identity; and while certain identities might be (condescendingly) indulged, that of “the white working class” can only be a form of racism. One saw the same thing in the US, where liberal commentators managed to argue that if Appalachian coal miners voted for Bernie Sanders, a Jewish socialist, it must nonetheless somehow be an expression of racism, as with the strange insistence that the Giles Jaunes must be fascists, even if they haven’t realized it.

      These are profoundly anti-democratic instincts.

      To understand the appeal of the movement—that is, of the sudden emergence and wildfire spread of real democratic, even insurrectionary politics—I think there are two largely unnoticed factors to be taken into consideration.

      The first is that financialized capitalism involves a new alignment of class forces, above all ranging the techno-managerials (more and more them employed in pure make-work “bullshit jobs,” as part of the neoliberal redistribution system) against a working class that is now better seen as the “caring classes”—as those who nurture, tend, maintain, sustain, more than old-fashioned “producers.” One paradoxical effect of digitization is that while it has made industrial production infinitely more efficient, it has rendered health, education, and other caring sector work less so, this combined with diversion of resources to the administrative classes under neoliberalism (and attendant cuts to the welfare state) has meant that, practically everywhere, it has been teachers, nurses, nursing-home workers, paramedics, and other members of the caring classes that have been at the forefront of labor militancy. Clashes between ambulance workers and police in Paris last week might be taken as a vivid symbol of the new array of forces. Again, public discourse has not caught up with the new realities, but over time, we will start having to ask ourselves entirely new questions: not what forms of work can be automated, for instance, but which we would actually want to be, and which we would not; how long we are willing to maintain a system where the more one’s work immediately helps or benefits other human beings, the less you are likely to be paid for it.

      Second, the events of 2011, starting with the Arab Spring and passing through the Squares movements to Occupy, appear to have marked a fundamental break in political common sense. One way you know that a moment of global revolution has indeed taken place is that ideas considered madness a very short time before have suddenly become the ground assumptions of political life. The leaderless, horizontal, directly democratic structure of Occupy, for instance, was almost universally caricatured as idiotic, starry-eyed and impractical, and as soon as the movement was suppressed, pronounced the reason for its “failure.” Certainly it seemed exotic, drawing heavily not only on the anarchist tradition, but on radical feminism, and even, certain forms of indigenous spirituality. But it has now become clear that it has become the default mode for democratic organizing everywhere, from Bosnia to Chile to Hong Kong to Kurdistan. If a mass democratic movement does emerge, this is the form it can now be expected to take. In France, Nuit Debout might have been the first to embrace such horizontalist politics on a mass scale, but the fact that a movement originally of rural and small-town workers and the self-employed has spontaneously adopted a variation on this model shows just how much we are dealing with a new common sense about the very nature of democracy.

      About the only class of people who seem unable to grasp this new reality are intellectuals. Just as during Nuit Debout, many of the movement’s self-appointed “leadership” seemed unable or unwilling to accept the idea that horizontal forms of organization were in fact a form of organization (they simply couldn’t comprehend the difference between a rejection of top-down structures and total chaos), so now intellectuals of left and right insist that the Gilets Jaunes are “anti-ideological”, unable to understand that for horizontal social movements, the unity of theory and practice (which for past radical social movements tended to exist much more in theory than in practice) actually does exist in practice. These new movements do not need an intellectual vanguard to provide them with an ideology because they already have one: the rejection of intellectual vanguards and embrace of multiplicity and horizontal democracy itself.

      There is a role for intellectuals in these new movements, certainly, but it will have to involve a little less talking and a lot more listening.

      None of these new realities, whether of the relations of money and power, or the new understandings of democracy, likely to go away anytime soon, whatever happens in the next Act of the drama. The ground has shifted under our feet, and we might do well to think about where our allegiances actually lie: with the pallid universalism of financial power, or those whose daily acts of care make society possible.

    • Permettez-moi de vous donner un aperçu de ces assertions.

      Depuis que les Etats-Unis ont abandonné l’étalon-or en 1971, nous avons assisté à un profond changement dans la nature du capitalisme. La plupart des profits des entreprises ne proviennent plus ni de la production ni même de la commercialisation, mais de la manipulation du crédit, de la dette et des "loyers réglementés". À mesure que les bureaucraties gouvernementales et financières deviennent si intimement imbriquées, il est de plus en plus difficile de les distinguer. et le pouvoir - en particulier le pouvoir de créer de la monnaie (c’est-à-dire du crédit) - devient également effectivement la même chose. (C’est ce sur quoi nous avons attiré l’attention à Occupy Wall Street lorsque nous avons parlé du « 1% » - ceux qui ont la capacité de transformer leur richesse en influence politique et l’influence politique en richesse.) Desp Cela dit, les politiciens et les commentateurs des médias refusent systématiquement de reconnaître les nouvelles réalités. Par exemple, dans le discours public, il faut encore parler de politique fiscale, comme si c’était avant tout un moyen pour le gouvernement de lever des revenus pour financer ses opérations. simplement un moyen de (1) garantir que les moyens de création de crédit ne peut jamais être démocratisé (étant donné que seul le crédit officiellement approuvé est acceptable pour le paiement des impôts), et (2) redistribuer le pouvoir économique d’un secteur social à un autre.

      Depuis 2008, les gouvernements injectent de nouveaux fonds dans le système qui, en raison du tristement célèbre effet Cantillon, a eu tendance à toucher principalement ceux qui détiennent déjà des actifs financiers et leurs alliés technocratiques dans les catégories de gestionnaires professionnels. En France, bien sûr, ce sont précisément les macronistes. Les membres de ces classes estiment qu’ils sont les incarnations de tout universalisme possible, leurs conceptions de l’universel étant fermement ancrées dans le marché, ou de plus en plus, cette fusion atroce de la bureaucratie et du marché qui est l’idéologie dominante de ce qu’on appelle le « centre politique ». « Les travailleurs de cette nouvelle réalité centriste sont de plus en plus privés de toute possibilité d’universalisme, puisqu’ils ne peuvent littéralement pas se le permettre. La capacité d’agir par souci de la planète, par exemple, plutôt que par les seules exigences de la survie, est maintenant un effet secondaire direct des formes de création monétaire et de distribution des loyers par la direction ; quiconque est contraint de ne penser qu’à ses besoins matériels immédiats ou à ceux de sa famille est considéré comme l’affirmation d’une identité particulière ; et bien que certaines identités puissent être (condescendantes) gâchées, celle de « la classe ouvrière blanche » ne peut être qu’une forme de racisme. On a vu la même chose aux États-Unis, où des commentateurs libéraux ont réussi à affirmer que si les mineurs de charbon des Appalaches votaient pour Bernie Sanders, un socialiste juif, il devait néanmoins être en quelque sorte une expression du racisme, tout comme l’étrange insistance selon laquelle les Giles Jaunes fascistes, même s’ils ne l’ont pas compris.

      Ce sont des instincts profondément antidémocratiques.

      Pour comprendre l’attrait du mouvement - c’est-à-dire de l’émergence soudaine et de la propagation d’une traînée de poudre d’une véritable politique démocratique, voire insurrectionnelle -, je pense qu’il faut prendre en compte deux facteurs largement méconnus.

      La première est que le capitalisme financiarisé implique un nouvel alignement des forces de classe, en particulier des techno-gestionnaires (qui sont de plus en plus employés dans des "travaux de conneries", dans le cadre du système de redistribution néolibérale) contre une classe ouvrière qui est maintenant mieux considéré comme la « classe de soin » - comme ceux qui nourrissent, tendent, maintiennent, soutiennent plus que les « producteurs » à l’ancienne. Un effet paradoxal de la numérisation est que, même si elle a rendu la production industrielle infiniment plus efficace, elle a le secteur de la santé, de l’éducation et des autres services sociaux fonctionne moins, ce qui, combiné au détournement de ressources vers les classes administratives sous le néolibéralisme (et aux compressions correspondantes dans l’État-providence), a eu pour effet que pratiquement partout, les enseignants, les infirmières, les travailleurs à domicile, les ambulanciers, et d’autres membres de la classe des soignants qui ont été à la pointe de la militance syndicale. Les affrontements entre ambulanciers et policiers à Paris la semaine dernière pourraient être considérés comme un symbole vivant du nouvel éventail de forces. Encore une fois, le discours public n’a pas rattrapé les nouvelles réalités, mais avec le temps, nous devrons commencer à nous poser des questions entièrement nouvelles : non pas quelles formes de travail peuvent être automatisées, par exemple, mais que nous voudrions réellement être, et ce que nous ne voudrions pas ; Depuis combien de temps sommes-nous disposés à maintenir un système où plus son travail aide ou profite immédiatement à d’autres êtres humains, moins vous êtes susceptible d’être payé pour cela ?

      Deuxièmement, les événements de 2011, qui ont commencé par le printemps arabe et ont traversé les mouvements des carrés pour occuper, semblent avoir marqué une rupture fondamentale du bon sens politique. Vous savez, entre autres, qu’un moment de révolution mondiale s’est réellement produit, c’est que les idées considérées peu à peu comme de la folie sont soudainement devenues les hypothèses de base de la vie politique. Ainsi, la structure horizontale, directement démocratique et directement démocratique d’Occy, était presque universellement caricaturée comme idiote, aveugle et irréaliste, et peu pratique, et dès que le mouvement a été supprimé, a déclaré la raison de son « échec ». Certes, cela semblait exotique, s’appuyant non seulement sur la tradition anarchiste, mais également sur le féminisme radical et même sur certaines formes de spiritualité autochtone. Mais il est maintenant devenu évident qu’il est devenu le mode par défaut pour l’organisation démocratique partout, de la Bosnie au Chili en passant par Hong Kong et le Kurdistan. Si un mouvement démocratique de masse apparaît, c’est la forme qu’il peut maintenant s’attendre. En France, Nuit Debout a peut-être été le premier à adopter une telle politique horizontaliste à grande échelle, mais le fait qu’un mouvement originaire de travailleurs ruraux et de petites villes et de travailleurs indépendants ait spontanément adopté une variante de ce modèle montre à quel point Nous avons beaucoup à faire avec un nouveau sens commun sur la nature même de la démocratie.

      Les intellectuels sont à peu près la seule catégorie de personnes qui semblent incapables de saisir cette nouvelle réalité. De même que lors de Nuit Debout, beaucoup de « dirigeants » autoproclamés du mouvement semblaient incapables ou peu disposés à accepter l’idée que les formes d’organisation horizontales étaient en fait une forme d’organisation (ils ne pouvaient tout simplement pas comprendre la différence entre un rejet bas-fond et chaos total), les intellectuels de gauche et de droite insistent sur le fait que les Gilets Jaunes sont « anti-idéologiques », incapables de comprendre que, pour les mouvements sociaux horizontaux, l’unité de la théorie et de la pratique exister beaucoup plus en théorie qu’en pratique) existe réellement dans la pratique. Ces nouveaux mouvements n’ont pas besoin d’une avant-garde intellectuelle pour leur fournir une idéologie, car ils en ont déjà une : le rejet de l’avant-garde intellectuelle et l’acceptation de la multiplicité et de la démocratie horizontale elle-même.

      Les intellectuels ont un rôle à jouer dans ces nouveaux mouvements, certes, mais cela nécessitera un peu moins de conversation et beaucoup plus d’écoute.

      Aucune de ces nouvelles réalités, qu’il s’agisse des relations entre argent et pouvoir et des nouvelles conceptions de la démocratie, ne risque de disparaître de sitôt, quoi qu’il advienne dans le prochain Acte dramatique. Le sol a bougé sous nos pieds et il serait peut-être bon que nous réfléchissions à l’endroit où se trouvent nos allégeances : avec l’universalisme pâle du pouvoir financier ou avec ceux dont les gestes quotidiens rendent la société possible.

  • LA BUREAUCRATIE PERMET AU CAPITALISME DE S’ENRICHIR SANS FIN
    David Graeber, 2015

    Anthropologue et anarchiste, une double casquette que l’Américain David Graeber, un des penseurs les plus ­lucides de notre époque, garde vissée sur la tête dans la bourrasque. Pilier du mouvement Occupy Wall Street, il a rendu criant, en 2011, le scandale d’une finance avide, immorale et irresponsable. Plus personne, aujourd’hui, n’ignore qui sont les « 99 % ». Mais l’engagement a un prix. Fin 2011, les camarades de Graeber ont été expulsés manu militari du petit parc new-yorkais qu’ils occupaient depuis deux mois ; l’anthropologue avait, lui, déjà été exclu de l’université Yale, où il enseignait, en 2007. Et il n’a jamais retrouvé de poste dans une université américaine. Auteur en 2011 d’un essai remarquable, Dette : 5 000 ans d’histoire, Graeber a finalement trouvé refuge à la prestigieuse London School of Economics (LSE). C’est là que cet agitateur non violent (mais au débit de mitraillette) nous a reçu pour évoquer son dernier livre, "Bureaucratie", et plonger avec une folle vivacité dans le grand tournis du monde.

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    ENTRETIEN AVEC TÉLÉRAMA

    Nous vivons, dites-vous, dans une société extrêmement bureaucratique. Sur quoi repose cette affirmation ?

    Le mieux est de partir d’un exemple concret. J’ai appelé ma banque l’autre jour, pour lui demander de lever une fonction de sécurité qui m’empêche d’accéder à mes comptes depuis l’étranger. J’ai passé quarante minutes au téléphone avec différents interlocuteurs pour résoudre le problème — en vain. Imbroglio bureaucratique classique, mais cette fois dans le cadre d’une entreprise privée ! Quand j’ai demandé : « Comment est-il possible qu’un simple changement d’adresse puisse dévorer quarante minutes de ma journée — et de la vôtre — sans trouver de solution ? », on m’a répondu que c’était la faute des régulations imposées par le gouvernement. Mais la séparation entre le « public » et le « ­privé » est-elle si tranchée aujourd’hui ? D’une part, le public est de plus en plus organisé comme un business et, d’autre part, le marché privé se réfère à des règles émises par les gouvernements. Mais surtout, aux Etats-Unis, les lois définissant les règles du marché sont toutes le résultat d’un lobbying exercé par les entreprises sur les députés. Mon banquier a donc tort de se plaindre : il est co­responsable de mes problèmes de bureaucratie.

    Le capitalisme ne ferait pas mieux que le socialisme en matière de règlements et de paperasse — fût-elle électronique ?

    L’objection la plus commune adressée au modèle socialiste, c’est sa dimension utopique. Les marxistes imaginent une version idéalisée de la vie et demandent aux êtres humains d’être à la hauteur de cet idéal... impossible à atteindre ! Obstinés, les régimes socialistes imposent des règles de conduite à la population. Quand des individus y dérogent, plutôt que de reconnaître que les règles sont mauvaises, le régime déclare que tout le mal vient des hommes et les envoie au ­goulag. Méchant défaut dans la cuirasse du projet socialiste... Mais voyez à quel point, dans le système capitaliste, l’hiatus n’est pas si différent : la dernière fois que j’ai regardé les résultats de la première banque du monde (ou presque), J.P. Morgan, j’ai découvert que 75 à 80 % de leurs profits venaient des frais de gestion de compte et des agios imposés aux clients endettés. Ces banques émettent elles aussi des règles « idéales » ; et à chaque fois que nous sommes pris en défaut, elles nous ponctionnent.

    Comment se fait-il que personne ne réagisse ?

    Quelqu’un a réussi à faire croire à tout le monde que la bureaucratie était un fléau du secteur public, alors que c’est un modèle qui transcende la séparation public/privé. Au début du siècle dernier, tout le monde savait que la bureaucratie de l’administration et celle des entreprises, c’était pareil.

    Mais instaurer des règles claires ne profite-t-il pas à tous ? Chacun les connaît, les choses sont transparentes...

    Pour que nous adhérions comme un seul homme au projet bureaucratique, il faut qu’il soit attirant. Le système capitaliste l’a très bien compris. A chaque fois que des règles existantes créent une situation ubuesque, il promet une solution... en inventant de nouvelles règles ! Peu importe que le problème ne soit ­jamais résolu et que le système se transforme en machine à fabriquer des règlements, la « transparence » est sauve. Au nom de ce nouvel idéal, l’effort pour se libérer du pouvoir arbitraire produit encore plus de pouvoir arbitraire : les réglementations nous étouffent, des caméras de surveillance apparaissent partout, la science et la créativité sont étranglées et nous passons tous une part croissante de nos journées à remplir des formulaires.

    Depuis 2008, on a plutôt entendu beaucoup de critiques contre la dérégulation de la finance...

    La dérégulation ne nous débarrasse pas des règles : elle en crée d’autres, différentes. Dire qu’on dérégule est toujours une promesse idéologique — l’objectif réel est d’émettre ses propres règles et d’être le premier à bord.

    Une « règle » domine tous les débats aujourd’hui : il faut payer ses dettes. Qu’on soit gouvernement ou simple particulier...

    Oui, et cette question est directement liée à l’expansion de la bureaucratie : aujourd’hui, pour payer ses dettes, le foyer américain moyen se voit amputer chaque mois de 15 à 40 % de ses revenus (étrangement, il est impossible d’obtenir des statistiques exactes sur cette question !). Encore une fois, n’oublions pas que l’essentiel des profits de Wall Street provient de dettes individuelles ou collectives — souvenez-vous de la crise des subprimes. Les politiciens auxquels s’adressent les lobbyistes sont tout à fait d’accord pour garantir un certain taux de profit aux banques. Ils n’ont d’ailleurs jamais prétendu agir autrement : leur première réaction après le krach de 2008 ne fut-elle pas de déclarer qu’ils ne laisseraient jamais tomber la finance ?

    Vous en parlez quasiment comme d’un complot...

    Parce que c’en est un. Ces hommes et femmes politiques votent des lois mille fois plus favorables aux banques qu’à leurs clients — au point que les Américains reversent plus d’argent, aujourd’hui, à Wall Street qu’au fisc. On n’est pas si loin de l’époque où la mafia faisait voter par les députés des lois sur l’ouverture des ­casinos... Le mouvement Occupy Wall Street l’a d’ailleurs tout de suite compris. Les jeunes gens qui l’ont lancé, en 2011, s’étaient rendu compte qu’ils avaient suivi les règles — fait des études poussées comme on le leur avait demandé, accumulé des dettes pour des décennies (et promis de les rembourser), décroché leur diplôme... Pour découvrir quoi ? Que les mêmes institutions auxquelles ils allaient ­devoir rembourser des intérêts toute leur vie n’avaient pas respecté les règles, elles ; qu’elles avaient détruit l’économie par leurs combines spéculatives et s’en sortaient sans une égratignure !

    Barack Obama avait promis de changer les choses...

    C’est un immense gâchis. Combien de fois, dans l’histoire américaine, un président élu sur la promesse de s’attaquer aux inégalités a-t-il eu une aussi belle occasion de modifier le système en profondeur ? La crise de 2008 a eu l’effet d’un séisme, le peuple américain était vraiment en colère, si Obama avait dit « je nationalise les banques », les gens auraient dit « ok » ! Mais il n’a pas bougé : il a protégé le système de santé privé (après avoir promis de créer une forme de Sécurité sociale) ; et il a sauvé la finance. Quand on pense qu’il a remporté les présidentielles de 2008 grâce aux jeunes, trois fois plus nombreux à voter en 2008 qu’en 2004... Etonnez-vous que sa popularité ait déjà chuté de 50 % chez ces mêmes jeunes quatre ans plus tard.

    Ces jeunes sont-ils toujours demandeurs de changement ?

    Un sondage m’a beaucoup frappé ces dernières années. On demandait aux Américains : « Quel système économique préférez-vous, le socialisme ou le capitalisme  ? ». Bien entendu, le capitalisme l’emportait sur l’ensemble des sondés, mais les jeunes étaient partagés — 35% pro-capitalisme, 32% pro-socialisme et le reste sans opinion. Ce qui veut dire que la moitié des 15-25 ans ayant une opinion politique aux Etats-Unis sont prêts à considérer la possibilité d’un changement radical de modèle économique – dans une société où personne n’a dit quoi que ce soit de positif sur le socialisme, à la télévision, depuis plusieurs décennies !

    Pourquoi les Démocrates américains – et la plupart des sociaux-démocrates au pouvoir en Europe – semblent-ils si réticents à changer de politique ?

    Longtemps, les socio-démocrates ont espéré pouvoir changer le monde de l’intérieur, quand ils arriveraient au pouvoir. Mais dès qu’on leur confie les rênes, quelque chose les arrête. La peur, peut-être. Quand Occupy Wall Street a démarré, des milliers de personnes ont découvert que la désobéissance civile pouvait être efficace, qu’on pouvait se faire entendre sans se faire agresser par la police. Certains médias ont même décidé de s’intéresser à nos motivations, et la gauche modérée s’est réveillée. Notre plus grande erreur, à Occupy, a été de penser que nous pourrions parvenir à une alliance avec les Démocrates. En 2011, ils n’avaient pas besoin de nous. Quand ils ont compris que nous n’avions pas l’intention de devenir un Tea Party de gauche – qui aurait menacé leur périmètre politique — ils ont regardé ailleurs. Notamment quand, après deux mois d’occupation, la police nous a attaqués pour vider Zuccotti Park.
    Si on avait dit aux spectateurs du premier alunissage qu’Internet ­serait l’invention majeure du demi-siècle à venir, croyez-moi, ils auraient fait la moue.

    L’Amérique a laissé passer sa chance ?

    La société américaine est redevenue fondamentalement conservatrice. Regardons les trois arguments clés du « meilleur des systèmes possibles ». Grand un : « Le capitalisme crée des inégalités, mais les revenus des plus pauvres augmentent toujours sur le long terme. » Ce n’est manifestement plus le cas. Deux : « Le capitalisme assure une certaine stabilité politique. » Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les crises politiques se multiplient sur tous les continents. Et trois : « Les progrès technologiques sont un moteur extraordinaire pour un monde meilleur. » Il ne reste plus qu’à prouver que le monde s’est amélioré moralement. Joli bulletin de notes !

    Les technologies n’ont-elles pas rendu notre vie plus facile ?

    Ça dépend du curseur que vous choisissez. Je me souviens des images de Neil Armstrong marchant sur la Lune — j’avais 8 ans — et des rêves que l’on faisait à l’époque sur ce que l’humanité serait capable de faire trente, quarante ans plus tard. Le réveil est brutal ! En 1969, les connaisseurs pensaient qu’on irait sur Jupiter, que les voitures voleraient et que des robots nettoieraient nos appartements. Qu’a-t-on à la place ? Des téléphones capables d’envoyer et recevoir des vidéos... Super, surtout quand on sait que le premier essai concluant de vidéo-téléphone date des années 1930 ! Et Internet, ­direz-vous ? C’est vrai, nous disposons tous à domicile d’un bureau de poste géant et immédiat... Mais si on avait dit aux spectateurs du premier alunissage qu’Internet ­serait l’invention majeure du demi-siècle à venir, croyez-moi, ils auraient fait la moue. Quand aura-t-on le courage de reconnaître que nous n’avons pas été capables de réa­liser nos rêves, alors que nous les savions à notre portée ?

    A qui la faute ?

    Le débat est ouvert. Aux Etats-Unis, dans les années 1970, certains penseurs affirmaient que l’évolution trop rapide des technologies était responsable des problèmes sociaux qui se multipliaient dans le pays depuis les années 1960, et qu’il fallait freiner le progrès. Mais ce ne sont pas les investissements privés qui ont manqué, ce sont les investissements publics. Car la recherche fondamentale aux Etats-Unis reste largement financée par le gouvernement, qui a décidé de lui-même de réorienter ses crédits vers les technologies mé­dicales et celles de l’information. Voilà comment, quarante-cinq ans après Apollo 11, on n’est toujours pas ­fichus de créer un robot avec qui discuter, ou au moins capable de faire tout ce qui pourrait améliorer le quotidien d’une personne physiquement dépendante.

    Un changement politique peut-il modifier le cours de la révolution technologique ?

    Toute l’histoire le montre : toute correction politique change la trajectoire des progrès technologiques. Mais permettez à l’anthropologue que je suis de poser une question simple : pourquoi répète-t-on en boucle qu’il n’existe qu’une façon efficace d’organiser l’économie alors que l’histoire en a fabriqué des dizaines, suivant les lieux et les époques ? On va me rétorquer que ces modèles ont ­existé longtemps avant l’industrialisation et sont aujourd’hui inopérants. Moi qui pensais que les technologies ­devaient nous donner plus d’options dans la vie ! Au Moyen Age, il y aurait mille façons d’organiser l’économie, mais dès qu’on s’équipe d’un ordinateur, il n’y en a plus qu’une ?

    Le capitalisme est au bord de l’effondrement, suggérez-vous. Qu’en est-il de l’après­-capitalisme ?

    La question, pour moi, est moins de savoir comment on peut l’aider dans sa chute que de s’assurer que ce qui le remplacera sera préférable. Mais il faut d’abord faire un diagnostic juste sur l’époque présente. Et ce n’est pas si simple. Dans les années 1980, avec des marxistes de tout poil, on s’étripait autour du problème suivant : sachant que la date de naissance du capitalisme est plus ou moins fixée à l’an 1500, avec l’urbanisation et le développement du commerce, mais que l’industrialisation et le travail salarié ne sont pas vraiment apparus avant 1750, qu’a-t-on vécu exactement entre ces deux dates ? La réponse me paraît évidente : pendant deux cent cinquante ans (50 % de la vie du capitalisme !), les gens ne savaient pas qu’ils avaient changé de modèle. Si l’on suit cette logique, nous pourrions bien, aujourd’hui, être déjà sortis du capitalisme sans nous en rendre compte. Déjà en train de construire un nouveau modèle, sans savoir de quoi il s’agit.

    Quel bilan faites-vous d’Occupy Wall Street ?

    Les gens sont déçus qu’Occupy n’ait pas bouleversé le monde du jour au lendemain. Mais quel mouvement ­social y est jamais parvenu ? Une ­action comme celle-ci ouvre des champs de possibilités, ce n’est que dix, vingt ou quarante ans plus tard qu’on voit lesquelles se sont réalisées. En 1848, des révolutions se sont produites partout et pas une seule n’a pris le pouvoir. Mais qui pourrait dire qu’elles n’ont pas préparé les révolutions russes de 1917 ? Mon sentiment personnel, c’est que nous avons énormément accompli dans le très court temps qui nous a été offert — entre six mois et un an. Nous avons ­changé le discours politique sur les inégalités. Avant nous, plus personne aux Etats-Unis n’osait parler de « classes sociales ». Aujourd’hui, même les républicains reconnaissent que les inégalités sont un sérieux problème — et qu’ils n’ont pas la solution. Les conséquences d’Occupy ne se sont peut-être pas manifestées là où on les attendait. Beaucoup de sympathisants d’Occupy espéraient qu’émerge une ribambelle de mouvements similaires : ça n’a pas été le cas. Mais qui oserait nier l’impact international des Indignés, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient ?

    La désobéissance civile, oui, la violence, non : vous restez ferme sur ce principe ?

    La seule façon de traiter avec les politiciens est de les menacer de faire... sans eux ! Avec le recul, je pense même que c’était la seule stratégie qui aurait pu marcher pendant Occupy. Elle a bien marché en Argentine ! En 2001, une succession de gouvernements et de Présidents incapables ont mis le pays à genoux. Les gens ont alors créé leur propre assemblée populaire, occupé leur usine et développé une économie alternative, jusqu’à ce qu’ils parviennent à cette conclusion terrible pour les politiciens argentins : « Tous comptes faits, on ne sent plus la nécessité d’un gouvernement ». Soudain, c’était aux politiques de prouver qu’il restait de bonnes raisons de les prendre au sérieux. Quand il arrive au pouvoir, Nestor Kirchner est un social démocrate tout doux, la dernière personne dont on attendrait des solutions radicales. Il s’est trouvé forcé de jouer la déflation. En quelques mois, la dette avait chuté de 95 % !

    Vous êtes un intellectuel anarchiste scruté par tous les activistes de la planète. Comment le vivez-vous ?

    Désormais, je suis bien placé pour savoir que l’engagement a un prix. La seule chose que j’ai possédée dans ma vie, par exemple, était l’appartement où j’ai grandi à New York et dont j’ai hérité. Je sais, de source sûre, que les services de police ont parlé au syndic de mon immeuble pour me faire débarrasser le plancher (la plupart des gens qui ont participé de près à Occupy Wall Street ont subi ce type de mésaventure). Quand j’ai été viré de l’université Yale, personne, dans les facs américaines, ne m’a proposé de poste ; et c’est pour cela que je suis un Américain en exil, ici, à la London School of Economics, où j’ai été très bien accueilli. L’université américaine est devenue terriblement conservatrice. S’ajoute peut-être aussi, dans ce rejet, la mauvaise conscience de certains professeurs de sciences humaines, radicaux dans l’âme mais lucides sur le fait qu’ils participent eux aussi d’un système qui exploite éhontément les étudiants en les criblant de dettes. Je les renvoie à quelque chose qu’ils préfèrent ne pas voir, je suis leur vilain miroir. Je ne juge pourtant personne !

    Comment vous organisez-vous, entre les travaux de recherche et le militantisme ?

    J’ai trois boulots, entre l’université, l’activisme et la rédaction de mes livres. Mais conjuguer plusieurs vies entraîne un sentiment de culpabilité permanent, celui de laisser tomber des projets et les gens qui comptent sur vous. La clef de ma productivité, si vous voulez tout savoir, c’est ma capacité à transformer mon penchant à la procrastination en méthode infaillible pour travailler beaucoup ! Ayez toujours deux ou trois projets à mener de front : en travaillant sur le premier, vous évitez de faire le second, et en bossant sur le second vous évitez de vous mettre au troisième. Au final, vous devenez très efficace ! Aujourd’hui, il faut impérativement que je finisse un papier sur la dette pour le Journal du parlement allemand ; à la place, je mène un travail de réflexion sur le sens des « anthologies »... que je reporte au profit d’un essai sur les enfants de pirates qui ont créé, en 1720, sur l’île de Madagascar, une des expériences démocratiques les plus précoces de l’Histoire. Voilà ma technique ! Mais mon prochain grand projet reste un livre sur les origines de l’inégalité, dans lequel je me suis lancé avec un archéologue.

    De quoi s’agit-il ?

    Depuis les années 60, les archéologues ne nous apprennent plus grand-chose sur les origines de l’inégalité. Or, ce qu’il en disaient auparavant était faux. Ils affirmaient que lors les premiers regroupements humains, la plupart des hommes vivaient dans de petites communautés de 30 ou 40 personnes partageant ce qu’ils possédaient sur un mode à peu près égalitaire ; bientôt, les villes se forment, un début de civilisation apparaît, des surplus s’accumulent – du coup il faut des gens pour administrer ces surplus — l’écriture, la comptabilité sont inventées et avec elles surgit l’inégalité. Joli scénario... mais complètement faux. D’abord, même quand les hommes vivaient en petits groupes, le rapport social à l’égalité à l’intérieur de ces groupes n’a jamais cessé de varier. Pour ce qui est des villes, les premières d’entre elles étaient organisées sur un mode plus égalitaire que les petites communautés qui les avaient précédées : les maisons avaient à peu près toutes la même taille, il existait des bains publics efficaces et ouverts à tous, etc. Tout le monde semble croire, pourtant, que dans une petite communauté la démocratie directe est possible, mais que lorsqu’on met beaucoup de gens ensemble, une classe dirigeante s’impose, pour éviter la pagaille. L’Histoire montre exactement le contraire : organiser une ville sur un mode égalitaire est facile. Ce qui est vraiment compliqué, c’est de construire l’égalité entre les membres d’une même famille ! Pour moi, la question n’est d’ailleurs pas de savoir comment la hiérarchie a évolué, mais plutôt : « Pourquoi, à un moment donné, ces oscillations ont cessé ? Pourquoi est-on resté bloqué sur le modèle inégalitaire que nous connaissons aujourd’hui » ?

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    ENTRETIEN AVEC BASTA

    Basta ! : Vous dites que nous sommes désormais immergés dans une ère de « bureaucratie totale ». Quels en sont les signes ?

    David Graeber : Il suffit de mesurer le temps que nous consacrons à remplir des formulaires. Quelqu’un a calculé que les citoyens états-uniens passent en moyenne six mois de leur vie à attendre que le feu passe au vert. Personne n’a calculé combien de temps nous passons à remplir des formulaires ! Peut-être une année entière… C’est la première fois dans l’histoire que nous atteignons ce niveau de bureaucratie.
    Le nombre d’occurrences du mot « bureaucratie » augmente dans les livres jusqu’en 1974, puis diminue. Mais les mots que l’on associe généralement aux procédures bureaucratiques, comme « paperasse », « documents à fournir », ou « évaluation de rendement », augmentent de manière continue et dramatique. Nous sommes donc encerclés par des procédures bureaucratiques, mais nous ne les identifions plus comme telles. C’est ce que j’ai essayé d’analyser dans mon livre.

    Le sociologue Max Weber affirmait déjà que le 19e siècle avait inauguré l’ère bureaucratique. En quoi la situation est-elle nouvelle ?

    La différence, c’est que la bureaucratie est si totale que nous ne la voyons plus. Dans les années 1940 et 1950, les gens se plaignaient de son absurdité. Aujourd’hui, nous n’imaginons même plus une manière d’organiser nos vies qui ne soit pas bureaucratique ! Ce qui également nouveau, c’est la création de la première bureaucratie planétaire. Un système d’administration que personne n’identifie pourtant comme une bureaucratie, car il est surtout question de libre-échange. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? La création de traités internationaux et d’une classe entière d’administrateurs internationaux qui régulent les choses, tout en appelant ce processus « dérégulation ».
    La bureaucratie n’est plus seulement une manière de gérer le capitalisme. Traditionnellement, le rôle de l’État est de garantir les rapports de propriété, de réguler pour éviter l’explosion sociale. Mais la bureaucratie est désormais devenue un moyen au service des structures d’extraction de profits : les profits sont extraits directement par des moyens bureaucratiques. Aujourd’hui, la majorité des profits n’ont rien à voir avec la production, mais avec la finance. Même une compagnie comme General Motors fait plus de profits en finançant l’achat de voitures par le crédit, que par la production de voitures. La finance n’est pas un monde irréel complètement déconnecté de l’économie réelle, où des gens spéculent et font des paris, gagnent de l’argent à partir de rien. La finance est un processus qui extrait des rentes pour certains, en se nourrissant de la dette des autres. J’ai essayé de calculer la part des revenus des familles états-uniennes directement extraite pour alimenter le secteur de la finance, des assurances et de l’immobilier. Impossible d’obtenir ces chiffres !
    Tout cela est permis par la fusion progressive de la bureaucratie publique et privée, depuis les années 1970 et 1980. Cela s’opère par une collusion bureaucratique entre le gouvernement et la finance privée. Les 1% (les plus riches) dont parle le mouvement Occupy Wall Street, sont des gens qui accaparent les profits tout en finançant également les campagnes électorales, influençant ainsi les responsables politiques. Le contrôle du politique est aujourd’hui essentiel dans cette dynamique d’accaparement des profits. Et la bureaucratie est devenue un moyen au service de ce processus, avec la fusion de la bureaucratie publique et privée, saturée de règles et de règlements, dont l’objectif ultime est d’extraire du profit. C’est ce que j’appelle l’ère de la « bureaucratie totale ».

    Les gens opposent souvent bureaucratie étatique et libéralisme économique. Mais « il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV », écrivez-vous. Le libéralisme augmente donc la bureaucratie ?

    C’est objectivement vrai. Regardez ce qui se passe ! La statistique la plus impressionnante concerne la Russie après la chute de l’Union soviétique. D’après la Banque mondiale, entre 1992 et 2002, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 25 % en Russie. Alors que la taille de l’économie a substantiellement diminué, et qu’il y avait donc moins à gérer. Les marchés ne s’auto-régulent pas : pour les maintenir en fonctionnement, il faut une armée d’administrateurs. Dans le monde néolibéral actuel, vous avez donc davantage d’administrateurs. Pas seulement dans le gouvernement, mais aussi dans les compagnies privées.

    Ce qu’on entend souvent par bureaucratie, ce sont aussi des structures sociales fiables et pérennes, qui font que le société fonctionne, comme la Sécurité sociale…

    Beaucoup d’institutions sociales que l’on associe aujourd’hui à l’Etat-Providence ont été créées « par le bas ». Je l’ai découvert en discutant avec des Suédois : aucun des services sociaux suédois n’a été créé par le gouvernement. Toutes les cliniques, bibliothèques publiques, assurances sociales, ont été créées par des syndicats, des communautés de travailleurs. Le gouvernement a ensuite voulu les gérer à un niveau centralisé, bureaucratique, expliquant que ce serait plus efficace. Évidemment, une fois que l’État en a pris le contrôle, il peut privatiser ces services. C’est ce qui arrive.

    Vous faites aussi le lien entre le développement de la bureaucratie et celui des bullshits jobs (« job à la con » ) que vous avez analysés dans un précédent travail. Tous les « bureaucrates » font-ils des « jobs à la con » ?

    Pas tous ! Mon idée sur les bullshit jobs est de demander aux gens quelle est la valeur de leur travail. Je ne veux absolument pas dire à quelqu’un : « Ce que vous faites n’est pas utile ». Mais si une personne me dit que son travail n’apporte rien d’utile, je la crois. Qui peut mieux le savoir qu’elle-même ? Suite à mon travail sur les bullshit jobs, l’agence anglaise de statistique YouGov a fait un sondage. Résultat : 37 % des gens interrogés pensent que leur travail est inutile et n’apporte aucune contribution au monde.
    J’ai été étonné d’un tel résultat ! Le plus grand nombre de personnes qui pensent que leur travail est inutile se trouve dans le secteur administratif. Peu de chauffeurs de bus, de plombiers ou d’infirmières pensent que leur travail est inutile. Beaucoup de bullshits jobs sont « bureaucratiques », autant dans le secteur privé que public. Un exemple ? Ces gens qui vont à des réunions et écrivent des compte-rendus pour d’autres gens qui vont à des réunions et écrivent des compte-rendus. Quand mon article a été publié sur le web, je n’imaginais pas que les gens feraient de telles confessions sur leur travail : « Je donne des ordres pour déplacer les photocopieuses d’un côté à l’autre », ou « Mon job est de reformater des formulaires allemands dans des formulaires anglais et tout un bâtiment fait ça »… C’est incroyable. Presque tous ces jobs se trouvaient dans le secteur privé.

    Comment expliquez-vous alors que nous soyons si attachés à la bureaucratie, que nous n’arrivons pas à remettre en question ce processus et que nous continuons même à alimenter son développement ?

    J’ai analysé cela avec l’analogie de « la peur du jeu ». Il y a quelque chose de très attirant dans le jeu, qui est une expression de la liberté de chacun, mais aussi quelque chose d’effrayant. Si les gens aiment tant les jeux, c’est parce que c’est la seule situation où vous savez exactement quelles sont les règles. Dans la vie, nous sommes constamment investis dans des jeux, dans des intrigues, au travail ou entre amis. C’est comme un jeu, mais vous n’êtes jamais sûr de savoir qui sont les joueurs, quand cela commence ou s’arrête, quelles sont les règles, qui gagne. Dans une conversation avec votre belle-mère, vous savez bien qu’il y a des règles, mais vous ne savez pas trop lesquelles, ce que vous pouvez dire ou non. Cela rend la vie difficile. Nous sommes effrayés par l’arbitraire.
    On ne veut pas du pouvoir qu’il soit arbitraire. Une école de pensée aux États-Unis, le républicanisme civique, dit que la liberté signifie savoir quelles sont les règles : quand l’État peut vous contraindre et quand il ne peut pas. Partant de là, il faut créer toujours plus de régulations pour être plus libre. Paradoxalement, dans les sociétés qui se considèrent comme libres, beaucoup d’aspects sont régulés par la coercition, par la violence.

    La bureaucratie est-elle le symptôme d’une société violente ?

    La bureaucratie n’est pas stupide en elle-même. Elle est le symptôme de la violence sociale, qui elle est stupide. La violence structurelle – qui inclut toutes les formes d’inégalités structurelles : patriarcat, relations de genres, relations de classes…– est stupide. Là où il y a une inégalité de pouvoir, il y a aussi une forme d’ignorance et d’aveuglement. La bureaucratie semble stupide en elle-même, mais elle ne cause pas la stupidité, elle la gère ! Même quand la bureaucratie est bienveillante, sous la forme de l’État social, elle reste basée sur une forme d’aveuglement structurel, sur des catégories qui n’ont pas grand chose à voir avec ce dont les gens font l’expérience. Quand les bureaucrates essaient de vous aider, ils ne vous comprennent pas, ils ne veulent pas vous comprendre, et ne sont pas même autorisés à vous comprendre.

    Vous écrivez que la critique de la bureaucratie aujourd’hui vient de la droite et pas de la gauche. Et que les populistes ont bien compris que la critique de la bureaucratie était rentable d’un point vue électoral…

    C’est un des problèmes qui a inspiré mon livre. Pourquoi est-ce la droite qui tire tous les avantages de l’indignation populaire contre la bureaucratie, alors que c’est la droite qui est à l’origine d’une grande partie de cette bureaucratie ? C’est ridicule ! Aux États-Unis, la droite a découvert que si vous taxez les gens d’une manière injuste, et qu’ensuite vous leur dites que vous allez baisser les impôts, ils vont voter pour vous. Il y a quelque chose de similaire avec la bureaucratie en général. La gauche est tombée dans ce piège, avec la manière dont elle défend l’idée d’un État social tout en faisant des compromis avec le néolibéralisme. Elle finit par embrasser cette combinaison des forces du marché et de la bureaucratie. Et la droite en tire tout l’avantage avec ses deux ailes – d’un côté les libertariens, qui aiment le marché mais critiquent la bureaucratie, de l’autre, l’aile fasciste, qui a une critique du marché. La droite concentre toute la rage populiste sur ce sujet. Et la gauche finit par se retrouver à défendre les deux, marché et bureaucratie. C’est un désastre politique.

    Comment le mouvement altermondialiste a-t-il renouvelé cette critique de gauche de la bureaucratie ?

    Le mouvement altermondialiste cherche à identifier les structures bureaucratiques qui n’étaient pas censées être visibles. Mais pas seulement pour les dévoiler, également pour montrer à quel point ces structures ne sont pas nécessaires, qu’il est possible de faire les choses autrement d’une manière non-bureaucratique. Pourquoi les procédures démocratiques sont-elles aussi importantes dans le mouvement altermondialiste ? Parce qu’il essaie de créer des formes de décision non-bureaucratiques. Dans ce mouvement, il n’y a pas de règle, il y a des principes. C’est une négation pure de la bureaucratie. Bien sûr, ces processus ont aussi tendance à se bureaucratiser si l’on n’y fait pas attention, mais tout est fait pour l’éviter. Mon travail sur la bureaucratie vient de mon expérience d’activiste dans le mouvement altermondialiste.

    Mais le mouvement altermondialiste se bat aussi pour plus de régulation, par exemple dans le secteur financier…

    Le mouvement altermondialiste se bat pour des régulations différentes ! Et nous ne devrions pas tomber dans le piège de croire que nos adversaires sont favorables aux dérégulations. Vous ne pouvez pas avoir une banque non-régulée, c’est absurde : les banques sont entièrement basées sur des régulations. Mais des régulations en faveur des banques ! Quand on parle de re-régulation, cela signifie mettre les consommateurs au centre plutôt que les banques. Nous devons sortir de ce langage « plus ou moins de régulation ». Le néolibéralisme crée plus de régulations que les systèmes économiques précédents.

    Voyez-vous la même critique de la bureaucratie dans l’expérience de démocratie directe en cours au Rojava, au Kurdistan syrien ?

    L’exemple syrien est vraiment intéressant. J’ai fait partie d’une délégation d’universitaires en décembre dernier, qui a observé sur place leur processus démocratique. Ils sont vraiment en train de créer une société non-bureaucratique. C’est le seul endroit que je connaisse où il y a une situation de pouvoir « dual » où les deux côtés ont été créés par les mêmes personnes. Avec, d’un côté, des assemblées populaires de base, et de l’autre des structures qui ressemblent à un gouvernement et à un Parlement. Des structures nécessaires, car pour coopérer avec les institutions internationales, il faut une sorte de gouvernement bureaucratique institutionnel effectif, sinon elles ne vous prennent pas au sérieux. Mais au Rojava, quiconque porte une arme doit en répondre face à la base avant d’en répondre au structures du « haut ». C’est pourquoi ils disent que ce n’est pas un État, car ils ne réclament pas le monopole de la violence coercitive.

    Peut-on imaginer un État sans bureaucratie ?

    L’État est une combinaison de trois principes aux origines historiques totalement différentes : premièrement, la souveraineté, le monopole de la force dans un territoire donné. Deuxièmement, l’administration, la bureaucratie, le management rationnel des ressources. Et troisièmement, l’organisation du champ politique, avec des personnages en compétition parmi lesquels la population choisit ses dirigeants. En Mésopotamie, il y avait beaucoup de bureaucratie mais aucun principe de souveraineté. L’idée de responsables politiques en compétition vient de sociétés aristocratiques. Et le principe de souveraineté vient des Empires. Ces trois principes ont fusionné ensemble dans l’État moderne. Nous avons aujourd’hui une administration planétaire, mais elle n’a pas de principe de souveraineté et pas de champ politique. Ces principes n’ont rien à faire ensemble a priori, nous sommes juste habitués à ce qu’ils le soient.

    Comment expliquez-vous que, dans l’imaginaire social, les marchés, le libéralisme, apparaissent comme les seuls antidotes à la bureaucratie ?

    C’est le grand piège du 20e siècle : cette idée qu’il n’y a qu’une alternative – les marchés ou l’État – et qu’il faut opposer les deux. Pourtant historiquement, les marchés et les États ont grandi ensemble. Ils sont bien plus similaires qu’ils ne sont différents : les deux ont l’ambition de traiter les choses de la manière la plus rationnelle et efficace possible.
    Je me souviens d’une interview d’un général sud-africain au moment où Nelson Mandela est arrivé à la présidence du pays. On lui demandait : « Vous ne trouvez pas un peu étrange de recevoir des ordres de quelqu’un que vous avez combattu pendant 20 ans ? ». Il a répondu : « C’est un honneur en tant que militaire de recevoir des ordres, quelle que soit la personne qui les donne. » En fait, ce n’est pas un comportement spécialement militaire, mais bureaucratique. Parce que ça ne se passerait pas comme ça dans une armée médiévale. Être un bureaucrate, cela signifie faire ce qu’on vous demande, et séparer les moyens et les fins. Cette séparation est devenue une base de la conscience moderne. Seules deux institutions – marché et État – opèrent de cette manière.

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    INTERVIEW LIBÉRATION

    Comment expliquez-vous que l’économie néolibérale, avec son discours « moins d’Etat, de régulations et de contraintes », produise toujours plus de bureaucratie ?

    Il est évident que nous passons notre temps à remplir des formulaires. Si on calculait le nombre d’heures que l’on y consacre par jour, on serait effrayés. Il n’y a jamais rien eu de tel dans l’histoire, et certainement pas en Union soviétique ni dans les anciens Etats socialistes. Cela vient du fait que nous ne comprenons pas ce qu’est vraiment le capitalisme néolibéral. En fait, la caractéristique principale de ce système réside dans le fonctionnement bureaucratique ! La bureaucratie d’Etat et celle des entreprises fonctionnent d’ailleurs en parfaite collaboration, et pour cause : elles ont de plus en plus tendance à fusionner, au point que c’est un modèle qui transcende désormais la séparation entre le secteur public et le privé.

    Le système bancaire capte, selon vous, des sommes colossales simplement en imposant sa bureaucratie à ses clients…

    La vision que l’on a de ce secteur correspond à celle d’un casino géant, et dans un sens, c’est vrai, sauf que les jetons, ce sont vos dettes ! Tout cela est rendu possible par une gigantesque ingénierie réglementaire mise conjointement en place par les gouvernements et les banques. Quand on regarde comment ces réglementations sont créées, la plupart du temps elles sont écrites par les banques elles-mêmes. Elles ont des lobbyistes qui financent les politiques, des juristes qui écrivent et formalisent ces règles, tout cela est coproduit par une seule et même bureaucratie combinant les intérêts publics et privés. Avec pour seul but de garantir un niveau de profits le plus élevé possible.

    Que les banques gagnent de l’argent sur notre dos, est-ce si nouveau ?

    Je me suis penché sur le cas de JPMorgan, la plus grosse banque américaine et la sixième plus grosse entreprise au monde, selon Forbes. J’ai été sidéré d’apprendre que 70 % de leurs revenus viennent de frais et de pénalités appliquées aux clients. On a toujours dit que les sociétés socialistes étaient des utopies dont l’idéal s’est avéré invivable. Elles ont créé des règles sans se préoccuper de savoir si elles étaient justes et vous envoyaient au goulag lorsque vous ne les respectiez pas. Si on y réfléchit bien, les bénéfices des plus grandes entreprises capitalistes sont rendus possibles par l’édiction de règles utopistes impossibles à respecter. Tout le monde doit être capable d’équilibrer ses comptes et de se conformer aux règles des banques, mais elles savent très bien que la plupart des clients en sont incapables. Voilà comment leur « utopie » bureaucratique leur permet de s’enrichir sans fin.

    Le numérique n’est-il pas un antidote à la bureaucratie et le vecteur d’une plus grande transparence ?

    Au XIXe siècle, quantité de procédés ont été inventés pour économiser la force de travail et, bizarrement, les gens ont passé de plus en plus de temps à travailler dans ces entreprises, qui s’étaient pourtant industrialisées et mécanisées. Il se produit la même chose pour les cols blancs avec le règne de l’informatique. Tout le monde doit être agent d’assurance, comptable et réaliser de plus en plus de tâches qui autrefois étaient confiées à d’autres. Dans les universités par exemple, le temps dévolu aux procédures et à la paperasse ne cesse d’augmenter malgré le numérique, et cela au détriment de l’enseignement. Au départ, la messagerie électronique servait à dialoguer et à échanger des idées, aujourd’hui 95% de son usage correspond à des procédures qui mettent au passage quantité de personnes dans la boucle.

    Comment réduire cette inflation bureaucratique ?

    Le piège, c’est que toute tentative de la réduire crée encore plus de paperasse, on convoque une commission pour résoudre le problème des commissions ! Une énorme propension de la bureaucratie consiste par ailleurs à faire que les pauvres se sentent mal du fait de leur pauvreté. Ils sont suivis à la trace : on regarde s’ils sont vraiment mariés, s’ils cherchent un travail de façon active… On pourrait commencer par en finir avec ça.
    Nous vivons dans un modèle économique erroné où les emplois mettent en avant la fonction sans se préoccuper de ce qu’ils produisent et, souvent, ce n’est rien du tout. J’avais écrit un article sur le phénomène des « boulots de merde », ces emplois qui ne produisent rien. Le sujet est évidemment tabou. Un institut de sondage en ligne avait fait une enquête retentissante à ce sujet dans laquelle les gens admettaient la vacuité de leur emploi. En général, plus votre travail est utile, moins vous êtes payé. Le système marche sur la tête alors même que le capitalisme se présente comme rationnel. Et cela résulte de la façon dont la rente est redistribuée et de cette bureaucratisation du monde au profit des plus puissants, qui en maîtrisent les codes et l’orientent à leur guise.

    Vous semblez très déçu du progrès technique. On n’a certes pas encore de voitures volantes, mais Internet a bouleversé notre quotidien…

    J’avais 7 ans quand le premier homme a marché sur la Lune. Au regard du passé, l’attente de ma génération par rapport à l’an 2000 était très forte. La période allant de 1750 à 1950 avait donné lieu à des découvertes incroyables : l’ADN, la relativité, la vapeur, le pétrole, le nucléaire… Des innovations fondamentales. Les prédictions des livres de science-fiction tels que le Choc du futur d’Alvin Toffler ne se sont pas toutes réalisées. Par rapport à la machine à voyager dans le temps, le smartphone est quand même très décevant.

    C’est encore la faute au capitalisme néolibéral ?

    Le capitalisme a été pendant très longtemps une force progressiste sur le plan technologique, c’est désormais le contraire. Les « technologies poétiques », sources de créativité, ont été abandonnées au profit des « technologies bureaucratiques ». La poussée technologique exponentielle qui était attendue n’a pas eu lieu. Par exemple, c’est incroyable que la vitesse maximale à laquelle voyager ait été atteinte en 1971. Lorsque l’URSS a cessé d’être une menace, les Etats-Unis ont réorienté leurs investissements vers les technologies de l’information, médicales et militaires. Ce qui explique pourquoi nous avons des drones, et non des robots pour promener le chien ou laver le linge.

    Quelle est alors l’alternative ?

    Arrêtons avec l’idée qu’il n’y a qu’une seule façon de diriger une société sur le plan technique. En tant qu’anthropologue, j’ai pu observer qu’il y avait des centaines d’autres modèles économiques. Les gens répondent « c’était avant ». Mais pourquoi y avait-il des centaines façons d’organiser l’économie jadis et une seule aujourd’hui avec l’informatique ? La technologie n’était-elle pas censée nous donner plus d’options ? Il y a des tas de choses à inventer pour installer une économie qui maximiserait la liberté individuelle. On ne sait pas encore quel modèle émergera. L’histoire ne se produit pas avec quelqu’un qui arrive avec un plan prêt à l’emploi.

    Le changement climatique ne va-t-il pas nous forcer à changer de modèle ?

    Je suis très inquiet à ce sujet parce que les institutions politiques ne sont plus capables de générer des politiques. Le chercheur Bruno Latour me disait l’autre jour que seuls les militaires américains et chinois avaient la capacité d’intervenir contre le réchauffement climatique à un niveau global. Des idées circulent dans les laboratoires de recherche. Ironiquement, la façon la plus efficace d’intervenir contre le changement climatique à une échelle massive, ça serait de planter des arbres, ça serait facile à faire et sans bureaucratie !

    Etre anarchiste aujourd’hui, n’est-ce pas être seul contre tous ?

    Les gens ne voient pas l’anarchisme comme quelque chose de mauvais, je crois même qu’ils sont plutôt d’accord avec ses fondements. Ils disent simplement que c’est dingue et que ce n’est pas réalisable. Mais en tant qu’anthropologue, je sais que c’est possible. Les gens sont parfaitement capables d’arriver à des décisions raisonnables tant qu’ils croient pouvoir le faire, mais il y a une propagande constante qui leur dit le contraire. Je travaille en ce moment avec un archéologue sur l’origine de l’inégalité sociale qui viendrait de la complexification des sociétés, du changement d’échelle des villes. Tout cela est faux. Les sociétés originelles de grande échelle, comme en Mésopotamie, étaient égalitaires. Alors qu’il existe des grandes villes qui fonctionnent sur un système égalitaire, il est très difficile de trouver une famille égalitaire. L’inégalité vient de la base. L’échelle ne veut rien dire, le problème vient de la petite échelle.

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    ENTRETIEN AVEC POLITIS

    Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une entité unique, saturée de règles et de règlements dont l’objectif ultime est d’extraire de la richesse sous forme de profits.

    Pourquoi associe-t-on toujours la bureaucratie avec le secteur public ?

    Parce que c’est ce que l’on nous a appris. Dans les années 1960, les révolutionnaires ont commencé à expliquer que les bureaucrates et les capitalistes, c’était peu ou prou la même chose : des hommes enveloppés, en costume trois pièces qui contrôlaient tous les aspects de notre vie. Des ennemis de la liberté, en somme. Puis la droite s’est appropriée l’argumentaire, en omettant la partie sur le capitalisme. Résultat, l’état omniprésent dont les révolutionnaires des années 1960 se plaignaient a en grande partie disparu. Pourtant tout le monde emploie encore la rhétorique des années 1960 alors qu’elle n’a plus grand chose à voir avec le fonctionnement actuel de la société.

    Vous dites donc que la bureaucratie peut aussi être l’apanage du secteur privé. Cette affirmation n’est-elle pas paradoxale, surtout dans un pays comme la France où la bureaucratie du service public fait partie du quotidien ?

    L’autre jour, je me suis rendu dans un Apple Store pour faire réparer l’écran de mon ordinateur. J’ai dû faire la queue pour que quelqu’un examine mon ordinateur et me dise « Oui, votre ordinateur est cassé ». J’ai demandé si je pouvais le déposer afin qu’il soit réparé par le service après-vente. Là, la personne m’a répondu que non, bien sûr que non, et qu’il fallait d’abord faire remplir par un autre service un formulaire attestant que l’écran était bel et bien cassé avant que l’ordinateur ne puisse être envoyé à l’atelier. J’ai demandé si je pouvais me rendre dans ce service sans plus attendre. On m’a rétorqué que non, qu’aucun rendez-vous ne pouvait être pris avant la semaine suivante, à moins que je ne me lève à 8 heures chaque jour au cas où des personnes se désisteraient. C’est une situation typique que seule la bureaucratie peut nous réserver, et pourtant j’avais affaire à une entreprise privée.
    Ou bien essayez d’ouvrir un compte en banque ici en Angleterre. La procédure est tellement compliquée, les formulaires tellement nombreux que j’ai dû être payé en liquide pour mes deux premiers mois de cours. Il fallait des factures avec l’adresse de mon domicile, sauf que pour avoir accès au service dont j’avais besoin il fallait verser un dépôt et donc avoir un compte en banque. Je pourrais multiplier les exemples.
    Ce que j’ai voulu montrer dans ce livre, c’est que la moitié du temps il est impossible de distinguer le public du privé. Les deux formes de bureaucratie s’entremêlent. Pourquoi est-ce que c’est si dur d’ouvrir un compte en banque ? Les employés vont vous dire que c’est à cause des réglementations imposées par l’Etat. Mais qui est à l’origine de ses réglementations ? Très souvent les avocats de ces banques, qui font pression sur (c’est à dire corrompent) les politiques pour que leurs réglementations soient transformées en texte de loi.

    Comment expliquer que la bureaucratie croît à mesure que le libre marché s’étend ?

    C’est le cas depuis un long moment. En Angleterre, par exemple, une grande partie de l’appareil bureaucratique d’Etat, de la police au simple fonctionnaire, a été mise en place après l’abolition des Corn Laws (série de textes encadrant le commerce de céréales avec l’étranger et qui avait pour but de protéger les paysans anglais, NDLR) et l’avènement du libre marché.
    De l’autre côté de l’Atlantique, lorsque les Etats-Unis menaient des politiques protectionnistes au XIXe siècle, la bureaucratie était réduite : le gouvernement fédéral était composé presque uniquement de l’armée, qui était très petite, et de la poste.
    Le secteur privé, quant à lui, était composé de petites entreprises et de coopératives. La période de libre marché dite des barons voleurs a coïncidé avec l’émergence de grandes firmes dotées d’une bureaucratie interne élaborée et d’un appareil d’Etat toujours plus important. Et la tendance se poursuit. Même Thatcher, qui a fait de la réduction du nombre de fonctionnaires un de ses chevaux de bataille, n’y est pas parvenu.
    Sous Reagan, la bureaucratie d’Etat s’est même étendue. En Russie, après la chute du communisme, le nombre total de fonctionnaires a augmenté de 25% en 10 ans, sans compter bien sûr les bureaucrates du secteur privé émergent.
    Si je devais m’avancer, je dirais que ce phénomène est dû au fait que l’économie de marché entraîne une augmentation extrême de relations qui ne sont pas basées sur la confiance, mais sur la maximisation de l’intérêt individuel. Cela signifie qu’elle nécessite des moyens beaucoup plus élaborés de mise en œuvre, de surveillance et de coercition que d’autres formes de relations sociales.

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    EXTRAITS DE "BUREAUCRATIE"

    L’économie de marché entraîne une augmentation extrême de relations qui ne sont pas basées sur la confiance, mais sur la maximisation de l’intérêt individuel. Cela signifie qu’elle nécessite des moyens beaucoup plus élaborés de mise en œuvre, de surveillance et de coercition que d’autres formes de relations sociales.

    Le néolibéralisme nous a fait entrer dans l’ère de la bureaucratie totale.

    Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une entité unique, saturée de règles et de règlements dont l’objectif ultime est d’extraire de la richesse sous forme de profits.

    Les politiques conçues pour réduire l’ingérence de l’Etat dans l’économie finissent en réalité par produire plus de réglementations, plus de bureaucrates, plus d’interventions policières.

    Nous assistons à la fusion progressive de la puissance publique et privée en une unité unique, saturée de règles et de règlements dont l’objectif ultime est d’extraire de la richesse sous forme de profits.

    La bureaucratie est le moyen principal qu’utilise une infirme partie de la population pour extraire la richesse de nous tous.

    Libre échange et marché libre signifient en réalité création de structures administratives mondiales essentiellement destinées à garantir l’extraction de profits pour les investisseurs.

  • Un livre manifeste contre l’ordre libéral
    http://www.lesinrocks.com/2013/06/24/actualite/manifeste-convivialiste-incisif-rassembleur-11404334

    Un autre monde est-il possible ? A cette question lancinante, de multiples courants de pensée et d’action critique tentent depuis les années 90 d’apporter sinon des solutions, du moins des horizons. De l’alter-mondialisme à l’#écologie sociale et #solidaire, des Indignés à Occupy #Wall_Street, du #mutualisme au #commerce #équitable, des systèmes d’échange local à l’économie de la #contribution #numérique, de la #décroissance au post-développement, de la recherche d’indicateurs de richesse alternatifs à la sobriété volontaire, des théories du #care aux nouvelles pensées des communs…Le paysage des mouvements théoriques et pratiques contestant le cadre #néolibéral dominant souffre, en dépit de son foisonnement, d’un effet d’éclatement.

    Pour de nombreux acteurs #intellectuels proches de ces #mouvements, il manque un fil commun à toutes ces initiatives disséminées. D’où l’envie de multiples chercheurs, #philosophes, économistes, sociologues, de dessiner un #corps_doctrinal minimal qui rassemblerait toutes les parties dans un dessin partagé : le “convivialisme”, nom donné à tout ce qui dans les doctrines existantes “concourt à la recherche de principes permettant aux êtres humains à la fois de rivaliser et de coopérer, dans la pleine conscience de la #finitude des ressources naturelles et dans le souci du partagé du soin du monde”. Initié par le sociologue #Alain_Caillé, auteur en 2011 avec Marc Humbert, #Serge_Latouche et Patrick Viveret de l’essai Du #convivialisme, dialogues sur la société conviviale à venir (La Découverte), un “Manifeste #convivialiste” vient aujourd’hui poser les bases d’un corps #doctrinal commun, construit sur quelques principes fondateurs : “des principes de #commune #humanité, de #commune_socialité, d’#individuation, d’opposition maîtrisée…”

    #Manifeste #Libéralisme #Critique #Politique #Société #livre

    • Pour Alain Caillé, il existait ainsi “un besoin d’identifier un fonds doctrinal minimal commun”, d’un art de vivre qui “valorise la relation et la coopération, qui permette de s’opposer sans se massacrer, en prenant soin des autres et de la nature.” Spécialiste de l’œuvre de Marcel Mauss (Essai sur le don), Alain Caillé estime que le “convivialisme”, quarante ans après l’essai séminal d’Ivan Illich, La convivialité, éclaire et encadre la question clé de toute société : comment inciter les individus à coopérer pour se développer et donner chacun le meilleur d’eux-mêmes tout en leur permettant de “s’opposer sans se massacrer” ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement autodestructrice, sur les hommes et la nature ?

      « fonds doctrinal minimal commun ».. L’idée m’intéresse... Je suis heureux de voir que ça converge avec ce que je décrivais justement ici : http://seenthis.net/messages/150334#message150665
      on est bien plus dans l’idée conciliant coopération et émancipation, que dans une vision utilitariste de l’humain.

    • De mémoire, ce doit être Edgar Morin qui a atomisé en 1973 l’idée de culture définissant l’humanité en tant qu’ensemble cohérent, sous-jacente à l’idée de l’existence d’un fonds intellectuel commun à l’humanité.

      Toute approche culturelle de l’homme consiste surtout à créer de l’exclusion (envers ceux aux yeux desquels l’idéal créé n’a aucun sens)