company:deuxième

  • Une expérience de militantisme à l’université.

    Cet article a été écrit en 2007 suite au mouvement étudiant contre la LRU (Loi de Réforme des Universités) aussi appelé Loi Pécresse.

    Troisième et dernière partie :
    On constate en effet que ma demande de conserver une entrée accessible aux personnes en fauteuil durant le blocage a été acceptée trois jours. « Pour des questions de visibilité et de sécurité mettre le piquet de grève devant les marches était plus pratique, mais ne t’inquiète pas, tu demandes et on t’ouvre ».
    D’autre part durant les AG la plupart des votes se font à main levée, c’est un autre confrère handicapé qui me l’a fait remarquer. Je demande, en réunion de comité, qu’une solution soit trouvée pour les étudiants qui ne peuvent pas lever la main, ma demande sera prise en compte pour la dernière AG. Enfin, le vote statuant sur la question du blocage se fait par couloirs : les pour d’un côté, les contre de l’autre. Première AG : il y a des marches devant le couloir « pour », ainsi un étudiant en fauteuil ne peut que voter contre le blocage, ce n’est pas très productif, je gueule. Deuxième AG : c’est l’inverse, les fauteuils ne peuvent voter que « pour », c’est mieux mais bon, je gueule. Troisième AG : les deux couloirs sont accessibles mais un membre de la tribune informe trois fois tous les étudiants que : « les couloirs ont été déplacés pour permettre aux handicapés de voter normalement », était-ce vraiment nécessaire ?

    Quelques perspectives en guise de conclusion.
    D’abord, bien sûr, poser la nécessité absolue de voir les étudiants handicapés, non pas seulement consultés mais bien maîtres des décisions qui les concernent. Il ne faut pas se faire avoir au piège d’exiger des « handicapés pour s’occuper des handicapés ». Le problème ne vient pas de l’ignorance des professionnels ou de leur manque de bonne volonté, mais bien d’une volonté politique. En ça, le combat nécessaire des étudiants handicapés est le même que celui des étudiants. Les spécificités matérielles, techniques, voire, éventuellement, médicales n’obligent, pour aucune d’elles, la délégation des décisions les concernant à une institution extérieure aux étudiants et à l’université. Il est urgent d’arrêter de considérer les problèmes liés au handicap comme des problèmes extérieurs, consensuels, apolitiques et du même coup les étudiants handicapés comme des objets ou des enjeux. Le soi-disant « problème du regard des gens » n’est que le symptôme du désengagement complet des collectivités au profit d’une individualisation des responsabilités et d’une dépolitisation des enjeux. On se souviendra que de nombreuses situations étaient, naguère, prises pour apolitiques, avant d’être socialisées à l’après-guerre, et, prises en charge (au moins en partie) en tant que problèmes politiques (la vieillesse avec le versement des retraites, la maladie avec la sécu, la pauvreté (notamment étudiante) avec le versement du chômage, du RMI, de bourses pour les étudiants). Le slogan d’Act-Up qui affirmait que le Sida était une maladie politique paraît, en ça, visionnaire.
    Ensuite, un travail syndical paraît nécessaire et urgent pour permettre la conscientisation des étudiants concernés. Mais il faut d’abord s’interroger sur les conditions sociales qui aboutissent à rendre les étudiants handicapés encore plus réactionnaires que la moyenne des étudiants. Il est donc tout aussi urgent de créer les espaces de débat et de solidarité qui permettraient la réflexion et la conscience des étudiants concernés de leur propre condition, alors que les institutions ou service accueillant les élèves et lycéens handicapés ne laissent aucune place à cette forme d’engagement social. On pourrait alors enfin envisager de vraies perspectives de lutte.
    Mais l’un des seuls aspects qui paraît alors spécifique est celui de la compensation de l’impossibilité de militer « comme les autres ». Là où les conditions pour permettre la bonne scolarité des étudiants handicapés ne sont pas réunies, elles paraissent encore plus difficiles à réunir pour le domaine très spécifique du militantisme. Est-ce alors aux syndicats ou aux comités de mobilisation de prévoir, même pendant une situation de crise (blocage, occupation, réunion organisée dans l’urgence…) les conditions d’accueil d’acteurs handicapés ? Comment, d’autre part, sensibiliser les étudiants handicapés aux luttes qui les concernent lorsque les militants sont des étudiants valides ?
    De manière réciproque, il faut, sans doute, faire un vrai travail de formation auprès des militantes et des militants et sortir du réflexe corporatiste pour faire intégrer, une bonne fois pour toutes, les problématiques liées au handicap à l’ensemble du terrain de lutte sociale.

  • Pourquoi la question des droits des enfants dans nos écoles est-elle absolument centrale pour l’ensemble de nos systèmes éducatifs et pour l’avenir de nos sociétés ? (Bernard Defrance)
    http://www.bernard-defrance.net/archives/artic/index.php?textesperso=144

    Or jusqu’à présent l’éducation était pensée sur le mode de la transmission des savoirs, des savoir-faire, des générations précédentes aux générations suivantes. Le défi de l’école aujourd’hui c’est de proposer aux enfants de découvrir, d’inventer des solutions à un certain nombre de problèmes que nous avons été nous-mêmes incapables de résoudre. Il suffit de regarder le développement des technologies dans tous les domaines, de la biologie, de l’informatique, dans la physique également, dans l’agriculture, dans tous nos modes de vie habituels. Quand on regarde les prévisions des futurologues d’il y a une trentaine d’années, toutes ces prévisions se sont révélées fausses.
    […]
    Et c’est d’autant plus important que nous sortons d’un siècle où nous avons découvert ceci : que l’école est devenue l’alliée des pires violences, que les auteurs des crimes et des génocides de ce siècle étaient tous d’anciens bons élèves […].
    Comment articuler la construction des savoirs et l’institution de la loi ? Comment l’apprentissage des savoirs et des savoir-faire, l’accès à la culture, peut-il s’articuler à l’institution de la loi, c’est à dire non pas l’enseignement de la loi au sens où on l’enseignerait comme une discipline à côté des autres, mais par une mise en pratique de la loi et du droit dans les fonctionnements institutionnels même de l’école.
    […]
    Il y a en effet cinq grandes lignes de travail, de mise à l’action, qui se dessinent pour nous dans nos systèmes éducatifs. […]
    D’abord instituer dans les établissements scolaires une instance de médiation et de jugement. […] Ce n’est pas la violence, ce n’est pas l’agressivité chez les jeunes qui est inquiétante, c’est leur immense capacité de résignation et de passivité à l’égard de situations qui sont institutionnellement intolérables. […]
    Deuxième proposition : distinguer, tous les moyens sont à inventer, l’évaluation pédagogique interne au travail de la classe et la validation externe des compétences, des savoirs, des savoir-faire acquis. Séparer donc les rôles d’entraîneur et de juge, inventer donc les moyens institutionnels de cette séparation des pouvoirs. […]
    Troisième proposition : la réorganisation des cursus. Aujourd’hui nous savons bien quels sont les enjeux scientifiques et techniques des développements de notre monde et donc ça impose une réorganisation complète des cursus. Aujourd’hui à chaque étape, l’enfant est obligé de renoncer à une part de ses potentialités […].
    Quatrième proposition : à propos du débat entre services publics et institutions privées, avec à l’horizon la menace que fait peser la marchandisation des savoirs et la commercialisation de l’école. Je crois qu’il serait du rôle de l’État, des États que de définir des « cahiers des charges » extrêmement précis, garantissant par exemple l’égalité des ressources financières entre les établissements, par élève et selon les filières, par exemple aussi garantissant le statut des enseignants, les programmes et surtout les méthodes pédagogiques qui permettent aux enfants de s’approprier les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui ont précédé, d’entrer à leur tour dans la construction des savoirs, la création culturelle et l’institution de la loi. […]
    Cinquième proposition : je fais, probablement comme un bon nombre d’entre vous, un métier absolument impossible. […] Il faut absolument en effet qu’il y ait ces moments de contrôle, au sens anglais du terme, qui me permettent de me contrôler, de reconnaître mes erreurs et d’en assumer les conséquences. Groupe de formation réciproque et de soutien, formation continue dans le temps de travail même des enseignants, pour assumer l’impossibilité de cette tâche. […]
    Pour conclure, je crois qu’il y a deux enjeux majeurs qui ne se séparent pas l’un de l’autre :
    Le premier : les savoirs, la culture. À quoi sert l’école ? […] Je crois que, d’une part, l’école invite les enfants à s’approprier, je l’ai dit, les significations données au monde et à l’histoire par les générations qui ont précédé, rôle essentiel de conservation (l’école est conservatrice, oui, d’une certaine manière), à s’inscrire dans des filiations culturelles, historiques et universelles et, d’autre part, […] si l’école est essentiellement conservatrice, elle est aussi essentiellement révolutionnaire c’est à dire qu’elle doit habituer les enfants à s’affronter à l’imprévisible du monde qui les attend, à ne pas se soumettre aux prétendues fatalités de la guerre et de la violence. […]
    Deuxième enjeu, la loi. Comment l’école peut-elle permettre aux enfants de découvrir que la loi est l’outil de la liberté ? La loi est l’outil de ma liberté et non pas limite à ma liberté parce que ma liberté peut s’articuler à celle de l’autre. Et donc je crois que le défi est de permettre aux enfants dans le quotidien de l’école le plus à ras de terre de découvrir que ma liberté – contrairement à ce qu’on dit très souvent – ne s’arrête pas là où commence celle de l’autre mais qu’elle commence là où commence celle de l’autre […]. Et si j’arrive à ne pas confondre ces deux comportements contradictoires que sont l’exercice du pouvoir sur et l’autorité dans, peut être alors les élèves vont-ils comprendre qu’il y a une contradiction essentielle entre se soumettre à quelqu’un et obéir, d’une part à la loi et d’autre part aux exigences extraordinairement complexes de la construction des savoirs. […]
    Et donc, à l’école, on peut (on doit !) découvrir ceci : je ne peux réellement m’approprier que ce que je donne. […] Et alors vous voyez ici l’exigence radicale de résistance qui est la nôtre dans l’école, par rapport à toutes les logiques extérieures de la prédation, de l’appropriation, du « moi d’abord et les autres après », des jeux meurtriers de prestance, de rivalités, de concurrence et de guerre. Si on est fidèle aux finalités de l’école, alors nous heurtons de front toutes les logiques économiques et institutionnelles actuelles, y compris celles de l’école telle qu’elle fonctionne encore, qui oblige l’élève à réussir contre les autres et non pas avec les autres. Et nous prenons alors conscience des enjeux éthiques et politiques de notre travail pour que l’école soit l’école.

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