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    Fabrice Wolff
    Qu’est-ce que la démocratie directe ? (Manifeste pour une comédie historique)

    Livre en libre téléchargement : http://www.editionsantisociales.com/pdf/Qu_est_ce_que_la_democratie_directe.pdf

    http://www.editionsantisociales.com/democratie_directe.php

    Dès sa parution à Paris aux premiers jours d’avril 2010, ce bref « manifeste » libertaire pour la démocratie directe (qui s’appuie sur la plus moderne historiographie de la Grèce antique, et parti­culièrement d’Athènes au temps de Périclès et de Démosthène, pour tracer pour la première fois un plan synthétique des institutions fondatrices d’une authentique démocratie sociale : assemblées populaires souveraines fédérées, rotation et contrôle permanents de délégués révocables, « justice des plus démunis ») a eu une influence déterminante, par l’ampleur des discussions et la cascade de réactions qu’il a suscitées chez ses premiers lecteurs, sur l’ensemble du spectacle « politique » en France (où dans une délirante surenchère populiste, la « démocratie directe » s’est vue soudain inscrite aux listes de fausses promesses d’une myriade de petits partis, depuis le NPA néo-trotskiste jusqu’au Bloc Identitaire néonazi, en passant par le Parti pour la décroissance, écologiste-puritain, l’ex-Modem, catholique-libéral, la Droite populaire, crypto-fasciste, et même une croquignolesque Alliance royale, monarchiste ; les partis dits « de gouvernement » étant restés les seuls à ne pas s’y risquer, quoique le sujet ait été âprement débattu au plus haut sommet du Front National, l’ambitieux parti des nostalgiques de l’ordre colonial et des délateurs anonymes), et sur le mouvement social en Europe et au-delà (où la démocratie directe est cette fois expérimentée dans la pratique quand elle n’est pas déjà explicitement revendiquée par la rue, comme en Grèce ou au Québec).

    • (p.39-40)

      La démocratie directe est ainsi un régime qui, parce qu’il garantit à tous les citoyens, au- delà de la seule parrhèsia, le bénéfice de l’isègoria – qu’on traduit habituellement aussi par « liberté de parole » mais qui désigne très concrètement le droit égal qu’a chacun de faire des propositions ou des contre-propositions dans les assemblées
      décisionnelles –, ne peut pas tolérer qu’on se livre à des manœuvres politiques secrètes, autrement dit que l’on cherche à engager la cité dans des voies qui ne seraient pas soumises – ou pire, qui auraient échoué – à la rude épreuve d’un débat public libre et égalitaire. Cette obligation de transparence dans l’action politique est la condition nécessaire de l’isègoria, car la liberté d’expression en acte se transforme invariablement en vaine palabre là où dominent les tractations de coulisses.
      Les instruments privilégiés de la transparence athénienne étaient – pour le court terme – la multiplication des témoins et – pour le long
      terme – le recours à l’écriture. Toutes les réunions de délégués, du Conseil ou de ses commissions, étaient donc ouvertes au public sans aucune res- triction – sauf huis clos expressément décidé pour
      préserver certains débats des espions ennemis ; on affichait en place publique les propositions de décrets et les actes d’accusation que le dèmos serait appelé à voter, et les mesures adoptées étaient placardées à la vue de tous et déposées dans un centre d’archives, le Mètrôon, auquel tous les citoyens avaient librement accès (les plus
      importantes étaient même gravées dans la pierre, sur des stèles érigées sur l’Agora, telle cette loi de 337 prévoyant récompenses et honneurs pour quiconque attenterait à la vie d’un éventuel
      tyran). À ce que conclut Hansen sur le sujet : « Le régime démocratique s’accompagnait à Athènes d’un degré de publicité qui n’a pas d’équivalent connu dans les sociétés anciennes » (p. 354), on
      peut ajouter sans hésitation qu’une telle transpa- rence du pouvoir réel n’a trouvé d’équivalent dans les sociétés modernes qu’en de rares et tragiques fulgurances : pendant la Commune de Paris par
      exemple, ou bien dans Cronstadt en révolution, où le Soviet des ouvriers et marins proclama ses décisions dans les admirables Izvestia jusqu’à l’abominable massacre ordonné par les vampires
      de l’oligarchie bolchevik.

    • (p.41-42)

      « La démocratie d’assemblée reposait sur toutes sortes de volon-
      tariats, du citoyen qui votait au dirigeant qui prenait des initiatives, en passant par le magistrat qui administrait : il n’y avait aucune obligation légale d’y prendre part. » (p. 352) Nul n’est tenu
      d’intervenir dans les affaires publiques, chacun restant bien sûr parfaitement libre de préférer cultiver son jardin : la démocratie directe ne doit garantir que l’égale possibilité pour tous les
      citoyens de s’impliquer dans les prises de décision, et/ou dans leur exécution. La participation active au pouvoir n’est plus réservée à une élite de privilégiés, ni limitée à l’élection de représentants
      censés compétents et fidèles à leurs promesses, mais est offerte à tous « ceux qui veulent » (hoi bouloménoi). C’est cette masse de « volontaires » qui permet à la démocratie directe de fonctionner : c’est pourquoi les citoyens y sont vivement incités à mettre en pratique tous leurs droits politiques (à la seule exclusion de ceux qui se seraient notoirement discrédités par leur conduite privée).
      Ainsi la cité démocratique ne distingue nullement, dans les faits, entre dirigeants et dirigés, mais entre citoyens actifs et citoyens passifs – distinction toute relative, car dépendant, au cas par
      cas, du libre choix de chacun.

      « À en juger par leur activité politique, les citoyens d’Athènes pouvaient se diviser en trois groupes. D’abord les passifs, ceux qui ne prenaient pas part à l’Assemblée, ne se portaient jamais volontaires pour prêter le Serment des Héliastes ou être magis-
      trats. (...) En second lieu, la grande masse de ceux qui participaient à l’Assemblée, servaient comme nomothètes et comme jurés, mais se contentaient d’écouter et de voter sans mêler leur voix à la dis-
      cussion. Enfin il y avait le groupe beaucoup plus restreint des citoyens capables d’initiative, qui prenaient la parole et proposaient des textes ; et même parmi ceux-ci, la majorité tenaient le rôle de hoi bouloménoi en accord avec l’idéal démocratique, c’est-à-dire en tant que personnes privées prenant
      de temps en temps leurs responsabilités pour une initiative. Seule une minorité de ce dernier groupe constituait les citoyens réellement actifs dans la vie politique, orateurs à l’Assemblée, législateurs et instigateurs de poursuites publiques plus ou moins
      professionnels ; ce sont eux que les livres d’histoire appellent volontiers les “hommes politiques” d’Athènes. »