Pour les tenants du projet de réforme, « les allocations-chômage sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs »
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0n peine à comprendre le bien-fondé d’une nouvelle #réforme de l’#assurance-chômage visant à durcir les conditions d’indemnisation des #chômeurs, doctrine dont ce double mandat présidentiel se sera fait une spécialité. Les motivations pour justifier ces coups de canif portés à l’Unédic ont varié au fil du temps.
Ce fut l’argument financier de résorption de la #dette : s’il s’agit d’en réduire le poids, il aurait été utile que l’Etat en donnât l’exemple en remboursant à l’institution paritaire ce qu’il lui doit : le financement du chômage partiel durant la crise sanitaire et l’équivalent des cotisations sociales perdues du fait de la politique d’allégement des charges sociales conduite depuis des années par ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé.
Indemniser, placer, former
L’autre argument avancé consiste à justifier cette réforme au nom du #travail avec le postulat implicite que les allocations-chômage, leur montant, leur durée sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs, les fameuses politiques dites « actives ».
Et c’est sur ce point de l’argumentation que le bât blesse lourdement, et pour plusieurs raisons. Car depuis la création des premières formes d’indemnisation des chômeurs à la création de l’Unédic en 1958, puis de celle de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en 1967 (aujourd’hui France Travail), l’indemnisation des chômeurs et leur placement sur le marché du travail ne faisaient qu’un seul et même binôme.
Ce fut tout le sens de la mise en place d’un service public de l’emploi dans ces années-là, tout ce dont le rapport Ortoli, rédigé par un certain Jacques Delors (1925-2023), appelait de ses vœux en 1963 : mettre en place une grande politique d’infrastructure publique de l’emploi au service de la mobilité professionnelle des actifs. Pour cela il fallait avant toute chose indemniser correctement les chômeurs (Unédic), les accompagner pour les placer (ANPE) avec le recours éventuel de la formation professionnelle (Association pour la formation professionnelle des adultes). L’indemnisation, au cœur des réformes aujourd’hui, constituait l’indispensable maillon et le levier principal de ces politiques actives.
Plus récemment, un inspecteur de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), Jean-Marc Boulanger, chargé par le gouvernement en 2008 d’une mission de préfiguration pour la création de Pôle emploi, présentait l’indemnisation des chômeurs comme la rémunération du travail de recherche d’emploi des chômeurs. Il rappelait, ce que l’actuel gouvernement semble ignorer, que « l’indemnisation et le placement via une politique d’intermédiation active constituaient les deux leviers à mettre en une même main pour donner corps à la volonté de donner toute sa puissance à la stratégie de sécurité des parcours dans un marché de l’emploi souple et dynamique ».
Perte en puissance inquiétante
Si l’indemnisation est la condition d’une politique active de l’emploi, force est de constater que la perte en puissance de ce levier, pour soutenir le revenu de remplacement des chômeurs et l’adosser à une aide active au retour à l’emploi, est pour le moins inquiétante. En effet, au cours de l’année 2023 ce sont moins de 40 % des demandeurs d’emploi qui sont couverts par le régime d’assurance-chômage. Dans ces conditions il va devenir de plus en plus difficile d’utiliser l’indemnisation comme le support d’une politique d’accompagnement et d’activation des demandeurs d’emploi.
Pour les 60 % de chômeurs non indemnisés le risque est d’abandonner le chemin de France Travail, de renoncer à être accompagnés par ses services pour privilégier la recherche de petits boulots, souvent précaires, et subvenir ainsi à leurs besoins.
Pour celles et ceux des chômeurs qui choisiraient de maintenir leur inscription à France Travail, ils risquent, eux, de bénéficier d’un accompagnement bien moins intensif et soutenu que les demandeurs indemnisés puisque la doxa de l’équilibre budgétaire n’a rien à gagner financièrement de leur retour à l’emploi. Pour le dire dans le jargon des politiques de l’emploi : rien ne sert de les activer, puisqu’il n’y a aucune dépense passive (l’allocation-chômage) à récupérer.
Ils ne sont pas rares, les demandeurs d’emploi non indemnisés, qui ont le sentiment à tort ou à raison que l’accompagnement qu’ils reçoivent de #France_Travail est plus light que pour les autres chômeurs encore indemnisés. C’est du reste une norme de comportement qu’ils ont eux-mêmes intégrée provoquant un même retrait vis-à-vis de leur investissement dans la recherche d’emploi.
Course contre la montre
Quant aux chômeurs indemnisés qui verraient leur période d’indemnisation ramenée à douze mois maximum si cette réforme devait être adoptée, il y a fort à parier que ce sera la course contre la montre pour parvenir à être pleinement accompagné dans un laps de temps aussi court.
Car du côté de France Travail, il faudra, pour aligner l’accompagnement sur ce timing, revoir singulièrement le processus de prise en charge des demandeurs d’emploi. Conseillers comme demandeurs d’emploi font souvent le même constat d’un manque de réactivité de l’institution à la demande des usagers. Il y a d’abord le temps de la demande d’indemnisation, puis celui de l’entretien de situation pour orienter le chômeur vers la modalité d’accompagnement la plus adaptée à son profil, puis enfin la rencontre avec son conseiller qui va l’accompagner.
Les délais d’entrée dans les prestations se comptent souvent en semaines pouvant entraîner le renoncement à suivre la prestation en question. Mais c’est surtout sur le volet de la formation professionnelle que les délais d’entrée dans les stages sont les plus longs même si, sous l’effet du plan d’investissement dans les compétences adopté en 2018, ces délais se sont légèrement réduits. Globalement, il faut encore attendre un bon trimestre pour pouvoir intégrer la formation voulue en espérant que l’on soit indemnisé suffisamment longtemps pour pouvoir y faire face.
Voilà donc tout l’enjeu de la période actuelle : faire du triptyque indemnisation/formation/placement une seule et même politique pour répondre aux enjeux à venir dans le champ des multiples transitions (écologiques, numériques…) qui nous attendent. Il est temps que l’idéologie cède le pas à la raison.
Carole Tuchszirer est chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers/Centre d’études de l’emploi et du travail (CNAM/CEET).