• Les #steppes d’#Asie_centrale menacées par la #désertification | CNRS Le journal
    https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-steppes-dasie-centrale-menacees-par-la-desertification

    Des contreforts nord du plateau du Tibet au sud de la Sibérie, de l’ouest du Kazakhstan à l’est de la Mongolie, s’étend l’un des plus vastes #écosystèmes au monde : les steppes d’Asie centrale. À perte de vue, un océan herbacé accueille une riche #biodiversité : élans, gazelles, ours bruns, léopards ou tigres sibériens, entre autres espèces remarquables, y ont élu domicile.

    Pourtant, à cette vaste géographie il manquait l’histoire. L’#histoire_naturelle, s’entend. L’évolution de ces steppes au cours des âges géologiques restait mystérieuse car très peu étudiée. Une équipe franco-néerlandaise est venue pallier cette lacune. Elle vient de présenter, pour la première fois, une chronologie des grands événements climatiques et environnementaux (en anglais) survenus au cours des derniers 40 millions d’années. Cette histoire montre à quel point la steppe est fragile et vulnérable aux modifications du #climat [https://advances.sciencemag.org/content/6/41/eabb8227].

    Pour les chercheurs, ces steppes pourraient redevenir un désert hyper-aride. Déjà, la dégradation des écosystèmes est visible. Pour preuve, l’avancée du #désert de #Gobi a conduit les autorités chinoises à se lancer dans un vaste programme de reboisement appelé « grande muraille verte ». « L’un des scénarios possibles est que l’avancée du désert ne laisse que des îlots de fertilité. Puis, si les zones mortes continuent de s’étendre, alors ces zones fertiles pourraient à leur tour disparaître », anticipe le chercheur.

    Or, cette évolution pourrait être irréversible. « Ce que montrent nos travaux, c’est qu’il existe un seuil au-delà duquel on ne peut pas revenir en arrière. Une fois que l’environne
    ment désertique se met en place, il peut se maintenir sur des millions d’années. Ainsi, même si l’on parvenait à contrôler les niveaux de CO2 dans l’atmosphère, revenir à la situation antérieure serait impossible », prévient Guillaume Dupont-Nivet. Si ce scénario catastrophe venait à se réaliser, ce sont les moyens de vie de centaines de millions de personnes qui s’écrouleraient en quelques décennies. ♦

  • Histoire naturelle. Le débat entre Chomsky et Foucault sur la « nature humaine », Paolo Virno
    https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2015-4-page-84.htm#re2no2

    [...] En 1971, à Eindhoven (Hollande), Noam Chomsky et Michel Foucault eurent l’occasion de discuter personnellement, au cours d’une émission de télévision . Ce fut la seule et unique fois où ils se rencontrèrent. L’entretien a gravité autour de la « nature humaine », c’est-à-dire autour du fond immuable de l’espèce contre lequel viendrait se dévider la variabilité perpétuelle des événements historiques. Chomsky, en vertu de ses études sur la grammaire universelle, soutient l’existence d’un tel fond et il en indique les caractères saillants. Foucault lui apporte la réplique : il distingue, précise, objecte. Les duellistes se comprennent mal, souvent et volontiers, ou, tout du moins, ils s’évitent, en procédant en parallèle.

    Les arguments de l’un ne contredisent pas réellement les arguments de l’autre : il y manque le frottement, le contact. Les choses changent dans la deuxième partie du dialogue, là où sont tirées les conséquences sociales et politiques des considérations sur la « nature humaine » qui viennent tout juste d’être développées. Le contraste entre Chomsky et Foucault devient alors serré et précis. Attention : les deux auteurs sont d’accord sur beaucoup d’objectifs politiques concrets (l’opposition à la guerre au Vietnam, l’appui inconditionnel aux luttes ouvrières les plus radicales, etc.). Le différend concerne plutôt un problème de principe : la possibilité de tirer un modèle de société à partir seulement de certaines prérogatives biologiques de l’animal humain.

    L’entretien d’Eindhoven ratifie, de manière très vive, la rupture entre matérialisme naturaliste et matérialisme historique (dans l’acception la plus large, ou moins préconçue, du terme), qui a marqué la deuxième moitié du XXe siècle et qui fait encore retentir ses effets. Depuis 1971, la séparation des deux orientations est devenue complète et rigoureuse. L’enquête minutieuse des processus productifs et des rapports variables de pouvoir, s’interdit la possibilité de remonter de l’acquis à l’inné : avec le résultat paradoxal de ne pas voir que c’est précisément l’inné ou l’invariant biologique qui a été pris en charge, sous des formes historiquement déterminées, par la production et par le pouvoir contemporains. De son côté, le programme de naturalisation de l’esprit et du langage, soutenu par Chomsky et systématiquement développé par les sciences cognitives, s’est avéré dépourvu d’ouvertures sur l’histoire. Les cognitivistes s’occupent de société et de politique seulement dans les entractes de leur activité philosophique, enfin quand ils arrêtent de penser. À Eindhoven, on a assisté à la dernière tentative remarquable de garder étroitement liées biologie et histoire. Mais l’on a assisté aussi à sa faillite théâtrale. La tentative aussi bien que la faillite tournent autour de la figure de Chomsky. Contrairement à ses disciples, prudents et sceptiques, il a consacré une partie importante de ses propres énergies intellectuelles à l’activité politique. Il ne se résigne pas aisément, donc, à la scission entre analyse linguistique et analyse sociale. S’il se borne ailleurs à les traiter alternativement, dans un régime d’égale dignité, à Eindhoven il cherche un rapport intrinsèque entre l’une et l’autre. Il recherche et, bien entendu, il ne le trouve pas.

    Examinons ici quelques passages cruciaux du dialogue. Pour avaliser l’idée qu’il y ait une nature humaine invariante, c’est-à-dire métahistorique, Chomsky appelle à la barre des témoins la faculté de langage. Cette dernière est « une propriété de l’espèce, commune à tous les membres de l’espèce elle-même et essentiellement unique par rapport aux autres espèces » (Chomsky 1988, p. 37). La compétence linguistique est innée : elle ne dépend pas du milieu social, sinon pour son amorce occasionnelle. Depuis le début, l’usage des mots révèle une « régularité instinctive » ou une organisation syntaxique qui dépasse de très loin les « données », partielles et souvent médiocres, fournies par les locuteurs environnants. Semblable à un organe qui se développe par soi-même, le langage est doué de structures sélectives et de schémas combinatoires dont la productivité autonome n’a rien affaire avec l’expérience empirique du locuteur. La grammaire universelle, qui sous-tend les différentes langues historiques, fait partie de notre patrimoine génétique.

    Eh bien, tout d’abord, si nous étions capables de spécifier, en termes de réseaux neuronaux, les propriétés de la structure cognitive humaine qui permettent à l’enfant d’acquérir ces systèmes compliqués, je n’hésiterais nullement à décrire ces propriétés comme une composante de la nature humaine. Il existe un élément biologique inchangeable, un fondement sur lequel repose l’exercice de nos facultés mentales dans ce cas.
    (Foucault et Chomsky 1994, p. 474 sq.)

    La réplique de Foucault est conciliante, du moins en apparence. S’il hésite à faire sienne la notion de nature humaine, voire s’il s’en méfie un peu, c’est seulement parce que la tendance répandue à l’élever au rang d’idée scientifique lui semble erronée. En regardant de plus près, elle n’a pas d’autre fonction que celle de cerner un domaine de recherche, en le distinguant avec soin d’autres domaines, adjacents ou rivaux. Elle n’est pas un objet d’enquête, mais un critère épistémologique, utile pour fixer, au besoin, limites et modalités de l’enquête elle-même.

    Ce n’est pas en étudiant la nature humaine que les linguistes ont découvert les lois de la mutation consonante, ni Freud les principes de l’analyse des rêves, ni les anthropologues culturels la structure des mythes. Dans l’histoire de la connaissance, la notion de nature humaine me paraît avoir joué essentiellement le rôle d’un indicateur épistémologique pour désigner certains types de discours en relation ou en opposition à la théologie, à la biologie ou à l’histoire. J’aurais de la peine à reconnaître en elle un concept scientifique.
    (Ibid., p. 474.)

    Qu’il y ait en jeu ici quelque chose de plus qu’une nuance méthodologique inoffensive devient clair, lorsque Chomsky s’arrête sur une autre qualité fondamentale de la faculté de langage (ou bien, mais c’est la même chose, de la nature humaine). Par delà le fait qu’elle est innée, cette faculté est aussi créatrice . Chaque locuteur fait « un usage infini de moyens finis » : ses énoncés, ne dérivant pas de stimulations extérieures ni d’états intérieurs, sont enclins à l’innovation et même à l’imprévisibilité. Il ne s’agit certes pas d’un talent exceptionnel, tel que peut être, en revanche, celui du théoricien de la physique ou du poète, mais d’une créativité « de bas régime », normale, diffuse, presque inévitable. Elle aussi, en effet, a un fondement biologique. Négligé par le comportementalisme de Skinner, mais aussi par la linguistique saussurienne, le caractère innovant des performances linguistiques est étroitement corrélé à une limitation initiale : loin d’en contredire la validité, la créativité se sert des structures et des schémas qui discriminent a priori le dicible de l’indicible. Les règles sans appel de la grammaire universelle et la liberté des usages linguistiques s’impliquent réciproquement. Ici Foucault met de côté la diplomatie et déclare ouvertement son désaccord. Il est bien vrai qu’il ne peut y avoir de créativité qu’à partir d’un système de règles contraignantes. Mais Chomsky se trompe en situant ces principes normatifs à l’intérieur de l’esprit individuel. Les schémas et les structures sur lesquels se greffe la variation créatrice ont une origine supra-personnelle. Et pour Foucault, supra-personnel veut dire historique. Les règles auxquelles chacun se conforme, et dont il s’éloigne éventuellement, ne sont pas innées, mais prennent corps dans les pratiques économiques, sociales, politiques (Ibid., p. 488 sq.). Ne pas reconnaître cet aspect est typique de celui qui prend la nature humaine précisément pour une idée scientifique déterminée, plutôt que de la tenir pour un simple « indicateur épistémologique ». Ce quiproquo initial entraîne que les vicissitudes historico-sociales de l’espèce soient entièrement rapportées aux structures psychologiques de l’individu isolé. Chomsky tient ferme et réaffirme, avec beaucoup d’obstination, aussi bien la nature métahistorique que le caractère individuel de la créativité linguistique : « La nature de l’intelligence humaine n’a certainement pas beaucoup changé depuis le XVIIe, ni probablement depuis l’homme de Cro-Magnon. » ( Ibid ., p. 491.)

    Nous donnons maintenant quelques aperçus de la dispute sur la « désobéissance civile », sur laquelle se termine l’entretien d’Eindhoven. Chomsky n’hésite pas à déduire un engagement politique à part entière de certains aspects persistants de la nature humaine. La créativité du langage, caractéristique biologique de notre espèce, requiert une défense qui s’engage dans une lutte sans quartier contre tous les pouvoirs constitués (capitalisme, État centralisé, etc.) qui l’inhibent ou la répriment. « Un élément fondamental de la nature humaine est le besoin de travail créatif, de recherche créatrice, de création libre sans effet limitatif arbitraire des institutions coercitives ; il en découle ensuite bien sûr qu’une société décente devrait porter au maximum les possibilités de réalisation de cette caractéristique humaine fondamentale. » (Ibid., p. 494.) Un attribut métahistorique d’ Homo sapiens constitue, donc, le pivot d’une position politique anarcho-syndicaliste, ainsi que d’un critère sur la base duquel l’on peut décider si et quand contrevenir aux règles en vigueur. La sauvegarde de la créativité de l’espèce est l’idée régulatrice qui, à elle seule, peut légitimer la désobéissance civile. Cette tentative d’imbriquer réciproquement biologie et pratique historique est cependant inconsistante, malgré son admirable apparence, sous plusieurs aspects. Et elle est même dangereuse : un autre savant, qui mettrait en évidence un aspect différent de la nature humaine, par exemple la recherche de sûreté, pourrait appuyer chaleureusement, avec le même droit, des mesures politiques autoritaires et contraignantes. Foucault a donc beau jeu (un Foucault pour une fois mimétique vis-à-vis du marxisme), de mettre en évidence les contradictions qui accablent celui qui veut proposer un modèle social idéal.

    Ces notions de nature humaine, de justice, de réalisation de l’essence humaine sont des notions et des concepts qui ont été formés à l’intérieur de notre civilisation, dans notre type de savoir, dans notre forme de philosophie, et que, par conséquent, ça fait partie de notre système de classes, et qu’on ne peut pas, aussi regrettable que ce soit, faire valoir ces notions pour décrire ou justifier un combat qui devrait – qui doit en principe bouleverser les fondements mêmes de notre société. Il y a là une extrapolation dont je n’arrive pas à trouver la justification historique.
    (Ibid., p. 506.)

    La désobéissance civile ne peut pas revendiquer un fondement biologique éternel, car elle est plutôt fonctionnelle à l’obtention d’objectifs qui brillent vraiment et seulement dans une conjoncture historique caractéristique. « Plutôt que de penser à la lutte sociale en termes de justice, il faut mettre l’accent sur la justice en termes de lutte sociale. » (Ibid., p. 502.)

    La discussion entamée à Eindhoven provoque un sentiment de malaise, assez durable pour que son résultat soit instructif. Voilà, peut-être, son mérite le plus grand. En lisant la transcription du dialogue, on éprouve une insatisfaction double et concomitante . Les réserves vis-à-vis de certaines assertions de Chomsky ne se traduisent pas en assentiment aux objections que Foucault lui adresse ; et vice versa, les lacunes perçues dans l’argumentation de ce dernier ne semblent pas comblées par les répliques polémiques de son adversaire. Il faut s’adapter, donc, à un état d’indécision, ou mieux, d’indécidabilité, pas tellement différent (pour le dire en un mot simple) de celui dans lequel se trouve quiconque est interrogé sur la vérité ou fausseté de l’énoncé « je mens ». Beaucoup de lecteurs, chomskyens ardents ou foucaldiens de métier, ne sont naturellement pas tout à fait indécis (comme, du reste, ne manquera pas de l’être celui qui s’obstine à considérer comme faux, ou à proclamer vrai, l’énoncé paradoxal « je mens »). Les partisans de Chomsky affirment que l’entretien de 1971 inaugure le déclin du relativisme historiciste, coupable d’avoir dissous la nature humaine dans un kaléidoscope de différences culturelles, presque comme s’il s’agissait d’une pastille d’Alka-Seltzer. Les adeptes de Foucault, en revanche, croient qu’à Eindhoven a été battue en brèche la dernière des innombrables tentatives, à la fois très irascibles et naïves, de faire valoir toujours le mythologème d’une réalité naturelle toujours égale à elle-même, contre la densité de l’expérience historique. De cette manière, cependant, plutôt que de se heurter, on s’évite, comme cela s’est déjà produit, précisément, pour Chomsky et Foucault il y a plus de quarante ans. Plutôt que reproduire à l’infini les mouvements de l’ancienne confrontation, il convient de s’installer dans le malaise et dans l’indécidabilité dont on parlait ci-dessus. Il faut s’appuyer sur l’insatisfaction simultanée envers les argumentations des deux interlocuteurs. Le ni… ni… recoupe une place vide, digne de quelques explorations ; il définit avec une précision suffisante, enfin, le domaine de l’ histoire naturelle .

    Foucault a une très bonne raison quand il signale la présence d’une hypothèque sociopolitique dans tout discours sur la nature humaine. Mais il a tort d’utiliser cette constatation comme une preuve de l’inconsistance de la nature humaine elle-même. C’est un cas classique d’inférence, qui démontre trop : illégitime par excès de zèle. Le fait que la métahistoire phylogénétique soit l’objet de multiples représentations conditionnées historiquement, chacune avec une teneur contingente, n’implique pas du tout sa désintégration en tant que métahistoire ; c’est-à-dire cela n’ôte rien à la persistance de certaines prérogatives de l’espèce « depuis le Cro-Magnon en avant ». On peut s’accorder sur l’idée que l’invariant biologique ne peut jamais être séparé du cours historique variable : mais celui-ci n’est pas un argument suffisant pour nier l’invariant en tant que type, ni pour négliger les modes dont – en demeurant invariant justement – il déborde sur la surface des différents systèmes sociaux et productifs. Voilà que l’insatisfaction vis-à-vis du Foucault d’Eindhoven, de la part de n’importe qui aurait à cœur la possibilité d’une histoire naturelle, consiste, en dernier lieu, dans le fait de concevoir la récursivité par laquelle l’invariant se manifeste dans des conjonctures historiques spéciales, comme une attestation de sa… variabilité (c’est-à-dire comme une réfutation de l’invariant lui-même).

    Mais il y a mieux. L’observation de Foucault est incontestable : la nature humaine, plutôt que de constituer l’objet de la recherche, a souvent été un pur « indicateur épistémologique », c’est-à-dire une grille conceptuelle destinée à organiser préalablement le regard du chercheur. Cependant, si l’on ne veut pas céder à l’idéalisme transcendantal le plus effréné, il faudrait admettre que l’existence de catégories a priori (ou de grilles, ou encore d’indicateurs épistémologiques) présuppose, elle aussi ou elle surtout, une base biologique. Posons le problème ainsi : l’« indicateur épistémologique », s’il ne désigne certainement aucun phénomène déterminé (étant inhérent plutôt à la manière dans laquelle la représentation se structure), s’appuie cependant sur une réalité empirique espèce-spécifique : la faculté innée de langage, les structures caractéristiques de la pensée verbale, etc. Eh bien, la nature humaine coïncide en tous points avec la réalité empirique qui est par-derrière les « indicateurs épistémologiques » ; elle n’est pas une chose différente, donc, de l’ensemble des conditions matérielles qui sous-tendent la formation des catégories a priori. À un certain moment Foucault affirme :

    Peut-être que la différence entre M. Chomsky et moi-même est que, quand il parle de science, il pense probablement à l’organisation formelle de la connaissance, tandis que je parle de la connaissance même, c’est-à-dire du contenu des diverses connaissances dispersé dans une société particulière, qui imprègne cette société, et constitue le fondement de l’éducation, des théories, des pratiques, etc.
    (Ibid., p. 489.)

    C’est juste. Sauf à ajouter que cette partie autour de la nature humaine se joue vraiment et seulement autour de l’« organisation formelle de la connaissance ». Tant que l’on reste accroché au « contenu des diverses connaissances », il est facile de mettre en doute l’existence de constantes métahistoriques. C’est facile, mais c’est aussi sans influence.

    L’insatisfaction vis-à-vis de Chomsky à Eindhoven est vite formulée : il réabsorbe le variable dans l’invariant, il réduit l’histoire à la métahistoire. On pourrait s’exprimer de manière plus nuancée et circonspecte, mais la substance est là. Il ne faut pas se laisser tromper par la passion politique naturelle dont fait preuve l’auteur de Syntactic Structures. Selon Chomsky, une « société décente » exige une correction naturaliste des distorsions produites par l’histoire errante. On l’a vu : la créativité du langage (et, indirectement, du travail et de la recherche scientifique) est une qualité innée de l’ Homo sapiens ; une qualité à réaffirmer toujours de nouveau, contre les prétentions, injustes, parce que non naturelles , de tel ou tel système de pouvoir. Déduire un idéal sociopolitique de l’invariant biologique signifie, en effet, exorciser la variabilité sociale et politique ou, tout au moins, contenir le mal qu’elle porte en elle-même. Équitable, pour Chomsky, serait l’organisation sociale qui ne s’éloignerait pas du tout de la métahistoire, en coïncidant point par point avec ces traits distinctifs de l’animal humain qui persistent, inchangés, depuis l’homme de Cro-Magnon. Devant ce prêchi-prêcha en sauce rousseauiste, on ne peut pas s’en sortir à bon marché, en soutenant qu’il faut s’occuper seulement des théories linguistiques de Chomsky, et pas de sa réflexion politique. Une telle astuce, certainement favorable au bon résultat d’un concours universitaire, ferait du tort cependant à la vie et à l’œuvre du même Chomsky. Le fait que le rapport entre la faculté de langage et l’action politique qu’il propose soit sans fondement, ne témoigne pas contre sa politique, mais plutôt contre sa manière de concevoir la faculté de langage (et, donc, la nature humaine invariante). La question philosophiquement considérable est la suivante : quels aspects de la linguistique chomskyenne bouchent dès le début la possibilité d’articuler un rapport fiable entre l’inné et l’acquis, l’invariant et le variable, le métahistorique et l’historique ? Quels aspects de cette linguistique se révèlent incompatibles, donc, avec une historiographie naturaliste ?

    Ces deux questions me semblent névralgiques. Premièrement, si l’on attribue à la faculté de langage une grammaire définie (bien que, certes, « universelle »), c’est-à-dire un ensemble de règles et de schémas, elle ressemblera bien trop à une langue historique, ou du moins à la moyenne pondérée des langues historiques, en perdant ainsi ce qui la définit : le statut de potentialité encore indéterminée, de disposition physiologique générique à l’articulation verbale. Ce glissement implique des conséquences fatales. La faculté métahistorique de langage, ainsi réduite au plus petit dénominateur commun des langues, assimile subrepticement en elle un certain nombre de caractères proprement historiques. Avec un double désavantage : affaiblissement de la métahistoire, congélation de l’histoire. En atténuant la distinction entre le « depuis toujours » invariant et le « juste à présent » contingent, ne peut prévaloir qu’une région intermédiaire hybride dans laquelle, sans hasard, la biologie fournit directement les critères de la justice sociale. Pour rétablir cette distinction et donner à chacun son propre critère, il faut avant tout éliminer l’idée que la nature humaine métahistorique consiste dans la « créativité des usages linguistiques », ou dans d’autres propriétés d’un haut relief, isolables comme des pépites douées d’un poids spécifique caractéristique. La faculté de langage garantit l’historicité de l’animal humain, à savoir les conditions de possibilité de l’histoire, mais elle ne fonde en aucune manière tel ou tel modèle de société et de politique. On reviendra plus loin sur tout cela.

    Et nous en venons à la deuxième question. Chomsky et les sciences cognitives établissent un court-circuit pernicieux entre l’espèce et l’individu isolé. Ils n’ont aucune hésitation, bien au contraire, à identifier sans restes les deux termes. À ce sujet, qu’ils le sachent ou non, ils sont très chrétiens : « Le paganisme ne voyait dans l’individu qu’un membre distinct et dépendant de l’espèce ; le christianisme, au contraire, l’identifiait avec l’espèce, ne le comprenait que dans une unité immédiate et sans différence avec elle […] Pour le chrétien, Dieu est le concept de l’espèce considérée en tant qu’individu. » (Feuerbach 1841, p. 165 sq.) L’erreur n’est pas, bien entendu, dans le fait de prendre comme point de départ l’esprit linguistique unique, mais dans le fait de méconnaître ou d’enlever ses caractères transindividuels. Attention : par « transindividuel » il ne faut pas entendre l’ensemble de qualités qui rapprochent l’individu des autres individus, mais ce qui concerne uniquement la relation entre individus, sans appartenir solidairement à aucun d’eux en particulier. La transindividualité est la manière dont s’articule, à l’intérieur du même esprit individuel, l’écart entre l’espèce et l’individu. Elle est un espace potentiel encore vide, non pas un ensemble de propriétés positives : ces dernières, loin de se situer dans un « entre », constitueraient en effet le patrimoine exclusif d’un certain Moi. Dans le particulier, dans l’individu, les aspects transindividuels de la faculté de langage, à savoir de la nature humaine, se présentent inévitablement comme incomplétude , lacune, potentialité. Et alors, ces caractères défectifs, et cependant innés, signalent que la vie de l’esprit est, depuis le début, une vie publique . Ayant négligé la dimension transindividuelle, Chomsky et les cognitivistes croient que l’intellect de chacun est autosuffisant et, donc, dépolitisé. Dans leur scénario, la pratique sociale ne monte sur scène que dans le deuxième acte, lorsque des esprits déjà complets en eux-mêmes interagissent, des esprits essentiellement privés. La sphère publique est donc un élément optionnel dont on peut toujours se passer. L’« animal qui a le langage » n’est pas, en tant que tel, un « animal politique ». Le vacarme de l’histoire ne plonge pas ses racines dans la nature humaine : voire, c’est au nom de cette dernière qu’il faut s’efforcer d’atténuer ce vacarme, en amoindrissant les dissonances.

    3 – Invariance biologique et horizon religieux

    L’histoire naturelle vise à recenser les formes très différentes sous lesquelles les présupposés biologiques de notre espèce émergent en tant que tels sur le plan empirique, en s’incarnant dans des phénomènes sociopolitiques absolument contingents. Elle prête une attention spéciale à la manière dans laquelle les conditions phylogénétiques qui garantissent l’historicité de l’animal humain prennent parfois l’apparence de faits historiques bien déterminés. Elle défend avec fermeté, donc, aussi bien l’invariance de l’invariant, que la variabilité du variable, en excluant des compromis qui ne sont judicieux qu’en apparence. Pour faire valoir ses instances propres, l’histoire naturelle doit repousser en bloc les orientations opposées et symétriques qui se heurtèrent dans la discussion de 1971. Elle doit repousser l’une et l’autre orientation, mais surtout l’alternative qu’elles représentent ensemble : ou bien dissolution de la métahistoire dans l’histoire empirique (Foucault), ou bien réabsorption de l’histoire dans la métahistoire (Chomsky). Tant que le domaine des choix possibles semblera saturé par ces deux polarités, l’histoire naturelle restera un migrant clandestin sans droit de citoyenneté.

    #transindividuel #nature_humaine #histoire #histoire_naturelle

  • L’art perdu de la description de la nature
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040819/l-art-perdu-de-la-description-de-la-nature

    C’est à l’extinction non des espèces, mais de notre capacité à les décrire, que s’intéresse l’historien Romain Bertrand dans un livre singulier, où l’on finit par ne plus compter les mots que l’on ne connaît pas. Et si la manière dont nous avons perdu la relation au monde était une affaire de langage ?

    #Au_détour_des_livres #histoire_naturelle,_Romain_Bertrand,_Nature,_description,_Histoire

  • Quatre questions sur les plantes anciennes du #Muséum d’#histoire_naturelle de Paris détruites par les douanes australiennes
    http://www.francetvinfo.fr/sciences/quatre-questions-sur-les-plantes-anciennes-du-museum-d-histoire-naturel

    Des plantes appartenant au Muséum d’histoire naturelle de Paris ont été détruites par les #douanes australiennes chargées de la #biosécurité, révèle le Guardian (en anglais), lundi 8 mai. Ces #plantes, qui dataient du XIXe siècle, avaient été envoyées à l’herbarium de #Brisbane (Queensland, Australie) en mars dernier. Au total, 105 spécimens ont ainsi disparu. « Une perte irréparable », déplore Michel Guiraud, directeur des collections du Muséum, contacté par franceinfo.

    #Australie

  • L’Evolution selon Blu - Chambre237
    http://www.chambre237.com/levolution-selon-blu

    L’artiste #street_art #Blu (dont nous avions déjà parlé précédemment) a récemment terminé cette #fresque stupéfiante en Italie représentant une chronologie de l’#histoire_naturelle de la plus petite des créatures unicellulaires, à l’évolution des dinosaures et des mammifères, jusqu’à l’âge de l’homme.

  • VIDEO. Les crabes s’exposent au Muséum de Paris- 9 juin 2015 - Sciencesetavenir.fr
    http://www.sciencesetavenir.fr/animaux/20150608.OBS0382/video-les-crabes-s-exposent-au-museum-de-paris.html

    On les croise parfois sur la plage... ou dans notre assiette ! Simple baigneur ou dégustateur, nous sommes alors bien loin de soupçonner l’incroyable diversité des crabes. « On connaît pour le moment 7.000 espèces de crabes, explique Catherine Vadon, océanologue au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris et spécialiste de ces crustacés. On en trouve partout, sauf sur la bordure antarctique. » Enfin partout... c’est tout de même la première fois que le grand public peut les découvrir au Jardin des Plantes parisien ! Et ne les cherchez pas du côté de la Ménagerie, ils sont au Cabinet d’Histoire, jusqu’au 9 novembre 2015.

    #exposition #histoire_naturelle #paris
    via @alvilda