• La chute du Heron blanc, ou la fuite en avant de l’agence #Frontex

    Sale temps pour Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières : après le scandale des pushbacks dans les eaux grecques, qui a fait tomber son ex-directeur, l’un de ses drones longue portée de type Heron 1, au coût faramineux, s’est crashé fin août en mer ionienne. Un accident qui met en lumière la dérive militariste de l’Union européenne pour barricader ses frontières méridionales.

    Jeudi 24 août 2023, un grand oiseau blanc a fait un plongeon fatal dans la mer ionienne, à 70 miles nautiques au large de la Crète. On l’appelait « Heron 1 », et il était encore très jeune puisqu’il n’avait au compteur que 3 000 heures de vol. Son employeur ? Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes chargée depuis 2004 de réguler les frontières européennes, avec un budget sans cesse en hausse.

    Le Heron 1 est désigné dans la terminologie barbare du secteur de l’armement comme un drone MALE (Medium Altitude Long Endurance) de quatrième génération, c’est-à-dire un engin automatisé de grande taille capable de voler sur de longues distances. Frontex disposait jusqu’au crash de seulement deux drones Heron 1. Le premier a été commandé en octobre 2020, quand l’agence a signé un contrat de 50 millions d’euros par an avec Airbus pour faire voler cet appareil en « leasing » – Airbus passant ensuite des sous-contrats, notamment avec le constructeur israélien IAISystem
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    – pour un total de 2 400 heures de vol, et avec des dépassements qui ont fait monter la facture annuelle. En clair, le coût de fonctionnement de ce drôle d’oiseau est abyssal. Frontex rechigne d’ailleurs à entrer dans les détails, arguant de « données commerciales sensibles », ainsi que l’explique Matthias Monroy, journaliste allemand spécialisé dans l’aéronautique : « Ils ne veulent pas donner les éléments montrant que ces drones valent plus cher que des aéroplanes classiques, alors que cela semble évident. »
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    La nouvelle de la chute de l’onéreux volatile n’a pas suscité beaucoup de réactions publiques – il n’en est quasiment pas fait mention dans les médias autres que grecs, hormis sur des sites spécialisés. On en trouve cependant une trace sur le portail numérique du Parlement européen, en date du 29 août 2023. Ce jour-là, Özlem Demirel, députée allemande du parti de gauche Die Linke, pose la question « E-002469/2023 » (une interpellation enregistrée sous le titre : « Crash of a second long-range drone operated on Frontex’s behalf »), dans laquelle elle interroge la fiabilité de ces drones. Elle y rappelle que, déjà en 2020, un coûteux drone longue distance opéré par Frontex s’était crashé en mer – un modèle Hermes 900 cette fois-ci, tout aussi onéreux, bijou de l’israélien Elbit Systems. Et la députée de demander : « Qui est responsable ? »

    Une question complexe. « En charge des investigations, les autorités grecques détermineront qui sera jugé responsable, explique Matthias Monroy. S’il y a eu une défaillance technique, alors IAI System devra sans doute payer. Mais si c’est un problème de communication satellite, comme certains l’ont avancé, ou si c’est une erreur de pilotage, alors ce sera à Airbus, ou plutôt à son assureur, de payer la note. »
    VOL AU-DESSUS D’UN NID D’EMBROUILLES

    Le Heron 1 a la taille d’un grand avion de tourisme – presque un mini-jet. D’une envergure de 17 mètres, censé pouvoir voler en autonomie pendant 24 heures (contre 36 pour le Hermes 900), il est équipé de nombreuses caméras, de dispositifs de vision nocturne, de radars et, semble-t-il, de technologies capables de localiser des téléphones satellites
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    . Détail important : n’étant pas automatisé, il est manœuvré par un pilote d’Airbus à distance. S’il est aussi utilisé sur des théâtres de guerre, notamment par les armées allemande et israélienne, où il s’est également montré bien peu fiable
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    , sa mission dans le cadre de Frontex relève de la pure surveillance : il s’agit de fournir des informations sur les embarcations de personnes exilées en partance pour l’Europe.

    Frontex disposait de deux drones Heron 1 jusqu’au crash. Airbus était notamment chargé d’assurer le transfert des données recueillies vers le quartier général de Frontex, à Varsovie (Pologne). L’engin qui a fait un fatal plouf se concentrait sur la zone SAR(Search and Rescue
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    ) grecque et avait pour port d’attache la Crète. C’est dans cette même zone SAR que Frontex a supervisé plus ou moins directement de nombreux pushbacks (des refoulements maritimes), une pratique illégale pourtant maintes fois documentée, ce qui a provoqué un scandale qui a fini par contraindre le Français Fabrice Leggeri à démissionner de la tête de l’agence fin avril 2022. Il n’est pas interdit de penser que ce Heron 1 a joué en la matière un rôle crucial, fournissant des informations aux gardes-côtes grecs qui, ensuite, refoulaient les embarcations chargées d’exilés.

    Quant à son jumeau, le Heron positionné à Malte, son rôle est encore plus problématique. Il est pourtant similaire à celui qui s’est crashé. « C’est exactement le même type de drone », explique Tamino Bohm, « tactical coordinator » (coordinateur tactique) sur les avions de Sea-Watch, une ONG allemande de secours en mer opérant depuis l’île italienne de Lampedusa. Si ce Heron-là, numéro d’immatriculation AS2132, diffère de son jumeau, c’est au niveau du territoire qu’il couvre : lui survole les zones SAR libyennes, offrant les informations recueillies à ceux que la communauté du secours en mer s’accorde à désigner comme les « soi-disant gardes-côtes libyens »
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    – en réalité, des éléments des diverses milices prospérant sur le sol libyen qui se comportent en pirates des mers. Financés en partie par l’Union européenne, ils sont avant tout chargés d’empêcher les embarcations de continuer leur route et de ramener leurs passagers en Libye, où les attendent bien souvent des prisons plus ou moins clandestines, aux conditions de détention infernales
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    .

    C’est ainsi qu’au large de Lampedusa se joue une sorte de guerre aérienne informelle. Les drones et les avions de Frontex croisent régulièrement ceux d’ONG telles que Sea-Watch, dans un ballet surréaliste : les premiers cherchant à renseigner les Libyens pour qu’ils arraisonnent les personnes exilées repérées au large ; les seconds s’acharnant avec leurs maigres moyens à documenter et à dénoncer naufrages et refoulements en Libye. Et Tamino d’asséner avec malice : « J’aurais préféré que le drone crashé soit celui opérant depuis Malte. Mais c’est déjà mieux que rien. »
    BUDGET GONFLÉ, MANDAT ÉLARGI

    Tant que l’enquête sur le crash n’aura pas abouti, le vol de drones Heron 1 est suspendu sur le territoire terrestre et maritime relevant des autorités grecques, assure Matthias Monroy (qui ajoute que cette interdiction s’applique également aux deux drones du même modèle que possède l’armée grecque). Le crash de l’un de ses deux Heron 1 est donc une mauvaise nouvelle pour Frontex et les adeptes de la forteresse Europe, déjà bien éprouvés par les arrivées massives à Lampedusa à la mi-septembre et l’hospitalité affichée sur place par les habitants. À l’image de ces murs frontaliers bâtis aux frontières de l’Europe et dans l’espace Schengen – un rapport du Parlement européen, publié en octobre 2022 « Walls and fences at EU borders » (https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2022)733692), précise que l’on en est à 2 035 kilomètres de barrières frontalières, contre 315 en 2014 –, matérialisation d’un coûteux repli identitaire clamant une submersion fantasmée, il est évident que la démesure sécuritaire ne freine en rien les volontés de rejoindre l’Europe.

    Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent. Lors de sa première année d’opérations, en 2005, Frontex disposait d’un budget de 6 millions d’euros. Depuis, celui-ci n’a cessé d’enfler, pour atteindre la somme de 845,4 millions d’euros en 2023, et un effectif de plus de 2 100 personnels – avec un budget prévisionnel 2021-2027 de 11 milliards d’euros et un objectif de 10 000 gardes d’ici à 2027 (dont 7 000 détachés par les États membres).

    Depuis 2019, Frontex dispose d’un mandat élargi qui autorise l’acquisition et la possession d’avions, de drones et d’armes à feu. L’agence s’est aussi géographiquement démultipliée au fil de temps. Ses effectifs peuvent aussi bien patrouiller dans les eaux de Lampedusa que participer à des missions de surveillance de la frontière serbo-hongroise, alors que son rôle initial était simplement d’assister les pays européens dans la gestion de leurs frontières. L’agence européenne joue aussi un rôle dans la démesure technologique qui se développe aux frontières. Rien que dans les airs, l’agence se veut novatrice : elle a déjà investi plusieurs millions d’euros dans un projet de #zeppelin automatisé relié à un câble de 1 000 mètres, ainsi que dans le développement de drones « #quadcopter » pesant une dizaine de kilos. Enfin, Frontex participe aussi à la collecte généralisée de #données migratoires dans le but d’anticiper les refoulements. Elle soutient même des projets visant à gérer les flux humains par #algorithmes.

    Traversée comme les armées par une culture du secret, l’agence s’est fait une spécialité des zones grises et des partenariats opaques, tout en prenant une place toujours plus importante dans la hausse de la létalité des frontières. « Frontex est devenue l’agent de la #militarisation_des_frontières européennes depuis sa création, résume un rapport de la Fondation Jean-Jaurès sorti en juillet 2023. Fondant son fonctionnement sur l’#analyse_des_risques, Frontex a contribué à la perception des frontières européennes comme d’une forteresse assiégée, liant le trafic de drogue et d’êtres humains à des mouvements migratoires plus larges. »

    « VOUS SURVEILLEZ LES FRONTIÈRES, NOUS VOUS SURVEILLONS »

    Dans sa volonté d’expansion tous azimuts, l’agence se tourne désormais vers l’Afrique, où elle œuvre de manière plus ou moins informelle à la mise en place de politiques d’#externalisation des frontières européennes. Elle pèse notamment de tout son poids pour s’implanter durablement au #Sénégal et en #Mauritanie. « Grâce à l’argent des contribuables européens, le Sénégal a construit depuis 2018 au moins neuf postes-frontières et quatre antennes régionales de la Direction nationale de lutte contre le trafic de migrants. Ces sites sont équipés d’un luxe de #technologies de #surveillance_intrusive : outre la petite mallette noire [contenant un outil d’extraction des données], ce sont des #logiciels d’#identification_biométrique des #empreintes_digitales et de #reconnaissance_faciale, des drones, des #serveurs_numériques, des lunettes de vision nocturne et bien d’autres choses encore », révèle une enquête du journal étatsunien In These Times. Très impopulaire sur le continent, ce type de #néocolonialisme obsidional se déploie de manière informelle. Mais il porte bien la marque de Frontex, agence agrippée à l’obsession de multiplier les murs physiques et virtuels.

    Au Sénégal, pour beaucoup, ça ne passe pas. En août 2022, l’association #Boza_Fii a organisé plusieurs journées de débat intitulées « #Pushback_Frontex », avec pour slogan : « Vous surveillez les frontières, nous vous surveillons ». Une manifestation reconduite en août 2023 avec la mobilisation « 72h Push Back Frontex ». Objectif : contrer les négociations en cours entre l’Union européenne et le Sénégal, tout en appelant « à la dissolution définitive de l’agence européenne de gardes-frontières ». Sur RFI, son porte-parole #Saliou_Diouf expliquait récemment son point de vue : « Nous, on lutte pour la #liberté_de_circulation de tout un chacun. […] Depuis longtemps, il y a beaucoup d’argent qui rentre et est-ce que ça a arrêté les départs ? »

    Cette politique « argent contre muraille » est déployée dans d’autres États africains, comme le #Niger ou le #Soudan. Frontex n’y est pas directement impliquée, mais l’Europe verse des centaines de millions d’euros à 26 pays africains pour que des politiques locales visant à bloquer les migrations soient mises en place.

    « Nous avons besoin d’aide humanitaire, pas d’outils sécuritaires », assure Mbaye Diop, travailleur humanitaire dans un camp de la Croix-Rouge situé à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, dans l’enquête de In These Times. Un constat qui vaut de l’autre côté de la Méditerranée : dans un tweet publié après le crash du Heron 1, l’ONG Sea-Watch observait qu’avec les 50 millions alloués à Airbus et à ses sous-traitants pour planter son Heron dans les flots, « on pourrait faire voler pendant 25 ans nos avions de secours Seabird 1 et Seabird 2 ».

    https://afriquexxi.info/La-chute-du-Heron-blanc-ou-la-fuite-en-avant-de-l-agence-Frontex

    #drones #Heron_1 #frontières #surveillances_des_frontières #contrôles_frontaliers #migrations #asile #réfugiés #drone_MALE (#Medium_Altitude_Long_Endurance) #crash #Airbus #complexe_militaro-industriel #IAI_System #coût #prix #budget #chute #fiabilité #Hermes_900 #Elbit_Systems #données #push-backs #refoulements #AS2132 #Libye #guerre_aérienne_informelle #biométrie

  • L’industrie de la #sécurité tire profit de la crise climatique

    Les pays riches, pires contributeurs au #changement_climatique, dépensent bien plus d’argent à renforcer leurs #frontières qu’à contribuer au #développement des pays pauvres : c’est ce qu’a étudié un rapport du Transnational Institute. Les habitants de ces pays sont pourtant les premières victimes de l’alliance occidentale entre business du #pétrole et de la sécurité.

    Le changement climatique est bon pour le #business. Du moins celui de la sécurité. C’est ce que démontre un #rapport publié ce lundi 25 octobre par l’organisation de recherche et de plaidoyer Transnational Institute. Intitulé « un mur contre le climat », il démontre que les pays les plus riches dépensent bien plus pour renforcer leurs frontières contre les migrants que pour aider les pays pauvres, d’où ils viennent, à affronter la crise climatique.

    Il décortique les #dépenses, dans ces deux domaines, des sept pays riches historiquement les plus émetteurs de gaz à effet de serre que sont les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Japon, l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada. Ils sont à eux sept responsables de 48 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Le Brésil, la Chine et la Russie, qui font partie des dix plus gros émetteurs aujourd’hui, ne sont pas inclus car, s’étant enrichis beaucoup plus récemment, ils ne sont pas considérés comme des responsables historiques.

    2,3 fois plus de dollars pour repousser les migrants que pour le climat

    Pour les États étudiés, les auteurs ont regardé leur contribution au « #financement_climatique » : prévu par les négociations internationales sur le climat, il s’agit de fonds que les pays riches s’engagent à verser aux pays dits en développement pour les aider à faire face à la crise climatique. Ils ont ensuite traqué les sommes allouées par chaque pays aux contrôles frontaliers et migratoires. Résultat : entre 2013 et 2018, ces sept pays ont en moyenne dépensé chaque année au moins 2,3 fois plus pour repousser les migrants (33,1 milliards de dollars) que pour contribuer au financement climatique (14,4 milliards de dollars). Et encore, les auteurs du rapport signalent que les pays riches ont tendance à surestimer les sommes allouées au financement climatique.

    Une disproportion encore plus criante quand on regarde en détail. Le Canada a dépensé 15 fois plus, l’Australie 13,5 fois plus, les États-Unis 10,9 fois plus. À noter que ces derniers sont en valeur absolue les plus dépensiers, ils ont à eux seuls mis 19,6 milliards dans la sécurité de leurs frontières sur la période, soit 59 % de la somme totale allouée par les sept pays réunis.

    Le cas des pays européens est moins explicite. La France pourrait avoir l’air de bon élève. A priori, elle dépense moins dans les contrôles aux frontières (1 milliard) que dans le financement climatique (1,6 milliard). Idem pour l’Allemagne (3,4 milliards dans la militarisation des frontières contre 4,4 milliards dans le financement climatique). Mais ce serait oublier qu’une grande partie des dépenses sécuritaires est déportée au niveau de l’Union européenne et de l’agence de contrôle des frontières Frontex. Celle-ci a vu son budget exploser, avec une augmentation de 2 763 % entre 2006 et 2021.

    Cet argent est très concrètement dépensé dans diverses #technologies#caméras, #drones, systèmes d’#identification_biométriques, et dans l’embauche de #gardes-frontières et de #gardes-côtes. « Il y a aussi une #externalisation, avec par exemple l’Union européenne qui conclue des accords avec les pays d’Afrique du Nord et des régimes totalitaires, pour qu’ils empêchent les migrants d’arriver jusqu’à leurs frontières », décrit Nick Buxton, un des auteurs du rapport interrogé par Reporterre. Ces partenariats contribuent à la multiplication des murs anti-migrants partout dans le monde. « La plupart des grands constructeurs de murs du monde ont reçu une aide des programmes d’externalisation de l’Union européenne ou des États-Unis (ou des deux, dans le cas de la Jordanie, du Maroc et de la Turquie) », pointe le rapport.

    L’édification de ces murs empêche-t-elle les pays riches de voir le drame qui se déroule derrière ? À travers divers exemples, les auteurs tentent de montrer l’injustice de la situation : en Somalie, à la suite d’une catastrophe climatique en 2020, un million de personnes ont dû se déplacer. Pourtant, le pays n’est responsable que « de 0,00027 % du total des émissions depuis 1850. » Au Guatemala, l’ouragan Eta ainsi que les inondations fin 2020 ont provoqué le déplacement de 339 000 personnes. Le pays « a été responsable de seulement 0,026 % des émissions de gaz à effet de serre ». Nombre de ces migrants Guatémaltèques tentent désormais d’atteindre les États-Unis, responsables à eux seuls de 30,1 % des émissions depuis 1850.

    Pourtant, parmi les pays riches, « les stratégies nationales de #sécurité_climatique, depuis le début des années 2000, ont massivement présenté les migrants comme des « menaces » et non comme les victimes d’une injustice », indique la synthèse du rapport. Le 11 septembre 2001, en particulier, a accéléré la tendance. Qui s’est maintenue : les budgets de militarisation des frontières ont augmenté de 29 % entre 2013 et 2018. Une orientation politique mais aussi financière, donc, saluée par l’industrie de la sécurité et des frontières.
    Taux de croissance annuel : 5,8 %

    « Des prévisions de 2019 de ResearchAndMarkets.com annonçaient que le marché de la sécurité intérieure des États allait passer de 431 milliards de dollars en 2018 à 606 milliards en 2024, avec un taux de croissance annuel de 5,8 % », indique le rapport. Une des raisons majeures invoquée étant « l’augmentation des catastrophes naturelles liées au changement climatique ». Il cite également la sixième entreprise mondiale en termes de vente de matériel militaire, Raytheon. Pour elle, l’augmentation de la demande pour ses « produits et services militaires […] est le résultat du changement climatique ».

    Transnational Institute, qui travaille sur cette industrie depuis un certain temps, a ainsi calculé qu’aux États-Unis, entre 2008 et 2020, les administrations de l’immigration et des frontières « ont passé plus de 105 000 contrats d’une valeur de 55 milliards de dollars avec des entreprises privées. » Si le mur de Trump a défrayé la chronique, « Biden n’est pas mieux », avertit Nick Buxton. « Pour financer sa campagne, il a reçu plus d’argent de l’industrie de la sécurité des frontières que Trump. »

    L’Union européenne aussi a droit à son lobbying. « Ces entreprises sont présentes dans des groupes de travail de haut niveau, avec des officiels de l’UE. Ils se rencontrent aussi dans les salons comme celui de Milipol », décrit Nick Buxton.

    #Pétrole et sécurité partagent « le même intérêt à ne pas lutter contre le changement climatique »

    Le rapport souligne également les liens de cette industrie de la sécurité avec celle du pétrole. En résumé, il décrit comment les majors du pétrole sécurisent leurs installations en faisant appel aux géants de la sécurité. Mais il souligne aussi que les conseils d’administration des entreprises des deux secteurs ont beaucoup de membres en commun. Des liens concrets qui illustrent, selon Nick Buxton, le fait que « ces deux secteurs ont le même intérêt à ne pas lutter contre le changement climatique. L’industrie pétrolière car cela va à l’encontre de son business model. L’industrie de la sécurité car l’instabilité provoquée par la crise climatique lui apporte des bénéfices. »

    Autant d’argent dépensé à protéger les énergies fossiles et à refouler les migrants, qui « ne fait que maintenir et générer d’immenses souffrances inutiles » dénonce le rapport. Les pays riches avaient promis d’atteindre 100 milliards de financements climatiques annuels pour les pays en développement d’ici 2020. En 2019, ils n’en étaient qu’à 79,6 milliards selon l’OCDE. Et encore, ce chiffre est très surévalué, estime l’ONG Oxfam, qui en déduisant les prêts et les surévaluations aboutit à environ trois fois moins. C’est cette estimation que les experts du Transnational Institute ont adoptée.

    « Il est évident que les pays les plus riches n’assument pas du tout leur responsabilité dans la crise climatique », conclut donc le rapport. Il prône des investissements dans la lutte contre le changement climatique, et des aides pour que les pays les plus pauvres puissent gérer dignement les populations contraintes de se déplacer. À l’inverse, le choix de la militarisation est « une stratégie vouée à l’échec, même du point de vue de l’intérêt personnel des pays les plus riches, car elle accélère les processus d’instabilité et de migration induite par le climat dont ils s’alarment. »

    https://reporterre.net/L-industrie-de-la-securite-tire-profit-de-la-crise-climatique

    #complexe_militaro-industriel #climat

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    déjà signalé ici par @kassem
    https://seenthis.net/messages/934692

    • Global Climate Wall. How the world’s wealthiest nations prioritise borders over climate action

      This report finds that the world’s biggest emitters of green house gases are spending, on average, 2.3 times as much on arming their borders as they are on climate finance. This figure is as high as 15 times as much for the worst offenders. This “Global Climate Wall” aims to seal off powerful countries from migrants, rather than addressing the causes of displacement.

      Executive summary

      The world’s wealthiest countries have chosen how they approach global climate action – by militarising their borders. As this report clearly shows, these countries – which are historically the most responsible for the climate crisis – spend more on arming their borders to keep migrants out than on tackling the crisis that forces people from their homes in the first place.

      This is a global trend, but seven countries in particular – responsible for 48% of the world’s historic greenhouse gas (GHG) emissions – collectively spent at least twice as much on border and immigration enforcement (more than $33.1 billion) as on climate finance ($14.4 billion) between 2013 and 2018.

      These countries have built a ‘Climate Wall’ to keep out the consequences of climate change, in which the bricks come from two distinct but related dynamics: first, a failure to provide the promised climate finance that could help countries mitigate and adapt to climate change; and second, a militarised response to migration that expands border and surveillance infrastructure. This provides booming profits for a border security industry but untold suffering for refugees and migrants who make increasingly dangerous – and frequently deadly – journeys to seek safety in a climate-changed world.
      Key findings:

      Climate-induced migration is now a reality

      - Climate change is increasingly a factor behind displacement and migration. This may be because of a particular catastrophic event, such as a hurricane or a flash flood, but also when the cumulative impacts of drought or sea-level rise, for example, gradually make an area uninhabitable and force entire communities to relocate.
      – The majority of people who become displaced, whether climate-induced or not, remain in their own country, but a number will cross international borders and this is likely to increase as climate-change impacts on entire regions and ecosystems.
      – Climate-induced migration takes place disproportionately in low-income countries and intersects with and accelerates with many other causes for displacement. It is shaped by the systemic injustice that creates the situations of vulnerability, violence, precarity and weak social structures that force people to leave their homes.

      Rich countries spend more on militarising their borders than on providing climate finance to enable the poorest countries to help migrants

      – Seven of the biggest emitters of GHGs – the United States, Germany, Japan, the United Kingdom, Canada, France and Australia – collectively spent at least twice as much on border and immigration enforcement (more than $33.1 billion) as on climate finance ($14.4 billion) between 2013 and 2018.1
      - Canada spent 15 times more ($1.5 billion compared to around $100 million); Australia 13 times more ($2.7 billion compared to $200 million); the US almost 11 times more ($19.6 billion compared to $1.8 billion); and the UK nearly two times more ($2.7 billion compared to $1.4 billion).
      - Border spending by the seven biggest GHG emitters rose by 29% between 2013 and 2018. In the US, spending on border and immigration enforcement tripled between 2003 and 2021. In Europe, the budget for the European Union (EU) border agency, Frontex, has increased by a whopping 2763% since its founding in 2006 up to 2021.
      - This militarisation of borders is partly rooted in national climate security strategies that since the early 2000s have overwhelmingly painted migrants as ‘threats’ rather than victims of injustice. The border security industry has helped promote this process through well-oiled political lobbying, leading to ever more contracts for the border industry and increasingly hostile environments for refugees and migrants.
      - Climate finance could help mitigate the impacts of climate change and help countries adapt to this reality, including supporting people who need to relocate or to migrate abroad. Yet the richest countries have failed even to keep their pledges of meagre $100 billion a year in climate finance. The latest figures from the Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD) reported $79.6 billion in total climate finance in 2019, but according to research published by Oxfam International, once over-reporting, and loans rather than grants are taken into account, the true volume of climate finance may be less than half of what is reported by developed countries.
      – Countries with the highest historic emissions are fortifying their borders, while those with lowest are the hardest hit by population displacement. Somalia, for example, is responsible for 0.00027% of total emissions since 1850 but had more than one million people (6% of the population) displaced by a climate-related disaster in 2020.

      The border security industry is profiteering from climate change

      - The border security industry is already profiting from the increased spending on border and immigration enforcement and expects even more profits from anticipated instability due to climate change. A 2019 forecast by ResearchAndMarkets.com predicted that the Global Homeland Security and Public Safety Market would grow from $431 billion in 2018 to $606 billion in 2024, and a 5.8% annual growth rate. According to the report, one factor driving this is ‘climate warming-related natural disasters growth’.
      – Top border contractors boast of the potential to increase their revenue from climate change. Raytheon says ‘demand for its military products and services as security concerns may arise as results of droughts, floods, and storm events occur as a result of climate change’. Cobham, a British company that markets surveillance systems and is one of the main contractors for Australia’s border security, says that ‘changes to countries [sic] resources and habitability could increase the need for border surveillance due to population migration’.
      – As TNI has detailed in many other reports in its Border Wars series,2 the border security industry lobbies and advocates for border militarisation and profits from its expansion.

      The border security industry also provides security to the oil industry that is one of main contributors to the climate crisis and even sit on each other’s executive boards

      - The world’s 10 largest fossil fuel firms also contract the services of the same firms that dominate border security contracts. Chevron (ranked the world’s number 2) contracts with Cobham, G4S, Indra, Leonardo, Thales; Exxon Mobil (ranking 4) with Airbus, Damen, General Dynamics, L3Harris, Leonardo, Lockheed Martin; BP (6) with Airbus, G4S, Indra, Lockheed Martin, Palantir, Thales; and Royal Dutch Shell (7) with Airbus, Boeing, Damen, Leonardo, Lockheed Martin, Thales, G4S.
      – Exxon Mobil, for example, contracted L3Harris (one of the top 14 US border contractors) to provide ‘maritime domain awareness’ of its drilling in the Niger delta in Nigeria, a region which has suffered tremendous population displacement due to environmental contamination. BP has contracted with Palantir, a company that controversially provides surveillance software to agencies like the US Immigration and Customs Enforcement (ICE), to develop a ‘repository of all operated wells historical and real time drilling data’. Border contractor G4S has a relatively long history of protecting oil pipelines, including the Dakota Access pipeline in the US.
      - The synergy between fossil fuel companies and top border security contractors is also seen by the fact that executives from each sector sit on each other’s boards. At Chevron, for example, the former CEO and Chairman of Northrop Grumman, Ronald D. Sugar and Lockheed Martin’s former CEO Marilyn Hewson are on its board. The Italian oil and gas company ENI has Nathalie Tocci on its board, previously a Special Advisor to EU High Representative Mogherini from 2015 to 2019, who helped draft the EU Global Strategy that led to expanding the externalisation of EU borders to third countries.

      This nexus of power, wealth and collusion between fossil fuel firms and the border security industry shows how climate inaction and militarised responses to its consequences increasingly work hand in hand. Both industries profit as ever more resources are diverted towards dealing with the consequences of climate change rather than tackling its root causes. This comes at a terrible human cost. It can be seen in the rising death toll of refugees, deplorable conditions in many refugee camps and detention centres, violent pushbacks from European countries, particularly those bordering the Mediterranean, and from the US, in countless cases of unnecessary suffering and brutality. The International Organization for Migration (IOM) calculates that 41,000 migrants died between 2014 and 2020, although this is widely accepted to be a significant underestimate given that many lives are lost at sea and in remote deserts as migrants and refugees take increasingly dangerous routes to safety.

      The prioritisation of militarised borders over climate finance ultimately threatens to worsen the climate crisis for humanity. Without sufficient investment to help countries mitigate and adapt to climate change, the crisis will wreak even more human devastation and uproot more lives. But, as this report concludes, government spending is a political choice, meaning that different choices are possible. Investing in climate mitigation in the poorest and most vulnerable countries can support a transition to clean energy – and, alongside deep emission cuts by the biggest polluting nations – give the world a chance to keep temperatures below 1.5°C increase since 1850, or pre-industrial levels. Supporting people forced to leave their homes with the resources and infrastructure to rebuild their lives in new locations can help them adapt to climate change and to live in dignity. Migration, if adequately supported, can be an important means of climate adaptation.

      Treating migration positively requires a change of direction and greatly increased climate finance, good public policy and international cooperation, but most importantly it is the only morally just path to support those suffering a crisis they played no part in creating.

      https://www.tni.org/en/publication/global-climate-wall

  • Philosophie du fil de fer #barbelé

    A l’ère des caméras de #vidéosurveillance, de l’#identification_biométrique ou encore du mobilier urbain dissuasif, on aurait pu croire le barbelé obsolète. Il reste pourtant largement utilisé dans le monde entier, même si, en Occident, où il demeure associé aux #camps_de_concentration, on le réserve à des usages bien circonscrits. Inventorier ses multiples emplois ou ses substituts s’avère riche d’enseignements.

    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/08/RAZAC/49559

    #frontière