• « Faire du brevet l’examen de l’entrée en seconde, c’est la fin programmée du collège unique », Claude Lelièvre

    Invité à préciser ce qu’il entendait par « libéralisme avancé », le président de la République Valéry Giscard d’Estaing (« VGE ») déclarait, sur RTL, le 20 mai 1975 : « Il y a dans la pensée de gauche des éléments positifs importants dont je compte bien m’inspirer ; ce qui fait que, dans l’action libérale avancée, il y a beaucoup d’idées de gauche qui doivent être mises en œuvre. »

    Quelques-unes d’entre elles ont alors défrayé la chronique : création d’un secrétariat à la condition féminine, loi Veil sur l’IVG, abaissement de l’âge de la majorité à 18 ans, regroupement familial pour les immigrés, collège unique.

    On aurait pu penser qu’avec son antienne du « en même temps », la présidence d’Emmanuel Macron s’inscrirait dans cette filiation. On voit clairement qu’il n’en est rien. La loi Veil sur l’IVG a été adoptée avec l’appui de l’ensemble des députés de gauche le 20 décembre 1974 et une minorité de parlementaires de droite.

    A contrario, la récente loi sur l’immigration a été adoptée avec l’appui de l’ensemble des députés du Rassemblement national. Par ailleurs, Michelle Perrot, la grande spécialiste de l’histoire des femmes, a pu se dire « scandalisée » par les propos d’Emmanuel Macron concernant l’affaire Depardieu.

    Rupture avec la « tradition républicaine »

    La conception du « collège unique » est une version française de l’« école de base » suédoise (sociale-démocrate), de la « comprehensive school » (travailliste), de la « Gesamtschule » (sociale-démocrate). Dans le cadre du « libéralisme avancé », le collège unique a été voulu et porté personnellement par Valéry Giscard d’Estaing, mais a rencontré de nombreuses oppositions, en particulier dans son propre camp politique. Encore en octobre 1991, Alain Juppé (alors secrétaire général du RPR) proclamait qu’il fallait « casser le collège unique ». Mais, dans son livre paru en vue de la campagne présidentielle de 2017, il ne prônait plus que quelques aménagements.

    Marine Le Pen, elle, a proposé dans son programme pour l’élection présidentielle de 2022 une arme de « destruction massive » afin d’en finir avec le collège unique : « Le diplôme national du brevet deviendra un examen d’orientation post-troisième. » L’ex-ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a repris pour l’essentiel cette prescription en annonçant que le brevet serait désormais une condition nécessaire pour entrer en seconde (générale et/ou technologique ?), ce qu’il n’a jamais été jusque-là. Faire du brevet l’examen de l’entrée en seconde, c’est choisir sans appel que le collège doit être une propédeutique au lycée, et non pas la deuxième phase d’une instruction obligatoire (pour tous).

    C’est la fin programmée du collège unique et de son sens originel initié dans le cadre du libéralisme « avancé ». « VGE » avait été très net, en 2001 : « Le débat doit se concentrer sur cette question : quels savoirs donner à cet ensemble de jeunes qui constituent un acquis culturel commun ? On n’a guère avancé depuis vingt-cinq ans. Au lieu d’avoir rabattu tout l’enseignement des collèges vers l’enseignement général, les rapprochant des classes de la 6e à la 3e des lycées d’autrefois, en un peu dégradé, il aurait mieux valu en faire une nouvelle étape de la construction du cycle scolaire. »

    Le renoncement aux ambitions portées par le libéralisme « avancé » dans certains domaines peut parfois aller plus loin et rompre non seulement avec le « libéralisme avancé » mais même avec la simple « tradition républicaine ». On peut en prendre pour exemple significatif la volonté réitérée constamment ces derniers mois par l’ex-ministre de l’éducation nationale d’aller vers une forte « labellisation » ministérielle des manuels scolaires.

    Le choix des manuels scolaires, question vive

    La question du choix des manuels scolaires a été une question vive lors de l’instauration de l’école républicaine et laïque, sous la IIIe République. Le 6 novembre 1879, le directeur de l’enseignement primaire, Ferdinand Buisson, dans une note adressée à Jules Ferry, indique qu’« il y aurait de graves inconvénients à imposer aux maîtres leurs instruments d’enseignement » et qu’« il n’y en a aucun à leur laisser librement indiquer ce qu’ils préfèrent ».

    En conséquence, Jules Ferry signe, le 16 juin 1880, un arrêté qui fait largement appel au concours des maîtres et il souligne que « cet examen en commun deviendra un des moyens les plus efficaces pour accoutumer les enseignants à prendre eux-mêmes l’initiative, la responsabilité et la direction des réformes dont leur enseignement est susceptible ». Le 13 octobre 1881, une circulaire établit, pour les professeurs de collèges et lycées, des réunions mensuelles en leur confiant le choix des livres de classe.

    L’école républicaine instituée sous la IIIe République s’est ainsi distinguée nettement de ce qui l’a précédée et de ce qui l’a suivie dans ce domaine. Par exemple, François Guizot, ministre de l’instruction publique en 1833, a fait paraître des manuels scolaires officiels dans les cinq matières principales de l’école primaire. Et, dès l’arrivée de Philippe Pétain au pouvoir, un décret du 21 août 1940 a mis un terme à l’attitude libérale qui avait prévalu : ce décret ne traite plus de la liste « des livres propres à être mis en usage » mais de celle « des livres dont l’usage est exclusivement autorisé ».

    A la Libération, le 9 août 1944, une ordonnance annule « tous les actes relatifs à l’interdiction de livres scolaires ou instituant des commissions à l’effet d’interdire certains livres ».

    En miroir, on peut rappeler la réponse du ministre de l’éducation nationale Alain Savary à une question écrite de parlementaires en avril 1984 à propos d’un manuel incriminé : « Le ministre ne dispose pas du pouvoir d’injonction lui permettant de faire retirer ni même de faire amender un ouvrage. Il n’exerce aucun contrôle a priori sur le contenu des manuels scolaires et il n’a pas l’intention de modifier la politique traditionnellement suivie à cet égard. Il n’existe pas de manuels officiels, pas plus qu’il n’existe de manuels recommandés ou agréés par le ministère de l’éducation nationale. Il y a eu dans le passé des tentatives allant dans ce sens, avec risques de censure. »

    Oui, dans bien des domaines, on est désormais loin de l’horizon d’un certain libéralisme « avancé » qui se voulait « moderniste » : ce qui se profile, c’est presque sans fard un libéralisme « d’attardés » plus ou moins assumé.

    Claude Lelièvre est l’auteur de L’Ecole d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire (Odile Jacob, 2021).

    https://www.lemonde.fr/education/article/2024/01/16/faire-du-brevet-l-examen-de-l-entree-en-seconde-c-est-la-fin-programmee-du-c

    #école #BEPC #collège

    • « Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise une forme d’optimisation scolaire », Laurent Frajerman
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/si-le-recit-egalitaire-perdure-l-etat-organise-une-forme-d-optimisation-scol

      L’ancien ministre Gabriel Attal avait annoncé, en novembre 2023, avant sa nomination comme premier ministre le 9 janvier, un important train de mesures pour réformer l’éducation nationale, incluant d’aborder la « question du tabou du #redoublement » et de créer des #groupes_de_niveau au collège. Au regard des enquêtes internationales, personne ne conteste plus la baisse du niveau des #élèves français, même de ceux qui figurent parmi les meilleurs.

      L’ex-ministre en avait conclu que l’#enseignement doit se montrer plus exigeant, ce qui correspond à un sentiment très majoritaire. Outre les menaces qu’elles font peser sur la liberté pédagogique, on peut douter que les mesures soient à la hauteur de l’enjeu. Toutefois, ces critiques ne peuvent dissimuler que cela fait plus de dix ans que la dynamique positive qui a démocratisé l’école française a disparu. La panne du modèle actuel, miné par la #ségrégation_sociale et des cures d’#austérité à répétition, impose des changements. Tout l’enjeu étant de savoir si c’est pour revenir aux années 1950 ou pour relancer sa démocratisation.

      Les politiques éducatives menées depuis le général de Gaulle œuvraient pour la scolarisation de tous les élèves du même âge dans une structure identique, dans l’objectif de leur délivrer le même enseignement. En conséquence, les classes ont été marquées par une hétérogénéité croissante, avec son corollaire : une baisse d’exigence, afin de faciliter l’accès de tous les élèves aux anciennes filières élitistes.

      Avec succès, puisque l’#accès_aux_études a été considérablement élargi. Cela s’accompagne du passage presque automatique en classe supérieure. A la fin des années 1960, le redoublement constituait la règle : un tiers des élèves redoublait la classe de CP, contre 1,3 % aujourd’hui. En 2021, seulement 12 % des élèves arrivaient en seconde avec du retard. Devenu résiduel, le redoublement a changé de nature, ne concernant plus que des élèves en forte difficulté, qu’elle soit structurelle ou conjoncturelle.

      Classes moyennes supérieures

      Les enseignants affichent leur scepticisme. Ils ne considèrent pas le redoublement comme une recette miracle, car il peut générer ennui et découragement. Toutefois, ils se trouvent démunis devant l’écart grandissant entre les meilleurs élèves, qu’il faut stimuler, et ceux qui cumulent les difficultés de compréhension. Ils constatent que plus les années de scolarité passent, plus l’échec s’enkyste, moins la notion de travail scolaire ne revêt de sens, générant quelquefois une attitude perturbatrice.

      Gabriel Attal en a tiré d’ailleurs argument pour dénoncer l’absurdité de cette situation et la souffrance qu’elle génère pour les élèves. Nombre d’enseignants vivent une situation d’autant plus ingérable que, paradoxalement, si l’affichage est homogène, le rêve de l’école commune s’éloigne.

      Jusque-là, la sociologie de l’éducation dénonçait les limites de cette politique de massification. Les inégalités sociales étant structurelles, le système est d’abord soumis aux effets de la #ségrégation-spatiale. Quoi de commun entre un collège en éducation prioritaire et un autre situé en centre-ville d’une métropole ?

      Quatre types d’école cohabitent, donc : l’#école_publique normale, celle en #éducation_prioritaire, l’école publique élitiste, et l’#école_privée. Aujourd’hui, avec le développement d’un #marché_scolaire, nous vivons une nouvelle phase. L’Etat aggrave la fracture existante en créant des établissements dérogatoires et de nouvelles #filières_élitistes sélectionnant par les langues, critère socialement discriminant. Pire, il subventionne massivement sa propre concurrence, l’enseignement privé.

      Le privé accueille de plus en plus d’élèves des milieux favorisés, au détriment de la mixité sociale. Les difficultés se concentrent alors dans l’école publique « normale ». Seule à supporter réellement les contraintes de la démocratisation, celle-ci n’en est que plus répulsive pour les classes moyennes et supérieures, générant un terrible cercle vicieux. Si le récit égalitaire perdure, l’Etat organise en réalité une forme d’#optimisation_scolaire au détriment de ceux qui n’ont pas d’échappatoire.

      Depuis une quinzaine d’années, les enquêtes internationales nous alertent sur l’aggravation du poids des #inégalités_sociales dans les résultats scolaires. Ce constat est dissimulé par l’invisibilisation de la #compétition. D’un côté, les notes ont été remplacées par les compétences, de l’autre, elles connaissent une inflation qui, malheureusement, ne reflète pas une hausse du niveau réel. En 2022, 59 % des bacheliers ont obtenu une mention. Ils étaient moins de 25 % en 1997… Le flou qui en résulte bénéficie aux familles les plus informées sur la règle du jeu, ou capables de payer coachs et cours particuliers.

      Politique éducative « discount »

      Le second vice de fabrication de la démocratisation scolaire est son caractère « discount ». Par exemple, l’argent économisé par la quasi-suppression du redoublement n’a guère été réinvesti dans des dispositifs permettant d’épauler les élèves en difficulté. Autrefois, les enseignants encadraient les élèves dans leurs exercices et l’apprentissage du cours en dehors des heures de classe. Aujourd’hui, ce type de travail est généralement confié à des étudiants bénévoles ou à des animateurs ou surveillants peu qualifiés. Même dans le dispositif « Devoirs faits » en collège, la présence d’enseignants est optionnelle.

      De nombreux choix proviennent de la #rationalisation_budgétaire : chasse aux options, suppression progressive des dédoublements de classe. Par exemple, en 2010, un élève de 1re L avait obligatoirement six heures de cours en demi-groupe (en français, langues, éducation civique, mathématiques et sciences). Aujourd’hui, les établissements ont toujours la latitude de créer de tels groupes, mais en prenant dans une enveloppe globale qui se réduit d’année en année et sans qu’un nombre maximum d’élèves ne soit prévu.
      Le pouvoir d’achat des #enseignants a baissé d’environ 20 %, source d’économie massive sur les salaires. Les effets commencent seulement à en être perçus : crise du recrutement, hausse exponentielle des démissions et professeurs en place démotivés par le déclassement de leur métier. Les promoteurs de cette politique leur préfèrent des enseignants précaires et sous-qualifiés, sommés de suivre les injonctions pédagogiques du moment. Remarquons que ces #contractuels sont nettement plus nombreux dans les établissements difficiles de l’enseignement public…

      Depuis 2002, les gouvernements de droite et de centre droit suppriment des postes d’enseignant. Malgré le redressement opéré sous François Hollande, le solde reste négatif, avec moins 36 500 postes. Le second degré a été particulièrement affecté, avec un solde de moins 54 700 postes, au nom de la priorité au primaire. Un maillon essentiel de la chaîne éducative a donc été fragilisé, alors que c’est le lieu de maturation des contradictions du système. Quel sens cela a-t-il d’habituer un élève de REP + à des classes de quinze élèves pour, devenu adolescent, le mettre dans une classe de vingt-cinq au collège ? Ces politiques de ciblage, censées produire des résultats visibles à un moindre coût, créent souvent inégalités et incohérences.

      Aujourd’hui, la France dépense 1 point de moins du PIB pour l’éducation qu’en 1995. Si on appliquait aujourd’hui les ratios en usage à l’époque, le budget consacré à l’avenir du pays augmenterait de 24 milliards d’euros, dont 15,5 milliards d’euros dépensés par l’Etat. Ce sous-investissement chronique se paie par la crise de notre #système_scolaire. Un débat sans arguments d’autorité s’impose donc, sous peine que les idéaux généreux et les politiques cyniques aboutissent définitivement à une école à plusieurs vitesses, dans laquelle les #classes_populaires seront assignées à un enseignement public dégradé.

      Laurent Fajermann est professeur agrégé d’histoire au lycée Lamartine, sociologue, chercheur associé au Centre de recherches sur les liens sociaux, du CNRS

    • Philippe Mangeot (philippe.duke ) sur Instagram :

      Lecture effarée du rapport de l’enquête administrative de l’Inspection générale sur le collège Stanislas, que publie dans son intégralité @mediapart. Toutes les informations qui circulaient sur les pratiques de cet établissement privé sous contrat sont corroborées et objectivées : contournement de la loi et de Parcoursup, pédagogie brutale et assumée comme telle, programmes non respectés, enseignement sexiste et homophobe..

      À ce stade, le scandale n’est pas seulement que la ministre de l’Éducation nationale ait choisi d’y inscrire ses enfants, contournant l’enseignement public au profit d’une école privée où se cultive l’entre-soi. Il est que le ministère dirigé à l’époque par Gabriel Attal a mis ce rapport sous le boisseau depuis qu’il lui a été rendu en juillet dernier, refusant de le rendre public.

      Mais il est également que cette institution privée, qui viole en toute impunité le contrat qui la lie à l’État, est mieux dotée, sur fonds publics, que la quasi-totalité des établissements scolaires publics de Paris, comme l’a révélé en janvier dernier une enquête de @lemondefr. L’argent public favorise Stanislas, c’est-à-dire les familles les plus fortunées : les « trois petits garçons » de Madame Oudéa-Castéra ont coûté plus cher à l’État.que les élèves du public.

      L’anagramme de Stanislas dit une vérité : la complaïisäncé : des pouvoirs publics à l’égard d’un établissement qui devrait n’avoir aucune place dans « l’École de la République », comme dit la ministre, nous salit tous et toutes.

  • Livre de #Cagé et #Piketty : les #data sont un sport de combat | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/politique/120923/livre-de-cage-et-piketty-les-data-sont-un-sport-de-combat?userid=554f9cc5-

    dommage de ne pas parler de la théorie du #bloc_bourgeois de #bruno_amable et #stefano_palombarini, qui étudient ces sujet et avaient identifié une large série de résultats de cette étude il y a plus de 10ans, et dont la primauté n’est rappelé dans aucun média...

    • oups, merci @rastapopoulos

      le voici :

      Livre de Cagé et Piketty : les data sont un sport de combat
      L’essai de la rentrée s’intitule « Une histoire du conflit politique ». Constats implacables fondés sur des données inédites, formulation de propositions, mais aussi limites politiques et méthodologiques. Recension critique.

      Joseph Confavreux

      12 septembre 2023 à 16h52


      SortiSorti en librairie vendredi 8 septembre, Une histoire du conflit politique (Le Seuil), signé Julia Cagé et Thomas Piketty, caracole déjà en tête des ventes de « non-fiction ». Pourquoi ce pavé aride de géographie électorale rencontre-t-il un tel succès, bien que ses conclusions ne soient que rarement contre-intuitives et qu’une partie du monde de la recherche fasse la fine bouche, en jugeant que beaucoup d’éléments synthétisés dans ce livre sont déjà connus ?

      La réponse ne tient qu’en partie à la notoriété de ses auteurs et à la mécanique bien huilée d’une promotion qui réserve au groupe Le Monde et à Radio France le droit de briser l’embargo avant parution auquel les autres journalistes sont prié·es de se tenir.

      Le succès public et médiatique du livre tient avant tout à ce qu’il existe peu de chercheurs et de chercheuses n’espérant rien de moins que trouver des solutions concrètes aux dysfonctionnements de la démocratie française, aux impasses de la vie politique du pays et aux inégalités qui en sapent les contours. L’ouvrage prolonge d’ailleurs souvent certaines analyses et propositions déjà élaborées dans Le Capital au XXIe siècle pour Thomas Piketty et Le Prix de la démocratie pour Julia Cagé.

      Il existe encore moins de chercheurs et de chercheuses qui élaborent à l’appui de leurs démonstrations – en en ayant les moyens financiers et humains – des bases de données aussi volumineuses qu’inédites. L’ouvrage de Cagé et Piketty, avec le site exceptionnel d’accessibilité et d’exhaustivité qui lui est adossé (unehistoireduconflitpolitique.fr), constitue en effet un outil qui dépasse parfois ceux de la statistique publique.

      Un des plus grands mérites du projet est ainsi d’avoir numérisé les résultats de toutes les élections, à l’échelle communale, en France métropolitaine, depuis la Révolution. Et de saisir ainsi une histoire politique en profondeur, alors que nous avons collectivement tendance à nous contenter des évolutions depuis l’après-Seconde Guerre mondiale.

      Cette profondeur historique permet notamment, jugent Cagé et Piketty, de mieux saisir la tripartition politique actuelle entre un bloc de gauche, un bloc social-libéral et un bloc national-patriote, qui ne peut « être correctement analysée qu’en remontant deux siècles en arrière », et notamment à la répartition en trois blocs ayant déjà existé entre 1848 et 1910. De ce fait, « au-delà de son intérêt historique et de la nouvelle base de données qu’il propose, cet ouvrage permet d’apporter un regard neuf sur les crises du présent et leur possible dénouement », vantent les deux chercheurs.

      Et il est vrai qu’en analysant les « déterminants socioéconomiques des comportements politiques » ou, dit plus simplement, « qui vote pour qui et pourquoi », Julia Cagé et Thomas Piketty proposent avec cette large enquête historique un socle pour penser plusieurs éléments essentiels de la politique contemporaine.

      La « régression » démocratique
      Le premier constat documenté est celui d’« une crise d’une ampleur inégalée de notre système démocratique ». Ce constat n’est pas neuf, mais il se révèle vertigineux sous la plume de Julia Cagé et Thomas Piketty. Il s’observe notamment par la chute de la participation électorale au cours des dernières décennies et par le fait qu’elle « s’accompagne d’un écart croissant de participation entre les territoires riches et pauvres, écart qui n’existait pas (ou beaucoup moins nettement) au cours des périodes précédentes, que ce soit au XXe siècle ou au XIXe siècle ».

      Nous avons donc sous les yeux une « régression démocratique particulièrement inquiétante. La démocratie se fonde en effet sur une promesse de participation du plus grand nombre aux décisions publiques, or, deux siècles après la Révolution française, les classes populaires semblent se retirer du jeu électoral dans des proportions inédites. »

      La participation législative, qui oscillait entre 70 % et 80 % de 1848 jusqu’aux années 1980-1990, a ainsi dévissé pour se retrouver à tout juste 50 % en 2017 et 2022. Un déclin étroitement corrélé à la pauvreté puisque, aux dernières élections législatives, le taux de participation moyen dans les 10 % des communes les plus aisées a été supérieur de près de 11 points à celui observé dans les 10 % des communes les plus pauvres.

      En première approche, on pourrait penser que « la montée des inégalités pourrait avoir contribué à nourrir un sentiment d’abandon et un découragement politique au sein des communes les plus pauvres ». Mais, notent Cagé et Piketty, les « écarts de richesse entre communes étaient encore plus élevés au XIXe siècle ou au début du XXe siècle que ce qu’ils sont en ce début de XXIe siècle, et pourtant les écarts de taux de participation n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui. La perception d’une forte injustice ne nourrit pas nécessairement l’abstention : dans l’absolu, elle peut tout aussi bien alimenter une forte mobilisation, suivant la nature de l’offre politique qui est proposée ».

      Le facteur déterminant est donc l’offre politique et sa capacité de représenter des territoires et des populations. Alors que la participation aux élections est généralement plus forte dans le monde rural que dans le monde urbain pendant quasiment deux siècles, de 1848 à 2022, il existe une exception importante entre 1920 et 1970, en lien avec une forte mobilisation ouvrière en direction du Parti communiste qui se concentre dans les villes et banlieues.

      Le fait que les ouvriers participent relativement moins aux élections est certes un résultat connu. Mais ce que permet de mettre au jour l’approche historique sur plus de deux siècles est « la nouveauté de ce phénomène et son aggravation » aussi récente que massive.

      De ce fait, le vote pour le « bloc central libéral-progressiste » enregistré lors du scrutin de 2022 apparaît comme le plus « bourgeois » de toute l’histoire électorale française depuis la Révolution…

      Les contours de la classe géo-sociale
      Le second enjeu majeur de l’ouvrage consiste, à la suite d’autres chercheuses et chercheurs, à complexifier la notion de classe afin d’inscrire les inégalités de richesse dans les territoires. Pour les auteurs, « la classe sociale existe et n’a jamais cessé de jouer un rôle déterminant dans la confrontation politique, mais pour être féconde, elle doit être envisagée dans une perspective multidimensionnelle et spatiale ».

      Ils reprennent la notion de « classe géo-sociale », proposée par le philosophe Bruno Latour, mais « comprise de façon plus large dans ses dimensions socio-économiques », comprenant notamment la question des inégalités d’accès aux transferts sociaux et aux services publics (écoles, hôpitaux, équipements sportifs et culturels…), la détention des moyens de production, la hiérarchie des salaires et des revenus, l’accès à la propriété et au logement…

      Soucieux de s’adresser à un « lecteur-citoyen », Julia Cagé et Thomas Piketty exposent les différences de comportements électoraux dans des unités territoriales qui parlent à tout le monde : les métropoles, les banlieues, les bourgs et les villages.

      Les principales conclusions de cette lecture socio-spatiale de deux siècles d’élections sont d’abord que les inégalités territoriales, qui avaient connu une réduction significative depuis le XIXe siècle, sont reparties à la hausse depuis les années 1980-1990, d’une façon encore plus prononcée que les inégalités de revenus ou de patrimoine. En 2002, le revenu moyen des 1 % des communes les plus riches est ainsi plus de huit fois plus élevé que celui des 1 % des communes les plus pauvres, alors que cet écart était à peine supérieur à cinq au début des années 1990.

      Toutefois, la « convergence vers le bas des banlieues pauvres et des bourgs pauvres », sous l’effet de la polarisation spatiale accrue du territoire français et de la concentration des richesses dans les métropoles, est à mettre en regard du fait que « les comportements politiques de ces différents territoires ont profondément divergé au cours des dernières décennies ». Tout l’ouvrage vise à comprendre ce paradoxe et les conditions de son possible dépassement.

      Le rapport déterminant à la propriété
      Ces analyses socio-spatiales permettent ensuite de mettre au centre du conflit électoral et politique le rapport à la propriété. L’ouvrage insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de différencier les inégalités face aux revenus et à la propriété parce qu’elles « sont imparfaitement corrélées et ont toutes deux un impact majeur sur les conditions de vie, et d’autre part car elles nourrissent des imaginaires, des visions du monde et des comportements politiques » qui ne sont pas exactement les mêmes.

      Depuis 1990-2000, une des variables les plus significatives pour expliquer les différentiels de participation est la proportion de ménages propriétaires de leur logement, alors qu’il n’existait aucun effet significatif de ce type auparavant. L’impact de la proportion de propriétaires sur le vote pour les différents courants politiques est également patent, « avec en l’occurrence un effet de plus en plus net sur le vote FN-RN depuis 2000-2010 ».

      La proportion de ménages propriétaires de leur logement a toujours été plus élevée dans les villages et les bourgs, puis dans les banlieues et enfin dans les métropoles. Or, écrivent Piketty et Cagé, le fait de « se retrouver durablement endetté pour rembourser son pavillon, avec les efforts d’épargne et de stabilité professionnelle et personnelle que cela implique, contribue en outre à forger des valeurs et des identités qui se définissent en partie par opposition à d’autres groupes qui ne sont pas lancés dans une telle trajectoire ».

      Que ces « différences soient en partie artificielles », parce qu’un loyer peut aussi demander des efforts contraignants, n’enlève « rien à leur force, dans un monde où la connaissance des autres classes socio-spatiales et de leurs expériences concrètes de vie est par nature relativement limitée ».

      Si les partis de gauche et écologistes souhaitent regagner du terrain auprès des classes populaires des villages et des bourgs [...], il faudra également soutenir les aspirations populaires à la propriété individuelle.

      Julia Cagé et Thomas Piketty
      Pour Cagé et Piketty, une des raisons de la croissance du vote FN-RN (Front National-Rassemblement national) est à chercher là. Avec le diplôme, la « seconde distinction extrêmement marquée entre le vote de gauche et le vote FN concerne la relation à la propriété », dans la mesure où le bulletin Le Pen serait largement un vote de « petits-moyens » accédants à la propriété.

      Ce qui expliquerait notamment pourquoi le RN a proposé, lors des élections de 2022, une importante extension du PTZ (prêt à taux zéro), où chaque famille pourrait désormais bénéficier de la part de l’État d’un prêt de 100 000 euros sans intérêts, et ajouté que ce prêt ne serait plus remboursé à partir de la naissance du troisième enfant, mêlant ainsi deux éléments clés du discours lepéniste : l’accession à la propriété et la thématique nataliste.

      « Si les partis de gauche et écologistes souhaitent regagner du terrain auprès des classes populaires des villages et des bourgs, jugent donc les auteurs, il ne suffira pas de défendre les services publics. Il faudra également soutenir les aspirations populaires à la propriété individuelle, aussi bien d’ailleurs dans le monde rural que dans le monde urbain. »

      Tripartition politique et division spatiale des classes populaires
      Ces données socio-spatiales aident ainsi à saisir la dynamique de certains partis, comme le RN, ou au contraire les difficultés d’autres organisations, notamment à gauche. Julia Cagé et Thomas Piketty y lisent aussi la source de la tripartition politique contemporaine, le bloc centriste-libéral au pouvoir profitant de la division entre les classes populaires rurales et urbaines, que les forces de gauche étaient parvenues à réduire à plusieurs époques du XXe siècle.

      Cette impasse structurelle du bloc de gauche n’est soluble, pour les auteurs, qu’à une condition : briser la « tendance répétée à considérer le monde rural comme structurellement conservateur, éternellement soumis aux puissants et perpétuellement rétif au progrès et à la démocratie, alors que le monde urbain serait porteur de valeurs de modernité et de changement ».

      Si tant de paysans ont tourné le dos à la Révolution française, rappellent Piketty et Cagé en reprenant les études fondatrices de Paul Bois et de Charles Tilly, « ce n’est pas parce qu’ils seraient subitement devenus conservateurs. C’est parce qu’ils ont été profondément déçus dans leur espoir d’accéder à la propriété et de cesser de travailler pour les autres ».

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      30 août 2018
      La configuration actuelle est similaire, dans la mesure où le monde des villages et des bourgs perçoit, à juste titre, l’évolution des inégalités non comme « la conséquence de forces naturelles ou exogènes », telles que la mondialisation ou le progrès technique, mais comme découlant de choix politiques : priorité donnée aux TGV sur les TER, choix de localisation des hôpitaux et des écoles…

      La difficulté supplémentaire est que le creusement du clivage politico-spatial a, tout récemment, été préempté par le FN-RN et catalysé par un phénomène d’ampleur, à savoir la « ruralisation » du vote pour le FN-RN. L’évolution est « spectaculaire » puisque lors des législatives de 1986-1988, le vote FN est concentré dans les banlieues et les métropoles.

      Lors des législatives de 2017-2022, la situation « a changé du tout au tout » : le bloc social-écologique rassemblant les partis de gauche et écologiques est beaucoup mieux implanté dans le monde urbain que dans le monde rural, alors qu’à l’inverse le bloc national-patriote réalise des scores près de deux fois plus élevés dans les villages et les bourgs que dans les banlieues et les métropoles.

      © Infographie Mediapart
      Contre l’idée d’une progression inéluctable du parti de Marine Le Pen, les auteurs rappellent toutefois que le vote FN a pu baisser, passant au premier tour des législatives de 15 % en 1997 et 11 % en 2002 à 4 % en 2007. En 2007-2012, le score ne s’est pas envolé par rapport à 1986-1988 mais « le profil territorial s’est complètement inversé ».

      Autre enseignement : lors des législatives de 1988, le vote FN n’est pas seulement urbain, « il est concentré au sein des communes urbaines ayant la plus forte proportion d’étrangers ». Une relation avec la présence étrangère qui disparaît presque complètement en 2017-2022…

      Cet élément fait partie du troisième enjeu crucial du livre : sa volonté de montrer que, même si les thématiques identitaires saturent l’espace médiatique et politique, elles ne structurent pas pour autant les comportements électoraux, qui demeurent déterminés, en premier lieu, par les conditions socio-économiques.

      Le faux-nez des thématiques identitaires
      Les auteurs reconnaissent bien qu’il est difficile de séparer « ce qui relève du conflit identitaire et du conflit classiste » car ces dimensions sont imbriquées, hier comme aujourd’hui : « À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, le conflit religieux est intiment lié à la question de la redistribution des terres de l’Église et de leur accaparement par les élites urbaines, puis à la question du système scolaire et particulièrement de la scolarisation des jeunes filles, largement oubliées par le système public et étatique. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le conflit migratoire est étroitement imbriqué avec la question des territoires et des services publics et les perceptions croisées d’abandon et de favoritisme qui se sont développées à ce sujet, notamment entre bourgs et banlieues. »

      Mais, en dépit de la nouvelle diversité des origines qui composent la société française et d’une diversité religieuse inédite, l’un des principaux résultats de l’enquête est que « les variables sociologiques liées à la richesse, à la profession ou au diplôme sont des déterminants autrement plus importants de vote que les variables liées aux origines ». Pour les auteurs, « le fait que le débat public se focalise souvent sur les questions identitaires témoigne avant tout de l’oubli de la question sociale et de l’abandon de toute perspective ambitieuse de transformation du système économique ».

      On voit à quel point un système rigide de catégories ethno-raciales du type blanc / noir / maghrébin / asiatique inspiré de celui appliqué aux États-Unis pourrait avoir des effets pervers dans le contexte français.

      Julia Cagé et Thomas Piketty
      La France demeure certes le pays « où l’écart entre la perception et la réalité est le plus élevé » concernant la présence de l’islam, puisque les personnes interrogées répondent en moyenne que les musulman·es représentent 31 % de la population, soit 23 points de plus que la réalité (8 %) ! Toutefois, l’interpréter comme « le signe d’une peur de submersion culturelle et migratoire et de “grand remplacement” à laquelle aucun argument rationnel et aucune tentative ne pourraient s’opposer » serait d’un pessimisme excessif, jugent les auteurs. Pour au moins deux raisons.

      D’abord, le processus de métissage « se déroule beaucoup plus rapidement que ce que l’on imagine parfois, au sens où les origines mixtes deviennent ultra-majoritaires dès la troisième génération ». L’enquête TeO organisée par l’Ined (Institut national d’études démographiques) et l’Insee montre par exemple que la proportion d’intermariages atteint 30-35 % pour les personnes ayant une origine nord-africaine à la génération précédente, soit le même niveau que pour celles ayant une origine portugaise.

      Compte tenu de cette prépondérance des origines mixtes, estiment Julia Cagé et Thomas Piketty à propos d’un débat récurrent, « on voit à quel point un système rigide de catégories ethno-raciales du type blanc / noir / maghrébin / asiatique inspiré de celui appliqué aux États-Unis pourrait avoir des effets pervers dans le contexte français. Il obligerait chacun à devoir choisir une identité principale au détriment des autres et pourrait contribuer à rigidifier ainsi les frontières entre groupes et à exacerber les antagonismes ».

      Ensuite, ces thématiques identitaires portées médiatiquement et politiquement ne « prennent » pas vraiment électoralement. « Les facteurs liés à la religion ou aux origines jouent un rôle non négligeable, écrivent les auteurs. Simplement, ce rôle est quantitativement beaucoup moins important que celui de la classe géo-sociale et tend à être absorbé par cette dernière. Ces résultats s’inscrivent en faux contre l’idée d’une “ethnicisation” du conflit politique français et d’une inexorable montée en puissance des clivages “communautaires”, très diffusée dans le débat public. »

      Les scores désastreux aux dernières élections législatives de personnages comme Manuel Valls ou Jean-Michel Blanquer, qui en ont fait leur fonds de commerce, pourraient constituer d’autres signes de ces affirmations.

      Ces éléments structurants posés, les auteurs formulent plusieurs propositions et hypothèses qui, davantage que leurs analyses, prêtent le flanc à la discussion ou à la critique.

      Une tripartition politique instable ?
      La plus importante est leur idée que la tripartition politique actuelle serait suffisamment instable pour envisager sa disparition prochaine. Ce qui serait, selon eux, une bonne nouvelle dans la mesure où la bipolarisation, « particulièrement forte entre 1910 et 1992, a eu un impact déterminant et largement positif pour le développement démocratique, social et économique du pays au cours du XXe siècle ».

      Néanmoins, la dimension prédictive des sciences sociales étant quasiment nulle, si l’on excepte peut-être la démographie, il est délicat de se fonder sur l’histoire pour éclairer l’avenir. Il y a certes des leçons à tirer du fait que la « première tripartition » entre 1848-1910 avait comme point commun avec l’actuelle « la division des classes populaires urbaines et rurales entre bloc de gauche et de droite » et qu’un retour de la gauche au pouvoir implique de mettre fin à cette division.

      Ou encore, en cette période de cacophonie à gauche, du fait que « ce sont avant tout les contradictions au sein de l’alliance des trois partis progressistes (communistes, socialistes, radicaux-socialistes) autour du contenu du socialisme démocratique et du régime de propriété qu’ils souhaitent mettre en place » qui ont limité la capacité de ce bloc de gouverner durablement le pays.

      Mais la fin de la tripartition actuelle pourrait mener, comme ils l’évoquent, non à une bipolarisation gauche/droite porteuse de progrès social et démocratique, mais à une bipolarisation entre un bloc libéral et un bloc national-patriote, à l’instar de ce qui se passe en Pologne, où le PiS (Droit et justice) a réussi à conquérir le pouvoir sur la base d’une plateforme sociale axée sur la défense des retraites et la création d’importantes allocations familiales, complétée par un violent discours nationaliste, et se trouve désormais comme seul rival face à un bloc libéral-progressiste.

      On peut aussi estimer que si la tripartition peut effectivement se « lire comme une forme de rente permettant à un bloc opportuniste de se maintenir au pouvoir à moindre risque tout en arrêtant le mouvement vers l’égalité sociale », il demeure optimiste de penser que cette « tripartition est structurellement instable et n’est pas appelée à perdurer sous sa forme actuelle », tant les divisions actuelles de la gauche et son inaptitude à réunir les classes populaires urbaines et rurales sont aujourd’hui flagrantes.

      La possibilité d’une victoire d’une « classe écologique » qui réponde à la fois aux attentes des classes populaires et à la transformation, aussi nécessaire que radicale, du système productif, semble ainsi demeurer lointaine, et impossible si les plus défavorisé·es ne sont pas convaincu·es au préalable que la répartition des efforts et des bénéfices est la plus juste possible.

      Des pistes pour la gauche
      Il n’en reste pas moins que les deux chercheurs font des propositions susceptibles de constituer le socle d’une gauche unie. Comme mettre en place « un système de parité sociale contraignant les partis à présenter au moins 50 % d’ouvriers et d’employés (soit approximativement leur part dans la population active actuellement) sous peine de sanctions dissuasives », sur le modèle de la parité hommes-femmes qui a montré son efficacité.

      Ou encore empêcher qu’en matière scolaire les « établissements privés échappent entièrement » aux « procédures communes », alors que « les questions éducatives ont joué un rôle structurant dans le conflit politique et électoral au cours des deux derniers siècles » et qu’il « en ira certainement de même à l’avenir ».

      Surtout, les auteurs proposent d’agir sur la répartition des richesses pour redistribuer « la propriété en général », au-delà même de la question de l’accès au logement. La gauche pourrait pour cela, jugent les auteurs, « proposer de mettre en place un héritage minimum pour tous à 25 ans, qui, pour fixer les idées, pourrait être à terme de l’ordre de 120 000 euros (environ 60 % du patrimoine moyen par adulte actuellement) ».

      Celui-ci serait financé par les impôts sur le revenu et les patrimoines. À titre d’exemple, rappellent-ils, il suffirait d’introduire « un taux de CSG de 2 % sur les plus grandes fortunes du pays pour rapporter 20 milliards d’euros par an, soit deux fois plus de ressources que toutes les économies réalisées par le projet de réforme des retraites qui a mis le pays à feu et à sang en 2023 ».

      Cette action sur les richesses est sans doute le meilleur moyen de contrer la progression du parti lepéniste, qui a toujours « autant de difficultés à formuler des propositions explicites de mise à contribution des plus riches ».

      Le vote comme expérience subjective
      Une seconde réserve est d’ordre méthodologique. Elle tient en partie au projet lui-même qui est de proposer une « histoire des comportements électoraux et des inégalités socio-spatiales en France de 1789 à 2022 ». La puissance du livre risque, en cherchant à dégager des grandes structures du vote sur le long terme, de se retourner en faiblesse pour penser une partie de la politique contemporaine.

      Par exemple, le soulagement de constater que les crispations identitaires demeurent aujourd’hui des facteurs négligeables du vote par rapport aux inégalités socio-spatiales sera-t-il encore valable demain, alors que les « guerres culturelles » atteignent une intensité rarement égalée dans la structuration des débats publics ?

      Plus généralement, en étudiant sur le long terme les raisons du vote, les auteurs ne manquent-ils pas une large part de celui-ci ? Julia Cagé et Thomas Piketty le reconnaissent : une des « limitations importantes de [leur] démarche et des données [qu’ils ont] rassemblées » est d’avoir observé les élections « au niveau de communes et de territoires, et non au niveau des électeurs individuels ». Peut-on à cette échelle rendre compte de ce qu’ils désignent eux-mêmes comme « la complexité des expériences et des subjectivités individuelles » ?

      Le vote est volatil et les représentations personnelles peuvent influer fortement sur une élection. Et ce jusqu’au tout dernier instant – qu’on se rappelle l’effet de l’affaire « Papy Voise » sur l’élection de 2002 ayant pour la première fois propulsé le FN au second tour de l’élection présidentielle. Ne pourrait-il pas en être de même demain à propos de la guerre en Ukraine ou d’une catastrophe écologique majeure, même si la déflagration climatique peine à se traduire dans les urnes ?

      Un « bloc national-patriote » hétérogène
      Une autre limite méthodologique est que le projet du livre vise, au fond, à donner des éléments pour contrer la progression du bloc « national-patriote » en dénonçant les effets délétères de la mainmise sur le pouvoir du « bloc centriste libéral » et en donnant pour cela quelques outils au bloc de gauche.

      Mais la définition du bloc « national-patriote » qui agrège RN, Reconquête et Les Républicains (LR) est-elle suffisamment solide ? Julia Cagé et Thomas Piketty reconnaissent que « le “bloc national-patriote” n’est pas véritablement un bloc politique au sens où ses différentes composantes auraient bien du mal à gouverner ensemble ».

      Ses trois principales composantes se caractérisent en effet par des bases sociales, territoriales et programmatiques extrêmement différentes, voire totalement opposées. Que les droites soient aujourd’hui en fusion est une réalité largement établie, en France comme en Europe. Mais sur quelles bases distinguer le bloc centriste libéral macroniste de LR, quand le président de la République parle de « décivilisation » et prépare des mesures migratoires que le RN aurait bien du mal à renier ? En outre, dans certains territoires particuliers, une droite encore républicaine ne constitue-t-elle pas encore un rempart contre le RN ?

      Les limites du « conflit politique »
      Une dernière critique conjugue réserves politiques et méthodologiques. En donnant une définition étroite du conflit politique, limité à l’affrontement électoral, Julia Cagé et Thomas Piketty prennent un risque dont ils sont conscients. « L’expérience des années 1920 montre que le basculement institutionnel peut s’opérer très vite et rappelle l’importance décisive du contexte historique et des luttes sociales, au-delà des résultats électoraux obtenus par les différents blocs », écrivent-ils par exemple.

      Dans ces années, « l’ironie veut que ce soit l’une des chambres parlementaires les plus à droite de l’histoire de la République [...] qui a mis en place l’impôt progressif sur les très hauts revenus le plus élevé que le pays n’ait jamais connu ». Un changement de pied qui n’est pas seulement lié aux conséquences de la guerre ou à la révolution de 1917 en URSS, puisqu’il se manifeste aussi aux États-Unis, où l’influence de ces événements est moindre, mais où la demande d’égalité portée par des structures syndicales et partidaires est tout aussi puissante qu’en Europe, surtout après la crise de 1929 perçue comme une faillite des élites libérales.

      Cette réduction du « conflit politique » au cadre électoral est fondée avant tout sur un choix scientifique et méthodologique. Mais n’exprime-t-elle pas aussi une approche du politique qui risque d’être trop mesurée ?

      À propos, par exemple, de la question déterminante de savoir si l’État social forgé au XXe siècle peut continuer à croître, les auteurs notent bien qu’il est « frappant de constater à quel point le développement de l’État social s’est interrompu dans l’ensemble des pays européens depuis 1980-1990 ». Pourtant, écrivent-ils aussi, cela ne doit pas empêcher d’entendre les critiques sur « l’efficacité de l’action publique », voire sur les risques d’augmenter la contribution fiscale des plus mobiles et entreprenants.

      Cagé et Piketty balayent ainsi par exemple d’un revers de main l’idée que « la création monétaire » serait la « solution miracle permettant de financer l’État social et de définir un nouveau modèle économique pour le XXIe siècle », alors que celle-ci est pourtant portée par une partie de la gauche européenne et états-unienne.

      La volonté des deux auteurs de convaincre un public large en restant raisonnables et en mettant la focale sur le cadre électoral est compréhensible, mais elle risque de laisser certains lecteurs et certaines lectrices désemparé·es. Leur analyse de l’accélération et du durcissement des inégalités socio-spatiales peut en effet laisser penser que la priorité, comme les auteurs le rappellent à plusieurs reprises, est certes la reformulation d’une offre politique ambitieuse susceptible d’ébranler les structures du vote mises au jour. Mais que cette reconfiguration électorale risque aussi d’avoir du mal à exister sans quelques coups de béliers politiques portés hors des isoloirs.

      Julia Cagé et Thomas Piketty,
      Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022,
      Éditions du Seuil,
      864 pages, 27 euros

    • Une histoire du conflit politique. Elections et #inégalités_sociales en #France, 1789-2022

      Qui vote pour qui et pourquoi ? Comment la structure sociale des élec­torats des différents courants politiques en France a-t-elle évolué de 1789 à 2022 ? En s’appuyant sur un travail inédit de numérisation des données électorales et socio-économiques des 36 000 communes de France couvrant plus de deux siècles, cet ouvrage propose une his­toire du vote et des inégalités à partir du laboratoire français.

      Au-delà de son intérêt historique, ce livre apporte un regard neuf sur les crises du présent et leur possible dénouement. La tripartition de la vie politique issue des élections de 2022, avec d’une part un bloc central regroupant un électorat socialement beaucoup plus favorisé que la moyenne – et réunissant d’après les sources ici rassemblées le vote le plus bourgeois de toute l’histoire de France –, et de l’autre des classes populaires urbaines et rurales divisées entre les deux autres blocs, ne peut être correctement analysée qu’en prenant le recul historique nécessaire. En particulier, ce n’est qu’en remontant à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, à une époque où l’on observait des formes similaires de tripartition avant que la bipolarisation ne l’emporte pendant la majeure partie du siècle dernier, que l’on peut comprendre les tensions à l’oeuvre aujourd’hui. La tripartition a toujours été instable alors que c’est la bipartition qui a permis le progrès économique et social. Comparer de façon minutieuse les différentes configurations permet de mieux envisager plusieurs trajectoires d’évolutions possibles pour les décennies à venir.

      Une entreprise d’une ambition unique qui ouvre des perspectives nouvelles pour sortir de la crise actuelle. Toutes les données collectées au niveau des quelques 36 000 com­munes de France sont disponibles en ligne en accès libre sur le site unehistoireduconflitpolitique.fr, qui comprend des centaines de cartes, graphiques et tableaux interactifs auxquels le lecteur pourra se reporter afin d’approfondir ses propres analyses et hypothèses.

      https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-du-conflit-politique-julia-cage/9782021454543
      #histoire #élections

    • Manuel Bompard - Cagé, Piketty : à la conquête du 4ème bloc ?
      https://tendanceclaire.org/breve.php?id=43582

      Cela permet d’abord de tordre le cou à une première idée forte, très largement diffusée ces dernières années : non, ce n’est pas l’obsession identitaire qui structure les comportements électoraux mais bien la situation sociale. C’est une mise à distance claire des thèses d’un Christophe Guilly ou d’un Jérôme Fourquet voulant transposer dans notre pays la thèse du choc des civilisations présentée dans le cadre des relations internationales par Samuel Huttington et les néoconservateurs américains.

      Non, la gauche n’a pas perdu le vote populaire

      L’analysé de Cagé et Piketty confirme la structuration du champ politique en 3 blocs distincts que l’on a pu observer lors des élections présidentielles et législatives de 2022. On y retrouve un bloc libéral autour d’Emmanuel Macron : Cagé et Piketty démontrent que le vote pour Emmanuel Macron est « le vote le plus bourgeois de l’histoire. » En effet son volume croît de manière très forte en même temps que le niveau de richesse des individus. A droite, si l’on regroupe l’électorat de Marine le Pen, d’Éric Zemmour et de Valérie Pécresse dans un même bloc « nationaliste », on voit aussitôt combien il est marqué par une très forte contradiction sociale. Car si le vote pour Marine le Pen est davantage populaire que bourgeois, les votes pour Zemmour et Pécresse sont au contraire largement surreprésentés parmi les électeurs les plus riches du pays. Enfin, le bloc social-écologiste qui rassemble les partis de la NUPES se caractérise par des scores plus importants que la moyenne parmi les plus bas revenus et des scores beaucoup plus faibles que la moyenne parmi les plus hauts revenus.

      La présentation de la « composition sociale » des votes des différents blocs permet d’écarter une deuxième idée fausse. Non, la gauche n’a pas « perdu les catégories populaires » : son électorat reste très largement déterminé par le niveau de revenu et c’est dans le vote Mélenchon en 2022 que l’on trouve la plus grande surreprésentation des 10% les plus pauvres du pays. L’électorat traditionnel de l’ancienne gauche s’est désarticulé, sa composante bourgeoise convergeant avec la composante bourgeoise de droite dans le bloc macroniste, tandis que sa composante populaire s’est reportée sur la nouvelle gauche incarnée par la France insoumise. Autrement dit, les classes populaires se sont détachées de « la gauche d’avant », mais elles l’ont fait pour se tourner vers les insoumis.

    • Dans l’article d’origine, une explication toute bête, pour Paris au moins :

      « Actuellement, la question de l’entretien est fondamentale dans les aménagements urbains et les projets de rénovation, car cela a un coût, encore plus quand des villes sont sous pression austéritaire – comme beaucoup de communes de Seine-Saint-Denis, poursuit Matthieu Adam. Embaucher des jardiniers formés pour entretenir les arbres est plus cher que d’avoir un agent qui vient nettoyer une dalle au jet d’eau. Ce qui fait qu’en banlieue la végétation est moins présente. »

      Par ailleurs, nombre de projets de rénovation proposent encore des aménagements très minéralisés, en partie pour réaliser de la prévention situationnelle. « En somme, ne pas planter des arbres est plus pratique pour laisser l’espace urbain ouvert afin de contrôler la population via des caméras de vidéosurveillance, des drones ou la simple vue des patrouilles de police », précise le chargé de recherche CNRS.

    • Pour Marseille, un peu différent, les riches privatisent les quartiers végétalisés :

      « En réalité, Marseille reste une ville très minérale où la végétation est plutôt absente, et la saisonnalité invisible. Les espaces verts urbains représentent seulement 4,6 m² par habitant. C’est moins que Paris (14 m2), indique le géographe Allan Popelard, qui dirige la collection « L’ordinaire du capital » aux éditions Amsterdam. Marseille compte environ dix fois moins d’arbres d’alignement par habitant que les autres grandes villes européennes étudiées. »

      Par ailleurs, le nombre d’arbres y est en nette régression : en 75 ans, le cœur historique de Marseille a perdu la moitié de son patrimoine arboré. Professeure à Aix-Marseille Université et chercheuse au Laboratoire Population Environnement Développement, Élisabeth Dorier précise pour Mediapart : « Dans le centre-ville de Marseille, il existe encore quelques rares cours intérieures avec des arbres. C’est une adaptation ancienne aux chaleurs des quartiers historiques qu’il faut à tout prix préserver. »
      [...]
      Allan Popelard : « Cette division socio-environnementale Nord-Sud résulte des choix d’aménagement opérés notamment sous les mandatures de Gaston Defferre (1953-1986) et Jean-Claude Gaudin (1995-2020). Une politique de classe qui a concentré les externalités négatives dans les quartiers nord. »
      [...]
      Les cartographies de la végétalisation et des revenus des ménages font apparaître au sud de la métropole les quartiers chics du Roucas-Blanc et de la colline Périer (7e et 8e arrondissements) où se trouvent des résidences fermées et végétalisées sous vidéosurveillance.

      Depuis 2007, Élisabeth Dorier se penche avec son équipe de recherche sur l’essor de ces résidences sécurisées. « Dans ces quartiers réservés aux privilégiés, les espaces verts sont progressivement privatisés. La colline Périer est devenue un écrin de verdure privé et bien gardé avec murs, patrouilles de gardiennage et vidéosurveillance, détaille la chercheuse. La fermeture résidentielle est ici un outil de valorisation foncière et d’exclusivité sociale. »

    • @olaf sur le « jardinage urbain », voir les travaux de mon ex-collègue #Marion_Ernwein :

      Les natures de la #ville_néolibérale

      « Zéro phyto », gestion écologique : les #espaces_verts_urbains longtemps conçus sur le mode « nature morte » de la tradition horticole se font de plus en plus vivants. Plus participatifs aussi, comme en témoigne la prolifé­ration des programmes de jardinage collectif. Cet ouvrage invite à com­prendre l’insertion de ces transforma­tions dans les nouvelles logiques de production de la ville et des services urbains.
      Sur la base d’enquêtes de terrain menées à Genève (Suisse) – auprès de responsables administratifs, politiques et associatifs, de travail­leurs de la nature, et de citadins-jar­diniers – il illustre la manière dont les politiques urbaines néolibérales faisant la part belle à l’événement, au managérialisme et aux #partenariats_publics-privés modèlent la ville vi­vante et le rôle qu’y jouent humains et non-humains. En détaillant le traitement réservé à différentes formes de végétaux – horticoles, vivriers, bio-divers – l’ouvrage développe des outils conceptuels pour une #écologie_politique du #végétal_urbain.

      https://www.uga-editions.com/les-natures-de-la-ville-neoliberale-544600.kjsp

      –—

      Et une recension du #livre :
      https://journals.openedition.org/cybergeo/35592

      #nature_en_ville

  • Intelligence artificielle et administration publique numérique
    Cour de cassation
    Cycle 2022 « L’intelligence artificielle : quelle intelligence juridique ? »

    #surveillance #contrôle_social #inégalités_sociales #précarité
    Un véritable florilège de la marche forcée de la société à l’ère de l’administration numérique.

    Toute la vidéo vaut la peine d’être écoutée, voici un extrait si vous voulez des preuves pour refuser les compteurs intelligents
    #linky #gazpar et autres saloperies de surveillance

    https://youtu.be/ppeDpCBYOkk?t=5673

    compter le nombre de douches des chômeurs #belgique

    #Algorithmes #IA

  • La salade des cravatés Jean-François Nadeau - Le Devoir

    Les pièces de viande sont désormais placées sous haute surveillance. Attention à qui partira sans demander son reste avec un morceau sanguinolent sous le bras : aux portiques de sécurité, l’alarme se mettra à hurler. Ces chiens de garde modernes, ces renifleurs de puces électroniques, sont de plus en plus nombreux à traquer les voleurs.

    Ce n’est pas là de la science-fiction. Plusieurs supermarchés, en Europe, tentent bel et bien de pallier, par des mesures de surveillance exacerbées, les vols à l’étalage du côté de la boucherie et de la charcuterie. D’Athènes à Londres, en passant par Paris et Berlin, les cas de vol de viande sont de plus en plus nombreux https://rmc.bfmtv.com/actualites/economie/conso/les-supermarches-confrontes-a-la-hausse-des-vols-on-met-des-antivols-sur- .

    . . . . .
    Au même moment, au sein d’une des portions les plus privilégiées de la planète, des gens en sont à se demander, dans l’entre-soi de leur vie chic projetée sur papier glacé, si la calandre de la Rolls-Royce, le yacht surdimensionné et la montre en or suffiront encore pour proclamer, à la face du monde, le sentiment exacerbé de leur supériorité.

    Désormais, l’industrie du luxe constitue le fonds de commerce de quelques-unes des plus grandes fortunes du monde. Tandis que le gros de la population se fait manger la laine sur le dos, des béni-oui-oui font l’éloge du mode de vie des ultrariches en vantant, entre autres choses, « l’élégance masculine ». L’homogénéité des apparences vestimentaires, créée par la société de consommation dans l’après-guerre, est une illusion égalitariste que ce retour du chic promet de clarifier.

    Contre quoi se battent ces gens qui revendiquent, sans rire, leur droit à l’élégance, comme si le fait de porter un mouchoir de poche constituait une résistance aux vraies dérives de notre temps ? Que valent leurs déclarations d’amour à la nation, eux qui s’emploient en tout temps à cautionner les iniquités qui la mine de l’intérieur ?

    L’important, pour eux, a toujours été de manifester coûte que coûte le sentiment de leur supériorité. Qu’importe pour ces gens-là que leur élégance se confonde historiquement avec les vieux habits du capital financier. Cette élégance d’un genre bien particulier, érigée en nouvelle norme par ceux qui font fortune des excès, constitue une autre tentative pour justifier l’inégalité économique par une domination symbolique.

    Depuis ses origines, le costume de l’homme d’affaires s’impose comme celui d’êtres qui ont les moyens de chômer. Ce n’est pas un vêtement pour s’user à l’atelier, mais pour commander aux autres de le faire. Pierre Falardeau, dans Le temps des bouffons https://www.ledevoir.com/culture/cinema/563253/le-temps-des-bouffons-le-film-de-liberte-totale-de-pierre-falardeau , parlait à raison d’un « beau ramassis d’insignifiants chromés, médaillés, cravatés, vulgaires et grossiers avec leurs costumes chics et leurs bijoux de luxe ».

    Les porte-voix de l’ultra-droite mondaine s’emploient, par tous les moyens, à avaliser les inégalités sociales dans les journaux, à la télévision, à la radio. Bien assis sur leur steak, ils nous rappellent, au nom de la grandeur d’une civilisation dont ils se croient les parangons, leur droit de faire bombance, entre amis, avec quelques têtes de veau. Devant les autres, ils s’emploient à jouer les bouchers, en tranchant la langue de ceux qui osent les contester.

    Parlant de gros jambons, celui que le commun des mortels mange au Canada est-il à la veille d’être mieux contrôlé ? En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments a confirmé, l’été dernier, le lien entre le cancer et la consommation de nitrites dans les viandes transformées. Les sels de nitrite, les sels de nitrate ou encore les deux sont ajoutés à plusieurs viandes pour en améliorer la couleur, la texture et la saveur, de même que pour contrôler la croissance microbienne. En Europe, le taux permis, jugé désormais trop élevé, est de 150 mg par kilo de viande. L’État français demande au secteur de l’agroalimentaire de réduire de 20 à 25 % ces teneurs. Plusieurs instances recommandent une interdiction totale. Pendant ce temps, au Canada, l’usage permis de ces substances est de 200 mg/kg…https://inspection.canada.ca/controles-preventifs/produits-de-viande/nitrites/fra/1522949763138/1522949763434

    La consommation de viande à outrance constitue un trait affirmé du modèle de société néoconservateur. Nous sommes encouragés à en manger, bien que nous sachions qu’elle pose toutes sortes de problèmes, d’un bout à l’autre de la chaîne de l’alimentation. Cette consommation a conditionné des comportements troublants, tant chez ceux qui n’ont plus les moyens d’en manger et qui se retrouvent à en voler que chez ceux qui mordent la société de tous côtés, en jouant les grands fauves. Cela dresse, sans conteste, le portrait d’une société malade, condamnée à regarder même le prix de la salade grimper.

    J’ai regardé hier la première de Survivor Québec . Cette aventure en simili, télédiffusée à grand renfort de publicités, présente des gens d’ici à qui est enseigné, entre autres choses, l’art d’identifier, aux Philippines, des plantes comestibles. Très pratique pour apprendre à manger différemment ici-bas…

    Le divertissement, par définition, fait diversion. Peut-on s’empêcher de constater que celui-ci mime un modèle de société dont nous sommes déjà gavés ? Soyez à vous-même votre propre but ! Luttez les uns contre les autres ! Au diable la vie en commun ! Dans cette quête où règne le chacun pour soi, le gagnant est le dernier à survivre, au milieu d’une île en plastique, avec de l’argent qui lui sort par les oreilles. N’est-ce pas là une représentation du modèle de société dans lequel nous coulons ?

    Source : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/787732/chronique-la-salade-des-cravates

    #bourgeoisie #luxe #entre-soi #viande #inflation #ultra_riches #néolibéralisme #ultra-droite #inégalités_sociales #médias #divertissement #canada #capitalisme

  • L’impérialisme woke Chris Hedges - Investig’action

    Chris Hedges nous explique brillamment pourquoi l’antiracisme et le féminisme, lorsqu’ils ne visent pas à combattre l’oppresseur au nom des opprimés, se révèlent être de grosses arnaques. Articulées uniquement sur des postures morales, la politique identitaire et la diversité promues par la classe dominante servent en réalité à rendre les structures de domination plus présentables. Les réactionnaires et l’extrême droite leur donnent la réplique, tandis qu’on passe à côté de l’essentiel. Nos oligarques ne pourraient pas rêver mieux. (IGA)


    Photo : Identity Politics – by Mr. Fish

    La politique identitaire et la diversité vont-elles résoudre le délabrement social, économique et politique qui ronge les États-Unis ? Le meurtre brutal de Tyre Nichols par cinq policiers de Memphis devrait suffire à faire imploser ce fantasme. Non seulement ces officiers sont noirs – tout comme Tyre Nichols, mais le service de police de la ville est dirigé par Cerelyn Davis, une femme noire elle aussi. Pourtant, rien de tout cela n’a aidé Nichols, nouvelle victime du lynchage policier des temps modernes.

    Les militaristes, les grands patrons, les oligarques, les politiciens, les universitaires et les conglomérats médiatiques se font les champions de la politique identitaire et de la diversité. Et pour cause, ces concepts ne font rien pour résoudre les injustices systémiques ni le fléau de la guerre permanente qui accablent les États-Unis. Cela occupe les progressistes et les personnes instruites avec un activisme bon marché qui non seulement se révèle inefficace, mais qui en plus exacerbe le fossé entre les privilégiés et une classe ouvrière en profonde détresse économique. Les nantis reprochent aux démunis leurs mauvaises manières, leur racisme, leurs écarts de langage et leur vulgarité, tout en ignorant les causes profondes de leur détresse économique. Les oligarques ne pourraient pas rêver de mieux.

    La vie des Amérindiens s’est-elle améliorée à la suite de la législation imposant l’assimilation et la révocation des titres fonciers tribaux imposées par Charles Curtis, le premier vice-président amérindien ? Sommes-nous mieux lotis depuis que l’on trouve à la Cour suprême Clarence Thomas, un noir qui au passage, s’oppose à la discrimination positive ? Ou avec Victoria Nuland, une autre femme qui est en fait un véritable faucon de guerre du département d’État ? Notre poursuite de la guerre permanente est-elle plus acceptable parce que Lloyd Austin, un Afro-Américain, est secrétaire à la Défense ? L’armée est-elle plus humaine parce qu’elle accepte les soldats transgenres ? Les inégalités sociales, et l’État de surveillance qui les maintiennent, sont-elles plus douces parce que Sundar Pichai – né en Inde – est le PDG de Google et d’Alphabet ? L’industrie de l’armement s’est-elle améliorée parce que Kathy J. Warden, une femme, est PDG de Northop Grumman, et qu’une autre femme, Phebe Novakovic, est PDG de General Dynamics ? Les familles des travailleurs sont-elles mieux loties avec Janet Yellen comme secrétaire au Trésor, alors qu’elle encourage l’augmentation du chômage et la « précarité de l’emploi » ? L’industrie cinématographique se porte-t-elle mieux depuis qu’une cinéaste, Kathryn Bigelow, a réalisé « Zero Dark Thirty », véritable agit-prop pour la CIA ? À propos de la CIA justement, jetez un coup d’œil à cette publicité de recrutement. Elle résume l’absurdité de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

    Les régimes coloniaux trouvent des dirigeants indigènes dociles – « Papa Doc » François Duvalier en Haïti, Anastasio Somoza au Nicaragua, Mobutu Sese Seko au Congo, Mohammad Reza Pahlavi en Iran – prêts à faire leur sale boulot pendant qu’ils exploitent et pillent les pays qu’ils contrôlent. Pour contrecarrer les aspirations populaires à la justice, les forces de police coloniales commettent régulièrement des atrocités au nom des oppresseurs. Les combattants indigènes de la liberté qui se battent en faveur des pauvres et des marginaux sont généralement chassés du pouvoir ou assassinés, comme ce fut le cas du leader indépendantiste congolais Patrice Lumumba et du président chilien Salvador Allende. Le chef lakota Sitting Bull a été abattu par des membres de sa propre tribu, qui faisaient partie des forces de police de la réserve de Standing Rock. Si vous vous rangez du côté des opprimés, vous finirez presque toujours par être traité comme eux. C’est pourquoi le FBI, ainsi que la police de Chicago, a assassiné Fred Hampton. Ils sont très certainement impliqués aussi dans le meurtre de Malcolm X, qui qualifiait les quartiers urbains appauvris de « colonies intérieures ». Les forces de police militarisées aux États-Unis fonctionnent comme des armées d’occupation. Les policiers qui ont tué Tyre Nichols ne sont pas différents de ceux des réserves indiennes et des forces de police coloniales.

    Nous vivons sous une espèce de colonialisme d’entreprise. Les moteurs de la suprématie blanche ont construit les formes de racisme institutionnel et économique qui maintiennent les pauvres dans la pauvreté. Mais ils sont aujourd’hui dissimulés derrière des personnalités politiques attrayantes telles que Barack Obama, qualifié par Cornel West de « mascotte noire pour Wall Street ». Ces visages de la diversité sont sélectionnés et contrôlés par la classe dirigeante. Obama a été formé et promu par la machine politique de Chicago, l’une des plus sales et des plus corrompues du pays.

    « C’est une insulte aux mouvements organisés par tous ceux que ces institutions prétendent vouloir inclure », me disait en 2018 Glen Ford, le défunt rédacteur en chef de The Black Agenda Report. « Ces institutions écrivent le scénario. C’est leur feuilleton. Et elles choisissent les acteurs, les visages noirs, bruns, jaunes ou rouges qu’elles veulent. »

    Glenn Ford a qualifié ceux qui promeuvent la politique identitaire de « représentationalistes » qui « veulent voir certains Noirs représentés dans tous les secteurs du leadership, dans tous les secteurs de la société. Ils veulent des scientifiques noirs. Ils veulent des stars de cinéma noires. Ils veulent des universitaires noirs à Harvard. Ils veulent des Noirs à Wall Street. Mais c’est juste une représentation. C’est tout. »

    Le fardeau que fait peser le capitalisme sur ces personnes que les « représentationalistes » prétendent représenter nous dévoile toute l’ampleur de l’arnaque. Ainsi, les Afro-Américains ont perdu 40 % de leur richesse depuis l’effondrement financier de 2008, en raison de l’impact disproportionné de la baisse du capital immobilier, des prêts prédateurs, des saisies et des pertes d’emploi. Ils ont le deuxième taux de pauvreté le plus élevé (21,7 %), après les Amérindiens (25,9 %), suivis des Hispaniques (17,6 %) et des Blancs (9,5 %), selon le Bureau du recensement et le ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis. En 2021, 28% des enfants noirs et 25% des enfants amérindiens vivaient dans la pauvreté, suivis des enfants hispaniques à 25 % et des enfants blancs à 10 %. Près de 40 % des sans-abri du pays sont des Afro-Américains, bien que les Noirs représentent environ 14 % de notre population. Ce chiffre n’inclut pas les personnes vivant dans des logements délabrés, surpeuplés ou chez des parents ou amis en raison de difficultés financières. Le taux d’incarcération des Afro-Américains est près de cinq fois supérieur à celui des Blancs.

    La politique identitaire et la diversité permettent aux pseudo-progressistes de se vautrer dans une supériorité morale larmoyante lorsqu’ils fustigent, censurent et écartent ceux qui ne se conforment pas linguistiquement au discours politiquement correct. Ce sont les nouveaux Jacobins. Ce jeu dissimule leur passivité face aux abus des multinationales, au néolibéralisme, à la guerre permanente et à la réduction des libertés civiles. Ils ne se confrontent pas aux institutions qui orchestrent l’injustice sociale et économique. Ils cherchent à rendre la classe dirigeante plus acceptable. Avec le soutien du parti démocrate, les médias libéraux, le monde universitaire et les plateformes des réseaux sociaux de la Silicon Valley diabolisent les victimes du coup d’État des multinationales et de la désindustrialisation. Ils forment leurs principales alliances politiques avec ceux qui embrassent la politique identitaire, qu’ils soient à Wall Street ou au Pentagone. Ils sont les idiots utiles de la classe milliardaire, des croisés de la morale qui élargissent les divisions au sein de la société. Des divisions que les oligarques au pouvoir encouragent pour maintenir leur contrôle.

    La diversité est importante. Mais la diversité, lorsqu’elle est dépourvue d’un programme politique qui combat l’oppresseur au nom des opprimés, n’est que de la poudre aux yeux. Il s’agit d’intégrer une infime partie des personnes marginalisées par la société dans des structures injustes et dans le but de perpétuer ces structures.

    Une classe où j’ai donné cours dans une prison de haute sécurité du New Jersey a écrit « Caged », une pièce de théâtre sur leur vie. La pièce a été jouée pendant près d’un mois au Passage Theatre de Trenton, dans le New Jersey, où elle a fait salle comble presque tous les soirs. Elle a ensuite été publiée par Haymarket Books. Les 28 élèves de la classe ont insisté pour que l’agent pénitentiaire de l’histoire ne soit pas blanc. C’était trop facile, disaient-ils. C’eût été une ruse qui aurait permis aux gens de simplifier et même d’ignorer l’appareil oppressif des banques, des multinationales, de la police, des tribunaux et du système carcéral. En effet, tous intègrent la diversité dans leurs procédures de recrutement. Or, ces systèmes d’exploitation et d’oppression internes doivent être ciblés et démantelés, peu importe qui ils emploient.

    Mon livre, « Our Class : Trauma and Transformation in an American Prison« , s’appuie sur l’expérience de l’écriture de la pièce pour raconter l’histoire de mes étudiants et transmettre leur profonde compréhension des forces et des institutions répressives qui se sont dressées contre eux, leurs familles et leurs communautés. Vous pouvez voir mon interview en deux parties avec Hugh Hamilton sur « Our Class » ici et ici.

    La dernière pièce d’August Wilson, « Radio Golf« , annonçait la direction que prendraient la diversité et les politiques identitaires dépourvues de conscience de classe. Dans cette pièce, Harmond Wilks, un promoteur immobilier diplômé de l’Ivy League, est sur le point de lancer sa campagne pour devenir le premier maire noir de Pittsburgh. Sa femme, Mame, cherche à devenir l’attachée de presse du gouverneur. Wilks navigue dans l’univers de l’homme blanc, un univers rempli de privilèges, d’affaires, de quêtes de statut et de golf. Il doit aseptiser et nier son identité. Vice-président de la Mellon Bank, Roosevelt Hicks est le partenaire commercial de Wilks. Ils étaient colocataires à l’université de Cornell. Alors qu’ils font pression sur les autorités municipales pour qu’elles déclarent un quartier insalubre et leur permettent ainsi de développer un projet à plusieurs millions de dollars, un personnage dit à Hicks :

    Tu sais ce que tu es ? Ça m’a pris un moment pour le savoir. Tu es un négro. Les Blancs se trompent et te traitent de nègre, mais ils ne savent pas ce que je sais. Je connais la vérité. Je suis un nègre. Les négros sont la pire chose dans la création de Dieu. Les nègres ont du style. Les négros sont aveugles. Un chien sait qu’il est un chien. Un chat sait qu’il est un chat. Mais un négro ne sait pas qu’il est un négro. Il pense qu’il est un homme blanc.

    De terribles forces prédatrices rongent le pays. Les grands patrons, les militaristes et leurs mandarins politiques sont l’ennemi. Notre tâche n’est pas de les rendre plus attrayants, mais de les écraser. Il y a parmi nous d’authentiques combattants de la liberté, de toutes les ethnies et de tous les milieux. Leur intégrité ne leur permet pas de servir ce système de totalitarisme inversé qui a détruit notre démocratie, qui a appauvri la nation et qui a perpétué les guerres sans fin. La diversité est un atout lorsqu’elle sert les opprimés, mais une escroquerie lorsqu’elle sert les oppresseurs.
     
    Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l’étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est le présentateur de l’émission The Chris Hedges Report.

    Source originale : Scheer Post - Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

    #Afro-Américains #diversité #morale #hypocrisie #antiracisme et le féminisme #Diabolisation #Islamophobie #inégalités_sociales #représentation

  • Clichy pour l’exemple

    De #Clichy-sous-Bois tout est parti. La mort de deux adolescents, puis la révolte, la colère et l’#indignation. D’ici est parti le brasier qui enflamma comme une traînée de poudre l’ensemble des villes limitrophes avant de se propager au reste de la France. En prenant Clichy pour exemple, ce film tente de sonder les raisons de la colère. J’ai voulu regarder d’ici l’ensemble des #violences invisibles, celles qui font rarement la une des journaux, mais qui portent pourtant les germes de la révolte de novembre 2005. De la cité à l’école, de l’école à la mission locale, en passant par le cabinet du maire, chacun essaie chaque jour de lutter contre les #injustices sociales qui empoisonnent toujours un peu plus la vie dans les banlieues. Un an après les émeutes, le constat est amer : « Rien de nouveau sous le soleil » à Clichy-sous-Bois.

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/18203_0
    #film #documentaire #film_documentaire

    #banlieue #France #révolte #ras-le-bol #émeutes #ACLEFEU #discriminations #travail #logement #transports #cité_de_la_forestière #cahier_des_doléances #colère #cités #chômage #mission_locale #violence #bâti #inégalités_sociales #sentiment_d'exclusion

  • Quelles sont les villes françaises les plus consommatrices d’électricité ? – Libération
    https://www.liberation.fr/checknews/quelles-sont-les-villes-les-plus-consommatrices-delectricite-20221206_ZBR

    les villes et les départements les plus consommateurs d’électricité par habitant sont situés dans le sud et l’ouest de la France, alors même qu’Aix-en-Provence, Bordeaux et Nice, les trois villes de plus de 100 000 habitants en tête du palmarès, ne sont pas réputées pour la rigueur de leurs hivers. A l’inverse, les villes de Saint-Etienne et de Mulhouse, largement exposés au froid hivernal, font partie des « grandes villes » les plus sobres du pays. En regardant le classement des 116 villes les plus peuplées de France (et non plus seulement celles comptant plus de 100 000 habitants), on retrouve cette partition entre le Sud et le Nord. Les cinq villes les plus consommatrices sont Fréjus, Cannes, Antibes, Montauban et Narbonne. Les cinq villes les moins consommatrices étant Nanterre, Belfort, Aubervilliers, Bobigny et Créteil.
    [...]
    seule [la] consommation d’électricité du secteur résidentiel (donc des logements des particuliers) a été prise en compte. A noter aussi qu’il s’agit de la consommation sur toute l’année, intégrant donc aussi bien l’été que l’hiver.

    Le premier facteur d’explication des résultats est le mode de chauffage. Si le chauffage du logement se fait au gaz, au fioul ou au bois, la consommation électrique liée est nulle - alors même que le chauffage représente 66 % de la consommation énergétique d’un logement, selon l’Ademe. Or, le mode de chauffage des bâtiments recoupe globalement la carte de Up Energies : selon une étude commandée par Butagaz et le Synasav (Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique), les bâtiments des régions des façades atlantique et méditerranéenne du pays (bureaux inclus) se chauffaient à 39 % ou plus à l’électricité, contre seulement 21 % dans le Grand Est ou 26 % dans les Hauts-de-France.

    L’autre facteur explicatif majeur tiendrait à la qualité de l’isolation. « Les résidences dans le Sud ne se sont pas focalisées sur la qualité de l’isolation, alors que les maisons dans le Nord gardent plus la chaleur », explique Alexis Beaumont, citant notamment la finesse des murs, l’impact du vent ou la présence de nombreux chauffages d’appoint électriques. La climatisation, à laquelle les habitants de villes du sud de la France ont davantage recours est-elle aussi un facteur d’explication ? « L’impact de la climatisation (plus important dans le Sud, ndlr) existe, mais n’explique pas une telle disparité », ajoute-t-il.

    Ajoutons enfin que la dimension sociale s’ajoute évidemment à ces facteurs géographiques, la consommation électrique étant fortement indexée au niveau des revenus des ménages. Ce qui explique aussi qu’on retrouve des villes « pauvres » au bas du classement, et des villes « riches » à son sommet.

    #électricité #énergie #chauffage #sobriété #inégalités_sociales #isolation

    • #climatisation certainement, mais cela recoupe ce facteur clé : la propension à consommer davantage d’une #classe_sociale,
      comme le montre cette carte, ce sont les logements les mieux construits et les mieux isolés, les logements de ceux qui skient, qui consomment allègrement le plus

      En 2020, la consommation par habitant dans le 16e arrondissement était de plus de 10 000 kwh contre moins de 2 000 khw dans le 19e. Apur

      #Versaillais #écologie #riches #bourgeoisie

    • Il y a une ruée vers les pompes à chaleur dans mon entourage proche. Aide de l’état oblige, certains en profitent, non sans avoir été encouragés de manières trompeuses, pour se reconvertir vers ce mode de chauffage. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que, plus la températures extérieure baisse, plus le rendement (COP) de ces pompes à chaleur fonctionnant par aérothermie diminue. Si la température passe en dessous de 0°C, le compresseur qui capte les calories de l’air est obligé de passer en mode dégivrage. Ce qui a pour conséquence d’augmenter fortement la consommation électrique. Et là, le COP peut même devenir négatif !

      https://www.quelleenergie.fr/magazine/pompe-chaleur-efficace-zero

      Le COP ou coefficient de performance d’une pompe à chaleur est un multiple de la puissance électrique consommée. Il détermine la quantité de chaleur produite à partir d’une quantité d’électricité donnée. Plus le chiffre est élevé, plus le système est performant. Exemple : avec un COP de 3, une pompe à chaleur consommera 3 fois moins d’énergie électrique qu’un équipement conventionnel de chauffage électrique direct (convecteur, grille-pain etc.). Ce qui ouvre a priori de substantielles économies par rapport à un mode de chauffage tout électrique.
      Il faut toutefois se garder d’extrapoler trop rapidement le COP nominal d’un appareil avec la consommation réelle d’un logement. En effet, le COP machine d’une pompe à chaleur, ou COP conventionnel, est mesuré par le constructeur entre de 7°C et 35°C. Cet indicateur permet de distinguer les appareils entre eux mais en aucun cas d’estimer la performance en situation réelle. Le COP saisonnier ou annuel de l’appareil, et a fortiori de l’ensemble de l’installation de chauffage (production, distribution, émission et régulation) dépendra, en effet, du climat tout au long de la saison considérée, mais surtout des conditions d’utilisation : écart de température entre sources, régime de fonctionnement de l’appareil tout au long de la période de chauffe.
      Le COP, ensuite, est d’autant plus élevé que l’écart de température entre sources sera faible, en vertu d’un principe physique indépassable. Quelle que soit la machine, la performance sera moins élevée si l’écart de température entre sources augmente. Ainsi il sera bien plus avantageux d’alimenter un plancher chauffant à basse température (25°C) qu’un réseau de radiateurs traditionnel à 60°C.

      En fait, on en revient toujours au même problème, plus la température baisse, plus tu consommes d’électricité. Sans compter que dans mon bled, le parc immobilier est vétuste et les bâtiments très mal isolés. Donc privilégier les travaux d’isolation avant de changer son système de chauffage. Mais ça, les arnaqueurs qui viennent démarcher les personnes âgées ne le disent pas.
      La transition énergétique ? Un système pyramidal soutenu par de l’argent public.

  • #Santé : un graphique coup-de-poing | Les Echos
    https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/sante-un-graphique-coup-de-poing-1882589

    Le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2023 est en passe d’être adopté au Parlement. Sa mesure phare pour le grand public : trois visites médicales gratuites au cours de la vie [!!!!] . Les données confirment les #inégalités_sociales face aux #maladies_chroniques.

  • Sur l’impact différencié du Covid selon les caractéristiques des populations :

    (dans ce thread, je collecte différents arguments sociaux et de santé sur les inégalités de santé et les facteurs de risques sociaux/de santé/ethniques face au covid, histoire de savoir où retrouver les références sur ce sujet. En effet, de nombreux élèves/activistes auxquels je suis confrontée quotidiennement semblent mettre de côté leur volonté affichée de lutte contre les inégalités/inclusivité et autres dès qu’il s’agit du covid - ces notes me permettent d’argumenter les discussions sur santé publique vs vécu individuel.)

    A la Réunion, le traitement des diabétiques victime de l’épidémie de Covid

    La vague de Covid-19 qui frappe actuellement le département, où le taux d’incidence est le plus élevé de France, complique la prise en charge des patients atteints de diabète, une maladie chronique qui concerne un habitant de l’île sur dix.
    https://www.liberation.fr/societe/sante/a-la-reunion-le-traitement-des-diabetiques-victime-de-lepidemie-de-covid-
    https://justpaste.it/8stc3

  • Ce que nous dit la COVID-19 des injustices spatiales en Inde

    L’épidémie de COVID-19 en Inde a des effets paradoxaux. En termes épidémiologiques, ils sont limités, du moins à l’heure où est écrit cet article : officiellement 21 129 morts au 9 juillet 2020, pour une population approchant 1,4 milliard d’habitants. Même si le chiffre sous-estime sans nul doute la réalité, il reste que l’épidémie a un faible taux de mortalité directe. En revanche, les effets socio-économiques de la COVID-19 sont dramatiques : catastrophe économique pour des populations pauvres sans sécurité sociale ni d’aides de l’État dignes de ce nom, migrants tentant désespérément de revenir chez eux en s’embarquant pour un exode à pied de parfois plusieurs centaines de kilomètres, qui rappelle aux Indiens les images en noir et blanc des sanglantes migrations dues à la Partition de 1947 lors de la création du pays… La COVID-19, ou plus exactement le confinement, met en lumière les #inégalités_sociales et spatiales de l’Inde – des #inégalités qu’on peut souvent, nous le verrons, qualifier d’#injustices. La maladie a brutalement rendu visibles ces « invisibles », en révélant l’importance de ces #migrations_circulatoires (Breman, 1985) qui sont à la base de « l’émergence » de l’Inde (Landy, Varrel, 2015). Ce que nous dit la COVID-19, ce sont les vies de tous ces #travailleurs de l’ombre qui soudain sont apparus en pleine lumière, soit comme des victimes dont la fragilité économique était soudain découverte ou confirmée, soit comme une menace – puisqu’à cheminer le long des routes sans respecter la « distanciation sociale » ils risquaient de diffuser le virus. A priori, l’injustice à leur égard apparaît donc double : ils sont particulièrement victimes du confinement ; mais avant même la crise, leur #invisibilité empêchait une vraie reconnaissance de leurs droits.


    http://www.jssj.org/article/ce-que-nous-dit-la-covid-19-des-injustices-spatiales-en-inde

    #Inde #confinement #covid-19 #coronavirus #migrations_internes #mobilité

    ping @reka

  • #Injustices_épistémiques

    Présentation : #inégalités_sociales, #production_des_savoirs et de l’#ignorance

    – Méditation haïtienne : répondre à la violence séparatrice de l’#épistémologie_positiviste par l’#épistémologie_du_lien

    – Rapports sociaux de sexe dans la #recherche_biomédicale : une lecture de la production de savoirs dans les publications féministes anglophones

    – Des brèches dans le mur : inégalités sociales, #sociologie et #savoirs_d’expérience

    – Les enjeux méthodologiques et épistémologiques du #croisement_des_savoirs entre personnes en situation de pauvreté, praticien.ne.s et universitaires : retours sur la recherche #ÉQUIsanTÉ au Québec

    – Épistémologies du Sud et #militantisme_académique : entretien avec #Boaventura_de_Sousa_Santos, réalisé par Baptiste Godrie

    https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2017-v49-n1-socsoc03347
    #violence_épistémique #revue #recherche #savoirs #connaissance

    ping @karine4 @cede

  • L’#écologie_municipale, ou la ville face à son histoire

    Les verts élus dans les grandes #villes doivent faire un #choix : se focaliser sur la qualité de vie de leurs administrés au risque de renforcer la #fracture entre #centres urbains et #périphéries, ou au contraire renouer avec les #territoires_fantômes que les #métropoles consomment et consument.

    Après le succès des candidatures et alliances écologistes dans certaines des plus grandes villes de France dimanche, une chose a très peu retenu l’attention des commentateurs politiques. C’est le paradoxe, au moins en apparence, d’une #métropolisation de l’écologie politique – le fait que les valeurs vertes semblent trouver dans les grands centres urbains leur principal lieu d’élection. Au lieu de s’interroger sur les motivations et les idéaux des personnes qui peuplent ces villes pour essayer d’y lire l’avenir, peut-être faut-il alors renverser la perspective et regarder l’objet même que constitue la #ville, sa réalité indissociablement écologique et politique.

    Au regard de l’#histoire, cette #urbanisation des #valeurs_vertes ne va pas du tout de soi. La ville a souvent été définie, en Europe au moins, par l’enveloppe protectrice des remparts qui tenait à distance les ennemis humains et non humains (animaux, maladies), et qui matérialisait la différence entre l’espace de la cité et son pourtour agraire et sauvage. En rassemblant les fonctions politiques, symboliques, sacerdotales, les villes engendrent des formes de socialité qui ont fasciné les grands penseurs de la modernisation. Saint-Simon, par exemple, voyait dans la commune médiévale italienne l’origine du développement matériel et moral propre à la #modernité. Durkheim, plus tard, faisait de la ville le prototype du milieu fait par et pour l’humain, le seul espace où pouvait se concrétiser le projet d’#autonomie.

    Aspirations urbaines

    Mais les villes sont également devenues, avec le processus d’#industrialisation, de gigantesques métabolismes matériels. L’explosion démographique des métropoles industrielles au XIXe siècle va de pair avec la concentration du travail, de l’énergie, et plus largement des flux de matière qui irriguent l’économie globale. Au cœur des transformations de la vie sociale, la ville est aussi au cœur de ses transformations matérielles : elle aspire d’immenses quantités de ressources, pour les relancer ensuite dans le commerce sous forme de marchandises. En laissant au passage les corps épuisés des travailleurs et des travailleuses, ainsi que des montagnes de déchets visibles ou invisibles, résidus non valorisés du processus productif.

    Ainsi la ville irradie le monde moderne de son prestige symbolique et culturel, mais elle tend aussi à déchirer le tissu des circularités écologiques. L’un ne va pas sans l’autre. Chaque ville, par définition, est tributaire de circuits d’approvisionnement qui alimentent ses fonctions productives, ou simplement qui la nourrissent et la débarrassent des contraintes spatiales. Chaque ville est entourée d’une périphérie fantôme qui l’accompagne comme son ombre, et qui est faite des #banlieues où vivent les exclus du #rêve_métropolitain, des champs cultivés et des sous-sols exploités. Chaque urbain mobilise malgré lui un espace où il ne vit pas, mais dont il vit.

    L’une des sources de la #sensibilité_écologique contemporaine se trouve justement dans la critique de l’avant-garde urbaine. Dans l’Angleterre victorienne, William Morris ou John Ruskin retournent à la #campagne pour démontrer qu’une relation organique au #sol est susceptible de régénérer la civilisation, sans pour autant compromettre les idéaux d’émancipation. Mais ils luttaient contre une tendance historique dont l’extraordinaire inertie a rapidement provoqué la disqualification de ces expériences. Surtout pour le #mouvement_ouvrier, qui avait en quelque sorte besoin des formes spécifiquement urbaines d’#aliénation pour construire la #solidarité_sociale en réponse.

    Si l’on replace dans cette séquence d’événements le phénomène d’urbanisation des attentes écologiques actuelles alors il y a de quoi s’interroger sur l’avenir. Deux trajectoires possibles peuvent s’esquisser, qui ont cela d’intéressant qu’elles sont à la fois absolument irréconciliables sur un plan idéologique et matériel, et quasiment impossibles à distinguer l’une de l’autre dans le discours des nouveaux édiles de la cité verte.

    Faire atterrir le #métabolisme_urbain

    D’un côté, on trouve le scénario d’une consolidation des #inégalités_sociales et spatiales à partir des valeurs vertes. Pour le dire de façon schématique, les grands pôles urbains poussent la #désindustrialisation jusqu’à son terme en éliminant les dernières nuisances et toxicités propres à la #ville_productive : elles se dotent de parcs, limitent les transports internes et créent des #aménités_paysagères (comme la réouverture de la Bièvre à Paris). C’est ce que la sociologie appelle la #gentrification_verte, dont #San_Francisco est le prototype parfois mis en avant par les prétendants écologistes aux grandes mairies. Au nom d’une amélioration difficilement critiquable de la qualité de vie, la ville des #parcs et #jardins, des boutiques bio, des #mobilités_douces et des loyers élevés court le risque d’accroître le #fossé qui la sépare des périphéries proches et lointaines, condamnées à supporter le #coût_écologique et social de ce mode de développement. #Paris est de ce point de vue caractéristique, puisque l’artifice administratif qui tient la commune à l’écart de sa banlieue est matérialisé par la plus spectaculaire infrastructure inégalitaire du pays, à savoir le #boulevard_périphérique.

    Mais si le vert peut conduire à consolider la #frontière entre l’intérieur et l’extérieur, et donc à faire de la qualité de vie un bien symbolique inégalement distribué, il peut aussi proposer de l’abolir – ou du moins de l’adoucir. Une réflexion s’est en effet engagée dans certaines municipalités sur le pacte qui lie les centres-villes aux espaces fantômes qu’elles consomment et consument. La #renégociation de la #complémentarité entre #ville et #campagne par la construction de #circuits_courts et de qualité, l’investissement dans des infrastructures de #transport_collectif sobres et égalitaires, le blocage de l’#artificialisation_des_sols et des grands projets immobiliers, tout cela peut contribuer à faire atterrir le #métabolisme_urbain. L’équation est évidemment très difficile à résoudre, car l’autorité municipale ne dispose pas entre ses mains de tous les leviers de décision. Mais il s’agit là d’un mouvement tout à fait singulier au regard de l’histoire, dans la mesure où il ne contribue plus à accroître la concentration du capital matériel et symbolique à l’intérieur de la cité par des dispositifs de #clôture et de #distinction, mais au contraire à alléger son emprise sur les #flux_écologiques.

    Le défi auquel font face les nouvelles villes vertes, ou qui prétendent l’être, peut donc se résumer assez simplement. Sont-elles en train de se confiner dans un espace déconnecté de son milieu au bénéfice d’une population qui fermera les yeux sur le sort de ses voisins, ou ont-elles engagé un processus de #décloisonnement_social et écologique ? L’enjeu est important pour notre avenir politique, car dans un cas on risque le divorce entre les aspirations vertes des centres-villes et la voix des différentes périphéries, des #ronds-points, des lointains extractifs, alors que dans l’autre, une fenêtre s’ouvre pour que convergent les intérêts de différents groupes sociaux dans leur recherche d’un #milieu_commun.

    https://www.liberation.fr/debats/2020/06/30/l-ecologie-municipale-ou-la-ville-face-a-son-histoire_1792880

    #verts #élections_municipales #France #inégalités_spatiales #mobilité_douce #coût_social ##décloisonnement_écologique

    via @isskein
    ping @reka @karine4

  • « L’arme la plus puissante des locataires est de ne pas payer leur loyer. » Entretiens autour des mobilisations de locataires et de la grève des loyers aux États-Unis (1/3)
    Par Lucile Dumont

    Partout dans le monde, la pandémie de Covid-19 agit comme un puissant révélateur des inégalités sociales. Aux États-Unis, elle s’articule notamment à la crise du logement que connaît le pays depuis de nombreuses années : la spéculation immobilière, la gentrification et la flambée des loyers ont conduit à une explosion du nombre de sans-abris. La crise sanitaire et les pertes d’emploi qu’elle a entraînées ont mis de très nombreux⋅ses locataires dans l’impossibilitéde payer leur loyer. Face à des mesures insuffisantes de la part des pouvoirs publics, les appels à la grève des loyers se sont multipliés, et les mobilisations autour des questions de logement ont nourri la dynamique existante des syndicats de locataires dans plusieurs grandes villes.

    Entretien avec Rob Wohl, qui participe à la campagne Stomp Out Slumlords à Washington, et Julian Francis Park, membre du Tenant and Neighborhood Councils à Oakland, dans la baie de San Francisco.

    https://www.jefklak.org/larme-la-plus-puissante-des-locataires-est-de-ne-pas-payer-leur-loyer

  • L’#inégalité en germes

    La pauvreté et les plus importantes #inégalités_sociales de demain se construisent dès aujourd’hui dans les routines des plus jeunes enfants. Parler, manger, sociabiliser, se soigner, se laver, s’habiller, obéir, apprendre : leur avenir social se plie dès les habitudes les plus anodines.


    https://laviedesidees.fr/Des-berceaux-inegaux.html
    #enfance #naissance #pauvreté #livre #Bernard_Lahire

  • Covid-19 : analyse spatiale de l’influence des facteurs socio-économiques sur la prévalence et les conséquences de l’épidémie dans les départements français
    https://economix.fr/uploads/source/media/MA_GA_NL-Covid19_2020-04-18.pdf

    Cette recherche met en évidence que, au-delà de l’importance des caractéristiques individuelles comme facteurs explicatifs de la probabilité de contracter la Covid-19 et de ses conséquences, les
    éléments liés au contexte économique, démographique et social interviennent également. Les départements les plus denses, les plus inégalitaires ainsi que ceux dans lesquels la part d’ouvriers est la
    plus élevée se sont en effet révélés les plus vulnérables. Ces caractéristiques soulignent d’abord la complémentarité entre les politiques de santé d’une part et les politiques sociales et de redistribution de l’autre. Le rôle des services d’urgence comme facteur de réduction des manifestations de l’épidémie va dans le même sens. Il montre en effet qu’en présence d’inégalités les services publics, en l’occurrence de santé, permettent de protéger les populations de la maladie et de réduire les décès. Ensuite, en
    mettant en évidence le rôle de la densité démographique, cet article rappelle que les départements ruraux ou les moins peuplés ne sont pas les plus vulnérables mais que les territoires métropolitains
    présentent aussi des faiblesses au niveau de la prise en charge des malades qu’il est important de considérer. Enfin, les disparités locales et les effets de débordement que nous avons mis en évidence
    vont dans le sens d’une régionalisation poussée de la mise en œuvre des politiques de santé. Menées au plus près des territoires, ces dernières peuvent en effet être en mesure de mieux prendre en
    considération les effets de proximité géographique et socio-économiques qui prévalent au niveau de leur périmètre d’action et, ainsi, être mieux à même d’affecter les ressources humaines et financières.

    #COVID-19 #densité #inégalités_sociales #santé #urgences

  • La #démocratie à l’épreuve du #coronavirus

    « Au printemps de 1832, quoique depuis trois mois le choléra eût glacé les esprits et jeté sur leur agitation je ne sais quel morne apaisement, Paris était dès longtemps prêt pour une commotion. Ainsi que nous l’avons dit, la grande ville ressemble à une pièce de canon ; quand elle est chargée, il suffit d’une étincelle qui tombe, le coup part. En juin 1832, l’étincelle fut la mort du général Lamarque. »

    Victor Hugo, Les Misérables

    Les épidémies n’emportent pas seulement les corps, elles mettent les sociétés en tension et les Etats en danger. Les effets de choix politiques de longue durée s’y révèlent, comme la déconstruction obstinée du service public de la santé, mais aussi de l’appareil de production industrielle (notamment de matériel de santé), qui laisse de nombreux pays, dont la France, singulièrement démunis face au virus[1]. Les institutions s’y trouvent mises à l’épreuve, et souvent le fossé entre les principes qu’elles professent et la réalité de leur pratique s’y donne à voir dans toute sa froide réalité. C’est le cas de la démocratie, mot fétiche s’il en est[2]. La démocratie telle que nous la connaissons, fondée sur l’élection de gouvernants supposés agir en faveur du peuple, est censée être le meilleur système politique, le mieux à même de protéger ses citoyens, de les consulter sur les décisions fondamentales, et de leur accorder une importance égale. Le coronavirus vient brutalement mettre cette supériorité démocratique en doute. Face à la pandémie, les Etats dits démocratiques, notamment la France, ne gèrent ni mieux, ni de manière plus démocratique, que les Etats dits autoritaires, en premier lieu la Chine. Alors que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et plus encore depuis la chute de l’URSS, les régimes démocratiques dominent la scène internationale, leurs difficultés à faire face à la pandémie affaiblit leurs prétentions hégémoniques. C’est d’autant plus vrai que l’inefficacité des démocraties n’a pas eu comme contrepartie un plus grand investissement démocratique : si les Etats démocratiques n’ont pas mieux affronté la crise, ce n’est pas parce qu’elles auraient passé plus de temps à consulter les citoyens, ou à construire des politiques plus égalitaires. Au contraire, non seulement les réponses des démocraties n’ont pas été plus efficaces, mais elles n’ont pas non plus été significativement plus démocratiques que celles de régimes autoritaires. De même qu’en 1832 l’épidémie de choléra avait révélé l’incurie de la monarchie de Juillet – et l’existence au cœur des villes d’une classe, le prolétariat, que la bourgeoisie laissait mourir dans sa misère – et failli emporter le régime par une insurrection, la pandémie actuelle révèle alors le vide des promesses démocratiques de nos régimes, mettant en danger l’idée démocratique elle-même.

    Une reconfiguration des espaces politiques

    La pandémie de Covid-19 distord notre horizon politique. Son caractère mondial nous rend inhabituellement attentifs à sa progression dans différents pays, aux réponses des différents gouvernements – et, par un jeu d’écho, à la manière dont notre propre pays est vu à l’extérieur. Mais le confinement restreint aussi drastiquement, dans la pratique, le champ de la réalité sociale vécue, nous poussant à nous investir exclusivement dans le foyer, l’immeuble, notre cercle familial et amical. A cette hyper-attention au très proche et au très lointain correspond une désagrégation soudaine de toute une série de niveaux intermédiaires. Alors que la France connaît depuis le 5 décembre un mouvement historique de contestation, les engagements se sont brutalement effrités. Le 5 mars, des dizaines de milliers de travailleur.es et d’usager.es des universités et de la recherche ont manifesté dans toute la France ; le 6 et 7 mars une coordination nationale des facs et labos en lutte a rassemblée 500 délégué.es venu.es de toute la France ; les 7 et 8 mars des manifestations féministes déterminées et massives ont battu le pavé… Tout ceci semble avoir entièrement disparu des préoccupations, notamment médiatiques, alors que les causes de ces mobilisations sont toujours présentes – comme en témoigne l’enfumage de Macron, promettant 5 milliards à la recherche sur 10 ans, une augmentation en-dessous des augmentations des années précédentes, et distribuée sous forme de primes, de contrats précaires et de financements de projets, prenant le contrepied de ce que les chercheur.es demandent[3]. La mascarade des élections municipales n’a pas intéressé grand monde, et les résultats n’ont fait l’objet d’aucun commentaire, ou si peu – contrairement au scandale sanitaire de leur maintien obstiné[4]. Les partis politiques eux-mêmes semblent s’être murés dans le silence, et il faut tendre l’oreille pour entendre les syndicats, alors même que la continuité du travail est au cœur de la stratégie économique de crise du gouvernement.

    Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existerait désormais pour nous que le plus local et l’échelle internationale. Mais l’espace entre les deux est occupé par un seul acteur, massif autant que martial : l’Etat, et en particulier le pouvoir exécutif. Privés de nos collectifs et de nos solidarités, nous, individus, sommes laissés seuls face à l’Etat, qui nous protège et nous soigne dans les hôpitaux[5], qui contrôle nos activités par la police, et surtout qui parle, par la bouche de ses chefs, nous disant comment nous comporter, et nous grondant si l’on ne réagit pas assez vite ou assez bien à ses consignes, dont le contenu change quotidiennement. Mais jusque dans son omniprésence et dans la mise en scène frénétique de son activité, cet Etat révèle aussi ses faiblesses. Il ne peut même pas assurer des conditions minimales de sécurité à ses soignants, en fournissant masques et gel désinfectant. Mettre en œuvre le confinement de la population pose des problèmes logistiques massifs qui n’ont pas été anticipés. L’Etat se trouve d’autant plus en tension que toutes ses actions, tous ses discours, sont attendus, examinés, scrutés. Puisque lui seul occupe l’espace national, tous les regards sont sur lui, dans les médias professionnels comme sur les réseaux sociaux. Les représentants oscillent alors en permanence entre recherche de publicité, au risque de montrer leur incompétence et l’impuissance de l’Etat, et culte du secret, au nom de la raison d’Etat, mais surtout pour masquer le fait qu’ils naviguent à vue. Pour prendre un seul exemple, de multiples réunions ont lieu, avec l’armée, avec des scientifiques, il faut montrer qu’elles ont lieu, mais il ne faut pas dire aux citoyens ce qui s’y dit, ou bien plus tard, trop tard, quand les décisions ont déjà été prises. Cette centralité de l’Etat rend les dirigeants nerveux, et donc dangereux pour leurs citoyens. Ils prennent des mesures incohérentes, suspendent les libertés publiques, le code du travail, tout ce qui dans le droit pourrait encadrer leur action. Ils délaissent entièrement les cadres internationaux de discussion : l’ONU, l’Union européenne, toutes ces institutions supposément centrales dans la gouvernance contemporaine, et qui auraient toutes raisons de l’être face à une pandémie internationale, semblent simplement muettes, ou inaudibles. Chaque Etat européen décide de ses mesures dans son coin, comme si chacun avait, comme la Grande-Bretagne, fait son exit. La seule institution européenne que l’on entend, c’est la Banque centrale, qui active la planche à billets : lorsqu’il s’agit de la santé des entreprises, la coordination est possible ; mais qu’il s’agisse de la vie des habitants, et alors l’Etat reprend, seul, sa souveraineté la plus absolue.

    L’absence de réponse démocratique au virus

    Dans la gestion de cette crise, on peinerait à distinguer entre les réponses des Etats démocratiques et des régimes autoritaires, venant affaiblir encore un peu plus cette distinction si cruciale pour les dirigeants des démocraties occidentales. Dans les pays qui ont choisi des solutions dures de confinement généralisé, on trouve autant la plus grande puissance autoritaire mondiale, la Chine, que des démocraties européennes, qui plus est dirigées par des gouvernements socio-démocrates ou socio-libéraux : l’Italie, la France, l’Espagne. D’autres pays ont plutôt été, au moins dans un premier temps, dans un laisser-faire complet, comme les grandes démocraties libérales que sont les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, mais aussi des régimes plus autoritaires, comme l’Iran. D’autres pays ont pris des mesures de tests massifs et de quarantaine stricte des malades, des démocraties comme Taiwan et la Corée du Sud, mais aussi la bien moins démocratique Singapour. Les réponses ont été variées, mais enjambent largement les typologies classiques entre régimes. Et une chose est certaine : les démocraties ne se sont pas montrées particulièrement plus efficaces, plus attentives à la santé de leur population, plus honnêtes dans leur communication ou plus soucieuses de la vérité que les régimes autoritaires. Pire : au moment même où Donald Trump ou Boris Johnson semblaient prêts à sacrifier des centaines de milliers de leurs citoyens et mettre en péril la sécurité sanitaire internationale, la Chine prétendait avoir vaincu l’épidémie et envoyait dans le monde entier des experts, des respirateurs et des stocks de masques. C’est un pan central des discours de légitimation des démocraties qui s’effondre. Alors que les démocraties étaient censées se caractériser par un plus grand attachement aux principes à la fois politiques et moraux d’ouverture, de transparence, de solidarité, tout autant que par leur efficacité à prendre soin de leurs citoyens, la pandémie vient révéler qu’il n’en est rien. Dans la crise, les Etats dits démocratiques agissent avant tout comme des Etats, ni pires ni meilleurs que des dictatures, et non comme des démocraties.

    Que voudrait dire, pour des Etats, agir en démocratie face à une pandémie ? Cela nécessiterait, a minima, que les citoyens soient réellement informés des choix possibles, qu’un débat public contradictoire puisse avoir lieu, que le pouvoir puisse être contesté dans ses décisions, voire que les citoyens soient associés au processus[6]. Là est le sens d’une démocratie comme pouvoir du peuple, pouvoir de l’ensemble des citoyens : aucune loi, aucun acte du gouvernement, ne doit être étranger au contrôle des citoyens, et quand c’est possible à leur participation directe. Il ne s’agit bien sûr pas d’éliminer, face à une crise sanitaire, la nécessité de prendre des décisions rapides et scientifiquement fondées : mais le moins que l’on puisse dire est que les dirigeants élus ont été d’une rare incompétence. Il n’est pas dit que le premier venu (ho boulomenos, n’importe qui, cette expression qui venait désigner, à Athènes, un citoyen pris au hasard), correctement informé par des scientifiques, aurait vraiment fait pire. En ce premier sens du mot démocratie, qu’on peut qualifier de politique, la démocratie comme pouvoir de l’ensemble des citoyens, les Etats dits démocratiques n’ont pas affronté la crise en utilisant des moyens démocratiques, mais les moyens, banals, qu’ils ont en commun avec tous les Etats, y compris les plus autoritaires. Par le secret, parfois le mensonge, sans contrôle ni des corps intermédiaires ni des citoyens, en prenant les décisions à quelques-uns, et en utilisant l’urgence bien réelle pour se faire attribuer des pouvoirs démesurés.

    L’Etat contre les pauvres

    Mais l’idée de démocratie comme pouvoir de l’ensemble des citoyens n’épuise pas les sens du mot. Il est un autre ensemble de significations qui donnent au mot un sens social : le demos, le peuple, vient aussi désigner la classe la plus nombreuse, c’est-à-dire les travailleurs, les pauvres, par opposition aux privilégiés, aux riches. Une démocratie est un régime qui agit en faveur des dominés, car il donne le pouvoir à la majorité, mais aussi parce qu’il vise la création d’une société plus égalitaire. Or, de ce point de vue, la gestion du gouvernement français apparaît comme encore plus radicalement anti-démocratique. Alors que les entreprises sont massivement soutenues, que les personnes exerçant un métier d’encadrement sont invitées à faire du télétravail, que les bourgeois des villes ont pu tranquillement s’installer dans leurs résidences secondaires et leurs maisons de famille, le message adressé par le gouvernement aux travailleurs, et en particulier aux ouvriers, a été clair : l’économie doit continuer, et pour cela nous sommes prêts à vous faire prendre tous les risques. La ministre du Travail a osé accuser de « défaitisme » les entreprises du BTP qui voulaient mettre en pause les chantiers non prioritaires. Les transports publics continuent de charrier quotidiennement, sans véritable mesure de protection pour ces mêmes conducteurs qui étaient l’objet du plus bas mépris par le gouvernement il y a quelques semaines, des millions de caissier.es, de travailleur.ses du nettoyage, d’ouvrier.es, de livreur.es, de postier.es, d’éboueur.es, et bien sûr de soignant.es. Les effets des dominations de classe, mais aussi de race (beaucoup de ces métiers voient une surreprésentation de racisé.es) et de genre (les métiers plus féminins du soin sont sursollicités, sans parler du poids de la garde des enfants en l’absence d’école, qui retombe massivement sur les femmes), se trouvent alors démultipliés.

    Le virus n’a que faire de notre classe, de notre race ou de notre genre, mais les modalités de sa gestion par le pouvoir restaure et amplifie l’ensemble des inégalités sociales. Les plus grandes capacités des riches, des hommes, des Blancs, à mobiliser des ressources leur permettant de s’extraire du travail, des transports publics, du soin des enfants ou des aîné.es, des courses dans des supermarchés bondés, tout en continuant à bénéficier du travail des pauvres, des femmes, des racisé.e.s va se transformer, face au virus, en plus grande chance d’échapper à la pandémie. Le seul filet de sécurité égalisateur est alors le service public de la santé, où les cas graves sont traités indépendamment de ces considérations – ce même service public que les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de casser. Mais en dehors de ce maillon essentiel, tout dans la gestion de la crise renforce le poids des structures de domination. C’est visible dans le choix de continuer à mettre les pauvres au travail, mais aussi dans la gestion policière du confinement[7]. Dans les quartiers bourgeois désertés, non seulement les supermarchés restent ouverts, et relativement peu fréquentés, mais la présence policière est quasiment nulle. On croise des joggers, des employé.es de commerces faisant une pause, des SDF, des livreurs attendant une course… Au contraire, les quartiers populaires des grandes agglomérations sont l’objet d’un contrôle policier tatillon, d’autant plus insupportable que c’est là qu’il y a des problèmes d’approvisionnement, de promiscuité dans les marchés et supermarchés et de concentration de la population dans les rues – puisque c’est là que la densité d’habitations est la plus forte, les appartements les plus exigus et la proportion la plus faible de privilégiés pouvant télétravailler ou partir à la campagne. C’est là qu’ont lieu les contrôles, là que vont tomber les amendes, là que vont être prises les images montrant comment l’Etat fait bien régner l’ordre. Car au contrôle policier s’ajoute le mépris de médias relayant avec complaisance des images de bousculades dans ces quartiers, des commentateurs fustigeant l’irresponsabilité des pauvres et bien sûr des gouvernants faisant porter la responsabilité morale du confinement aux gens soi-disant indisciplinés, pour mieux camoufler leur culpabilité directe dans l’étendue de la catastrophe.

    Que restera-t-il des démocraties ?

    Les personnes, certainement majoritaires parmi les dirigeants, qui n’en ont cure de la démocratie et de ses valeurs égalitaires, ne voient peut-être pas le problème. Mais il faut prendre la mesure de ce basculement : le fait que les démocraties auto-proclamées ne se soient pas montrées plus efficaces qu’un régime autoritaire face à l’épidémie fait peser un danger véritable sur l’idée démocratique. Que le président élu des Etats-Unis envoie des centaines de milliers d’Américains au casse-pipe quand le secrétaire général du Parti communiste chinois envoie dans le monde entier experts et matériel, après avoir vaincu l’épidémie dans son pays, cela n’a rien d’anodin. On pourra sourire au retournement bienvenu de l’histoire, voire le saluer, par anti-impérialisme ; ce serait sous-estimer le danger réel que ce retournement fait peser sur la démocratie, non pas comme régime fondé sur l’élection des dirigeants, mais comme idée d’un pouvoir exercé par le peuple et pour le peuple. Le fait que les démocraties aient fait si peu de cas de l’avis des citoyens, comme le fait qu’elles aient si souvent, comme en France, pris des décisions qui mettent en danger les pauvres, les dominés, et protègent les entreprises et les riches, affaiblit encore le sens du mot démocratie. La démocratie, comme idée et comme pratique, a besoin que les gens y participent, y adhèrent, y croient. Et pour cela, il faut que la démocratie ait une substance, bien au-delà de l’élection ponctuelle des gouvernants, surtout quand le niveau de désagrégation des partis politiques permet à des Trump ou des Macron d’arriver au pouvoir. Si un virus suffit à éliminer toute spécificité des régimes démocratiques, toute valeur des principes démocratiques, il n’y a aucune raison que les gens y accordent de l’importance, surtout quand des régimes autoritaires se montrent plus efficaces dans la protection de la santé de leurs sujets. Le coronavirus ne met pas en danger la démocratie ; mais nos dirigeants, face au coronavirus, sont en train de sacrifier la démocratie pour dissimuler leur incompétence et se maintenir au pouvoir. Organiser entre nous la solidarité, se battre pour les services publics est plus que jamais nécessaire[8]. Mais face au danger que représentent nos dirigeants pour nos santés autant que pour l’idée démocratique, ce n’est pas suffisant. Nous ne pouvons remettre ces questions à l’après, à la fin de l’épidémie. Il faut, dès maintenant, rappeler les gouvernants à l’ordre, le seul ordre qui vaille en démocratie : celui du peuple[9].

    [1] Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, La casse du siècle : A propos des réformes de l’hôpital public, Raisons d’agir, 2019. Frédéric Lordon, « Coronakrach », 11 mars 2020. Auriane Guilbaud, « Il n’est pas possible d’embaucher des milliers de soignants en un claquement de doigts », Le Monde, 13 mars 2020.

    [2] Je me permets de renvoyer ici au livre Démocratie, paru en février 2020 chez Anamosa.

    [3] https://universiteouverte.org/2020/03/19/5-milliards-des-effets-dannonce-mais-toujours-pas-de-moyens-pour-

    [4] Rémi Lefebvre, Nicolas Bué et Fabien Desage, « Le premier tour des municipales n’a pas eu lieu », Libération, 18 mars 2020. Laurent Le Gall, « Le coronavirus révélateur d’une démocratie grippée », Libération, 19 mars 2020.

    [5] Même si les services publics ne sont en fait pas une émanation de l’Etat, mais bien du public qu’ils servent, comme le rappellent Pierre Dardot et Christian Laval, « L’épreuve politique de la pandémie », Médiapart, 19 mars 2020

    [6] Yves Sintomer, « Face au coronavirus, les politiques n’ont pas eu le cran de poser le débat », Le Monde, 18 mars 2020

    [7] Sur les liens entre gestion policière de l’épidémie et contrôle social, voir « Contagion sociale Guerre de classe microbiologique en Chine », Chuang, février 2020, traduit par Des nouvelles du front

    [8] Michèle Riot-Sarcey et Jean-Louis Laville, « Le monde d’après-demain », Libération, 17 mars 2020. « Face à la pandémie, retournons la « stratégie du choc » en déferlante de solidarité ! »

    [9] Merci à Aurélien Angel, Elisabeth Callot et Célia Keren pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.

    https://samuelhayat.wordpress.com/2020/03/23/la-democratie-a-lepreuve-du-coronavirus

    #épidémie #service_public #production_industrielle #santé #autoritarisme #promesses_démocratiques #pandémie #Etat #banque_centrale #légitimité #échelles_géographiques #géographie_politique #incompétence #secret #mensonge #urgence #inégalités #travail #économie #classes_sociales #ouvriers #télétravail #BTP #transports_publics #domination #effets_de_domination #genre #inégalités_sociales #structures_de_domination #police #présence_policière #quartiers_populaires #amendes #contrôle_policier #responsabilité #irresponsabilité #culpabilité #mise_en_danger #incompétence #dictature #totalitarisme

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    Petite citation choisie pour @davduf :

    Mais en dehors de ce maillon essentiel, tout dans la gestion de la crise renforce le poids des structures de domination. C’est visible dans le choix de continuer à mettre les pauvres au travail, mais aussi dans la gestion policière du confinement[7]. Dans les quartiers bourgeois désertés, non seulement les supermarchés restent ouverts, et relativement peu fréquentés, mais la présence policière est quasiment nulle. On croise des joggers, des employé.es de commerces faisant une pause, des SDF, des livreurs attendant une course… Au contraire, les quartiers populaires des grandes agglomérations sont l’objet d’un contrôle policier tatillon, d’autant plus insupportable que c’est là qu’il y a des problèmes d’approvisionnement, de promiscuité dans les marchés et supermarchés et de concentration de la population dans les rues – puisque c’est là que la densité d’habitations est la plus forte, les appartements les plus exigus et la proportion la plus faible de privilégiés pouvant télétravailler ou partir à la campagne. C’est là qu’ont lieu les contrôles, là que vont tomber les amendes, là que vont être prises les images montrant comment l’Etat fait bien régner l’ordre. Car au contrôle policier s’ajoute le mépris de médias relayant avec complaisance des images de bousculades dans ces quartiers, des commentateurs fustigeant l’irresponsabilité des pauvres et bien sûr des gouvernants faisant porter la responsabilité morale du confinement aux gens soi-disant indisciplinés, pour mieux camoufler leur culpabilité directe dans l’étendue de la catastrophe.

  • Sorry, Being Born Rich Still Leads to Success More Than Working Hard in School (VICE)
    https://www.vice.com/en_us/article/evbgqk/sorry-being-born-rich-still-leads-to-success-more-than-working-hard-in-school

    What is striking about Goldthorpe’s study is that if we treat educational attainment in absolute terms, then decades of investments have yielded unprecedented results, but if we treat education in relative terms, then we find that the correlation between individuals’ class origins and their educational attainment hasn’t budged. Policies designed to develop children’s and students’ educational potentials – from pre-school programs for disadvantaged kids to minority entry quotas into elite universities – overlook the root cause of the problem.

    #éducation #inégalités_sociales #réussite_scolaire

  • Les #inégalités_environnementales

    Les #problèmes_environnementaux, devenus globaux, menacent tous les humains, mais ils les menacent inégalement. Cet ouvrage, entièrement inédit, de la Collection Vie des Idées/Puf, révèle la dimension environnementale des #inégalités_sociales ainsi que les effets inégalitaires des #politiques_écologiques.


    https://laviedesidees.fr/Les-inegalites-environnementales.html
    #justice_environnementale #livre #environnement

  • Culture : L’exception faite au marché - #DATAGUEULE 89 - DataGueule
    https://peertube.datagueule.tv/videos/watch/18fa924a-abf0-4676-acf3-49d0541e23a4

    Prenez tout mais laissez moi la #culture !
    On lui doit certainement nos plus beaux chefs d’oeuvre mais on la méconnaît. Voici, l’#exception_culturelle. Qui affirme que la culture n’est pas une #marchandise comme les autres. Qui place notre #production_audiovisuelle hors de griffes de la libéralisation continue. L’idée a permis au #cinéma_français d’exister malgré la force de frappe des majors d’#Hollywood. Mais face aux géants #Netflix, #Amazon et consorts et à l’orée d’une nouvelle ère d’hyperoffre audiovisuelle, le risque d’homogénéisation culturelle se fait à nouveau sentir. Les industries américaines voudraient nous faire croire que la culture se résume à un catalogue de produits. Que le plus compétitif gagne ! Laissons le choix au consommateur ! Mais souhaitons-nous vraiment que des marchandises envahissent nos imaginaires ? Peut-on accepter que les créations audiovisuelles ne deviennent qu’un article sur les étagère d’un supermarché mondial ?