• Comment le dialecte des rois est devenu le français, au détriment des langues du peuple.
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    Les révolutionnaires se sont persuadés que la pensée nouvelle ne pouvait s’exprimer qu’en français. Dans le même mouvement, ils ont associé l’Ancien Régime aux #langues_régionales, « des idiomes grossiers qui ne peuvent servir que le fanatisme et les contre-révolutionnaires », selon l’expression du conventionnel Bertrand Barère. Ils ne se sont pas contentés, comme la monarchie, d’instaurer le français comme langue de l’administration. Ils ont considéré qu’il fallait l’imposer au peuple.

    L’abbé Grégoire publie ainsi, le 16 prairial an II, son célèbre rapport sur "la nécessité et les moyens d’anéantir les patois" - « anéantir » ! -, où il note avec effarement que le français n’est parlé que dans une quinzaine de départements (sur 83). Le terme « patois » est conforme aux préjugés des élites de l’époque, fussent-elles les plus éclairées.

    Dans son Encyclopédie, d’Alembert choisit ainsi cette définition : « Patois : langage corrompu tel qu’il se parle dans presque toutes les provinces. On ne parle la langue que dans la capitale. » Des a priori qui perdurent aujourd’hui. Qui étudie Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904 pour une oeuvre écrite en provençal ? Qui connaît le poète #languedocien Pierre Goudelin (Pèire Godolin, de son vrai nom), considéré au XVIIe siècle comme l’égal d’Homère et de Ronsard ?

    Ceci excuse-t-il cela ? La Révolution mène cette politique culturellement criminelle au nom de sentiments nobles. On prétend « élever » le #peuple en lui donnant accès à la « meilleure » langue. On entend réduire la fracture entre les masses et la classe supérieure, qui accède aux places et au savoir grâce à sa maîtrise du français.

    Quelques esprits marginaux proposent pourtant d’atteindre l’égalité par une autre voie : le français comme langue commune, et non comme langue unique. Ce #plurilinguisme sera rejeté au nom de l’unité, confondue avec l’uniformisation. D’où ce paradoxe, souligné par le lexicographe Alain Rey : "La Révolution prétendait donner la parole au peuple. Linguistiquement, elle l’a donnée à la #bourgeoisie."

    La Révolution sera cependant trop brève pour permettre de traduire les idées de l’abbé Grégoire dans la réalité. Qu’à cela ne tienne : les régimes suivants s’en chargeront. L’Empire d’abord (dans les lycées, créés par Napoléon, le français est seule langue d’éducation). La Restauration, ensuite ("il faut absolument détruire le langage #breton", écrit en 1831 le ministre de l’Instruction publique à ses préfets). La République, enfin.

    C’est la IIIe du nom qui, dans ce domaine, se révélera la plus efficace. Là encore, Jules Ferry et ses contemporains agissent avec des sentiments élevés. Tout comme la #colonisation prétend « civiliser les races inférieures », l’école publique est censée élever tous les Français au rang de citoyens. Et, en bonne logique républicaine, cet objectif ne saurait être atteint que par le français, seul porteur de valeurs universelles, tandis que les parlers régionaux sont supposés enfermer leurs locuteurs dans un dangereux communautarisme.

    Un raisonnement spécieux, relevé notamment par l’historienne Mona Ozouf (Composition française, Gallimard). "L’école, au nom de l’#universel, humiliait la particularité. Mais l’école ne professait-elle pas en réalité sans le dire une particularité aussi, la française, qu’elle dissimulait sous le manteau de l’universel ?"

    Il n’empêche : cette interprétation domine toujours aujourd’hui. Ainsi, en 1992, seul le français entre dans la Constitution. Ce nouvel alinéa de l’article 2, introduit notamment pour protéger notre langue contre l’anglais au moment de la mise en place du grand marché européen, va se retourner contre... les langues régionales. En 1999, le Conseil constitutionnel l’invoque en effet pour interdire la ratification de la charte européenne les concernant. Celles-ci finiront bien par faire leur apparition dans la loi fondamentale, en 2008, mais simplement au titre de « patrimoine de la France ». Un article qui ne leur apportera rien de concret.

    Depuis une cinquantaine d’années, pourtant, les gouvernements ont changé de discours et même de pratique à leur égard. Ici ou là, on peut les apprendre à l’école. Très symboliquement, la délégation générale à la langue française s’occupe aussi « des langues de France ». Mais aucun ministre n’a osé prendre les seules mesures qui modifieraient radicalement leur situation : leur utilisation massive dans l’enseignement, les entreprises et les administrations. Pendant des siècles, l’Etat français a planifié leur disparition. Aujourd’hui, il les laisse simplement mourir...

    Pour se justifier, les tenants du #jacobinisme culturel évoquent le spectre de la Belgique, « minée » par sa querelle entre Flamands et Wallons, et de l’Espagne, « menacée » par les identités #basque et #catalan·e. L’argument est sérieux. Mais, curieusement, les mêmes oublient volontiers la Suisse qui, comme des dizaines de pays, vit paisiblement avec plusieurs langues officielles. Quand ils ne se contredisent pas en exigeant, pour les francophones du Québec, des mesures que Paris refuse sur son sol pour ses propres langues minoritaires.

    #langues_sans_frontières

    • Il en des langages comme de la culture, de l’éducation, de l’agriculture et du système de pensée, on ratiboise, on lamine, on lessive, on blanchit ! Ma grand-mère née au fin fond de la Bretagne est allée un an à l’école, elle n’avait pas le droit d’y parler sa langue maternelle. Puis tiens, je vais déraper un peu : quand j’étais gamine, je suis née et j’ai vécu toute ma jeunesse en région parisienne, un certain nombre d’institutions prodiguaient l’enseignement de l’arabe. Oui, l’immigration venue des pays du Maghreb a largement contribué à l’essor du pays mais aujourd’hui, non seulement on y apprend plus l’arabe mais en plus l’islamophobie domine.