Les smartphones ont mis dans nos poches un réservoir quasi infini de textes en tout genre, popularisant la lecture à des niveaux inespérés. Mais faut-il pour autant s’en contenter ? Quatre chercheurs, auteurs d’une étude consacrée à la « lecture de haut niveau », veulent attirer l’attention des responsables politiques avec un appel solennel, le Manifeste de Ljubljana...
Publié le :
11/10/2023 à 12:08
Antoine Oury
« Pourquoi la lecture de haut niveau est importante » : ainsi s’intitule l’article scientifique publié par André Schüller-Zwierlein, Anne Mangen, Miha Kovač et Adriaan van der Weel, une équipe internationale réunissant Allemagne, Norvège, Slovénie et Pays-Bas.
En septembre 2022, ils lançaient un avertissement, dans les pages de la revue First Monday. « Si les technologies numériques présentent un potentiel infini pour de nouvelles formes de lecture, des recherches empiriques récentes montrent que l’environnement numérique a un impact négatif sur la lecture, en particulier la lecture longue et la compréhension des textes », annonçaient-ils en introduction.
La lecture, unique en son genre
Partant du postulat que la pratique de la lecture longue recule dans un certain nombre de pays et de sociétés, les chercheurs tentent d’en déterminer les causes. La concurrence d’autres loisirs (vidéo, jeu vidéo, notamment) est bien connue, mais les multimodalités au sein d’un texte (l’intégration d’audio ou de vidéo au sein de l’écrit, par exemple) ont aussi une influence.
L’illectronisme, une menace parfois bien identifiée par les sociétés modernes — mais pas forcément bien combattue pour autant —, vient aussi distordre la lecture numérique. Parce qu’ils ne maitrisent pas toujours les tenants et aboutissants du texte numérique, les lecteurs peuvent être plus facilement manipulés, notamment par de fausses informations. Un phénomène qui s’observe aussi avec le livre imprimé, bien sûr, mais qui s’avère bien plus véloce en ligne.
Les chercheurs citent également le livre audio : sans nier son intérêt, ils rappellent que « l’écoute et la lecture sont des activités cognitives différentes, qui mobilisent des capacités mentales distinctes ». D’une manière assez évidente, le livre audio ne suscite pas le développement de la littératie, puisqu’il ne nécessite pas le décodage de la suite de symboles qu’est le texte écrit. D’autre part, l’auditeur est bien plus éloigné du narrateur que l’est le lecteur, lorsqu’il lit et « met en scène » un texte, en dissociant par exemple les voix de tel ou tel personnage.
L’équipe pointe aussi une tendance à la simplification des textes — utile dans certains cas, bien entendu —, et surtout des carences éducatives dans l’apprentissage de la lecture. Si cette dernière reste cruciale dans la plupart des programmes, elle est considérée comme un simple « outil », utile à la « résolution de problèmes ». Les chercheurs appellent à appréhender et valoriser « la lecture lente, la lecture gratuite, la lecture littéraire et la lecture longue pour elles-mêmes ».
En guise de conclusion, l’étude proposait différents leviers d’action, comme la multiplication des recherches interdisciplinaires consacrées à la lecture, l’établissement de statistiques nationales sur la pratique de la lecture, tout au long de la vie, ou encore une réforme des systèmes éducatifs, afin de faire une place à la lecture pour le plaisir et d’entretenir la pratique de cette dernière après la sortie d’études.
L’avenir de la lecture, l’avenir des sociétés
Le « Manifeste de Ljubljana » entend faire connaitre ces différents objectifs, pour le développement de la lecture longue. Il reprend les observations, les conclusions et les recommandations formulées par les quatre chercheurs, en invitant les individus et les organisations à relayer le message auprès des responsables politiques.
Comment inverser la tendance à la baisse des compétences en lecture est l’un des défis urgents auxquels la société est aujourd’hui confrontée. Pour participer en tant que citoyens informés à une société démocratique, nous avons besoin de compétences et pratiques de lecture de haut niveau, qui vont bien au-delà du simple décodage de textes. La lecture n’est pas seulement la voie principale de développement personnel, le fondement de l’apprentissage tout au long de la vie et la base d’une grande partie de nos échanges d’informations, mais aussi une dimension centrale de l’interaction et de la participation sociales.
– Manifeste de Ljubljana
« Nous demandons donc que l’éducation et la promotion de la lecture, l’évaluation et la recherche, afin de reconnaître l’importance de la lecture de haut niveau en tant que capacité de la vie et de la société », soulignent les chercheurs et les signataires, parmi lesquels l’Union Internationale pour les Livres de Jeunesse (IBBY).
Cette organisation internationale décerne chaque année le Prix Hans-Christian-Andersen, considéré comme le Prix Nobel de la littérature jeunesse, et milite pour la mise en avant des livres et de la lecture auprès des plus jeunes.
Outre l’IBBY, plusieurs structures internationales du livre et de l’édition ont apporté leur soutien, comme l’Union internationale des éditeurs, la Fédération des Éditeurs Européens, PEN International ou encore la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques.
Le Manifeste, en français, est accessible à cette adresse.