• Première version d’un texte débutant par une critique de Lordon. Commentaires bienvenus !

    Vers un socle de subsistance

    Sous le nom de « salaire à vie » ou bien de « revenu de base », des propositions politiques entendent libérer l’individu de la servitude au marché de l’emploi. Les justifications à ces propositions sont diverses mais il nous semble qu’elles conduisent toutes à des bizarreries.

    Prenons comme exemple la proposition de « garantie économique générale » de Lordon, dans l’article « La transition dans la transition » paru en 2020 (1).

    Lordon défend sous ce terme les mêmes propositions que Bernard Friot sous l’expression de « salaire à vie ».
    Passons, dans un premier temps, sur le fait que Lordon défend l’argent et le marché comme ne devant pas être abolis, au motif qu’ils seraient les seuls moyens d’organiser le minimum de division du travail encore nécessaire dans une société communiste.

    Le salaire à vie, nous dit l’auteur, « délivre de toute obligation d’aller s’insérer dans la division du travail sous l’impératif reproductif de l’emploi ». Dès lors, « la question se pose notamment de savoir comment pourvoir les places à faire tenir dont personne ne voudra ».
    Les problèmes de pénuries et de désorganisations matérielles étant les pires ennemis de la révolution, « il faudra envisager une période transitoire (...) qui « gèlera » temporairement les assignations présentes à ces segments « indispensables » de la division du travail ». Dès lors comment différencier la période de transition de la marche normale du capitalisme ?

    Cette « assignation obligatoire » et transitoire à ne pas pouvoir quitter son emploi, est faite « au nom des nécessités de la division du travail, c’est-à-dire des intérêts de tous : il doit alors y avoir une contrepartie spéciale ». A savoir, nous dit Lordon, un salaire plus élevé.

    Mais qu’est-ce que cette « garantie économique générale », qui oblige -en période de transition- certains individus à tenir certains postes, en lieu et place de « la double tyrannie de la valeur d’échange et de l’emploi capitaliste » dans un monde où il y a toujours des salaires, et donc toujours des marchandises à acheter ? Certains devront absolument garder leur emploi pour que d’autres puissent refuser le leur sans crainte (la fameuse garantie), pour que ce soit le cas pour tout le monde, mais plus tard (la fameuse transition). On n’y comprend pas grand chose, si ce n’est que cette « garantie économique générale » est avant tout du pur verbiage. Prévoir et légitimer, comme le fait Lordon, l’obligation « transitoire » des gens à travailler pour une garantie générale en dit long sur le potentiel politique d’une telle proposition.

    Les incohérences qui en découlent devraient démontrer par l’absurde que les postulats de départ sont à reconsidérer.

    Un des ces postulats est à mon avis la nécessité d’imaginer une alternative générale au capitalisme, imposant d’élaborer une proposition située à un même niveau d’abstraction. D’où les problématiques de division de travail, par exemple, comme si les révolutionnaires devaient obligatoirement prendre en charge l’intégralité de la production capitaliste. La proposition de restreindre la question à la « subsistance » est une tentative pour gagner en concrétude et ne pas prendre le problème par n’importe quel bout. La question alimentaire et agricole est en la matière centrale. Nous y reviendront plus loin.

    J’aurais plutôt envie de questionner la notion même de « garantie ». Sous prétexte que le capitalisme précarise les gens en les soumettant au règne de la valeur marchande, le communisme a-t-il pour but de délivrer l’individu de l’inquiétude de la subsistance et de lui garantir « la plus grande tranquillité matérielle sur toute la vie », comme le dit Lordon (2) ? On le voit, dans le raisonnement absurde de Lordon à propos de la « transition », cette garantie est difficile à concevoir sans de puissants mécanismes de coercition, sinon d’obligation sociale. Il est en effet difficile de vouloir ne pas s’occuper des choses importantes de la vie, sans que d’autres s’en occupent par ailleurs. Et comme il y a des chances que cela ne se fasse pas de façon spontanée, Lordon n’hésite pas à substituer au marché capitaliste de l’emploi des propositions de « transition » aussi bizarres que rédhibitoires pour boucler logiquement un système politique bancal à la base.

    En fait, le communisme ne ressemble certainement pas à une vie de retraité généralisée à tous, comme le laisse entendre Friot, mais plutôt à une vie sociale où les moyens de subsistance essentiels ne sont jamais très loin de tout un chacun. Aussi bien en tant que consommateur qu’en tant que producteur. Si garantie il y a, elle relève bien plus de l’existence de cette « proximité » matérielle et sociale d’un tel socle de subsistance, que de l’abstraction d’un salaire à vie, gros d’une logique d’irresponsabilité à tous les niveaux. Irresponsabilité du consommateur qui en veut pour son argent, irresponsabilité du producteur qui -sans la contrainte capitaliste- a intérêt à en faire le moins possible, irresponsabilité du planificateur qui dispose d’un accès privilégié aux ressources en cas de pénurie.

    En la matière, la façon de produire sa nourriture de façon non-marchande est une source d’inspiration essentielle. Dès lors que des personnes participent sans coercition, dès à présent, au fait de se nourrir et de nourrir les autres, on visualise beaucoup mieux de quoi sera faite une « garantie non-économique générale », qui se passerait du marché de l’emploi capitaliste. L’abolition complète de l’argent et du marché n’est sans doute pas un préalable à cela, mais plutôt une conséquence logique d’une organisation se concentrant sur l’accès à tous aux biens essentiels. Refuser l’économie capitaliste n’impose peut-être pas, en effet, d’abolir l’argent et le marché. Par contre, dès lors que le société s’organise autour de l’accès de tous à la subsistance et à la sa production, nous ne sommes plus dans le cadre d’une société marchande faite de producteurs séparés, et que seule la monnaie ou un autre équivalent général permet de relier. Précisément, comme l’a montré André Orléan, pour des producteurs isolés, l’accès à la monnaie est une question existentielle (3). La valeur abstraite est ce qui caractérise les relations marchandes, comme ce qui motive au plus profond les sujets économiques parce qu’il y va de leur existence même.

    Dès lors, soit on accepte la société marchande dans son principe, et il faut donc accepter que la précarité de l’existence passe par l’accès à la monnaie. Soit on refuse cette forme de précarité comme fondement sociétal, mais alors on ne peut pas rester en société marchande. Il faut inventer autre chose.

    Les propositions du salaire à vie ou de garantie économique générale sont présentées comme l’aboutissement d’une transition post-capitaliste. Au contraire, ne sont-elles pas essentiellement, de même que celles du revenu de base, des solutions précaires et transitoires, qui permettent à une partie de la population de s’extirper du marché de l’emploi, afin de transiter vers des formes de société non-marchandes ?

    Par delà l’actualité contemporaine, gros d’inquiétudes quant à la pérennité de la vie quand diverses limites planétaires physiques sont déjà dépassées, l’existence est précaire et l’a toujours été. En déléguant à un petit nombre d’acteurs la production des biens essentiels, disposant dans les étals de quantités de denrées injustement bon marché, une partie privilégiée du monde a peut-être être eu le sentiment que son existence était garantie. A l’inverse, faire pousser ses propres légumes, s’occuper concrètement de quoi l’on tire sa subsistance, que l’on soit amateur ou professionnel, en bio ou pas, c’est toujours se confronter à maints incertitudes d’un monde non-humain, qu’il s’agisse du climat, des maladies ou des ravageurs.

    Est-ce un privilège que de ne pas être relié à ce monde vivant-là, de ne pas y être un minimum immergé ? Pour la majeure partie de la population, pour qui l’accès à une alimentation saine en quantité suffisante est devenu impossible, cela pourrait bien apparaître comme la question essentielle. Notre objectif n’est plus d’obtenir de l’argent indépendamment d’un emploi, mais de mettre en place un accès inconditionnel à un socle de subsistance. En nature, et non en valeur monétaire. Et de plus, cet accès doit impérativement être couplé à un accès, tout aussi inconditionnel, à son mode de production (4).

    Dès lors, l’accès inconditionnel à un socle de subsistance et à sa production devient une revendication concrète et précise : il s’agit d’accéder aux terres agricoles autour des villes et au-delà, à des savoirs-faire, des moyens matériels, ce qui demande une autre organisation de l’espace compatible avec cet accès, soit une abolition de la distinction entre ville et campagne (5). C’est dans cette optique que le temps arraché au marché de l’emploi a un sens, et c’est dans les marges de l’emploi, et non au centre (6), que s’expérimentent les balbutiements d’un socle de subsistance. C’est d’ailleurs assez logique : comment espérer une validation marchande de pratiques non-marchandes, quand l’économie verrouille toutes les initiatives en vue de prendre soin du vivant ?

    C’est ce mouvement vers une réappropriation de la production alimentaire, par tout un chacun, qui nous paraît constituer un chemin désirable, cohérent, possible.

    Ce socle ne reposera pas uniquement sur une autarcie alimentaire locale (7). Celui-ci devant être articulé avec un fonds commun de réserves et de ressources de sécurité en cas d’urgence. C’est ce que l’on pourrait appeler une cotisation sociale en nature, pour une distribution de l’aide également en nature suivant les besoins. Les institutions existantes de sécurité sociale pourraient donc être une source d’inspiration, non pas pour en étendre le fonctionnement, mais pour le transformer sous une forme pertinente pour notre époque. Il est temps de réfléchir et débattre de la nature marchande, et pas seulement capitaliste, de notre société.

    (1) https://blog.mondediplo.net/transition-dans-la-transition

    (2) https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    (3) Monnaie, séparation marchande et rapport salarial, 2006
    http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Monnaie0612.pdf

    (4) C’est par exemple l’objectif des non-marchés de l’association le Jardin de Kodu, inspiré de _Bolo’bolo écrit en 1983. https://kodu.ouvaton.org/?NonMarches http://www.lyber-eclat.net/lyber/bolo/bolo.html

    (5) Pour approfondir cette question, on lira le passionnant article de Jasper Bernes, "Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie, et l’avenir du communisme – Jasper Bernes", 2020
    https://choublanceditions.noblogs.org/post/2022/01/13/le-ventre-de-la-revolution-lagriculture-lenergie-et-laven

    (6) Nous partageons ici pleinement les constats faits dans le livre Reprendre la terre aux machines de l’Atelier paysan (2021) de l’impasse de l’agriculture labellisée bio, en tant qu’alternative à l’intérieur de l’économie de marché, intrinsèquement incapable de nourrir toute la population et laissant s’installer une agriculture duale (une chimique pour la majeure partie de la population, une autre plus saine pour ceux qui un pouvoir d’achat suffisant). Pour des raisons économiques, la situation restera bloquée : il ne sera pas possible de sortir de l’agriculture industrielle et chimique dans ce monde marchand. Cependant, les auteurs n’imaginent pas d’autre porte de sortie qu’une captation de la valeur économique par les agriculteurs (au détriment des industries agro-alimentaire et de la distribution), par le biais d’une nouvelle sécurité sociale alimentaire, qui serait une nouvelle branche de la sécurité sociale, à financer par de nouvelles cotisations sociales (proposition directement inspirée de celle du salaire à vie de Friot et Lordon).

    (7) On sait que les flux, en matière alimentaire, sont actuellement totalement irrationnels quels qu’en soient les critères (ils sont rationnels d’un point de vue économique cependant, bien entendu, sans quoi ils n’existeraient pas). Même si chaque territoire a ses caractéristiques propre qui l’amène à s’orienter vers certaines cultures spécifiques, cela ne justifie aucunement le fait que, en France par exemple, n’importe quel territoire autour d’une ville donné alimente à 95 % celui des autres villes.

    #Lordon #Friot #post-capitalisme #post-monétaire #agriculture #subsistance #BoloBolo

  • Frédéric #LORDON - gauche, institutions : de l’élection bourgeoise à l’Etat communiste - Le Lieu-dit

    Dimanche 22 mai 2022, 14ème édition du petit salon du livre politique au bar/restaurant le Lieu-dit, rue Sorbier, Paris 20ème.
    « La gauche et les institutions : de l’élection bourgeoise à l’État communiste »
    Débat avec Frédéric Lordon.
    Animation/discussion par Marina Simonin.
    Réalisation : David Even

    https://www.youtube.com/watch?v=dWe0m9ua7TM

  • Leur société et la nôtre, par Frédéric #Lordon (Les blogs du Diplo, 1er avril 2022)

    Évidemment ils se sont goinfrés comme des porcs ». « Ils », McKinsey. Le propos est « entendu de la bouche d’un homme au cœur du système ». On ne sait pas qui est l’homme. Mais on sait qui rapporte ses propos. C’est Jean-Dominique Merchet, éditorialiste bizarre, entendre : reconnu par la corporation « éditorialiste » quoique faisant souvent écart à sa ligne d’uniforme imbécillité. Ici la qualité du rapporteur rend plus difficile d’évacuer pour complotisme la véracité du propos rapporté — comme le ferait le premier Gilles Le Gendre venu ou le spécialiste du complotisme de France Inter. On tiendra donc pour raisonnablement assuré que : oui, comme des porcs.

    https://blog.mondediplo.net/leur-societe-et-la-notre

  • Maintenant il va falloir le dire, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 30 novembre 2021)

    Que Stéphane Foucart écrive pareilles malséances dans Le Monde, par excellence le journal de la confiance capitaliste (puisqu’en plus du reste, le-capitalisme-c’est-la-démocratie), est en soi un petit événement

    https://blog.mondediplo.net/maintenant-il-va-falloir-le-dire

    On n’en sortira qu’avec une idée claire des causes, et même ici : de la cause, celle à laquelle tout le mouvement de pensée de Stéphane Foucart devrait conduire, et qu’il ne parvient pourtant pas à atteindre, une idée du reste parfaitement disponible et cependant intouchable, à proportion de ce que tout ce qui fait profession d’alimenter le débat public en « idées » la rend inaccessible, étant le plus souvent incapable de la penser lui-même. L’idée, c’est le capitalocène — et non l’anthropocène —, c’est que l’écocide est capitaliste, qu’il n’y aura pas de solution capitaliste à l’écocide capitaliste, par conséquent que la seule réaction de défense à monter doit être dirigée contre le capitalisme.

    #Lordon

  • Pleurnicher le Vivant, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 29 septembre 2021)

    Rechercher dans la page : « capital » — Expression non trouvée.

    Pourtant avec capital on avait mot compte triple : capital, capitalistes, capitalisme. On fait des recherches dans l’article de tête de Nicolas Truong qui introduit une grande série d’été dans Le Monde : « Les penseurs du vivant ». Pas une occurrence. Enfin si, il faut être honnête, une : « Nous vivons un bouleversement capital ». Si la situation terrestre n’était pas si tragique, ce serait presque drôle.

    https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant


    #Lordon

  • Ils ont choisi la défaite 2022. Par Bibi
    http://www.pensezbibi.com/categories/pensees-politiques/ils-ont-choisi-la-defaite-2022-22140

    ils ? Qui ça, « ils » ? Pas de tergiversations : il s’agit du Bon Bourgeois du Bloc Bourgeois, (B.B.B.B) de ce « socialiste moderne » comme l’écrit ironiquement Frédéric Lordon, dans son dernier billet. https://blog.mondediplo.net/france-inter-comme-les-autres

    Comment reconnaître un B.B.B.B.?
    « Depuis quarante ans, on lui a répété, envers et contre toute évidence, que le parti socialiste était « de gauche ». C’est en ce point qu’on mesure la difficulté de défaire les investissements imaginaires dans une identité politique. Une fois qu’on s’est dit de gauche à la manière PS, et qu’on y a été confirmé répétitivement par France Inter, ni les traités européens successifs, ni les privatisations, ni le CICE, ni les démolitions du code du travail, ni finalement aucun des alignements sur les desiderata du capital ne peuvent conduire à quelque reprise de soi politique : on est de gauche, c’est évident ».  Frédéric Lordon.

    Il est des nôtres ? Repérages.
    Ce Bourgeois, nous le connaissons tous, mais trop souvent, nous faisons comme s’il n’avait guère d’importance et de responsabilité dans le désastre présent. Nous haussons les épaules, nous laissons courir, nous le laissons discourir. Il est une de nos bonnes connaissances, un type bien qui est régulièrement présent aux réunions des Parents d’élèves, un type honorable qui dit que Blanquer est insupportable mais qu’il verrait bien Luc Ferry à sa place « à tout prendre, hein ? », il fait ses courses à la supérette, sa femme est au Club de Marche, ils ont la soixantaine approchante. Lui, il avoue que Michel Onfray a dit de jolies choses dont « la Gauche devrait s’inspirer », il dit encore qu’au réveillon du Jour de l’An, il espère manger au restaurant car l’histoire du Covid (« tous vaccinés, on y arrivera ») sera bientôt du passé. (« Tous comptes faits, Macron a bien mené son affaire »)

    Quand on lui demande si le confinement a eu des effets négatifs. « Non financièrement nos fins de mois ont été assurées. C’est surprenant mais rien de changé. Pour nous, c’est comme avant ».

    Ne pas effacer l’historique (de son habitus politique).

    En 1981, notre B.B.B.B sautait dans la fontaine des Cordeliers à Lyon pour fêter l’ère Mitterrand. Il a conservé la Une du Libération tout rose d’alors. Qu’en 1983, Mitterrand ait finalement mis à jour ce qu’il avait caché en manoeuvrant habilement. « Je clame Vive le Programme Commun » mais je fonce dans le libéralisme-façon-Bernard-Tapie » ne lui a jamais posé problème. Nous étions en pleine fascination des Nineties. Les entreprises étaient au Top, le miel de l’argent coulait à flots, le CAC 40 montait, les petites économies placées en bourse lui avaient fait gagner 2%. Même Chirac et ses pommes, Bernadette et ses pièces jaunes, c’était sympa. Sa conscience politique aiguë lui disait que la Cohabitation (on ne disait pas « Collaboration ») c’était finalement une bascule nécessaire dans « L’Epoque Moderne ». Il était toujours de Gauche bien sûr car cette dernière s’était modernisée, il continuait à soutenir le combat avec les Valls, Elkhomry, le futur Macron, Montebourg, Batho et Taubira. Plus de danger avec les Communistes car le Parti de Robert Hue et de Pierre Laurent s’était modernisé, lui aussi, dans le bon sens. C’est sûr : on allait rester la 5ème puissance mondiale comme tous les économistes l’écrivaient. Là-dessus, aucun doute puisque Terra Nova lui envoyait régulièrement ses analyses impeccables. Et il rajoutait : « A l’Institut Montaigne aussi, les études sont vraiment très sérieuses« .

    Et puis, reste le souvenir d’avril 2002.
    Un Jospin à la dérive et un Le Pen au second tour. « Hein ? Quoi ? Catastrophe ! Les gueux sont entrés dans la Ville. Dieu du Ciel, des français manipulés, inconscients, enfoirés sont venus foutre la merde ! Ah l’esprit français, parlez moi z-en ! On a le pire de l’Esprit français, jamais content, rouspéteur. L’esprit de 1940. Populo avachi ». La forme contestataire – via les taux d’abstention majoritaire qui vont suivre – sont ignorés. Et le Non au Référendum 2005 sera, lui aussi, vite dénié, vite refoulé, vite contourné politiquement.


    Va t-il « se défaire de ses investissements imaginaires ? » (Lordon)

    Si l’on était en cours avec Bourdieu, on dirait : « habitus incorporé ». Si l’on a souvenance de certains écrits d’Althusser, on retiendra ceci :

    « Pour passer sur les positions de classe prolétarienne, l’instinct de classe a seulement besoin d’être éduqué. En revanche, l’instinct de classe des petits bourgeois et donc des intellectuels doit être révolutionné ». Pas pour demain cette Révolution.

    Pour notre B.B.B.B et les Droites, le Mal, c’est le même.

    Les déclassés, les antivax, les dans-la-rue-chaque-semaine, les islamo-gauchistes, les gilets-jaunes-trop-jaunes, voilà le Mal. Oh, le B.B.B.B garde encore un restant d’humanisme (« Il faut les aider et rester quand-même bienveillant. C’est qu’on est quand-même en République ») mais c’est pour rajouter « Mais hélas, il faut bien le dire, ils sont « bêtes », « abrutis », « irrécupérables » ou encore « Oui, il faut travailler plus, que voulez-vous, c’est la mondialisation. Le monde a changé ». Pire encore : « Filous et profiteurs, oui quand-même, c’est un peu vrai et, avouons-le, ils sont quelque peu antisémites. J’ai vu une pancarte à la télé (il hausse le ton) « c’est in-to-lé-ra-ble »).

    Chaque matin, le B.B.B.B écoute « France Inter ».
    Mais pas uniquement. Il sait d’avance qu’il partage les opinions inamovibles de L’Obs, de Liberation (qu’il achète assez régulièrement), du Monde (A son travail, le boss laisse traîner des numéros), de Marianne le Mag (« Super leurs Unes ! »). Madame, elle, s’est réabonnée à Télérama. Hier elle s’est ralliée à l’avis de Fabienne Pascaud, l’éditorialiste qui garde de l’espoir pour la Culture avec la nomination de Roselyne Bachelot.

    Le B.B.B.B est un inconditionnel de France Inter. Certes, il n’était pas toujours d’accord avec Bernard Guetta mais « Thomas Legrand et Dominique Seux qui l’ont remplacé disent de belles choses ». Il ignore évidemment ce qu’avait relevé Fakir dans un ancien numéro…


    Liberation et Politiquemedia.

    Et, hier, il est tombé sur cet article de Liberation qui a commandé et approuvé le travail de cet Officine (PolitiqueMedia probablement très influente) sur lequel il faut s’arrêter. Un article qui dit tout du Choix de la Défaite sous des dehors neutres, objectifs.
    Un de mes tweets a suffi à repérer l’esbrouffe, c’est-à-dire les catégorisations acceptées et imposées par le quotidien favori de « gauche » de notre B.B.B.B. Des catégorisations d’évidence of course.


    Notre Bourgeois gentilhomme se dit toujours de gauche.

    Il est persuadé que sa version Droite-Gauche existe toujours. « En 2017, c’est vrai, il fallait bien s’y résoudre : entre le totalitarisme et Macron, y avait pas à hésiter ». Et notre B.B.B.B n’a pas hésité. D’ailleurs, il n’hésite jamais. Il n’hésite pas car – contrairement aux gens de l’Ultra-Extrême-Gauche (un concept trouvé à Liberation et psalmodié par les Fabienne Sintès, Demorand, Salame, Duvic, Dely, Achilli and Co) – ,lui il a réfléchi, il a pris en compte les bouleversements mondiaux, les Chinois, les pays émergents, les Talibans, Bachar, Bolsonaro, Poutine et ses pipe-lines mais aussi les scandaleux paradis fiscaux et les méfaits du « Grand Capital » (il rit en disant ces deux mots façon Georges Marchais). Et donc, y a pas à hésiter. Il sait que la Droite (LR, RN) continue à être très vilaine. Ses opinions se fondent exclusivement dans son horreur du populisme. Horreur de la droite dure. De l’extrême-droite, de tous ces abrutis qu’on manipule. Mais, point nodal tout aussi incontournable : pour lui, Macron, ce n’est ni la Droite, ni des relents d’extrême-droite. « Faudrait pas exagérer, hein ? »

    Parfois – mais il évacue vite – il se dit que certains, à droite, n’ont pas tout à fait tort. Il y trouve des gens intelligents qui disent des choses sensées sur l’islamo-gauchisme, sur le migrant, sur les frontières insuffisamment protégées, sur l’Europe (qui s’affaiblit à cause des râleurs), sur les banlieues (« Ah oui, les banlieues ») et les jeunes qui traînent dans les rues à point d’heure. Mais de la violence symbolique et réelle de la police castanerienne et darminesque, il ne voit rien. Il anônne toujours « je suis de gauche ». Des preuves ? Il est révulsé par les millions que va gagner Messi, par les viols, par Darmanin et les femmes (« Je verrais bien un retour de Cazeneuve, il était bien »), il maudit le Texas qui a interdit d’avorter, il se désole du Climat et de la dégradation de notre environnement (« Perso, j’ai appris à fermer les robinets »). Il est plus-que-jamais pour la solidarité (« j’amène mes vieux habits à Emmaüs »).

    L’Esprit de Communauté comme pilier.

    Mais ces positions-là (acceptons-les) ne le feraient pas tenir debout longtemps si elles n’étaient que personnelles. Si son for intérieur reste indestructible et inébranlable dans ses fondations imaginaires, c’est qu’il peut compter à tout moment sur l’Esprit de Communauté. Une Communauté qui existe car elle écoute – comme lui – France Inter et France Info, elle lit Le Monde, L’Obs, Marianne etc. Il s’offusquerait si on lui disait que sa Communauté n’est Une et n’existe que parce qu’elle pointe les boucs emissaires, qu’elle ne tient debout que grace à ces rejets, qu’elle applaudit fièrement Lallement etc. Un Esprit de Communauté dont les piliers inavoués, refoulés, non-dits sont : la Peur animale de Vivre tous ensemble, l’horreur du Conflit, la Haine de Ceux-Qui-Résistent. Et ceux qui résistent et dont notre B.B.B.B ne veut pas appartiennent à l’extrême. Enfin à « l’extrême-gauche » catégorisé ainsi par Liberation.

    Cette Propagande-Médias rassure notre BBBB. Elle lui dit : « En bon Français qui votera en mai 2022, la bonne Communauté nationale que tu souhaites ne peut pas se soumettre à un extrême, être dirigé par lui, hein ? » Comment s’étonner dès lors que notre B.B.B.B reste indécrottablement accroché à sa propre vision du Monde : « Oui, oui, oui : je suis toujours à gauche ».

    Ils ont choisi la défaite 2022.

    De cette gauche présente à 4% dans les micros des radios publiques, nos BBBB n’en veulent pas. Mélenchon est leur homme à abattre. Je les vois tous fiers de l’avoir écarté en mai prochain. Ce qui change chez nos B.B.B.B, pour aujourd’hui et pour demain, c’est qu’ils disent désormais ouvertement vers qui, vers quoi, prioritairement, ils écument de rage.

    Et pendant tout ce temps, l’ouragan version MEDEF continuera de tout détruire. Et foin de « défaite », nos B.B.B.B se consoleront avec une promotion ministérielle post-2022 (un Enthoven, un Finkielkraut, un Ferry, une Pécresse, un Barnier augmentés de quelques crétins de la Société Civile). Soupçon de culpabilité vite réprimé, j’entends déjà le B.B.B.B d’â côté me dire : « Bah ! Il fallait bien en passer par là ». Et puis, dans une accolade : « Dis-moi, tu as écouté la Matinale de France Inter sans Léa Salame ? Quand-même bien… non ? »

    #bourgeois #bloc_bourgeois #ps #gauches #bachelot #roselyne_bachelot #fabienne_pascaud #Fakir #france_info #france_inter #institut_montaigne #léa_salame #liberation, #lordon #mélenchon #politiquemedia #telerama #blanquer #luc_ferry #michel_onfray #terra_nova #bernard_guetta #thomas_legrand #dominique_seux #Jean_Luc_Mélenchon #enthoven #finkielkraut #luc_ferry #valérie_pécresse #covid #covid_19 #macron #pandémie

    • Très bien dit :

      Et c’est parmi eux qu’on trouve le concentrat de tous ceux qui ont droit à la parole à grande échelle : entrepreneurs complaisamment interviewés, experts, journalistes, qui bourrent les crânes à longueur de journée — avec le bon fourrage.

      À propos des bourgeois du bloc, des bourgeois intellectuels et héréditaires.

      Ne serait-ce pas dans ce livre de Pierre Rimbert dont il est question dans ce blog, qu’est démontré que les personnes qui s’opposent beaucoup, donne des leçons d’écologie, se permettent de faire des leçons sur la nourriture ou les lois injustes etc. sont en grande partie (tous ?) des bourgeois héréditaires ?

      Finalement que ceux qui critique aussi les mouvements anti quelque-chose ou pour quelque-chose, qui prennent tant de temps à écrire dessus, sont en réalité des bourgeois intellectuels héréditaires ?

  • France Inter comme les autres, par Frédéric Lordon(Les blogs du Diplo, 6 septembre 2021)

    Le problème n’est pas, n’a jamais été les « 1 % ». Au reste si vraiment on voulait cerner la grande richesse qui fait les oligarchies, il faudrait plutôt aller chercher du côté des 0,01 % voire des 0,001 %. Non, le problème — le verrou politique — ce sont les 10 %. Les 10 % qui, ne souffrant de rien, sans être richissimes, « y » croient dur comme fer.

    https://blog.mondediplo.net/france-inter-comme-les-autres


    #Lordon

  • Fury room, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 22 mai 2021)

    Ce texte est extrait, sous une forme ré-adaptée, de la dernière partie d’un livre d’entretien avec Bernard Friot, coordonné par Amélie Jeammet et Marina Simonin aux éditions La Dispute, à paraître au mois d’octobre. L’emballement des événements récents ne rend pas absurde sa publication avancée.

    https://blog.mondediplo.net/fury-room


    #Lordon #fascisme

  • Critique de la raison gorafique par Frédéric Lordon, 7 avril 2021
    https://blog.mondediplo.net/critique-de-la-raison-gorafique


    Qu’il n’y ait pas de malentendu : « critique » ne sera pas à comprendre au sens du jugement usuel (« ça, c’est mal »). Non, ici « critique » est à comprendre au sens de Kant, comme l’activité de la raison s’interrogeant elle-même, notamment dans l’exploration de ses conditions de possibilité. Posons d’emblée l’essentiel : le gorafique est un fait majeur de notre temps. Tout le monde le sent intuitivement. Mais en avons-nous pour autant le concept ? Au moins la philosophie d’aujourd’hui connaît-elle son apéritif catégorique : penser le gorafique.
    #Lordon

  • Du bon usage des barbelés - Les mots sont importants (lmsi.net)
    https://lmsi.net/Du-bon-usage-des-barbeles

    Dans L’Homme qui n’a pas d’étoile, de King Vidor, il y a cette scène où un éleveur de bétail conseille au cow-boy solitaire joué par Kirk Douglas d’utiliser du fil de fer barbelé. En entendant ce mot, le héros se raidit, ses traits se durcissent. « Qu’est-ce qui ne va pas ? », demande l’éleveur. Et Kirk de lui répondre sèchement : « Je n’aime pas ça, ni celui qui s’en sert. »

    On repensait à cette réplique, l’autre jour, en voyant les images de soldats américains en train de dérouler sur les rives du Rio Grande des kilomètres de bobines de barbelé concertina – variante autrement plus redoutable, avec ses lames de rasoir conçues pour trancher jusqu’à l’os, que le gros barbelé à pointes inventé en 1874 par un fermier prospère de l’Illinois [1].

    C’est le même modèle qui borde la rocade menant au port de Calais, où il couronne un tentaculaire lacis de clôtures et de détecteurs à rayonnement infra-rouge. Dans le Pas-de-Calais, sa fonction consiste à stopper les saute-frontière et, s’ils insistent, à leur infliger des lacérations que les médecins sur place comparent à des blessures de guerre.

    Aux Etats-Unis, l’actuelle débauche de barbelés visait la « caravane des migrants », cette marche d’environ cinq mille personnes parties du Honduras début octobre à la recherche d’une meilleure vie dans le Premier monde. Les trimardeurs et les grandes voyageuses n’avaient pas encore atteint Mexico, à mille bornes du point frontière nord-américain le plus proche, que déjà Donald Trump dépêchait ses troupes à leur rencontre en annonçant, la bave littéralement aux lèvres, qu’elles avaient l’ordre de tirer dans le tas au premier jet de pierre – comme à Gaza, mais au Texas.

    #frontière #migration #gauche #lordon #rufin

  • Détruire le capitalisme avant qu’il ne nous détruise (à propos de Lubrizol) | Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/detruire-le-capitalisme-avant-qu-il-ne-nous

    On se croyait en start-up nation. On se retrouve à Tchernobyl. Qu’en un instant tout le glamour de pacotille de la Station F et des écrans tactiles s’écroule pour faire revenir d’un coup des images d’URSS n’aura pas été le moindre des paradoxes de l’explosion Lubrizol. Il faut pourtant s’y rendre : des pompiers envoyés en toute méconnaissance de ce qui les attendait, avec pour tout équipement « spécial » de pauvres masques de bricolage pareils à ceux des manifestants, à piétiner des heures dans la sauce qui troue les bottes et leur promet des pieds comme des choux-fleurs — et tout ceci, parfaite ironie, alors que la série Chernobyl venait de remporter un succès de visionnage bien fait pour consolider la commisération réservée aux régimes soviétiques et le sentiment de supériorité capitaliste (au prix tout de même de devoir oublier que Tchernobyl était en sandwich entre Three Miles Island et Fukushima).

    Mais plus encore que les bottes et les masques, il y a le mensonge, le mensonge énorme, le mensonge partout, sans doute le propre des institutions en général, mais la marque de fabrique de ce gouvernement qui, en tous domaines, l’aura porté à des sommets inouïs. Jusqu’au stade de la rodomontade obscène : si elle avait été rouennaise, nous assure Sibeth Ndiaye, « elle serait restée ». On croirait entendre un secrétaire régional du PCUS d’Ukraine juste avant de fourrer d’urgence sa famille dans un autocar — mais les images de CRS en masque à gaz pendant que le préfet assurait de la parfaite normalité de la situation avaient déjà tout dit...

  • Rébellions urbaines et déviances policières, Approche configurationnelle des relations entre les “jeunes” des Minguettes et la police (1981-1983) par Abdellali Hajjat | https://journals.openedition.org/conflits/18839 | #Vénissieux #Lyon #Banlieues #ViolencesPolicières

    "L’indignation, c’est ici l’affect commun dissident par excellence, celui par lequel des citoyens, précisément parce qu’ils sont un « grand nombre », trouvent la force passionnelle de se soustraire à l’emprise d’un pouvoir abuseur. Et c’est là le point de départ de la sédition ou de l’insurrection." (#Lordon sur #Spinoza, TP, III, 9) | http://palimpsestes.fr/blocnotes/2017/juin/lordon-puissance-indignation.pdf.

  • Le complotiste de l’Élysée par Frédéric Lordon (les blogs du diplo 2/02/2019)
    https://blog.mondediplo.net/le-complotiste-de-l-elysee

    On peut tenir pour l’un des symptômes les plus caractéristiques des crises organiques l’emballement des événements, et la survenue à haute fréquence de faits ou de déclarations parfaitement renversants. En moins de 24 heures, nous aurons eu les enregistrements Benalla, aussitôt enchaînés avec une rafale de propos à demi-« off » signés Macron, et la mesure du dérèglement général est donnée à ceci que, dans la compétition des deux, c’est Benalla qui fait figure de gnome. En fait, on n’arrive plus à suivre.

    Il le faut pourtant, car tout est magnifique. Macron en « off », c’est chatoyant. C’est qu’il est l’époque en personne, son plus haut point de réalisation : managérial, ignorant de tout ce qui n’est pas sa classe, le racisme social jusque dans la moelle des os, le mépris en toute innocence, et surtout l’absence complète de limite, de censure, de reprise de soi. C’est une compulsion venue de trop loin : dans l’instant même où il annonce sa propre réforme et jure de faire désormais « très attention » à ses « petites phrases », il se scandalise que le premier « Jojo avec un gilet jaune » ait « le même statut qu’un ministre ou un député » — « les petites phrases, j’arrête quand je veux », d’ailleurs « je commence demain ». Et c’est cet individu dont les « analystes » des grands médias se demandent « dans quelle mesure il tiendra compte des résultats du grand débat »… Mais peu importe, c’est tellement beau qu’on en reste émerveillé. Même une fiction à petit budget n’oserait pas se donner un personnage aussi énorme, aussi « cogné » — mais c’est sans doute le propre de cette époque que la fiction, même débridée, peine à se tenir au niveau de la réalité.

    • Dans le pipeline de la pensée managériale, qui crache du bullshit à jet continu, la dernière trouvaille à la con a pour nom la « holacratie ». Comme les penseurs du management sont pressés et ne regardent pas trop au détail, ils ont cru pouvoir décalquer à l’identique, et à leur propre usage, la holarchie d’Arthur Koestler, mais sans voir que le mot procédait par contraction pour éviter le hiatus holo-archie – le pouvoir (archie) du tout (holon). Dans l’entreprise holocrate (et non holacrate – il ne s’agit pas du pouvoir de la holà...), il n’y a supposément plus de pouvoir central, car le pouvoir appartient à tous : plus de de hiérarchie, plus de commandement, autonomie partout. Les plus idiots se sont empressés de conclure qu’on avait enfin trouvé la formule vraie du capitalisme à visage humain. Il faudrait leur demander d’imaginer ce qui se passera au moment où un retournement de conjoncture enverra l’entreprise dans le rouge, et où et comment les actionnaires, et le dirigeant nommé par eux, suggéreront aux salariés de s’administrer la holocratie.

      […]

      On pouvait pourtant trouver, et de longue date, de quoi nous prévenir de cette épouvante en marche, et plus généralement des prétentions contemporaines de l’entreprise de fonctionner à la joie, à l’amour et à la concorde. On peut ainsi lire ceci dans les Pensées de Pascal : « Es-tu moins esclave pour être aimé et flatté de ton maître ? Tu as bien du bien esclave, ton maître te flatte. Il te battra tantôt ».

      Plus près de nous, voici ce que Marguerite Yourcenar met dans la bouche d’un de ses personnages antiques dans Les mémoires d’Hadrien : « Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machine stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exception des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. À cette servitude de l’esprit ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait ».

      […]

      Et ça c’est ce que je dis depuis des années à propos des coopératives VS toutes les autres entreprises (mais sans oublier que ça reste dans le capitalisme, du capitalisme plus ou moins démocratique donc) :

      Il y a ainsi de quoi rire beaucoup à l’expérience de pensée qui imagine Laurent Joffrin ou l’éditorialiste du Monde, dont les suites de mots ne sont qu’un long gargarisme sur le thème de la « démocratie », sommés de se prononcer sur ce fait étonnant que, dans la société de leur gargarisme, les hommes passent la moitié de leur temps éveillé sous des rapports d’obéissance, et puis, ceci aperçu, qui leur demanderait ce qu’ils pensent d’un projet politique, somme toute logique, d’extension réelle de la pratique démocratique à toutes les sphères de la vie commune – y compris, donc, la sphère de la production.

      […]

      Mais la difficulté de ces questions offre peut-être la raison même de commencer à les poser, et à les poser avec insistance, comme le seul moyen de hâter quelque chose qui nous ferait échapper à cette fulgurante prédiction, qui ne sort pas de quelque traité théorique mais d’un ouvrage d’un tout autre genre, célébrant à sa manière la préscience, pour ne pas dire les vertus oraculaires, du Côtes du Rhône, je veux bien sûr parler des Brèves de Comptoir, dans le millésime 1995 desquelles on trouve ceci : « On finira qu’on nous dira de nous torcher le cul les uns les autres, et ils diront on leur a donné du boulot ». 1995… Et qui ne voit que nous y sommes quasiment. Car, logiquement, en prolongeant la série : après Uber Drive et Uber Eat devraient venir Uber Poop ou Uber Wipe. Heureusement, ce tome 1995, particulièrement riche, ne nous laisse pas complètement désespéré, puisqu’on peut aussi y lire ceci : « À partir de dix millions de chômeurs, je crois qu’on peut sortir le soleil et les parasols ». L’idée générale, donc, ce serait bien ça : qu’on n’ait pas à attendre d’en arriver là pour sortir les parasols.

      #Lordon #Frédéric_Lordon #Bernard_Friot #capitalisme #travail #critique_du_travail éventuellement #critique_de_la_valeur mais sous un autre angle (et là il s’agit plutôt de proposition d’un autre mode de calcul de la valeur et non pas d’une abolition de la valeur)

    • À chacun des trois régimes d’#accumulation observables depuis la fin du XIXe siècle correspondent donc trois régimes d’affects de la mobilisation salariale. D’un point de vue analytique, le plus important, c’est le premier : le régime de la mobilisation par les peurs basales, les peurs de ne simplement pas pouvoir survivre – l’aiguillon de la #faim, disait Marx. Ce régime n’est pas un régime avant d’autres régimes, et comme les autres régimes. C’est le régime fondement de tous les régimes, le régime qui dit l’essence, la vérité ultime du rapport salarial comme rapport de #chantage à la survie même. S’employer ou crever : les capitalistes ont longtemps poursuivi de ramener la donnée du #travail telle qu’elle se présente aux individus à la pureté, à l’exclusivité, de cette alternative. Et comme ils n’y sont jamais complètement parvenus, ils ont été conduits à emprunter d’autres voies passionnelles, en apparence tout à fait contraires – en apparence seulement.

  • #LesInrocks - Alain #Damasio : “C’est tout le rapport de l’Occident à l’activité qu’il faut repenser”
    https://www.lesinrocks.com/2018/01/24/actualite/alain-damasio-cest-tout-le-rapport-de-loccident-lactivite-quil-faut-repe

    Alain Damasio : “C’est tout le rapport de l’Occident à l’activité qu’il faut repenser”
    24/01/18 18h15
    PAR
    Mathieu Dejean
    Samedi 27 janvier, une journée de débats est organisée à la Bourse du #Travail de Paris sous le titre : “Tout le monde déteste le travail”. Alain Damasio, écrivain de science-fiction engagé, auteur de “La Horde du Contrevent” (2004), nous en dit plus sur cet événement qu’il a co-organisé.
    Au milieu des années 1950, l’Internationale lettriste regroupée autour de Guy Debord annonçait l’esprit de Mai 68 avec un célèbre graffiti : “Ne travaillez jamais”. Cinquante ans après les “événements” de mai, un collectif souffle sur les mêmes braises réfractaires, et organise le 27 janvier à la Bourse du Travail de Paris une journée de débats et de création artistique sous le titre : “Tout le monde déteste le travail - Rencontres pour qui en a, en cherche, l’évite, s’organise au-delà...”.

    Annoncé sur le site lundimatin, proche du #Comité_invisible, l’événement rassemble la fine fleure de la pensée critique dans ce domaine – la sociologue Danièle #Linhart, le professeur de droit Emmanuel #Dockès, l’économiste Frédéric #Lordon, ou encore le journaliste indépendant Olivier #Cyran (auteur de Boulots de merde ! Enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers, 2016) -, mais aussi des syndicalistes, des zadistes et des écrivains (le programme complet est ici).

    Le collectif à son origine est aussi celui qui avait organisé la “chasse aux DRH” le 12 octobre dernier, pour empêcher la venue de Muriel Pénicaud au Congrès des DRH. Alain Damasio, écrivain de science-fiction engagé, auteur de La Zone du dehors et de La Horde du Contrevent, qui a co-organisé ce rassemblement, nous en dit plus.

    Quel est l’objectif de cette journée ?

    Alain Damasio – Lors d’une rencontre sur le plateau de Millevaches (Limousin) fin août avec des gens qui gravitent autour du Comité invisible, des artistes, Frédéric Lordon ou encore Julien #Coupat, on s’est dit qu’il fallait lancer une série d’actions pour lutter contre la deuxième loi travail. La première action, c’était la “#chasse_aux_DRH”. La deuxième, c’est cette journée au cours de laquelle nous allons essayer de déployer nos idées, nos visions, de proposer des choses. L’objectif, c’est de répondre à ces questions qui nous traversent tous : Comment dépasser le travail ? Comment sortir de cette fabrique du travailleur comme figure essentielle ?

    Ces rencontres sont réunies sous l’intitulé “Tout le monde déteste le travail”. Ça vous semble si évident que ça ?

    Le titre est une référence au slogan “Tout le monde déteste la police”, il fait la continuité avec les manifestations contre la loi travail. Il a aussi un côté affectif. Frédéric Lordon explique très bien que les mouvements politiques se déploient lorsqu’ils ont un affect commun. En l’occurrence, nous éprouvons la sensation qu’une majorité de gens souffrent au travail, subissent des conditions d’exploitation de plus en plus subtiles, que la pression du chômage les oblige à accepter. C’est pourquoi nous avons décidé de taper sur le travail, conçu comme une activité soumise à salaire et à un système de contrainte très fort.

    C’est aussi une provocation. Des gens vont lire l’affiche et se dire : “C’est pas possible, moi j’aime mon travail !” En fait, on pousse les gens à s’auto-convaincre qu’ils aiment ce qu’ils font. Quand tu subis une exploitation forte, dans un cadre très contraint car tu dois gagner ta vie, c’est une réaction naturelle. Intérieurement tu souffres et tu détestes ce que tu fais, mais tu as aussi une injonction à être à l’aise, à aimer ce travail. C’est aussi contre ce néo-management que nous nous érigeons.

    “Nous avons décidé de taper sur le travail, conçu comme une activité soumise à salaire et à un système de contrainte très fort”

    Nos vies vous semblent-elles de plus en plus réduites à cette seule activité : le travail ?

    J’ai le sentiment qu’on continue en tout cas à nous faire croire que l’horizon peut être le plein-emploi, qu’il suffit d’y mettre le fric, ou de “libérer” le travail pour qu’on recrée de l’emploi. Je suis convaincu qu’il faut au contraire définitivement enterrer cette idée. Pour moi, l’avenir du travail réside peut-être dans le revenu universel, même si le capital peut s’en accommoder. Cette idée ne fait d’ailleurs pas consensus entre nous.

    En effet il y a une version néolibérale du revenu universel... Comment en faire une mesure vraiment émancipatrice ?

    Les positions des participants à cette journée divergent à ce sujet. Ariel Kyrou, que j’ai fait inviter, a énormément défendu le revenu universel dans le cadre de la revue Multitudes. Pour moi, c’est un plancher minimal à partir duquel tu peux te débarrasser de la nécessité de travailler. Je pense que ça peut libérer énormément d’énergie pour créer, militer, organiser un autre type de vie. Ça ouvre la porte à des alternatives. Beaucoup de gens se moquent d’avoir un statut social. C’est ce que j’ai vu à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. De quoi vivent-ils ? Ils vivent souvent d’un RSA, et de l’autoproduction. En l’occurrence, le plancher du RSA leur permet de faire des choses fabuleuses localement.

    Entendez-vous revaloriser la paresse, l’oisiveté ?

    Je n’aime pas l’idée de paresse, car elle s’articule comme une négativité par rapport au travail. Par contre, étymologiquement, l’oisiveté vient du terme latin otium. Nier l’otium, ça donne le mot negotium, le "négoce", le commerce, et finalement, ce monde capitaliste dans lequel on est. Nietzsche l’écrivait très bien aux alentours de 1870, avant l’arrivée du marxisme, qui a été très pro-travail : pourquoi prôner le travail, alors que la noblesse spirituelle de l’époque était fondée sur une valorisation absolue de la disponibilité, de l’oisiveté, de la présence au monde, de la contemplation ? On a réussit à inverser cette hiérarchie des valeurs pour faire du travail quelque chose d’indispensable, le nec plus ultra.

    “C’est tout un rapport de l’Occident à l’activité en elle-même qu’il faut repenser”

    L’oisiveté, ce rapport au temps libéré, cette disponibilité au monde, à la nature et aux autres m’intéresse. Prendre ce temps me paraît fondamental. C’est tout un rapport de l’Occident à l’activité en elle-même qu’il faut repenser. En écrivant le texte du programme de cette journée avec Julien Coupat, on s’est posé la question du sens de l’activité. On a une telle compulsion au productivisme ! Moi-même, je n’arrive pas à passer à un rapport à l’activité qui ne soit pas auto-aliénant.

    Les technologies numériques semblent contribuer à accentuer l’emprise du travail sur nous, alors qu’on croyait qu’elles allaient nous en libérer. Pensez-vous qu’on peut mieux les maîtriser ?

    Je pense qu’on est dans un état d’adolescence par rapport aux technologies numériques. Il faudra encore une génération pour atteindre un bon niveau de recul, de maîtrise. Je vois très peu de parents capables d’éduquer leurs gamins aux jeux vidéo. Or s’il n’y a pas de transmission sur ce média, d’école pour éduquer aux jeux vidéo, comment voulez-vous que les gamins ne soient pas bouffés, vampirisés par des jeux addictifs ? C’est pareil pour les réseaux sociaux, les mails, etc. On peut passer des journées seulement en interactions avec des interfaces. Ça, c’est flippant.

    “La liberté est un feu : tout le monde a envie de se mettre autour, mais personne ne va prendre le risque de sauter dedans, d’assumer ce qu’être libre veut dire”

    J’ai l’impression qu’il y a un mécanisme humain de fermeture au monde, de régression fusionnelle avec les outils technologiques. Cela crée des effets de bulle. Le psychanalyste Miguel #Benasayag l’a très bien expliqué dans Plus jamais seul. Les gens veulent rester dans un continuum affectif permanent avec leurs proches, ils ne supportent plus le moment où le lien se coupe, et où on se retrouve seul. Pourtant c’est dans l’absence, dans la rupture du continuum que le désir de l’autre se construit.

    On a réussi à faire de la technologie un magnifique vecteur d’auto-aliénation. C’est ce dont je parle dans La Zone du dehors : on est très forts pour le liberticide. La liberté, c’est un feu : tout le monde a envie de s’en approcher, de se mettre autour, mais personne ne va prendre le risque de sauter dedans, d’assumer ce qu’être libre veut dire, parce que ça brûle, ça crame.

    Quelle #philosophie_du_travail défendez-vous collectivement ?

    Un de nos modèles, c’est la ZAD. La manière dont les zadistes conçoivent quotidiennement l’activité est différente. Elle est auto-générée. Pour construire un bâtiment avec du bois de la ZAD, ils constituent un collectif qui réapprend à faire les charpentes, ils réapprennent un artisanat et retrouvent une continuité naturelle avec la forêt. Il y a une autodétermination de bout en bout, corrélée à un territoire. On passe ainsi d’un statut d’ouvrier à un statut d’œuvrier. L’œuvrier décide lui-même de ce qu’il a envie de faire, du projet qu’il a envie de porter, et le fait avec des gens qu’il a choisis. C’est notre vision générale du travail.

  • Impasse Michéa
    http://www.contretemps.eu/lordon-impasse-michea

    Alors que la violence croissante des politiques néolibérales et le danger que fait peser l’extrême droite rendent urgentes des clarifications politiques et stratégiques, l’oeuvre de Jean-Claude Michéa s’est imposée au fil des années comme un accélérateur de confusions.

    Nul hasard si Michéa est loué par Le Figaro, qui vient d’ailleurs de lui accorder un « grand entretien », Valeurs actuelles ou des éditorialistes néo-conservatrices telles que Natacha Polony ou Eugénie Bastié, tant il travaille depuis des années à orienter l’aspiration anticapitaliste vers l’impasse d’un pseudo-anarchisme vraiment conservateur. Dans cet article paru en juillet/août 2013 dans la Revue des livres, Frédéric Lordon pointe les contradictions au cœur de l’oeuvre de Michéa et l’incapacité de celui-ci à dessiner une quelconque alternative à la décomposition capitaliste en cours...

    #Diaporama #Stratégie #anticapitalisme #Bourdieu #capital #capitalisme #classes_populaires #gauche #Lordon #peuple #Michéa

    http://zinc.mondediplo.net/messages/49301 via Contretemps

  • Cancer français : la récidive
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=888

    En 2012, l’émission Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet (France Inter) faisait la promotion du cancer français, dans un reportage de François Ruffin consacré au groupe chimique Arkema. Déplorant la vente du « pôle vinylique » d’Arkema à un financier américain, Ruffin n’avait pas jugé utile de préciser que ce pôle toxique avait tué des dizaines de salariés du cancer du foie et empoisonné rivières, sols et eau potable de la région grenobloise notamment. Pour ces journalistes du Front de gauche, avions-nous alors expliqué, l’emploi n’a pas d’odeur (voir ici) Quatre ans plus tard, Ruffin & Co persévèrent dans le déni. Cette fois, le patron du journal Fakir, organisateur de « Nuit debout » et aspirant-député de la Somme, défend les salariés d’Ecopla. Histoire télégénique : de sympathiques ouvriers isérois, à (...)

    #Nécrotechnologies
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/cancer_franc_ais_re_cidive.pdf

  • http://sortirducapitalisme.fr/179-une-analyse-critique-des-videos-d-usul

    Seul youtubeur politique « de gauche » ayant environ autant d’audience qu’un Alain Soral, et comme tel « rempart » face au déferlement de l’extrême-droite online avec ses vidéos bien faites techniquement, pédagogiques et relativement critiques (même de l’institution policière), il n’en fallait pas moins faire une analyse critique des vidéos d’Usul – avec Sylvain de Zones Subversives.

    #usul #lordon #friot

  • Ce que l’on apprend sur les Communs en lisant Frédéric Lordon
    https://scinfolex.com/2016/06/28/ce-que-lon-apprend-sur-les-communs-en-lisant-frederic-lordon

    L’intérêt principal de l’ouvrage consiste à opérer une relecture des théories de Marx à la lumière de la philosophie de Spinoza. Là où le matérialisme historique de Marx s’est focalisé sur les structures sociales comme principe explicatif des comportements, le recours à Spinoza permet à Lordon de réintégrer la question des passions et des désirs des individus dans le schéma d’analyse des principes de fonctionnement du capitalisme – et plus généralement de toutes les entreprises collectives humaines.

    #lordon #communs