• La Question d’Israël, Olivier Tonneau
    https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/161023/la-question-disrael

    La violence qui s’abat sur Gaza appelle à une condamnation sans faille d’Israël. Elle suscite également pour l’Etat hébreu une haine qui exige, en revanche, d’être soumise à l’analyse.

    Ce texte mûrit depuis des années. J’aurais préféré ne pas l’écrire en des temps de fureur et de sang mais sans l’effroi de ces derniers jours, je ne m’y serais peut-être jamais décidé.
    Effroi devant les crimes du #Hamas : j’ai repris contact avec Noam, mon témoin de mariage perdu de vue depuis des années qui vit à Tel Aviv, pour m’assurer qu’il allait bien ainsi que ses proches. Effroi devant les cris de joie poussés par tout ce que mon fil Facebook compte d’ « #antisionistes », puis par le communiqué du #NPA accordant son soutien à la résistance palestinienne quelques moyens qu’elle choisisse – comme si la #guerre justifiait tout et qu’il n’existait pas de #crimes_de_guerre.
    Effroi, ensuite, face aux réactions des #médias français qui, refusant absolument toute contextualisation de ces crimes, préparaient idéologiquement l’acceptation de la répression qui s’annonçait. Effroi face à cette répression même, à la dévastation de #Gaza. Effroi d’entendre Netanyahou se vanter d’initier une opération punitive visant à marquer les esprits et les corps pour des décennies, puis son ministre qualifier les #Gazaouis d’animaux. Ainsi les crimes commis par le Hamas, que seule une mauvaise foi éhontée peut séparer des violences infligées par le gouvernement d’extrême-droite israélien aux #Palestiniens, servent de prétexte au durcissement de l’oppression qui les a engendrés. Effroi, enfin, face au concert d’approbation des puissances occidentales unanimes : les acteurs qui seuls auraient le pouvoir de ramener #Israël à la raison, qui d’ailleurs en ont la responsabilité morale pour avoir porté l’Etat Hébreu sur les fonts baptismaux, l’encouragent au contraire dans sa démence suicidaire.

    Je veux dans ce texte dire trois choses. Les deux premières tiennent en peu de mots. D’abord, ceux qui hurlent de joie face au #meurtre_de_civils ont perdu l’esprit. Je n’ose imaginer ce qui se passe dans celui de victimes d’une oppression soutenue ; quant aux #militants regardant tout cela de France, ils ont en revanche perdu toute mon estime. Cependant – c’est la deuxième chose – si la qualification des actes du #Hamas ne fait aucun doute, un crime s’analyse, même en droit, dans son contexte. Or si la responsabilité des agents est toujours engagée, elle ne délie nullement Israël de sa responsabilité écrasante dans la mise en œuvre d’occupations, de répressions, de violences propres à susciter la haine et la folie meurtrière. Qui plus est, Israël étant dans l’affaire la puissance dominante a seule les moyens de transformer son environnement. Le gouvernement Israélien est cause première de la folie meurtrière et premier responsable de l’accélération du cycle infernal. Qu’il y eût une troisième chose à dire, c’est ce qui m’est apparu en lisant dans un tweet de Louis Boyard : 
    « Il est hors de question que je me penche sur la question d’Israël (…). L’Etat d’Israël est une terre « volée » à la Palestine qu’ils le veuillent ou non ».

    Ce sont là propos parfaitement banals de la part des antisionistes d’aujourd’hui. Ils ont le mérite de dire crûment que la critique d’Israël, au-delà des actes barbares commis par son gouvernement, porte sur le fondement même de l’Etat hébreu dont on aurait tout dit une fois rappelé qu’il s’est fondé sur le « vol » d’une terre. Cette attitude est à mes yeux irresponsable et même choquante. Comment ne pas entendre l’écho assourdissant de la vieille « question juive » dans la formule « question d’Israël » ? Aussi l’enjeu principal de ce texte, qui exige un développement d’une certaine longueur, est cette question même.

    ... « la #colonisation travaille à déciviliser le #colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la #haine_raciale, au relativisme moral » (Aimé Césaire)

    ... « La référence permanente au génocide des Juifs d’Europe et l’omniprésence de ces terribles images fait que, si la réalité du rapport de forces rend impossible l’adoption des comportements des victimes juives, alors on adopte, inconsciemment ou en général, les comportements des massacreurs du peuple juif : on marque les Palestiniens sur les bras, on les fait courir nus, on les parque derrière des barbelés et des miradors, on s’est même servi pendant un cours moment de Bergers Allemands. » #Michel_Warschawski

    ... le gouvernement israélien ne fonde pas sa sécurité sur le désarmement du Hamas mais sur le traumatisme des Palestiniens dans leur ensemble, ces « animaux » auxquels on promet un châtiment qui rentrera dans l’histoire – comme s’il était temps de leur offrir, à eux aussi, l’impérissable souvenir d’un holocauste....

    ... « Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus » (Ahron Bregman)

    ... si deux millions de pieds-noirs ont pu retraverser la Méditerranée, deux cent cinquante mille colons peuvent repasser la ligne verte : c’est une question de volonté politique.

    #toctoc #nationalisme #génocide #déshumanisation_de_l’autre #juifs #israéliens #Intifada #11_septembre_2001 #Patriot_Act #histoire #utopie #paix #Henry_Laurens #Edward_Saïd #Maxime_Rodinson #Ahron_Bregman #Henryk_Erlich #Emmanuel_Szerer #Bund #POSDR #URSS #fascisme #nazisme #Vladimir_Jabotinsky #sionisme #Etats-Unis #Grande-Bretagne #ONU #Nakba #Arthur_Koestler #Albert_Memmi #libération_nationale #Shlomo_Sand #Ilan_Pappe #apartheid #loi_militaire #antisémitisme #diaspora_juive #disapora #religion #fascisme_ethniciste

  • De l’antisémitisme éternel

    Il n’y a pas un phénomène permanent, persistant à travers les siècles, toujours avec les mêmes causes, qu’on peut appeler l’ antisémitisme éternel , l’antisémitisme en soi. Ce phénomène, ainsi appelé à un degré de génénalisation exceptionnel, ne pourrait avoir que des explications de type métaphysique, et c’est bien dans cette direction que vont ceux qui l’invoquent, quand ce n’est pas simple soumission irréfléchie à la pensée banale de l’époque. Il est aussi absurde de faire une histoire des Juifs sous l’aspect d’une histoire de l’antisémitisme que d’écrire une histoire de France dans le cadre d’un concept de l’ antifrancisme . C’est bien d’ailleurs cette absurdité qu’on m’a apprise à l’école primaire quand on m’enseignait que les Français, toujours grands, bons, généreux, dévoués, désintéressés, intelligents, qui n’avaient jamais fait de mal à personne, avaient été attaqués sans arrêt, par pure méchanceté, tour à tour par leurs divers voisins, lesquels d’ailleurs les avaient toujours trompés avec fourberie, exploitant sans vergogne leur candeur.

    Il y a eu des formes diverses de judéophobie tenant aux situations diverses où se sont trouvés placés les Israélites de l’ Antiquité et leurs descendants réels ou fictifs, aux idéologies qu’elles ont suscitées ou qu’on a héritées du passé. A chaque époque, les facteurs qui ont créé ces dispositions d’esprit sont explicables par l’histoire, par les conditions sociales et politiques, et on les retrouve associés à toutes sortes d’autres populations dans les mêmes conditions. A l’avenir, elles pourront persister, resurgir, disparaître, selon ce que sera le cours de l’histoire dans chaque pays.

    L’ethnie ou la nation juive de l’Antiquité a été attaquée par ses voisins comme ceux-ci ont été attaqués par elle. Elle a été conquise par les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Macédoniens, les Romains comme ils ont été eux aussi parfois vaincus et conquis. La communauté religieuse judaïque a été attaquée, dénigrée, persécutée comme l’ont été les communautés manichéenne, bouddhique, chrétienne, mormone et mille autres. Le groupe juif conservant des caractères ethniques particuliers a été vilipendé et massacré comme l’ont été les Tziganes, les Arméniens et d’autres. Les usuriers, intendants, percepteurs, commerçants (en pays ignorant encore l’économie monétaire) de souche juive ont été haïs, attaqués et parfois massacrés comme l’ont été leurs analogues chinois, indiens, libanais. Si ces agressions se sont perpétuées à l’égard de gens issus de la même souche ou se croyant tels au cours de trois millénaires, cela est dû simplement à la perpétuation d’une entité juive, placée la plupart du temps dans une position minoritaire et subordonnée - quand elle a été majoritaire ou hégémonique, elle n’a pas manqué naturellement d’agresser et d’opprimer les autres. Cette perpétuation ne provient pas d’un facteur unique - ni de l’élection divine ni de la haine persistante de Dieu ou des autres due à une essence particulièrement bénéfique ou essentiellement malfaisante, non plus que d’un rôle constant de classe nécessaire au fonctionnement des sociétés.

    [ #Maxime_Rodinson, Antisémitisme éternel ou judéophobies multiples ? ]

    #antisémitisme
    #antiracisme
    #israel

  • Voici comment #Maxime_Rodinson concluait son fameux article "Israel, fait colonial ?" (1968)

    « Prendre conscience du caractère colonial de l’État d’Israël, c’est commencer à s’expliquer pourquoi la pression des faits contribue tant à pousser Israël dans le camp des puissances occidentales et pourquoi une autre orientation demanderait des éléments progressistes d’Israël des efforts héroïques. C’est surtout comprendre les réactions arabes et celles des peuples du tiers monde qui sont dans la même situation. Ceux qui cataloguent tous les mouvements et tous les régimes arabes automatiquement comme fascistes du seul fait qu’ils s’opposent à Israël répandent une conception erronée et profondément néfaste du problème. De même, tous ceux qui s’en tiennent à la légende de la haine gratuite des Arabes envers les Juifs ou à la thèse du mythe machiavélique élaboré consciemment s’égarent et égarent les autres. S’il y a, en effet, haine qui souvent dépasse la mesure, si les gouvernants et les idéologues construisent des mythes mobilisateurs autour du fait palestinien, c’est sur la base d’une donnée objective donc les dirigeants sionistes sont responsables, la colonisation d’une terre étrangère. Juger moralement condamnable la révolte des Arabes contre une situation coloniale est permis à un partisan de la non-violence. La moindre cohérence de pensée interdit une telle condamnation morale à un anticolonialiste qui admet ailleurs la lutte armée. Il peut au maximum trouver cette révolte inopportune pour le moment.

    Il en résulte que faire fond sur un régime social nouveau en pays arabe pour accepter Israël est une illusion dangereuse. Disons-le sans ambages, quitte à peiner ou à indigner les conformistes de gauche qui croient que la révolution sociale résout tous les problèmes. Il n’y a pas de « solution révolutionnaire » au problème israélo-arabe. C’est aux Arabes en tant que peuple que la création d’Israël a été un affront. Aucun régime ne peut l’accepter de son plein gré. Les circonstances politiques internationales ou internes peuvent peut-être un jour forcer à reconnaître Israël. Mais ce ne peut être en vertu d’une idéologie qui admettrait le bien-fondé de la colonisation israélienne. Au contraire, ce sont les régimes les plus socialisants qui se sont montrés les plus revendicatifs. Croire le contraire, c’est manifester une profonde ignorance des conditions locales ou être profondément égaré par la passion idéologique. Les émeutes de Jordanie à la suite du raid de représailles israélien dans la région d’Hébron, événements qui se déroulent au moment où j’achève cet article, montrent bien les dangers de l’interprétation habituelle de l’hostilité arabe à Israël. Comment ceux qui l’expliquent comme une création artificielle de gouvernements et de mouvements « fascistes » peuvent-ils expliquer la profondeur de l’indignation palestinienne révélée par ces mouvements ? Comment ne s’aperçoivent-ils pas que leur interprétation rejoint celle par laquelle tous les États colonialistes ont justifié leur répression des mouvements de libération indigènes ? Et le gouvernement Levi Eshkol lui-même a visiblement exclu de ses calculs l’éventualité d’un tel mouvement. Victime des propres mythes sionistes, il a été amené par eux à fausser les données du problème qui se posaient à lui. Phénomène classique, mais dangereux.

    Il est possible que la guerre soit la seule issue a la situation créée par le sionisme. Je laisse à d’autres le soin de s’en réjouir. Mais s’il y a quelque chance de voir un jour une solution pacifique, on n’y arrivera pas en disant aux Arabes qu’ils ont le devoir d’applaudir leurs conquérants parce que ceux-ci sont européens ou en voie d’européanisation, parce qu’ils sont « développés », parce qu’ils sont révolutionnaires ou socialistes (virtuellement !), encore moins parce qu’ils sont tout simplement juifs ! Le maximum qu’on peut demander d’eux est qu’ils se résignent à une situation désagréable et qu’en se résignant ils tirent parti de leur résignation. Obtenir d’un vaincu qu’il se résigne à sa défaite n’est pas facile et on ne facilite pas cette démarche en claironnant combien on a eu raison de le rosser. Il est plus judicieux en général de lui offrir des compensations. Et ceux qui n’ont pas souffert de la bagarre peuvent (et même doivent, je crois) prêcher le pardon des injures. Ils ont peu de titres à l’exiger. »