Au tout début du 20ème siècle, un ingénieur français, Loicq de Lobel, a passé des années à lancer un projet improbable : relier par rail l’Europe et la Russie à l’Amérique, en passant par le détroit de Béring. J’ai obtenu une carte avec le tracé du chemin de fer, de Iakoutsk à la Tchoukotka et décidé d’aller voir comment vivaient ceux qui attendaient ce train depuis cent ans, en compagnie d’une amie iakoute, la chercheuse Lena Fedorova. Nous allons d’école en école sur le tracé du train en racontant le projet : l’hiver dernier, nous avons suivi le Baïkal-Amour-Magistral, puis la ligne tracée par le fleuve Lena, de Iakoutsk à Zyryanka [en Iakoutie, ndlr]. Il me reste la partie jusqu’en Tchoukotka, que je dois faire cet hiver. Parallèlement, nous organisons un concours de dessins, voué à être exposé à Iakoutsk, Moscou et Paris : les enfants dessinent cette ligne de chemin de fer telle qu’ils se l’imaginent. Dans un pays où il est extrêmement difficile de se déplacer, ce n’est pas rien.
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LCDR : Comment la Russie vous a-t-elle changée ?
P. C : J’ai pris trente kilos, je ressemble à une baboulia (rires) !
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LCDR : La Russie évolue dans le bon sens, selon vous ?
P. C : Je ne juge pas : les Russes sont chez eux, ils font ce qu’ils veulent. Je garde mes opinions personnelles pour moi. La seule chose que je peux dire, c’est que quand votre nounou était professeur de physique et chercheur à l’Institut, vous vous disiez quand même qu’il y avait un problème. C’est la survie qui est la plus dure. La Russie – l’URSS – s’est décomposée en l’espace d’un an, les gens étaient dans un état de souffrance, de désarroi inimaginables. On savait que c’était fragile, mais l’URSS est tombée comme un immeuble qui s’écroule. Les truands, eux, étaient bien préparés, mais la majeure partie de la population vivait dans un équilibre de combines qui s’est complètement écroulé. Les gens ont perdu plusieurs fois leurs économies, leurs valeurs. Nous, on était là, on regardait ça – comme un livre d’Histoire dont les pages se mettraient à tourner à toute vitesse. C’était le chaos – tout était possible, mais aussi douloureux. J’ai compris qu’un État, une civilisation pouvaient s’écrouler en un claquement de doigts.