• Norvège - Patrimoine - Arendal

    Émotion ce matin à Arendal où le journal Agderposten annonce qu’un des joyaux du patrimoine historique - le petit phare de Sandvigen à la sortie du Fjord (Galtesund) - a été mis en vente (pour 10 ou 15 millions de couronnes - soit 1,3 à 1,7 millions d’euros) après avoir appartenu à la famille Bruland pendant un siècle.

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    Construit en 1844 à l’entrée du Fjord, il était destiné à guider le trafic maritime très intense dans la région dans la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe (les vieux racontent ici qu’il y avait tellement de bateaux parqués qu’on pouvait aller d’une île à l’autre - plusieurs centaines de mètres - juste en sautant sur les ponts des bateaux...). En 1934, le phare lui-même a été fermé et remplacé par une phare/balise automatique toujours en service aujourd’hui (le vieux phare a été conservé ce qui donne l’impression qu’il y en a deux).

    Pour les gens du quartier, c’est un peu de l’histoire d’Arendal qui va s’envoler. Jusqu’en mai 2014, il y avait une loi (dite « boplikt » en norvégien) qui faisait obligation d’habiter une maison quand on l’achetait. Cette loi permettait d’éviter la spéculation foncière dans une région très attractive pour le tourisme (le Sørlandet est un peu la « Riviera » norvégienne) et aussi d’éviter que les communautés ne disparaissent et que les villages ne meurent.

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    Cette loi a été supprimée par le gouvernement de droite et d’extrême droite il y a quelque mois, ce qui veut dire que n’importe qui pourrait acheter cette propriété sans l’habiter ou l’utiliser. Porte ouverte donc aux spéculateurs, aux riches norvégiens qui possèdent déjà des dizaines voir des centaines de propriétés bien placées ou historiques, qui n’en font rien, qui attendent juste que le marché leur soit favorable.

    Et Sandvigen, pour nous, c’est aussi une grande émotion, car nous y avons habité pendant quelques années. Une petite maison en bois, modeste, construite au siècle dernier. Ces petites maisons blanches dans lesquelless vivaient les familles de pêcheurs pauvres. Et la communauté y était assez solidaire, les gens s’entendaient bien. Et puis, il y avait... Vetegul Bruland. Ah, Vetegul Bruland... la vieille dame indigne.

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    Vetegul avait l’habitude d’aller au centre ville à pied, presque tous les jours. Elle habitait dans cette maison/phare, propriété familiale depuis plusieurs générations. Il y avait environ 3 kilomètres jusqu’au Ferry qui permettait de traverser le fjord de l’île d’Hisøya jusqu’au centre.

    Nous, on discutait beaucoup avec Vetegul, qui s’arrêtait toujours devant chez nous pour tailler le bout de gras dix ou quinze minutes, parler de sa maison, de sa vie (elle était une infirmière dévouée), de l’histoire de la ville. Et nous, nous l’écoutions religieusement. C’était toujours passionnant.

    Vetegul était une vielle dame originale et coquine, irrévérencieuse (ce qui est très rare en norvège) et les gens pensaient qu’elle était un peu « fofolle », qu’elle n’avait pas toute sa tête, et ne la prenaient jamais au sérieux. Ce qui la faisait doucement marrer ! On attendait son passage toujours avec impatience.

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    De Sandvigen - petite perle du sud de la Norvège - nous avons déménagé vers Narestø en 2001, une autre perle historique, d’ailleurs protégée par la « Direction du patrimoine ». Nous n’avons plus entendu parlé de Vetegul, dernière représentante de la famille Bruland, jusqu’au jour où nous avons appris qu’elle avait quitté le phare, resté vide jusqu’à aujourd’hui, pour aller en maison de retraite où elle est morte quelques années plus tard.

    Petite séquence nostalgique, mais quand je repense à ces 18 ans en Norvège, je m’aperçois qu’on a vécu « dans » l’histoire de la région, de la ville, on a vécu « dans » les lieux historiques en compagnie de ceux qui ont fait l’histoire.

    Cette « possibilité » d’intimité est assez rare quand on est étranger ici, et c’est bien ce qui fait la richesse de notre « expatriation » : avoir pu plonger et nager au sein d’une autre culture et d’une autre langue. Et comprendre la Norvège en ce qu’elle a de merveilleux, de complexe, mais aussi de problématique.

    Mes propres enfants parlent maintenant mieux le dialecte local que le français...

    Ce phare, il y a 15 ans, c’était un peu mon rêve d’y habiter ou d’en faire un atelier de cartographie... Aujourd’hui, je fais le rêve que la commune le préempte, l’achète et en fasse un lieu de mémoire. Mais les spéculateurs veillent, et sont là pour nous empêcher de rêver.

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    Sandvigen dans les années 1960 - photo de Birger Dannevig

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