person:anne dafflon novelle

  • Quels obstacles pour éduquer aux questions liées aux genres ?

    [Avertissement : J’ai écrit ce 1er jet pour une intervention pour laquelle on m’a sollicité, à partir d’idées qui me trottaient dans la tête depuis quelques mois/années. Je suis autodidacte sur ces questions, incertain de mon lexique : il doit y avoir des inexactitudes, des erreurs et/ou des âneries dans ce texte. Je suis donc preneur de retours soit ci-dessous en commentaire soit en MP à <cqma[arobase]clinamen.net>. Merci à vous tou.te.s.]

    Les derniers mois ont montré l’importance et l’actualité des combats féministes et anti-sexistes. Il me semble néanmoins que dans les nombreux débats qui ont eu lieu la question de l’éducation, et notamment de la prise en charge de ces questions par l’institution scolaire n’a pas réellement émergée.
    Il faut dire que depuis l’expérience des “ABCD de l’Égalité” à l’initiative du Ministère du Droits des femmes et de celui de l’Éducation Nationale (https://fr.wikipedia.org/wiki/ABCD_de_l%27%C3%A9galit%C3%A9) en 2013-2014, le sujet est redevenu invisible au sein de l’Institution, même si « l’égalité Filles-Garçons » a bien été intégrée de l’école primaire au lycée au sein des programmes d’Éducation Morale et Civique (EMC).

    Pourtant, le sujet n’a pas au sein de la formation initiale ou continue, au sein des projets soutenus par l’Institution, ou développés par les équipes enseignantes, la place qu’il mérite. On peut même craindre, ici et là, que les projets ayant survécus aux “ABCD de l’Égalité” persistent sous le signe d’une consensuelle « égalité Filles-Garçons » qui énonce et n’interroge rien, voire dans les pires des cas comme instrumentalisation de valeurs érigées uniquement pour stigmatiser certaines minorités, à l’instar de la Laïcité.

    Les initiatives qui s’appliquent à réellement déconstruire les stéréotypes de genre, à interroger le rapport d’oppression qu’ils soutiennent, à viser une réelle émancipation des filles et des garçons restent rares.
    Certes les enseignant.e.s sont à l’image du corps social : rétif au concept de « genre » pour certain.e.s, peu conscientisé.e.s au-delà de la consensuelle « égalité formelle », etc. Mais une partie des enseignant.e.s plus au fait de ces questions ne franchissent pas le pas ou avec beaucoup de précautions.

    Essayons donc d’éclaircir certains des points qui peuvent faire obstacle à l’appropriation de ces questions par des enseignant.e.s pourtant motivé.e.s.

    1. Recherche scientifique et didactique

    Les gender studies se sont largement développées et même dans une certaine mesure popularisées. Mais pour que des recherches théoriques puissent irriguer l’enseignement, il faut qu’un travail didactique soit mis en œuvre. Didactique c’est-à-dire traduire une discipline en un chemin d’enseignement progressif qui tienne compte des compétences et de la maturité des enfants et qui organise l’apprentissage des notions sous-tendant ce domaine de connaissance. Or, ce travail didactique est me semble-t-il balbutiant et les points d’appuis pour les enseignants restent trop lacunaires.

    1.a. La question du développement de l’enfant

    Comme pour la structuration de l’espace et du temps, l’enfant construit son rapport à l’identité sexuelle et/ou de genre au cours d’une lente maturation passant par différentes phases entre le nourrisson et l’adolescent.e tardif.ve. Il convient d’avoir conscience du développement de l’enfant dans ce domaine pour construire des séances adaptées à la maturité de l’élève, sans ignorer par exemple les représentations qui feraient obstacles.
    Je n’ai trouvé d’éléments qui éclairent ce lien entre développement de l’enfant et apprentissage que dans un ouvrage d’Anne Dafflon Novelle [1]. En tout cas, il n’y a à ma connaissance aucun texte de référence institutionnel ou pédagogique permettant aux enseignant.e.s d’avancer avec confiance sur un chemin balisé.

    1.b. Quelle progression dans les notions

    De manière similaire et en lien avec le point précédent, il n’y a pas de texte de référence permettant aux enseignant.e.s d’organiser les apprentissages et d’articuler les principales notions de ce domaine d’apprentissage de la maternelle au lycée, contrairement à la géométrie par exemple dont on peut suivre la progressivité et la complexification de l’apprentissage dans les programmes officiels.
    Dans d’autres domaines, en effet, il y a eu de nombreuses réflexions de didacticien.ne.s et de chercheur.euses sur les chemins d’apprentissage impliquant parfois des simplifications (erronées au sens strict) mais qui seront reprises, complétées, voire contredites ultérieurement.
    L’enseignant.e désireux.se de se lancer sur ces sujets est condamné.e à expérimenter au risque d’emprunter des chemins contreproductifs.

    1.c Exemple de difficultés rencontrées

    (i) Il peut paraître pertinent avec des élèves de cycle 1&2 de travailler, par exemple avec l’album “Mademoiselle Zazi a-t-elle un zizi” de Thierry Lenain, sur le fait que la seule différence entre filles et garçons est anatomique (les filles ont une zézette et les garçon un zizi), ce qui permet de remettre en cause la représentation identitaire par la seule possession (ou pas) d’un zizi, les filles, par défaut, sans-zizi, étant reléguée à des êtres de seconde zone. Pourtant, cette représentation est une simplification et fait l’impasse sur tout un tas de questions que les gender studies ont pu faire émerger. Ainsi, un livre récent sur la sexualité [2] dénombre au moins trois sexes : le sexe génétique, le sexe anatomique et le sexe psychologique. Comment l’enseignant.e peut-il progresser à hauteur d’eélève vers une complexification des notions sans risquer de s’appuyer sur des simplifications stigmatisantes ?

    (ii) Il peut paraître intéressant de travailler au cycle 2 à partir de l’album “Jérome par cœur” de Thomas Scotto. Selon son auteur, il s’agit d’une amitié masculine mais racontée en reprenant les stéréotypes des amitiés féminines, ce qui peut être un bon support pour tous les stéréotypes de l’amitié « entre-filles » ou « entre-garçons » et une porte d’entrée vers des réflexions sur ce qu’est la virilité. C’est un sujet important qui trouve des prolongements à l’adolescence sur la construction de l’identité sexuelle et/ou de genre dans les bandes-de-filles et les bandes-de-garçons. Néanmoins, ce livre a été dénoncé par des associations réactionnaires comme faisant l’apologie de l’homosexualité. Cette question peut d’ailleurs être soulevée en classe par les élèves. Dans les deux cas, il y a compétition entre deux notions qui se nourrissent l’une l’autre : les stéréotypes de genre et les stéréotypes sur l’homosexualité. Vous cherchez à déconstruire les stéréotypes de genre dans les relations amicales, et voilà que les stéréotypes se retrouvent renforcés par l’explication que si ces deux garçons se comportent « comme des gonzesses », c’est bien parce qu’ils « sont pédés », et non pas parce que les garçons peuvent aussi se comporter ainsi. Nous retrouvons le même glissement lorsqu’une compagnie de théâtre adapte l’album “Péronnille, la chevalière” de Marie Darrieussecq et modifie la fin en faisant tomber Péronille amoureuse de la Princesse. L’album est un album féministe, anti-sexiste, un anti-conte classique, où les stéréotypes sexistes des contes traditionnels sont inversés grâce à un personnage principal féminin qui traverse les diverses épreuves traditionnelles pour au final préférer son indépendance au mariage d’avec le Prince. C’est donc un support riche pour travailler les stéréotypes de genre, notamment ceux véhiculés par la littérature classique. L’adaptation théâtrale, elle, fait le choix de présenter la chevalière comme attirée par les filles, car elle préfère à la fin le mariage avec la Princesse à son indépendance. Au risque que le comportement, reçu comme atypique, de la chevalière soit réduit à cette simple explication, elle se conduit comme un « garçon manqué » non pas parce que les filles peuvent aussi être chevalière, mais parce que c’est une « gouine ».
    Ainsi, il semble que le travail de déconstruction des stéréotypes de genre et celui sur l’approche de l’homosexualité puissent se parasiter, voire créer des dynamiques contre-productives renforçant paradoxalement les naturalisations et les stéréotypes. Par exemple autour de la virilité : si tu es un « garçon sensible » alors tu es un « pédé » et inversement si tu es homosexuel alors tu es efféminé.

    Il apparaît donc que l’articulation des sujets et des notions abordées doit être pensée et anticipée au risque d’être contre-productif. Mais les réflexions et les textes ressources permettant de construire une démarche pédagogique cohérente et efficace sont rares ou inexistants.

    2. Une posture d’enseignant.e à inventer : entre appréhensions et prosélytisme

    Il est malaisé pour les enseignant.e.s de se lancer dans l’éducation aux questions liées au genre par peur des réactions des collègues, de l’Institution, des familles, des élèves.

    2.a. À la recherche d’un consensus dans l’équipe pédagogique

    L’interprétation de la consensuelle notion d’égalité filles-garçons repose sur tout un implicite de représentations et de chemin de conscientisation chez les adultes. Les rares formations qui se sont déroulées lors du lancement des “ABCD de l’Égalité” ont montré que la question du genre nécessitait non seulement l’appropriation de concepts restés en partie confidentiels, mais aussi un travail de conscientisation, mais aussi encore souvent un travail de conviction. Si certaines questions profitent d’un consensus de façade (la question salariale, la question du respect), tou.te.s les collègues ne sont pas persuadé.e.s qu’il est important de remettre en cause les stéréotypes (ne serait-ce que parce que certain.e.s collègues sont des hommes…). Certaines discussions peuvent même devenir très tendues lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est un stéréotype même pour ce qui est des jouets, des activités sportives, couleurs et habitudes vestimentaires. Les arguments qui tendent à naturaliser des habitudes, attitudes, postures acquises et construites socialement reviennent vite.
    Par ailleurs, personne ne vous suivra ou presque si vous quittez les rivages consensuels du « respect » pour aborder ceux de l’identité de genre ou de l’homosexualité, notamment en primaire.

    Il y a donc un besoin de formation aux apports récents (ou pas) de la recherche à mener auprès des enseignant.es. Et elle reste extrêmement marginale, la formation continue ayant par ailleurs disparue ou presque quelqu’en soit le sujet.

    2.b Une institution en appui ?

    Du point de vue des Instructions Officielles, les questions abordées sont transdisciplinaires : SVT pour tout ce qui est connaissance de son corps et éducation sexuelle, EMC pour tout ce qui est égalité, vivre ensemble, respect, harcèlement et maltraitance…

    L’égalité filles-garçons semble sortir renforcée des dernières évolutions des textes officiels. Absente de ceux-ci avant les années 2000, il fallait s’appuyer uniquement sur l’aspect « reproduction » en primaire ou « éducation à la sexualité » au secondaire, des programmes scolaires. Nous pouvons, aujourd’hui, nous référer à une série de textes :
    – Le BO HS n°10 du 2 novembre 2000, intitulé “À l’école, au collège et au lycée : De la mixité à l’égalité”.
    – la Circulaire n°2007-011 du 09.01.2007 et son paragraphe 3.2 intitulé “L’égalité des filles et des garçons dans le système éducatif”
    – La convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, signée pour la période 2013-2018 par six ministères, dont les chantiers prioritaires sont : (i) acquérir et transmettre une culture de l’égalité entre les sexes ; (ii) renforcer l’éducation au respect mutuel et à l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ; (iii) s’engager pour une plus grande mixité des filières de formation et à tous les niveaux d’étude.
    – L’expérimentation des “ABCD de l’Égalité” qui découle directement de la convention mentionnée précédemment et qui a mobilisé les différents services du Ministère de l’Éducation Nationale, chacun développant des pôles ressources plus ou moins pertinentes. Voir par exemple, le dossier du site Éduscol “Les enjeux de l’égalité filles-garçons”.
    – Les nouveaux programmes de 2015 et 2016 qui intègrent dans les programmes d’Éducation Morale et Civique (EMC) l’item de l’égalité filles-garçons.

    Donc, il semble qu’en 15 ans le ministère ait construit le cadre officiel pour aborder ces questions en classe. Sauf que depuis le désastre politico-médiatique des “ABCD de l’Égalité”, le mot genre est tabou à l’Éducation Nationale, les projets sur ces thématiques ne sont ni soutenus ni développés, et que loin de l’ambition des questions de genre les programmes se sont réduits à des notions consensuelles.
    Dans les faits, la hiérarchie verra dans toute action sur les questions de genre, une volonté militante à la marge des textes et une source de problème avec les familles et donc avec sa propre hiérarchie.

    2.c Une source de conflit avec les familles ?

    Lors des “ABCD de l’Égalité”, les réactions les plus virulentes étaient l’œuvre d’une minorité (doublement structurée autour de Vigigender, émanation de La Manif pour tous, et des Journées du Retrait de l’École (JRE), plutôt lié aux milieux de l’islam radical). Néanmoins, les controverses de ces dernières années du Mariage pour Tous aux “ABCD de l’Égalité”, en passant par les polémiques autour de la “théorie du genre” ou de la notion de harcèlement montre que si la conscientisation progresse, de larges pans de la société restent cependant pour le moins rétifs à ces sujets et à une approche émancipatrice.
    Par conséquent, inévitablement, pour une partie des familles, la mise en place de séances sur ces thématiques sera source de défiance ou de conflits.

    Cela nécessite donc en amont une réflexion sur la communication avec les familles, sur la définition et présentation du projet, pour laquelle les enseignant.e.s ne sont ni formé.e.s, ni aidé.e.s. Une fois encore les ressources font défaut et expérimenter peut être hasardeux…

    2.d Un conflit de loyauté pour les élèves ?

    Nous commençons à être sensibilisé.e.s à la question du conflit de loyauté dans lequel se trouve un enfant lorsque les valeurs, les attendus de l’école le mettent en conflit à ceux de sa famille. Le conflit de loyauté est en fait plus vaste car au-delà du conflit des valeurs, il interroge aussi ce dont l’élève pense être autoriser à se saisir à l’école sans trahir son milieu, sa famille.

    Inutile de préciser que comme ces questions ne relèvent pas d’un consensus social, les élèves seront vite pris dans des conflits de loyauté dès qu’ils auront l’impression que leurs valeurs ou celles de leur famille sont remises en question, ou simplement que les postures et attitudes des adultes référents sont critiquées (ex : question des tâches ménagères ou de l’orientation professionnelle). J’ai pu observer lors d’interventions maladroites sur ces sujets que des prises de paroles, sincères mais prosélytes, pouvaient être particulièrement contre-productives dès lors qu’elles étaient ressenties comme jugeantes ou stigmatisantes, aboutissant à des fermetures, raidissements voire à l’exacerbation des propos des élèves.

    Il me semble ici que nous devons interroger notre pratique d’éducateur.trices, abandonner une posture morale ou prosélyte pour une approche philosophique et scientifique avec les élèves en privilégiant l’ouverture sur la différence des ressentis, pratiques, représentations et l’émergence du doute en confrontant des conceptions à des raisonnements ou des éléments factuels et/ou scientifiques. Rester à hauteur d’enfants, faire émerger les différences de conception au sein du groupe classe, leur renvoyer leurs questionnements, rentrer dans des discussions philosophiques ou appliquer des raisonnements scientifiques ou logiques permettant de réfuter en appui sur leur vécu certaines représentations, reste, selon mon expérience, le plus efficace.

    Sur ce sujet encore les ressources pédagogiques font défaut, celles mises à disposition par le Ministère à l’époque des “ABCD de l’Égalité” n’étaient d’ailleurs pas très convaincantes illustrant le manque de maturité du sujet. Ces dernières années des supports pédagogiques ont été proposés par des associations citoyennes ou d’éducation populaire mais tout cela reste insuffisant. Ici encore, et notamment sur la question des pratiques et des postures, la question de la formation est cruciale.

    [1] DAFFLON NOVELLE Anne, “Identité sexuée : construction et processus” in Filles-garçons Socialisation différenciée ?, DAFFLON NOVELLE Anne (dir.), Presses Universitaires de Grenoble, 2006.
    [2] BROCHMANN Nina, STØKKEN DAHL, “Les joies d’en bas”, éditions Actes Sud, 2017.

  • Pourquoi les garçons n’aiment pas le rose ? Pourquoi les filles préfèrent Barbie à Batman ? (Anne Dafflon Novelle)
    http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ERES_ROUYE_2010_01_0025

    En effet, si les parents sont convaincus que l’origine de la différence entre garçons et filles est biologique, ils vont d’autant moins les encourager à faire des choix qui ne soient pas exclusivement typiques de leur propre sexe. Pensons spécifiquement à l’orientation professionnelle : il est déjà difficile pour des jeunes de choisir une profession dont on dispose de peu de modèles de son propre sexe, cela va l’être encore plus sans le soutien de ses propres parents.
    Une autre implication liée à l’économie et au marketing est intéressante à développer. Actuellement, beaucoup d’objets destinés aux enfants existent de plus en plus rarement en version neutre et sont déclinés en version fille ou en version garçon, essentiellement grâce à l’emploi de couleurs, logos ou éléments de décoration différents. En se basant sur le développement de l’enfant, on comprend que cela corresponde à une stratégie permettant de vendre davantage. En effet, les parents désirant acheter un vélo pour leur enfant vont le choisir en version fille ou version garçon selon le sexe de leur enfant. Puis, au moment du deuxième enfant, s’il s’agit d’un enfant du sexe opposé, les parents pourront racheter un nouveau vélo car le petit frère ne voudra pas du vélo rose estampillé Dora l’exploratrice de sa grande sœur.
    À noter que la petite sœur, au moment du stade de rigidité, ne voudra pas non plus du vélo Spiderman de son grand frère, même si la société est plus tolérante envers les garçons manqués qu’envers leurs homologues de sexe masculin.
    Il est tout à fait frappant de remarquer que cette stratégie marketing touche au fil des décennies de plus en plus de domaines différents : vêtements, chaussures, accessoires, chambres d’enfants, décoration, montres, fournitures scolaires, mais aussi les équipements sportifs pour les sports unisexes à un âge où le développement du corps ne nécessite pas encore des équipements différents mais où les représentations prennent tout leur sens (vélo, trottinette, roller, casque, protection, etc.).
    Cette sexuation a un double impact : tout d’abord, sous la pression des enfants, elle incite les adultes à consommer davantage ; d’autre part, elle renforce les représentations différenciées associées aux deux sexes. En effet, à travers l’examen attentif des objets vendus dans les rayons des grands magasins et des catalogues vantant ces mêmes produits, on remarque qu’au delà des différences de couleur ou de décoration, d’autres nuances plus subtiles viennent s’y rajouter. Les objets issus de l’univers féminin font davantage référence à l’esthétique, la sécurité, la douceur, le confort, la passivité, la sphère privée, l’univers enfantin, tandis que ceux renvoyant à l’univers masculin sont davantage orientés vers l’action, la prise de risque, l’esprit de compétition, la technologie, l’autonomie, l’indépendance, la sphère publique et le monde adulte. Or nous avons vu dans l’introduction que les enfants durant leurs premières années observent leur environnement au sens large pour comprendre, déduire, décrypter, ce qui relève du masculin et ce qui relève du féminin. Ce faisant, ils vont également intégrer ces représentations différenciées des deux sexes et s’y conformer.

    Source :
    – Dafflon Novelle Anne, « Pourquoi les garçons n’aiment pas le rose ? Pourquoi les filles préfèrent Barbie à Batman ? »
    Perception des codes sexués et construction de l’identité sexuée chez des enfants âgés de 3 à 7 ans, in Sandrine Croity-Belz et al. , Genre et socialisation de l’enfance à l’âge adulte
    ERES « Hors collection », 2010 p. 25-40.

    #éducation #genre #sexisme #filles #garçons #socialisation #identité_sexuée #marketing #paywall_désolé

    • Je n’ai pas pu mettre tout l’article mais ce point est soulevé régulièrement par son auteure. Par exemple, plus haut dans l’article, on trouve (p. 28) :

      Cependant, il faut relever que les enfants des deux sexes ne reçoivent pas le même feed-back des adultes lorsqu’ils adoptent un comportement contrestéréotypique.
      Les garçons sont beaucoup plus découragés que les filles face à l’adoption de comportements stéréotypiques du sexe opposé. Ces dernières ont une plus grande latitude à pouvoir adopter les jouets et autres objets du sexe masculin que le contraire. La langue française consacre cet état de fait par « garçon manqué » ; cette expression n’a guère d’équivalent pour le sexe opposé, ou alors, elle revêt une connotation beaucoup plus négative.

  • Jouets, habits, sports : filles et garçons ne sont pas à égalité (Anne Dafflon Novelle)
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/538395-jouets-habits-sports-filles-et-garcons-ne-sont-pas-a-egalit

    Fille ou garçon, les enfants partent avec un potentiel identique. Mais en grandissant ils vont, par une accumulation de détails, se conformer aux statistiques et stéréotypes de genre. En leur faisant adopter différents styles de comportement, cette éducation et socialisation différenciée va développer des centres d’intérêt différents. Ainsi, les jeunes femmes et jeunes hommes vont finir par se calquer, même inconsciemment, aux rôles traditionnels des sexes.
    […]
    Par exemple, on a fait passer un test de mathématiques assez basique à des adolescents, où il fallait répondre le plus vite possible vrai ou faux à une affirmation mathématique. À un premier groupe, on a dit qu’il s’agissait d’un test de maths. À un second d’un test cognitif, sans jamais employer le mot « mathématiques ».
    Les garçons réussissaient le test de manière équivalente, quel que soit le groupe auquel ils appartenaient. Mais les filles, souvent considérées comme plus littéraires et peu scientifiques […], ont moins bien réussi lorsqu’elles savaient qu’elles passaient un test de maths. Sachant qu’elles faisaient partie d’un groupe avec une réputation peu scientifique, la peur de confirmer cette réputation a entravé leur raisonnement.
    C’est le serpent qui se mord la queue : nombreux sont ceux qui pensent qu’il s’agit de la réalité, que ces différences de comportement et de faculté sont même génétiques, alors que c’est une reproduction statistique des étiquettes sexistes – même si l’égalité des chances est une notion fortement ancrée en Occident et que les adultes, enseignants ou parents, ont l’impression de ne pas éduquer les enfants différemment suivant leur sexe.
    […]
    À cet âge, où se font les connexions neuronales, exercer une certaine activité permet de développer un certain type de compétences. On offre aux petits garçons des jeux tournés vers la résolution de problèmes, avec un début et une fin : lorsque le petit garçon aura fini de construire sa fusée avec des Lego, il a le sentiment d’avoir réussi. Cela favorise son indépendance et son autonomie. […]
    À l’inverse, les petites filles joueront souvent à plusieurs, que ce soit entre enfants ou avec des adultes. […] C’est donc l’occasion pour elle de développer le langage {…]. Voilà pourquoi les femmes sont connues pour leurs compétences verbales (et littéraires) et les petites filles souvent réprimandées en classe pour leurs bavardages. Ces jeux favorisent aussi l’imitation d’activités quotidiennes des adultes […], bien loin de l’autonomie mise en avant chez les garçons.
    […]
    Résultat : à l’âge adulte, il n’est pas étonnant que les hommes luttent pour occuper les sommets hiérarchiques et que les femmes souhaitent moins occuper des postes de dirigeants. Avoir fait pratiquer à la petite fille des jeux calmes, plus souvent en intérieur et favorisant la coopération, et avoir valorisé l’esprit de compétition et l’autonomie chez les garçons, est à l’origine de ces phénomènes, qui ne sont pas naturels mais bien culturels et provoqués.

    #éducation #jouets #stéréotypes #genre #sexisme #inégalités

  • Identité sexuée : construction et processus (Anne Dafflon Novelle)

    Les enfants passent par plusieurs étapes avant de comprendre, d’une part que le sexe est stable à travers le temps et les situations, d’autre part que le sexe est déterminé de manière biologique. Ceci n’est intégré que vers 5-7 ans ; auparavant, les enfants sont convaincus qu’être un garçon ou une fille est fonction de critères socioculturels, comme avoir des cheveux courts ou longs, jouer à la poupée ou aux petites voitures, etc. Les trois étapes de cette construction identitaire proposées par Kohlberg (1966) sont brièvement détaillées ci-après.
    Au premier stade, appelé identité de genre, alors âgés de 2 ans environ, les enfants sont capables d’indiquer de manière consistante le sexe des individus qu’ils rencontrent en se basant sur des caractéristiques socioculturelles, comme la coiffure, les vêtements, etc. Puis vers 3 ou 4 ans, durant le deuxième stade, appelé stabilité de genre, les enfants comprennent que le sexe d’un individu est une donnée stable au cours du temps. Les filles deviendront des femmes et les garçons deviendront des hommes. En effet, durant le premier stade, les enfants ne font pas encore le lien entre les quatre catégories sociales : garçons, filles, hommes et femmes. Cependant, si durant cette deuxième étape, les enfants font le lien entre les personnes de même sexe à différents âges de la vie, ils n’ont pas encore intégré que le sexe est une donnée stable par rapport aux situations : une personne qui adopte les attributs du sexe opposé peut changer de sexe d’après eux. […] Ce n’est que vers 5-7 ans que les enfants passent au troisième stade appelé constance de genre : ils ont alors intégré que l’on est un garçon ou une fille en fonction de critère biologique stable, l’appareil génital, et que le sexe est une donnée immuable à la fois au cours du temps et indépendamment des situations. Il est important de souligner que les enfants vont progressivement atteindre le stade de constance de genre. Pour eux-mêmes tout d’abord, les enfants comprennent que même en adoptant le comportement socialement dévolu à des enfants du sexe opposé, ils restent néanmoins un enfant de leur propre sexe. Puis ce même constat va se faire à propos des autres membres de leur entourage […]. Cependant, le stade de constance de genre est totalement atteint lorsque les enfants adoptent le même raisonnement pour des personnes qui leur sont totalement inconnues.
    Par conséquent, le développement de cette construction identitaire met en évidence le fait que les indices socioculturels rattachés à chaque sexe sont très importants pour les enfants, tout au moins durant leurs premières années de vie, puisqu’ils imaginent que leur propre sexe et celui des autres est déterminé en fonction de ces critères que la société a culturellement dévolu à l’un ou l’autre sexe.

    Au cours de leur développement, les enfants passent par différentes étapes de flexibilité et de rigidité face au respect des rôles dévolus à chaque sexe. Entre 5 et 7 ans, la valeur accordée au respect des activités sexuées est à son apogée chez les enfants. Ceux-ci estiment que des violations des rôles de sexe sont inacceptables, et au moins aussi incorrectes que des transgressions morales. Ce stade dans le développement des enfants est à lier au fait qu’ils n’ont pas encore atteint le stade de constance de genre. […] Ensuite, de 7 à 12 ans, les enfants tiennent compte de la variabilité individuelle face à la convention des rôles de sexe et acceptent des chevauchements importants pour ce qui est considéré comme admissible pour chaque sexe en termes de comportements et d’apparences.
    En entrant dans l’adolescence, il y a un retour à une certaine rigidité par rapport aux rôles de sexe. […] Puis, à l’âge adulte, on note à nouveau une certaine flexibilité face au respect des rôles dévolus à chaque sexe.

    Source : DAFFLON NOVELLE Anne (dir.), Filles-garçons Socialisation différenciée ?, Presses Universitaires de Grenoble, 2006, pp. 11-15.

    #genre #enfants #socialisation #filles #garçons #identité_de_genre

  • Modèles imposés ou modèles assumés ?

    Anne Dafflon Novelle résume très bien les dimensions principales de ce sexisme primitif : parmi les rôles principaux, les personnages masculins sont plus nombreux que les personnages féminins, la tendance inverse s’observant pour les personnages secondaires. Les garçons apparaissent plus souvent dans les illustrations, sur les pages de couverture et dans les titres de livres. Figurées dans des attitudes plus passives, les filles et les femmes sont représentées dans des décors intérieurs et des lieux privés. Les femmes sont dans l’immense majorité des cas cantonnées à des fonctions familiales et domestiques et très rarement décrites dans un contexte professionnel. Quant elles le sont, elles sont représentées dans des rôles professionnels peu diversifiés et très stéréotypés. […] À l’opposé, les rôles attribués aux hommes sont plus nombreux et plus diversifiés ; majoritairement dépeints dans leur activité professionnelle et dotés de statuts sociaux souvent élevés, ils sont aussi évoqués dans leurs rôles parentaux et les activités récréatives qu’ils partagent avec leurs enfants. Des hommes complets !

    – BAUDELOT Christian, ESTABLET Roger, Quoi de neuf chez les filles ? entre stéréotypes et libertés, éditions Nathan, 2007, pp. 56-57.

    #éducation #sexisme #littérature_jeunesse