person:antoine vitez

  • Traduire, mettre en scène, écrire avec #Antoine_Vitez
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/150717/traduire-mettre-en-scene-ecrire-avec-antoine-vitez

    Alors que Le Devoir de traduire, qu’avait édité la Maison Antoine Vitez en 1996, vient de reparaître chez Actes Sud-Papiers dans une édition augmentée, la poète et traductrice de poésie Marie Étienne revient sur la façon dont Antoine Vitez concevait la traduction pour le #théâtre, comment il en apprivoisait l’impossibilité pour la mettre au service de l’œuvre et de la mise en scène.

    #Culture-Idées

  • Le cauchemar du traducteur de russe - par ANNE-MARIE TATSIS-BOTTON | La République Des Livres par Pierre Assouline
    http://larepubliquedeslivres.com/le-cauchemar-du-traducteur-de-russe

    Nous traiterons ici de deux domaines distincts, propres au russe et à son histoire : celui des slavonismes, et celui de l’ukrainien

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    La fusion du vieux-slave avec le vieux-russe a donné le slavon russe, toujours employé par l’Église orthodoxe russe et par les Vieux-Croyants, qui ont fait schisme au XVIIe siècle et sont encore très nombreux et actifs.

    Au moyen âge, la littérature était essentiellement religieuse et s’exprimait en slavon. La langue parlée était elle aussi notée en caractères cyrilliques pour les besoins de la cité : textes juridiques, administratifs, commerciaux, correspondance diplomatique ou privée. C’est la deuxième langue écrite de l’ancienne Russie, appelée habituellement « langue des Bureaux ». Ce dualisme opposant le slavon littéraire au russe non littéraire a duré jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis, avec l’européanisation de la Russie, ni le slavon, ni la « langue des Bureaux » ne pouvait plus répondre aux besoins de la nouvelle civilisation. Le russe littéraire moderne sera l’amalgame entre les deux, une création qui doit beaucoup à Mikhaïl Lomonossov (1711-1765), et qui a trouvé son équilibre avec Alexandre Pouchkine.

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    Langue de l’Église, le slavon a apporté des mots exprimant des notions abstraites, savantes, nobles, figurées, poétiques, ce qui fait qu’il existe un très grand nombre de « doublets » : beaucoup de mots ont une forme russe, usuelle, et une forme slavonne, poétique, solennelle, parfois un peu archaïsante. L’opposition sémantique entre ces deux « séries » ouvre des perspectives stylistiques extrêmement riches – et extrêmement difficiles à rendre en français, qui le plus souvent ne dispose que d’un seul mot. On peut bien sûr trouver des exceptions : main droite/dextre, tête/chef, jument/cavale, etc. Mais si l’on prend, par exemple, le poème de Pouchkine Le Prophète, on pourra y compter une bonne douzaine de mots slavons, dont la variante russe existe parfaitement dans la langue « courante » : doigt, œil, entendre, ouvrir, lèvres, voix, voir, etc., sans compter quelques formes archaïques de déclinaison. Le français n’a pas ces ressources, et il faudra pallier l’insuffisance lexicale par d’autres moyens : des figures, des contraintes de construction sémantique, une expressivité accrue dans les violations de normes. Bref, reconstituer un « style noble », qui, cela va de soi, n’est ni impossible, ni étranger à la littérature française. Il n’en demeure pas moins que les nombreuses traductions de ce poème (dont celles de Prosper Mérimée et d’Ivan Tourguéniev, en prose), laissent une impression d’insatisfaction, de perte de solennité et de grandeur.

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    Ceux qui sont les plus soumis à l’influence prégnante du slavon sont les « gens d’Église » décrits, entre autres, par N. Leskov – les prêtres de campagne, les diacres, leurs femmes et leurs enfants, les habitants des monastères, les pèlerins. Ils transportaient inconsciemment le vocabulaire, les tournures, les images des textes liturgiques dans leur vie de tous les jours. Bien plus, et contrairement à ce qui s’est passé pour la langue écrite, leur langue parlée a intégré nombre de particularités de prononciation qui correspondent souvent à la phonétique des parlers des provinces du sud

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    Pour un Russe cultivé, cette prononciation sent, au mieux, sa province, mais elle évoque plutôt l’inculture, l’arriération, parfois même la grossièreté et la crasse… car l’état du bas-clergé était assez déplorable au XIXe siècle. La littérature est riche en figures et caricatures de prêtres de campagne ignares, ivrognes et débauchés, pères d’une ribambelle de petits va-nu-pieds analphabètes. Même quand ils sont peints avec tendresse chez Leskov, ou dans la Colombe d’Argent d’André Biély, cette dimension d’inculture, ou au moins de refus des Lumières, est patente.

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    Quelles sont les solutions qu’ont adoptées les traducteurs ? La plupart reculent devant les difficultés de la tâche et ils préfèrent choisir, parmi les abondants écrits de Leskov, des textes moins stylistiquement marqués. Henri Mongault a traduit Gens d’Église en 1937 et a choisi d’ignorer le problème. C’était d’ailleurs l’époque ou les plus grands traducteurs, comme Boris de Schloezer ou Pierre Pascal, traduisaient « en bon français », transmettant le contenu de l’œuvre avec une exactitude et une conscience exemplaires, dans un style coulant et lisse qui ne se souciait pas de retrouver « la voix » de l’auteur. Nous ne traduisons plus ainsi, mais nous butons sur nos limites.

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    La question des ukrainismes ne semble pas se poser dans la littérature russe avant Nicolas Gogol (1809-1852).

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    Mikhaïl Cholokhov (1905-1984) emploie aussi beaucoup d’ukrainismes dans le Don paisible. Son traducteur, Antoine Vitez à qui le théâtre doit tant, fut aussi un grand traducteur et un théoricien de la traduction. Lui aussi choisit de ne pas traduire les ukrainismes, en justifiant son choix. Le mot « khata », par exemple, désigne la maison paysanne ukrainienne. Si on le laisse ou si on explicite, on « sur-traduit » : on introduit un élément de folklore, d’ethnographie, qui n’existe pas dans la version originale car le mot ukrainien est connu par les Russes. Si on traduit par « maison », on « sous-traduit » – mais, comme dit Vitez, il faut « choisir ses infidélités ».

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    Dans le catalogue des idées reçues, les Russes ont un stéréotype : l’Ukrainien est un joyeux méridional, plein de faconde, volontiers hâbleur et affligé d’un accent reconnaissable dès qu’il ouvre la bouche. Mais si on fait parler certains personnages de Mikhaïl Boulgakov comme ceux de Pagnol, le lecteur risque de se demander ce que Panisse fait au milieu du roman Le Maître et Marguerite…

    Antoine Vitez suggère d’indiquer la différence au lieu de la qualifier. Il s’agit de mettre en scène un effet d’étrangeté. J’ajouterai qu’avec un peu de chance et de patience, on peut « inventer » au personnage un accent plausible : les Ukrainiens, qui prononcent le /g/ comme une spirante, ont beaucoup de mots communs avec le russe, mais avec des /i/ à la place des /o/, (pourquoi ne pas dire « pisition » pour « position ») ; ils ont aussi des suffixes différents qui pourraient donner l’idée de dire « baignerie » pour baignade ; ils utilisent différemment les prépositions (en traduction littérale, « sur la rue » à la place de « dans la rue »), etc. On peut utiliser ce procédé avec prudence, sans viser à la systématisation, l’essentiel étant de faire de ces écarts de langage autant de « marqueurs », et de faire sourire, non d’accabler le lecteur.

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    La seule conclusion que je peux tirer est que si solution il y a, elle n’est pas à être recherchée uniquement dans le lexique. Personnellement je n’hésite pas à introduire les noms de quelques objets usuels et caractéristiques, et d’en donner le sens à la première occurrence, soit par une note, soit le plus souvent dans le corps du texte. Mais cette solution « désespérée » doit être employée avec prudence, et rarement. Reste à trouver, au cas par cas, les procédés heureusement nombreux (grammaticaux, syntaxiques, stylistiques) qu’offre le français pour « dépayser » le lecteur, l’amener dans un monde différent.

    #traduction #linguistique #littérature #russe #ukrainien #français #Anne-Marie_Tatsis-Botton