person:benoît hopquin

  • Les damnés de la boue. (Le Monde, 12 avril 2006)

    pendant qu’on compte les morts autour de Carcassonne, petite mise en perspective :
    Noyer les gueux et accuser le ciel !

    A Cuxac-d’Aude, des retraités modestes avaient cru trouver le paradis... en zone inondable. Depuis 1999, les sinistres se succèdent, le dernier en janvier. En attendant un plan d’aménagement

    Ils avaient trouvé la maison de leurs rêves. A moins de 20 kilomètres de la Méditerranée, un petit pavillon de plain-pied, gorgé de soleil, au milieu des vignes, bercé l’été par le chant des grillons. Non loin de là, l’Aude inscrivait dans la plaine ses méandres paresseux, proposant une agréable promenade ombragée aux jours chauds.
    Que rêver de mieux pour sa retraite ? Après avoir travaillé vingt ans en Haute-Savoie, Michel et Viviane Théolleyre, 64 et 63 ans, imaginaient vivre des jours heureux à Cuxac-d’Aude, dans ce quartier pavillonnaire joliment baptisé « Les Garrigots ». Le prix du bien ? Environ 100 000 euros. C’était donné pour la région. Il n’était qu’un codicille au contrat de vente, découvert chez le notaire. La maison était en zone inondable. « Mais c’est rare », avait assuré le conseiller, en prenant son assistante à témoin. Les Théolleyre ont signé.

    C’était en mai 1999. Six mois plus tard, le 13 novembre, vers 8 heures du matin, 2 mètres d’eau pénétraient dans la maison, faisant exploser les baies vitrées. Le couple n’a dû sa survie qu’à un escabeau, oublié la veille à l’intérieur, qui lui a permis de se hisser sur le toit, via la trappe des toilettes. Ils ont été repêchés en début d’après-midi par un bateau. Aux Garrigots, ce jour-là, quatre personnes sont mortes noyées. Une autre a été emportée. Cinq décès sur les 35 victimes des inondations qui avaient touché quatre départements du Sud-Ouest : Cuxac a payé un lourd tribut à l’Aude, qui, en quelques heures, avait multiplié par huit son débit.
    Depuis le drame, l’eau est revenue, encore et encore. Qu’il pleuve fort deux jours de suite, que le vent de mer freine l’évacuation, le fleuve déborde ses digues. En novembre 2005 puis en janvier 2006, la boue s’est ainsi invitée par deux fois chez les Théolleyre. Le canapé finit de sécher, posé sur des parpaings. Les meubles en bois gardent incrustée la marque de la dernière crue. « A chaque averse, je ne dors plus », assure Viviane. « C’est un stress quotidien. Je regarde sans cesse la météo », assure Michel. Les deux n’ont qu’une seule envie : partir. « Mais notre bien est invendable et toutes nos économies sont dedans. »
    Leurs anciens voisins se sont tirés du piège. Deux mois avant les dernières inondations, ils ont cédé leur habitation à des retraités venus du Nord. Les crues ? Une fois tous les cinquante ans, leur avait-on certifié, à eux aussi. De l’autre côté, des Parisiens sont venus récemment s’installer. Plus loin, ce sont des Anglais ou des Hollandais qui avaient cru gagner leur place au soleil. Les nouveaux habitants ont vite découvert l’envers du paradis et ne rêvent plus que de refiler le mistigri.

    C’est comme ça depuis les années 1960. A l’époque, deux années de gelées avaient compromis les vendanges. Pour aider les viticulteurs, on avait viabilisé à la hâte les terres peu fertiles des Garrigues. « On ne pouvait ignorer lorsque les constructions ont été autorisées qu’elles étaient situées en zone inondable », affirme un rapport d’ingénieurs commandé après la catastrophe de 1999. Georges Bonavida, 70 ans, ne croit pas non plus à la fatalité. Sa famille, des maraîchers, est venue s’installer ici au XIXe siècle. Le grand-père avait édifié sa maison sur la seule butte du pays. Lui a vu les pavillons sortir un à un de terre autour de son îlot : « A certains endroits, il est criminel d’avoir laissé construire. Si les anciens revenaient, ils n’auraient pas de manche assez solide pour taper sur les gens qui ont laissé faire ça. »
    Le vieux bourg, qui date du Moyen Age, s’était tassé sur une des rares éminences. Mais la récente poussée démographique qu’a connue le Languedoc-Roussillon a drainé une population nouvelle. Cuxac est passé de 2 490 habitants en 1975 à 4 272 en 1999. Cet afflux a fait exploser la frontière inscrite dans la mémoire collective. « L’homme oublie vite », regrette Georges Bonavida. Aux Garrigots, le lotissement n’a cessé de s’étendre dans les années 1970 et 1980, jusqu’à compter aujourd’hui 350 boîtes aux lettres. Plus loin, à l’Estagnol, un autre secteur pavillonnaire est sorti du néant. Les propriétaires ? Essentiellement des gens modestes, qui avaient trouvé là des prix pour leur bourse.

    Ouvrier dans une usine chimique à Marseille, André Zanone est arrivé en 1978. A l’heure de la retraite, il a acheté son bout de terrain à un paysan et obtenu sans peine un permis de construire. En novembre 1999, André, 88 ans, et son fils Alain, 53 ans, ont été hélitreuillés après avoir passé six heures sur leur toit. Ils ont tout perdu, jusqu’à la moindre photo. Les deux hommes ont aménagé un escalier de secours vers le toit. Des bougies sont à portée de main. Ils ont chacun une valise prête et des vivres de réserve. En cas d’intempéries, ils se réfugient chez des voisins qui ont un étage.
    Pas question pour eux de déménager. André n’a que sa retraite. Alain est RMIste. « Ailleurs, on ne pourrait prétendre qu’à un petit appartement. Alors autant rester ici », explique ce dernier. Ecoeuré, l’homme raconte les spéculations auxquelles il a assisté. Telle maison bradée 35 000 euros en 1999 et revendue 150 000 trois ans plus tard. Comme nombre d’habitants, Alain se sent délaissé. « Les Pays-Bas savent se protéger des tempêtes de la mer du Nord. On sait renforcer les berges du Rhône. Peut-être qu’il nous faudrait une centrale nucléaire à côté : ça pousserait à faire des protections qui tiennent », ironise-t-il. Dans les basses plaines de l’Aude, les premiers aménagements hydrauliques datent du XIIIe siècle. Dès cette époque, la petite Cuxac a été sacrifiée pour protéger la grande Narbonne. Le lit de l’Aude fut ainsi déplacé et éloigné de la ville. « Les conneries ne datent pas d’aujourd’hui », constate Jacques Lombard, qui fut maire (PS) de Cuxac de 1988 à 2002.
    Mais, aujourd’hui, digues, canaux, chenaux, étangs, zones naturelles d’expansion des crues, fossés, toutes les parades contre les humeurs du fleuve se désagrègent. Les lits se comblent, faute de dragage. Le calibrage de l’Aude, qui était de 750 m3 par seconde, n’est plus que de 500 m3. Les digues en terre cèdent sur des dizaines de mètres à chaque poussée des eaux. Chacun se renvoie la responsabilité de l’entretien.

    Les infrastructures modernes, routes ou voie de chemin de fer, ont créé des obstacles supplémentaires à l’écoulement des eaux ... « L’imperméabilisation des sols par le béton ou le macadam n’a fait qu’aggraver le phénomène, constate Louis Molveau, actuel maire (sans étiquette) de Cuxac. Les crues sont plus dévastatrices. »
    A chaque grand débordement, des travaux ambitieux sont envisagés au plus fort de l’émotion. Puis, à froid, on évalue leur coût... et on décide de « reconstruire de manière identique », comme l’indique le rapport de 2003. Les communes s’emploient à corseter les eaux lors du passage sur leur territoire. « Le principe, c’est d’envoyer la flotte chez le voisin, résume Louis Molveau. Il faut que chacun accepte de faire des concessions. »
    Des pourparlers sont engagés au sein du syndicat mixte du delta de l’Aude. Entre partisans d’un endiguement massif et tenants d’une méthode moins coercitive, les échanges sont vifs. Ils durent depuis... 1945. « Ces gens-là discutent les pieds au sec », s’emporte Alain Zanone. En attendant une décision, Cuxac mise sur l’alerte. En cas de montée des eaux, la police municipale sillonne le village. Des messages sont envoyés, via une centrale téléphonique, aux habitants. Des haut-parleurs ont été installés dans les rues. Des abris surélevés ont même été créés pour les voitures et éventuellement les hommes.

    Le préfet de l’Aude a imposé à la municipalité un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) que celle-ci rechignait à mettre en place. Ce document d’urbanisme interdit les constructions en zone inondable. Du coup, 70 % à 80 % des sols de la commune se retrouvent neutralisés. « Le développement de Cuxac est pratiquement bloqué », regrette Louis Molveau.
    Malgré les risques, les demandes de permis de construire continuent pourtant d’affluer en mairie, à raison d’une trentaine par an. En cas de refus, les services municipaux essuient la colère d’administrés à la mémoire courte. « Je me souviens avoir reçu une demande de permis aux Garrigots le jour même du premier anniversaire de l’inondation de 1999 », se rappelle Jacques Lombard, l’ancien édile. Dans le lotissement submersible, deux maisons, certes à étage, sont actuellement en cours d’achèvement.
    Après la crue de janvier, un énième rapport a été commandé, qui doit être remis en avril. En déplacement sur place, Nelly Ollin, ministre de l’environnement, a promis qu’un plan d’aménagement serait finalisé avant la fin du mois d’avril. Echaudés par les promesses antérieures, habitants et élus demandent à voir. Le préfet a envisagé en février une quarantaine d’expropriations aux Garrigots. Louis Molveau a aussitôt vu débouler dans son bureau des administrés inquiets.

    A Cuxac-d’Aude, la prévention des inondations fait néanmoins son chemin. Il n’en est pas forcément de même ailleurs. Dans une commune voisine, un nouveau lotissement, à peine fini, a déjà trouvé son surnom : « la Baignoire ».
    Benoît Hopquin

  • Retour sur le décès d’un jeune migrant
    http://www.franceculture.fr/emissions/sur-les-docks/retour-sur-le-deces-d-un-jeune-migrant-0

    Le 8 avril 2013, un jeune homme âgé entre 15 et 17 ans est retrouvé mort dans le train d’atterrissage d’un Boeing de la compagnie camerounaise Camair-co. Cette découverte macabre fait l’objet d’un entrefilet dans le Parisien. Benoit Hopquin, grand reporter au Monde décide d’aller plus loin : qui était ce jeune migrant ? Ou a-t-il embarqué ? Il ne trouve pas de réponse à ces questions mais découvre que le 30 avril 2013 il sera inhumé dans le cimetière du village de Mauregard qui jouxte les pistes de Roissy. Durée : 55 min. Source : France Culture

    http://rf.proxycast.org/1144634075206656001/10177-24.03.2016-ITEMA_20944174-0.mp3

  • Farida et l’article 49
    LE MONDE | 07.06.2014 à 08h39 • Mis à jour le 07.06.2014 à 10h47
    Par Benoît Hopquin
    « Je vous informe qu’après avoir procédé à un nouvel examen de votre dossier, j’ai décidé, en application de l’article 49 du décret n° 93.1362 du 30 décembre 1993, de maintenir cette décision de rejet. » Douze ans que Farida Belamri essuie les refus de naturalisation.
    Pendant ce temps, Farida Belamri attend d’être française. Mais que faut-il bien faire pour devenir française ? Dans ses moments de découragement, elle s’interroge. Elle a quitté l’Algérie en 1976, à 20 ans. Depuis, elle vit et travaille en France, à Toulouse. Elle repasse, balaye, lave, essuie, sert, range. Elle fut femme de ménage, aide à domicile, serveuse dans une cantine, assistante du troisième âge.

    Des petits salaires, des pleins-temps, des mi-temps. « Je veux vivre de mon travail. » Avec ce chiche argent, elle a élevé seule quatre enfants. « Pas un n’est connu des services de police », dit-elle, usant d’un langage tout droit sorti de la télévision. Ils sont installés, ils font leur vie, leur vie de Français. Farida Belamri est aujourd’hui grand-mère. Un pareil parcours, une telle vie exemplaire, vaut bien brevet de citoyenneté, avec mention honorable.

    Pas pour l’administration. Douze ans que Farida Belamri essuie les refus de naturalisation. Douze ans que la boîte aux lettres livre, l’une derrière l’autre, les mêmes lettres pète-sec.

    « Je vous informe qu’après avoir procédé à un nouvel examen de votre dossier, j’ai décidé, en application de l’article 49 du décret n° 93.1362 du 30 décembre 1993, de maintenir cette décision de rejet. »
    Plus loin, il est indiqué que la récipiendaire peut contester ce rejet devant un tribunal administratif, requête assortie de 35 euros de timbres fiscaux. La justice… « J’ai tout fait pour que mes enfants n’aient jamais affaire à elle », assure Farida Belamri. Ce n’est pas pour se retrouver soi-même devant un juge, fût-il administratif.

    « LA FRANCE, MON PAYS »

    Et puis un procès intitulé « Farida Belamri contre Etat français », ce serait un comble. La France, elle est pour, pas contre. Elle l’a écrit, d’ailleurs, dans une de ses lettres à l’administration. « Je considère la France comme le pays qui m’a recueillie, qui m’a offert de vivre une vie meilleure, la France, mon pays. »

    source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/07/farida-et-l-article-49_4434015_3232.html