person:carl schmitt

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie »
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Dans sa Théorie du drone, parue il y a cinq ans aux éditions la Fabrique, le philosophe Grégoire Chamayou se penchait sur les enjeux éthiques de cette nouvelle arme de guerre. Avec la Société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire (la Fabrique encore), il prend à nouveau de la hauteur pour dresser une saga du néolibéralisme « par en haut », du point de vue ceux qui ont défendu les intérêts du monde des affaires, aux Etats-Unis, à partir des années 70 : dirigeants d’entreprise, lobbyistes, théoriciens comme Milton Friedman et Friedrich Hayek… Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    La formule de « libéralisme autoritaire » a été employée dès 1933 par un juriste antifasciste, Hermann Heller, à propos d’un discours de Carl Schmitt face à une assemblée de patrons allemands. Schmitt y défendait un Etat extrêmement fort face aux revendications sociales mais renonçant à son autorité en matière économique. « Un Etat fort pour une économie saine », résumait-il. Cinquante ans plus tard, en pleine dictature Pinochet, le théoricien néolibéral Friedrich Hayek, qui a beaucoup lu Carl Schmitt, confie à un journal chilien : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. » Mais le libéralisme autoritaire a de multiples variantes. Thatcher, elle aussi, vise « un Etat fort pour une économie libre ». En pratique, cela suppose, à des degrés divers, de marginaliser la sphère parlementaire, restreindre les libertés syndicales, éroder les garanties judiciaires… A côté de ce renforcement de l’Etat, on limite, de manière paradoxale, son champ d’intervention. C’est le concept de libéralisme autoritaire : faible avec les forts et fort avec les faibles.

  • Pour Le Pen, le « nomade » se « moque de l’écologie car il n’a pas de terre » - Œil sur le front
    https://oeilsurlefront.liberation.fr/les-pouvoirs/2019/04/14/pour-le-pen-le-nomade-se-moque-de-l-ecologie-car-il-n-a-pa

    Rendez-vous important dans la campagne du RN (ex-FN) pour les élections européennes. Ce lundi, au Parlement de Strasbourg, où se tient la dernière session plénière de la législature en cours, Marine Le Pen présente le « manifeste » de son parti, ainsi que son programme pour les élections de mai. Ce dernier, qui insiste sur le « désastreux bilan de l’UE », a été écrit par Nicolas Bay, eurodéputé, vice-président du groupe Europe des nations et des libertés (ENL) au Parlement européen. Quant au texte, il s’agit d’un document de 76 pages intitulé « Manifeste pour une nouvelle coopération : l’alliance européenne des nations », rédigé par l’intellectuel Hervé Juvin, nouvelle tête pensante de Marine Le Pen et inspirateur du projet frontiste depuis le départ de Florian Philippot. L’homme de 63 ans, à la crinière blanche et à l’idéologie « identitaire écolo », est un adepte de la théorie du « grand remplacement », du genre à écrire dans ses livres qu’il faut « défendre son biotope contre les espèces invasives ». Selon nos informations, le manifeste du RN appelle logiquement à l’émergence d’une « civilisation écologique européenne », à contre-courant d’une prétendue « idéologie du nomadisme », décrite comme une « arme de destruction contre l’Europe ».

    #enracinement #rassemblement_national #écologie #extrême-droite
    #le_pen #nomade #terre

  • #Loi_Blanquer : Ce que la #confiance veut dire...

    « L’#école_de_la_confiance » c’est le slogan préféré de JM Blanquer , celui qui a été utilisé pour justifier sa politique tout au long de ses 18 mois de présence au ministère de l’éducation nationale. C’est encore le nom de son projet de loi sur l’école qui devrait bientôt arriver devant le Parlement. La confiance c’est, selon le Larousse, « le sentiment de quelqu’un qui se fie entièrement à quelqu’un d’autre, à quelque chose ». Mais le projet de loi de JM Blanquer redéfinit le terme et sa portée. Il éclaire du coup le véritable projet du ministre. L’école de la confiance c’est celle de la mise au pas des enseignants.

    L’article 1 de la loi Blanquer

    L’école de la confiance a déjà pris de sérieux coups depuis le phénomène #pasdevagues. Les enseignants ont largement témoigné de l’absence de confiance de l’institution à leur égard. Un sentiment bien rendu en retour. On croyait d’ailleurs le slogan enterré mais le ministre n’a pas hésité à l’utiliser à nouveau, juste avant que les lycéens apportent à leur tour un net démenti...

    Le projet de loi « pour une école de la confiance » commence par un premier article qui porte sur « l’engagement de la communauté éducative ». Comme d’autres articles de ce texte, il cache bien son jeu.

    L’article 1 du projet de loi demande d’insérer un article L. 111-3-1 dans le Code de l’éducation ainsi rédigé : « Art. L. 111-3-1 - Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »

    Un mot pour révoquer facilement

    Apparemment c’est une simple déclaration philosophique dont on peut se demander ce qu’elle fait dans un projet de loi. Mais l’étude d’impact du projet de loi, un document obligatoire fourni par le ministère aux députés, éclaire singulièrement ce que JM BLanquer appelle la confiance.

    « Le Gouvernement souhaite inscrire, dans la loi, la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles. Compte tenu de son importance, il serait en effet déraisonnable de s’en tenir à une simple consécration jurisprudentielle », explique l’étude d’impact.

    « Les dispositions de la présente mesure pourront ainsi être invoquées, comme dans la décision du Conseil d’Etat du 18 juillet 2018 précédemment mentionnée, dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public ».

    L’arrêt en question avait annulé la décision d’une cour administrative d’appel qui était revenue sur une décision de révocation d’un enseignant. Il s’agissait d’un professeur de Montceau-les -Mines coupable et condamné avec sursis pour agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans. Pour chasser cet enseignant du métier , le Conseil d’Etat a argué de « l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service » et de l’importance de l’atteinte portée « à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service ».

    Faire taire les profs sur les réseaux sociaux

    Exploitant cette affaire très particulière, le projet de loi Blanquer exploite cet arrêt dans un tout autre domaine. Il ne s’agit plus de délinquant sexuel condamné mais de n’importe quel prof. Il ne s’agit plus de la violation perverse de la relation pédagogique mais du lien d’obéissance au ministre. En s’appuyant sur cet article et cette évocation de la confiance, le ministre veut pouvoir sanctionner ce qu’il n’arrive pas à punir actuellement.

    L’étude d’impact donne des exemples. « Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. Ces dispositions pourront également être utilement invoquées par l’administration dans les cas de violences contre les personnels de la communauté éducative ou d’atteintes au droit au respect de leur vie privée, notamment par le biais de publications sur des réseaux sociaux ».

    La confiance c’est la soumission

    Ainsi toute critique portée par un enseignant sur l’institution pourrait être légalement sanctionnée par une #révocation. Ce que poursuit le ministre c’est la généralisation du #devoir_de_réserve qui concerne aujourd’hui les seuls cadres du système éducatif ou des cas bien particuliers. Les violences tout comme la diffamation sont déjà punis par la loi. Le devoir de réserve peut être invoqué pour des enseignants qui feraient campagne contre l’institution (et non contre un responsable politique). Or la liberté de parole des enseignants est nécessaire à l’exercice du métier. Ils doivent éthiquement privilégier l’intérêt de l’élève avant celui de l’institution. Ils doivent pouvoir exercer librement un droit de critique sur le fonctionnement de l’institution. Celle-ci d’ailleurs le leur demande quand il s’agit des programmes par exemple.

    On mesure le glissement que permettrait le passage de cet article. JM Blanquer inscrit cet article pour permettre une systématisation des #sanctions et faire en sorte que les #enseignants se taisent, notamment sur les réseaux sociaux, dernier espace de #liberté.

    Cet article autoritaire, qui ferait des enseignants une catégorie spéciale de sous-fonctionnaires, montre à quel point le mot confiance est un piège. Si, pour Orwell, « la liberté c’est l’esclavage », pour l’auteur de ce projet de loi, la confiance c’est la #soumission.

    François Jarraud


    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2018/12/12122018Article636801966942543096.aspx
    #censure #éducation #France #réseaux_sociaux #école

    • https://dijoncter.info/?un-fonctionnaire-ca-ferme-sa-gueule-ou-ca-demissionne-828

      Imaginons qu’un professeur soit amené avec sa collègue enseignant l’allemand, à encadrer une sortie d’élèves, pour étudier au cinéma le film intitulé" Le jeune Karl Marx" ; très vite, il serait amené à évoquer la liberté d’expression, censée être garantie constitutionnellement : l’œuvre s’ouvre en effet sur cette scène insolite où le philosophe et économiste est interpellé par la police d’État alors qu’il se trouve en plein comité de rédaction, le seul crime qu’il est censé avoir commis étant d’avoir participé à un journal contestataire. Cela provoquait l’ire du roi de Prusse.
      Un an plus tard, en 2019, la réalité rejoint la fiction : ce même enseignant prend connaissance de la convocation de Sophie Carrouge pour crime de lèse-majesté (une tribune somme toute inoffensive à l’encontre du président-mandaté du moment). Il apprend aussi - dans les mêmes jours, d’ailleurs - que son ministère a prévu de nouvelles mesures statutaires lui imposant un bâillon à lui ainsi qu’aux milliers d’autres enseignants, sous couvert de renforcement de leur « devoir de réserve » . Sommes nous dans une république bananière ? Dans la Tunisie de Ben Ali ? Non, en France en 2019, où il apparaît légitime de remettre en cause, en toute décontraction, des droits constitutionnels, au nom d’un contrat de travail avec le meilleur des employeurs : l’État.
      Le voilà, par la force de décrets ministériels, dans une situation de sujétion accrue qu’on déguisera au mieux en loyauté à l’égard de la République, au pire en ce qu’on nommera, ce qui ne manque pas de sel ni d’ironie, une « école de la confiance ». (c’est le nom du projet de loi comportant le bâillon en question).
      Pour peu qu’il se rende au Panthéon avec ses élèves, devra-t-il encore rendre hommage à Voltaire ou à quelque autre incitateur de révoltes, qui se sont illustrés contre des institutions vermoulues à l’autoritarisme grossier ? Devrait-on souhaiter, que l’enseignant, comme n’importe quel militaire ou gendarme soumis à sa hiérarchie, soit coopté et jugés honorable que s’il est un fonctionnaire inféodé à tel ou tel gouvernement de passage ? Celui du moment perd chaque jour davantage en crédibilité et légitimité (pour ne rien dire de sa cote de séduction, en chute libre), se crispant toujours davantage sur ses pouvoirs régaliens ; où en est-il, en cherchant à faire taire le moindre professeur de province rédigeant quelques lignes sur un site à la fréquentation confidentielle ? Se met-il sérieusement en tête de traquer quelque « ennemi intérieur » ? Le porte-parole du gouvernement de passage, affolé - et opportuniste - va même jusqu’à qualifier les mouvements de résistance actuels d’ entreprises « factieuses ».

      La liste des « factieux »

      Sont ainsi stigmatisés tous les opposants à la verticalité problématique de la cinquième république désirée par De Gaulle, s’imposant toujours à nous alors qu’elle n’a de cesse de démontrer les excès de l’exécutif : elle à chaque fois chaque fois instrumentalisée par le roitelet du moment (pour cinq ans), lequel est relayé par le moindre de ses petits clones locaux dans chaque institution, chacun se faisant alors une gloire d’être la courroie de transmission de l’insanité d’en haut.
      Seront alors décrétés « Factieux » tous ceux qui osent prendre la parole ou agir hors de la mise-au -pas de la mise « en marche » : ceux qui viennent au secours des sans-papiers, les citoyens qui s’engagent dans une contestation actives, ceux qui alertent l’opinion publique des démolitions programmées des services publics par les réformes qu’on fait passer à coups de matraques, ceux qui remettent en question la dégradation systématique et organisée des services publics (organisée par ceux qui veulent les démanteler pour mieux les vendre aux copains et coquins du privé), et même désormais ceux qui défendent leurs propres élèves contre les algorithmes aveugles ou les matraques sus-citées.
      « Factieux », ceux qui s’indignent de l’annulation de l’ISF, ou du fait qu’on leur tire dessus à bout-portant avec des flash-balls, sans sommation.
      « Factieux » tous ceux qui méprisent la start-up nation et la considèrent aussi has been que Giscard.
      « Factieux » tous ceux qui défendent le véritable esprit républicain et démocratique, qui ne se limitera certes pas à un malheureux vote de barrage dont certains se sont fendus pour éviter Le Pen. Ceux qui réclament des référendums d’initiative populaire, voire une constituante, pour une sixième République : « Factieux. »
      Cela commence à en faire beaucoup, de factieux, beaucoup de citoyens qui prennent encore la parole. Il va falloir recruter encore davantage au ministère de l’intérieur, à défaut d’augmenter le nombre de professeurs, lesquels auraient l’heur d’enseigner la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui consacre la liberté d’expression comme un droit imprescriptible, l’article 11 dispose : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi". Les enseignants doivent-ils être traités tels des parias de la République au point qu’ils devraient s’acquitter d’une allégeance absolue à tel chef temporaire de l’exécutif et ses divers valets-exécutants zélés dans tels obscurs bureaux ? Entendu que le devoir de réserve en classe favorise l’auto-détermination de l’élève, sans la biaiser ou la fausser, est-ce à dire que le citoyen qu’est d’abord le professeur, doit désormais s’interdire toute prise de position sociale, éthique, syndicale ou politique hors de ses heures de cours ? Les intimidations feutrées prononcées à l’encontre de Sophie Carrouge doivent alerter tous les citoyens.

      La liberté de la fermer

      Le libéralisme économique cherchant à tout s’assujettir – jusqu’aux institutions de la République, même le temps de mandats – est tout de même bien tenté de s’accommoder , ce qu’il fait du reste de plus en plus, d’une dérive autoritaire, de moins en moins temporaire– l’état d’urgence théorisé par le nazi Carl Schmitt pouvant à l’occasion être fort utile pour faire taire toutes les voix discordantes. Mais bien plus retorses qu’une censure par trop directe, les propensions à susciter de l’auto-censure s’imposent discrètement, par les divers raffinements de l’intimidation, les assignations administratives, le recours à toutes les chaînes de commandement ou à toute autre injonction symbolique ; le tout s’autorisant à peu de frais de grands noms ronflants : on ose évoquer « la démocratie » (même si on l’a rabougrie au seul rite masochiste du vote), tout en évoquant bien entendu la nécessité de l’ « ordre » et de la « sécurité » - - ce qui ne manque pas de s’accorder, sans trop de peine, de fait, avec un discours échevelé sur les libertés civiques, notamment celle d’expression - elle pourra à l’occasion permettre de prendre la défense des « journalistes » de BFM.
      De toute manière, Michel Foucault le relevait déjà dans un texte ironisant à l’encontre de ceux qui ne détectent pas les subtilités prises par les formes de contrôle modernes : « il faut se faire une représentation bien inversée du pouvoir pour croire que nous parlent de liberté toutes ces voix qui, depuis tant de temps, dans notre civilisation, ressassent la formidable injonction d’avoir à dire ce qu’on est, ce qu’on a fait, ce dont on se souvient et ce qu’on a oublié, ce qu’on cache et ce qui se cache, ce à quoi on ne pense pas et ce qu’on pense ne pas penser. Immense ouvrage auquel l’Occident a plié des générations pour produire ‑ pendant que d’au­tres formes de travail assuraient l’accumulation du capi­tal – l’assujettissement des hommes ».
      L’accumulation du capital, lui, en effet, se porte bien. Par contre, la question de savoir si nous pouvons encore nous exprimer librement se pose de nouveau avec acuité, à l’heure où des agents de l’État voient leurs droits constitutionnels mis en danger par leurs tutelles administratives et managériales. Nous sommes bel et bien à l’époque du fichage des manifestants, des arrestations préventives sans fondement juridique, de la violence physique opposée aux lycéens contestataires qui prendraient un peu conscience de ce qui les attend, et de l’utilisation des leviers institutionnels pour procéder à des intimidations à l’encontre de tout citoyen un tant soit peu engagé.
      Il semblerait que la seule liberté d’expression qui soit alors concédée consisterait à laisser des avis sur Tripadvisor ou tel ou tel produit chez Amazon ; et encore, peut-être cela devra-t-il fait sous pseudo ? Que de tristes sires se livrent par ailleurs à des insultes racistes ou à d’autres tombereaux d’immondices fascisantes sur le net - cela semble par contre largement toléré, bien davantage, du moins, que les manifestations citoyennes récentes qui ont le heur de tancer le statu quo néo-libéral. Il sera loisible de les faire passer pour des ennemis internes du pacte républicain- - comme si ceux qui entraient en insurrection contre la véritable république française n’étaient pas tous ceux qui se cachent derrière leurs fonctions administratives ou leurs insignes pour se mettre au service de l’oligarchie démantelant les services publics de ce pays. Qu’une clique arguant de son mandat pour procurer des cadeaux fiscaux trouve en effet dans son sillage tout un ensemble d’opportunistes n’est pas si étonnant ; que ceux-ci profitent à ce point de l’aubaine pour renforcer encore la dérive managériale hiérarchique autrefois constatée chez France Télécom et La Poste, cela suscite d’abord notre étonnement, puis tout simplement notre mépris. Nous retournons enseigner Voltaire, Marx et Beaumarchais à nos élèves, en essayant de ne pas mourir de honte à la place de tous ceux qui n’en éprouvent plus depuis longtemps (de la honte).

    • #Loi_sur_l’école : les débats se déportent un peu plus sur la droite

      L’examen du projet de loi « pour une #école_de_la_confiance », porté par le ministre de l’éducation nationale, a débuté le 11 février. La tonalité conservatrice des débats sur l’#uniforme, le #drapeau ou la restriction de la #liberté_d’expression des enseignants est manifeste.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/120219/loi-sur-l-ecole-les-debats-se-deportent-un-peu-plus-sur-la-droite?onglet=f

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Confrontés à l’activisme des années 70 puis aux exigences éthiques des consommateurs, penseurs libéraux et directions d’entreprises ont mis au point des guides de management et des théories politiques pour défendre le capitalisme contesté. En disséquant ces discours, le philosophe dresse une brillante saga du libéralisme autoritaire.

    Dans sa Théorie du drone, parue il y a cinq ans aux éditions la Fabrique, le philosophe Grégoire Chamayou se penchait sur les enjeux éthiques de cette nouvelle arme de guerre. Avec la Société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire (la Fabrique encore), il prend à nouveau de la hauteur pour dresser une saga du néolibéralisme « par en haut », du point de vue ceux qui ont défendu les intérêts du monde des affaires, aux Etats-Unis, à partir des années 70 : dirigeants d’entreprise, lobbyistes, théoriciens comme Milton Friedman et Friedrich Hayek… Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le #néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    Politiquement autoritaires et économiquement libéraux, les gouvernements de Trump ou d’Orbán nous semblent des aberrations. Vous dites à l’inverse qu’ils n’ont rien de contradictoires, pourquoi ?

    On se fait souvent une idée fausse du néolibéralisme comme « phobie d’Etat », anti-étatisme unilatéral. L’actualité montre à l’inverse une nouvelle fois que libéralisme économique et autoritarisme politique peuvent s’unir : le conseiller économique de Bolsonaro, Paulo Guedes, est un « Chicago boy », un ultralibéral formé à l’École de Chicago, qui a enseigné au Chili sous Pinochet. La formule de « libéralisme autoritaire » a été employée dès 1933 par un juriste antifasciste, Hermann Heller, à propos d’un discours de Carl Schmitt face à une assemblée de patrons allemands. Schmitt y défendait un Etat extrêmement fort face aux revendications sociales mais renonçant à son autorité en matière économique. « Un Etat fort pour une économie saine », résumait-il. Cinquante ans plus tard, en pleine dictature Pinochet, le théoricien néolibéral Friedrich Hayek, qui a beaucoup lu Carl Schmitt, confie à un journal chilien : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. » Mais le libéralisme autoritaire a de multiples variantes. Thatcher, elle aussi, vise « un Etat fort pour une économie libre ». En pratique, cela suppose, à des degrés divers, de marginaliser la sphère parlementaire, restreindre les libertés syndicales, éroder les garanties judiciaires… A côté de ce renforcement de l’Etat, on limite, de manière paradoxale, son champ d’intervention. C’est le concept de libéralisme autoritaire : faible avec les forts et fort avec les faibles.

    Vous faites remonter cette forme abâtardie du libéralisme aux années 70, quand le monde des affaires doit réagir à une série de crises qui menacent le système…

    Au milieu des années 70, on pense assister à une crise de gouvernabilité. Dans un rapport de la Trilatérale (1), le néoconservateur Samuel Huntington s’inquiète d’un « déferlement démocratique ». A gauche, Michel Foucault écrit que l’ensemble des procédés par lesquels on conduit les hommes sont remis en question. Non seulement on se révolte partout, mais les techniques de gouvernement sont elles-mêmes en crise. L’Etat-providence qui devait avoir un effet pacificateur a mis le feu aux poudres. Avec le quasi-plein-emploi, les travailleurs ont un rapport de force favorable. Des activistes mettent en cause les pratiques des multinationales et l’État lui-même semble hors de contrôle… Les intellectuels conservateurs s’y résignent : « Il va falloir intervenir. » La « main invisible » ne réglera pas le problème toute seule… Dans ce livre, j’étudie comment ces stratégies se sont élaborées, ce qui ne veut pas dire qu’il y aurait quelque chose comme un « comité central de la classe capitaliste » qui tirerait les ficelles. Au contraire, ce que montrent les documents - articles d’économistes, mais aussi discours de PDG, guides de management… -, ce sont des formulations contradictoires, des réactions pragmatiques à chaque conflit qui surgit. Une pensée qui se cherche en colmatant les brèches.

    Comment le monde de l’entreprise va-t-il réagir à la remise en cause de l’entreprise qui émerge dans la société civile ?

    Le #management était habitué à gérer les conflits avec ses salariés. Il va devoir apprendre à répondre à des assauts externes. En 1970, l’activiste de la New Left mobilisée contre la guerre du Vietnam, Staughton Lynd, pose cette question : pourquoi continuons-nous à manifester à Washington comme si c’était là que se jouait la guerre du Vietnam ? Puisqu’elle est le produit d’un complexe militaro-industriel, il faut attaquer les grandes entreprises de l’armement, envahir les assemblées générales d’actionnaires. Les directions de ces entreprises sont d’abord démunies : des guides pratiques rédigés à l’attention des PDG leur conseillent de surtout rester cool en cas de débordements, on monte des sessions d’entraînement où les salariés jouent le rôle des activistes et soumettent les dirigeants à tous les outrages. « Ça a été l’une des épreuves les plus dures pour le PDG »,témoigne une secrétaire de direction dans l’un des documents que j’ai étudié. Et sans doute un moment jouissif pour les salariés…

    Nestlé, confronté, de 1977 à 1984, à un boycott international qui l’accuse de « tuer les bébés » avec son lait infantile vendu dans les pays du tiers-monde, opte vite pour une autre parade, laquelle ?

    La #multinationale recrute un conseiller en relations publiques venu du renseignement militaire, Rafael Pagan. La différence entre les activistes et vous, dit-il à Nestlé, c’est que les activistes, eux, savent qu’ils font de la politique. Avec sa cellule de crise, Pagan va s’appuyer sur la pensée de Clausewitz : priver l’adversaire de sa force morale. Il classe les militants en plusieurs profils : il faut isoler les « radicaux », avec lesquels il n’y a rien à faire, rééduquer les « idéalistes », sincères mais crédules. La tactique psychologique principale, c’est de les mettre en porte-à-faux, leur montrer qu’alors même ils croient défendre une cause juste, ils font du tort à d’autres groupes. Quant aux « réalistes », on parvient facilement à les coopter, à échanger un accord contre de la gloire ou de l’argent.

    Les années 80 voient émerger les discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises. Le dialogue devient une arme dans la panoplie des firmes. Pourquoi ?

    Cela ne figure pas dans l’histoire officielle de la « responsabilité sociale des entreprises », mais une des premières publications sur le sujet a été parrainée aux Etats-Unis par Edward Bernays, l’auteur du fameux Propaganda. Or son modèle - fabriquer du consentement de manière verticale vers un public malléable, a trouvé ses limites. Bien sûr on continuera de faire de la pub, mais il faut recourir à des tactiques plus fines. C’est l’éloge d’une nouvelle idole : la communication dialogique, qu’on oppose à la manipulation. On vante la « coproduction de sens », la « communication éthique », « l’empathie entre les parties prenantes »… Un discours pseudo-philosophique qui masque une stratégie plus offensive. Lorsque Pagan dialogue avec les activistes de #Nestlé, il ne s’agit pas de négocier, c’est une ruse. Le dialogue permet de priver les militants d’une de leurs ressources les plus précieuses, la publicisation du conflit, puisqu’il doit être mené à huis clos. Il épuise l’adversaire dans d’interminables pourparlers, et en posant le consensus comme norme absolue, il permet de disqualifier ceux qui refusent le dialogue comme des irresponsables.

    En parallèle de ces tactiques pragmatiques mises en places par les firmes, les grands théoriciens du néolibéralisme, eux, vont mener une contre-offensive intellectuelle visant à « dépolitiser » l’entreprise afin de la faire échapper aux critiques des activistes.

    Dans les années 60, la pensée « managérialiste » admettait que la firme était un « gouvernement privé », un lieu de pouvoir, qu’il fallait bien tenter de légitimer : c’est notamment le rôle des discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises ou le « managérialisme éthique ». Mais à partir des années 70 et 80, les théoriciens néolibéraux vont considérer qu’il est très dangereux de reconnaître ces rapports de pouvoir et de tenter de les justifier. C’est le cas de Milton Friedman qui critique ainsi le « greenwashing » naissant : « Peu de choses me soulèvent davantage l’estomac que de regarder ces spots télévisés qui voudraient nous faire croire que leur seule raison d’être est la préservation de l’environnement. » Pour ces économistes, il faut au contraire inventer une doctrine de l’entreprise qui la dépolitise. Pour cela, dans les années 70, les penseurs des « nouvelles théories de la firme » vont tâcher de déréaliser l’entreprise, dénier les rapports de force qui la constituent et la présenter comme une pure fiction juridique, un simple nœud de contrats. Aujourd’hui, dans les manuels d’économie, on présente ces thèses comme des doctrines neutres. Leurs auteurs, pourtant, les ont explicitement conçues comme des armes intellectuelles pour la défense d’un capitalisme contesté.

    Après les salariés, après les activistes, les néolibéraux s’attaquent à l’Etat lui-même, devenu « ingouvernable ». Comment s’y prennent-ils ?

    Face à l’inflation des revendications, on assiste à ce que Hayek appelle une « crise de gouvernite aiguë » de l’Etat. Ça régule, ça intervient… Comment faire refluer les demandes sociales, le trop-plein de démocratie ? Des économistes de l’université de Saint-Andrews, en Ecosse, proposent une nouvelle stratégie : la micropolitique de la privatisation. Cessons de nous focaliser sur la bataille des idées, disent-ils : conquérir les cœurs et les esprits ne suffit pas à changer les pratiques. C’est l’inverse : il faut changer pas à pas les comportements, et le reste suivra. Ouvrir progressivement les services publics à la concurrence, plutôt que privatiser brutalement, permet de dépolitiser la demande : tandis que l’usager insatisfait se retournait contre les pouvoirs publics, le client mécontent change de crémerie. Une fois la libéralisation actée, ce sont les individus eux-mêmes par leurs microchoix de consommateurs, qui deviennent les moteurs du changement. Le chef de file de ce courant, Madsen Pirie, cite l’exemple de la #dérégulation, par une Thatcher fraîchement élue, en 1980, du transport interurbain par bus - amorce pour la privatisation des chemins de fer britanniques…

    Votre livre approche l’entreprise par la philosophie. Pourquoi dites-vous que cette discipline tente trop rarement de saisir cet objet ?

    En philosophie, on a des théories de la souveraineté politique qui remontent au XVIIe siècle, mais peu de traités sur l’entreprise. Quand la philosophie intègre la question à ses enseignements, c’est trop souvent en reprenant les discours indigents produits dans les business schools. Il serait temps au contraire de développer des philosophies critiques de l’entreprise. Ce livre est un travail en ce sens, une enquête sur des catégories centrales de la pensée économique et managériale dominante. A la crise de gouvernabilité a répondu un contre-mouvement, une grande réaction où se sont inventés des nouveaux arts de gouverner, encore actifs aujourd’hui. Alors même que ces procédés de pouvoir nous sont appliqués en permanence, nous connaissons mal leur origine et leurs ressorts fondamentaux. Or, je crois que vendre la mèche, exposer leurs stratégies peut contribuer à mieux les contrer. Ce qui a été fait, on peut le défaire. Encore faut-il en connaître l’histoire.

    (1) Créée en 1973, la Commission trilatérale réunit des centaines de personnalités du monde des affaires et de la politique favorables à la globalisation économique.
    Sonya Faure

    Lien déjà cité par ailleurs mais sans l’interview en entier.

    #chamayou #capitalisme #entreprise #libéralisme #autoritarisme #état #privatisation

  • The State of Israel vs. the Jewish people -
    Israel has aligned itself with one nationalist, even anti-Semitic, regime after another. Where does that leave world Jewry?
    By Eva Illouz Sep 13, 2018
    https://www.haaretz.com/israel-news/.premium.MAGAZINE-the-state-of-israel-vs-the-jewish-people-1.6470108

    Orban, left, and Netanyahu, in Jerusalem in July 2018. DEBBIE HILL / AFP

    An earthquake is quietly rocking the Jewish world.

    In the 18th century, Jews began playing a decisive role in the promotion of universalism, because universalism promised them redemption from their political subjection. Through universalism, Jews could, in principle, be free and equal to those who had dominated them. This is why, in the centuries that followed, Jews participated in disproportionate numbers in communist and socialist causes. This is also why Jews were model citizens of countries, such as France or the United States, with universalist constitutions.

    The history of Jews as promoters of Enlightenment and universalist values, however, is drawing to a close. We are the stunned witnesses of new alliances between Israel, Orthodox factions of Judaism throughout the world, and the new global populism in which ethnocentrism and even racism hold an undeniable place.

    When Prime Minister Netanyahu chose to align himself politically with Donald Trump before and after the U.S. presidential election of 2016, some people could still give him the benefit of doubt. Admittedly, Trump was surrounded by people like Steve Bannon, the former head of Breitbart News, who reeked of racism and anti-Semitism, but no one was sure of the direction the new presidency would take. Even if Trump refused to condemn the anti-Semitic elements of his electoral base or the Ku Klux Klan, which had enthusiastically backed him, and even if it took him a long time to dissociate himself from David Duke – we were not yet certain of the presence of anti-Semitism in Trump’s discourse and strategies (especially since his daughter Ivanka was a convert to Judaism).

    But the events in Charlottesville in August 2017 no longer allowed for doubt. The neo-Nazi demonstrators committed violent acts against peaceful counter-protesters, killing one woman by plowing through a crowd with a car (an act reminiscent in its technique of terrorist attacks in Europe). Trump reacted to the events by condemning both the neo-Nazis and white supremacists and their opponents. The world was shocked by his conflation of the two groups, but Jerusalem did not object. Once again, the indulgent (or cynical) observer could have interpreted this silence as the reluctant obeisance of a vassal toward his overlord (of all the countries in the world, Israel receives the most military aid from the United States). One was entitled to think that Israel had no choice but to collaborate, despite the American leader’s outward signs of anti-Semitism.

    This interpretation, however, is no longer tenable. Before and since Charlottesville, Netanyahu has courted other leaders who are either unbothered by anti-Semitism or straightforwardly sympathetic to it, and upon whom Israel is not economically dependent. His concessions go as far as participating in a partial form of Holocaust denial.

    Take the case of Hungary. Under the government of Viktor Orban, the country shows troubling signs of legitimizing anti-Semitism. In 2015, for example, the Hungarian government announced its intention to erect a statue to commemorate Balint Homan, a Holocaust-era minister who played a decisive role in the murder or deportation of nearly 600,000 Hungarian Jews. Far from being an isolated incident, just a few months later, in 2016, another statue was erected in tribute to Gyorgy Donáth, one of the architects of anti-Jewish legislation during World War II. It was thus unsurprising to hear Orban employing anti-Semitic tropes during his reelection campaign in 2017, especially against Georges Soros, the Jewish, Hungarian-American billionaire-philanthropist who supports liberal causes, including that of open borders and immigration. Reanimating the anti-Semitic cliché about the power of Jews, Orban accused Soros of harboring intentions to undermine Hungary.

    Whom did Netanyahu choose to support? Not the anxious Hungarian Jewish community that protested bitterly against the anti-Semitic rhetoric of Orban’s government; nor did he choose to support the liberal Jew Soros, who defends humanitarian causes. Instead, the prime minister created new fault lines, preferring political allies to members of the tribe. He backed Orban, the same person who resurrects the memory of dark anti-Semites. When the Israeli ambassador in Budapest protested the erection of the infamous statue, he was publicly contradicted by none other than Netanyahu.

    To my knowledge, the Israeli government has never officially protested Orban’s anti-Semitic inclinations and affinities. In fact, when the Israeli ambassador in Budapest did try to do so, he was quieted down by Jerusalem. Not long before the Hungarian election, Netanyahu went to the trouble of visiting Hungary, thus giving a “kosher certificate” to Orban and exonerating him of the opprobrium attached to anti-Semitism and to an endorsement of figures active in the Shoah. When Netanyahu visited Budapest, he was given a glacial reception by the Federation of the Jewish Communities, while Orban gave him a warm welcome. To further reinforce their touching friendship, Netanyahu invited Orban to pay a reciprocal visit to Israel this past July, receiving him in a way usually reserved for the most devoted national allies.

    The relationship with Poland is just as puzzling. As a reminder, Poland is governed by the nationalist Law and Justice party, which has an uncompromising policy against refugees and appears to want to eliminate the independence of the courts by means of a series of reforms that would allow the government to control the judiciary branch. In 2016 the Law and Justice-led government eliminated the official body whose mission was to deal with problems of racial discrimination, xenophobia and intolerance, arguing that the organization had become “useless.”

    An illustration depicting Prime Minister Benjamin Netanyahu shaking hands with Polish Prime Minister Mateusz Morawiecki in Auschwitz. Eran Wolkowski

    Encouraged by this and other governmental declarations and policies, signs of nationalism multiplied within Polish society. In February 2018, president Andrzej Duda declared that he would sign a law making it illegal to accuse the Polish nation of having collaborated with the Nazis. Accusing Poland of collusion in the Holocaust and other Nazi atrocities would be from now prosecutable. Israel initially protested the proposed legislation, but then in June, Benjamin Netanyahu and the Polish prime minister, Mateusz Morawiecki, signed an agreement exonerating Poland of any and all crimes against the Jews during the time of the German occupation. Israel also acceded to Poland’s move to outlaw the expression “Polish concentration camp.” Moreover, Netanyahu even signed a statement stipulating that anti-Semitism is identical to anti-Polonism, and that only a handful of sad Polish individuals were responsible for persecuting Jews – not the nation as a whole.

    A billboard displaying George Soros urges Hungarians to take part in a national consultation about what it calls a plan by the Hungarian-born financier to settle migrants in Europe, in Budapest. ATTILA KISBENEDEK / AFP

    Like the American, Hungarian and Polish alt-right, Israel wants to restore national pride unstained by “self-hating” critics. Like the Poles, for two decades now, Israel has been waging a war over the official narrative of the nation, trying to expunge school textbooks of inconvenient facts (such as the fact that Arabs were actively chased out of Israel in 1948). In order to quash criticism, Israel’s Culture Ministry now predicates funding to creative institutions on loyalty to the state. As in Hungary, the Israeli government persecutes NGOs like Breaking the Silence, a group whose only sin has been to give soldiers a forum for reporting their army experiences and to oppose Israeli settlers’ violence against Palestinians or the expropriation of land, in violation of international law. Purging critics from public life (as expressed in barring the entry into the country of BDS supporters, denying funding to theater companies or films critical of Israel, etc.) is an expression of direct state power.

    When it comes to refugees, Israel, like Hungary and Poland, refuses to comply with international law. For almost a decade now, Israel has not respected international conventions on the rights of refugees even though it is a signatory of said conventions: The state has detained refugees in camps, and imprisoned and deported them. Like Poland, Israel is trying to do away with the independence of its judiciary. Israel feels comfortable with the anti-democratic extreme right of European states in the same way that one feels comfortable with a family member who belches and gossips, losing any sense of self-control or table manners.

    More generally, these countries today share a deep common political core: fear of foreigners at the borders (it must be specified, however, that Israelis’ fears are less imaginary than those of Hungarians or Polish); references to the nation’s pride untainted by a dubious past, casting critics as traitors to the nation; and outlawing human rights organizations and contesting global norms based on moral principles. The Netanyahu-Trump-Putin triumvirate has a definite shared vision and strategy: to create a political bloc that would undermine the current liberal international order and its key players.

    In a recent article about Trump for Project Syndicate, legal scholar Mark S. Weiner suggested that Trump’s political vision and practice follow (albeit, unknowingly) the precepts of Carl Schmitt, the German legal scholar who joined the Nazi Party in 1933.

    “In place of normativity and universalism, Schmitt offers a theory of political identity based on a principle that Trump doubtless appreciates deeply from his pre-political career: land,” wrote Weiner. “For Schmitt, a political community forms when a group of people recognizes that they share some distinctive cultural trait that they believe is worth defending with their lives. This cultural basis of sovereignty is ultimately rooted in the distinctive geography… that a people inhabit. At stake here are opposing positions about the relation between national identity and law. According to Schmitt, the community’s nomos [the Greek word for “law”] or sense of itself that grows from its geography, is the philosophical precondition for its law. For liberals, by contrast, the nation is defined first and foremost by its legal commitments.”

    Netanyahu and his ilk subscribe to this Schmittian vision of the political, making legal commitments subordinate to geography and race. Land and race are the covert and overt motives of Netanyahu’s politics. He and his coalition have, for example, waged a politics of slow annexation in the West Bank, either in the hope of expelling or subjugating the 2.5 million Palestinians living there, or of controlling them.

    They have also radicalized the country’s Jewishness with the highly controversial nation-state law. Playing footsie with anti-Semitic leaders may seem to contradict the nation-state law, but it is motivated by the same statist and Schmittian logic whereby the state no longer views itself as committed to representing all of its citizens, but rather aims to expand territory; increase its power by designating enemies; define who belongs and who doesn’t; narrow the definition of citizenship; harden the boundaries of the body collective; and undermine the international liberal order. The line connecting Orban to the nationality law is the sheer and raw expansion of state power.

    Courting Orban or Morawiecki means having allies in the European Council and Commission, which would help Israel block unwanted votes, weaken Palestinian international strategies and create a political bloc that could impose a new international order. Netanyahu and his buddies have a strategy and are trying to reshape the international order to meet their own domestic goals. They are counting on the ultimate victory of reactionary forces to have a free hand to do what they please inside the state.

    But what is most startling is the fact that in order to promote his illiberal policies, Netanyahu is willing to snub and dismiss the greatest part of the Jewish people, its most accepted rabbis and intellectuals, and the vast number of Jews who have supported, through money or political action, the State of Israel. This suggests a clear and undeniable shift from a politics based on the people to a politics based on the land.

    For the majority of Jews outside Israel, human rights and the struggle against anti-Semitism are core values. Netanyahu’s enthusiastic support for authoritarian, anti-Semitic leaders is an expression of a profound shift in the state’s identity as a representative of the Jewish people to a state that aims to advance its own expansion through seizure of land, violation of international law, exclusion and discrimination. This is not fascism per se, but certainly one of its most distinctive features.

    This state of affairs is worrisome but it is also likely to have two interesting and even positive developments. The first is that in the same way that Israel has freed itself from its “Jewish complex” – abandoning its role as leader and center of the Jewish people as a whole – many or most Jews will now likely free themselves from their Israel complex, finally understanding that Israel’s values and their own are deeply at odds. World Jewish Congress head Ron Lauder’s August 13, 2018, op-ed in The New York Times, which was close to disowning Israel, is a powerful testimony to this. Lauder was very clear: Israel’s loss of moral status means it won’t be able to demand the unconditional loyalty of world Jewry. What was in the past experienced by many Jews as an inner conflict is now slowly being resolved: Many or most members of Jewish communities will give preference to their commitment to the constitutions of their countries – that is to universalist human rights.

    Israel has already stopped being the center of gravity of the Jewish world, and as such, it will be able to count only on the support of a handful of billionaires and the ultra-Orthodox. This means that for the foreseeable future, Israel’s leverage in American politics will be considerably weakened.

    Trumpism is a passing phase in American politics. Latinos and left-wing Democrats will become increasingly involved in the country’s politics, and as they do, these politicians will find it increasingly difficult to justify continued American support of Israeli policies that are abhorrent to liberal democracies. Unlike in the past, however, Jews will no longer pressure them to look the other way.

    The second interesting development concerns Europe. The European Union no longer knows what its mission was. But the Netanyahus, Trumps, Orbans and Morawieckis will help Europe reinvent its vocation: The social-democrat bloc of the EU will be entrusted with the mission of opposing state-sanctioned anti-Semitism and all forms of racism, and above all defending Europe’s liberal values that we, Jews and non-Jews, Zionists and anti-Zionists, have all fought so hard for. Israel, alas, is no longer among those fighting that fight.

    A shorter version of this article has originally appeared in Le Monde.

    • Eva Illouz : « Orban, Trump et Nétanyahou semblent affectionner barrières et murs »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/08/08/eva-illouz-israel-contre-les-juifs_5340351_3232.html?xtor=RSS-3208
      Dans une tribune au « Monde », l’universitaire franco-israélienne estime que l’alliance du gouvernement israélien avec les régimes « illibéraux » d’Europe de l’Est crée une brèche au sein du peuple juif, pour qui la lutte contre l’antisémitisme et la mémoire de la Shoah ne sont pas négociables.

      LE MONDE | 08.08.2018 à 06h39 • Mis à jour le 08.08.2018 à 19h18 | Par Eva Illouz (directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales)

      Tribune. Un tremblement de terre est tranquillement en train de secouer le monde juif. Lorsque le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, choisit de soutenir Donald Trump avant et après l’élection présidentielle américaine de 2016, certains pouvaient encore donner à ce dernier le bénéfice du doute. Certes, Trump s’était entouré de gens comme Steve Bannon dont émanaient des relents antisémites, certes, il refusait aussi de condamner sa base électorale sympathisante du Ku Klux Klan, mais personne n’était encore sûr de la direction que prendrait sa nouvelle présidence.

      Les événements de Charlottesville, en août 2017, n’ont plus permis le doute. Les manifestants néonazis commirent des actes de violence contre des contre-manifestants pacifiques (tuant une personne en fonçant dans la foule avec une voiture), mais Trump condamna de la même façon opposants modérés et manifestants néonazis.

      Le monde entier fut choqué de cette mise en équivalence, mais Jérusalem ne protesta pas. L’observateur indulgent (ou cynique) aurait pu interpréter ce silence comme l’acquiescement forcé du vassal vis-à-vis de son suzerain : de tous les pays du monde, Israël est celui qui reçoit la plus grande aide militaire des Etats-Unis.

      Cette interprétation n’est désormais plus possible. Il est devenu clair que Nétanyahou a de fortes sympathies pour d’autres dirigeants qui, comme Trump, front preuve d’une grande indulgence vis-à-vis de l’antisémitisme et dont il ne dépend ni militairement ni économiquement.
      Une statue à Budapest

      Prenons l’exemple de la Hongrie. En 2015, le gouvernement y annonça son intention de dresser une statue à la mémoire de Balint Homan, ministre qui joua un rôle décisif dans la déportation de 600 000 juifs hongrois. Quelques mois plus tard, en 2016, il fut question d’ériger à Budapest une statue à la mémoire d’un des architectes de la législation antijuive durant la seconde guerre mondiale, György Donáth....

  • Janvier 2017.
    L’Europe à l’épreuve du populisme
    PDF : file :///C :/Users/REVE011/Downloads/InstitutOpenDiplomacy-Populisme-VoyGillisBonati%20(1).pdf

    Le XIXe siècle fut celui des Nations, le XXe celui des totalitarismes et des démocraties. Le XXIe sera-t-il celui des populismes, notamment en Europe ? La crise de la représentation politique, la forte abstention, le sentiment de déclin, la peur des migrations, le contexte géopolitique sont autant d’éléments qui peuvent le laisser supposer.
    Le populisme, « mot-valise », désigne une réalité difficile à cerner. Il ne correspond pas à une doctrine cohérente – à l’opposé par exemple du communisme ou du socialisme. Aussi, le problème est davantage ce qui rend possible le populisme, que le populisme lui-même. Le populisme représente davantage un « syndrome » (Wiles 1969[1]), qui opère par simplification du monde, ou encore, telle la dialectique ami / ennemi chère à Carl Schmitt[2], par opposition et dichotomie.
    Quoi qu’il en soit, le populisme est l’expression « politique » de ceux qui souffrent, ou pour reprendre Durkheim (1928)[3] – à propos certes du socialisme – leur « cri de douleur ». Les partis populistes (ou « contestataires », pour employer une terminologie plus neutre) constituent désormais la principale forme d’opposition politique.
    Les résultats des dernières élections en France, en Autriche et en Italie montrent une progression des partis populistes en Europe. Généralement, ces partis sont plutôt classés à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Ils portent souvent un message commun sur les questions migratoires et d’identité, et formulent une critique commune des élites nationales et européennes. En parallèle de la progression de ces partis, on constate également la croissance de partis plus inclassables comme le Mouvement 5 Etoiles en Italie. A contrario, en Amérique du Sud, la notion de populisme est souvent rattachée à des partis et des mouvements de gauche ou d’extrême gauche.
    Le terme populisme semble devenu à la mode pour qualifier – voire discréditer – les représentants politiques qui se positionnent en marge du système actuel et le critiquent. Il est devenu si galvaudé que personne n’est vraiment en mesure de le définir. Face à ce constat, plusieurs questions méritent d’être soulevées : qu’est-ce que le populisme ? Quelle typologie des partis pouvons-nous faire ? Les partis d’extrême-droite ou de droite radicale présentent une unité de façade dans les discours : quels sont leurs points d’accord et leurs divergences ?

  • « Heidegger n’a jamais cessé de participer à la mise en œuvre de la politique nazie »

    Dans une tribune au « Monde », la philosophe Sidonie Kellerer revient sur une récente découverte qui démontre que le penseur était toujours membre, en avril 1942, de la Commission pour la philosophie du droit, une instance nazie dirigée par Hans Frank, « le boucher de la Pologne ».
    LE MONDE | 26.10.2017 Sidonie Kellerer (Professeur de philosophie à l’université de Cologne)

    Tribune. Les Cahiers noirs, les carnets du philosophe, dont quatre volumes ont été publiés depuis 2014, montrent que Heidegger n’a pas hésité, durant les années du nazisme, à justifier « philosophiquement » ses propos antisémites. Pourtant, nombreux sont les chercheurs qui soutiennent que cet antisémitisme irait de pair avec une critique croissante du régime nazi. Ainsi, dans une tribune parue le 12 octobre dans Libération, Jean-Luc Nancy affirme-t-il – sans preuves – que Heidegger aurait « accablé » les nazis avec la dernière « virulence », dans ses textes des années 1930.
    Une découverte importante qui vient d’être faite en Allemagne confirme, s’il en était besoin, l’affinité en pensée et en actes qui existe entre Heidegger et le régime nazi. Elle concerne la participation de Heidegger à l’élaboration pratique du droit nazi.

    Nous savions, depuis le livre de Victor Farias Heidegger et le nazisme (Verdier, 1987), que Heidegger n’avait nullement renoncé, en avril 1934, à sa fonction de recteur de l’université de Fribourg par opposition au régime nazi. En effet, à peine avait-il cessé d’être recteur qu’il acceptait, au printemps 1934, de devenir membre de la Commission pour la philosophie du droit. Farias montrait qu’il y avait siégé au moins jusqu’en 1936, aux côtés, entre autres, de Carl Schmitt et d’Alfred Rosenberg, idéologue officiel du nazisme. Cette commission était intégrée à l’Académie du droit allemand, mise en place en juin 1933 par Hans Frank, juriste, qui occupait alors la fonction de commissaire du Reich chargé de la nazification du droit.

    « Hygiénisme racial »
    Emmanuel Faye avait poursuivi la recherche sur ce fait : en 2005, il mettait en évidence le lien étroit qui existe entre cet engagement pratique de Heidegger et sa pensée. Il rappelait que l’Académie pour le droit allemand avait élaboré les lois raciales de Nuremberg, dont la loi « pour la protection du sang et de l’honneur allemands » de 1935, qui interdisait les rapports sexuels et les mariages entre juifs et non-juifs. L’adhésion de Heidegger à la Commission pour la philosophie du droit, concluait Faye, pesait au moins aussi lourd que son engagement à Fribourg.
    En 1934, Heidegger décide d’intégrer cette commission. A cette époque, aucun des membres de la commission n’ignore que Hans Frank prône la stérilisation de ceux qu’il considère être de « caractère substantiellement criminel ». Son mot d’ordre : « Mort à ceux qui ne méritent pas de vivre. »
    Quels sont les objectifs de cette commission, que Frank appelle, dès 1934, « commission de combat du national-socialisme » ? En 1934, lors d’une réunion de la commission à Weimar, Alfred Rosenberg précise ses objectifs en professant qu’« un certain caractère juridique naît avec un certain caractère racial propre à un peuple » – ce caractère racial que le droit allemand a pour tâche de défendre face à ses « parasites ». L’objectif n’est pas de développer une philosophie du droit en général, mais de retrouver « le caractère de l’homme germano-allemand », et d’établir « quels dons et limitations constituaient son essence alors qu’il se tenait, ici, créateur ».

    Les membres de cette commission, qui œuvraient en toute conscience à l’élaboration d’un droit « aryen » raciste, devaient en outre travailler en étroite collaboration « avec les représentants de la raciologie allemande et de l’hygiénisme racial », raison pour laquelle un médecin, le psychiatre Max Mikorey, faisait partie de la commission.
    Découverte majeure
    Or Miriam Wildenauer, de l’université de Heidelberg, a récemment découvert, dans les archives de l’Académie du droit allemand, une liste datée des membres de la commission qui prouve que Heidegger est resté membre de cette instance au moins jusqu’en juillet 1942. C’est là une découverte majeure puisqu’elle établit que Heidegger ne s’est pas contenté de justifier l’idéologie nazie : il n’a jamais cessé de participer activement à la mise en œuvre de la politique nazie.
    Hans Frank, le président de la Commission pour la philosophie du droit, sera nommé, à partir de 1939, gouverneur général de la Pologne, où il organisera l’extermination des juifs et des opposants politiques, y gagnant le surnom de « boucher de Pologne ». Il finira condamné à mort par le tribunal de Nuremberg et sera pendu en 1946.
    Heidegger, qui, fin 1941, écrit dans les Cahiers noirs que « l’acte le plus haut de la politique » consiste à contraindre l’ennemi « à procéder à sa propre autoextermination », continue donc à siéger dans cette commission, au moins jusqu’en juillet 1942, alors que la « solution finale » a été décidée en janvier 1942, et que l’extermination des juifs d’Europe atteint son paroxysme. Il y siège sous la présidence de celui qui, à partir de 1942, organise personnellement le gazage des juifs en Pologne.

    Comme le souligne, à juste titre, Mme Wildenauer, il faudra poursuivre les recherches afin de déterminer précisément le rôle de l’Académie du droit allemand, et en particulier de cette commission, dans la mise en œuvre du génocide perpétré par les nazis. De futures recherches devraient également clarifier les raisons pour lesquelles la Commission pour la philosophie du droit fut la seule, parmi les autres commissions de l’Académie du droit allemand, à être tenue secrète par les nazis. Les protocoles des séances restent introuvables. Alfred Rosenberg n’en dit mot dans son journal.

    Pensée autoritaire
    Le débat autour de Heidegger revient régulièrement depuis l’après-guerre. Loin de tenir, comme le suggère M. Nancy, au refus d’accepter une philosophie qui dérange, cette persistance peut être rapportée à deux raisons principales. D’abord, Heidegger fit preuve d’une grande habileté à effacer après-guerre les traces de sa participation active au régime nazi, n’hésitant pas à « blanchir » plus d’une fois les textes qu’il publiait. Il est normal que le débat reprenne chaque fois que ces faits, longtemps dissimulés, resurgissent au fil des recherches.
    La seconde raison de cette résurgence tient à la manière dont Heidegger conçoit sa philosophie dès avant l’arrivée au pouvoir des nazis : pour lui, rien ne sert d’argumenter puisque tout se joue avant la discussion. Soit un Dasein – terme heideggerien qui désigne l’« être humain » – a une essence qui lui donne accès à l’Etre, soit il en est dépourvu. Raison et logique ne sont que l’échappatoire de ceux qui ne sont pas à la hauteur de l’Etre.

    Cette pensée autoritaire, qui criminalise la raison, imprègne aussi sa réception apologétique : dénégation des faits, procès d’intention et insultes plus ou moins directes tiennent alors lieu de discussion mesurée et argumentée. C’est ce refus d’une véritable discussion qui donne un aspect d’éternel retour du même au débat.
    Les totalitarismes ne sont pas, n’en déplaise à Jean-Luc Nancy, des « éruptions » du destin, c’est-à-dire des désastres sortis d’on ne sait où. Ils sont mis en œuvre par des individus à qui on peut en attribuer la responsabilité ; ils ont des causes économiques, politiques et sociales, qu’il nous incombe de déterminer et de comprendre.

    #Martin_Heidegger #Nazisme #Jean-Luc_Nancy

  • The Nature Of The Nazi State And The Question Of International Criminal Responsibility Of Corporate Officials At Nuremburg : Revisiting Franz Neumann’s Concept Of Behemoth At The Industrialists Trials
    http://nyujilp.org/wp-content/uploads/2013/02/43.4-Lustig.pdf

    Après la lecture de cet article on comprend mieux pourquoi les juges soviétiques du premier procès de Nuremberg expriment souvent un jugement différent de celui des juges désignés par les alliés de l’Ouest. En 1947 le conflit entre l’URSS et les puissances de l’Ouest empêche leur participation aux cours de justice internationale.

    Ce sont alors uniquement des juges de pays capitalistes qui décident sur la responsabilité pour la guerre et les massacres et du sort des industriels allemands. En conséquence les juges sont obligés de baser leurs démarche sur des paradigmes, textes de lois et définitions juridiques qui ne fournissent pas d’arguments suffisants pour identifier la responsabilité des chefs de l’industrie nazie.

    Les idées politiques et juridiques de l’Ouest servent à justifier et stabiliser un système économique identique à celui qui conduit à l’introduction du système nazi en Allemagne. Par des jugements reconnaissant ce fait le système économique et politique de l’Ouest aurait été mis en question. A cause de cette proximité entre le monde des juges et des coupables il est impossible pour les tribunaux des vainqueurs occidentaux d’identifier et de juger les profiteurs économiques du nazisme.

    Le texte suivant décrit les détails de ce dilemme sans le nommer explicitement.

    German industrialists did terrible things during Nazi rule. Yet, they were not held responsible for most of these acts at the subseqeunt trials at Nuremberg.1 History provides several explanations for this impunity gap. In this article I focus on the influence of a conceptual gap on this result. This article explores how various conceptions of the Nazi totalitarian state influenced the prosecution and decisions of the Industrialist Trials at Nuremberg. Drawing on archival materials, I argue that the debate over the Industrialist responsibility could be read as a struggle between competing theories of the totalitarian state.

    This paper exposes how Franz Neumann (1900-1954), who was involved in the Nuremberg trials during its early stages, informed central elements in the prosecutors’ theory of business responsibility at Nuremberg.2 Inspired by the *967 Hobbesian terminology, Neumann used the antinomy of the Behemoth archetype as a contrast to the common understanding of the modern state as a Leviathan. For Neumann, like many others, the Hobbesian Leviathan embodied a conventional conception of the modern state. In that conception, the state is the sole entity which exercises monopoly over violence within a specific territory. In its totalitarian form, the Leviathan exercise of control is cohesive and absolute. Unlike the understanding of the Nazi state as a Leviathan, the Behemoth model lacked a centralized control over violence and was characterized by competing authorities.

    These conflicting theories of the Nazi regime proved highly consequential for the allocation of business responsibility at Nuremberg. The prosecution, who followed central aspects in Neumann’s theory of the Nazi state as Behemoth, argued that the industrialists were equal partners with other groups such as the party and the military in the decision to go to war and in practices of spoliation and enslavement. In terms of structure and operations, the Behemoth theory of the totalitarian state focused on its incoherence and lack of rule of law. The judgments of the Tribunals, though different from one case to another, chose to depict Nazi Germany as a mega-Leviathan. These epistemological choices translated to different theories of responsibility. In the Neumanesque scheme, businesses shared responsibility equally with other actors. In the *968 strong Hobbesian state, envisioned by the Tribunals’ decisions, the companies were subordinates of the state, both in the decision to go to war and later in the involvement in its crimes. But the judges at the Industrialist Trials also followed the Neumannesque lead, conveyed by the prosecution. Though choosing to regard the Nazi state as Leviathan, they implicitly accepted the importance of the state as a key to establishing criminal responsibility in international law. The emphasis on the state and its structure is evident in their reasoning, but departs from a description of the Nazi state as Behemoth. Instead, the decisions described the Nazi totalitarian state as reminiscent of the Hobbesian Leviathan; a state characterized by complete control, coherence, and authority over the Industrialist actors.

    The judges’ choice of the Hobbesian theory was not incidental. The notion of the state as a monolithic power that monopolizes violence is often a default-position in the theory of international legal responsibility. But the Hobbesian model of the state is an ideal-type. Neumann’s critique sought to expose the extent to which the Nazi regime deviated from this ideal-type model. The Tribunals’ insistence on a functioning Leviathan in Nazi Germany significantly limited their ability to scrutinize the practices of business actors. Regarding the ideal-type of the Leviathan as an assumed reality undermined its normative significance. At the same time, the prosecutors’ use of Neumann’s Behemoth ran the risk of interpreting his critique as an acceptance of this model as a basis for responsibility under international law. My critique, therefore, is not a call to follow the prosecutors and adopt Neumann’s model as a basis for international criminal responsibility. Rather, Neumann’s critical analysis is examined here to expose the need for an informed understanding of the state, and the political regime more broadly, in a theory of responsibility in international law.

    The state is not the only corporate structure considered in this article. Alongside the theory of the state, I expose the disregard of the company itself, its corporate structure and governance as well as its relationship with the institutions of the state. The article critically examines the ramifications of this disregard. I argue that understanding these corporate structures (of the state and the company as well as the relationship between them) is essential for a theory of individual responsibility *969 of business officers in international law. Indeed, the greatest novelty of the International Military Tribunal at Nuremberg (IMT) was the recognition of individual responsibility under international law for the commission of international crimes.3 According to this historical precedent, “the screen between international law and the individual, normally constituted by state sovereignty, was pierced.”4 However, the attempt to “pierce the sovereign veil” of the corporate entity of the state, and later the company in the Industrialist Trials, without an informed understanding of the structure of authority that constituted them, had the problematic consequence of reifying both.

    Die Transformation des Ausnahmezustands. Ernst Fraenkels Analyse der NS-Herrschaft und ihre politische Aktualität
    https://docupedia.de/zg/Fraenkel,_Der_Doppelstaat
    Le social-démocrate Ernst Fraenkel développe sa théorie du double-état après avoir exercé le métier d’avocat sous les nazis jusqu’à son émigration. Il ne resoud pas le dilemme capitaliste mentionné plus haut et sert aujourd’hui aux adeptes de la théorie du totalitarisme à développer l’idée de l’identité des système oppressifs nazis et stalinistes.

    Wie Carl Schmitt dachte Fraenkel das NS-Regime vom Ausnahmezustand her. „Die Verfassung des dritten Reiches ist der Belagerungszustand. Die Verfassungsurkunde des dritten Reiches ist die Notverordnung vom 28.2.1933.” Mit diesen Sätzen begann Fraenkel seine Analyse des Doppelstaats. Aber während Schmitt nur absolute Zustände des Entweder-Oder kannte und 1921 eine bloß „kommissarische Diktatur”, die die bestehende Verfassung für eine begrenzte Zeit suspendiere, von der „souveränen Diktatur” unterschied, die eine „wahre Verfassung” herbeizuführen suche, um wenig später jenen berühmten programmatischen Satz zu formulieren: „Souverän ist, wer über den Ausnahmezustand entscheidet”, dynamisierte Fraenkel den Gedanken des Ausnahmezustands.

    Sein „Doppelstaat” war die Analyse eines politischen und rechtlichen Transformationsprozesses.

    Nach dem Krieg war Fraenkel bis 1950 als Legal Adviser der US-Behörden in Südkorea tätig und an der Ausarbeitung der südkoreanischen Verfassung beteiligt. Anschließend wurde er Berater des amerikanischen Hohen Kommissars in Deutschland und nahm 1953 einen Ruf als Professor für Vergleichende Lehre der politischen Herrschaftssysteme an der Freien Universität Berlin an. Seine theoretischen Überlegungen für ein modernes, pluralistisches Demokratiekonzept prägten die Politikwissenschaft der folgenden Jahrzehnte.

    Mit seinen Analysen zum Nationalsozialismus befasste sich Frankel kaum noch. Erst als 1969 eine Neuauflage von „The Dual State” in den USA erschien, gab er dem Drängen vieler seiner Freunde nach und stimmte einer deutschen Ausgabe zu, die aus dem Amerikanischen rückübersetzt werden musste.

    Es kennzeichnet die theoretische Anschlussfähigkeit des „Doppelstaats”-Konzepts, dass jüngst auch Forscher auf Fraenkel Bezug nehmen, die sich mit der Geschichte der Sowjetunion beschäftigen. Stefan Plaggenborg zum Beispiel hat Fraenkels Konzept in innovativer Weise umgedreht und nach den Bedingungen gefragt, wie sich aus der Anomie des Bürgerkriegs und dem stalinistischen Maßnahmenstaat Ende der 1950er-Jahre ein sowjetischer Normenstaat ent-wickeln konnte.

    THE NORMATIVE AND PREROGATIVE STATE — Helen Suzman Foundation
    http://hsf.org.za/resource-centre/hsf-briefs/the-normative-and-prerogative-state

    In a land mark study of government in the Third Reich[1] , Ernst Fraenkel distinguished between the normative and positive state. His thesis has been given crisp expression as follows by Richard Evans:

    On the one hand was the ‘normative state’, bound by rules, procedures, laws and conventions, and consisting of formal institutions, such as the Reich Chancellery, the Ministries, local authorities and so on, and on the other there was the ‘prerogative state’, an essentially extra-legal system that derived its legitimation entirely from the supra-legal authority of the leader.

    1942 - Review of The Dual State : A Contribution to the Theory of Dictatorship, By Ernst Fraenkel, WASHINGTON UNIVERSITY
    LAW QUARTERLY Vol. 27
    http://openscholarship.wustl.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=3934&context=law_lawreview

    Lenhard on Wildt, ’Hitler’s Volksgemeinschaft and the Dynamics of Racial Exclusion : Violence against Jews in Provincial Germany, 1919-1939’ | H-Antisemitism | H-Net
    https://networks.h-net.org/node/2645/reviews/6717/lenhard-wildt-hitlers-volksgemeinschaft-and-dynamics-racial-exclusio

    Wildt refers to Ernst Fraenkel’s book The Dual State in describing two apparently contradictory political spheres which were constitutive for the National Socialist reign of terror: on the one hand, the “normative state” under the rule of law, which was valid only for members of the Volksgemeinschaft; on the other hand, the violence of the paramilitary groups SA and SS, who drew the boundaries between “us” and “them.”[3] The application of Fraenkel’s theory enables Wildt to withstand the fashionable addiction within social sciences to Carl Schmitt’s existentialist distinction between friend and foe—a distinction that justifies rather than explains the struggle against the Jews.[4] Consequently, Wildt strictly deals with Schmitt only as a historical source. And yet one has to bring to mind some crucial problems in Fraenkel’s theory as well: Is a state that suspends parts of its constitution and imprisons the political opposition still under the rule of law? Is thus a concomitance between the “normative state” and the “prerogative state” even thinkable?

    Wildt solves these problems by painting the picture of a multiple power structure with competing factions within the framework of the National Socialist state. The fight between these groups—or, as Max Horkheimer put it aptly, “rackets”—revealed a corrosion of the state’s monopoly on violence and led to new dimensions of anti-Semitic attacks (p. 147).[5] Regional chapters of the NSDAP and the SS behaved differently and sometimes even contradictorily; local non-party members occasionally joined boycott actions against Jewish shops or damaged Jews’ property. But Wildt makes clear right from the start that the “bystanders” and “passers-by” were also part of the National Socialist project—deliberately or not. Either one was “in” or “out”—tertium non datur, although the status of “Aryans” could change quickly with regard to their behavior. Passivity under these circumstances meant participation, and thus the creation of the Volksgemeinschaft needed a public stage where people could either partake in the “play” or just remain part of the audience.

    #histoire politique #droit #nazis #Allemagne #USA

  • Et si on inversait (aussi) la hiérarchie des normes dans l’enseignement supérieur ?
    http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/05/et-si-on-inversait-aussi-hierarchie-normes-enseignement-superieu

    Souvenez-vous de l’accord que la ministre de l’éducation nationale a passé avec Microsoft, juste avant d’en passer un autre avec Amazon. Souvenez-vous qu’en même temps que l’on sucre plus de 250 millions d’euros aux grands organismes de recherche français (voir le récent Appel des Nobels) on file chaque année la même somme d’argent public à Elsevier et quelques autres grands éditeurs pour racheter des travaux financés sur fonds publics par des chercheurs payés sur fonds publics. Et là, toute guillerette à 6h25 du matin, Myriam El Khomri nous tweete le partenariat sur fonds publics avec Cisco pour former 200 000 personnes aux métiers des réseaux numériques. Source : (...)

  • Politiques de l’inimitié par Achille MBEMBE

    Achille Mbembe ce matin sur France Culture ; un entretien qui amène à la découverte de son livre.

    http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Politiques_de_l_inimiti__-9782707188182.html

    Cet essai explore cette relation particulière qui s’étend sans cesse et se reconfigure à l’échelle planétaire : la relation d’inimitié. S’appuyant en partie sur l’œuvre psychiatrique et politique de Frantz Fanon, l’auteur montre comment, dans le sillage des conflits de la décolonisation du XXe siècle, la guerre – sous la figure de la conquête et de l’occupation, de la terreur et de la contre-insurrection – est devenue le sacrement de notre époque.
    Cette transformation a, en retour, libéré des mouvements passionnels qui, petit à petit, poussent les démocraties libérales à endosser les habits de l’exception, à entreprendre au loin des actions inconditionnées, et à vouloir exercer la dictature contre elles-mêmes et contre leurs ennemis.
    Dans cet essai brillant et brûlant d’actualité, Achille Mbembe s’interroge, entre autres, sur les conséquences de cette inversion, et sur les termes nouveaux dans lesquels se pose désormais la question des rapports entre la violence et la loi, la norme et l’exception, l’état de guerre, l’état de sécurité et l’état de liberté.
    Dans le contexte de rétrécissement du monde et de son repeuplement à la faveur des nouveaux mouvements migratoires, l’essai n’ouvre pas seulement des pistes neuves pour une critique des nationalismes ataviques. Il pose également, par-delà l’humanisme, les fondements d’une politique de l’humanité.

    http://www.rfi.fr/hebdo/20160408-politiques-inimitie-achille-mbembe-colonisation-decolonisation-fanon-af
    http://www.philomag.com/les-livres/grand-angle/politiques-de-linimitie-14903

    La guerre ou le care ? Face au climat de l’époque hanté par le spectre de l’affrontement de tous contre tous, faut-il entrer dans une nouvelle culture du soin, détachée de la tutelle des États, comme le suggère Achille Mbembe, ou refonder le contrat social loin de tout sentimentalisme, comme le préconise Yves Michaud ?

    Une politique fondée sur «  la discrimination de l’ami et de l’ennemi   » : c’est cette vision de Carl Schmitt, philosophe antidémocratique s’il en fut, qu’Achille Mbembe voit triompher aujourd’hui au sein même des démocraties libérales. La guerre comme «  sacrement de notre époque  » : le thème est «  rugueux  », reconnaît-il. C’est donc dans la tension que l’historien et philosophe camerounais, reconnu comme l’un des théoriciens les plus créatifs et critiques de la postcolonie (il enseigne dans les universités d’Harvard aux États-Unis et du Witwatersrand en Afrique du Sud), analyse le chaos du monde, la sortie de la démocratie ou son inversion en dictature «  sous les habits de l’exception  », fabriquant une «  société de l’inimitié  ». L’ennemi, donc, est, plus que jamais, la grande obsession qui envahit la planète, et, avec elle, celle d’une séparation d’avec tout ce (ceux) qui n’est pas soi-même. L’angoisse de l’anéantissement, lorsqu’elle saisit les plus puissants, nourrit cette obsession qui, hier comme aujourd’hui, risque de s’accomplir en fantasme d’extermination.

    (...)

    • État d’exception, Giorgio Agamben 2/12/2012

      C’est dans Théologie politique (1922) que Carl Schmitt (1888-1985) a établi la contiguïté essentielle de l’#état_d'exception et de la souveraineté. Pourtant, quand bien même sa définition célèbre du #souverain comme « celui qui décide de l’état d’exception » a été maintes fois commentée, une véritable théorie de l’état d’exception manque toujours dans le #droit_public. Pour les juristes comme pour les historiens du droit, il semble que le problème soit davantage une question de fait qu’un authentique problème juridique.
      La définition même du terme est rendue difficile parce qu’il se trouve à la limite du droit et de la #politique. Selon une opinion répandue, en effet, l’état d’exception se situerait dans une « frange ambiguë et incertaine à l’intersection du juridique et du politique », et constituerait donc un « point de déséquilibre entre le droit public et le fait politique ». La tâche de déterminer ces lignes de confins n’en est que plus urgente. De fait, si les mesures exceptionnelles qui caractérisent l’état d’exception sont le fruit de périodes de crise politique et si, pour cette raison, il faut bien les comprendre sur le terrain de la politique et non sur le terrain juridique et constitutionnel, elles se trouvent dans la situation paradoxale d’être des mesures juridiques qui ne peuvent être comprises d’un point de vue juridique, et l’état d’exception se présente alors comme la forme légale de ce qui ne peut avoir de forme légale.
      Par ailleurs, si l’exception souveraine est le dispositif original à travers lequel le droit se réfère à la #vie pour l’inclure dans le geste même où il suspend son exercice, alors une théorie de l’état d’exception est la condition préliminaire pour comprendre la relation qui lie le vivant au droit. Lever le voile qui couvre ce terrain incertain entre le droit public et le fait politique, d’une part, et entre l’#ordre_juridique et la vie, d’autre part, est la condition pour saisir l’enjeu de la différence, ou de la prétendue différence, entre le politique et le juridique et entre le #droit et la vie.
      Parmi les éléments qui rendent difficile la définition de l’état d’exception, on doit compter la relation qu’il entretient avec la #guerre_civile, l’insurrection et le droit de résistance. En effet, dès lors que la guerre civile est le contraire de l’état normal, elle tend à se confondre avec l’état d’exception qui se trouve être la réponse immédiate de l’Etat face aux conflits internes les plus graves. Ainsi, au XXe siècle, on a pu assister à ce phénomène paradoxal qui a été défini comme une « #guerre_civile_légale ». (...)

    • Courrier du canada :
      J’espère que la folie qui s’est abattue de nouveau sur Paris aura épargné vos amis et vos proches. Une amie à moi, Kathleen, a eu moins de chance... j’ai trouvé la soirée très longue.
      ...
      Hier matin, après avoir entendu Hollande répéter son mantra « nous serons impitoyables... il faut les éliminer… grande coalition » etc… qui le fait se transformer sous nos yeux en hybride Bush/Blair, je poursuivais la lecture du livre excellent de Michael Löwy sur les thèses ( sur l’Histoire ) de Walter Benjamin. Les résultats de la pêche du jour :

      La rédemption/révolution n’aura pas lieu grâce au cours naturel des choses, le sens de l’histoire, le progrès inévitable. C’est à contre-courant qu’il faudra lutter. (…) La réflexion de Benjamin porte aussi sur le revers barbare de la médaille brillante et dorée de la culture, ce butin qui passe de vainqueur en vainqueur. Au lieu d’exposer la culture (ou la civilisation) et la barbarie comme deux pôles s’excluant mutuellement, ou comme des étapes différentes de l’évolution historique, Benjamin les présente comme unité contradictoire.

      Sur l’utopie et « l’état d’exception » ( à ne pas confondre... ) recherché par W.B. et l’incompréhension suscitée par ses positions chez les lecteurs de la « gauche classique » :

      L’objectif ultime de la lutte est de produire « le véritable état d’exception », c’est-à-dire l’abolition de la domination, la société sans classes. Benjamin aspire précisément, de toutes ses forces, à la véritable exception, la fin des pouvoirs autoritaires, aux antipodes de tous les « états d’exception » au sens de Carl Schmitt.
      ...
      Pour Benjamin, la quintessence de l’enfer est l’éternelle répétition du même.
      ...
      Puis, relecture de la Xe thèse, qui résonne ces jours, avec une presque affolante pertinence :
      À cet instant où gisent à terre les politiciens en qui les adversaires du fascisme avaient mis leur espoir, où ces politiciens aggravent leur défaite en trahissant leur propre cause, nous voudrions arracher l’enfant du siècle aux filets dans lesquels ils l’avaient enfermé. Le point de départ de notre réflexion est que l’attachement de ces politiciens au mythe du progrès, leur confiance dans la « masse » qui leur servait de « base », et finalement leur asservissement à un incontrôlable appareil ne furent que trois aspects d’une même réalité. Il s’agit de tenter de donner une idée de combien il coûte cher à notre façon de penser habituelle de mettre sur pied une conception de l’histoire qui ne se prête à aucune complicité avec celle à laquelle s’accrochent ces politiciens.

      Les barbares de Daech attaquent la Culture, cette dernière répond en envoyant un croiseur en Méditerranée… « nous serons impitoyable » … unité contradictoire…
      ...
      Bien amicalement,

      Benoit

  • streeck2015_european-law-journal_heller-schmitt-and-the-euro.pdf
    https://wolfgangstreeck.files.wordpress.com/2015/04/streeck2015_european-law-journal_heller-schmitt-and

    Dans un article récent inspiré de la crise grecque, Wolfgang Streeck remonte la généalogie du néo-libéralisme, via l’ordo-libéralisme allemand de l’après-guerre, jusqu’à « l’état autoritaire » selon Carl Schmitt - la BCE comme « dictateur idéal ».

    (l’article commente une conférence de Schmitt prononcée en 1932 devant la fédération des industries rhénanes, « Une économie saine dans un état fort »)

    Given the jurisdictional asymmetry between the ECB and the EMU member
    countries, as well as the absence of an equally effective political counterpart at the level
    of the EMU as a whole, the ECB is the ideal dictator –the only agent capable of taking decisive
    action

    #Union_Européenne #euro #BCE #Grèce #néo-libéralisme #ordo-libéralisme #Foucault #Etat_d'exception #Souverain

  • La guerre moderne est un orde social - Bernard Charbonneau, L’Etat (publié en 1949 et extrêmement visionnaire)

    Les guerres du passé étaient limitées : dans le temps, dans l’espace, bornées par des principes religieux. Tandis que la #guerre_moderne est totale. Sur toute l’étendue du monde elle nous atteint tous, mais il n’est pas de lieu sur Terre où elle ne puisse aller saisir chacun. Elle est partout, et tout s’organise en fonction d’elle ; aussi est-il illusoire de la considérer comme un moyen. Totale, la guerre ne cesse de le devenir d’un conflit à l’autre, qu’il s’agisse de la mainmise sur les hommes et sur les choses, ou du mépris du droit des gens. Il suffit par exemple de comparer l’Allemagne de 1914 avec celle de 1917, celle de 1917 avec celle de 1939 et celle de 1939 avec celle de 1943. Ainsi des autres nations.

    La guerre moderne englobe le monde. Sur une planète que les #transports rapides n’ont cessé de rétrécir, il n’y a plus des guerres mais une guerre : l’équilibre ne peut être rompu en un point sans que l’ensemble soit menacé. Cette interdépendance est de plus en plus stricte ; la guerre de #1914 fut une guerre européenne à répercussions mondiales, celle de 1939 une guerre mondiale d’origine européenne. L’invasion de l’URSS, état asiatique autant qu’occidental, entrainait à plus ou moins brève échéance l’explosion du conflit du Pacifique. A la différence du premier conflit mondial, l’Amérique et le Japon furent engagés dans la guerre pour des intérêts vraiment vitaux ; de la Ruhr à l’Oural, de l’Oural au Pacifique et du Pacifique à l’Atlantique la guerre fermait son cercle de fer sur la Terre. Elle n’oppose plus des pays comme en 1914, mais des continents. [...]

    La guerre est de plus en plus présente. Les risques de ruine et de mort qui n’intéressaient qu’un petit nombre d’hommes concernent maintenant toute l’humanité. Aujourd’hui, pour le civil comme pour le militaire, la guerre signifie : beaucoup de chances d’être tué et toutes les chances d’être pris. Elle ne peut plus être l’affaire du Prince ; pénétrant la vie pour la bouleverser jusqu’en ses tréfonds, elle relève du plus secret, et du plus sacré, de notre jugement intérieur.

    Car la guerre moderne n’est pas seulement la guerre, elle est aussi un #ordre_social. La nécessité d’utiliser des masses considérables pour réaliser d’urgence le maximum de puissance crée dans l’armée moderne une société d’un type nouveau, société massive et organisée qui n’obéit qu’à des fins pratiques. Que le système militaire s’étende à la vie civile, et la société totalitaire est née : or, le propre de la guerre moderne est de s’étendre à tout. L’obligation et la volonté d’être efficace y imposent une mobilisation grandissante des hommes et des biens. Cette tâche, chaque jour plus considérable et complexe, absorbe les esprits dans l’immédiat, au moment où la décandence des religions déchaîne une soif d’action pratique que la guerre peut seule apaiser. Ainsi la guerre va jusqu’au bout de l’espace et du temps, jusqu’au bout de la société, jusqu’au bout de la morale. Sous la pression, et dans le culte de la nécessité, elle centralise tous les pouvoirs entre les mains d’une seule direction politique ; afin d’obtenir un rendement maximum elle substitue au libre jeu de la société le plan et l’organisation méthodique de toues les fonctions. Cette orgnisation totale arme une volonté de domination universelle qui ne connait d’autre impératif qu’elle-même. Telle est la définition de la guerre moderne, exactement celle de l’#état_totalitaire : il n’est pas né d’une idée, mais des fatalités de l’action abandonnée à elle-même.

    • CIRPES - Centre Interdisciplinaire de Recherches sur la Paix et d’Etudes Stratégiques - Alain Joxe BARBARISATION DE LA PAIX (2004-2008)
      http://cirpes.net/article386.html

      La destruction du cadre des buts de guerre « nationaux » ou « westphaliens » n’a pas fait disparaître les guerres, elle a pour corollaire la prolifération des guerres policières de répression permanente qui, sans contrôle et sans riposte adaptée des forces populaires, pourraient devenir partout la forme d’une stratégie fasciste acentrée et globalisée, entraînant l’oikoumène vers un état d’exception (Carl Schmittien, mais permanent).

      Une sorte de Barbarie universelle, l’inverse d’une république universelle Kantienne, deviendrait la légitimation de toutes les prédations, pillages et destructions d’environnement, capables d’augmenter la richesse des riches et la pauvreté des pauvres jusqu’à explosion. Une bonne description de ce paradigme contribuera, on l’espère, à restaurer dans les débats un rapport de forces qui l’emportera sur l’héritage stratégique des néo-conservateurs américains, devenue doctrine globale du néolibéralisme.

    • La défaite aide les démocraties à se plonger dans la guerre totale. L’urgence du péril leur impose la dictature, élimine ce qui pouvait subsister en elles de scrupules. Les démocrates se tranquilisent en pensant qu’il s’agit là de mesures provisoires ; à chaque guerre renaît l’illusion de pouvoir revenir en arrière avec la paix. Portée d’ailleurs par sa culture à nier le caractère décisif du fait, l’opinion libérale ne se rend pas compte que l’évolution entraînée par la guerre est pour une large part irréversible ; que l’état de guerre ne cultive pas en vain l’habitude du pouvoir chez les dirigeants, et celle de l’obéissance dans les masses.
      [...] La guerre totale donne au monde actuel l’impulsion énergique qui lui permet de trouver pour la mort les ressources qu’il est incapable de trouver pour la vie.

  • Le Droit contre l’État ? - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/Le-Droit-contre-l-Etat.html

    E. Pasquier confronte les deux grands théoriciens du Droit que furent Carl Schmitt et Hans Kelsen : d’où il ressort que les frontières entre décisionnisme et conventionalisme sont brouillées, tout comme celles entre le Droit et l’État.

  • Interroger la politique, interroger le commun une conférence de #Jean-Luc_Nancy.
    http://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/interroger_la_politique_interroger_le_commun_jean_luc_nancy.8842

    Dans cette conférence, le philosophe Jean-Luc Nancy convoque tour à tour Platon, la Révolution française, Carl Schmitt, les soviets, Marx, Spinoza, Georges Bataille, Michel Foucault... pour interroger le/la politique, l’État, la démocratie et interroger surtout le concept, la possibilité et le sens du "commun", de #l'être-en-commun, de "l’être-ensemble" communiste. « Le communisme représente la protestation contre l’État, la demande, l’exigence que l’existence commune ne soit pas assumée par, ni déleguée à, ni représentée par, ni pris en charge par cette instance, l’État ».

    #Philosophie #Être #politique #Etat #Communisme #Marx #Foucault #Bataille #Spinoza #Vidéo

  • Carl Schmitt, entre tactique et théoriqe_ La vie des idées

    http://www.laviedesidees.fr/Carl-Schmitt-entre-tactique-et.html

    L’essai de Jean-François Kervégan a le grand mérite de « dépassionner » la réception de Carl #Schmitt. Cette réception houleuse s’explique évidemment par les détestables positions politiques du juriste allemand - auxquelles il faudrait ajouter le rôle historique, peu reluisant, qu’il a entendu jouer. La répugnance que Schmitt inspire a pu susciter certaines réactions aux conséquences regrettables. Ainsi, il a parfois été reproché aux « schmittologues » de faire preuve d’une complaisance hypocrite ou, comme l’écrivait Yves-Charles Zarka, de confectionner « un Schmitt de confiserie, à qui l’on a ôté sa face obscure et effrayante, et que l’on présente comme un grand penseur » [6]. Cette thèse n’était pas dépourvue de vraisemblance car certains exégètes de Schmitt ont effectivement tenté de minimiser l’importance de son engagement national-socialiste [7]. Il est de surcroît possible que d’autres se soient, en toute bonne foi, laissés prendre au piège d’un auteur habile à réécrire sa propre histoire. Malgré sa plausibilité, la thèse du « Schmitt de confiserie » a eu néanmoins des effets parfois déplaisants. Elle a fait peser un injuste soupçon sur des commentateurs qui n’avaient nullement l’intention de lénifier les positions partisanes de Schmitt, mais cherchaient simplement à expliquer son œuvre. Ces auteurs ont été ainsi placés dans une alternative inconfortable. Soit ils abandonnaient leur objet d’étude, en espérant éteindre ainsi un soupçon qu’ils savaient infondé. Soit ils poursuivaient cette étude tout en protestant de leur bonne foi, au risque d’aviver ledit soupçon, tant il est difficile d’être son propre avocat. Bien entendu, nul lecteur de bonne foi n’aurait l’idée de classer Jean-François Kervégan parmi les douteux « confiseurs » dont Yves-Charles Zarka s’est fait fort de dénoncer le vilain commerce. Dans ses précédents travaux, comme dans le présent ouvrage, Jean-François Kervégan n’a jamais manqué de condamner très fermement les positions politiques de Schmitt. Mais là n’est pas le principal intérêt de son Que faire de Carl Schmitt ? À nos yeux, l’ouvrage a d’abord le mérite de rappeler qu’une œuvre intellectuelle ne se résume pas à une série de prises de position - fussent-elles aussi lamentables que celles de Schmitt. D’autres aspects suffisent à justifier un intérêt scientifique ou philosophique parfaitement légitime : la valeur documentaire, la fertilité intellectuelle ou, tout simplement, les défis que soulève telle ou telle œuvre.

  • America’s Selective Vigilantism | Tariq Ali (Relevé sur le net)
    http://www.zcommunications.org/americas-selective-vigilantism-by-tariq-ali

    Sovereign is he who decides on the exception, Carl Schmitt wrote in different times almost a century ago, when European empires and armies dominated most continents and the US was basking beneath an isolationist sun. What the conservative theorist meant by ‘exception’ was a state of emergency, necessitated by serious economic or political cataclysms, that required a suspension of the constitution, internal repression and war abroad.
    A decade after the attentats of 9/11, the US and its European allies are trapped in a quagmire. The events of that year were simply used as a pretext to remake the world and to punish those states that did not comply. (...)