person:daniel mayer

  • Ambiance de 1967 (guerre des Six Jours), témoignage de Jacques Berque

    "Radio-Luxembourg m’invita à un dialogue avec Daniel Mayer. Je connaissais mon interlocuteur comme un démocrate impeccable. J’aurais peut-être voté pour lui en tant que candidat à la présidence de la République, comme il en avait été question quelques années auparavant. Nous étions, lui et moi, en ce moment même, occupés à préparer une intervenon touchant la persécution subie par des intellectuels iraniens. Nos rapports étaient donc cordiaux. J’arrivai, plein de débonnaireté, si j’ose dire, et fus instantanément surpris par le ton de passion scandalisée qu’adoptait ce militant. Il tenait pour inadmissible qu’un mouvement d’union sacrée ne se fût pas dessiné en France dès l’annonce de cette guerre, une guerre dont presque tous considéraient que les Arabes l’avaient déclenchée. On a su, depuis, que I’attaque a été délibérée de la part d’Israël, et, dans la meilleure hypothèse, préventive. Car je ne nie pas les provocations inconsidérées de Nasser. Ce fut alors que Daniel Mayer assura avoir honte d’être français. Dans la bouche d’un tel patriote, le mot m’accabla. C’est alors aussi qu’un collaborateur d’une revue de gauche, déplorant l’attitude de De Gaulle qui venait d’interdire le décollage d’avions portant des volontaires français en Israël, écrivit en substance : « Au moins, le président Johnson soutient Israël. Alors vive Johnson. » Johnson, à l’époque, c’était pour l’opinion mondiale celui qui arrosait le Vietnam de défoliants, et lançait des bombes porteuses de billes d’acier, qui déchiquetaient les enfants. Ces attitudes me chagrinèrent. Non ce n’était pas la confession religieuse - oblitérée chez la plupart - qui portait certains de mes concitoyens juifs à cette frénésie. Qu’y avait-il dans le sionisme qui pût pousser des intellectuels de gauche à un délire unilatéral, qui les écartait de toute discussion objective ? Il y avait ce qui avait bouleversé un grand intellectuel comme Sartre, à coup sûr le chef de file de notre intellientsia. Il y avait, il y a que pour le démocrate français, pour l’homme d’honneur et d’espérance, les horribles massacres qu’avaient subis les Juifs à l’époque d’Hitler faisaient considérer leur installation en Palestine comme une sorte de réparation, encore très faible par rapport à l’injustice subie, en tout cas incommensurable aux dégâts qu’elle entraînait. Je voyais là un sophisme. Je me disais, moi, que les Arabes n’avaient été pour rien dans les massacres d’Hitler. Que l’on accordât aux victimes d’Hitler une réparation, y compris territoriale, pourquoi pas ? Mais je ne voyais pas pourquoi les Palestiniens devaient en faire les frais, eux qui, ni de pied ni d’aile, n’avaient été engagés dans la Seconde Guerre mondiale, sinon pour défendre leurs terres contre les premiers colons sionistes, aidés par le mandat britannique. "

    [ Jacques berques, Arabies ]