Le journaliste Domenico Quirico, libéré de Syrie : « J’ai rencontré le pays du Mal »
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Domenico Quirico, journaliste à La Stampa détenu en Syrie pendant cinq mois avec le Belge Pierre Piccinin, a regagné l’Italie lundi. Il a livré à son journal le récit de sa captivité. (traduit de l’italien par Florence Djibedjian)
VERS HOMS
Nous sommes descendus vers Homs depuis le haut-plateau. Je me souviens avoir pensé que j’étais en train de rêver, tant la scène était irréelle. Nous avancions de nuit vers cette grande ville, là où la révolution a débuté. Une partie de la cité était déserte, déjà détruite par les bombardements. L’autre était encore habitée, en proie à d’incessants combats. Par un effet d’optique aussi étrange qu’incroyable, l’immense étendue de maisons blanches se reflétait dans le ciel : une partie de la ville, celle en ruines, avait l’immobilité et le silence d’un cimetière, quand l’autre n’était que lumières, rafales, fusées et bruits. Nous avons continué vers la plaine de Homs. Nous marchions entre deux rangées de feu entourés d’ombres : les gens couraient en baissant la tête car les mitraillettes tiraient à hauteur d’homme, nous trébuchions sur les cadavres, jusqu’à finalement arriver dans une petite ville de ciment, l’une de ces innombrables et affreuses petites villes syriennes, mal construites et approximatives.
TEL ULYSSE
Après cette nuit-là, nous avons été ramenés là où notre voyage avait commencé, un peu comme dans l’Odyssée. Ulysse se dirige vers Ithaque, aperçoit sa maison, son île, là, au loin, mais le Dieu féroce, implacable – le destin – s’acharne et une tempête le repousse loin de chez lui et c’est son châtiment. Il nous est arrivé la même chose. De retour à Reabrook, la ville d’où nous étions partis, nous avons été vendus à Al-Farouq. Le périple a recommencé parce qu’après deux jours, ils nous ont dit que nous irions vers le Nord, à la frontière turque, et que là, nous serions libérés.
Nous avons voyagé deux nuits sur leurs pick-up à travers les montagnes. Les chauffeurs se servaient de temps en temps de jumelles à infrarouges pour vérifier que les militaires ne préparaient pas de guet-apens sur la route. Après une seconde nuit de voyage et de froid assis à l’arrière d’un pick-up, recouverts de poussière, nous avons atteint la zone d’Idleb, où nous avons été retenus encore trois ou quatre semaines sur une base militaire.