person:frédéric joli

  • Lafarge : l’ombre du 13 Novembre

    https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/lafarge-l-ombre-des-attentats-de-paris_2005683.html

    C’était le 4 janvier 2018. L’avocat Georges Holleaux, représentant l’association Life for Paris, avait pris sa plus belle plume afin d’écrire aux juges chargés du dossier du financement présumé de Daech par Lafarge. Quelques lignes sans plus d’explication pour se constituer partie civile, au nom de l’association des victimes du 13 Novembre et de leurs proches, dans l’affaire qui met en cause le géant mondial du #ciment, suspecté d’avoir établi des relations financières avec le groupe terroriste (et d’autres) qui a inspiré la majorité des attentats commis à Paris.

    Il serait donc possible de faire le lien entre les événements parisiens de 2015 et les sommes versées par Lafarge en Syrie ? Les juges ont répondu oui. Et ont admis l’association le 29 janvier dernier au rang de partie civile. Selon l’ordonnance consultée par L’Express, les magistrats estiment qu’il a « été établi » que Daech percevait une taxe « en fonction de marchandises transportées que la société Lafarge répercutait sur son prix » et que « le montant global et la durée » de ces financements sont susceptibles d’avoir permis de « pérenniser » Daech en #Syrie et de lui permettre de « planifier et de réaliser des opérations violentes sur zone et à l’étranger, y compris en #France ». Le raisonnement juridique s’appuie sur la notion de « fongibilité » des sommes en question : pour être clair, l’argent de #Lafarge perçu par des personnes liées ou appartenant à l’organisation #terroriste aurait perdu toute traçabilité et se serait fondu dans la masse des ressources de #Daech.

    #Lafarge_Syrie

    • Est-ce qu’il y a un moyen de connaitre les entreprises françaises qui sont restés sur le territoire de Daesh ? Si Lafarge payait des pots de vin pour avoir le droit de rester ca me semble improbable que ca sois pas pareil avec les autres contrairement à ce que dit Frédéric Jolibois, directeur de l’usine Lafarge en Syrie.

  • Financement du terrorisme : le jeu de dupes des dirigeants de Lafarge

    http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/04/financement-du-terrorisme-le-jeu-de-dupe-des-dirigeants-de-lafarge_5237348_3

    Les responsables se rejettent la faute des agissements du groupe en Syrie. L’enquête se concentre sur le contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris.

    Qui sont les responsables du naufrage moral du groupe Lafarge en Syrie ? L’information judiciaire pour « financement du terrorisme », ouverte contre le cimentier en juin 2017, a établi deux faits : sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS) a monnayé auprès de groupes terroristes la sécurité de son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, et elle s’est approvisionnée en matières premières sur des zones contrôlées par l’organisation Etat islamique (EI) et le Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida.

    Ces deux infractions étant documentées, les juges d’instruction cherchent désormais à en établir les responsabilités individuelles et collectives. Six personnes ont d’ores et déjà été mises en examen début décembre 2017 : les deux anciens directeurs de LCS (Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois), ainsi que quatre responsables du groupe à Paris (Bruno Lafont, ex-PDG de Lafarge, Christian Herrault, ancien directeur général adjoint opérationnel, Eric Olsen, ex-DRH, et Jean-Claude Veillard, l’ancien directeur sûreté).

    Au fil de leurs interrogatoires, les magistrats s’évertuent à remonter la chaîne décisionnelle pour comprendre si la société Lafarge SA – qui appartient au groupe LafargeHolcim depuis la fusion avec le groupe suisse en 2015 – peut être mise en examen en tant que personne morale. Selon les auditions dont Le Monde a pris connaissance, leur tâche s’apparente à un immense jeu de poupées russes, chaque dirigeant se défaussant sur l’étage hiérarchique inférieur ou supérieur. Une dilution des responsabilités vertigineuse de la part d’une multinationale opérant dans un pays en guerre.

    Le jeu de dupes commence au sommet de la pyramide, en Suisse, où le siège de LafargeHolcim dénonce à longueur de communiqués les « erreurs » commises par la « direction locale » de la filiale syrienne. L’ancien directeur de ladite filiale, Bruno Pescheux, affirme pourtant à la justice avoir agi avec l’aval de son responsable à Paris, Christian Herrault. Ce dernier, chargé de faire le lien entre la Syrie et la direction de Lafarge, est catégorique : il a constamment tenu informé le PDG du groupe, Bruno Lafont. Ce dernier assure pour sa part qu’il n’en est rien et qu’on ne lui « a pas tout dit ».

    Les procès-verbaux du comité de sûreté

    Qui savait, qui a validé et qui a laissé faire ? Afin de tenter d’y voir plus clair, la justice s’intéresse de près au contenu des réunions qui se sont tenues au siège du cimentier à Paris entre 2012 et 2014. Selon les documents consultés par Le Monde, la situation de l’usine était régulièrement évoquée lors des réunions mensuelles du comité de sûreté, auxquelles participaient plusieurs cadres de Lafarge : Christian Herrault, Jean-Claude Veillard, Eric Olsen et Biyong Chungunco, la directrice juridique du groupe. Si le PDG Bruno Lafont n’y participait pas physiquement, les procès-verbaux lui étaient généralement remis en mains propres.

    Or, dès la fin de l’année 2013, les difficultés rencontrées par l’usine pour continuer à opérer en Syrie alors que des groupes armés contrôlaient les axes routiers autour du site ont été clairement examinées. Le procès-verbal de la réunion du comité de sûreté de septembre 2013 en a gardé la trace : « Il devient de plus en plus difficile d’opérer sans être amené à négocier directement ou indirectement avec ces réseaux classés terroristes par les organisations internationales et les Etats-Unis », à savoir l’EI et Al-Nosra. Le risque est identifié, mais décision est prise de rester.

    Le mois suivant, la situation a évolué. Le procès-verbal de la réunion d’octobre 2013 précise que « grâce à des négociations menées avec les différents intervenants », les routes logistiques ont été rouvertes et les employés ont pu reprendre le chemin de l’usine. Ni l’EI ni Al-Nosra ne sont explicitement mentionnés dans ce document. L’enquête interne confiée par LafargeHolcim au cabinet américain Baker McKenzie après l’éclatement du scandale, à l’été 2016, reconnaît qu’il est impossible, sur la foi de ce seul procès-verbal, d’affirmer que ces deux groupes figuraient parmi les « intervenants » rétribués, à côté de l’Armée syrienne libre (ASL) et des Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD).

    « Intervenants » rétribués

    Trois éléments du dossier semblent pourtant aller dans ce sens. Tout d’abord, c’est précisément en octobre 2013 que des « négociations ont apparemment été menées » par un intermédiaire syrien de LCS, Firas Tlass, « avec au moins certains groupes précisés dans les procès-verbaux » du comité de sûreté, parmi lesquels figuraient « l’El et Al-Nosra », souligne l’enquête interne. Ensuite, M. Pescheux, l’ancien directeur de LCS, a lui-même reconnu devant les juges que l’EI était apparu dans la liste des groupes payés par Firas Tlass à cette période, en novembre 2013.

    Enfin, un document semble indiquer que les échanges verbaux du comité de sûreté étaient bien plus explicites que leurs comptes rendus officiels ne le laissent paraître. Dans un courriel adressé en septembre 2014 à Frédéric Jolibois, successeur de M. Pescheux à la tête de LCS, Jean-Claude Veillard se dit ainsi surpris que la directrice juridique, Biyong Chungunco, prétende ne pas être au courant des relations « indirectes » entre LCS et l’El. Il écrit : « Je lui ai gentiment fait remarquer qu’elle fait partie du comité de sûreté et que je parle de ces sujets depuis presque trois ans… Depuis trois ans, nous gérons tout cela en comité très restreint. »

    Que savait le PDG, Bruno Lafont ?

    Si les négociations engagées avec des groupes terroristes ont été explicitement évoquées lors de ces deux réunions de l’automne 2013, est-il envisageable que le PDG n’en ait pas été informé ? Bruno Lafont assure que oui : « Je ne faisais pas le boulot de mes collaborateurs, et je ne lisais pas forcément les procès-verbaux », a-t-il assuré aux enquêteurs fin janvier.

    Sur ce point, le PDG est démenti par les faits : il a en effet commenté dans un courriel certains éléments du procès-verbal du comité de sûreté de septembre 2013, ce qui tend à indiquer qu’il l’avait bien lu.

    Christian Herrault est par ailleurs catégorique : il affirme avoir informé son PDG dès septembre-octobre 2013 que Lafarge finançait des groupes terroristes comme Al-Nosra et l’EI. Entendu de nouveau début décembre 2017 par les juges en vue de sa mise en examen, Bruno Lafont n’en démord pourtant pas : « Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas sues, qui m’ont peut-être été cachées, et cela me conduit à penser que l’on ne m’a pas tout dit. »

    Un « accord » évoqué devant le comité exécutif

    Huit mois après la réunion du comité de sûreté d’octobre 2013, la situation s’est encore dégradée autour de l’usine. Le 10 juillet 2014, Christian Herrault informe Bruno Lafont par courriel de l’arrêt du site, le temps de trouver un accord « clair » avec l’El et le PYD. A cette même date, Firas Tlass envoie un autre courriel à Bruno Pescheux, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard, les informant qu’il a engagé des négociations avec les représentants de l’El à Dubaï pour parvenir à un « accord durable ».

    L’enquête interne a établi, à partir d’échanges de courriels, que ce sont Frédéric Jolibois, Christian Herrault et Jean-Claude Veillard qui ont donné des instructions à Firas Tlass sur la manière de conduire ces négociations. Ces échanges se sont prolongés après le 15 août 2014, date d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) condamnant l’EI et toute entité finançant cette organisation « directement ou indirectement ».

    Ces négociations ont pourtant été de nouveau évoquées lors d’une réunion du comité exécutif, le 27 août 2014, soit deux semaines après la résolution de l’ONU. Selon des notes non officielles prises lors de cette réunion, Christian Herrault aurait même anticipé une amélioration des ventes grâce à l’« accord avec les Kurdes et Daech » (l’acronyme arabe de l’EI). Toujours selon ces notes, Bruno Lafont aurait alors souligné l’importance de s’assurer que « ce que nous faisons soit sans risque (également au regard de la loi américaine) ». Aucune trace de ces discussions n’apparaît dans les procès-verbaux officiels du comité exécutif.

    Là encore, aucun responsable de Lafarge ne se souvenait de la teneur de cette réunion lorsqu’ils ont été entendus dans le cadre de l’enquête interne il y a un an. Devant les juges, début décembre 2017, ils ont nuancé leurs dénégations, tout en continuant de minimiser leur rôle. Si Bruno Lafont reconnaît que « Christian Herrault a fait l’annonce d’un accord avec Daech » ce 27 août 2014, il affirme avoir dit que « cet accord n’était pas une bonne idée ». Quant à Eric Olsen, il assure qu’« aucun des participants de cette réunion n’a compris la teneur de cet échange » entre M. Lafont et M. Herrault.

    Le rôle du Quai d’Orsay en question

    Le syndrome des poupées russes qui contamine ce dossier dépasse le cadre de l’organigramme de Lafarge. Lors de sa première audition par les douanes judiciaires, début 2017, Christian Herrault avait ainsi assuré que la décision du groupe de se maintenir en Syrie fin 2012 malgré le départ de toutes les entreprises françaises, dont Total ou Air liquide, avait reçu le soutien de la diplomatie française. « Tous les six mois, on allait voir le Quai d’Orsay, qui nous poussait à rester (…). C’est quand même le plus gros investissement français en Syrie, et c’est le drapeau français », avait-il déclaré.

    Entendu récemment par les juges d’instruction, Eric Chevallier, ambassadeur de France à Damas entre 2009 et mars 2012, date de la fermeture de la représentation diplomatique, a vigoureusement démenti ces allégations : « Je l’affirme catégoriquement, je n’ai jamais demandé à Lafarge de rester en Syrie. Je l’affirme solennellement, je n’ai jamais laissé entendre ceci (…). Leur demander ou les inciter à rester était contraire aux consignes, je ne leur aurais jamais dit ça. Vous savez, je sais ce que c’est que cette boucherie (…). C’est une vraie boucherie, une vraie guerre, d’une violence inouïe. Dès 2011, j’avais pressenti cette violence, une des pires du XXIe siècle (…). Je l’avais signalé dès le début. »

    Confronté par les magistrats à cette vive réaction du diplomate, Christian Herrault, l’ancien directeur général adjoint opérationnel du cimentier, a simplement répondu : « Il y en a manifestement un de nous deux qui ment. »

  • Comment Lafarge a exposé ses employés aux rapts en Syrie

    http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/11/14/comment-lafarge-a-expose-ses-employes-aux-rapts-en-syrie_5030751_1618247.htm

    Le cimentier français a maintenu sa cimenterie en fonctionnement jusqu’en septembre 2014. Les salariés rétifs faisaient l’objet de menaces, voire de licenciements.

    En continuant de fonctionner jusqu’à septembre 2014 en Syrie, malgré les risques dus à la guerre civile, le groupe Lafarge a-t-il mis en danger ses employés ? Interrogée à propos de l’enquête publiée dans Le Monde (daté 13-14 novembre), une porte-parole du cimentier franco-suisse assure que « la direction de Lafarge était préoccupée avant tout par la sécurité de ses employés ».

    Toutefois, une autre réalité ressort des témoignages que Le Monde a pu recueillir. Malgré les efforts de Lafarge en Syrie pour sécuriser les routes autour de l’usine en multipliant les contacts avec les groupes armés, les employés de Lafarge Cement Syria (LCS) ont été les premiers exposés aux dangers de la guerre. D’après notre enquête, c’est après le départ de Montasser Al-Maaytah, le directeur jordanien de l’usine, remplacé par Mamdouh Al-Khaled, un Syrien ayant travaillé dans le secteur public avant de devenir responsable des opérations chez Lafarge, que l’ambiance s’est dégradée à l’usine de Jalabiya.

    « Il a fait du très bon travail », insiste Jacob Waerness à propos de Mamdouh Al-Khaled. M. Waerness, que Le Monde a rencontré à Oslo, a été responsable de la sécurité de l’usine de 2011 à 2013. Le ton est différent chez les anciens employés du site. « Le dictateur [comme plusieurs employés appellent Mamdouh Al-Khaled] pilotait l’usine depuis Damas. Il nous appelait, nous hurlait dessus, menaçait de suspendre nos salaires ou de nous licencier en cas d’absence. La direction de Lafarge Syrie laissait faire. Ce qui comptait pour eux était de maintenir la production », raconte un ancien employé. « Nous ne pouvions continuer à faire fonctionner l’usine avec des employés payés à plein-temps qui préféraient rester chez eux par peur des dangers sur la route », justifie Jacob Waerness.

    « Une voiture sans plaques s’est arrêtée »

    « Seule la proximité avec la direction ou un groupe armé pouvait protéger un salarié », ajoute un autre employé. Un tableau d’évaluation des performances du personnel, attribué à Mamdouh Al-Khaled et que Le Monde a pu consulter, montre que la direction prenait en considération la proximité des employés avec les groupes armés. Ainsi note-t-on, à côté du nom d’un employé noté passablement (F), la mention « licencier », suivie de la question : « Impact sur les Kurdes ? » Interrogée, la direction de Lafarge a refusé de commenter des « cas individuels pour des raisons de sécurité des personnes ».

    Nidal Wahbi, l’ancien responsable des ressources humaines, était l’un des rares à s’opposer à cette politique. « La direction m’a sommé de licencier un employé qui refusait de s’installer dans l’usine. Je ne pouvais contraindre les employés à vivre dans des baraquements au milieu du désert et à laisser leur famille derrière eux en pleine guerre », raconte M. Wahbi. Une porte-parole de Lafarge s’inscrit en faux : « Nous avons proposé aux employés de vivre sur le site de l’usine avec leurs familles en leur procurant logement, eau et nourriture. »

    « Cette opposition aux nouvelles méthodes de la direction m’a coûté ma place, explique Nidal Wahbi. On m’a signifié mon licenciement et, peu de temps après, un soir d’août 2012, j’ai été kidnappé. » Nidal Wahbi a décrit, dans un long mail adressé en février 2014 à Bruno Lafont, le PDG du groupe Lafarge, et que Le Monde a consulté, les circonstances de son enlèvement : « C’était la nuit, j’étais devant la maison d’un de mes collègues à Manbij [une soixantaine de kilomètres à l’ouest de l’usine, sur la route d’Alep]. Une voiture sans plaque d’immatriculation s’est arrêtée et quatre hommes armés, le visage masqué, ont sauté de la voiture. Ils m’ont contraint, armes sur ma tempe, à les suivre dans la voiture. (…) J’ai été kidnappé pendant dix jours. Mes ravisseurs menaçaient d’attaquer l’usine (…) si Lafarge ne versait pas 200 000 dollars. »

    « Au cours de ces dix jours, j’ai vécu l’enfer », poursuit-il, avant d’accuser Lafarge d’avoir « joué avec [sa] vie pour protéger les intérêts de l’entreprise ». « Je ne comprenais pas pourquoi les négociations prenaient autant de temps. Quand j’ai été libéré, j’ai appris que Lafarge avait cherché à gagner du temps. Ils ont fait le nécessaire pour protéger l’usine et installer les employés qui vivaient à Manbij dans le camp. (…) Une fois leurs précautions prises, ils ont annoncé à mes ravisseurs qu’ils ne paieraient pas [la rançon]. (…) J’ai dû leur payer 20 000 dollars. (…) Après tout ce que j’ai traversé, Lafarge Syrie refuse de me verser un centime. (…) Je vous demande de l’aide et du soutien. »
    Nidal Wahbi ne recevra aucune réponse à ce courriel envoyé dix-huit mois après sa libération. D’après Jacob Waerness, qui a travaillé sur ce cas, il a court-circuité la négociation en tentant d’obtenir seul sa libération. Une accusation rejetée par M. Wahbi : « Si j’ai négocié seul, c’est parce que Lafarge m’a laissé tomber. »

    D’autres enlèvements ont eu lieu par la suite, notamment celui, « bien plus sérieux » selon Jacob Waerness, de neuf employés. Il relate cet épisode dans son livre de témoignage, Gestionnaire de risques, paru récemment en Norvège. « Le 6 octobre [2012], j’ai reçu un appel disant qu’un groupe d’employés partis de la côte [sous contrôle du régime] n’était pas arrivé à l’usine. Ils étaient neuf à voyager ensemble. » Jacob Waerness explique que le kidnapping est le fruit d’un guet-apens ourdi, selon ses sources à l’intérieur de l’usine, par un employé n’ayant pas apprécié les déclarations de l’un de ses collègues en faveur du régime Assad. « Nous ne l’avons pas licencié, car il aurait pu se plaindre auprès de ses amis rebelles et organiser une attaque contre l’usine », explique M. Waerness.

    « Lafarge avait la réputation de ne pas payer »

    Lors du processus de négociation, long et complexe, Lafarge a eu recours à Firas Tlass, son associé syrien – qui a confirmé l’information au Monde –, et de contacts au sein des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL). Lafarge Syrie, en accord avec la direction à Paris, déboursera 220 000 euros pour libérer les neuf employés, une somme importante dont Jacob Waerness soupçonne qu’une partie a été détournée par un négociateur.

    « Pourquoi Lafarge a payé une telle rançon aux ravisseurs et ignoré ensuite les autres prises d’otages ? », s’interroge un ancien employé. « Sans doute parce qu’ils venaient de la côte et étaient en majorité alaouites », suppose-t-il, prêtant à Lafarge Syrie une politique sectaire. « Lafarge n’a jamais agi sur la base de discriminations politiques ou religieuses, assure Jacob Waerness. En réalité, nous avions développé une nouvelle stratégie. Lorsqu’un employé était pris en otage, nous faisions mine de nous en moquer. Ainsi, les ravisseurs concluaient que l’entreprise n’était pas prête à payer et se tournaient alors vers les familles pour obtenir une rançon bien moins conséquente. Lafarge avait ainsi la réputation de ne pas payer, ce qui pouvait dissuader de futurs enlèvements. Dans les faits, nous remboursions ensuite la famille, mais de façon secrète », avance-t-il. Interrogée, une porte-parole de LafargeHolcim a refusé de commenter.

    Malgré une telle alerte de sécurité, la décision de fermer l’usine n’a pas été prise. D’autres enlèvements d’employés auront lieu en 2013 et 2014. Ainsi, Abdou Al-Hamadi, kidnappé à Alep en 2013, est porté disparu à ce jour. Sa disparition est, pour nombre d’employés, la conséquence des risques que l’entreprise les obligeait à prendre. « Abdou Al-Hamadi a été enlevé à Alep par des milices du régime alors qu’il retirait de l’argent au distributeur de la banque syrienne Audi, explique un employé. Cela devait arriver ! Pourquoi nous faire prendre tant de risques pour retirer nos salaires ? »

    Pour Jacob Waerness, Lafarge n’avait pas le choix : « Le système bancaire s’était effondré dans les zones rebelles. Il était très difficile de transférer de l’argent à Manbij. Il fallait donc aller en zone sous contrôle du régime pour retirer de l’argent. C’est vrai que c’était risqué pour les employés, mais nous ne pouvions pas amasser de l’argent en espèces dans l’usine. Ça se serait su et elle serait devenue une cible. » La direction de LafargeHolcim assure que le paiement des salaires se faisait à l’usine.

    A l’été 2014, plusieurs mails de la direction de Lafarge révèlent que la situation devient intenable. L’organisation Etat islamique (EI) a attaqué un checkpoint près de l’usine et lancé une « campagne » contre les forces kurdes du PYD, qui contrôlent la région. L’accès aux installations est également compliqué par l’absence d’autorisations de circuler. La direction invite malgré tout les employés à « essayer » de se rendre au travail.

    Dans un mail daté du 17 août 2014, un responsable du site arrêté à un checkpoint de l’EI alerte Mamdouh Al-Khaled : l’EI lui a dit que Lafarge devait traiter avec son responsable à Manbij pour obtenir des autorisations. Tout employé sans autorisation sera arrêté. Dix jours plus tard, Ahmad Jaloudi, gestionnaire des risques pour Lafarge et successeur de Jacob Waerness à partir de fin 2013, relate ses efforts à Frédéric Jolibois, le nouveau PDG de Lafarge Syrie. « L’Etat islamique demande une liste de nos employés… j’ai essayé d’obtenir une autorisation pour quelques jours, mais ils ont refusé », désespère-t-il.
    Ce n’est qu’à partir du 9 septembre 2014 que l’usine, qui fonctionnait a minima, reprend ses activités. Mais le 16 septembre, l’EI lance une offensive sur Kobané, à 50 kilomètres de là vers le nord-ouest, sur la frontière turque. Le 18, deux employés chrétiens de Lafarge, de retour de l’usine, sont pris en otages par les djihadistes. Un cadre accuse la direction, dans un courriel, de les avoir mis en danger. « Qui a forcé nos employés chrétiens à continuer à aller travailler en pleine guerre avec l’EI ? », demande-t-il sur un ton vif. Les otages seront libérés deux semaines plus tard.

    « Les événements nous ont précédés »

    Le 19 septembre 2014, le site est attaqué par l’EI. Contrairement au communiqué publié à l’époque par la direction, l’évacuation ne s’est pas « parfaitement déroulée ». D’après nos sources, la direction n’a pas prévenu les 30 employés présents de l’imminence d’un raid et les bus prévus pour les mettre à l’abri n’étaient pas sur place. Ils ont dû se sauver par leurs propres moyens.

    Interrogée, la direction de LafargeHolcim précise : « A l’été 2014, nous avions décidé de fermer l’usine. Les événements nous ont précédés. La sécurité était assurée par une société privée qui est restée sur place jusqu’à la fin. Les informations dont disposait la direction reposaient sur cette équipe de sécurité. Le plan d’évacuation n’a pas entièrement fonctionné comme prévu, mais tout le monde a pu quitter l’usine sain et sauf. Nous avons pu fournir à chaque famille un logement, de la nourriture et des vêtements dans les quarante-huit heures. Après la fermeture, nous avons payé les salaires, que nous avons revalorisés, jusqu’à décembre 2015. » Cette mesure a concerné 240 employés.
    Maigre consolation pour un ancien employé joint par Le Monde : « Pourquoi Lafarge ne nous a pas évacués ? Même les habitants du village voisin avaient fui la veille. A croire que Lafarge nous utilisait comme boucliers humains. Ils auraient dû fermer l’usine il y a bien longtemps », s’emporte-t-il, encore marqué par le souvenir de cette journée où il a cru mourir.

  • Pourquoi le #droit international #humanitaire est (toujours) mal appliqué
    Le Monde.fr | 22.08.2014 à 11h39 • Mis à jour le 22.08.2014 à 14h11 |
    Par Elvire Camus
    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/08/22/150-ans-de-droit-international-humanitaire-5-questions_4472080_4355770.html

    Ainsi, après ses 150 années d’existence, le droit humanitaire est considéré comme étant « complet ». Pour Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de #Médecins_sans_frontières et auteure du Dictionnaire pratique du droit humanitaire, pas question de parler d’#obsolescence : « Le droit humanitaire fournit un cadre suffisant, à condition de l’interpréter et l’appliquer de #bonne_foi. »

    Quelles sont les faiblesses du DIH ?

    Une des principales limites du DIH, si ce n’est la plus importante, est sa mauvaise application : « Le problème de ce droit, ce n’est pas qu’il a vieilli, c’est qu’il est mal appliqué. Signé par 195 Etats, on peut le considérer comme étant quasi universel, pourtant, paradoxalement, il fait l’objet de violations répétées », explique Frédéric Joli, porte parole du #CICR en France.

    Dans la pratique, le droit humanitaire est un socle, sur lequel s’appuient les belligérants et les organisations humanitaires lors d’un conflit armé. Chaque #conflit armé fait l’objet d’un nouveau scénario, de nouvelles négociations pour le faire appliquer, et il est invoqué par les belligérants en fonction de leurs intérêts propres. C’est une des grandes difficultés du DIH : « Chaque partie interprète le droit à son avantage, il faut donc impérativement résister à l’interprétation de #mauvaise_foi des parties au conflit. Si on ne négocie pas les secours, on n’obtient rien. Le droit, ça se réclame », précise Françoise Bouchet-Saulnier.

    Afin de tenter remédier à cette faille, le CICR et la Suisse mènent depuis 2012 des consultations avec les Etats et des représentants de services de santé dans l’optique de trouver des moyens de mieux faire respecter le droit humanitaire.

    Seconde faiblesse majeure du DIH, l’absence, jusqu’en 2002, avec le lancement de la #Cour_pénale_internationale, d’instruments permettant de sanctionner les violations du droit humanitaire lors de conflits internes. Pour autant, maintenant qu’un tel outil existe, son aspect à la fois coercitif et dissuasif rigidifie le DIH : « Le droit humanitaire s’est complexifié avec les tribunaux. Il est nécessaire de revenir à une application qui soit destinée à l’action et pas uniquement orientée vers la sanction », explique Françoise Bouchet-Saulnier. Par ailleurs, les premières années d’existence de la CPI n’ont pas montré beaucoup de résultats.

    • Pour rappel, les États-Unis et Israël (pour ne citer que ces deux pays) n’ont pas ratifié le Traité de Rome par lequel on devient membre de la CPI et la CPI est sous la tutelle du Conseil de sécurité de l’ONU qui peut interdire une enquête si ça lui chante.

    • Plus précisément,
      http://www.ipsnews.net/2014/08/israel-hamas-set-to-escape-war-crimes-charges

      Quigley said, “If a state is a party to the Rome Statute, then its nationals can be prosecuted in the ICC.”

      Israel is not a party to the Rome Statute that created the ICC.

      However , the ICC has jurisdiction based on the territory where a crime is committed. So if an Israeli commits a crime in a state that is a party, the ICC can prosecute that Israeli,” said Quigley, author of ‘Genocide in Cambodia and The Ruses for the War.’

      Beyond that, said Quigley, if a state is not a party but files a declaration conferring jurisdiction on crimes within its territory, then anyone who commits a crime in the territory of that state may be prosecuted.

      Par ailleurs,

      Ratner argued that the United Sates is too powerful and the chances of an ICC investigation, much less a prosecution, are remote. Even were the court by some miracle to launch an investigation, it would never, because of U.S. pressure, result in a prosecution. But this does not mean Palestinians and their allies should stop trying, said Ratner.

      “Every means to expose and hold Israel accountable and demonstrate the bias of our international system is important,” he added. “The effort is clearly terrifying Israel because Israel knows the criminality it is engaged in.”

      So, if the ICC is not really a means to hold Israel and the U.S. accountable, then efforts should be doubled to hold Israeli and U.S. officials accountable through universal jurisdiction in every national court of every state, he noted.

      Many countries have jurisdiction over war crimes and crimes against humanity no matter where committed and even if the perpetrator is not in the country.

      “The goal is to make Israel the pariah state it ought to be for committing these crimes, to make its officials unable to move outside the country and to ultimately send a message: Enough! It is saddening at this moment to see horrendous crimes committed hourly and watch the governments of many states stand by or enable,” he added.

      “Our hope to hold Israel accountable should be in the outpouring of opposition to these crimes by citizens throughout the world. Ultimately, the courts will need to act,” declared Ratner.

    • En fait ce n’est pas tout à fait ça, la CPI n’enquête pas sur des États mais sur des individus, c’est pour ça qu’elle a été créée. Je ne connaissais pas la loi l’invasion de La Haye mais apparemment c’est un truc spécifique aux États-Unis, ce n’est pas un traité international. Sinon, pour protéger ses ressortissants, les États-Unis ont imposer des accords bilatéraux avec tout un tas de pays avec des clauses qui interdisent qu’on portent plainte contre des citoyens américains.

    • Concernant Israël, pour qu’une plainte de Palestinien soit acceptée par la CPI, il faut que la Palestine en soit membre. C’est une des raisons pour laquelle il est important qu’elle soit reconnue par l’ONU. Ce que je regrette le plus, c’est que le principe de Compétence universelle ne soit pas appliqué. Selon ce principe (quelques articles des conventions de Genève ou un des protocoles, je ne sais plus) un criminel de guerre ou criminel contre l’humanité peut être jugé par n’importe quel pays quelque soit sa nationalité et cela concerne tous les pays sans exception.

  • Parution de « Le soleil en face - Rapport sur les calamités de l’industrie solaire et des prétendues énergies alternatives » | Frédéric Gaillard
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=371

    Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Les critiques après-coup ne valent rien ; ou alors il faut faire de l’histoire. On peut demander : à quoi auraient servi les critiques contre le nucléaire civil et militaire, en mai 1939, quand Irène et Frédéric Joliot-Curie déposaient leur brevet sur les "Perfectionnements aux charges explosives" - c’est-à-dire la bombe atomique ? A rien, sans doute, mais on ne le saura jamais, puisque cette critique n’eut pas lieu en "temps réel" comme dit le sous-langage contemporain. Que le pire nous soit promis et inévitable, soit. Mais faisons en sorte de ne pas le mériter par notre silence ou notre incurie. Grâce au livre de Frédéric Gaillard, "Le soleil en face - Rapport sur les calamités de l’industrie solaire et des prétendues énergies alternatives", nos lecteurs au moins ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Depuis le « choc pétrolier » de 1973, et plus encore depuis les catastrophes de Tchernobyl (1986) et de Fukushima (2011), les énergumènes qui nous gouvernent sont à la recherche d’« énergies alternatives » : géothermie, biomasse, éolien, hydrogène, etc. Mais le véritable Graal de cette quête d’un combustible inépuisable et à vil prix reste l’énergie solaire qui, sauf imprévu, nous alimente pour encore 4,5 milliards d’années. L’énergie, c’est le « power » dit l’anglais qui confond les deux notions dans le même mot. Sur toute la planète, dans tous ses laboratoires, le complexe scientifico-industriel s’est lancé dans (...)

    #Documents