person:gabriel vatin

  • Un débat intéressant sur la "défense de la langue française" dans les milieux académiques

    Tout commence par un message tout neutre, tout classique, l’annonce en anglais d’une conférence organisée à Nice, donc en France, sur la liste de géographes [géotamtam]

    Gabriel Vatin, doctorant en géomatique au Centre de recherche sur les Risques et les Crises à Sophia-Antipolis poste cette annonce :

    Dear colleagues,

    The Institute MINES-TELECOM, the University of Nice-Sophia Antipolis and its partners are setting up the next international conference OCOSS (Ocean & Coastal Observation: Sensors and observing systems, numerical models & information Systems), in Nice (French Riviera) on 2013, October, 28th-31st. [...]
    You will find more information about the conference at :

    http://2013.ocoss.org

    Réponse immédiate d’un ancien professeur belge, Michel Vandenbroucke :

    Bande de Schnocks ! Quand vous déciderez-vous à vous exprimer en français devant un lectorat francophone ?! C’est une question de principe mais surtout de bienséance.

    Le message n’est pas très fin, et suppose une posture que nous connaissons bien : le rejet de l’anglais (en particulier) sous prétexte de défendre becs et ongles la langue française. Voilà une position très réductrice, très étroite, et pourquoi ne pas le dire, très rétrograde. Vouloir défendre "notre" langue contre "une autre" langue nous ramène quelques fragrances de la période coloniale. C’est aussi tellement réducteur, à l’heure où nous travaillons presque partout de manière "multiculturelle".

    A Arendal, en Norvège, dans le centre affilié au PNUE où je travaillais, il y avait 40 personnes et 20 nationalités. Nous communiquions indifféremment en anglais, norvégien, espagnol parfois et même en français. On entendait parler le russe, le letton, parfois des langues africaines ou de minorités arctiques. Je me souviens de l’atmosphère comme un beau "ballet de langues". Les cultures, les mentalités, les langues se mélangeaient en un joli bouquet.

    A Goldsmith, d’où je reviens juste, les étudiants qui participaient à notre séminaire venaient de Syrie, de Tunisie, de Norvège, de Zambie, du Canada, de Chine, de Corée, d’Italie, d’Israël... Outre que ce mélange est magnifique et d’une richesse inouïe, il suppose au moins une langue de communication commune. Mais l’expérience montre que tous ces étudiants, en général, parlent au moins couramment trois langues...

    Pour en revenir aux messages postés sur [géotamtam], Il n’en fallait pas plus pour déclencher des réactions que j’ai trouvé très intéressantes et qui méritent d’être portées à la connaissance d’un public plus large. Ces réflexions sont au coeur d’une problématique importante : comment le savoir [la connaissance] peut et doit se transmettre auprès du plus grand nombre. Dans quelle(s) langue(s), dans quelle forme (simplifiée ou synthétisée pour que ce soit accessible aux non-académiques), etc...

    Stéphane Rosière, professeur à l’université de Reims est le premier à tirer :

    Le mal est en la matière très profond. On peut citer Geneviève Fioraso, notre ministre : "si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust…"

    Le mouvement d’anglicisation de nos échanges s’accélère prodigieusement, la langue n’étant considéré que comme un outil, rien de plus. Il y a certainement des moyens de ne pas accélérer ce nivellement.

    Et de poster cette image :

    https://dl.dropbox.com/s/t3ic0ipx6nh4m4a/proust.png

    Kamala Marius-Gnanou, maître de conf à Bordeaux ajoute :

    En tout cas, beaucoup de mes étudiants français (géographes et aménageurs) vont en Inde pour des stages et sont encore confrontés au problème de la langue (anglaise) non maîtrisée. Certes en Inde, l’anglais indien est un outil avant tout ! Mes étudiants se plaignent d’avoir trop peu de cours en anglais en géo (à Bordeaux)... En revanche, les étudiants de l’EHESS, des Ecoles de commerce et de Sciences Po maîtrisent de mieux en mieux l’anglais et soutiennent leur projet (mémoire, projet professionnel etc..) en anglais. Sinon, il y a dix fois moins d’étudiants indiens que d’étudiants chinois en France !!! La ministre a donné de mauvais exemples...

    Maxime Forriez, docteur en géographie précise :

    Ecrire français dans un réseau français ne me semble pas aberrant.
    Ecrire anglais dans un réseau français pour toucher d’hypothétiques relations anglophones me paraît plus surprenant. Il existe d’autres réseaux pour cela, me semble-t-il ?

    A mon tour de vous livrer, une petite méditation sur la magnifique langue de Shakespeare. L’anglais n’est qu’un outil, certes, mais est-ce le bon outil ? Pour des raisons purement historiques, l’anglais s’est imposé en tant que langue vernaculaire internationale, et il n’a toujours pas débouté le français. Question : pourquoi ? La raison est simple ; la langue française est beaucoup plus riche en vocabulaire que la langue anglaise. Nombreuses idées en français sont purement et simplement intraduisibles en anglais.

    Récemment,un juriste m’expliquait que, lors d’un jugement à la cour internationale de la Haye, les juges étaient obligés de rendre plusieurs fois le même jugement. Non pas parce qu’ils sont incompétents, ou qu’il y a eu un appel, mais parce que, par habitude, ils utilisent l’anglais lors d’un premier procès, et que, systématiquement, le jugement rendu est intraduisible dans la langue officielle, le français. Pourquoi ? Simplement parce qu’un mot anglais peut être traduit par trois ou quatre mots en français, parfois même beaucoup plus, les juges, qui maîtrisent les deux langues parfaitement, sont donc obligés, pour trouver le bon terme français, de rendre un second jugement en langue française, donc refaire toute l’analyse de l’affaire jugée.

    La traduction française effectuée, il devient alors très facile de la traduire en n’importe quelle autre langue.

    Cela tend à montrer que l’imprécision de la langue anglaise permet de commercer idéalement, car elle permet de « noyer le poisson » lors d’une négociation, personne ne parlant vraiment de la même chose. On reste dans le flou, et c’est ce qu’il faut pour arriver à un consensus acceptable.

    Cette réflexion me rappelle un problème de traduction (ou d’interprétation) lors de la publication de la résolution 242 du conseil de sécurité des Nations unies en novembre 1967 : il y avait une ambiguïté entre le texte anglais et français qui mentionaient, en français "le retrait « des » territoires occupés" et "from occupied territories (c’est-à-dire "de" territoires occupés)" en anglais. Les israéliens n’ont pris en compte que la version anglaise parce qu’elle leur permettrait (éventuellement) de garder certains territoires acquis et "colonisés".

    Anne-Laure Amilhat Szary, professeure à l’université de Grenoble se scandalise, et avec juste raison :

    Qu’une manifestation scientifique ait lieu en Anglais n’a rien d’exceptionnel si on veut attirer d’autres collègues que nationaux ou québécois, ou membres des cercles de la francophonie ! Il est injuste de discréditer les collègues qui s’engagent sur ce terrain difficile de l’ouverture internationale.

    La discussion sur l’empire de la langue anglaise dégage des relents de regrets du pouvoir que le Français avait pu jouer dans des circonstances analogues par le passé. Personne ne nous empêche de penser en Français. Les Américains tiennent la « pensée française » et autre « French theory » en haute estime d’ailleurs. Il existe d’autres langues qui passent les frontières, l’espagnol en Amérique Latine, l’Arabe .... mais la majorité des publications se font en Anglais, ce qui nous permet de prendre connaissance de la façon dont la science se fait hors de l’Hexagone

    La langue ne doit pas être le véhicule d’un aplanissement de la pensée. C’est difficile du fait des barrières culturelles et des périmètres protégés que nous connaissons moins, dont nos mandarins n’ont pas les codes, mais pas impossible... Ce n’est pas en refusant ce dialogue que nous serons les plus constructifs. Il me semble essentiel de transmettre cette ouverture à nos étudiants.

    Stéphane Rosière tient à préciser ensuite :

    Bien sûr une manifestation en anglais banal et désormais l’utilité de telles manifestations n’est pas à démontrer. j’ai aussi intégré des cours en anglais dans la maquette du diplôme que je dirige.
    Tout l’enjeu me semble-t-il est de savoir à partir de quand nous décidons de faire une croix sur notre langue (le jour où nous disons : à quoi bon un appel à communication en français par exemple ?). C’est ce point d’inflexion, ce « seuil » à partir duquel nous considérons que notre culture n’est plus un vecteur de communication et de culture, qu’elle est inutile (no tool). C’est ce seuil qui me fait réfléchir et m’inquiète, c’est vrai.

    Et si les Américains tiennent la « french theory » en haute estime, c’est uniquement parce qu’elle est traduite en anglais, ils n’ont que faire du texte original.

    J’avais mis en exergue la citation de Fiorasso car elle relève à mon avis d’une pensée qui a passé ce seuil, qui est purement commerciale, c’est une stratégie d’attraction qui est celle d’une entreprise, mais la pensée et la langue ne sont évidemment pas seulement des outils de marketing et de rayonnement.

    Et puis, il y a ce malaise à s’attaquer à Proust, comme autrefois un président dont j’ai oublié le nom qui s’en prenait à la Princesse de Clèves, mais Proust est plus précieux que notre ministre, et son mépris qu’elle étale dans cette phrase haineuse et stupide me rappelle les propos de Goering vis-à-vis des intellectuels (sic !). L’anglais devient là clairement le masque (la justification) de la déculturation et de rien d’autre.

    Virginie Mamadouh, de l’université d’Amsterdam, s’insurge aussi avec juste raison contre l’usage exclusif du français sur une liste prétendument francophone, et s’exprime avec nuance :

    On croit halluciner en lisant certaines des dernières contributions à propos de l’usage de l’anglais sur [géotamtam].

    Les questions de politesse, ça se discute ; et même une police linguistique (plutôt intolérante et contraire aux idées de la libre circulation de l’information scientifique) pourrait se défendre, bien qu’à mon avis on doivent plutôt se réjouir des efforts faits par les géographes francophones ces dernières années pour ouvrir leurs travaux et leurs colloques aux autres (surtout à ceux qui parlent autre chose que le français et l’anglais dans la vie de tous les jours).

    Mais l’appropriation exclusive de [géotamtam] - liste française ? que les francophones hors de France se le disent ! Le statut intouchable du français comme langue des institutions internationales ?
    Ou les qualités intrinsèques du français ? (plus de vocabulaire ? plus précis ? intraduisible ?)

    On aimerait en rire.

    Si vous vous inquiétiez des effets néfastes du « sabir international dérivé de l’anglais » dans lequel vos étudiants prennent l’habitude de s’exprimer, pensez-vous vraiment qu’il serait plus pratique et bénéfique pour les miens de devoir impérativement manier deux langues au lieu d’une pour communiquer avec d’autres géographes dans des rencontres internationales ?

    Tant que les Français ne comprendront pas la différence entre français et francophone, ils auront peu de leçons à donner aux anglophones britanniques ou américain en matière de respect de la diversité linguistique. Celle-ci n’est d’ailleurs ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante à la diversité culturelle et à la pluralité de la pensée et des approches géographiques en l’occurrence.

    Cela dit, tout à fait d’accord pour discuter des effets du statut hégémonique de l’anglais dans les échanges internationaux, et pour promouvoir le plurilinguisme, mais nous risquons d’attendre encore longtemps les étudiants de géographie qui se mettraient au néerlandais pour faire un séjour Erasmus chez nous...

    Camille Schmoll, maîtresse de conférences à l’université de Paris VII rappelle :

    Certains d’entre nous travaillent, communiquent, enseignent en anglais, sans être forcément des traîtres à la nation, à la discipline ou à la langue...

    Adrien Mangiavillano, géographe, explique avec beaucoup de toucher :

    Même si on considère le français comme plus précis, ce qui reste à prouver, car il est probable que c’est notre maitrise de l’anglais et de ses subtilités qui nous échappe, une démarche qui consiste à se priver systématiquement de 75% à 90% de l’auditoire scientifique mondial pour exposer des travaux aussi brillants et fondamentaux soient-ils ne peut que résulter d’une stratégie qui évoque une question bien connue de philo :

    peut-on avoir raison tout seul ?

    Sans chercher à y répondre et au delà des questions linguistiques (même en français, il est aisé de se rendre incompréhensible), il me semble tout de même que l’on peut voir ici une forme d’autosatisfaction bien pratique pour générer des vérités, ce qui est tout de même problématique dans une démarche scientifique. Au delà, c’est la relation à autrui, le faire « sans » dont il est question. Mais c’est peut-être, en fait, l’objectif initial.

    Oui, je trouve aussi très infantile et prétentieux de dire que la langue anglaise est moins riche que la langue française, ou telle langue moins riche que telle autre, nous savons bien que chaque langue recèle ses propres trésors, ses propres subtilités, et nous, qui prétendons parler un très bon anglais, n’en connaissons en fait pas un centième. Une simple promenade dans Londres à écouter les gens nous le prouve : parfois, nous n’en comprenons pas un mot.

    Enfin, Frédéric Dobruszkes, maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles (actuellement en poste au Royaume-Uni) termine par trois remarques :

    1. Il n’est guère intéressant d’opposer les langues. Rien n’empêche d’organiser, si cela s’y prête, des événements multilingues (voir email récent annonçant le colloque sur le vin au Brésil, en trois langues) ou de publier dans plusieurs langues selon les contextes. Pour ma part, je publie en français sur la politique des transports urbains, afin de contribuer au débat bruxellois et belge, et en anglais sur les dynamiques spatiales du transport aérien, vu le public scientifique beaucoup plus large intéressé par ces questions.

    2. Que telle ou telle langue soit plus riche qu’une autre, c’est à voir. Je crois savoir qu’il existe tout de même une littérature anglo-saxonne, des prix Nobel de littérature décernés à des Anglo-Saxons, etc. De toute façon, l’anglais scientifique est généralement pauvre et basique. Mais ce n’est pas pour cela que les idées véhiculées ne sont pas potentiellement intéressantes. Je conseille la lecture de quelques articles de Geoforum, Area ou Transactions of the Institute of British Geographers, parmi d’autres, à ceux qui en doutent. De même, il y avait au colloque annuel de l’Association des géographes américains (AAG) 2012 de New York, où j’ai croisé plusieurs géographes français, plus de 5 000 papiers présentés et plus de 8 000 participants. J’ai du mal à penser que malgré une langue supposément moins riche, il n’y avait rien d’intéressant et, surtout, de complémentaire aux approches plus françaises dans tout cela.

    3. A Oxford, la moitié de mes collègues directs ne sont pas britanniques mais viennent de Turquie, Grèce, Brésil, Portugal, Pays-Bas, Emirats Arabes Unis, Canada anglophone, Chine, USA et Japon, sans parler des visiteurs qui défilent du Chili, de Norvège, etc. Jusqu’à preuve du contraire, les élites intellectuelles de ces pays apprennent aujourd’hui l’anglais plutôt que le français. On peut le regretter, et la domination du champ scientifique par quelque langue que ce soit (l’allemand, le français, etc.) est d’office dommage. Il n’empêche, dialoguer avec ces collègues d’horizon divers est enrichissant, comme peut l’être tout événement scientifique où l’on confronte des approches différentes, selon les langues et/ou les orientations épistémologiques.

    Vaste et intéressant débat qu’il faut nourrir...

    #anglais #français #francophonie #monde-académique #science #savoir #connaissance

    • Et voici les dernières contributions, qui ne manquent pas de piquant

      Henri Chamussy, célèbre (et souvent fort drôle) géographe aujourd’hui à la retraite mais qui reste très actif (il est le co-auteur d’un livre sur le Liban qui vient de sortir) :

      Géotamtam qui est un réseau socio-professionnel joue bien son rôle - et de mieux en mieux - comme diffuseur d’information ; mais comme plateforme d’échanges d’idées, malgré une ou deux tentatives timides, il ne joue pas son rôle comme lieu de discussions, voire comme lieu de polémiques ; il faudrait plus souvent qu’il y ait ce que nos ancêtres clercs universitaires médiévaux appelaient une disputatio (mais ils n’avaient pas de querelles linguistiques ; tout se faisait en latin !)

      Cette disputatio sur les langues est assez para-scientifique, mais elle est importante en ces temps d’internationalisation.

      [...]

      J’ai été choqué par le fait que certains parlent de géotamtam comme d’un réseau francophone, voire français. Il serait bon qu’il devienne un réseau international, cela nous apporterait beaucoup, et alors il nous faudra nous faire, résigner, réjouir (rayez la mention inutile...) à ce qu’il soit au minimum bilingue (français et anglais).

      J’ai été, pendant plus de 10 ans, responsable des échanges Erasmus et franco-canadiens à l’IGA. Beaucoup d’étudiants renonçaient à partir à cause de leur nullité en langues, et j’étais obligé de mettre un numerus clausus aux départs au Québec, dont le succès - outre l’exotisme du Canada - résidait en ce que les gens là-bas, comme chacun sait, parlent français. D’ailleurs, preuve par neuf, j’avais peu de demandes pour McGill, comme par hasard.

      [...]

      Confronter plusieurs manières d’exprimer la géographie est un exercice absolument captivant et très instructif. Je me souviens de la réflexion de notre collègue Roy Bradshaw (Nottingham) à qui j’avais donné un article qui abordait des questions épistémologiques et didactiques, que j’avais écrit en anglais, et que je lui demandais de vérifier et de corriger ; sa réponse a été :

      "It’s very difficult, Henri ; anyway, we, french and english, we don’t think in the same way."

      Eh oui , Descartes contre Hume... A Leeds, j’ai organisé avec les collègues un staff seminar sur ce problème et j’y ai découvert des tas de choses, comme par exemple que le mot « problématique » n’existait pas en anglais (il paraît que les choses ont changé), que le mot « informatique » n’existait pas (on disait « computer science », mais ça n’a pas le même contenu conceptuel), qu’il ne faut pas traduire « épistémologie » par « epistemology » (extension du concept plus étroite, plus technique), mais par « philosophy of science », et que, comble et peut-être origine d’une grave méprise, il ne faut pas traduite « artificial intelligence » par « intelligence artificielle », le mot « intelligence » ayant le plus souvent en anglais le vieux sens français d’"information".

      Et plus récemment encore, à l’occasion de la soutenance de thèse d’une étudiante libanaise, nous avons eu une discussion passionnante sur des concepts intraduisibles, prolongée la semaine dernière à Beyrouth : le patrimoine (heritage en anglais, mais pas tout à fait avec la même extension) n’a qu’un équivalent très approximatif en arabe : « tourass », et la discussion a continué sur un autre concept, dont Ibn Khaldoun est peut-être à l’origine, « umran », intraduisible en français, mais dont l"équivalent presque judicieux est le mot anglais « settlement » (essayez de le traduire correctement en français... et dites-moi le résultat !).

      Ces discussions ont été fort enrichissantes, elles ont permis de dégager la charge des concepts derrière les mots, de dégager des mentalités collectives (et soit dit en passant, de m’éloigner définitivement du nominalisme et de régler pour mon compte la Querelle des Universaux ; qui disait du concept que ce n’était qu’un « flatum vocis » ?)

      [...] Il faut être absolument bilingue, si possible trilingue, et nos étudiants ne les sont pas assez (pour le dire politiquement incorrect : les étudiants anglophones non plus, du moins ceux à qui j’ai eu affaire ; ce sont, toujours dans le cadre de mon expérience (mais qui porte sur plusieurs centaines d’étudiants en géographie de 15 nationalités), les Allemands qui maîtrisent le mieux plusieurs langues, ainsi que les Suédois - pour ces derniers, l’anglais, rarement le français !)

      Il serait bon, voire obligatoire que dans tous les Instituts de géographie il y ait un enseignement (d’un module au moins) qui soit fait en anglais, et un autre éventuellement dans une autre langue, allemand, espagnol au choix, et que nos étudiants fréquentent les lieux où l’on apprend des langues (à l’Université Saint Joseph de Beyrouth, il y a un Institut Confucius et des étudiants libanais, tous trilingues, apprennent le mandarin).

      [...]

      Et à tous, salve (c’est du latin...)

      Nous terminerons par un deuxième message du géographe qui a été à l’origine de cette discussion passionnante, Michel Vandenbroucke, cette fois plus modéré même s’il continue de montrer quelques signes d’irritation... :

      Ma mauvaise humeur est venue du fait que l’information véhiculée par Géotamtam était rédigée dans la seule langue anglaise, alors que le lectorat est en majorité francophone. Je pense qu’il y a là quelque chose d’inconvenant et, à la limite, de cuistre.

      Je suis tout à fait d’accord pour que Géotamtam s’exprime aussi en anglais et même, si l’opportunité s’en présente, dans une autre langue par exemple en italien, en espagnol ou en allemand.

      Une des convenances voudrait, à mon avis, que l’on fasse un effort, au sein de l’Union Européenne, pour s’adonner aussi à la pratique des langues de voisinage.

      Je ne rechigne pas à m’attaquer à un texte en anglais que je pense dans l’ensemble maîtriser assez bien. Je ne prône aucunement la primauté du français ni ne prétend à sa supériorité.

      Mais nom d’une pipe ne peut-on tout de même recevoir en France, d’un groupe francophone quelque chose qui soit aussi rédigé en français !

    • En même temps, on peut entendre la crainte (justifiée ou non) de certains chercheurs ? Il y a un paquet de travaux qui ne sont publiés qu’en anglais. Pour reprendre l’exemple du latin cité plus haut, c’était la langue pratiquée par l’Église (et non comprise par les illettrés) pour asseoir son autorité. Pour le dire un peu vite, n’est-ce pas une façon de limiter l’accès au savoir que de le limiter à une seule langue... c’est une question, hein.

    • Les échanges ont continué (un peu) aujourd’hui, avec encore des idées intéressantes : Gabriel Vatin, auteur du « message originel » si je puis dire écrit :

      Comment se retrouver initiateur d’un buzz sans le vouloir ? C’est drôle de recevoir tant de courriels, tous très intéressants, sur un débat auquel je n’avais pas du tout pensé. Et maintenant, on en parle sur la toile :

      http://94.seenthis.net/tag/person:gabriel%20vatin

      [...]

      bravo à toutes et à tous pour vos messages riches en anecdotes et vos points de vue si variés !

      [...]

      Selon moi, une liste de diffusion francophone est un outil de partage d’événements, que ceux-ci soient organisés en français ou dans autre langue. C’est pour cela que j’ai diffusé cette information sur Géotamtam, après tout !

      Je vous promets de faire mes prochaines annonces en français, même si l’évènement organisé est en anglais ! Quitte à ce que l’orateur ait une mauvaise surprise au moment de prendre la parole devant le public...

      Mon point de vue sur le sujet : l’anglais est pour moi, comme pour la majorité des chercheurs, une langue fondamentale pour me faire lire. Certes, le monde de la recherche francophone peut écrire en français, pour écrire, mais si l’on cherche à se faire lire et avoir les échanges les plus intéressants, l’anglais est assez important. Après tout, quelle déception quand je trouve un article qui semble intéressant... mais écrit en russe !

      Jean-Yves Puyo, de l’université de pau ajoute :

      Je suis partisan moi aussi de la diversité linguistique. C’est ce que nous essayons de faire au sein de la commission Histoire de la Géographie de l’UGI, avec mon président (Espagnol) et mon vice-président (Anglais). Ainsi, lors des sessions « régionales » que nous co-organisons, nous prônons bien sûr l’usage les deux langues officielles de l’UGI (l’Anglais mais aussi le Français, si, si) et la langue du pays qui nous accueille.

    • Une réaction tardive en forme de proposition, qui vient de Charlotte Prieur (enseignante à l’université de paris IV)

      Comment aider nos étudiants géographes à mieux maîtriser la langue anglaise ?

      L’UFR de géographie et aménagement de Paris IV, organise depuis plusieurs années maintenant des cours de géographie en anglais pour les étudiants, plutôt que de laisser ce soin aux UFR d’anglais (la versification shakespearienne retenant peu l’attention de nos étudiants géographes).

      On se doute que la plupart des universités sont désormais fortement incitées à le faire et que les collègues en charge de ces cours rencontrent les mêmes types de difficultés que nous : niveaux très hétérogènes des étudiants, pas de manuel d’anglais de spécialité géographie, développer la pratique orale dans des classes souvent fournies, quête d’une revue de géographie en anglais qui serait accessible à nos étudiants (à Paris Sorbonne, on penche pour Focus on Geography plus que pour Geographical)...

      Il existe en même temps de belles opportunités : magnifiques conférences en ligne de géographes anglophones, manuels de premier cycle anglophones assez époustouflants (Introducing Human Geographies par exemple), et mise à disposition des mooc (massive open online courses) qu’il faut apprendre à sélectionner et utiliser à bon escient.

      Que ceux qui sont intéressés par ces questions n’hésitent pas à s’inscrire en envoyant un message à geographyinenglish@googlegroups.com