person:georges didi-huberman

  • Peuples exposés (à disparaître)
    Georges Didi-Huberman
    https://www.cairn.info/revue-chimeres-2008-1-page-21.htm

    Dans cette situation, le désespoir lucide — le « pessimisme », la « tristesse », dit simplement Benjamin — consistait à reconnaître que l’histoire lisible par le plus grand nombre est d’abord écrite par les vainqueurs, par cet « ennemi [qui] n’a pas fini de triompher » et dont le « butin » risque très vite d’être identifié avec tout « ce qu’on appelle les biens culturels. Mais Benjamin savait bien — et nous le savons aujourd’hui encore, s’agissant de notre propre contemporanéité — qu’en face ou en marge de cette « tradition des vainqueurs » qui nous ment, une moins lisible « tradition des opprimés résiste, survit et persiste. Tradition des peuples dont l’historien, le penseur comme l’artiste auraient pour charge, « à rebrousse poil », de réexposer l’exigence. Il me semble très probable que la situation de désespoir historique où se trouvait Benjamin quand il écrivit ces lignes conditionne en grande partie le paradoxe majeur de ses formulations pour une telle exigence.

  • Où va donc la colère ?, par Georges Didi-Huberman
    https://www.monde-diplomatique.fr/2016/05/DIDI_HUBERMAN/55440

    Soulèvement, insurrection, révolte : le feu de la colère suscite un événement imprévisible, qui, entre fête et violence, entre allégresse et ressentiment, est toujours susceptible de bifurquer ou de se dévoyer, s’il n’est pas simplement écrasé ou canalisé par l’autorité contre laquelle il s’est dressé. C’est dire que révolte n’est pas synonyme d’émancipation.

    #révolte #insurrection #révolution #fascisme

  • Sortir de terre

    Georges Didi-Huberman

    https://lavoiedujaguar.net/Sortir-de-terre

    Texte prononcé par Georges Didi-Huberman, sous forme de lettre adressée au cinéaste Filippos Koutsaftis, lors de la projection du film La Pierre triste au musée du Louvre le 18 octobre 2013, en présence du cinéaste.

    Cher Filippos Koutsaftis,

    J’ai commencé hier à vous écrire une lettre, je voulais trouver quelques mots pour vous dire — essayer de vous dire — la nécessité de partager mon émotion devant votre film La Pierre triste. J’étais en voyage. Difficile de se concentrer. En sorte que ma lettre restera suspendue, incomplète, trop impressionniste je le crains. Le seul avantage de cette situation, c’est que les spectateurs ici présents au Louvre pourront voir votre film sans trop tarder, sans passer par de trop, trop longs commentaires.

    Vous êtes allé pendant douze ans, de 1988 à 2000, tourner à Éleusis. Sans cesse vous y êtes retourné. Votre film La Pierre triste se présente d’abord comme le journal — au jour le jour, au mois le mois, à l’année l’année, à la nuit la nuit — de ce tournage en forme d’obstiné retour. (...)

    #Grèce #Éleusis #mystères #film #Filippos_Koutsaftis #Georges_Didi-Huberman #Walter_Benjamin #archéologie #mémoire #pierre #résistance

  • « Soulèvements » : les raisins de la colère Nicolas Mavrikakis - 15 Septembre 2018 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/536707/soulevements-les-raisins-de-la-colere

    À la Galerie de l’UQAM jusqu’au 24 novembre et à la Cinémathèque québécoise jusqu’au 4 novembre

    Cela tournera-t-il bien ? On voudrait le croire. Mais cela risque en fait de bien mal tourner. Les soulèvements révolutionnaires — ainsi que le tourbillon social et esthétique qu’ils incarnent — sont souvent fauchés, interrompus dans leur élan.

    Même si la brèche ouverte par ces moments d’#insurrection se referme rapidement, ils ont néanmoins une puissance quasi indéfinissable et ô combien enlevante, inspirante, exaltante… C’est de cela que parle l’exposition Soulèvements présentée ces jours-ci à la Galerie de l’UQAM.
    Ceux qui ont participé au printemps des carrés rouges en 2012 ont entraperçu, à l’échelle de la société québécoise plutôt pacifique et posée, de quoi il peut en retourner. Pourtant, le pouvoir et bien des médias ont tendance à construire une #image extrêmement négative de ces moments de soulèvement et de ras-le-bol, où explose le sentiment justifié d’injustice.


    Suzy Lake, « Pre-Resolution : Using the Ordinances at Hand #11 », 1983. Collection Shanita Kachan et Gerald Sheff.

    Ce n’est pas le cas du théoricien Georges Didi-Huberman, commissaire de cette expo. Après avoir travaillé sur les représentations des lamentations, sur l’image du #peuple en larmes, concept qu’il a interrogé dans sa série de livres intitulée L’oeil de l’histoire ainsi que dans une exposition, voici qu’il a l’élan de réfléchir aux soulèvements. Comme il l’expliquait lors du colloque qui lui fut consacré le 7 septembre à l’UQAM, nous vivons « de sombres temps », d’autant plus sombres que la gauche ne semble pas se remettre d’un abattement profond. Les titres des livres de bien des penseurs et auteurs sont depuis longtemps dépressifs : Mélancolie de la gauche d’Enzo Traverso, Dépossession de Judith Butler et Athena Athanasiou, Confiscation de Marie José Mondzain… Sans oublier le roman Soumission de Houellebecq.

    Émotions devant la constellation précaire des soulèvements
    Didi-Huberman montre, à l’opposé, comment, dans le soulèvement, résident une #force et une #intelligence indestructibles qui survivent à son affaissement. Une force qui — pour suivre la pensée de Freud — est le signe que le désir est indestructible. Didi-Huberman se refuse d’ailleurs à définir ce concept de soulèvement ou à réduire les soulèvements à une iconographie particulière. Il fait bien. Il trouve que la pensée doit fonctionner par constellation d’images. Cette expo se dévoile donc comme des éclats, des fragments de soulèvement à travers lesquels le visiteur devra se promener afin de ressentir une histoire des #opprimés qui n’est absolument pas défaitiste.

    Des sections permettent au visiteur de bâtir des pistes de lecture :
    I. Par éléments (déchaînés) ;
    II. Par gestes (intenses) ;
    III. Par mots (exclamés) ;
    IV. Par conflits (embrasés) ;
    V. Par #désirs (indestructibles).
    Le visiteur pourra y voir comment ces moments de révolution se jouent autour de motifs, d’actions. Il y verra aussi bien des femmes courageuses, effectuant entre autres des marches contestataires — pensons à ces images montrant les « Mères de la place de Mai » défilant à Buenos Aires chaque semaine entre 1977 et 2006 afin de savoir ce qu’il en était de leurs enfants, tués par la dictature militaire.

    On y voit aussi comment dans ces soulèvements prolifèrent des documents — #affiches, #tracts, #dessins, #gravures — qui défient le pouvoir qui veut faire taire le peuple et souhaite effacer les traces de ces révoltes… Et comment les soulèvements puisent dans la mémoire à travers des images ou des représentations anciennes. C’est entre autres le cas avec l’adaptation d’Antigone par #Brecht.
    Ce n’est donc pas une expo didactique ou doctrinaire. Ce n’est pas non plus un petit guide pratique pour révolutionnaires. C’est une expo emballante, intelligente pour qui voudra s’y plonger et croire en l’humanité. Une expo qui demande de faire des liens entre les images et les époques, entre des contextes sociopolitiques très différents, entre des événements majeurs et mineurs, sans pour autant prétendre à une universalité théorique.


    Photo : Alain Chagnon « C’est à la femme de décider [Manifestation d’appui au Docteur Morgentaler] », 1974

    Cette expo est une célébration de la révolte dans son caractère indéfinissable, mais aussi une célébration de l’art, de la création qui défie l’oubli par la production d’images. Une expo qui souligne aussi le travail du chercheur. On y saisira bien comment les documents historiques permettent de défier ce silence dont nous parlions, ce silence que les puissants imposent aux petites voix de ce monde. Il faut aussi et surtout voir cette exposition tout simplement parce qu’on y trouve des oeuvres bouleversantes.

    C’est le cas de cette vidéo intitulée Idomeni, 14 mars 2016 de Maria Kourkouta, qui dévoile la marche des migrants à la frontière gréco-macédonienne, ou de ces quatre photos prises par des prisonniers dans le camp de Birkenau… L’image a bien mauvaise presse de nos jours. On lui confère tous les défauts. Cet événement lui réattribue une mission plus noble, qu’elle n’a en fait jamais perdue.

    Il a été reproché à cette exposition d’esthétiser la révolte. Ce n’est pas la première fois que l’on souhaite condamner Didi-Huberman. Son travail privilégierait l’image par rapport au réel. Par exemple, le cinéaste Claude Lanzmann lui reprocha sonlivre Image malgré tout (2003), qui appuierait une vision réductrice de la Shoah à travers ses images. C’est bien mal le comprendre. Didi-Huberman place l’#image au coeur de la pensée.

  • Migration : Sous nos yeux, ils demandent à passer

    https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser-avec-frederic-worms/sous-nos-yeux-ils-demandent-a-passer-0

    Frédéric Worms s’entretient avec le philosophe et historien de l’art

    Georges Didi-Huberman de son ouvrage "Passer, quoi qu’il en coûte" co-écrit avec Niki Giannari (Minuit, 2017).
    Idomeni, frontière entre la Grèce et la Macédoine, mars 2016
    Crédits : Maria Kourkouta

    « Ils », ce sont eux, les « migrants », ils demandent « seulement à passer » comme le dit Nika Gianniri dans le poème qui ouvre le livre qu’elle partage avec Georges Didi-Huberman. Leur livre « du passage » à eux, face à ce passage arrêté, bloqué, ce laissez-passer refusé, cette Europe murée, ici, à Idomeni au Nord de la Grèce. Une cinéaste, une poète qui travaille dans une association, et l’historien des images passantes, survivantes, résistantes, s’unissent pour nous donner à penser ce passage. Nous permettre de le voir. Car cela se passe sous nos yeux, littéralement sous nos yeux et nous ne le voyons pas. Avec en arrière plan tous les passages bloqués, les « spectres qui hantent l’Europe ». L’auteur du « livre des passages », Walter Benjamin, qui se suicide en 1940 à Port-Bou, ville frontière d’un autre temps d’arrêt. Surimpression des images. Regardons « les ». Leur passage, c’est le nôtre. Le temps des laissez passer est revenu.

    Georges Didi-Huberman : Comme dit Hannah Arendt des réfugiés "ils sont notre avant-garde". Ils sont notre passé et notre futur.

    Il n’est pas d’image qui ne soit migrante. Toute image est une migration. Les images ne sont jamais autochtones.

    On pourrait dire que mon idée fixe, c’est le mouvement. Notre tragédie politique aujourd’hui ce sont les mouvements empêchés.

    Il y a des choses qui sont et ces choses qui sont ont, à chaque moment de leur existence, la traîne de leur mémoire et la dynamique de leur futur qui arrive.

    L’art du désir ne doit jamais oublier l’art de la mémoire. L’art de la mémoire ne doit jamais oublier son art du désir.

    #migrations #réfugiés#asyle #frontières #murs #documentaires

  • [Guide de lecture] #Photographie – Période
    http://revueperiode.net/guide-de-lecture-photographie

    La photographie est un objet d’#étude particulièrement instable, qui se situe quelque part entre la peinture et le film, l’art, la science et le travail. De plus, les concepts marxistes – marchandise, classe et idéologie – ont façonné une grande partie de l’historiographie universitaire, sans pour autant que les études produites soient nécessairement sciemment marxistes. Par exemple, comment caractériser une #œuvre aussi importante qu’Images malgré tout de Georges Didi-Huberman (2003) ou encore certaines des meilleures histoires sociales de la photographie telles que A.A.E. Disdéri and the Cartes de Visite Portrait Photograph (1985) d’Elizabeth Anne McCauley, ou son Industrial Madness : Commercial Photography in Paris, 1848-71 (1996) ? Il serait impossible d’exposer l’ensemble des éléments en jeu dans le cadre d’une bibliographie marxiste du sujet et je me suis donc limité aux auteurs qui s’identifient comme marxistes, ou du moins qui s’identifiaient eux-mêmes comme tels au moment de la rédaction de leurs études. Cela dit, ce qui va suivre est sans aucun doute moins strict qu’il n’y paraît.

  • L’utilisation des images au cœur de l’affaire du quai de Valmy

    http://www.liberation.fr/debats/2017/09/28/l-utilisation-des-images-au-coeur-de-l-affaire-du-quai-de-valmy_1599649

    Le procès de l’attaque d’un véhicule de police s’est achevé mercredi. Des spécialistes de l’image dénoncent le poids des photos et des vidéos et rappellent qu’il faut toujours confronter ces procédés à d’autres discours.

    Pour en avoir côtoyé un grand nombre, pour les mettre en scène ou les créer, nous savons qu’une image ne vaut rien en elle-même, qu’elle est indissociable d’un discours, d’un montage, d’autres images. Si certains militants ont qualifié cette affaire de montage policier, nous pouvons reprendre le mot à notre compte : l’enquête de police n’est rien d’autre qu’un montage photo dérisoire, marqué par quelques flèches rouges ici et là, pointées vers une chaussure ou un « regard cerné » sous une cagoule, comme pour dire : « La vérité est ici et pas ailleurs. »

    Premiers signataires : Eric Baudelaire, plasticien, cinéaste ; Nicole Brenez, professeur en études cinématographiques ; Dominique Cabrera, cinéaste ; Laurent Cantet, cinéaste ; Carmen Castillo, cinéaste ; Sylvain Creuzevault, metteur en scène ; Émilie Deleuze, cinéaste ; Marie Desplechin, romancière ; Georges Didi-Huberman, philosophe et historien de l’art, EHESS ; Yann Gonzalez, cinéaste ; Patrick Grandperret, cinéaste ; Alain Guiraudie, cinéaste ; Nicolas Klotz, cinéaste ; Marie-José Mondzain, philosophe ; Gérard Mordillat, romancier et cinéaste ; Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales, ENS de Lyon ; Océanerosemarie, auteure et comédienne ; Jean-Gabriel Périot, cinéaste ; Jean-François Sivadier, metteur en scène ; Tardi, dessinateur-auteur de BD ;

    • Décembre 2016.
      Je visionne « Peuples en larmes, peuples en armes », l’analyse du Potemkine d’Eisenstein par Georges Didi-Huberman. Dès la première des dix leçons, je me sens libérée : le philosophe de l’image réhabilite le pathos comme dialectiquement lié à l’action et à la révolte.
      Je revois la scène du landau qui dévale l’escalier tandis que les cosaques chargent la foule.
      Je comprends soudain comment ce signifiant « poussette » a pu condenser pour moi la mort, l’effroi et la culpabilité.
      GDH déroule sa thèse : « Ce que Potemkine raconte c’est "la puissance d’un peuple au cœur de son impouvoir". »
      Je pleure enfin sans honte, toute censure sur la peur levée. Non, l’effroi ressenti au retour de Nice ne m’exclut pas de la communauté de ceux qui luttent pour une société moins injuste. Quand elle est accueillie, la peur perd son pouvoir paralysant. L‘injonction d’être héroïque, formulée si tôt dans mon enfance, tombe alors comme une feuille morte. Je peux sécher mes larmes et revenir dans le cercle. On n’est pas coupable d’être vulnérable.

      La poussette Potemkine

    • Et je ne résiste pas très bien à révéler in fine que celle qui s’appelle J. dans ce récit ( https://seenthis.net/messages/546472 ) de Qui ça ? n’est autre que José Morel-Cinq Mars, donc la très remarquable auteure de ce texte de la Poussette Potemkine , comment j’ai pu la confondre avec cet ostrogoth nigérian qui s’est servi du mail de J. pour se faire passer pour José Morel-Cinq Mars ? Ce jour-là je devais avoir quelques circuits de débranché.

  • [Soulèvements] La révolte n’est pas une expo d’art
    https://paris-luttes.info/home/chroot_ml/ml-paris/ml-paris/public_html/local/cache-gd2/74/f8a64225377ca036b0984c620560fb.jpg?1482158798
    https://paris-luttes.info/soulevements-la-revolte-n-est-pas-7276

    Depuis le 18 octobre, et jusqu’au 15 janvier 2017, avec l’expo « Soulèvements », la bourgeoisie parisienne se donne des frissons au Jeu de Paume, centre d’art institutionnel subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication ainsi que par des mécènes privés plutôt fortunés et pas tellement connus pour leurs désirs de renverser le système capitaliste (la banque Neuflize OBC et l’entreprise d’horlogerie de luxe Jaeger-LeCoultre).

    #art #bourgeoisie #soulèvements

    • L’approximation politique de l’exposition est cependant révélée dès le départ par l’image de couverture du catalogue : alors que pratiquement toutes les images « politiques » présentées font partie du spectre « de gauche », la photo de couverture est prise du côté réactionnaire puisqu’on y voit des émeutiers unionistes, favorables à la présence du pouvoir britannique en Irlande du Nord... Bonjour la confusion des genres, mais il faut croire que ce qui a compté avant tout, c’est le swag des lanceurs de pierres plus que leurs objectifs politiques. C’est d’ailleurs confirmé explicitement par Georges Didi-Huberman dans une interview à RFI : « ils sont d’une beauté extraordinaire ». Ha bah dans ce cas...

      C’est curieux, je me tenais un semblable discours en visitant cette exposition ( https://seenthis.net/messages/541005 ) je oyais bien qu’il y avait récupération esthétique, mais je ne trouvais pas le flagrant délit de contresens, à part, par exemple, de trouver une pilote de numéros de Tiqqun sous cloche comme des fétiches. Mais cet exemple des lanceurs de pierres irlandais est remarquable.

      Quelle déception pour moi de la part d’un tel penseur, Didi-Huberman, quand même !

    • D’accord avec cette critique politique de l’expo.
      Mais les artistes ont de quoi l’avoir mauvaise aussi, qu’un historien « de l’art » instrumentalise ainsi les œuvres exposées pour servir d’abord et avant son propre discours. Il tartine ses théories en gros pavés partout sur le mur, comme si les œuvres en question n’étaient pas capables de parler toutes seules...
      Il suffisait d’ailleurs d’entendre la promo de l’expo à la radio pour comprendre. L’argument phare, ce n’était même pas un résumé clair et succinct de ce que l’expo entend dire des « soulèvements » (sans doute parce qu’elle n’en dit pas grand chose d’autre effectivement que « c’est d’une beauté extraordinaire »...). C’était : « Didi-Huberman fait son expo ». Autrement dit le Commissaire prime sur les œuvres, sur les artistes, sur le contenu.
      Donc : le commissaire fait sa promo perso. Le jeu de paume s’occupe du marketing. Les médias, à ce que j’en ai vu, ont du mal à exprimer leurs réserves. Si bien qu’on est pas mal à s’être fait avoir.
      Taguer leurs affiches dans ce contexte, je trouve que c’est presque leur faire trop d’honneur.

  • Soulever le monde
    http://www.monde-diplomatique.fr/2016/12/PATAUD_CELERIER/56905 #st

    Historien de l’art et philosophe, attaché à travailler la représentation des peuples et à réhabiliter le pouvoir actif des émotions, Georges Didi-Huberman décline dans cette exposition — et dans le catalogue qui la prolonge — le répertoire des signes de la révolte.

    Des mille façons d’« encorporer » la colère, il dresse quelques typologies, selon que l’expression passe par le geste, le mot, etc. Division artificielle, sans doute, pour qui manifeste au pied levé et au pied du mur son courroux. Pour autant, se dégage au fil de ces deux cent cinquante images (dessins, photographies, peintures, de Francisco de Goya au cinéma contemporain en passant par Henri Michaux et Sigmar Polke) une gestuelle de l’émeutier. Ses équations corporelles — jambes instables, poings levés, corps en déséquilibre — sont autant de figures esthétiques de ce qui nous soulève, forces psychiques, sociales, physiques. Et il apparaît alors que, peut-être, inventer des images contribue « ici modestement, là puissamment, à réinventer nos espoirs politiques ».

    « Soulèvements », exposition au Jeu de Paume, Paris, 18 octobre 2016 - 15 janvier 2017. Georges Didi-Huberman (sous la dir. de), Soulèvements, Gallimard - Jeu de Paume, Paris, 2016, 420 pages, 49 euros. http://soulevements.jeudepaume.org

    http://zinc.mondediplo.net/messages/44816 via Le Monde diplomatique

  • Je m’interroge sur la signification d’une exposition intitulée Soulèvements , dont le thème est donc celui de la révolte ou de la révolution, laquelle se tient au Jeu de Paume, c’est-à-dire dans un lieu porteur d’une symbolique émancipatrice — n’est-ce pas au Jeu de Paume que le Tiers Etat a prêté serment, en 1788, de ne pas se dissoudre avant d’être effectivement convoqué par le Roi —, aujourd’hui le lieu d’une institution culturelle d’Etat, la signification d’une exposition qui fait la part belle aux représentations du soulèvement notamment contre le joug social, dans l’accession à la violence notamment, et le tout est servi par une muséographie à la fois érudite et polissée, tout en revendiquant que le thème soit d’actualité, si c’est celui du soulèvement, oui, indéniablement si celui de ses représentations, je ne sais pas s’il est d’actualité tant justement je doute beaucoup que ce qui tient de la volonté du soulèvement actuel ne semble pas avoir encore rencontré le désir de quelques artistes de se poser la question de ce soulèvement, d’un côté l’absence de génie ou de talent dans des assemblées constituées spontanément et peu d’enflammées, créations graphiques dérisoires quand ce n’est pas littéralement suivistes d’une certaine idée mercantile de la communication visuelle, de l’autre des artistes officiels habitués à quelques moyens et à leur maniement et qui, justement, dans la pleine disposition de tels moyens ne semblent pas très désireux de s’éloigner des institutions qui paraissent surtout garantir leur confort. (https://seenthis.net/messages/461146 )

    Alors oui, cela fait toujours plaisir de revoir les films tracts de Jean-Luc Godard, les séquenceurs des ateliers animés par Chris Marker en mai 68, cela procure un vrai plaisir esthétique de voir tout ceci dans le voisinage d’encres d’Henri Michaux ou même de photographies des élevages de poussières de Man Ray, ou encore de regarder sous un drap un daguérotype des barricades de la Commune, tout cela très bien, mais dans quel ordre, dans quelle rigueur muséographique qui paraît surtout étouffer toutes possibilités de débordement d’une œuvre sur une autre, qui place à égale valeur une œuvre authentiquement révolutionnaire ou révoltée, à côté d’une photographie d’Henri Cartier-Bresson parti en reportage à l’école des Beaux-Arts en mai 1968, quelle sagesse, quel détournement finalement et enfin, quelle domestication ! Et c’est d’autant plus étonnant en fait de la part de Georges Didi-Huberman qui avait su être tellement créatif à Tourcoing et au Palais de Tokyo pour présenter un collage d’une très grande vigueur pour son exposition des Nouvelles histoires de fantômes , c’est dire la mesure de la déception à la visite de cette exposition proprette et tellement didactique qui serait presque un manuel contre révolutionnaire, qui dans un premier temps, sous couvert d’une certaine poétique qui n’est pas sans regarder du côté de Face à l’insoutenable d’Yves Citton et notamment cette notion de révolte par le geste, s’emploie à rechercher dans les formes qui précèdent les grandes révoltes le grain même de la révolution, un peu à la manière d’une prévision météorologique, pour, ensuite, documenter avec un vrai souci d’exégèse presque, les répressions et les échecs historiques du soulèvement. Et étant donné le public, a priori, d’une telle exposition, il est légitime de se demander si le but presque recherché d’une telle exposition n’est pas celui de rassurer s’agissant des soulèvements, les dynamiques sont scrutées comme pour les déceler en formation et les répressions sont documentées comme pour édifier et refroidir, ou, donc, rassurer, rassurez-vous braves gens, ça ne finit presque jamais bien.

    Une telle façon de faire aboutit au résultat facile à deviner, les éléments de la révolte sont sous cloche, on peut les voir et les écouter, mais pas les toucher, on peut en contempler la beauté sans danger comme on se régale de la fourrure du tigre en étant abrité de ses griffes, les poisons du soulèvement sont parfaitement cernés dans des contenants eux-mêmes protégés, ainsi un exemplaire de la revue Tiqqun est dans un vitrine, comme, finalement, on exposerait un exemplaire original de la première édition de Mein Kampf dans une exposition à propos de la destruction des Juifs d’Europe, cela devient un fétiche — un jour il faudra qu’on m’explique quelle est la valeur d’une telle pièce dans une telle exposition, le livre fermé, intouchable, et pourquoi le même livre ne peut pas être accessible en bibliothèque ou en librairie et être lu pour ce qu’il est, un objet historique, et non en faire, un fétiche ce qui le rend infiniment plus dangereux, je dois dire que je n’ai jamais compris pourquoi on faisait de la sorte. Quant à la librairie de l’exposition, certes on y trouve de nombreux livres de la Fabrique parmi lesquels L’insurrection qui vient du Comité invisible, mais pas À nos amis des mêmes. Et le catalogue de l’exposition, qui a l’air très bien fait, est à un prix pas très révolutionnaire de 50 unités de monnaie européenne, ce qui est, faut-il le préciser, assez cher pour une exposition collective.

    Certes l’exposition des Soulèvements n’est pas l’encanaillement des installations de Thomas Hisrchorn ( http://www.desordre.net/blog/?debut=2014-05-25#3075 ) mais cela reste décidément très propret dans sa présentation. Et donc un peu cher d’accès.

    Exercice #18 de Henry Carroll : Vous êtes Elvis, quelle est votre dernière photographie

    Question stupide, réponse...

    #qui_ca

  • https://www.franceculture.fr/emissions/les-regardeurs/ce-qui-nous-souleve


    Interview de didi huberman à propos de son expo « Soulevements » au Jeu de Paume (Paris)

    http://soulevements.jeudepaume.org

    L’exposition « Soulèvements » -est une interrogation sur la représentation des peuples, au double sens — esthétique et politique. Comme pour l’exposition -« Atlas », Georges Didi-Huberman s’appuie sur le travail historique et théorique qu’il mène depuis quelques années en parallèle d’une série d’ouvrages intitulés L’Œil de l’histoire et dont les derniers affrontent la question de -l’« exposition des peuples » ainsi que de l’émotion en tant qu’elle serait à ne pas exclure d’une anthropologie politique.

  • Première fois que je retourne à la piscine depuis des lustres, non pas des lustres, mais des mois, oui. La piscine ne me punit pas trop sévèrement de cette désertion, je parviens à faire mon aquatique kilomètre, un peu sans force à la fin, mais jusqu’au bout malgré tout.

    Du coup, les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs de piscine, l’idée de reprendre toutes les mentions de ces choses auxquelles je pense en faisant mes longueurs de piscine, ce qui finissait par devenir une catégorie en soi dans la rubrique Contre . http://www.desordre.net/bloc/contre/index.htm

    #40.

    Ma mauvaise humeur ne doit pas être si soluble que cela dans l’eau, ce qui est heureux, sinon tous les autres nageurs de la piscine finiraient par brasser de l’encre de Chine.

    #47.

    M’élançant seul, premier arrivé, dans le grand bassin olympique de la piscine de Montreuil, je ne peux m’empêcher d’être pris d’un frisson grandiloquent, toute cette eau pour moi seul, et ce faisant je me livre à un rapide calcul 50 x 20 x 3 = 3000 mètres cubes d’eau, soit trois millions de litres d’eau tout de même. C’est souvent que je fais du calcul en nageant, ainsi le nombre de carreaux au fond de la piscine doit équivaloir au nombre de pixels du premier envoi d’images auquel j’ai assisté en 1987. Si je savais remettre la main sur ce fichier, on pourrait proposer à la piscine de Montreuil, lors de leur prochaine vidange des trois millions de litres d’eau, de repeindre chaque carreau tel un pixel. La mairie de Montreuil pourrait organiser un concours, envoyez votre image de 10 kilo-octets pour le fond de la piscine Colette Besson. Pour ma part je leur enverrais bien une photo aérienne du bassin en question, mais c’est moi bien sûr. D’ailleurs la saison prochaine, après la vidange annuelle, chacun pourra constater que j’ai gagné le concours. Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs de piscine.

    Vers la fin de mon kilomètre, l’affluence est nettement plus forte et certains dépassements occasionnent bien des tourbillons et alors, je me dis que nous sommes peut-être une petite cinquantaine de nageurs à faire des longueurs, cela fait quand même quelques remous, il devrait y avoir un moyen de récupérer un peu de cette énergie non ? Une mini centrale hydro-motrice. Sans compter l’inénarrable barbotage des mamies dans le petit bain au son d’un disco d’un autre âge. Est-ce que les remous des mamies ne pourraient pas alimenter une petite batterie laquelle prendrait en charge la dépense électrique de la sono et du disco ? Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs à la piscine.

    N’empêche dans ce groupe de femmes, majoritairement, âgées je croise le regard d’une amie de longue date, nous nous sommes rencontrés aux Arts Déco, je sais son combat récent et je la trouve bien courageuse dans sa régularité, le soir j’ironise, son sens de l’humour est intact, en lui envoyant un mail pour lui dire que depuis le temps que je rêvais de la voir en maillot de bain. N’empêche, c’est vrai, j’ai un peu de mal à me dire qu’il s’agit de la même personne que j’ai connue tellement jeune et qui désormais barbote avec les mamies du mardi midi, je crois qu’il n’y a pas de mot pour décrire mon vertige tandis que je sors de la piscine de Montreuil, entré dans l’eau en conquérant d’un bassin olympique, et sortant écrasé par la perspective fuyante du temps : je suis donc rentré aux Arts Déco il y a vingt sept ans. Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs à la piscine.

    #59.

    Pensée profonde du jour : après une matinée à faire de la feuille de calcul, le spectacle, en nageant, du carrelage de la piscine n’est pas la meilleure récréation qui soit.

    Corollaire à cette pensée, est-ce qu’avec un bon vidéo projecteur, on ne pourrait pas nous passer des films (muets, forcément muets) au fond de la piscine.

    Lot de consolation : le soleil en entrant par les larges baies vitrées crée de très beaux dessins lumineux difractés par l’agitation de la surface de l’eau, je les mémorise et l’après-midi, de retour au travail, je m’évertue de les superposer mentalement à mes feuilles de calcul.

    #201.

    Chaque année, prendre la résolution de tout écrire dans son agenda, les kilomètres parcourus à la piscine, les livres lus, les films et les spectacles vus, les concerts et les disques écoutés et les expositions visitées. Et à la fin de l’année faire le bilan comptable de cette activité contre. Oui, se dit-il, et il le note dans son agenda, dans la colonne des choses à faire.

    #203.

    Les choses auxquelles on pense à la piscine.

    Je fais vingt longueurs de cinquante mètres, mille mètres, un kilomètre. C’est une progression lente, il y a peu je faisais encore du deux à l’heure. Je suis tout juste descendu en dessous de la barre des vingt cinq minutes pour ce kilomètre. Progression lente, coûteuse aussi et il est à peine exagéré de dire que chaque mètre compte, que chaque mètre coûte. Et je compte. Et cela me coûte. Ce n’est pas seulement à chaque virage que je compte. Je compte les demies longueurs, parfois même les quarts de longueurs. Le fond de la piscine est carrelé, je suis souvent tenté d’en compter les carreaux qui défilent lentement sous moi. Ou je les identifie à des pixels. D’ailleurs en comptant longueurs et mètres je me donne des repères en pixels, 400 mètres c’est une image de 400 pixels de large, 700, 725 ce sont les pixels de large pour de nombreuses images du Désordre, 600, 800 aussi et 1000 la nouvelle largeur des images de la Vie, 1000 c’est l’objectif, si lentement atteint à l’image de ces barres de téléchargement qui progressent avec lenteur, kilo-octet à kilo-octet. Et c’est à une barre de téléchargement que je pense quand je nage et que je compte les longueurs que je fais.

    Les choses auxquelles on pense en nageant. Vraiment.

    #223.

    En faisant ses longueurs à la piscine, depuis quelques temps, cela ne lui suffisait plus de boucler la distance impartie, il se battait désormais aussi contre la pendule, l’objectif avait d’abord été de boucler le kilomètre en moins d’une demi-heure, ce samedi après-midi, il tentait de descendre en dessous de 24 minutes, ce qu’il ne parvint pas à faire en dépit d’efforts coûteux qui le laissèrent absolument haletant, peut-être pas au point de se sentir mal, mais asphyxié épuisé cela oui. Tandis qu’il tirait sur ses bras dans les deux dernières longueurs, se faisant violence, il pensa, c’est bien lui, qu’à défaut d’écrire comme Robert Musil, il allait bientôt mourir comme ce dernier d’une crise cardiaque, dans la salle de gymnastique (fin assez décevante et médiocre tout de même pour un auteur comme Musil, mais passons). Et il nageait, la dernière longueur en sprint, pensant à toutes ces figures admirées qu’il pourrait imiter à bon compte, à défaut d’en imiter, même imaprfaitement, le talent, les rides sur le front, comme celles de Samuel Beckett, la carrure de René Char, les angoisses et les crises de désespoir chaque matin comme Pablo Picasso, les bourrades dans les côtes comme Georges Perec, on laisserait de côté, assez vivement, la robe de chambre de Louis-Ferdinand Céline et les collections de papillons de Pierre Bergougnioux, se tenir au garde à vous au téléphone, comme Marcel Proust, régresser au point d’en devenir terriblement réactionnaire comme Keith Jarrett. Et mal vieillir, de façon tellement sénile et stérile, comme Woody Allen. Aller un peu trop loin dans la mise en scène de soi-même comme Edouard Levé. Tout un programme. Les choses auxquelles on pense, bien immodestement, en faisant ses longueurs à la piscine.

    Dans la même journée, tu fais un kilomètre à la piscine, tu vas écouter le concert d’Ervan Parker, et tu finis d’écrire ton article contre les photographies d’Issouf Sanogo. Dans la même journée.

    #236.

    Chaque année ta banque t’envoie deux agendas, deux exemplaires du même agenda, cadeaux commerciaux de pas grand chose. Cette année tu as pris le parti de toute noter dans cet agenda, les lectures, les films, les disques, les concerts, les spectacles, les kilomètres parcourus à la piscine, tout.

    Que tu aies besoin de tenir une comptabilité de tout ceci me dépasse un peu, qu’elle soit rigoureuse, après tout, pourquoi pas ?, mais qu’est-ce qui t’empêche d’utiliser le deuxième agenda, le deuxième exemplaire, pour y noter n’importe quoi, ce qui me passe par la tête ?, oui, pourquoi pas, que le deuxième exemplaire de l’agenda soit l’occasion de tous les débordements possibles de la fiction, tu peux t’y prêter des lectures que tu n’as pas eues, pas encore, des concerts auxquels tu as peu de chance de te rendre, trop chers ou trop loin, des spectacles auxquels tu ne peux que rêver de te rendre et des films que tu as manqués au moment de leur sortie en salle, mens, invente, fais ce que tu veux.

    Et n’oublie pas, de temps en temps, de partir de chez toi en prenant le mauvais agenda, et alors, oblige-toi à vivre ce qui est noté dans l’agenda de la fiction.

    #286.

    Régulièrement quand tu passes par la Croix de Chavaux, par exemple pour aller à la piscine, tu regardes le haut immeuble où tu sais que ton ancienne analyste continue de recevoir ses patients. Tu regardes les fenêtres du dernier étage en repensant à toutes ces photographies que tu as prises de cette fenêtre, de l’agitation de la place, dont tu fais finalement partie, d’en bas, regardant vers les hautes fenêtres.

    Et puis une fois tous les ans, tous les deux ans, tu ressens dans l’étau toujours plus serré de tes propres doutes, le besoin de reprendre rendez-vous auprès de ton analyste. Tu vas la voir pour faire fonctionner devant ses yeux les rouages que tu as découverts dans son cabinet, tu veux t’assurer que tes compréhensions contemporaines sont compatibles avec tes fonctionnements anciens.

    A la fin de cette séance, tu remontes au dernier étage de cet immeuble de sept étages et tu photographies la place de la Croix de Chavaux. Tu détailles du regard les mouvements des véhicules et des passant, le clignotement des éclairages publicitaires, les nuages qui passent, depuis ce point de vue de créateur presque.

    Parfois tu te demandes si d’avoir accès à cet escalier, de temps en temps, pour y monter au dernier étage, ne serait pas suffisant. Tu te sentirais un peu cerné par tes doutes. Tu monterais en haut de la place, photographierait l’agitation et la circulation autour de cette place, et tu te sentirais à nouveau en phase, tu pourrais reprendre ta place dans le manège.

    Et pareillement quand tu reprends contact avec ton ancienne analyste tu retrouves, avec le même plaisir, le catalogue de je ne sais plus quelle rétrospective de Jean-Michel Basquiat. Dont tu dois être, à en juger par le manque d’usure du livre, le seul lecteur. Un lecteur très épisodique.

    #307.

    Et tout d’un coup, le corps plongé dans l’eau de la piscine, c’est comme si je replongeais dans la musique de Stephen O’Malley, plus sûrement les acouphènes d’hier soir se réveillent dès que l’eau vient faire pression sur mes tympans. Dommage c’était une bonne idée, un peu de musique pendant que je nage, tellement mécaniquement, aux confins de l’ennui.

    #308.

    De retour de la piscine, je croise mon amie Daphna, et je peine à croire que cinq minutes plus tard je serais de nouveau prisonnier de l’open space. Daphna que je connais depuis 1986. Tous les deux étudiants aux Arts Décos. Je ne sais pas très bien ce que penserait le jeune homme que j’étais alors de cette situation.

    En tout cas je sais ce que l’homme d’aujourd’hui pense du jeune homme d’alors. Et le simple fait de croiser Daphna me le rappelle instantanément. Ce jeune homme n’était pas brillant. Pas tous les jours.

    Ou dit différemment, de quoi ai-je le plus honte, aux yeux du jeune homme d’alors d’être devenu un employé de banque, un Bartleby, ou à mes yeux d’aujourd’hui, du jeune homme suffisant que j’étais alors ?

    #309.

    Le virage s’est fait l’été dernier. Pendant tout le mois de juillet je suis allé à la piscine tous les jours en sortant du travail et tous les jours j’ai nagé un petit kilomètre. Et pour tout dire, j’avais le sentiment que cet exercice et cette astreinte quotidiens produisaient un affinement du corps, et même réveillaient des muscles ayant insuffisamment travaillé ces dernières années. Je me surprenais à retrouver une force dans les bras que je n’avais plus depuis tellement longtemps. Un peu plus et je contemplais dans le miroir les vaisseaux saillants de mes avant-bras et je me prenais sans doute à rêver qu’encore quelques dizaines de kilomètres et j’aurais de nouveau un corps de jeune homme.

    Et puis, naturellement, ce qui devait arriver arriva, un jour, fin juillet, je me suis fait un claquage. Finie la phase 2 de l’opération Corps de rêve.

    Et pourtant j’ai besoin d’aller à la piscine faire des longueurs, j’en ai besoin pour rester maître de mes difficultés respiratoires. Et c’est déjà nettement moins glorieux. Quand je sors de l’eau, on ne dirait pas Sean Connery dans James Bond contre le Docteur No ou Daniel Craig dans le même appareil, dans Casino Royal, non c’est plutôt au personnage secondaire de l’Autofictif d’Eric Chevillard qui est l’occasion d’haikus mordants que je pense, le Gros Célibataire.

    Le Gros Célibataire sort de l’eau
    à bout de souffle
    avec une échelle.

    Sur l’arrête du nez, la marque rouge des caoutchoucs de mon respirateur.

    Donc ne plus s’illusionner sur l’opération Corps de rêve, et comprendre que la phase 2 a effectivement commencé, c’est la phase dans laquelle il faut faire de l’exercice pour retarder l’arrivée de la grande faucheuse et d’ailleurs il faut que j’arrête de m’illusionner, les baigneuses quand elles me regardent admiratives, ce n’est pas pour la largeur de mes épaules qu’elles ont ont des regards aimables, mais, au contraire elles sont pleines de commisération pour un ce qu’elles prennent, à juste titre, pour un vieil homme (encore) bien conservé.

    Ainsi va la vie à bord du Redoutable.

    #329.

    Chaque fois que je reprends latéralement ma respiration en nageant, je déchiffre, je ne peux m’en empêcher, tout ce qui est écrit sur les murs, les défense de, les ville de Montreuil, les numéros de couloir, tout ce qui est écrit, je finis par le lire, comme d’ailleurs je peux le faire de tout ce qui est écrit sur une boîte de céréales au petit déjeuner, sans doute pour rompre avec l’ennui des longueurs de piscine.

    Ils attendent quoi exactement à la piscine de Montreuil pour couvrir les murs de Haïkus ?

    #332.

    Ca y est, ils m’ont enfin entendu à la piscine de Montreuil, ils ont tendu un immense écran de toile. En revanche je doute beaucoup que ce sera pour projeter des haïkus ou encore Film de Samuel Beckett, en tout état de cause, la prochaine fois que j’irai à la piscine le projecteur sera en état de marche et on devrait, en toute logique, m’entendre pester sur le fait que le programme projeté n’est pas à mon goût.

    Comment est-ce que je peux encore tomber dans de tels panneaux.

    #345.

    Tandis que les portes de la piscine ouvrent pour son public du midi, salariés qui vont faire quelques longueurs sur le temps de pause du midi et mamies du disco aquatique, reflue une petite foule de jeunes adultes handicapés, tous ou presque un immense sourire aux lèvres, on sent que cela leur fait plaisir la piscine, l’un d’eux s’égare dans les douches sa démarche chaloupée et mal habile parfaitement en rythme de la musak diffusée par la radio de la piscine.

    #347.

    A la piscine tu es dépassé dans ta ligne par un groupe de torpilles humaines, tu en prendrais presque ombrage d’être pareillement doublé, es-tu si lent ?, puis tu remarques l’étonnant équipement de ces nageurs plus rapides, des palmes et des prothèses aux mains pour augmenter la force de brassage sans doute. Et dire que tu pensais que le seul équipement nécessaire à la nage était un maillot de bain (facultatif dans les rivières des Cévennes quand on est entre soi et quel plaisir).

    Tu repenses, à ces types qui descendaient les pentes du Puy de Sancy sur leur vélo tout terrain, leur équipement était celui que tu aurais prêté à des motards tout terrain, certains d’entre eux portaient au dessus de leur casques de petites caméras et filmaient leur descente depuis ce point de vue privilégié. Nul doute que les vidéos réalisées étaient le soir-même sur les plates-formes de partage de vidéos.

    Et tu avais ri à cette idée que ces petites vidéos étaient littéralement des surmoi.

    #357.

    A la piscine, ma volonté commande à mes bras de tirer plus fort dans l’eau, pour éprouver mes poumons, lesquels tentent de se faire entendre auprès de ma volonté qui s’émousse un peu, mais tient bon, tant que le kilomètre ne sera as parcouru pas de répit pour les bras et les épaules qui à leur tout mettent les poumons à l’épreuve.

    Tenir, disais-je.

    #432.

    Je ne sais ce à quoi pensent les autres nageurs dans la piscine de Montreuil, mais s’ils sont tous occupés, comme je le suis en faisant mes longueurs, à des projets chimériques que les miens en ce moment, j’ose espérer que les Maître-nageurs sauveteurs de notre piscine ont reçu une formation spéciale pour traiter non seulement les noyés mais aussi les aliénés.

    #452.

    Je commence mes longueurs à la piscine dans l’agréable sensation de glisser sur une eau limpide et déserte, un kilomètre plus loin, je rampe dans une mer de mercure, trouble et surpeuplée.

    #453.

    C’est fréquent que nageant dans la piscine je trouve en pensée la solution pour tel projet laissé en plan la veille au soir dans le garage. Il arrive aussi, et je ne peux m’empêcher d’éprouver un léger sentiment d’injustice, que je trouve la solution d’un problème resté en plan au travail, c’est comme si j’avais gâché la récréation.

    Mais le choix de la dérive de mes pensées en nageant m’appartient aussi peu que celui des images de mes rêves.

    Et d’ailleurs est-ce que si nous avions le choix du programme de nos rêves, est-ce que ce seraient encore des rêves ?

    Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs à la piscine, en repoussant de toutes ses forces les choses auxquelles on ne veut pas penser. Comme par exemple de repenser au rêve de cette nuit.

    #456.

    Le rêve d’une installation du futur, les pensées des nageurs d’un bassin olympique sont projetées au fond de la piscine par je ne sais quel procédé et dessinent une toile immense d’images se chevauchant avec de très beaux effets d’opacités diverses, et nager serait alors aussi beau que de se tenir fermement au bastingage de l’installation de Georges Didi-Huberman, au Fresnoy à Toucoing, ce qui tend à penser qu’on n’est sans doute pas obligé d’attendre l’avènement de la technologie qui permettrait la mise en images des pensées des nageurs, et sans attendre cette dimension interactive, d’ores et déjà, transformer les fonds des piscines en écrans géants. Je serai le premier à m’abonner à un tel service.

    Pareillement, je rêve de nager dans une piscine labyrinthique.

    Et pour les lecteurs des Idées noires de Franquin, on pourrait de temps en temps corser un peu l’affaire en introduisant un requin dans le labyrinthe. Surtout ne pas péter.

    Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs à la piscine. Et dans la dernière longueur de me dire, je devrais créer une manière de tag pour ces choses auxquelles je pense en faisant mes longueurs à la piscine.

    #12.

    La surprise en plongeant dans la piscine, l’eau est chaude, collante, et tous les jeux d’ombres et de lumières flous qui étaient ceux de la rivière ont été remplacés par le quadrillage net des carreaux au fond de la piscine, netteté due aux lunettes dites de piscine. Et les retirer serait s’exposer à la morsure du chlore. Tandis que dans la Cèze ce sont les yeux nus que je me jette à l’eau, souvent accompagné par des myriades de vairons.

    Mais soyons juste, dans la piscine municipale je ne redoute pas la potentielle présence de couleuvres au fond de l’eau.

    #20.

    Naïvement j’ai cru ce matin, avant de partir à la piscine, que de comptabiliser les kilomètres parcourus à la piscine depuis de début de l’année allait me rendre les choses plus faciles, ainsi j’ai parcouru 32 kilomètres à la nage depuis le premier octobre 2013, soit un peu en deça de la distance qui sépare Paris de Pontoise. Bref, je ne suis rendu qu’à Saint-Ouen l’Aumône, encore un kilmomètre et j’arrive à Maubuisson, encore un autre et je suis chez B. et encore un autre et je franchis l’Oise (à la nage sans doute) et je pourrais prendre mon café dans la si bonne brûlerie sur le haut de Pontoise.

    Est-ce la perspective de nager sur un plan d’eau aussi incliné que la montée depuis les rives de l’Oise vers l’église Saint-Maclou de Pontoise ou tout simplement parce que j’avais sans doute imaginé que je devais déjà être rendu du côté de Senlis et que d’ici à la fin de l’année nul doute je parviendrais, à la nage donc, jusqu’à Bapaume, et que la comptabilité dans mon agenda de toutes les mentions de kilomètres aquatiques a révélé un chiffre très en dessous de ce que j’espérais, il n’empêche, je finis le kilomètre d’aujourd’hui, épuisé et découragé.

    En nage serais-je tenté de dire.

    #31.

    Retour des vacanciers. Cette fois-ci à la piscine, tu reconnais les corps halés dans l’eau et anticipe leur vigueur éphémère, ceux-là vont entamer leurs longueurs au quart de tour, mais vont vite s’essouffler, en novembre ils auront oublié du tout au tout le chemin de la piscine. En attendant éviter leurs mouvements vifs dans les lignes comme les croiseurs font des torpilles fourbes des sous-marins.

    Nageant tu repenses à certaines scènes de Das Boot de Wolfgang Petersen. Et dans tes rêves d’installations à la piscine de Montreuil, tu penses à ce que cela serait de nager dans une piscine aussi vaste, dans l’obscurité, poursuivi par le bruit d’un sonar.

    Les choses auxquelles on pense en faisant ses longueurs à la piscine.

    #32.

    Tu voudrais, comme cela, toute l’après-midi peut-être pas, mais davantage que ce que tu ne fais, cela sûrement, pouvoir continuer d’ouvrir une nouvelle fenêtre de mail pour t’envoyer un nouveau paragraphe de Contre. Mais cela ne fonctionne pas comme cela, ce serait trop facile. Te levant de ton petit banc abrité des regards à quelques encablures seulement de ton travail, ou, tout aussi bien, en revenant de faire ton kilomètre à la piscine, tu peux en écrire deux ou trois, parfois quatre, cinq c’est arrivé une fois, le petit banc et la piscine te donnent cet élan, mais davantage, non, ce n’est vraiment pas possible. Non que tu n’aies pas déjà essayé, ne serait-ce que par désoeuvrement, ou, plus sûrement pour distraire ton ennui, mais la source, c’est dire si elle est modeste, est vite tarie.

    Et tu sais, depuis toujours, qu’il ne faut jamais trop tirer sur les sources modestes. Sans courir le risque de les assécher définitivement.

    Va donc prendre un café dans un gobelet de plastique brun ou croque dans une pomme mais ne commets pas l’imprudence de trop essayer.

    Contre c’est ne pas trop tirer d’eau chaque jour.

    #89.

    Pour la première fois depuis tellement longtemps, le rêve d’une apnée qui n’est pas angoissante, pas synonyme d’asphyxie ; mais bien au contraire plaisante, ivresse même, je viens de plonger à la piscine et je remonte très lentement à la surface, en fait j’ai atteint une telle profondeur que c’est une vraie nage que de revenir à la surface, une nage verticale, je trouve que le cyclone de bulles que j’ai créé dans mon plongeon est admirable au regard, je mets très longtemps à remonter à la surface, mais je prends mon temps, je fais durer le plaisir. Je fais durer l’apnée. C’est une apnée de rêve à la façon de celles interminables de Johny Wesmüller dans le Tarzan de Van Dyke.

    Et si c’était dans ce rêve qu’était contenu l’espoir de ma guérison ?

    En rêve, on peut faire tellement de choses, y compris de guérir d’un mal incurable (mais pas dangereux).

    #120.

    Faisant tes longueurs à la piscine le midi sur ton temps de déjeuner, tu réalises une fois de plus à quel point tu tiens un compte serré des longueurs déjà parcourues et de celles qui restent à faire et tu voudrais que cela aille plus vite, être bientôt sorti de l’eau, arrêter d’étouffer volontairement pendant trois passages de bras, que cesse la douleur légère mais continue dans les bras, les avant-bras surtout, et les épaules, et pour te représenter tout cela, tu ne cesses de calculer le ratio des longueurs faites versus les longueurs restant à faire en des pourcentages, tout en te faisant la réflexion que la représentation graphique de tout ceci dans ton esprit est celle d’une barre de défilement sur un ordinateur, représentation que tu généralises à d’autres moments de l’existence, comme la progression des jours de la semaine.

    Tu remarques que ta progression, comme cela l’est sur un ordinateur vieillissant, voire en fin de parcours, est de plus en plus laborieuse au fur et à mesure que la barre de défilement fonce.

    Et, faisant tes longueurs à la piscine le midi sur ton temps de déjeuner, tu fais l’application de cette longueur, de cette difficulté accrue et du pourcentage accompli contre le pourcentage restant à réaliser, l’application de tout ceci donc, à ton existence toute entière.

    Et d’après toi, tu en es où sur ta barre de défilement ?

    #133.

    A la piscine, en pleine forme, tu nages vite et longtemps, plus vite et plus longtemps que d’habitude et tu remarques alors que la lutte que tu mènes contre toi-même n’a plus son siège dans ton souffle mais dans les bras. Ce que tu regrettes, si tu vas à la piscine pour faire des longueurs, ce n’est pas pour accentuer le côté armoire à glace, pitié !, c’est bien davantage pour travailler ton souffle, augmenter cette capacité pulmonaire qui te fait défaut, surtout la nuit, mais voilà, tu le réalises en nageant, cela fait deux ans que tu fais des longueurs à la piscine, tu t’es endurci dans cet exercice, tu as plus de souffle et aussi plus de force dans les bras, et donc, réalisation amère, si tu veux travailler son souffle, il va falloir désormais faire davantage de longueurs, tirer davantage sur les bras, au point de te faire manquer de souffle.

    Les choses auxquelles on pense quand on fait des longueurs !

    Et sans doute aussi, nageant aujourd’hui avec de pareilles pensées en tête, as-tu le sentiment de nager avec la mort aux trousses, tu nages d’autant plus vite aujourd’hui.

    Exercice #7 de Henry Carroll : comment vous sentez-vous, exprimez-le avec la lumière

    Souvenir d’une grippe carabinée, avec de remarquables pics de fièvre.

    #qui_ca

  • Où va donc la colère ? Du bon usage de l’insurrection, par Georges Didi-Huberman (mai 2016)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2016/05/DIDI_HUBERMAN/55440

    En 1795 parut chez Jacquot, à Paris, un fascicule de cinq pages intitulé Insurrection en faveur des droits du peuple souverain. Il portait en exergue cet article, le trente-cinquième, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1793) : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Au même moment — soit en 1792 et 1793 —, les Enragés de la Révolution française publiaient leurs écrits, adresses ou pamphlets qui ont été, finalement, réunis sous le titre Notre patience est à bout. Bien plus tard, au Congrès anarchiste international d’Amsterdam de 1907, on vit se lever Emma Goldman lors de l’avant-dernière séance. Elle proposait à l’assemblée l’adoption d’un texte en faveur du droit de révolte.

  • http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/08/le-fils-de-saul-ou-la-fin-du-debat-sur-la-representation-de-la-shoah_4805379

    La question n’est pas de savoir comment Le Fils de Saul représente l’irreprésentable de la Shoah mais pourquoi celui-là reçoit soudainement l’autorisation de représenter ce qui jusqu’alors était considéré comme un tabou. Soixante-dix ans après la libération d’Auschwitz, au moment où disparaissent les derniers survivants qui nous obligeaient à une tenue et une retenue, la Shoah, privée de ses témoins-martyrs, est en train de tomber dans le domaine public. A la manière du droit de la propriété intellectuelle qui ne protège plus une œuvre soixante-dix ans après la mort de son auteur. De sorte que les règles qui régulaient les « comment dire », « comment montrer », « comment en parler », ne sont plus opérantes comme elles l’ont été. Il n’est plus question de s’interroger sur le bien-fondé d’une nouvelle édition critique de Mein Kampf, ou sur l’interdit d’écrire le mot « roman » en couverture des ouvrages traitant des camps, ou sur la légitimité des images recréées au cinéma. La bascule s’opère sous nos yeux. Les gardiens officiels, investis, peuvent bien se fâcher et faire les gros yeux : « Je ne vous permets pas, vous n’avez pas le droit ! », ça ne marche plus. Au mieux les visages se détournent en haussant les épaules, au pire, ils ne savent même plus de quoi il retourne. Un peu comme le souvenir des pogroms, aussi tragiques qu’ils aient été, s’est détaché de sa charge émotionnelle pour devenir un événement historique.

    Je n’ai pas encore vu ce film, donc pour le moment je n’en dis rien, en revanche ce qui est écrit dans cet article du Monde est problématique à bien des endroits, ne serait-ce que cet extrait qui sous-entend que puisque les derniers survivants des camps de concentration et d’extermination des Nazis sont tellement croulants pour ne plus pouvoir se défendre, et ben c’est bon on peut y aller à faire et dire n’importe quoi sur le sujet.

    Et si en plus on peut bénéficier le caution morale de Lanzmann alors... Lanzmann, qui en dehors de la réalisation de son brillant et luminueux Shoah (au titre par ailleurs assez contestable) aura collectionné un nombre très impressionnant de conneries sur le sujet (qu’on y pense, il a également défendu les indéfendables Bienveillantes de Littel et au contraire s’est toujours montré stupidement méprisant envers Georges Didi-Hubermann pour son remarquable Images malgré tout

    Encore un petit effort dans le sens de cet article et la destruction des Juifs d’Europe va vraiment devenir un détail de l’histoire.

    • http://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2015/laszlo-nemes-et-clara-royer-le-fils-de-saul-shoah,126690.php

      Cet entretien est terrifiant. J’imagine que je pourrais en citer chaque phrase pour en pointer le caractère obsène et l’extraordinaire prétention de ces deux personnes dont on ne peut pas dire qu’elles s’étouffent beaucoup de recul sur eux-mêmes.

      La dernière question/réponse est édifiante :

      Au fond, que voulez-vous transmettre au spectateur ?

      LN : Une expérience sensorielle. Redonner du sens en faisant notamment appel aux sens du spectateur.

      En odoroma si c’était possible ?

      Quand je pense que je m’étais dit qu’il faudrait que j’essaye d’aller le voir sans a priori , cela ne va pas être facile.

    • László Nemes le réalisateur de Le Fils de Saul était sur France-Inter en début d’après-midi,
      http://www.franceinter.fr/emission-cosmopolitaine-kerry-hudson-et-laszlo-nemes
      à propos des Sonderkommandos, Paula Jacques rappela les propos d’Hannah Arendt, qui firent grandes polémiques, sur les complicités nazies dans les pays occupés et même parmi les communautés juives
      « Oh elle, répliqua-t-il, elle couchait avec des nazis. »
      C’est au début de l’entretien.

    • @loutre Bon, je crois que je vais m’éviter d’écouter cela alors. Il est des tortures que je ne m’inflige plus. Le film lui passe dans mon cinéma de quartier la semaine prochaine, je ferai mon devoir, après tout je me suis fader les Bienveillantes et leurs 900 pages de conneries, un film à côté ce n’est rien, de telle sorte, comme pour les Bienveillantes qu’on ne puisse pas me dire, mais as-tu seulement vu le film ?

    • http://next.liberation.fr/culture-next/2015/11/03/le-fils-de-saul-choc-sans-replique_1410983

      De même, à deux semaines de sa sortie en salles, une partie de la presse aura reçu, adjoint à ce même fascicule promotionnel, un court ouvrage de Georges Didi-Huberman, publié aux Editions de Minuit, Sortir du noir. A la fois éloge enflammé du travail de Nemes (qui commence par ces mots : « Votre film, le Fils de Saul, est un monstre. Un monstre nécessaire, cohérent, bénéfique, innocent »), étrange prototype de produit dérivé intello et coup de massue assené à la critique, entre intimidation et verrouillage théorique.

      Et là je dois dire qu’avec moi cela a failli fonctionner. Je me suis jeté sur ce petit livre, je l’ai lu, il m’a fait vaciller, je me suis dit que je me trompais sans doute, et je suis allé voir le film, et pendant toute la durée du film je n’ai cessé de me demander qu’est-ce que Didi-Hubermann avait vu que je ne voyais pas et au contraire qu’est-ce qu’il n’vait pas vu que je voyais ?

      Je voudrais tenter de faire une chronique de ce film (je vais peut-ête mêm relire le oivre et retourner voir le film) mais cela va me demander du temps. Parce que tout s’est mélangé depuis, puisque je suis allé voir ce film avant d’aller dîner, heureusement pas au Petit Cambodge où c’était pourtant prévu que j’aille. Donc cela ne va pas être facile.

      Par ailleurs cet article de Libération est assez admirable de courage intellectuel.

    • @philippe_de_jonckheere Une autre note discordante dans le concert de louanges autour de ce film :

      http://www.causeur.fr/laszlo-nemes-shoah-fils-saul-35296.html

      Être sobre et humble, c’est précisément ce qu’a oublié Nemes, faisant passer son égo d’artiste en premier lieu. Il privilégie la forme, le suspense, la mise en situation du spectateur avant de penser au fond, l’horreur impensable et irreprésentable de la Shoah.

      Effrayant, monstrueux, insoutenable, si le film nous dit beaucoup de la défaite de la pensée et de l’effondrement des valeurs de notre société occidentale, c’est plutôt par ses défauts. Le spectacle doit dominer. Le Fils de Saul est insupportable non pas à cause de l’horreur de la Shoah mais en raison du dispositif artistique formel implacable qu’il impose aux spectateurs. Le danger est qu’il s’impose comme une œuvre importante, un tournant crucial de la représentation de la Shoah dans une époque où les derniers témoins vivants disparaissent les uns après les autres. La sanctification du Fils de Saul pourrait faire autant pour l’oubli que pour la mémoire.

    • @julien1 C’est exactement cela, ce film est un exercice formel épouvantable et obsène. Et de fait il est à craindre que ce film crée une manière de précédent, un inutile précédent.

      De même pendant le film de nombreux plans m’ont effectivement fait penser à la technique des jeux vidéo, il y a quelque chose de l’ordre de l’Auschwitz interactif qui est absolument insupportable. Je viens de relire Sortir du noir de Didi-Hubermann, apparement, en voyant le film et en écrivant à son propos, on peut se demander si son sens critique était branché.

  • La revue Lignes consacre son prochain numéro au terrorisme et aux transformations politiques récentes.

    Les attentats en France, en Europe : quelle situation nouvelle créent-ils pour la pensée ? Laquelle pour la mondialisation ? Laquelle pour ce qui s’oppose (pour le capitalisme et l’anti-capitalisme) ? L’évidence est que les anciennes oppositions, justes au demeurant, n’y suffisent pas. Qui doivent être repensées.

    Lignes , n°48, Les attentats, la pensée :
    http://www.editions-lignes.com/LES-ATTENTATS-LA-PENSEE.html

    Georges Didi-Huberman y signe notamment un texte, Survivant, soulevé, dont des extraits circulent :
    http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151016.OBS7778/simon-survivant-de-charlie-hebdo-un-corps-qui-se-souleve.html

    Mouvements : mouvements qu’il faut arracher à cette pauvre moelle épinière traumatisée. Ce qu’il faut d’abord ? Simon me le dit lui-même constamment : il faut imaginer. Imaginer bouger, imaginer vivre, imaginer marcher. Se dire qu’un jour on pourra, miracle, pisser de soi-même et, il le faut absolument, recommencer de bander comme le jeune homme qu’il est. C’est de la physiologie superlative – notre pensée n’étant en aucun cas séparée de notre corps –, ou bien c’est du Spinoza en pratique quotidienne, patiente, douloureuse, mais guidée depuis les tréfonds par un formidable désir. C’est-à-dire une joie fondamentale. C’est la paradoxale joie du survivant, fût-elle nouée d’angoisses, de culpabilités, de désespoirs.

    Comment est-ce possible ? Simon se concentre. Il imagine qu’il « bouge sa jambe » : bien avant que sa jambe ne bouge elle-même, il lui faut donc un exercice de pensée imaginative où c’est l’image elle-même, l’image de sa jambe, qui se met en mouvement (elle, l’image) pour la mettre en mouvement (elle, la jambe). Simon me donne une leçon de courage, c’est évident. Mais il se permet de me donner, en plus, une leçon sur les puissances de l’imagination, domaine que je croyais, tout à fait à tort, être de ma spécialité.

    • Je précise tardivement que les textes que j’ai lu de ce numéro sont très décevants, j’étais enthousiaste de découvrir des historiens de l’art se réclamant de Warburg et Didi-Huberman, mais aucun des textes n’arrive à la cheville ni de l’un ni de l’autre, faute d’acuité de regard sur les œuvres et les théories, ces articles sont autant d’esquisses malhabiles qui n’arpentent jamais la durée de l’analyse, et dont la seule ambition serait la poudre aux yeux que peut jeter leur résumé (leur abstract comme on dit en publication scientifique internationale), alors autant, encore une fois, inviter à la lecture directe d’Aby Warburg, de ses Essais florentins par exemple, et à celle de Georges Didi-Huberman, de L’image survivante, sur Warburg, pour commencer, peut-être.

  • Lamenting Images : ‘New Ghost Stories’ at Palais de Tokyo
    http://hyperallergic.com/146426/lamenting-images-new-ghost-stories-at-palais-de-tokyo
    J’ai lu une critique de ce travail ici mitigé mais je ne le retrouve pas

    “Museum and mausoleum are connected by more than phonetic association,” the theorist and critic Theodor Adorno wrote in 1953. At the Palais de Tokyo, the sepulchral New Ghost Stories (Nouvelles Histoires de Fantômes) revisits this relationship by addressing “the exhibition in the age of its mechanical reproduction.” This austere congress of images, which includes a great deal of moving film, is cacaphonous and intense, ordered but not orderly, fully achieving what co-organizer Georges Didi-Huberman calls “a great kaleidoscope of the motions of the soul.”

    Created by the art historian-cum-theorist Didi-Huberman and the photographer Arno Gisinger, the installation restages, or presents what is called an “evolution” of, a 2012 show by the duo at Le Fresnoy in Paris. Both installations center around the lamentation-themed Plate 42 of pioneering art historian Aby Warburg’s Mnemosyne Atlas (1929) and include a “visual essay” by Gisinger comprising 40 pictures he took of an earlier Warburgian exhibition, Atlas: How to Carry the World on One’s Back (2010–11).


    #art

  • Atlas Critique - exposition » a people is missing - le peuple qui manque

    http://www.lepeuplequimanque.org/atlas-critique

    Au moment où la pensée critique et les politiques contemporaines mutent et se redéploient, s’est imposée la nécessité d’établir de nouvelles cartographies de ce continent théorique en formation. Atlas, cartographie, diagramme, en spatialisant les formes et les modes de pensée, le travail intellectuel critique, nous en offrent une visualité optimale.

    L’atlas, comme forme visuelle de présentation de la connaissance, aurait, comme l’avance l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, pour finalité de recueillir le morcellement du monde et de « remonter le monde »2. En procédant par démontage et remontage des anciennes catégories, en établissant des connexions invisibles, des liens qui demeuraient jusque là inintelligibles, l’atlas se révèle modèle opératoire idéal pour établir et proposer des tableaux synoptiques qui relieraient archipels conceptuels, images du monde, constellations politiques.

    La pensée diagrammatique d’Erick Beltran (Mexique), Lia Perjovschi (Roumanie) ou Vincent Meessen (Belgique) relève de cette archéologie de la connaissance, tout en proposant des modélisations prospectives de la géographie des théories critiques contemporaines. Leurs paysages conceptuels, par leur fort entrelacement à la fois subjectif et systémique, constituent autant d’encyclopédies imaginatives, de machines de transformation.

    #art #cartographie_radicale

  • Aperçues (4)
    http://blogs.mediapart.fr/en/blog/georges-didi-huberman/270513/apercues-4

    Georges Didi-Huberman raconte son voyage en Grèce.

    Dans les rues d’Athènes je regarde les murs, les magnifiques appareillages de briques byzantines ou ottomanes, les morceaux de béton d’immeubles jamais finis ou les traces de balles des si nombreux épisodes des guerres civiles. Je regarde sur les murs les tags politiques, par exemple cet appel à ne pas renouveler l’erreur de Varkiza, quand les partisans, en 1945, déposèrent les armes – en pleurant, comme on le voit sur certaines images d’archives — avant de se faire littéralement exterminer, comme le raconte bien Joëlle Fontaine dans son livre De la Résistance à la guerre civile en Grèce. Mais je regarde surtout les gestes, les gens. Les gestes concentrent toutes les temporalités, tous les deuils et tous les désirs, fût-ce dans l’« accord de ce qui diffère ».

    #Grèce #Aube_dorée #culture #barbarie #tourisme