person:gilles de robien

  • Les quatre opérations au CP, « le » manuel de Singapour et la réussite à l’école (Rémi Brissiaud, Les Cahiers pédagogiques)
    http://www.cahiers-pedagogiques.com/Les-quatre-operations-au-CP-le-manuel-de-Singapour-et-la-reuss

    Jean-Michel Blanquer : le retour du pire des polémiques stériles et contre-productives des noires années Darcos-De Robien.

    En résumé, ce n’est pas un hasard si Jean-Michel Blanquer relie l’enseignement des quatre opérations dès le CP ou le CE1 à la pédagogie adoptée à Singapour. Le projet ministériel y trouve un alibi taillé sur mesure qui a en outre le mérite de lui donner une teinte de pragmatisme puisque « la » méthode existe déjà et est utilisée ailleurs avec succès. C’était déjà le cas en 2006-2007 quand Gilles de Robien a lancé la polémique et quand l’éditeur La librairie des écoles a tenté de conforter sa proposition en publiant « la » méthode de Singapour dans une traduction qui appuie la prise de position du ministre (et de son entourage de l’époque).

    Or, en France, les élèves sont en moyenne plus jeunes qu’à Singapour quand ils commencent à étudier avec un manuel de mathématiques et ils ne bénéficient pas de l’avantage culturel considérable que constitue le bilinguisme, surtout quand l’une des langues exprime les nombres à plusieurs chiffres de façon régulière. De plus, et fort heureusement, les écoliers français ne sont pas plongés dans un système hyper compétitif qui, s’il conduit à de bonnes performances, n’est certainement pas, en termes éducatifs, celui que l’on peut souhaiter pour nos enfants. Comment peut-on laisser croire que l’usage du « même » manuel qu’à Singapour conduirait en France à des performances similaires ? Un tel copié-collé d’une méthode présentée comme « la meilleure » sans réelle étude comparative sérieuse est-il souhaitable pour la réussite des écoliers français ?

    #éducation #école #mathématiques #méthode_de_Singapour #polémiques #manipulation

    Observons néanmoins, de manière paradoxale, mais qui montre bien que sous un même label on peut mettre tout et son contraire, que les collègues qui se sont saisies de cette fameuse méthode, s’en sont saisies pour accentuer les étapes de manipulation qui étaient déjà pratiquées au CP avant le passage à l’abstraction. Ce qui va à l’encontre de l’idée, par exemple, d’introduire la formalisation de la division dès le CP (autre paradoxe, donc).
    Comme l’explique bien Rémi Brissiaud, ces enseignantes mettent les élèves “en situation” de pratiquer les 4 opérations (ce qui est dans la plupart des méthodes déjà utilisées), ce qui est différent de formaliser les 4 opérations dès le CP-CE1 et de mémoriser dès ces classes les résultats associés (tables).
    On en retrouve d’ailleurs des exemples dans la presse (avec de belles images de cubes) :
    Qu’est-ce que la "méthode de Singapour", expérimentée dans une école de Nice ? (Nice Matin)
    http://www.nicematin.com/education/quest-ce-que-la-methode-de-singapour-experimentee-dans-une-ecole-de-nice-
    Méthode de Singapour : « Je ne regrette pas un instant mon choix » (Le Point)
    http://www.lepoint.fr/sciences-nature/methode-de-singapour-je-ne-regrette-pas-un-instant-mon-choix-12-02-2018-2194
    Enseignement des mathématiques : la méthode Singapour en action (Europe 1)
    http://www.europe1.fr/societe/enseignement-des-mathematiques-la-methode-singapour-en-action-3571739

    Notons enfin que la collègue interrogée par Le Point semblait avoir une pratique pédagogique ("ânonner des tables") datant de plusieurs décennies alors que la plupart des collègues que je fréquente tentent d’introduire des manipulations concrètes suivant ainsi les 2 principales méthodes présentes dans les écoles (Picbille et Capmaths).

    Dernière remarque comme pour les méthodes Montessori, les collègues s’en saisissent aussi (et c’est perceptible dans les articles de presse) comme outil d’auto-formation, là où la formation continue a disparu. Ces méthodes viennent pallier sur le terrain un manque terrible. Les enseignant.e.s sont pour la plupart extrêmement désireuses d’interroger leur pratique, de progresser, de répondre aux difficultés rencontrées avec les élèves… bref, d’être plus efficaces. Or la formation continue a complètement disparu faute de moyens.
    En outre, là où les IUFM/ESPE peinaient à articuler théorie et pratique, ces méthodes à la mode fournissent des outils directement implémentables en classe issus de théories, idéologies et ou recherches en sciences de l’Éducation et peuvent donc donner l’impression de réussir là où la formation des enseignant.e.s a échoué.

  • La Brique N°48 - automne 2016 - La santé, c’est capital
    + Edito. Ruer dans les brancards

    p.1 Couverture de Pole Ka
    p.2 Edito - Ruer dans les brancards : http://labrique.net/index.php/thematiques/editos/826-edito-ruer-dans-les-brancards
    p.3 La santé pour tous, partout
    p.4-5 Une sécu dépecée dans l’indifférence générale
    p.6-7 L’hôpital-entreprise, la santé à l’agonie : http://labrique.net/index.php/thematiques/lutte-des-classes/829-l-hopital-entreprise-la-sante-a-l-agonie
    p.8-9 Pour un droit à la folie !
    p.10-11 Le business du social
    p.12-13 Souffrir de faire souffrir
    p.14-15 Lille Sud, poubelle des riches : http://labrique.net/index.php/thematiques/droit-a-la-ville/833-lille-sud-poubelle-des-riches
    p.16 Paupiette d’ouvrier à la vapeur
    p.17-20 L’héritage toxique de Metaleurop. Les silences d’Évin-Malmaison
    p.21 Le prix du sang. Avec ou sans ton sang ?
    p.22-23 Blouses blanches et gueules noires de l’industrie pharmaceutique
    p.24-25 Contrat à impact social, rentabiliser la misère
    p.26-27 Olieux : l’État sans état d’A.M.E.
    p.28 En bref et contre tout
    p.29-31 À Dunkerque, Suez-Lyonnaise se fait du beurre sur le dos des pauvres
    p.32 BD de Florent Grouazel

    Edito. Ruer dans les brancards
    La Brique, 10 octobre 2016, Le collectif de La Brique

     » La lutte est une fête !" On le martelait en juin alors que sortait un numéro tout frais sur les luttes lilloises. Les vacances d’été ont eu comme d’habitude leur petit effet. La mobilisation s’est tassée, le gouvernement a fait passer sa loi, les médias parlent luttes des places entre présidentiables. Une rentrée dans l’ordre ? Pas franchement.
     
    En septembre, l’activisme lillois s’est à nouveau secoué : manifestation contre la « loi Travaille ! » du 15 septembre ; blocage du centre de tri de Villeneuve d’Ascq, en réaction à la cruauté de la direction de La Poste laissant sur le carreau une de ses salarié.es victime d’un AVC ; mobilisation contre « La Citadelle », le bar fasciste de Génération identitaire. Le mouvement du printemps a creusé des sillons contestataires. Les nouvelles têtes rencontrées sont toujours là. À l’heure où nos élites vieillissantes s’écharpent pour les présidentielles à venir, et posent – à coups de thèmes réactionnaires – les pavés de l’enfer à venir, la lutte travaille son ébullition.
     
    Nous n’en démordrons pas
    Un œil sur le bouillon révolutionnaire, on est retourné.es à nos petits fourneaux, histoire de concocter ce numéro sur la santé qui nous attendait au frigo. Un sujet déjà dépecé dans La Brique : en 2008 sortait un numéro intitulé « Santé : les malades payent l’apéro » (n°7). http://labrique.net/index.php/numeros/22-n-07-mai-juin-2008-sante-les-malades-paient-l-apero
    Huit ans plus tard, l’apéro a toujours le même goût amer, et le coût de l’ardoise ne cesse d’augmenter. Les dernières réformes promeuvent encore davantage les restrictions budgétaires. L’État asphyxie les budgets des hôpitaux, noie les soignant.es dans la paperasse managériale et étouffe celles et ceux qui doivent régler une partie toujours plus importante de la douloureuse. Exit la solidarité, place à une santé rentable aux profits des plus fortuné.es. Là-haut, les différents gouvernements appellent à la rescousse les grandes firmes capitalistes censées, pour notre salut, pallier le retrait de l’État. La santé devient un marché comme un autre, le soin une marchandise, le compte bien garni une nécessité pour ne pas crever.

    Alors on a pris le stéthoscope, histoire d’aller palper le pouls de ces professions hyper genrées et hiérarchisées : infirmières, aides-soignantes, médecins, travailleurs sociaux nous ont raconté leur vécu et la façon dont les transformations néolibérales impactent leur métier. On s’est aussi rencardé.es sur les luttes qui se trament dans la région. À Lille Sud, des habitant.es se battent pour faire reconnaître un énième cas de pollution. Au parc des Olieux, les jeunes gagnent un procès contre la Métropole et dénoncent la façon dont l’État français organise l’absence de soins. Le People’s Health Movement, réseau mondial de résistances et de promotion de la santé des peuples, vient se mêler des affaires du département du Nord. En bref, voilà une petite radiographie de l’état du conflit social qui fait chaque jour pulser la ville.
     



    Bilans de santé  
    On cogitait sur le corps malade de la Métropole quand la mairie est venue souiller l’opération en posant ses doigts sales. Fin août, voilà que la municipalité nous intente un procès – une tentative de bâillonnage à 61 euros d’amende. Incriminée par la municipalité pour avoir vendu notre journal à grands renforts de cordes vocales, notre directeur de publication a dû comparaître le 4 octobre devant le tribunal de proximité. Ce procès, aussi tragi-comique soit-il, s’inscrit dans la lignée des tentatives de plusieurs municipalités de faire taire des canards prompts à venir cancaner dans les buffets politico-financiers. Depuis Fakir attaqué en 2002 pour diffamation par Gilles de Robien et ses associés, puis par le Courrier Picard – l’équivalent fonctionnel de « Notre Voix du Nord » ; le Nouveau jour J, poursuivi par la mairie de Nancy pour affichage sauvage ; plus récemment, Le Postillon, cité à comparaître par le président de la métropole de Grenoble dont on apprend la condamnation récente. À chacun de ces procès, c’est la possibilité d’une autre information qu’on malmène : celle qui rend visible la violence sociale du patronat et des élu.es contre les pauvres, et celle qui met en lumière les résistances organisées par les militant.es.

    Il reste que, à l’heure du bilan de santé – c’est le thème après tout –, autant la jouer sans euphémisme : la municipalité qui nous attaque incarne un parti asséché par l’austérité, en train de se faire gicler de toutes ses positions de pouvoir, sans militant.es, endetté jusqu’à l’os, et qui n’a plus comme perspective que de renâcler son passé décadent. La Brique, riche à millions, vous propose un 32 pages sans précédent – le tout servi par une génération qui a envie d’en découdre. Alors rassurons immédiatement Aubry et sa clique : vous ne nous empêcherez pas de crier contre les marchés et sur les marchés !

    #Lille #presse #La_Brique #luttes_sociales #Presse #Santé #Hôpital
     
     

  • François Ruffin, un chevalier sans peur et sans remords face à LVMH

    http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/22/francois-ruffin-un-chevalier-sans-peur-et-sans-remords-a-l-assaut-de-lvmh_48

    Bizarre. Lorsqu’on appelle LVMH, qui semble dans le film si prompt à réagir, personne n’a l’air d’avoir vu Merci patron ! Des avant-premières publiques sont pourtant données dans les grandes villes de France. Olivier Labesse, qui est chargé de la communication du groupe chez DGM Conseil, nous demande, vaguement intéressé, de lui raconter ce qu’il y a dans le film. Oh, trois fois rien : un couple, les Klur, dont la maison va être saisie faute de revenus depuis que l’homme a été licencié d’une filiale textile du groupe en 2008, écrit à Bernard Arnault pour le menacer d’alerter la presse sur leur situation s’ils ne reçoivent pas une aide de sa part : 35 000 euros et un emploi. Surprise : cela marche. Un ancien commissaire des renseignements généraux, employé de LVMH, prend contact pour négocier. Le groupe accède à leurs volontés en échange de leur silence. Or tout cela est filmé en caméra cachée.

    Même Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil (Eure), socialiste fabiusien et secrétaire général de LVMH, a l’air de tomber des nues lorsqu’on le joint au téléphone pour lui parler du réalisateur. « Un article sur François Ruffin ? Qui vous a parlé de moi ? » On trouve étonnant de devoir lui expliquer qu’il est dans le film, faisant les missi dominici de Bernard Arnault, affirmant des choses dont on sait, nous, spectateurs, qu’elles sont fausses, et jouant benoîtement au poker alors qu’on voit tout son jeu. Marc-Antoine Jamet a promis de nous rappeler, mais, malgré nos efforts, il ne répondra plus au téléphone.
    Olivier Labelle le directeur de la communication,lui, donnera la position groupe : pas de réaction. C’est plus prudent.

    Une gauche irréductible

    « C’est toujours bien d’être pris pour un con », s’amuse François Ruffin, que l’on retrouve devant un café noir. Nez allongé, sourire franc, il parle vite. Tous me l’ont dit : il est rapide, cultivé, malin et n’aime rien tant que les croisades. Car derrière les Klur, il y a ce journaliste d’Amiens. C’est lui qui a monté cette « machination » (le mot est de lui) qui ravira les aficionados des films-manifestes de Michael Moore, des impostures radiophoniques de Jean-Yves Lafesse et des sketches de Raphaël Mezrahi pour lesquels il professe une admiration. Et plus largement toute la France qui rêve de voir les grands de ce monde se prendre les pieds dans le tapis.

    François Ruffin est encore en fac de lettres lorsqu’il crée en 1999, dans sa ville, Fakir, autoproclamé depuis (et ce n’est pas un mensonge) « journal fâché avec tout le monde ou presque ». Puis c’est le CFJ, l’école de journalisme de la rue du Louvre à Paris. Quand il en sort, il publie aussitôt un livre pour dénoncer ladite école, fabrique des Petits Soldats du journalisme. Il a lu Serge Halimi. Se situe dans son sillage. Une gauche dénonciatrice qui se veut irréductible. Il écrira occasionnellement dans Le Monde diplomatique et sera un collaborateur régulier, voire très proche, de Daniel Mermet, sur France Inter.

    A Amiens, la mort d’un travailleur sur un chantier d’insertion de la ville est l’occasion pour lui de lancer une campagne contre la mairie de Gilles de Robien. Quatorze ans après, de procès en manifs, l’affaire n’est pas close. « Il les a embarqués dans un combat sans fin. Si la famille d’Hector Loubota n’est toujours pas indemnisée après tout ce temps, affirme le bâtonnier Hubert Delarue, avocat de la partie adverse, c’est hélas pour une grande part sa responsabilité. » Graphomane, François Ruffin écrit comme il respire. Une douzaine de livres à son actif. Et, quand il n’écrit pas, il part en guerre contre les délocalisations qui ont transformé son pays, le Nord, en files de chômeurs. Sûr de lui, imprévisible, d’une ironie mordante... Quelle est donc cette colère qui le tient debout contre vents et marées ? Qui lui permet de résister aux pressions, de ne pas dévier de son cap, quel qu’en soit le prix à
    payer ?

    François Ruffin est né il y a quarante ans à Calais. Côté maternel, on y tient un café charbon à Zutkerque. Côté paternel, une paysannerie pauvre dont le rejeton est poussé vers les études par un instituteur – il fera l’Agro, pour finir cadre chez Bonduelle. François Ruffin en parle dans un long texte publié le 8 juillet 2013 en défense de Daniel Mermet, alors attaqué dans la revue Article 11 par une partie de ses collaborateurs sur sa gestion humaine despotique.

    Avec Mermet, écrit-il, « j’ai retrouvé un peu mon père. Exigeant. Des colères froides à l’occasion. Avec qui l’expression était retenue, jamais pleinement libre. (...) Avec qui, en tout cas, les désaccords étaient compliqués. Et cette espèce d’énergie, de hargne que l’âge n’efface pas. Ni chez l’un ni chez l’autre. Qu’est-ce qui le poussait, mon père, à se lever à 5 heures du matin jusqu’à sa retraite pour partir à l’usine (comme cadre) ? Ou à consacrer ses week-ends à des tableaux Excel pour mesurer le rendement des petits pois ? Qu’est-ce qui pousse Daniel, à 70 ans maintenant, à tenir sa quotidienne, l’esprit préoccupé, constamment, toujours aux aguets d’un sujet ? L’un vient du lumpenprolétariat, l’autre de la lumpenpaysannerie. »

    François Ruffin n’aime guère qu’on psychologise. Pas son truc. Sa vision du monde est au mieux bourdieusienne. Et sa colère, forcément « sociale ». S’en dévier serait se perdre. Et pourtant, le schéma est saisissant. La question de la place, l’image du chef qu’on combat et qu’on admire. De Gilles de Robien, il dit : « Ce fut un grand maire, mais il a fait preuve dans l’affaire qui nous opposait d’une arrogance de classe. » A Bernard Arnault, sa bête noire, il envoie une carte postale chaque fois qu’il part en vacances. A propos du commissaire dans le film, il affirme : « Je l’aime bien », alors qu’il sait pertinemment que le film le grille définitivement.

    Combattant infatigable

    Lui-même, en combattant infatigable, n’est-il pas dans la reproduction du modèle paternel ? Dans le même texte cité plus haut, il raconte : « Sur ma porte, les collègues [de Fakir] ont gentiment collé une étiquette “Staline”. Et, à l’accueil des nouveaux, je préviens d’office : “Ici, c’est pas l’autogestion. Chacun fait pas ce qu’il veut : y a un chef, et c’est moi.” »

    « La colère repousse plus qu’elle n’embrasse », admet-il. Pour la conjurer, dans ses enquêtes toujours à charge, il lui applique un antidote : l’humour. Un humour populaire pour y faire adhérer le plus grand nombre. Dans Merci patron !, il multiplie les références à « La Petite Maison dans la prairie » et à Robin des bois, personnage auquel il se compare allègrement. Le titre même du film est une référence à une chanson des Charlots. Et la caméra cachée a sans doute autant pour fonction ici de piéger les coupables que de séduire le spectateur. Un Jean-Luc Mélenchon qui aurait pris des cours chez Patrick Sébastien.

    Nourredine Gaham, lui, des années après, enrage encore. Il habite ce Quartier nord d’Amiens sur lequel François Ruffin a publié un livre en 2006 chez Fayard. Personnalité de la communauté harkie, Nourredine Gaham a monté plusieurs entreprises. Dont une société de sécurité, la First. A l’époque du livre, celle-ci a fermé et il tient un restaurant. Est-ce ce qui lui vaut sous la plume de Ruffin le patronyme de Garbi ? « Comme le couscous ! Ce mec, il dit qu’il a de l’empathie pour les gens, mais ce n’est pas vrai. » Ce n’est pas pour ce sobriquet que Nourredine Gaham a poursuivi François Ruffin pour diffamation, mais parce que le journaliste l’accusait, lui et sa société de gardiennage, d’être à l’origine de coups de poing qu’il faisait mine ensuite de calmer. « Il sait broder, le gars, mais c’est du n’importe quoi. Il dit qu’il s’est infiltré, mais les gens lui ont ouvert leurs portes. Je ne sais pas ce qu’il cherchait. A mon avis, il voulait être une victime, il voulait sa fatwa. Il s’est planté, il a eu un procès, comme tout le monde. » Que Nourredine Gaham a gagné.

    « Leur redonner prise »

    Pas facile d’être Robin des bois. De savoir ce qui est bon pour les autres et d’être remercié pour son action. Entre vœu de sincérité et péché de toute-puissance. Politiquement, François Ruffin se définit comme antimondialiste. Son terrain de combat, c’est le local, et, à ce prisme, il est ferme : « Je suis pour des taxes aux frontières, des barrières douanières, des quotas d’importation. » L’Europe, il a voté contre. L’immigration ? Calais, cette ville dont il vient ? Ce n’est pas son sujet, lui, c’est la défense des travailleurs. « Pour mon livre La Guerre des classes, j’interrogeais un politologue, Patrick Lehingue. Il expliquait : “Quand ça va mal, les gens reviennent à une lecture binaire du monde. Avant, c’était les pauvres contre les riches, les petits contre les gros... C’est devenu : les Français contre les étrangers, le public contre le privé, les jeunes contre les vieux...” Eh bien, moi, je suis pour restaurer comme conflit politique central le capital contre le travail. »

    Quand on lui oppose qu’il n’a pas forcément dans son film magnifié les Klur, la famille dont il se fait à la fois le porte-drapeau et le marionnettiste dans la plus grande tradition léniniste (Je sais ce qui est bon pour vous et je vais vous sortir de là), François Ruffin répond : « J’aurais fait du cinéma documentaire où j’aurais pleuré misère avec les Klur, on aurait trouvé que je les respectais. Mais sitôt qu’on mène une action, cela devient impur. Oui, c’est moi qui leur mets le bâton dans la main. Et alors ? On n’essaye pas d’agir avec les gens ? Moi, ce qui me navre, c’est ce sentiment d’impuissance et de résignation qui nous habite, qui fait que l’on ne peut plus rien faire, soit collectivement, soit individuellement. Les gens ont le sentiment de ne plus avoir prise sur leur existence. Les Klur, j’essaye de leur redonner prise. »

    « Son narcissisme fait sa force, soupire un ancien ami. François a toujours eu un flair incroyable pour trouver des façons différentes de traiter l’information et d’arriver à ses fins. » Propos anonymes. La force polémique de François Ruffin fait peur. L’homme aux caméras cachées et aux diatribes acerbes a la solidité de celui qui n’a peur que d’une chose : le silence. « C’est le mâle dominant, poursuit notre interlocuteur, à l’ego surdimensionné, au combat obsessionnel... Vous verrez, il finira patron. »

  • Et si on aimait enfin l’école ! (Histoire et politiques scolaires)
    http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-lelievre/090112/et-si-aimait-enfin-lecole

    Les deux auteurs considèrent que durant ces dix dernières années s’est opéré un déplacement depuis le collège (considéré comme ‘’le’’ lieu des difficultés) jusqu’à la mise en cause - récente et privilégiée - de l’#école primaire. […]
    Après avoir mis en avant certaines arrières pensées foncièrement politiciennes (en particulier durant les ministères de Gilles de Robien et de Xavier Darcos) […], il n’en reste pas moins qu’ « il faut admettre que l’école primaire rencontre des difficultés réelles et qui sont plutôt en train de s’aggraver ».
    […] "Les plus grandes lacunes repérées par les #évaluations nationales et internationales se situent dans le domaine de la compréhension de l’écrit et de la production de textes. Nos écoliers s’avèrent plutôt ’’bons déchiffreurs’’, mais mauvais ’’compreneurs’’ et ’’faibles scripteurs’’. On peut échouer à comprendre un texte parce que trop de mots (bien déchiffrés) sont inconnus, parce que la syntaxe n’est pas limpide (sujet inversé, phrases négatives, passives, propositions trop longues), parce que l’effort de déchiffrage mobilise trop l’attention, parce que le contenu même du texte est trop étranger aux savoirs du jeune lecteur...".
    […] il faut aussi reconnaître le rôle fondamental que doit jouer l’école primaire. Cela n’a pas été le cas jusqu’ici si l’on en juge par la part inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE dévolue à l’enseignement primaire en France selon quelques #indicateurs significatifs. Ainsi le coût de l’élève de l’enseignement primaire français est de 14% inférieur à celui du coût moyen de l’élève d’école primaire dans les pays de l’OCDE (alors que c’est exactement l’inverse pour ce qui concerne le coût de l’élève de lycée). Et le taux d’encadrement dans l’enseignement primaire français est inférieur de 25% au taux d’encadrement moyen de celui des pays de l’Union européenne.

    #lecture

    • C’est quoi le « on » dans « et si on aimait enfin l’école » ? Apparemment pas les enfants, car il n’en pas question dans cet article, sauf dans les statistiques de difficulté en lecture/écriture.

    • Bin "on", c’est le "ça" de la majorité silencieuse, comme dans "on a gagné" ou "on veut pas de ça chez nous"…
      Plus sérieusement, Claude Lelièvre est un "expert sur les questions d’éducation auprès du P‘S’", plus "systémique" dans ses analyses que "pédagogique" d’où l’absence des enfants dans ce billet, il a largement inspiré les propositions de M. Aubry pendant les primaires ‘socialistes’ mais, à ma connaissance, n’a pas été repris dans l’équipe de campagne de F. Hollande.
      Je précise que je référence des articles qui ne reflètent pas nécessairement mon point de vue. En l’occurrence, en dehors de certains chiffres qui vont à l’encontre de certaines idées reçues, ce qui m’intéresse c’est ce concept d’« école fondamentale », leitmotiv actuel de C. Lelièvre (cf. http://seenthis.net/messages/33477 qui t’avait déjà fait réagir).
      Le débat est toujours implicite et jamais médiatisé, mais il me semble important. Nous sommes à une fin de cycle : à la suite des trente glorieuses, il y a eu un projet de démocratisation de l’école qui n’a jamais été effectif (l’école ne s’est pas démocratisée), mais qui a vu le collège, le lycée et les universités accueillir des publics qui n’y arrivaient pas avant. Sans doute que cette "démocratisation" était portée par des nécessités économiques : besoin d’une main d’œuvre plus qualifiée. Depuis quelques années déjà, on remet en cause cette "démocratisation", la pierre angulaire étant l’officialisation du décès du "collège unique". L’école primaire est touchée aussi puisqu’elle devient "jardin d’éveil" en maternelle et machine à sélectionner les "bons" collégiens à l’élémentaire… sans doute que ce reflux idéologique s’explique en partie par les nouveaux besoins économiques, après 30 ans de délocalisation, inutile de faire des études longues pour faire les métiers qui restent : torcher les vieux et livrer des pizzas aux cadres burn-outés…
      Bref, le concept d’« école fondamentale » est ambigü comme l’était le « socle des compétences » : s’agit-il de refonder une démocratisation réelle du système scolaire ou d’acter la mort de cette ambition (l’école fondamentale sera alors l’ancien certificat d’étude) ? Et puis surtout peut-on s’en saisir pour reposer des exigences fondamentales sur l’éducation, ses finalités, son organisation, ses objectifs, la place des différents acteurs dont les enfants, etc.

    • J’avais bien compris que ce que tu référençais n’étais pas forcément de ton point de vue. Et je m’excuse pour mes commentaires parfois un peu lapidaires, j’ai tendance à avoir des réactions épidermiques sur le sujet et pas forcément le temps ou les compétences pour développer de manière intéressante... :-)

      Je suis tout à fait d’accord avec ton commentaire, qui m’a fait penser à un article dans le dernier Diplo qui parle des États-Unis et d’un discours en vogue qui dit que la solution à la pauvreté et aux inégalités c’est l’éducation, comme si la pyramide des inégalités scolaires ne correspondait pas à celle des inégalités ensuite dans le monde du travail.

      En fait ce qui m’énerve dans tous ces articles et discours sur la refondation de l’école et tout le toutim, c’est l’absence quasi totale de prise en compte de la place de l’enfant, de ce qu’il vit à l’école et qui est bien souvent assez terrible : humiliations et perte d’estime de soi pour ceux qui ne « réussissent » pas, soumission à une autorité quasi totale et à une charge de travail très élevée pour tous, etc. Je caricature mais à peine.

      Je me sens vraiment proche d’un Bernard Collot, que tu dois connaître j’imagine, sur tout ça :

      http://education3.canalblog.com

    • Concernant la vie des enfants à l’école, il y a cette phrase terrible du beau Raoul « L’école est au centre d’une zone de turbulence où les jeunes années sombrent dans la morosité, où la névrose conjuguée de l’enseignant et de l’enseigné imprime son mouvement au balancier de la résignation et de la révolte, de la frustration et de la rage. » (http://seenthis.net/messages/45989) : le fonctionnement institutionnel ne sauve personne…
      Du côté vie de classe, tu cite Bernard Collot, du côté des réflexions plus institutionnelles, j’aime beaucoup l’approche de Charlotte Nordmann (http://seenthis.net/tag/charlotte-nordmann) qui tente de concilier dans ses réflexions les deux versants - émancipateur et oppressif - de l’école.

    • Oui, tu as raison de pointer que l’école est aussi un lieu de souffrance pour ceux qui y travaillent. Néanmoins j’ai tendance à tordre un peu le bâton du côté de la souffrance des enfants, car celle-ci me semble encore plus invisible (en-dehors des cas de harcèlement par d’autres élèves). La souffrance des profs, on en parle un peu plus, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’on fait quoi que ce soit pour y remédier...

      Merci pour la référence à Charlotte Nordmann, je ne connaissais pas, je vais jeter un coup d’oeil.

    • Non, je ne voulais ni comparer, ni opposer les souffrances. En dernière analyse, l’enseignant, dépositaire de l’autorité de l’État, reste l’oppresseur :)
      Je voulais juste noter que les dysfonctionnements se nourrissent les uns les autres en un bel effet miroir. Sans un « pas de côté », chacun s’enferme dans un dysfonctionnement renforcé par le système. Le « pas de côté » est pédagogique donc du ressort de l’enseignant…
      Réclamer des moyens en plus est nécessaire, se demander « qu’est-ce qui se vit dans la classe où j’enseigne » est essentiel…