person:khaled kelkal

  • Olivier Roy : « La mort fait partie du projet djihadiste »

    Les jeunes radicalisés appartiennent à une nouvelle génération de djihadistes fascinés par la violence et le nihilisme, estime le directeur de recherche au CNRS.

    Directeur de recherche au CNRS, Olivier Roy enseigne à l’Institut universitaire européen de Florence, il vient de publier Le Djihad et la mort, ouvrage dans lequel il explique la nouveauté du terrorisme globalisé par « la quête délibérée de la mort » par les jeunes djihadistes. Auteur d’une oeuvre internationalement reconnue et largement débattue, il revient sur les origines et les moyens de résister à ce « Viva la muerte » mondialisé.

    Le djihadisme n’est-il qu’un nihilisme ou bien également un islamisme ?

    Le projet islamiste au sens strict (c’est-à-dire celui des Frères musulmans) est de construire un Etat islamique d’abord dans un pays donné, en obtenant le maximum de soutien populaire. Du Hamas palestinien au PJD [Parti de la justice et du développement] marocain, en passant par le Ennahda tunisien, les résultats sont variés, mais dans tous les cas le nationalisme l’a emporté sur l’islamisme. Les djihadistes, en revanche, s’inscrivent d’emblée dans la défense de l’oummah [communauté des croyants musulmans] globale et ne s’intéressent pas à la mise en place d’une société stable dans un pays donné. Le nihilisme n’est pas leur projet initial, bien sûr, mais devant l’échec de leur tentative de djihad mondial, ils se replient de plus en plus sur une vision apocalyptique et désespérée, qui, elle, est nihiliste. Et c’est cela qui attire des jeunes sans lien avec les conflits locaux, mais qui sont fascinés par le destin de martyr qui leur est soudain offert.

    Comment expliquer les causes de cette violence « no future » qui s’arrime à la religion musulmane ?

    Sans ignorer la longue généalogie du djihad dans le monde musulman, il faut bien constater que les formes de radicalité que l’on trouve dans le terrorisme et le djihadisme aujourd’hui sont profondément modernes. De Khaled Kelkal aux frères Kouachi, on retrouve les mêmes constantes, toutes très nouvelles : des radicaux venus d’Occident (en gros 60% de seconde génération et 25% de convertis), tous jeunes, tous en rupture générationnelle, tous « born again » ou convertis, tous s’identifiant à un djihad global qui se développe bien au-delà des formes de mobilisation classique (soutien aux luttes de libération nationale). La moitié d’entre eux ont, en France, un passé de petits délinquants. Et surtout, tous se font exploser ou se laissent rattraper par la police et meurent les armes à la main. Bref, pour presque tous, la mort fait partie de leur projet. Ce comportement n’est ni islamiste ni salafiste (pour les salafistes, seul Dieu décide de la mort).

    S’agit-il d’une variante, islamisée, d’un « Viva la muerte » globalisé ?

    Si on adopte une vision transversale (comprendre la radicalisation des jeunes djihadistes en parallèle avec les autres formes de radicalisation nihiliste) au lieu d’adopter une lecture verticale (que dit le Coran sur le djihad), on voit à quel point le nihilisme du terroriste islamique s’inscrit dans un modèle répandu, comme ces jeunes qui commettent des massacres de masse de type Columbine (deux lycéens américains retournent dans leur collège à Columbine en1999 pour massacrer leurs camarades et leurs professeurs), on trouve des analogies frappantes : annonce du massacre à l’avance sur Internet, mise en scène de soi-même avant et pendant (on se filme), référence apocalyptique (satanisme pour Columbine) et enfin suicide. Beaucoup d’observateurs ont remarqué à quel point le prestige de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] vient de sa maîtrise d’une certaine culture jeune (jeux vidéo, Call of Duty, mise en scène gore) ; Daech permet de se construire en héros négatif, qui occupera la « une » des journaux. Le nihilisme va de pair avec un narcissisme exacerbé : on s’assure, comme Amedy Coulibaly, que les télévisions sont bien là, on se filme en train de tuer, comme l’assassin du père Hamel et celui des policiers de Magnanville. Les décapitations lentement filmées, précédées de l’interrogatoire des prisonniers, suivies de leur dissémination sur Internet, est une technique mise au point par les « narcos » mexicains bien avant Daech. L’esthétique de la violence (que l’on trouve par exemple dans le film de Pasolini, Salo ) est une dimension importante de cette culture gore.

    Est-ce également un mouvement générationnel ?

    En plus de la fascination pour la mort, la dimension générationnelle est fondamentale chez les radicaux. Dans pratiquement toutes les cellules, on trouve au moins une fratrie (et des couples de frères pour le réseau Bataclan-Bruxelles). C’est énorme et inédit, aussi bien dans les groupes d’extrême gauche que dans la tradition radicale islamiste. Et quand ces jeunes ont des enfants, ils les abandonnent à l’organisation, comme s’ils ne pouvaient pas engendrer pour eux-mêmes, comme s’ils refusaient de s’inscrire dans la durée.

    D’où viennent cette haine générationnelle et cet iconoclasme culturel ?

    Les révolutions de jeunes ont été inaugurées par la Révolution culturelle chinoise. Si les révolutions attirent les jeunes, elles prétendent détruire un ordre ancien mais pas les anciens en tant que tels. Or la Révolution culturelle chinoise a visé non pas une classe sociale, mais la génération des parents : un rite d’appartenance était de dénoncer ses propres parents. La haine de la génération des parents va de pair avec l’iconoclasme : on détruit temples, statues et mémoire. Les Khmers rouges sont une parfaite illustration de cette révolution générationnelle. Mais la multiplication récente d’armées d’enfants-soldats (comme peut-être ce que prépare Daech s’ils en ont le temps) est aussi un signe de cette instrumentalisation d’une guerre de génération (ici manipulée, car les enfants ne choisissent pas). Les radicaux ne se révoltent pas au nom de leurs parents : ils dénoncent l’islam, ou plutôt le mauvais islam de leurs parents.

    Comment peut-on lutter contre la propagande de Daech ?

    On commet un contresens total sur la radicalisation djihadiste en pensant qu’elle est la conséquence d’un mauvais choix théologique : ces jeunes attirés par l’islam auraient, entend-on, mal compris le message et auraient suivi une fausse interprétation de l’islam. Bref, il suffirait de leur enseigner un « bon » islam pour les déradicaliser. Mais ils sont justement fascinés par la radicalité, pas par l’islam en tant que tel. Ils suivent le djihadisme parce qu’ils y trouvent ce qu’ils cherchent - la radicalité et la violence -, pas parce qu’ils se seraient malencontreusement trompés d’école. On ne guérit pas un joueur de poker en lui apprenant la belote.

    Ce qu’on appelle la « déradicalisation » n’est pas la solution, expliquez-vous, car « les djihadistes sont des militants ». Mais par quoi faudrait-il la remplacer, et quelles instances pourraient les faire parler ?

    Lors des procès aux assises des anarchistes autour de 1900 (comme celui d’Emile Henry en1894), on avait un forum de débat : le militant défendait ses idées (bien sûr, cela se terminait par la guillotine, mais on le prenait au sérieux). Or aujourd’hui, on fait tout pour médicaliser ou infantiliser le radical (et surtout la radicale : la djihadiste en burqa paraît incompréhensible). Je crois qu’il faut leur accorder la responsabilité, et donc, bien sûr, les punir, mais les pousser à parler politique au lieu de s’enfermer dans la secte.

    L’essor du salafisme, même dans sa version non violente, ne fournit-il pas malgré tout un cadre idéologique favorable au djihadisme ?

    En regardant de plus près, on voit que l’islam des radicaux et de Daech n’est pas vraiment salafiste, car ils ne sont guère obsédés par l’orthopraxie (le strict respect des règles) qui est la marque du salafisme. Mais le salafisme a une responsabilité non pas tant dans la radicalisation terroriste que dans la légitimation d’une sorte de séparatisme, celui de la communauté des croyants par rapport au reste de la société. La conséquence, c’est que le salafisme ne sait pas quoi répondre quand les jeunes radicaux poussent la logique de la rupture jusqu’au bout, car il n’a pas d’argument en faveur du « vivre-ensemble ». Et là il faut mettre les prédicateurs salafistes devant leur responsabilité qui est ici plus sociale que théologique.

    Pourquoi la recherche sur le djihadisme est-elle aussi divergente et divisée ?

    Il y a des enjeux intellectuels, voire idéologiques certains. La recherche en sciences humaines n’est pas une science exacte ; on s’identifie à son terrain, on peut aussi parfois le prendre en haine. Le chercheur fait partie de sa propre recherche. La réponse, c’est le débat dans le cadre assez normé de la rigueur universitaire. Mais le problème est que cette rigueur se trouve bousculée aujourd’hui par les exigences du marché. Il y a un marché de la recherche, à la fois structurel (répondre à des appels d’offres) et occasionnel, la vague de terrorisme a soudainement ouvert les vannes d’un financement dans l’urgence. Le premier qui présente un projet de recherche répondant aux attentes, ou plutôt aux angoisses, des autorités gagne le marché. D’où la tentation de délégitimer la concurrence.

    Comment résister à la terreur que veut répandre Daech ?

    Daech vit de la peur qu’il inspire. Car Daech n’est pas une menace stratégique. Le « califat » s’effondrera tôt ou tard et les attentats, aussi meurtriers soient-ils, ne touchent l’économie qu’à la marge et renforcent la détermination sécuritaire (l’Europe de l’Ouest qui doucement s’enfonçait dans un processus de désarmement y met fin). La crainte d’une guerre civile reste un fantasme, car Daech ne touche de jeunes musulmans qu’à la marge et ne fait rien pour gagner la population musulmane à sa cause (un tiers des victimes de l’attentat de Nice sont des musulmans). Il faut travailler avec les classes moyennes d’origine musulmane en ascension sociale, favoriser l’émergence non pas d’un islam français mais de musulmans français, en cessant de s’appuyer sur des pays étrangers, et en normalisant la pratique religieuse publique, c’est-à-dire en jouant la carte de la liberté religieuse, au lieu de s’enfermer dans une laïcité idéologique et décalée.

    Propos recueillis par Nicolas Truong

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/11/la-mort-fait-partie-du-projet-djihadiste_5011917_3232.html

    #OlivierRoy
    #Jihadisme

  • Avant les balles, Jean-Luc Gasnier
    http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-luc-gasnier/180115/avant-les-balles

    C’était avant les balles, la terreur était loin ou ne concernait que des anonymes ; Mohammed Mehrah et Khaled Kelkal étaient morts depuis longtemps, presque oubliés ; on n’imaginait pas que des terroristes puissent frapper, en plein cœur de Paris, des journalistes connus, protégés. On n’imaginait pas des actions véritablement préparées, on n’imaginait pas une telle violence, une telle haine, on n’imaginait pas que des jeunes français puissent se désolidariser des hommages rendus aux victimes de la barbarie, puissent ne pas éprouver de compassion, puissent au contraire se sentir solidaires des tueurs. On n’imaginait pas, on vivait dans notre petit monde confortable, épargné, on était entre soi, entre gens « civilisés ». Les médias, les grandes chaînes répandaient en continu la splendeur, la puissance de l’occident, la supériorité de ses techniques, assuraient le règne de la marchandise. Bien sûr, tout n’était pas parfait : le chômage, l’exclusion, la pauvreté grandissante . . . mais comment imaginer de tels effets contre-productifs de la recherche effrénée de productivité ?

    Et pourtant la colère montait, l’ennemi grandissait dans nos murs. La pensée unique ne peut concevoir d’alternative, mais une contre-culture radicale, absolue, se développait, à l’abri de nos lâchetés et de l’abandon de nos valeurs.

  • L’enfance misérable des frères Kouachi - Reporterre
    http://www.reporterre.net/L-enfance-miserable-des-freres
    Après, j’ai tendance à penser que c’est moins une question d’enfance difficile que d’âge adulte sans perspectives.

    Evelyne tient pour responsable la politique de la Ville. « Le but était de parquer là les pauvres. Et personne ne s’en occupait. Les assistantes sociales démissionnaient une à une. Elles avaient trop de boulot par chez nous, elles préféraient se faire muter ailleurs. Alors chaque mois, on avait une nouvelle personne qui reprenait notre dossier, et au final, on n’avançait pas. »

    • Sans doute un mélange des deux ? On doit pouvoir surmonter une enfance difficile avec des perspectives une fois adulte, ou vivre différemment le manque de perspectives si on a eu une enfance heureuse, mais si on cumule les deux, ça commence à faire beaucoup.

      Certes, je n’invente pas l’eau chaude en disant ça ;-)

    • Ces « enfants des années 80 », c’est à dire du 1er socialisme ont été d’emblée #bannis (mis au ban, banlieusardisés). Et oui @monolecte, autant que leur enfance, c’est sans doute une #jeunesse sans aucune #perspective (voir la vidéo à laquelle Koulibaly avait participé sur Fleury mérogis : http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/12/quand-amedy-coulibaly-denoncait-les-conditions-de-detention-a-fleury-merogis) - y compris politique (et c’est là que toute cette merde renvoie à une responsabilité collective et non pas « républicaine ») - qui contribue lourdement à fabriquer ce genre de fascistes là.
      aucune « excuse », simplement la question ne peut se poser slt sous un #angle_moral (l’#effroi et le refus suffisent pas...)

      https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=tf2VZoPs1z4

    • ce n’est pas une découverte récente :

      "Moi, Khaled Kelkal" (1995)
      http://antisophiste.blogspot.fr/2009/04/khaled-kelkal-terroriste.html

      À l’évidence, [Kelkal] a essayé successivement toutes les stratégies possibles d’intégration :

      ¤ la loyauté aux valeurs et aux normes du monde des « Ils » a buté sur l’inadaptation scolaire.

      ¤ la voie du conformisme déviant (défection aux normes plus qu’aux valeurs des « Ils ») l’a mené en prison.

      ¤ la voie de l’Islam (défection aux valeurs "matérialistes" des « Ils ») le mène à une impasse. L’Islam ne procure pas du travail !

      Ne pouvant trouver sa place, Kelkal envisage de partir en Algérie :

      ¤ la voie de l’Exit : être musulman dans une communauté de musulmans, être un maghrébin dans une société de maghrébins, être humble parmi les humbles... c’est cela l’intégration. Las ! le rêve algérien n’a pas résisté à la guerre civile qui sévit là-bas. Et puis, que connaît-il de l’Algérie, lui qui est arrivé en France à l’âge de deux ans ?

      L’Islam réapparaît ici dans sa dimension politique : en Algérie, il a pu devenir une idéologie de combat qui offre aux laissés pour compte du « système » une solution collective ; en France, il peut être une idéologie de ressentiment, qui n’offre aucune solution collective mais permet de donner un sens à des stratégies individuelles de rupture. Quand toutes les solutions ont été explorées, il reste les solutions désespérées :

      ¤ la voie du Terrorisme (ici sous couvert d’islamisme), véritable suicide médiatique : exposer sa vie pour faire entendre sa voix, choisir l’Exit ultime pour donner plus de poids à la Prise de Parole.

      Finalement, la dérive du jeune Kelkal questionne la capacité de la société française à intégrer ses enfants les plus déshérités, à leur donner leur chance. Pour Dietmar Loch, qui l’avait interviewé trois ans plus tôt, « Khaled Kelkal était un franco-maghrébin qui cherchait la reconnaissance et la dignité, et ne les a pas trouvées » (Le Monde du 7 octobre 1992)

      “Mohamed Merah ressemble beaucoup à Khaled Kelkal” (2012)
      http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20120326.OBS4584/mohamed-merah-ressemble-beaucoup-a-khaled-kelkal.html

    • Bien d’accord, et il n’est pas besoin d’Islam pour que de tels phénomènes se produisent.

      Nanterre-la-Folie, socialisation ou barbarie, Chimères n°46, avril 2002.

      L’histoire se répète depuis plusieurs mois sans qu’on n’y prenne garde. Là c’est un événement inimaginable de l’autre côté de l’Atlantique [11 septembre 2001, ndc] ; ici c’est un fait sans précédent dans une #banlieue de la capitale. Dans les deux cas, c’est la même réponse sociale et médiatique. Il faut couvrir l’absolue singularité de ces gestes, contenir leur possibilité de contagion, la peur et la panique, le questionnement légitime sur le sens de ces passages à l’acte. On invoquera d’abord l’exceptionnalité, le caractère absolument imprévisible de tels gestes - le système n’est pas pris en défaut, les gouvernants contrôlent la situation, n’ayez crainte populations... Puis, dans le même mouvement, il faudra tout de même expliquer l’inexplicable, rendre compte, donner des raisons, on convoquera donc une batterie d’experts au service de l’interprétation. D’un côté on surenchérit dans le mythe ; de l’autre on surjoue la raison, c’est la matrice rhétorique qui justifie l’#état_d'exception_permanent dans lequel vivent désormais nos sociétés. Dans ce dispositif discursif d’annulation où la charge d’un événement est prise en étau, une fonction particulière est réservée au psychologue. Il fournit le lexique de la réprobation unilatérale, folie, démence, barbarie, etc. On le remarque à propos des crimes sexuels comme pour le terrorisme, le champ psychiatrique - paupérisé et dévalué - est aujourd’hui annexé au champ juridique, mode de production privilégié d’une anormalité de masse qui ne connaît pas encore ses lois.

      La tragédie de Nanterre n’est pas un fait divers : elle est le produit d’une individualité en tant que celle-ci exprime des tendances sociales plus générales. Un fait intrigue dans le retour de la violence sur la scène sociale depuis plusieurs mois : la combinaison de l’homicide et du suicide. Richard Durn implorait qu’on le tue à la mairie de Nanterre ; en moins de 35 heures il y est parvenu. Les pirates du 11 septembre ou les combattants de l’Intifada sont dans des situations semblables. Nul besoin de se tourner vers des pensées extrêmes pour comprendre ce dont il s’agit. Durkheim analysait ainsi le phénomène en 1895 : « il doit y avoir une autre forme, plus moderne, du suicide, susceptible également de se combiner avec l’homicide. (...) L’état d’exacerbation où se trouve alors l’individu est tel que, pour se soulager, il lui faut deux victimes. Voilà pourquoi, aujourd’hui, un certain parallélisme entre le développement de l’homicide et celui du suicide se rencontre surtout dans les grands centres et dans les régions de civilisation intense. C’est que l’anomie y est à l’état aigu ».

      La trajectoire sociale de Richard Durn exprime en tout point le désir d’en finir avec cette anomie . Le « meurtrier de Nanterre » fait partie de ceux qu’on a appelé les exclus. Il touchait le RMI depuis plusieurs années. Durn est un précaire, ou plutôt un « intello précaire » (Anne et Marine Rambach, Les intellos précaires, Fayard 2002), pas un laissé-pour-compte traditionnel qui rentre dans la connaissance préétablie que nous avons de la relégation sociale. Diplômé d’histoire et de science politique, finançant ses études en travaillant à temps complet, il n’a cessé de chercher une reconnaissance institutionnelle. D’origine slovène, on le trouve engagé dans une action humanitaire en Bosnie pendant la guerre. Il n’est pas un oisif, il est de ceux qui ne supportent pas de ne pas avoir d’activité, de rôle dans la société, de ceux qui souffrent d’avoir intériorisé la norme du travail salarié . Intello précaire, son activité propre ne trouve aucune inscription sociale, aucune reconnaissance matérielle parce qu’elle n’entre pas dans le circuit de la valeur d’échange. On se moque aujourd’hui de cet homme qui continuait d’habiter chez sa mère à l’âge de 33 ans, comme s’il s’agissait là d’une pathologie annonciatrice de ses actes ultérieurs. Là encore l’affaire est banale : les services de la mairie n’ont pas pris en compte sa demande de logement social sans la passer au crible préalable du contrôle. On se demande quelle atrocité supplémentaire est nécessaire pour que la « gauche plurielle » cesse d’ignorer le lien qui existe entre les faits de Nanterre et son refus de faire de la pauvreté et des inégalités une question digne d’un candidat à l’élection présidentielle - comme le déclarait Jean-Christophe Cambadélis, chargé de campagne de Lionel Jospin, en recevant des chômeurs et des précaires il y a peu - et qu’elle s’interroge sur le niveau des minima sociaux, sur l’interdiction de RMI qui frappe des centaines de milliers de jeunes de moins de 25 ans. Il y a une irresponsabilité intolérable à continuer à traiter des actes de violence ou du thème de l’insécurité comme s’il ne s’agissait pas, comme le rappelle Durkheim, de « faits sociaux ».

      Cet aveuglement prend une résonance particulière dans le cas de Richard Durn qui, pour lutter contre la stigmatisation et la dissolution du lien social subies, se tourne vers la politique, vers les associations et les partis. Les contorsions initiales des Verts pour ne pas accepter de reconnaître qu’il fut de leurs proches, comme il fut membre éphémère du Parti Socialiste, ajoutent au pathétique des faits. On ne veut pas admettre que Richard Durn a cherché dans le monde militant de quoi surmonter son désenchantement . Son adhésion à la Ligue des droits de l’homme comme sa présence dans les partis politiques jusqu’à sa participation au contre-sommet de Gênes en juillet 2001 témoignent d’une volonté d’intégration sociale qui ne trouve pas d’échos, d’un désir de socialisation qui échoue à répétition. C’est que le précaire n’a pas le droit d’exister positivement comme il n’a pas le droit d’exister politiquement. Voué à la seule survie, il est proprement l’irreprésentable. Rien n’est plus faux par conséquent que de comparer le geste de Durn avec celui des mass murderers américains, et de se repaître ainsi, dans la bonne conscience retrouvée, d’une critique de l’américanisation de la société française. Le meurtre commis par Durn n’a pas lieu dans un bureau de poste, un lycée de province, un Mac Donald’s, dans une rue commerçante ou lors d’une simple réunion de famille. Il survient dans une institution politique, dans l’arène censée représenter au mieux l’idéal démocratique à sa plus petite échelle. Le passage à l’acte dans la séance du conseil municipal de Nanterre n’a donc rien d’aléatoire. Il exprime l’état de frustration d’un citoyen banal face aux instances de représentation politique existantes qu’il a connues de l’intérieur. Et si Durn s’en prend, dans un geste apparemment incompréhensible, à ceux qui lui furent politiquement le plus proches, n’est-ce pas précisément parce qu’ils sont ceux qui l’ont le plus déçu ? En pleine campagne électorale, l’acte met en cause, à sa manière, les limites de la représentation politique. Directement visé aussi : l’État dans sa diffusion capillaire.

      Il faudra s’interroger sur le fait qu’il est devenu inacceptable de proposer une interprétation politique d’actes qui portent cette dimension, même s’ils sont exceptionnels, même si leurs conséquences sont extrêmes, même s’ils sont marqués au coin du ressentiment. Y a-t-il récupération à dire que la résurgence, au niveau international comme au niveau local, d’actes de « propagande par le fait », de violences qualifiées tantôt de terroristes, tantôt de démentes, exprime un état de tension des sociétés actuelles, une crise sociale qui est aussi une crise politique ? Il est plutôt étonnant qu’il prenne si rarement la forme d’actes isolés, violents, inorganisés, comme ce fut pourtant toujours le cas dans l’histoire au moment où, comme depuis le milieu des années 1990, recommence un nouveau cycle de luttes - qu’on regarde par exemple l’anarchisme en France à la fin du XIXe siècle. La mort de Durn désespère aujourd’hui ceux qui misaient déjà sur une grande catharsis citoyenne au cours de son procès programmé en sorcellerie. Un psychiatre regrette sa mort parce que son procès aurait constitué un « événement dans l’histoire de ce type de pathologie ». Des membres du PCF se plaignent que la police remplisse mal sa mission répressive en ayant insuffisamment menotté et surveillé l’inculpé. Politiques et scientifiques déplorent tous qu’un deuil consensuel ne puisse être construit contre ce raté de la vie.

      Mais s’il est vrai, comme l’explique Ulrich Beck, que les « sociétés du risque » tendent à distribuer leurs capitaux en fonction de la menace que les individus peuvent porter à l’équilibre instable du capitalisme, les démunis n’auraient-ils plus pour seule subjectivation possible que de devenir kamikazes ? Dans ce contexte de renaissance possible d’une « guerre des classes » qui prend la forme d’une guerre civile internationale, on a peine à croire que la seule réponse envisagée soit celle d’une criminalisation accrue de la misère : mater les salons où l’on cause établis dans les cages d’escaliers et emprisonner les fraudeurs des transports en commun est désormais prévu par la Loi de Sécurité Quotidienne (LSQ). La répression dans les banlieues comme dans les métros, le refus institutionnel des pratiques de gratuité, la traque des pauvres entraîneront toujours une violence en retour. À l’échelle internationale, avec la guerre contre le terrorisme, comme à l’échelle locale avec les polices de proximité et bientôt les centres de détention pour mineurs, ou dans l’organisation du marché de l’emploi avec le PARE, on ne peut traiter aujourd’hui de la pauvreté et de la précarité comme dans l’Angleterre du XVIIIe siécle, en la surveillant, en la pénalisant ou en la mettant de force au travail.

      Nanterre, il y a 34 ans en mars, fut le théâtre d’événements moins tragiques où étudiants futurs précaires de l’Université nouvelle et habitants des bidonvilles de « La Folie » ne demandaient rien d’autre que Durn : une démocratie réelle contre une représentation politique séparée.

      #Durn

      Ndc : la formule exacte de Cambadélis recevant les mouvements de #chômeurs et #précaires de l’époque : "On ne va pas contamment augmenter les minima sociaux".

  • #Anarchosyndicalisme n° 140, été 2014, sommaire et édito - mondialisme.org
    http://www.mondialisme.org/spip.php?article2067

    LES CELLULES DU FANATISME

    L’actualité vient encore d’illustrer comment la #religion s’attaque aux hommes en souffrance pour leur faire avaler des croyances insensées. Le tueur de Toulouse, ou celui de Bruxelles, et d’autres encore, en Syrie ou ailleurs, ont tous fait ce voyage intérieur qui démarre par l’adhésion à des absurdités pour aboutir aux atrocités du #fanatisme.

    Faut-il encore le redire ? S’il existe un lieu de désespérance dans lequel on peut se faire embarquer pour un tel voyage, c’est bien la #prison. Dans ce qui est une machine à broyer, l’être humain réduit à un numéro d’écrou, est privé de sa liberté, coupé de ses proches. Cet éloignement affectif est toujours cruel, souvent insupportable. Tout devient alors bon pour le combler, y compris les pires théories. Dans l’histoire humaine on rencontre deux fois les cellules –au sens physique du terme : dans les prisons et dans les monastères*1. Ces petites pièces fermées au monde extérieur sont faites pour livrer l’individu isolé aux frayeurs des espaces infinis et des silences éternels.

    Depuis plus de 20 ans, depuis au moins l’affaire Khaled Kelkal, on constate combien le prisonnier, mis en condition par ce système carcéral, est une proie facile pour les religions. Celles-ci lui offrent à la fois l’espoir, la communion et même la rédemption, avec une facilité hallucinante. Il lui suffit de cesser de penser, il lui suffit de croire ce qu’on lui dit de croire et d’affirmer sa foi. Quand un homme cesse de penser, quand il abandonne son esprit critique, tout devient possible, même et surtout le pire.

    Tout ceci relève de la #manipulation mentale. Eh bien, il se trouve que pour de nombreux zélotes de la répression et autres orienteurs patentés de l’opinion publique, il existerait une manipulation extrémiste (insupportable) et une manipulation modérée (recommandée). En conséquence, pour lutter contre les manipulateurs extrémistes, ils faudrait faire entrer dans les prisons encore plus des manipulateurs supposés modérés. Plus il y aura de curés et autres imams dans les prisons, moins il y aura de fanatisme, osent-ils insinuer*2. Or, en prison on est privé de tout, sauf de religion. Il s’ensuit que la religion y progresse et avec elle le fanatisme. Car la religion porte en elle le fanatisme comme l’orage porte en lui la foudre. La prison quant à elle, est l’école du crime. On le sait depuis longtemps. Elle est maintenant, en plus, celle du fanatisme religieux. C’est la réalité objective, une réalité certainement dérangante pour le lobby du « tout répressif ».

    Pour lutter contre la manipulation, il serait bien plus sensé de ne pas commencer par en semer le germe, si modéré soit-il dans ce « bouillon de culture »*3 qu’est la prison. Et si le pouvoir ne se décide toujours pas à supprimer le système carcéral, qu’il ouvre au moins les cellules qui sont la cause structurelle du fanatisme, que le prisonnier ait accès dans des conditions humaines à son conjoint, à ses enfants, à sa famille et à ses amis. Que l’enseignement du savoir y soit favorisé, plutôt que la diffusion des inepties religieuses. Ou que le pouvoir assume une fois pour toute la responsabilité d’y entretenir une pépinière de fanatiques.

    1.- Monastère, moines, sont des termes provenant du grec μοναχός (monachos), « célibataire, solitaire, unique, dérivé de μόνος (monos) seul. » (Wiktionnaire).

    2.- Voir, par exemple, dans « Le Figaro », du 03 juin 2014, l’article dans lequel le curé Viot, sous le titre « Islamisme en prison : à qui la faute ? », attaque en règle la laïcité et demande la multiplication des imams « modérés » en prison (et sous-entendu aussi, des curés). Cet article s’inscrit dans la logique d’une campagne sournoise menée par des personnalités politiques pour renforcer l’emprise des religions en prison.

    3.- Au sens biologique du terme : milieu nutritif dans lequel on fait croitre les germes (en particulier, les bactéries infectieuses).

  • RETOUR SUR L’AFFAIRE #MERAH ou #CHRONIQUE D’UNE #MANIPULATION

    http://www.argotheme.com/organecyberpresse/spip.php?article1354

    par Djamal Benmerad #JOURNALISTE ALGERIEN

    Non, nous n’allons pas évoquer l’affaire Coupat qui ne fait pas honneur au criminel de guerre en #Algérie, M. #FrançoisMitterrand, ni celle des « #terroristes » de Vincennes, qui est encore plus loin de lui faire honneur, ni celle de Khaled Kelkal, pour étayer ce que nous avançons dans les lignes qui suivent. Nous préférons entamer notre propos par cette citation de notre confrère, Christophe Barbier, directeur de L’ #Express : « La seule chance pour #Sarkozy de remporter cette élection réside dans un événement exogène à la campagne électoral, un événement exceptionnel ou traumatisant » (Chistophe Barbier dans C dans l’air ( #France5) du 12 mars 2O12.) Cette phrase qui pourrait paraître, pour certains, prémonitoire, et pour d’autres une prophétie, signifie en fait l’abandon de Sarkozy par ses alliés et, surtout, par l’intelligentsia de droite. Mais cela ne suffit point à notre argumentation. Allons chercher ailleurs le pourquoi et le comment de la manipulation que nous allons traiter ici.