person:léonard vincent

  • Un formidable article de Thomas Frank sur les méfaits du journalisme mainstream, faussement neutre et résolument militant.
    https://www.monde-diplomatique.fr/2016/12/FRANK/56895

    Jamais la presse américaine n’avait aussi ouvertement pris parti dans une élection. Mois après mois, elle s’est employée à discréditer tous les candidats qui lui déplaisaient, à commencer par le sénateur « socialiste » du Vermont Bernie Sanders, concurrent de Mme Hillary Clinton lors de la primaire démocrate. Or les scores réalisés par celui-ci dans les États-clés, ceux où Mme Clinton a été battue à la présidentielle, n’interdisent pas de penser qu’il aurait obtenu un meilleur résultat contre M. Donald Trump.

    À coups de tribunes, d’éditoriaux et de billets de blog, le Washington Post a servi de boussole et de métronome à la campagne de dénigrement menée contre le candidat progressiste — qui proposait une assurance- maladie universelle et publique, une forte augmentation du salaire minimum, la gratuité des universités, etc. Avec ses appels incessants à la courtoisie et sa prédisposition quasi génétique au consensus, ce quotidien est bien plus qu’un « journal de référence » : il fait office de gazette d’entreprise pour l’élite méritocratique, laquelle a transformé la capitale fédérale en arène privatisée pour ses pratiques.

    Les chroniqueurs et éditorialistes du Washington Post sont des « professionnels » au plein sens du terme. Bien éduqués, toujours connectés, arborant souvent des accréditations, ils gagnent confortablement leur vie. Quand ils croisent de hauts fonctionnaires, des professeurs d’université, des médecins, des financiers de Wall Street ou des entrepreneurs de la Silicon Valley — tous très bien payés également —, ils voient en eux des pairs. Ou d’anciens camarades d’études : cinq des huit membres actuels de la direction éditoriale du Washington Post sont passés par l’une des universités de la prestigieuse Ivy League...

    #Trump_élection

    http://lvsl.fr/entretien-avec-thomas-frank

    • Je dis aujourd’hui que les médias français, pour ne parler que d’eux, sont malades. Malades d’abord d’une illusion d’optique, produit de nouvelles lunettes posées sur notre nez par la douce hégémonie culturelle américaine et qui est la recherche fanatique de la pureté, du jugement universel, du slogan d’évangile. Mais aussi malade de son ardeur aux sermons, aux communions et aux excommunions, par les pasteurs de la nouvelle cléricature. Comme le gouvernement « centriste » français, elle est aussi malade de sa détestation des contradictions et des contradicteurs, littéralement incompréhensible pour ceux qui croient que l’ordre dominant est non seulement stable et démocratique, mais aussi révélé par des sciences politiques qui ressemblent pourtant, de plus en plus, à des pratiques de magie primitive. Enfin, elle est aussi malade de cette prétention crédule à la neutralité dans un monde sans centre, de la croyance naïve dans l’universalité des formes de la bonté et de la méchanceté humaine, de l’adoration fétichiste des vedettes, de l’excitation par la vitesse et la mise en chiffres de tout, du mépris de l’histoire, de l’obscur et du refoulé… Bref, la liste est longue.

      Mais pourtant on ne voit pas, dans mon milieu, où est le problème. On ne veut pas voir la démobilisation générale dans les rédactions, l’atmosphère de fin de règne, de long naufrage. On ne voit pas la désaffection générale des citoyens, et même la « haine » bien réelle, passion triste, des épuisés, des invisibles, des moins que rien, des vilains et des infréquentables, de ceux que depuis des années les écrans et les pages oublient ou humilient. On n’entend pas les coups de gueule définitifs des gens devant les plateaux parfumés et bavards, les injures furieuses, le ras-le-bol des téléspectateurs. On ne voit pas les dents serrés des pigistes, les impostures à la mode, les calomnies de couloirs des placardisés et des ambitieux, les crocs-en-jambe permanents des chefs de service. On ne voit pas les grossières erreurs, les tartarinades grotesques, les émois navrants, les mensonges patents, le manque de culture, les idioties paternalistes, la banale médiocrité de pas mal de nos productions. On ne voit pas cette détestation grandissante de nos prétentions et de nos aveuglements par une foule grossissante et exaspérée.

      Ce qu’on voit est seulement le plaidoyer pompeux, claquemuré, hypersensible, d’une cléricature dont le trône vacille et qui ne comprend pas pourquoi. Avec, protestant de l’autre côté de la porte fermée, disant qu’il est temps de se ressaisir, la figure bien pratique du chef de l’opposition de gauche, qui a bien vu que nous sommes tous rangés, dos au mur, dans le grand hall des nouveaux pouvoirs, faisant bloc autour d’eux et exigeant une seule tête dans les rangs. On dénonce donc le haineux dans de bien navrantes conditions.

      J’imagine que si je connaissais personnellement Jean-Luc Mélenchon, j’aurais de longues discussions avec lui sur le sujet, qui ne seraient pas nécessairement toujours paisibles. Mais enfin, je commencerais par le remercier d’avoir insisté et proposé d’organiser la colère, plutôt que lui laisser la bride sur le cou, puisque tel est son propos. Et j’éviterais de me tourner en ridicule en le couvrant d’opprobres et de placards qui n’ont rien à voir avec sa pensée. J’aurais trop peur de passer pour un imbécile.

      Par Léonard Vincent, journaliste et écrivain, membre de la rédaction du Média, ancien responsable de Reporters sans frontières

      https://lemediapresse.fr/medias-fr/sur-la-haine-de-melenchon

  • Eloge de la grève
    https://www.lemediatv.fr/articles/eloge-de-la-greve-tribune

    Une fois de plus, une séquence de communication politique s’est ouverte ces derniers jours en France pour dénoncer par avance la prétendue « prise en otages des usagers du train ». Mais on peut aussi ne pas s’abandonner à ce refrain démagogique et se dire que la grève pourrait être un beau moment de respiration, individuelle et collective.

    Ils ont de la chance, les managers de la République. Les gens ordinaires n’ont pas encore ressenti l’intérêt de faire la grève et d’en savourer les fruits. Pourtant, il y aurait de quoi s’offrir de belles journées. Il y aurait de quoi s’offrir à soi-même une belle émotion, libératrice, gentiment subversive, brève et forte. Faire la grève, ce serait, disons-le comme ça, une grande, une belle petite joie, j’en suis sûr. Ne serait-ce que d’un petit point de vue personnel, au ras du quotidien.

    Pensons aux matins d’hiver, dans les grandes villes. Au métro bondé, aux odeurs de cheveux, de déodorant, à l’étouffoir des petites angoisses, de la lassitude résignée des salariés « qui ne sont rien », d’après ce qu’en dit le grand manager des Français. Coincé entre les épaules et les soupirs des inconnus, on se prend à rêver. Et si aujourd’hui, on ne se laissait pas faire ? Et si on n’avait pas à subir les mille servitudes du travail aujourd’hui ? Oui, on se prend à rêver. Et on repense, avec un peu d’anxiété peut-être, mais aussi une jubilation secrète, à nos journées d’école buissonnière.

    Il y a des jours comme ça. Des jours où la farandole des imposteurs, à la télévision, à la radio, au bureau, sur le chantier, exaspère plus que de raison. Des jours où on nous en demande trop, en tout cas plus que ce qu’on est en mesure de donner. Et d’un seul coup, c’est étrange n’est-ce pas ?, le refus, la ruse, le demi-tour nous appellent. Et nous disent : là, vraiment, non. Hier d’accord, demain je ne dis pas. Mais aujourd’hui : non.

    Parfois, ce n’est pas notre faute. Un enfant est malade, la salle de bain du voisin fuit à travers le plafond, la neige encombre les routes, la grippe nous saute à la gorge. Alors on reste à la maison, secrètement libéré, secrètement rebellé contre les agendas partagés, les réunions hebdomadaires, les problèmes en suspens, les directions des ressources humaines, les premiers de cordée.

    La grève au fond, il faudrait l’essayer, pour voir. Allez savoir si perdre un jour de salaire, peut-être même plusieurs, n’en vaudrait pas la peine. Ne serait-ce que pour voir la tête de ceux qui trouvent ça fou, ou qui trouvent ça irresponsable. Payer pour voir, comme un coup de poker dérisoire et drôle.

    Je me prends à songer à la puissance qu’aurait, dans mon beau pays malade, une grève générale faisant s’affaler en une journée tout l’ordre dominant, le gelant soudain, le faisant baisser d’un ton, le contraignant à l’immobilisme absolu, silencieux, fulminant, dans l’incompréhension générale, la stupéfaction et l’anxiété. Quelle panache ! « Mais que veulent-ils ? » se répéterait-on alors partout, sur les plateaux de télévision, dans les cabinets, dans les salles de réunion du Président. Enfin la question serait posée. Et une réponse serait attendue.

    Quelle belle fiction ce serait, quel beau roman d’un jour ! Le lendemain, j’en suis sûr, quelle que soit la réaction du patron, des collègues, des confrères, au moins, avouons-le, on sourirait. Notre journée, notre semaine peut-être, et pourquoi pas notre mois d’école buissonnière, aurait eu le mérite de tout chambouler en silence. De faire peur, sans un geste violent. Et imaginons alors que nous ne soyons pas seul à nous lever le matin, à nous rendre au travail et, plutôt que de mentir pour nous tirer d’affaire, à clamer haut et fort qu’aujourd’hui, on répondra « non » à tous les ordres. Et que la loi nous protège.

    Oui, vraiment, ils ont de la chance, les managers de la République.

    #Grève #SNCF #Privatisation #mobilisation

  • Erythrée, L’ère des prisons - Un billet de l’écrivain Léonard Vincent

    On le voit bien. On ne peut parler normalement, sereinement, pacifiquement, du sort atroce des prisonniers érythréens. Pour ma part, je m’y parviens pas. Car je sais que, quoi qu’il arrive, quel que soit le destin de l’Erythrée, l’épouvante de leur aventure marquera pour longtemps l’histoire de cette nation brisée. Suprême degré de raffinement dans la cruauté, le confinement au secret de ces femmes et de ces hommes depuis plus de quinze ans symbolise désormais, pour les gens ordinaires, les petites incarcérations du quotidien, dans la psychose nationaliste des vieillards, dans la méchanceté crétine des militaires, dans la cupidité névrotique des trafiquants. Pour les Erythréens, le XXIe siècle, pour l’instant, est l’ère des prisons.

    On aura beau essayer d’oublier, la réalité nous rattrapera. Car un jour les Erythréens ouvriront, caméra à l’épaule, les portes des geôles désormais abandonnées. Et les survivants diront ce qui s’est déroulé dans les donjons du FPDJ, ce Front de peuple pour la démocratie et la justice qui a tout trahi — le peuple, la démocratie et la justice. L’histoire sera dure à entendre.

    https://erythreens.wordpress.com/2017/05/03/a-bas-les-chefs-violents
    #érythrée #réfugiés #détention #migrants #asile #dictature #migration #liberté_presse

  • Léonard Vincent : « Les #réfugiés érythréens fuient un pouvoir totalitaire »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/150316/leonard-vincent-les-refugies-erythreens-fuient-un-pouvoir-totalitaire

    Retrouvez la vidéo dans l’article. L’exode des Érythréens fait moins parler que celui des Syriens : il est pourtant aussi massif. Toute une génération de jeunes gens fuient leur pays pour échapper à ce régime dictatorial qui impose un service militaire obligatoire. Dans son livre Les Érythréens, paru en poche chez Rivages, le journaliste et écrivain Léonard Vincent raconte le périple de ces « évadés ».

    #International #asile #boîte_à_idées #Érythrée

  • Léonard Vincent : « Les #réfugiés érythréens sont des évadés de leur propre pays »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/150316/leonard-vincent-les-refugies-erythreens-sont-des-evades-de-leur-propre-pay

    Retrouvez la vidéo dans l’article. L’exode des Érythréens fait moins parler que celui des Syriens : il est pourtant aussi massif. Toute une génération de jeunes gens fuient leur pays pour échapper à ce régime dictatorial qui impose un service militaire obligatoire. Dans son livre Les Érythréens, paru en poche chez Rivages, le journaliste et écrivain Léonard Vincent raconte le périple de ces « évadés ».

    #International #asile #boîte_à_idées #Érythrée

  • L’#Érythrée, un #goulag à ciel ouvert

    D’après les informations du Figaro, la France connaitrait une augmentation des arrivées de migrants Érythréens sur son territoire. Certains à droite en ont profité pour tenter de relancer le débat sur la nécessité de restreindre l’accès des prestations sociales aux étrangers. Une « sottise » pour #Léonard_Vincent, journaliste et écrivain, auteur du #livre « Les Érythréens », qui livre pour Marianne les clés qui permettent de comprendre cette immigration en provenance d’un pays qui n’a rien à envier à la Corée du Nord.


    http://www.marianne.net/L-Erythree-un-goulag-a-ciel-ouvert_a240514.html

    • Non, les enfants érythréens ne sont pas rois jusqu’à l’âge de 17 ans !

      INTERNATIONAL : : SOLIDARITÉ : : Service militaire à vie : un ancien enfant soldat érythréen raconte son calvaire
      http://www.lecourrier.ch/service_militaire_a_vie_un_ancien_enfant_soldat_erythreen_raconte_son_cal

      MARDI 08 JUIN 2010

      En 2002, le gouvernement décide que tous les Erythréens et les Erythréennes sont mobilisables pour une durée indéterminée, alors que le service militaire était auparavant limité à dix-huit mois. C’est dans ce contexte que la police arrête Frank. « Je n’avais pas de carte d’étudiant. Pour eux, j’avais forcément fui l’armée. »

      Frank est donc envoyé dans le camp d’entraînement de Sawa, perdu dans l’ouest de l’Erythrée. « Nous étions environ vingt mille personnes. Les plus jeunes avaient 12 ou 13 ans, les plus vieux 50 ans. Eux non plus n’avaient pas le choix. »

      L’ancien enfant soldat décrit les vexations, les mauvais traitements comme le « supplice de l’hélicoptère », suspendu, pieds et mains liés dans le dos. Les déserteurs enfermés dans des containers enterrés dans le sol et « qu’on ne revoyait jamais ». Il se souvient aussi de ces deux prisonniers, un sac sur la tête, qui ont pris place à l’arrière de son véhicule. « Nous avons roulé quarante-cinq minutes. On m’a dit de m’arrêter. Ils sont sortis, puis j’ai entendu des coups de feu. Je n’ai rien demandé, car il n’y avait rien à demander. »

  • Les Africains dans les mailles du filet de l’esclavage | Geographica
    http://geographica.net/2013/10/les-survivants-du-bagne-erythreen
    Le journaliste Léonard Vincent qui a publié « Les Erythréens » (éd. Rivages, 2012) a envoyé à Libération (29 octobre 2013) un texte montrant ce que vivent les Erythréens aujourd’hui : « On a rien à perdre quand on a 17 ans en #Erythrée« .


    Dans un texte poignant, il décrit ce qui se passe dans la tête des #migrants qu’il appelle ds « évadés » car l’Erythrée est une effroyable dictature qui ne donne la paix à aucun de ses citoyens. Il raconte comment il faut réunir l’argent. Puis, il a ces lignes terribles qui évoquent les pires atrocités de l’esclavage tel que l’#Afrique le connaît depuis l’Antiquité :

  • Qatar in the Horn of Africa: What Is an Expensive, Idyllic Resort Doing in Eritrea?

    “Qatar is the only country today that has the means and the will to influence Eritrea,” says Leonard Vincent, a French journalist whose work focuses on Eritrea, and who broke the news that Eritrean information minister Ali Abdu defected in December 2012. “They want to use this for their own benefit in terms of their position in the international community, and to secure the Arab world’s influence on the Red Sea. It’s part of their political game.”

    Qatar mediated a border dispute between Eritrea and neighboring Djibouti, launching an effort that culminated in an agreement signed in June 2010 and initially held in place by a small detachment of Qatari peacekeepers. “The fact that they have managed to put Djibouti and Eritrea together at the same table to stop another border war...proves that Qatar can talk to Eritrea,” says Vincent.

    Yet Qatar’s success in tempering the ever-recalcitrant Afewerki came at the expense of the country’s relationship with Ethiopia, which cut off diplomatic relations with Qatar in April of 2008 on the suspicion that the emirate was aiding Eritrean meddling in Somalia. At the same time, the Djibouti agreement demonstrated the benefits of Qatari engagement. In essence, Qatar had achieved a western diplomatic objective — namely, lowering the collective temperature in the Horn of Africa — by fostering the kind of close relationship with Afewerki that a European country or the United States would have had difficulty getting away with.

    according to a 2011 report of the U.N.’s Somalia-Eritrea monitoring group:

    Qatar is perhaps Eritrea’s most important economic partner at the moment, and Qatari officials have acknowledged to numerous foreign diplomats that their Government has provided significant, direct financial support to the Government in Asmara. According to numerous interviews conducted by the Monitoring Group with diplomats, former Eritrean officials and businessmen, much of this support is provided in the form of cash.

    [...]
    The resort on Dahlak Kebir is a reminder of Qatar’s ambition to succeed where the international community had failed — to pacify and open up Eritrea, even if it meant subsidizing one of the most oppressive and arbitrary governments in Africa. But the rest of Dahlak Kebir serves as a reality check. The resort is an anomaly in an island chain more widely known for its prison camp and spy intrigues. It’s a $50 million novelty, evidence of a strategically and even morally-misguided policy, rather than a testament to Qatar’s newfound diplomatic or economic power. In a blistering rebuttal to Qatar’s efforts at being a major player in the Horn of Africa, Dahlak Kebir won’t be on anyone’s vacation itinerary any time soon — unless you’re Qatari royalty, that is.

    The Atlantic
    http://www.theatlantic.com/international/archive/2013/03/what-is-an-expensive-idyllic-resort-doing-in-eritrea/274424