person:laurence louër

  • The Arab Spring Effect on Labor Politics in Bahrain and Oman
    http://cy.revues.org/2865
    par Laurence Louer

    À travers une analyse de cas détaillée du Bahreïn et d’Oman, cet article montre que l’économie politique typique des monarchies du Golfe se transforme sous l’effet des politiques de nationalisation des emplois qui ont été accélérées dans le contexte des mesures contre-révolutionnaires prises depuis 2011. Ces politiques marquent un véritable tournant en faveur du salariat national qui modifie les relations historiquement établies entre les dynasties régnantes et le secteur privé. Celui-ci voit son accès illimité à la main d’œuvre expatriée remis en cause et doit par ailleurs gérer l’émergence des syndicats qui, outre qu’ils imposent des négociations collectives dans les entreprises, participent à des discussions tripartites qui leur permettent d’être associés à la fabrique des politiques de l’emploi. L’ordre économique et social est ainsi de plus en plus négocié.

    Le texte est en anglais

  • Aux sources du conflit sunnites/chiites

    http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/users/laurencelouer

    Par Laurence Louër, chargée de recherche au CERI

    Le projet de remodelage du Moyen-Orient formulé par l’administration de Georges W. Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 a réactivé le conflit, latent depuis la fin des années 1980, entre les deux principaux courants de l’islam que sont le sunnisme et le chiisme. En favorisant l’arrivée au pouvoir à Bagdad des mouvements islamistes chiites, le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003 a suscité l’inquiétude des dirigeants arabes, une inquiétude résumée par le roi Abdallah de Jordanie qui évoquait à la veille des élections législatives irakiennes de 2005 le danger que pouvait constituer la formation d’un « croissant chiite » pour la stabilité du Moyen-Orient.

    La montée en puissance des chiites constitue un problème différent selon les acteurs concernés. La dimension religieuse est centrale pour les mouvements islamistes sunnites, notamment ceux issus de la mouvance salafiste dont la haine du chiisme plonge aux racines mêmes de la division entre les deux courants qui, en réalité, représentent deux utopies du pouvoir en islam. Pour les sunnites, la direction de la communauté des musulmans initialement exercée par Mahomet doit se transmettre à ses successeurs par un processus de consultation. Dans la lignée des réformistes musulmans des dix-neuvième et du vingtième siècles, les islamistes sunnites considèrent que seuls les quatre premiers califes ont été désignés conformément à ce principe. Après ces quatre successeurs « bien guidés », le califat s’est mué en un pouvoir dynastique illégitime avant de disparaître définitivement avec la chute de l’Empire ottoman. L’objectif des islamistes sunnites est donc de restaurer un califat authentique ou, du moins, une forme de pouvoir musulman inspiré des premiers temps de l’islam.

    Pour les chiites au contraire, Mahomet a explicitement désigné ses successeurs au sein de la lignée d’Ali et Fatima. Fatima était la fille du Prophète ; Ali, son cousin et très proche compagnon, l’un des premiers convertis à l’islam. Les chiites se présentent ainsi comme les défenseurs des ahl al-bayt (gens de la maison) du Prophète. Contrairement aux sunnites, ils pensent que les successeurs de Mahomet ne sont pas de simples dirigeants politiques guidés par l’islam mais aussi des autorités religieuses ayant accès au sens caché du message divin. A leurs yeux, les trois premiers califes ont usurpé le pouvoir et falsifié le Coran afin d’y effacer toute référence au droit à gouverner de la lignée d’Ali et Fatima. Seul le quatrième calife, Ali, est légitime.

    Ces querelles autour du pouvoir légitime en islam intéressent peu les dirigeants politiques actuellement au pouvoir qui redoutent surtout le renversement du statu quo. D’une part, ils craignent que la volonté de revanche des chiites, communauté politiquement et culturellement subalterne dans de nombreux pays du Moyen-Orient, ne donne lieu à de violents règlements de compte et à une marginalisation des communautés sunnites. D’autre part, parce que le chiisme est à leurs yeux un attribut consubstantiel au pouvoir d’Etat iranien, ils redoutent que le renforcement des chiites ne favorise les intérêts de Téhéran.

    De fait, depuis que la dynastie safavide l’a établi comme religion d’Etat en 1501, le chiisme a été utilisé par l’Iran non seulement comme une idéologie de construction de l’Etat mais aussi comme un instrument d’influence à l’extérieur de ses frontières. Y compris sous le règne du très laïc Mohammed Reza Pahlavi déposé par la révolution de 1979, l’Etat iranien a soutenu financièrement les institutions religieuses chiites à travers le monde, notamment en Irak. La République islamique a par la suite activement sponsorisé les mouvements islamistes chiites étrangers dans le cadre de sa politique d’exportation de la révolution. Son plus grand succès en la matière reste le Hezbollah libanais, grâce auquel l’Iran s’est invité dans le conflit israélo-arabe et, plus généralement, dispose d’un relais bien au-delà du Liban et des communautés chiites.

    Sans être erronée, cette perception ignore les recompositions dont le chiisme a fait l’objet depuis la fin des années 1980. Si l’Iran continue de disposer d’une grande influence au sein du monde chiite, son modèle politique d’Etat dirigé par le clergé est contesté par les grandes autorités religieuses mais aussi par certains mouvements islamistes chiites. Sa politique étrangère suscite également la controverse, nombre de chiites estimant qu’elle porte parfois tort à leur intégration au sein des pays dont ils sont citoyens. La défense de leurs droits en tant que communauté distincte mais partie intégrante de la nation constitue la ligne politique majoritaire des élites politiques et religieuses chiites, une ligne que la réintégration de l’Iran dans le concert des nations ne pourra que conforter. C’est sur ce plan que des avancées significatives dans l’apaisement des tensions confessionnelles pourraient être obtenues à l’issue des négociations actuelles ou à venir entre l’Iran, ses voisins et la communauté internationale.