person:marie-françoise colombani

  • Bienvenue à Calais... | Actes Sud
    http://www.actes-sud.fr/bienvenue-calais

    #Textes et #croquis, sur le vif, pour écrire et décrire la situation des migrants à Calais. Ce livre est le fruit d’une immersion des coauteurs dans ce “no man’s land” pour donner à un problème politique et social, des noms, des visages, des souffrances, des rêves.

    http://www.actes-sud.fr/node/54698

    Textes de Marie-Françoise Colombani
    Dessins de Damien Roudeau
     
    REFUSER LA HONTE

    Ne laissons pas s’inscrire aux frontières de la France la devise qui orne l’entrée de l’Enfer de Dante : “Toi qui entres ici abandonne toute espérance.”
    Nous nous sommes rendus plusieurs fois à #Calais et notre indignation est immense. Il est insupportable que des gens exposés aux bombardements de la coalition, à la barbarie de #Daesh et à la folie meurtrière de ceux qui les gouvernent subissent, chez nous, un tel dénuement. L’argument récurrent qui consiste à dire qu’accueillir les migrants, ou réfugiés de guerre, dans un lieu de vie digne de ce nom entraînerait un appel d’air est irrecevable. Pourquoi ? Parce qu’ils sont là ! On peut toujours continuer à fermer un camp, le raser, en interdire l’accès, monter des murs, dresser des barrières, réquisitionner la police, la gendarmerie, l’armée, les blindés ou autres moyens d’intimidation… on ne fera que déplacer le problème. Et les fermetures successives des différents camps depuis celui de #Sangatte en 2002 l’ont prouvé.
    Tant que des gens seront chez eux en danger de mort, ils en partiront. Et nous en ferions autant.
    En 2015, plus d’un million de #réfugiés ont rejoint l’#Europe par la mer et 3 735 d’entre eux ont péri ou disparu. Trois millions devraient arriver d’ici à 2017 (Organisation internationale pour les migrations).
    Bénéfices et droit d’auteur reversés à L’Auberge des migrants

  • Le Monde
    France, mardi 9 février 2016, p. 7

    A Calais, la tentation du pire

    Le général Piquemal, qui a participé à une manifestation antimigrants interdite, est jugé en comparution immédiate
    A Calais, on vient parader, car c’est devenu une scène hautement politique. Samedi 6 février, alors que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, avait interdit le défilé antimigrants de la branche française des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida), le rassemblement a pourtant eu lieu dans la ville du Pas-de-Calais et le général Christian Piquemal s’y est invité.
    Cet ex-commandant de la Légion étrangère, ex-membre du cabinet militaire de trois premiers ministres, décoré des plus hauts honneurs de la République, devait être présenté en comparution immédiate lundi après-midi 8 février pour avoir bravé cet interdit. A ses côtés devaient aussi comparaître quelques membres de la squelettique Pegida France.
    Le général Piquemal avait dès le 4 février annoncé sa venue, entendant ainsi protester contre l’interdiction « arbitraire et abusive » de la manifestation de samedi. Il appelait au passage « tous les patriotes et associations patriotiques » à l’y rejoindre. Défenseur de « la France millénaire » et de ses valeurs, cet officier général, ancien du Tchad et de Bosnie, a présidé l’Union nationale des parachutistes (UNP), pendant dix ans, - « L’UNP a vu le jour en 1963 dans une armée divisée entre ceux qui avaient choisi l’honneur et les autres qui lui avaient préféré l’obéissance » rappelait-il dans un entretien en 2010.
    Il a toujours présenté sa démarche et celle du Cercle des citoyens patriotes qu’il anime désormais dans le Var comme « apolitique ». A plusieurs reprises, par le passé, il n’en a pas moins dit sa préoccupation pour « une France qui perd son âme et son identité ». « On recule devant tout, nous sommes dans un état de repentance permanente. La fierté disparaît au profit de la génuflexion » estimait-il, toujours en 2010.
    La colère a montéQu’ils le souhaitent ou non, par leur venue dans le Pas-de-Calais, ces renforts nationaux, à l’image du général Piquemal, légitiment les groupuscules qui agissent déjà sur la ville sur fond de climat de plus en plus délétère. Depuis plusieurs mois, de façon récurrente, un gang armé circulant en BMW sème la terreur auprès des migrants. Il repère des groupes de personnes isolées et les passe à tabac. La nuit du 20 janvier, des jeunes Syriens ont été frappés à la barre de fer en pleine ville. Ils ne sont pas les premiers. Entre juin et octobre 2015, neuf étrangers avaient subi ces mêmes agressions et porté plainte sans qu’aucune interpellation ne suive. Après la dernière opération, dont le modus operandi ressemble aux précédentes, le procureur de la République a ouvert une enquête.
    Ces derniers temps, la colère a monté, laissant place aux thèses anti-immigration du Front national. Comme un cri de désespoir de la troisième région la plus pauvre de France où une personne sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté. Dans les rues ou les cafés, le Calaisien se définit d’emblée par rapport aux marqueurs de l’extrême droite. Partout dans la ville, les grands thèmes du FN semblent devenus l’unité de mesure du positionnement de chacun.
    Ce qui ne signifie pas que les non-racistes ont passé la main. Les bénévoles sont toujours là, qui redonnent espoir aux migrants, offrent l’humanité et la prise en charge qui fait défaut. Mais ils le disent à voix basse, car, comme le rappelle la journaliste Marie-Françoise Colombani, à l’issue d’une immersion de plusieurs mois dans la ville, pour écrire Bienvenue à Calais (Actes Sud, 56 pages, 4,90 euros), « un mouvement raciste local de plus en plus activiste » est en train de s’enraciner dans le lieu.
    Dans cette ville de 78 000 habitants, toutes les interviews commencent désormais par un « que les choses soient claires, je ne suis pas raciste, ni politisé », même si le discours qui suit est raciste et politisé... En général, quelle que soit son opinion, le Calaisien reste anonyme. Par peur du voisin, des représailles de ceux qui ne pensent pas comme eux. Au fil des mois, la ligne de démarcation entre les groupes ressemble de plus en plus aux barbelés et aux grillages qui longent les rocades, séparent la jungle et ses milliers de migrants, du reste de la ville. Calais se déchire, même si les plus extrémistes ne sont pas du cru.
    Le groupe « Sauvons Calais », qui a vu le jour en 2013, a fédéré beaucoup de citoyens antimigrants. Quelques temps supposé être le porte-parole du ras-le-bol du Calaisien non politisé, « Sauvons Calais » a rapidement montré un tout autre visage. Lors d’une manifestation coorganisée avec le Parti pour la France le 8 novembre 2015 un coran a été partiellement brûlé.
    Les liens entre les deux structures sont assez étroits, puisque Kevin Reche, fondateur de « Sauvons Calais », s’est présenté sous l’étiquette Parti de la France aux dernières départementales. Gaël Rougement, qui le 23 janvier a sorti un fusil contre les migrants (lors d’une manifestation promigrants migrants) et dont la vidéo a tourné sur Internet, a été plusieurs fois photographié avec lui et son père était à la manifestation. Poursuivi pour la non-déclaration de son arme, le jeune homme sera défendu par le député (Rassemblement Bleu Marine, Gard) Gilbert Collard. Autant d’éléments qui permettent de comprendre que ce groupe qui affiche plus de 20 000 mentions « J’aime » sur sa page Facebook, a dérivé vers le racisme.
    Face à ce glissement, une place a été laissée vacante pour un autre groupe, au départ moins politisé. « Apolitique et pour l’unité des Calaisiens face à l’insécurité due aux migrants ! Merci d’éviter tout racisme et incitations à la violence », c’est ainsi que se définissent « Les Calaisiens en colère ». Mais le blogueur Philippe Wannesson estimait récemment que " Comme « Sauvons Calais », « Les Calaisiens en colère » se radicalisent. Depuis plusieurs semaines ils patrouillent autour du bidonville de Calais, prétendent encourager la police, menacent les exilé-e-s « . Ce qui ne les empêche pas de cumuler plus 60 000 mentions » J’aime « .
    D’autres regroupements émergent et peinent à modérer les commentaires de leurs inscrits, tant la tentation du racisme est forte pour les Calaisiens qui n’en peuvent plus de la présence non encadrée de milliers de réfugiés venus de Syrie, d’Erythrée ou d’Afghanistan. » Nous ne voulons pas glisser sur cette pente que nous avons observée dans d’autres groupes. Calais a besoin d’informations. Nous souhaitons dénoncer ce qui se passe sans attiser la haine. Si l’on trouve une solution pour les migrants, elle bénéficiera aux Calaisiens « , rappelle la modératrice de » Calais Infos Calais « . Martin, père de deux enfants, s’est inscrit à cette page. » Ça me va parce que je ne suis pas raciste. Mais pour ne pas changer, je ne vais plus à l’hôpital à Calais, plus à la piscine et je ne viens plus dans le magasin où les migrants font leurs courses. J’ai changé ma vie pour ne pas devenir raciste « , conclut l’électricien.
    Aux régionales de 2015, le FN a recueilli 49,1 % des suffrages au premier tour. Au même scrutin, en 2010, le FN avait obtenu deux fois moins de voix. Le FN est une tentation nouvelle pour Calais, comme l’option de la dernière chance dans une ville qui a, 37 années durant, opté pour un maire communiste, et qui aux municipales de 2014 n’avait concédé que 12 % de ses voix au FN ; élisant confortablement Natacha Bouchart (LR). Le FN est resté à l’écart des manifestations contre les migrants : » Il y a un parti anti-immigration, c’est le Front. Plutôt que manifester, il faut voter ", indique Florian Philippot, vice-président du FN, lequel apporte cependant son soutien au général Piquemal.

    Maryline Baumard et Caroline Monnot

    #Calais #migrants

  • Marie-Chantal en Afghanistan, ou le féminisme néocolonial selon « Elle » (Beauté fatale)
    http://seenthis.net/messages/101846

    Cette semaine, le magazine "Elle" annonce le départ de deux de ses collaboratrices de longue date, Marie-Françoise Colombani et Michèle Fitoussi. Dans son éditorial, sous le titre "Elles nous ont donné des ailes", Alix Girod de l’Ain raconte le pot de départ : http://www.elle.fr/Societe/Edito/El... A un moment, quelqu’un a lancé : « Mais qui va garder les Afghanes ? » (...) Source : Beauté fatale

  • Marie-Chantal en Afghanistan, ou le féminisme néocolonial selon "Elle"

    Cette semaine, le magazine "Elle" annonce le départ de deux de ses collaboratrices de longue date, Marie-Françoise Colombani et Michèle Fitoussi. Dans son éditorial, sous le titre "Elles nous ont donné des ailes", Alix Girod de l’Ain raconte le pot de départ :
    http://www.elle.fr/Societe/Edito/Elles-nous-ont-donne-des-ailes-2263672

    A un moment, quelqu’un a lancé : « Mais qui va garder les Afghanes ? » Et c’est vrai que, depuis trente ans, Marie-Françoise et Michèle n’ont pas seulement formé des dizaines de journalistes, elles ont dédié leur force, leur énergie et leur intelligence pour la cause de toutes les femmes. Certes, leur collègue qui signe ces lignes a plus souvent manifesté sa vocation de « clown de bureau » que de figure du combat féministe, mais elle voudrait aujourd’hui se faire la porte-parole de toutes ses consœurs – et confrères ! ce qui est rare nous est cher ! – pour leur dire merci et bravo. Et les assurer, le plus sérieusement, le plus tendrement du monde, d’une chose : promis, Marie-Françoise et Michèle, on gardera les Afghanes.

    Certains ont les bébés phoques ; chez "Elle", on a les femmes afghanes. Seule le "clown de bureau", en effet, pouvait sans doute résumer - avouer - avec une telle ingénuité le regard à la fois spectaculairement ignorant et condescendant qu’elle et ses collègues posent sur leurs "protégées" de prédilection (en 2001, le magazine s’était payé un joli coup de pub en mettant en couverture une Afghane en burqa).

    Dans son hommage à sa collègue, Girod de l’Ain se lamente aussi à l’idée...

    "... de ne plus entendre Marie-Françoise tenter de nous envoyer enquêter chez les femmes opprimées du Kirghoustan inférieur (« 45 heures de voyage en hélico soviétique et 9 vaccins nécessaires, mais c’est un vrai scandale ce qui se passe là-bas »)"

    Bref, le vaste monde qui s’étend au-delà des frontières de Levallois-Perret recèle des contrées exotiques et lointaines dont on se fait une idée si vague et si caricaturale qu’on peut sans problème les fictionnaliser, façon Hergé dans un album de Tintin, en se trouvant très spirituelle. Ces pays ne sont rien d’autre qu’un réservoir de bonnes actions permettant aux bourgeoises occidentales de prendre des poses avantageuses en secourant la veuve et l’orphelin indigènes, victimes de l’arriération et de la barbarie ontologiques de leur civilisation.

    Depuis une dizaine d’années, dans le contexte de l’après-11 septembre, "Elle" a ressuscité avec éclat la grande tradition du féminisme colonial. Il y a une semaine, l’éditorial de Marie-Françoise Colombani, intitulé "Afghanes, la fin de l’espoir", donnait une vision particulièrement lénifiante de l’action de l’armée française en Afghanistan :
    http://www.elle.fr/Societe/Edito/Afghanes-la-fin-de-l-espoir-2258874

    C’est fini. Son départ ayant commencé il y a une dizaine de jours, l’armée française aura bientôt quitté – pour ne pas employer le verbe « fuir » – l’Afghanistan. A ELLE, nous sommes plusieurs à partager une autre image de cette armée : celle de militaires enthousiastes arrivant en 2002 à Kaboul avec, dans leurs avions, des ordinateurs et des imprimantes que nous n’avions pas réussi à acheminer de Paris. Ce matériel était destiné à des journalistes afghanes que nous venions aider sur place à créer leur propre journal. « Roz », « jour » en persan. Un nom qu’elles avaient choisi parce qu’il symbolisait l’espoir.

    Cette couverture d’un numéro de "Roz" permet de préciser le genre d’"espoir" qu’il visait à vendre aux femmes afghanes :

    En difficultés, le magazine avait bénéficié en 2010 d’une vente aux enchères organisée chez BHL et Arielle Dombasle :
    http://afghalibre.typhon.net/2010/01/11/ils-ont-sauve-le-magazine-roz

    Présentées aux lectrices de "Elle" comme charitables et apolitiques, ces bonnes actions s’inscrivent dans la campagne de propagande d’une "guerre pour les femmes", concept qui a tout à voir avec l’idéologie et pas grand chose avec la réalité, comme le résumait un peu brutalement le Feminist Peace Network en 2010, lors de la polémique sur la couverture de "Time" avec la femme au nez mutilé :

    Time Magazine Once Again Trots Out The Tired And Inexcusable ‘We’re In Afghanistan (And Have To Stay) To Protect Women’ Mantra
    http://www.feministpeacenetwork.org/2010/07/29/time-magazine-once-again-trots-out-the-tired-and-inexcusable-w

    Why we can’t leave Afghanistan – yeah sure, we’ve achieved absolutely nothing, trashed the country and possibly put ourselves in more danger and lost too many of our own in the process as well, but don’t be so selfish as to believe that we can just leave, oh no, we have to stay and protect the poor, pitiful Afghan women (and yes that is the sound of sarcasm you hear dripping off those words).

    Alain Gresh, dans "Mourir pour la liberté (celle des femmes en particulier) en Afghanistan" (Nouvelles d’Orient, 21 août 2008), écrivait :
    http://blog.mondediplo.net/2008-08-21-Mourir-pour-la-liberte-celle-des-femmes-en

    Désormais, l’Afghanistan remplace l’Irak dans le discours américain. Et, pour le gouvernement français, c’est aussi « la bonne guerre ». Or, il est plus que douteux qu’un engagement supplémentaire de l’OTAN aboutisse à des résultats pour l’Afghanistan ; au contraire. D’abord, parce que le gouvernement mis en place à Kaboul est largement inefficace, corrompu, otage de tous les chefs de guerre. Ensuite, parce qu’un engagement occidental accru va faire de l’Afghanistan un aimant pour tous les combattants désireux de s’opposer à l’Occident et servir le discours d’Al-Qaida. Enfin, parce que l’histoire a montré, notamment en Afghanistan (les Britanniques et les Soviétiques en savent quelque chose), mais aussi dans le reste du monde, que l’on n’imposait pas la liberté et la démocratie au bout des baïonnettes.

    D’autre part, M. Sarkozy, dans son discours à Kaboul, a repris un mensonge sur la femme à qui on avait coupé la main parce qu’elle s’était mis du vernis à ongles. Ce mensonge avait déjà été dénoncé par Christian Salmon dans un article publié par Le Monde, « Le paradoxe du sarkozysme », 2 mai 2008.

    « L’histoire circule sur Internet depuis des années dans d’innombrables versions. Parfois la victime est une petite fille de 10 ans. Parfois c’est une femme. Le plus souvent, on rapporte que les talibans se “contentaient”, si l’on ose dire, d’arracher les ongles. Dans la version présidentielle, on a amputé la main. »

    « Il est étrange qu’aucune enquête sérieuse ne soit venue questionner les modes de diffusion d’une telle rumeur. Une source semble en être un rapport d’Amnesty International datant de 1997 dont les conclusions étaient bien plus modestes que les commentaires qu’il a inspirés. “Dans un cas au moins, écrivait l’organisation humanitaire, les châtiments infligés ont pris la forme d’une mutilation. En octobre 1996, des talibans auraient sectionné l’extrémité du pouce d’une femme dans le quartier de Khair Khana à Kaboul. Cette “punition” avait apparemment été infligée à cette femme car elle portait du vernis à ongles.” Sam Gardiner, un colonel de l’armée américaine, qui a enquêté sur la communication de guerre des campagnes en Afghanistan et en Irak, a démontré récemment que “l’histoire des ongles arrachés” avait été choisie par Alastair Campbell, le conseiller de M. Anthony Blair, pour illustrer les violences faites aux femmes par les “étudiants en théologie” et diffusée massivement pour convaincre l’opinion publique et les gouvernements européens qui hésitaient à se joindre à la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. »

    « La même story fut diffusée à Washington et à Londres, en suivant des scénographies identiques, allant parfois jusqu’à utiliser les mêmes phrases. Dès novembre 2001, a révélé Gardiner, “l’orchestration de la campagne en faveur des femmes afghanes témoignait de similitudes frappantes dans le timing et les scénarios utilisés à Londres et à Washington”. Le 17 novembre 2001, Laura Bush, la première dame des Etats-Unis, déclare : “Seuls les terroristes et les talibans menacent d’arracher les doigts qui ont les ongles vernis.” Et Cherie Blair, son homologue britannique, d’affirmer (à Londres le lendemain) : “En Afghanistan, si vous avez du vernis à ongles, vous pouvez avoir les ongles arrachés.” »

    (...)

    Si la liberté des femmes en Afghanistan préoccupait tellement l’Occident, on se demande pourquoi celui-ci n’a pas soutenu le régime communiste de Kaboul entre 1978 et 1992. A aucune autre période de l’histoire de ce pays, les femmes n’ont disposé d’autant de droits...

    Paternalisme, ignorance et condescendance se retrouvent dans l’attitude de "Elle" à l’égard des minorités visibles en France, comme en a témoigné l’épisode désastreux du « black fashion power », en février 2012 – voir « Quand le magazine ELLE parle des égéries noires et tombe dans le racisme ordinaire », Afrosomething.com, 24 janvier 2012 :
    http://www.afrosomething.com/article/quand-le-magazine-elle-parle-des-%C3%A9g%C3%A9ries-noires-et-tombe-da

    « Après un article polémique, le magazine « Elle » dément tout racisme », Libération, 2 février 2012
    http://www.liberation.fr/medias/01012387546-apres-un-article-polemique-le-magazine-elle-dement-tout-racis

    En 2004, le magazine avait lancé à grand fracas un « appel à Jacques Chirac » pour l’interdiction du voile à l’école – lire Véronique Maurin, « Le magazine « Elle » profite du voile », Acrimed, 5 janvier 2004
    http://www.acrimed.org/article1432.html

    La rédaction pose sur les banlieues françaises le même regard affligé que sur l’Afghanistan, les deux ayant visiblement tendance à se confondre dans son esprit embrumé. Dans son livre « Pour en finir avec la femme », en 2004, la directrice du magazine, Valérie Toranian, racontait en ces termes le choc que lui avait causé la rencontre avec les militantes de Ni putes ni soumises (on ne rit pas) :

    « Il n’y avait plus uniquement Kaboul ou Islamabad, (...) le Kosovo ou le Rwanda pris dans la folie exterminatrice… »

    (Voir « Un féminisme mercenaire », Périphéries, 8 novembre 2004 :
    http://www.peripheries.net/article67.html )

    En dehors de ces "territoires perdus", en revanche, dans la France blanche, républicaine, galante et civilisée, tout allait bien. Avant que l’affaire Polanski, puis l’affaire DSK, viennent sérieusement bousculer cette vision irénique d’une société débarrassée du machisme, et que le renouveau du mouvement féministe français oblige sa rédaction à s’aligner un minimum, l’instrumentalisation sensationnaliste des Afghanes ou des filles des banlieues permettait au magazine de tenir un discours badintérien selon lequel le féminisme avait, à quelques broutilles près, perdu sa raison d’être : les femmes françaises ont toutes les raisons d’être enchantées de leur sort et feraient mieux d’éviter de se plaindre, ou alors on les embarque dans le premier avion pour Kaboul ou le premier train pour Trappes. En attendant, on leur fourgue des crèmes et des fringues par wagons entiers, et on les matraque d’injonctions à les rendre chèvres sur la femme et la mère qu’elles doivent être (voir « Beauté fatale » pour quelques bonnes pelletées d’exemples).

    Alix Girod de l’Ain, auteure de cet édito d’anthologie sur la garde des Afghanes, est d’ailleurs une adepte enthousiaste de la chirurgie esthétique, à laquelle elle a consacré un livre, « Un bon coup de jeune » :
    http://www.anne-carriere.fr/ouvrage_un-bon-coup-de-jeune---162.html

    En mars, elle s’était distinguée par son intervention dans le débat lancé par Osez le féminisme, qui réclamait la disparition du « mademoiselle » sur les formulaires administratifs :
    http://www.elle.fr/Societe/Edito/Apres-vous-Mademoiselle-1769892

    Il faut défendre mademoiselle parce que Mademoiselle Jeanne Moreau, Mademoiselle Catherine Deneuve et Mademoiselle Isabelle Adjani. Il faut défendre mademoiselle parce que quand le marchand de primeurs de la rue Cadet m’appelle comme ça, je ne suis pas dupe, mais je sens que je vais avoir droit à mon basilic gratuit. Il faut défendre « mad-moi-zell’ » parce qu’elle est « chaarmante », la supprimer serait porter un coup fatal aux loulous qui nous interpellent sur les trottoirs : comment on va faire, si ça devient illégal de se faire draguer dans la rue ? Il faut défendre mademoiselle parce que ma fille de 18 ans, avec ses boucles blondes et ses joues roses, n’a pas du tout, du tout, une tête de madame. A la limite, si on doit changer quelque chose sur les formulaires administratifs, il faudrait rajouter une case : « Pcsse ». Mariées ou pas, jeunes ou vieilles, ce qu’il faut revendiquer, c’est notre droit inaliénable à être des princesses.

    Elle s’était attiré quelques réponses cinglantes :

    Non, Alix Girod de l’Ain, nous ne sommes pas des princesses
    http://www.madmoizelle.com/eradiquons-les-princesses-67838

    Cette longue liste d’avanies, à laquelle il faut ajouter l’épisode de « la pipe, ciment du couple », l’été dernier (lire Gaëlle-Marie Zimmermann, « La pipe du magazine « Elle », ciment de la soumission », Le Plus, 21 juillet 2012 :
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/597199-la-pipe-du-magazine-elle-ciment-de-la-soumission.html ), ou encore les ricanements suscités par un recyclage de camelote éditoriale un peu trop voyant
    http://www.rue89.com/2012/08/18/medias-quand-mamie-elle-radote-son-numero-dete-234705
    , auraient pu inviter à plus de modestie. Mais il faut croire que ce n’est pas si facile, pour les dames patronnesses du 6e arrondissement, de renoncer à se considérer comme l’incarnation de la femme libérée à l’échelle planétaire…

    #femmes #presse_féminine #Afghanistan