person:robert paxton

  • « Le moment néofasciste du néolibéralisme »
    https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/06/29/le-moment-neofasciste-du-neoliberalisme_5323080_3232.html

    Les « délinquants solidaires » persécutés

    Comment penser ensemble la montée des extrêmes droites et la dérive autoritaire du néolibéralisme ?

    D’un côté, il y a le suprémacisme blanc avec Donald Trump, et en Europe, la xénophobie politique d’un Viktor Orbán ou d’un Matteo Salvini.

    De l’autre, il y a des coups d’Etat démocratiques : il n’est pas besoin d’envoyer l’armée contre la Grèce (« des banques, pas des tanks »), pas plus qu’au Brésil (des votes au lieu des bottes) – même si, comme en France, les champions du néolibéralisme ne reculent pas devant les violences policières pour réprimer les mouvements sociaux. D’un côté comme de l’autre, les libertés publiques reculent.

    Et les deux n’ont rien d’incompatible : l’Europe s’accommode de l’extrême droite au pouvoir, et l’Union sous-traite la gestion des migrants à la Turquie ou à la Libye. Avec l’arrivée de la Lega (la « Ligue ») au pouvoir, Emmanuel Macron peut bien dénoncer la « lèpre qui monte » ; mais à la frontière franco-italienne comme en Méditerranée, les milices de Génération identitaire agissent illégalement sans être inquiétées par les autorités. En revanche, la justice française persécute les « délinquants solidaires », tel Cédric Herrou ; et déjà en 2017, l’Italie dirigée par le Parti démocrate poursuivait en justice les ONG qui sauvent les migrants en mer.

    Mieux vaut donc parler d’un « moment néofasciste ». On retrouve aujourd’hui des traits du fascisme historique : racisme et xénophobie, brouillage des frontières entre droite et gauche, leader charismatique et célébration de la nation, haine des élites et exaltation du peuple, etc. Après l’élection de Trump, le philosophe américain Cornel West dénonçait la responsabilité des politiques économiques des Clinton et d’Obama : « aux Etats-Unis, l’ère néolibérale vient de s’achever dans une explosion néofasciste. » Depuis, cependant, il est clair que la seconde n’a pas détruit la première…
    Une forme politique nouvelle

    Faut-il plutôt suivre la politologue américaine Wendy Brown qui privilégie la lecture néolibérale ? Pour cette politiste, avec Trump la combinaison paradoxale de l’« étatisme » et de la « dérégulation », soit d’un « autoritarisme libertarien », est une forme politique nouvelle, « effet collatéral de la rationalité néolibérale » ; on ne saurait donc la réduire aux figures anciennes du fascisme ou du populisme. Sa critique rejoint celle de Robert Paxton : pour l’historien de Vichy, « l’étiquette “fasciste” occulte le libertarisme économique et social de Trump. »

    Non pas que le néolibéralisme soit condamné au fascisme. Certes, il n’est pas voué à la démocratie, comme on l’entendait après la chute du mur de Berlin. Toutefois, Tony Blair et José Luis Zapatero, qui y ont converti la sociale-démocratie en Europe, loin de surfer sur la vague xénophobe, revendiquaient l’ouverture aux migrants économiques. Quant à la chancelière allemande, « Kaiser Merkel » n’est-elle pas devenue, quelques mois après la « crise grecque », lors de la « crise de l’asile » de 2015, « Mutti Angela » ? Mais ces deux moments appartiennent au passé.

    Aujourd’hui, refuser de nommer le néofascisme autorise à ne rien faire. Il ne faut pas se bercer de l’illusion que le populisme, qui en est le symptôme, pourrait en être le remède. Et les euphémismes empêchent la mobilisation d’un antifascisme qui, loin d’être la caution démocratique des politiques économiques actuelles, désigne la responsabilité du néolibéralisme dans la montée du néofascisme. Bref, chanter Bella Ciao n’a rien d’anachronique – contre Matteo Salvini ou son prédécesseur, Marco Minniti, ou contre son homologue, Gérard Collomb, même s’il en a « un peu marre de passer pour le facho de service. »

    #Néofascisme #Pentafascisme #Politique_Europe

  • « Le moment néofasciste du néolibéralisme »

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/29/le-moment-neofasciste-du-neoliberalisme_5323080_3232.html

    Le sociologue Eric Fassin estime, dans une tribune au « Monde », que l’on retrouve aujourd’hui des traits du fascisme historique.

    « Hello, dictator ! » Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, accueillait ainsi le hongrois Viktor Orban au sommet de Riga en 2015 – dans la bonne humeur, avec une tape affectueuse sur la joue. Le contraste avec les diktats imposés au même moment à la Grèce par l’Eurogroupe était saisissant.

    C’est qu’on ne plaisante pas avec le néolibéralisme : l’économie est une chose trop grave pour la confier aux peuples. En revanche, la démocratie, on a bien le droit d’en rire. La farce de Lettonie rappelle d’ailleurs Le Dictateur, de Charlie Chaplin, quand Mussolini salue Hitler d’une grande bourrade : « Mon frère dictateur ! »

    Les « délinquants solidaires » persécutés

    Comment penser ensemble la montée des extrêmes droites et la dérive autoritaire du néolibéralisme ?

    D’un côté, il y a le suprémacisme blanc avec Donald Trump, et en Europe, la xénophobie politique d’un Viktor Orbán ou d’un Matteo Salvini.

    De l’autre, il y a des coups d’Etat démocratiques : il n’est pas besoin d’envoyer l’armée contre la Grèce (« des banques, pas des tanks »), pas plus qu’au Brésil (des votes au lieu des bottes) – même si, comme en France, les champions du néolibéralisme ne reculent pas devant les violences policières pour réprimer les mouvements sociaux. D’un côté comme de l’autre, les libertés publiques reculent.

    Et les deux n’ont rien d’incompatible : l’Europe s’accommode de l’extrême droite au pouvoir, et l’Union sous-traite la gestion des migrants à la Turquie ou à la Libye. Avec l’arrivée de la Lega (la « Ligue ») au pouvoir, Emmanuel Macron peut bien dénoncer la « lèpre qui monte » ; mais à la frontière franco-italienne comme en Méditerranée, les milices de Génération identitaire agissent illégalement sans être inquiétées par les autorités. En revanche, la justice française persécute les « délinquants solidaires », tel Cédric Herrou ; et déjà en 2017, l’Italie dirigée par le Parti démocrate poursuivait en justice les ONG qui sauvent les migrants en mer.

    Responsabilité des Clinton et d’Obama

    Au moment où le Sénat examine la loi sur l’asile et l’immigration, le président français s’indigne contre ceux qui « trahissent même l’asile ». En même temps, il fustige « les donneurs de leçon », qui, au nom de la solidarité, voudraient « tout et n’importe quoi ». Et il propose sans rire des « sanctions en cas de non-solidarité », comme si la France n’était pas la première concernée, avant de reprendre à son compte le discours de Matteo Salvini sur les ONG accusées de « faire le jeu des passeurs ».

    Nonobstant les beaux discours, la « tentation “illibérale” » n’est donc pas réservée à l’extrême droite europhobe ; elle menace les dirigeants europhiles. Emmanuel Macron incarne bien ce néolibéralisme « illibéral » qui prétend nous sauver de l’extrême droite en imitant sa politique.

    Faut-il parler d’un « moment populiste » ? Si la philosophe belge Chantal Mouffe refuse le qualificatif d’extrême droite pour lui préférer l’expression « populisme de droite », c’est qu’elle plaide « pour un populisme de gauche » : les deux auraient en commun « un noyau démocratique », puisqu’ils font entendre, en leur donnant des réponses différentes, les demandes des « perdants de la mondialisation néolibérale ». Or, non seulement les dirigeants néolibéraux n’hésitent pas à mobiliser un populisme xénophobe, mais, en retour, les leaders populistes, comme Trump, Orban ou Erdogan, promeuvent des politiques néolibérales.

    Mieux vaut donc parler d’un « moment néofasciste ». On retrouve aujourd’hui des traits du fascisme historique : racisme et xénophobie, brouillage des frontières entre droite et gauche, leader charismatique et célébration de la nation, haine des élites et exaltation du peuple, etc. Après l’élection de Trump, le philosophe américain Cornel West dénonçait la responsabilité des politiques économiques des Clinton et d’Obama : « aux Etats-Unis, l’ère néolibérale vient de s’achever dans une explosion néofasciste. » Depuis, cependant, il est clair que la seconde n’a pas détruit la première…

    Une forme politique nouvelle

    Faut-il plutôt suivre la politologue américaine Wendy Brown qui privilégie la lecture néolibérale ? Pour cette politiste, avec Trump la combinaison paradoxale de l’« étatisme » et de la « dérégulation », soit d’un « autoritarisme libertarien », est une forme politique nouvelle, « effet collatéral de la rationalité néolibérale » ; on ne saurait donc la réduire aux figures anciennes du fascisme ou du populisme. Sa critique rejoint celle de Robert Paxton : pour l’historien de Vichy, « l’étiquette “fasciste” occulte le libertarisme économique et social de Trump. »

    Mais n’est-ce pas le principe même d’un idéal type wébérien que de regrouper des exemples empruntés à divers contextes historiques ? C’est vrai du fascisme ou du populisme – comme du néolibéralisme d’ailleurs : le protectionnisme de Trump n’en est qu’une déclinaison nouvelle, tandis que l’ordolibéralisme allemand en est une variante, qui ne se confond pas davantage avec l’idéologie du Fonds monétaire international… Le mot « néofascisme » permet de penser, dans sa spécificité historique, ce moment du néolibéralisme.

    Non pas que le néolibéralisme soit condamné au fascisme. Certes, il n’est pas voué à la démocratie, comme on l’entendait après la chute du mur de Berlin. Toutefois, Tony Blair et José Luis Zapatero, qui y ont converti la sociale-démocratie en Europe, loin de surfer sur la vague xénophobe, revendiquaient l’ouverture aux migrants économiques. Quant à la chancelière allemande, « Kaiser Merkel » n’est-elle pas devenue, quelques mois après la « crise grecque », lors de la « crise de l’asile » de 2015, « Mutti Angela » ? Mais ces deux moments appartiennent au passé.

    Aujourd’hui, refuser de nommer le néofascisme autorise à ne rien faire. Il ne faut pas se bercer de l’illusion que le populisme, qui en est le symptôme, pourrait en être le remède. Et les euphémismes empêchent la mobilisation d’un antifascisme qui, loin d’être la caution démocratique des politiques économiques actuelles, désigne la responsabilité du néolibéralisme dans la montée du néofascisme. Bref, chanter Bella Ciao n’a rien d’anachronique – contre Matteo Salvini ou son prédécesseur, Marco Minniti, ou contre son homologue, Gérard Collomb, même s’il en a « un peu marre de passer pour le facho de service. »

  • Quand l’histoire fait scandale (3/4) : La France de #Vichy
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/quand-lhistoire-fait-scandale-34-la-france-de-vichy


    Troisième temps de notre série d’émissions consacrée aux polémiques et scandales en histoire.

    Aujourd’hui un grand entretien avec l’auteur de « La France de Vichy » l’historien américan Robert Paxton.

    Ce livre, paru en France en 1973, et son auteur sont généralement considérés comme des « lieux de mémoire » de l’histoire de France au XX e . Pour l’auteur du « syndrome de Vichy », Henry Rousso, Robert Paxton est même devenu un personnage de notre roman national.

    #nationalisme #populisme #extrême_droit #collaboration #nazisme

  • C’est aujourd’hui le jour où la Nation, comme une seule homme, rend hommage au Lieutenant-Colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame qui aura donc sacrifié sa vie pour en sauver une autre, celle d’un otage lors de l’attentat dans l’Aude la semaine dernière. Et à vrai dire, en d’autres temps, j’aurais pu passer complétement à côté de cet événement, je veux à la fois parler de la prise d’otages, de son dénouement tragique et donc de l’hommage national rendu à cet homme courageux et généreux tant je me suis déconnecté de l’actualité en sep-tembre 2016, anticipant les élections présidentielles française (voir #qui_ça). Ces derniers temps, je me ré-intéresse un peu à l’actualité, ce n’est pas encore la lecture quotidienne du journal que j’ai longtemps pratiquée, mais par petits bouts, ici ou là, je m’intéresse un peu à tel ou tel sujets, d’ailleurs, je me demande à quel point le procès de Tarnac n’est pas l’hameçon qui m’aura replongé dans cette nasse - les inculpés vont être heureux de l’apprendre ! Et voilà comment, prenant les informations, comme on dit, dans l’espoir notamment, d’entendre parler de quelques sujets d’actualité pour lesquels je nourris un intérêt prudent, - donc le procès de Tarnac, la chute de Ghouta, la chute d’Afrin, le mouvement social en cours dans notre pays de petits hommes et femmes politiques médiocres et ultra-libérales -, je comprends qu’aujourd’hui il sera faiblement question de ce qui m’intéresse mais qu’au contraire, nous allons passer par un tunnel médiatique étroit et long, celui de l’hommage national. Et que cela ne va pas être en demi-mesures.

    Et, de fait : « Hommage national : » Le nom d’Arnaud Beltrame est devenu celui de l’héroïsme français «  » et dans le discours du gamin-président, « l’esprit français de résistance » dont les deux bornes sont, donc, rien moins que Jeanne d’Arc et De Gaulle. Et dans ce dis-cours abscons, moult messages subliminaux sur le ton d’Engagez-vous (dans l’arme française)

    L’esprit français de résistance est un mensonge d’une taille comparable - et donc gigantesque - à celui de la France pays des droits de l’homme. C’est une capote trouée. Pour se con-vaincre de la première affabulation - sur laquelle ont été bâties les quatrième et cinquième républiques, pas très étonnant que cela commence à fuiter d’un peu partout - relire Vichy et les Juifs de Michaël Marrus et Robert Paxton et pour se convaincre de l’absurdité de la deuxième, la lecture seule du chapitre consacré à la France dans le rapport annuel d’Amnesty International suffira amplement.

    Et non que je craigne que l’on me fasse nécessairement le reproche de manquer d’égard ou de respect pour le Lieutenant-Colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame en pointant, ici ou là, quelques failles dans la construction mythologique autour de son sacrifice, c’est d’autre chose que je voudrais parler. Et je me moque que l’on me reproche un tel manque de respect, il me semble au contraire que le manque de respect, je vais y venir, est ailleurs.

    Cet hommage national, pour celles et ceux qui aimeraient avoir une lecture moins nationaliste, moins chauvine et plus large des faits, de l’actualité, agit comme du spam dans le courrier électronique. Cela remplit l’espace, le champ de vision, d’attention, au point de rendre le reste difficilement lisible, or il importerait que ce reste soit précisément intelligible. Hommage national = SPAM SPAM SPAM. Hommage national = mensonges et mythes.

    Quand on n’a pas la télévision, on la regarde encore de trop. Et donc en dépit de ne pas avoir la télévision, de ne l’avoir jamais vraiment eue, il m’est, malgré tout, arrivé d’assister à des émissions décervelantes, notamment d’un genre bien particulier, celui qui met en présence sur un plateau de télévision hommes et femmes politiques et personnes de la rue. Et généralement avec un sens assez spectaculaire - la télévision - on mettra le ou la ministre du logement en présence d’une personne qui n’en a pas, je pense que vous voyez le genre - une chômeuse en face du ministre du travail, une victime de l’amiante en face de la ministre de l’environnement ou de celle de l’industrie, on n’ira pas cependant jusqu’à mettre en présence un cheminot chibani en présence du ministre des transports ou de celle de l’immigration, à cet endroit ce sont d’autres mécanismes d’invisibilisation qui entrent en jeu. Et invariablement on assistera à la scène suivante, le ou la ministre s’offusqueront de la situation de cette personne dans la difficulté et, pour montrer toute leur commisération - et s’humaniser cyniquement aux yeux du public -, déclareront que le cas de la petite dame ou du petit monsieur, le ou la ministre va s’en charger, cela ne va pas faire l’ombre d’un doute - je vous donnerais le numéro de mon ou de ma dircab en sortant. Rien de plus obscène, on le comprend, à ce qu’une personne jouissant d’un pouvoir de ministre donne en spectacle l’exercice de ce pouvoir pour une seule personne victime d’une situation qui est, en fait, la résultante de son incurie crasse.

    La France est en guerre, déclare, pas très assuré, le précédent président de la République, les deux pieds sur les décombres du Bataclan. C’est rigoureusement vrai, la France est ne guerre, mais elle l’est depuis le 8 mai 1945. Depuis les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie française. En effet, depuis cette date, y a-t-il eu seulement quelques périodes pendant lesquelles des troupes françaises n’étaient pas en train de batailler d’une manière ou d’une autre, de façon directe ou indirecte en dehors de la France métropolitaine ? Les attaques dites terroristes en France métropolitaine ne viennent pas de nulle part - je singe ici, un peu, le titre du livre d’Alain Badiou, Notre Mal vient de plus loin. Et on se rendrait sans doute service de les considérer comme des actes de guerre, voire de résistance, de la part de personnes issues de populations contre lesquelles notre pays est effectivement en guerre et cela depuis bien plus longtemps qu’il nous plairait de nous souvenir.

    Je ne doute pas que ce dernier paragraphe aura la vertu de choquer. Mais celles et ceux qui en sont choqués - à des degrés divers - feraient bien de s’interroger à propos de leur perméabilité - à des degrés divers inversement proportionnels - à la petite musique nationale et nationaliste à laquelle ils et elles sont soumises : encore une fois on ne peut pas réfléchir dans le vacarme. Et le tintamarre d’un hommage national n’a pas d’autres fonctions que celle de pomper nos forces de pensées. Et coup, est-ce tellement respectueux de l’homme Arnaud Beltrame d’organiser pareille mise en scène autour de sa dépouille ?

    #pendant_qu’il_est_trop_tard

    • Liste, non exhaustive, des livres que j’ai lus, ou relus, ces derniers temps (deux ou trois dernières années) que je n’aurais sans doute jamais lus s’ils ne m’étaient pas tombés dans les mains via internet (s’ils ne m’avaient pas été recommandés via internet)

      La guerre du cameroun de Thomas Delthombe, Jacob Tatsitsa et Manuel Domergue
      Marcher droit tourner en rond et Rien d’Emmanuel Venet (merci @julien1)
      Biographie de Céline par Henri Godard
      La France sous Vichy de Robert Paxton
      Le vertige danois de Paul Gauguin de Bertrand Leclere
      L’imposteur de Javier Cercas (merci @fil)
      Le journal de la crise de Laurent Grisel (les deux tomes pour le moment, mais j’ai bien l’intention de lire la suite)
      Je paie d’Emmanuel Addely, certes offert par mon éditeur, j’aime bien dire mon éditeur , mais c’est quand il m’a vu prendre le livre d’une de ses étagères pendant que nous attendions l’arrivée d’un tiers et la raison pour laquelle j’ai regardé ce livre c’est aprce que j’en ai entendu parler sur internet, je me demande même si ce n’est pas sur seenthis )
      Le sentiment d’imposture de Belinda Canone (spécial dédicace @mona)
      La tyranie de la réalité , Beauté fatale , et Chez soi d’une certaine @mona
      Une île une forteresse de Hélène Gaudy, par ricochet Plein hiver de la même auteure
      Capitalisme désir et servitude de Frédéric Lordon
      L’invisible de Clément Rosset
      Face à l’insoutenable d’Yves Citton
      L’insurrection qui vient et A nos amis du Comité invisible
      Communist club anonyme
      Dynamiques de la révolte de Eric Hazan
      Les assassins de la mémoire de Pierre Vidal-Nacquet

      Pour ce qui de la littérature ce qui est le gros de mes lectures tout de même, là, j’avoue, c’est souvent en commençant les livres chez le libraire que cela se passe pour moi à quelques exception près, par exemple, le Tort du soldat d’Erri de Luca, et le lendemain, j’allais à la librairie acheter tout ce qu’ils avaient de cet auteur.

      Ensuite on peut aussi dire que c’est pas internet que j’ai été invité au festival de littérature de Solothurn, où je me suis ennuyé ferme pendant trois jours (ce qui a beaucoup diverti @mona par procuration) et où j’ai rencontré et découvert Jean Rolin (dont j’ai lu une bonne partie des livres l’été suivant) et Julien Burri (complètement inconnu en France et c’est un grand tort).

      De toute ma vie, même quand je lisais sans doute davantage que je ne lis aujourd’hui, je n’ai jamais lu 200 livres par an, je crois qu’au plus haut de ma lecture de livres, j’ai du culminer à une cinquantaine de livres entre 1993 et 1998.

      Bref tout ça pour dire que c’est quand même des grosses conneries.

  • J – 231 : Je reviens de chez le libraire où j’avais commandé deux livres, Vichy et les Juifs de Michael Marrus et Robert Paxton et la biographie de Céline par Henri Godard. Naturellement, je me jette sur les index de ces deux livres et suis assez déconfit de ne trouver aucune mention de René Girard dans le livre de Paxton, pas davantage dans la biographie de Céline, et surtout : même dans le livre de Paxton, que l’on ne peut pas soupçonner de minimiser les culpabilités des uns et des autres, à la lecture de son chapitre sur l’indifférence, on a principalement le sentiment qu’en dehors de l’exposition du Juif et de la France , rien de très important n’a été confié à l’Institut Aux Questions Juives, qui a surtout beaucoup déçu les Nazis pour son impuissance à rendre les Français aussi antisémites que les Allemands l’étaient devenus, après presque dix ans de propagande nazie.

    Du coup je ressens comme un aiguillon personnel à cette découverte, d’une part l’Institut aux Questions Juives n’était pas aussi central que son nom pouvait le laisser penser, et, d’autre part, aucune mention de René Girard dans le livre de Paxton et Marrus. Et je me souviens alors, de l’empressement de Renée, lors de notre première rencontre, à m’expliquer que, si je devais faire des recherches à propos de son père, je lirais en fait que L’Institut aux Questions Juives n’a pas été fondé par son père mais par un certain Paul Sézille, son second. Rénée m’avait expliqué que son père sentant le vent tourner, au début de 1944, avait étanché la soif de pouvoir de son second ― qui en fait a surtout l’air d’avoir été son premier ― en lui confiant la tête de cet institut des basses œuvres et lui, pouvoir fuir plus facilement les tribunaux à venir, ce qu’il semble avoir fait avec succès. En fait je découvre que même Paul Sézille n’a sans doute pas que l’importance en question et qu’il n’est pas non plus le fondateur de cet institut aux épouvantables missions.

    Je m’interroge beaucoup sur ce qui semble malgré tout être une manière de déception chez moi sur le sujet, et si l’histoire de Renée était trop belle pour être vraie, enfin trop belle, l’expression est mal choisie. Je pense à l’Ombre des femmes de Philippe Garrel. Film dans lequel le personnage principal, réalisateur de films do-cumentaires, et qui, dans le récit du film de Garrel, travaille sur des entretiens d’un résistant et a à découvrir, au décès de ce dernier, qu’il n’a jamais été résistant, et, bien pire, qu’il a, en fait, très largement collaboré, ce dont il se cache derrière ce personnage de résistant. Je dois le vérifier dans mon agenda de 2015, mais il me semble que je suis allé voir ce film peu de temps après avoir rencontré Renée et cette scène m’avait marqué alors qu’elle est tout à fait secondaire dans le reste de ce film, elle sert juste à camper, avec d’autres scènes, le déclin du personnage principal, interprété par Stanislas Mehrar. C’est comme si cette scène avait agi sur moi à la façon d’un avertisseur sonore, une alarme. De même, je peux comprendre que l’on exagère l’importance d’Untel ou de je ne sais quel événement qui a un retentissement avec soi-même, lorsqu’il s’agit de circonstances qui peuvent rejaillir de façon heureuse sur un historique familial ou une réputation, en revanche pourquoi cette insistance à vouloir être au cœur du mal ?

    Et puis, le soir, en allant me coucher, en remarquant la photographie de Céline de la couverture du livre d’Henri Godard posé sur ma table de chevet, je me demande si j’ai tellement envie que cela de plonger dans de si pesantes lectures, remuer la merde pour dire les choses de façon célinienne, et par là-même vivre dans les odeurs de cette dernière, avec la photographie de Céline tout près de mon lit. Qui pourrait avoir un tel appétit ?

    Entre aperçu les visages de Sarkozy et de Le Pen en regard l’un de l’autre sur la couverture d’un hebdomadaire au kiosque ― la presse s’emploierait-elle à nous annoncer dès maintenant avec plus de deux cents jours d’avance la catastrophe qui est déjà en cours ? ―, ces deux-là aussi sont les visages de l’extrême droite, de son retour qui nous est désormais présenté comme inéluctable. C’est comme si les présentateurs de télévision et de radio allaient bientôt parler de cette façon pincée et péremptoire, comme à la radio des années 40. Et entendant de telles voix ― que je sais très imiter ―, voyant les costumes, aux coupes croisées ou aux motifs Prince de Galles, de ces messieurs à l’époque sur les quelques photographies de la biographie de Céline, ce sont aussi des images et des odeurs de cave humide de mon enfance qui me reviennent en tête, oui dans mon esprit, la droite, et l’extrême droite ont cette odeur de cave humide, de rivages hivernaux de la Marne en crue, de pâté ardennais, mais aussi de carottes que l’on déterre par bottes entières en donnant un coup de bêche sur le haut de la botte et faire tomber la terre encore grasse autour des racines, quelle est la part de ma propre histoire familiale que je risque aussi de déterrer bien malgré moi, en travaillant sur la Petite fille qui sautait sur les genoux de Céline.

    #qui_ca

  • Mais enfin merde, ça fait 20 ans qu’on milite et qu’on développe des outils pour que tout le monde puisse s’exprimer en ligne, et il y a encore des andouilles pour continuer à réclamer la protection de la liberté d’expression uniquement pour leur corporation.

    Avec tout le respect pour l’Observatoire des sondages, pourquoi tu voudrais ma solidarité si c’est seulement pour ta pomme ? Pourquoi je ne serais pas protégé, ni aucun des participants à Seenthis, nous qui ne sommes ni journalistes ni « scientifiques » ?

    Poursuite bâillon : l’Observatoire des sondages suspend son activité
    http://www.observatoire-des-sondages.org/poursuite-baillon-l-observatoire-des-sondages-suspend-son

    Tout en réclamant une réforme législative protégeant la liberté d’expression des scientifiques, il faut que la solidarité des scientifiques et des citoyens permette le simple exercice de la liberté et de la raison.

    • @obs_sondages : il ne me semble pas que le message d’@arno critique le fait que vous défendriez la liberté d’expression des scientifiques comme étant la seule méritant d’être défendue.

      En revanche comme « la plus importante », bah… relisons la citation :

      Tout en réclamant une réforme législative protégeant la liberté d’expression des scientifiques , il faut que la solidarité des scientifiques et des citoyens permette le simple exercice de la liberté et de la raison.

      En quoi votre réponse sarcastique répond-t-elle sur le fait que la phrase pourrait/devrait être :

      une réforme législative protégeant la liberté d’expression [tout court]

       ?

      En quoi une autre personne lambda, n’ayant pas pour elle l’étiquette de scientifique, n’étant pas « professionnel », mais utilisant pourtant aussi l’exercice de sa raison (ou pas d’ailleurs, ça peut être par d’autres moyens que la raison : la poésie, ou tout autre art), en quoi cette autre personne donc, ne devrait-elle pas aussi être protégée ?

      Si un « scientifique professionnel utilisant sa raison » critique un grand groupe puissant, il faut qu’il soit protégé. Ok.
      Mais si « un citoyen quelconque utilisant sa raison » aboutit publiquement à la même chose, il pourrait être moins protégé ?

      Pourquoi ? Rationnellement pourquoi ?

    • Vous réclamez « une réforme législative protégeant la liberté d’expression des scientifiques ». J’ai souligné que, depuis 20 ans que se posent les questions de liberté d’expression sur l’internet, votre position est très faible (même si, par ailleurs, le travail de l’Observatoire est admirable et doit être défendu).

      1. D’abord, demander dans la période actuelle une réforme législative touchant à la liberté d’expression, vous avez intérêt à être blindés pour qu’elle aille dans le bon sens. Vous n’ignorez pas que du côté législation et libertés, en ce moment, c’est le massacre plutôt que le progrès.

      2. Une partie de votre réponse suggère que le critère définissant « la liberté d’expression des scientifiques », c’est le discours produit lui-même (votre passage idiot sur Nietzsche et le « discours scientifique »).

      Deux gros écueils :

      – vous tenez vraiment à ce que le juge détermine si un texte, de part sa forme ou sa procédure de validation, est scientifique ou non avant de bénéficier de telle protection légale ? Si c’est le cas, vous donnez le bâton pour vous battre. (Dans le cas présent, laisser à un juge le soin de décider si un texte intitulé « La deuxième mort de l’Ifop » de Garrigou relève de l’énoncé scientifique ou non, vous avez déjà constaté que c’est impraticable.)

      – de toute façon, dans l’affaire qui vous touche, je ne crois pas que vous présupposez la bonne foi de vos adversaires (vous êtes bien gentil d’ailleurs de me comparer aux « trolls payés » de ces entreprises). Donc à quoi bon protéger « le discours scientifique », alors qu’il est évident que l’armée d’avocats d’une multinationale parvient toujours à attaquer une expression gênante sur d’autres bases que l’argument scientifique (diffamation, injure, etc.). Ce genre d’adversaire va toujours jouer en dehors du terrain sur lequel vous espérez être protégé (la liberté académique pour certains, la liberté des journalistes pour d’autres, etc.). Si on parle de procès destinés à faire taire un gêneur, il n’y a qu’une protection globale de la liberté d’expression des faibles face aux forts qui peut jouer, les protections sectorielles seront toujours inefficaces face à cela.

      3. La fin de votre message suggère à l’inverse que ce qui définirait cette liberté à protéger serait l’aspect professionnel de celui qui s’exprime (« au sens de professionnel de la science »). Les journalistes font la même erreur (réclamer une protection spécifique sur la base du métier que l’on fait, pas de ce que l’on exprime). Alors vous m’excuserez, mais ça c’est bien une logique corporatiste.

      Et j’insiste, cela fait 20 ans que les questions de liberté d’expression sur l’internet se posent, et réclamer des protections de l’expression publique en fonction du métier de celui qui parle, c’est indéfendable, puisque justement :
      – la révolution de l’internet est de permettre un accès à l’expression publique en dehors des cadres de l’époque précédente ; c’est le fondement ; les discours scientifiques, journalistiques, etc., émergent largement en dehors des structures professionnelles classiques ;
      – même pour les scientifiques de profession (comme pour les journalistes professionnels d’ailleurs), c’est certainement aussi fondamental que pour les simples particuliers, puisqu’ils peuvent diffuser (seuls ou à plusieurs) leurs travaux en dehors des circuits académiques/professionnels classiques. Le site de l’Observateur des sondages ne relève-t-il pas d’ailleurs de cette liberté totalement nouvelle qui s’offre à la publication scientifique ?

      Bref, si vous voulez protéger le discours selon qu’il est émis par un scientifique de profession, alors non seulement vous passez à côté de la richesse nouvelle que permet l’internet, vous introduisez aussi une inégalité pour les espaces scientifiques que vous avez créés en dehors des structures académiques classiques (une telle protection va évidemment être restreinte au scientifique de profession, mais qui de plus s’exprime dans un cadre professionnel reconnu). Et comme le fait remarquer @rastapopoulos, la légitimité à ne protéger que les professionnels par rapport à certains amateurs éclairés au nom de l’intérêt public de la science ne me semble pas défendable (cela sans tomber dans le relativisme).

      Le problème des scientifiques confrontés à la répression de leur expression est au final le même aujourd’hui que pour les non-scientifiques qui, désormais, ont accès à l’expression publique avec l’internet. Si vous n’aviez publié les textes de l’observatoire que dans le cadre traditionnel des publications scientifiques d’avant l’internet, avec leur diffusion limité aux cercles scientifiques, je doute que vous aillez subi les foudres de ces entreprises. C’est bien parce que vous accédez à l’expression publique large, en profitant des effets de recommandation (largement militante d’ailleurs) du réseau, et que vous publiiez sans avoir de capitaux permettant de faire face à un procès que vous avez ce problème : ce n’est pas du tout caractéristique d’un problème d’expression scientifique. C’est le fondement des questions qui se posent à tous les citoyens qui s’expriment depuis 20 ans sur l’internet.

    • La vache, mais vous êtes en plein délire. Erdogan, les Colonels, Pétain, le génocide des juifs, Eric Zemmour ?

      On parlait d’un aspect très spécifique, votre demande d’une « réforme législative protégeant la liberté d’expression des scientifiques »… et là je ne vous dis pas qu’il n’y a pas de spécificité de la science ni d’importance spécifique du discours scientifique dans la société ; au contraire je vous dis qu’il est extrêmement dangereux de confier au législateur et au juge le soin de décider ce qui sera considéré comme tel ou non. Dangereux et inutile, puisque les nuisibles du bâillon-judiciaire vous attaqueront toujours en dehors du champ pour lequel vous bénéficiez d’une protection (vous parlez science, ils vous poursuivront sur la diffamation, le droit commercial, l’usage de leur marque, etc., et ils ont suffisamment d’argent pour tenir des années).

    • Non mais c’est qui ce blaireau @obs_sondages qui jacte au nom de la Science comme on jacte au nom de Dieu ! Outre le fait que le combat pour la liberté d’expression il est celui de tou·te·s ou il n’est pas, ce qui m’intéresse perso, si on parle de science (c’est quoi la Science franchement ???) ce sont les chercheur·e·s qui remettent humblement quotidiennement en cause leurs approches quant aux disciplines qu’ils ou elles se sont choisies et acceptent la critique, laquelle étant une condition pour faire avancer le schmilblick. Au diable ceux baignés de suffisances et de certitudes !

    • @obs_sondages en fait vous défendez sans doute une cause noble, à laquelle on adhère éventuellement, mais comme je suis sur iphone je vais la faire courte : votre ton, votre style et votre approche : c’est vaniteux prétentieux et surtout profondément méprisant. Ca vous fait ressembler en pire à ceux que vous dénoncez. Je suis surpris que vous ne vous rendiez même pas compte que vous vous excluez vous même du débat social. Vous me rappelez tragiquement une autre équipe pas tellement plus fine.

    • Consternant. Si c’est ce genre de clafoutis épistémologique qui sert de base théorique à un institut de sondage, alors... ça explique pas mal de choses en fait. La prose infecte datable au carbone 14 de 1892 (bloyisme avancé, phase maniaque), les clichés à deux balles sur Nietzsche (le premier qui crie nihilisme a gagné) et voilà M. Redingote, bloqué en 1900, proclamé défenseur de la raison scientifique éternelle et de la neutralité axiologique. Dites là-dedans, vous avez dépassé la coupure épistémologique à la hache canadienne et la page de garde des Mots et des choses ou bien faut vous fournir une bibliographie critique à l’usage des épistémologues manichéens ?
      #peigne_cul c’est bien. #ratisse_fion c’est mieux.

  • Robert Paxton, historien : “La cicatrice de l’Occupation a du mal à se refermer” - Livres - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/livre/robert-paxton-historien-la-cicatrice-de-l-occupation-a-du-mal-a-se-refermer

    Bien sûr. C’est comme l’esclavage ou le sort des Indiens aux États-Unis. C’est là, ça fait partie du passé, et dès qu’on cherche à enseigner une histoire du pays, on doit faire face à la question : va-t-on expliquer aux enfants qu’on a eu des périodes sombres dans notre histoire ou doit-on privilégier une image édulcorée de cette histoire ? Dans les périodes de crise, on est plutôt à la recherche d’une histoire positive, mais la cicatrice de l’Occupation a du mal à se refermer.

    #histoire #collaboration #péda

  • Troublante indulgence envers la collaboration, par Annie Lacroix-Riz
    http://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/LACROIX_RIZ/53208

    Plus de quarante ans après que Robert Paxton a liquidé, dans La France de Vichy (Seuil), la thèse de Robert Aron selon laquelle Philippe Pétain aurait servi de « bouclier » aux Français, les notions de « représentations », de « psychologie » et d’éthique triomphent dans le traitement de la collaboration et du gouvernement de Vichy. Sur la Résistance, le propos s’embarrasse moins de nuances. [#st]

    http://zinc.mondediplo.net/messages/5202 via Le Monde diplomatique

  • Et Zemmour devint Zemmour

    Catherine Barma a préparé des fiches. La grande prêtresse des samedis soir de France 2 a couché à la main des réponses aux questions qu’on ne manquera pas de lui poser sur Eric Zemmour. Eric Zemmour, ce journaliste du Figaro Magazine qu’elle a imposé, il y a huit ans, dans « On n’est pas couché », le grand show hebdomadaire de Laurent Ruquier. Eric Zemmour, l’auteur d’un Suicide français, best-seller qui a déjà dépassé les 100 000 exemplaires et talonne le Prix Nobel 2014, Patrick Modiano. Un chroniqueur de RTL et de i-Télé, qui peut écrire dans une grande maison d’édition et répéter partout que Jean-Marie Le Pen est « avant tout coupable d’anachronisme » en déclarant que les chambres à gaz étaient un« point de détail de l’histoire » (page 305), que les juifs français sont devenus « une caste d’intouchables » (page 263) et qui salue au passage la« talentueuse truculence désacralisatrice » du « comique » Dieudonné (page 383). Zemmour, cette nouvelle querelle nationale.

    « Eric, pour moi, c’est un intellectuel, lit consciencieusement Catherine Barma. Je ne suis pas d’accord avec lui sur tout, mais c’est un homme intelligent, qui a de l’humour. Un conservateur, pas un réac, non, un polémiste de droite, quelqu’un qui dit ce qu’il pense. Un nostalgique, que voulez-vous. Parfois je lui dis : “Mais Eric, tu veux vivre à l’époque des carrioles ?” Comme il a réponse à tout, il me répond : “Au moins, les carrioles, ça polluait pas.” » Et quand il adopte le vieux système de défense vichyste « du bouclier », pourtant balayé par l’histoire contemporaine, le rhabillant à sa sauce pour expliquer que « oui, Pétain a sauvé des juifs français », Catherine Barma baisse les yeux sur ses fiches : « Je n’ai pas lu Robert Paxton. D’une manière générale, dans un conflit, je suis toujours du côté des opprimés. »

    Bon personnage

    Pour diagnostiquer le phénomène Zemmour, il faut ausculter les élites françaises. Redoutable business woman, Catherine Barma est de celles-là. Son pouvoir est immense : un seul passage dans « On est pas couché » permet de lancer un film ou un livre. Fille du réalisateur vedette de l’ORTF Claude Barma, ex-fêtarde qui n’aimait pas l’école, elle préside aux notoriétés de l’époque et compose ses plateaux de télé comme le comptoir d’un bistrot. Elle sait combien le XXIe siècle aime les « gros clashs » qui font« le buzz » sur YouTube et ceux qui soupire qu’on-ne-peut-plus-rien-dire. Eric Naulleau, autre polémiste qui a mis son nom en bas d’un contrat d’édition en 2013 avec Alain Soral, un militant d’extrême droite aux obsessions antisémites, c’est sa trouvaille. Un samedi, devant « Salut les terriens » − une émission de Thierry Ardisson, un autre poulain –, elle devine aussi que le frêle garçon au grand front et au rire désarmant, venu parler de son ras-le-bol du pouvoir féminin, est un bon personnage.

    C’était en 2006. Zemmour avait déjà croqué Edouard Balladur (Immobile à grands pas) et Jacques Chirac (L’homme qui ne s’aimait pas), mais compris, finaud, qu’il lui fallait sortir de la simple biographie politique et mettre un peu de ses tripes sur les plateaux. L’auteur de Premier Sexe pleure la fin de l’homme, le vrai – une de ses obsessions avec l’immigration. Face à lui, Clémentine Autain, élue verte et féministe, hésite entre le rire et les larmes. « Aujourd’hui, c’est la réaction qui est subversive », assène Zemmour. Dans la tête de Catherine Barma, qui a abandonné le communisme familial, la phrase du journaliste du Fig Mag résonne comme un pitch et un « format » : Zemmour, c’est « M’sieur Eric qui-dit-la-vérité-et-vous-emmerde tous ». « Je ne suis pas Le Figaro, je suis Eric Zemmour, point », lâche aussi le journaliste ce même jour.

    « Juif berbère ».

    « Eric Zemmour, point » a alors 48 ans et beaucoup de souvenirs. Tous français. Ses parents, Roger et Lucette, vivent en « métropole » depuis six ans déjà lorsqu’il voit le jour à l’été 1958. Flair politique et hasards de la vie, ils ont quitté l’Algérie avec la première vague de rapatriés, passeport français en poche – le décret Crémieux, abrogé par Pétain et rétabli à la Libération, a redonné la nationalité française aux juifs d’Algérie. Une communauté « hyperpatriote », rappelle Zemmour. A Montreuil, comme à Drancy, puis enfin dans le 18e arrondissement de Paris, Mme Zemmour cuisine pour les fêtes des crêpes Suzette et s’essaie à la sauce hollandaise. Quand ses deux fils quittent la synagogue, elle chuchote : « Rangez vos calottes dans vos poches ! » Elle disait « qu’on était israëlites, sa manière à elle d’expliquer : français, de confession juive », raconte Zemmour.

    Pendant qu’Eric découpe Le Monde et classe les articles dans des pochettes, le père lit L’Aurore, le journal des pieds-noirs d’Algérie. L’Algérie… « La mauvaise conscience » de la France, comme « une plaie jamais cicatrisée », a écrit Eric Zemmour. Son refoulé à lui, aussi. Tant pis s’il déteste ces « psychanalyses de bazar » dont la presse – « de plus en plus féminine » – raffole. Comment renoncer à explorer complexes et schizophrénies de jeunesse quand elles conduisent tout droit à des névroses politiques ? Eric Zemmour est un juif arabe – lui préfère dire « juif berbère », une expression « qui permet de se distinguer de l’arabité mal vue », sourit Benjamin Stora, auteur de Trois exils. Juifs d’Algérie (Stock, 2006). Ses parents se sont mariés à Sétif, « petite ville du Constantinois où la population baignait dans une francité relativement paisible, contrairement à Oran. Zemmour veut dire olivier et se portait aussi bien dans les communautés juive et musulmane », raconte Stora.

    « On ne peut pas être algérien et français à la fois. Il faut choisir », répétait pourtant Eric, à l’été 2014, quand des drapeaux rouge, blanc et vert fleurissaient dans l’Hexagone autour de la Coupe de monde de football. « On ne peut pas avoir deux mères dans la vie », ajoutait-il, tenant peu ou prou le discours de cette petite fraction des juifs d’Algérie qui rejoignit l’OAS en 1962. Pour ses fils, Ginette Zemmour avait choisi des prénoms classiques, français-de-souche, diraient certains aujourd’hui. « A la synagogue, je suis Moïse, mais à l’état civil, je m’appelle Eric, Justin, Léon », dit Zemmour, qui n’a pas eu de mots assez durs pour Rachida Dati lorsque la ministre de Nicolas Sarkozy a nommé sa fille Zohra. « Le trajet des parents est essentiel chez Eric », raconte Philippe Martel, le directeur du cabinet de Marine Le Pen et l’un des intimes du journaliste. « Ses parents ont laissé leurs racines, abandonné leur mode de vie, décidé de s’assimiler », poursuit le cadre du FN – qui a relu, « pour le plaisir », Le Suicide français (Albin Michel, 544 p., 22,90 €) avant publication. « Lui estime que c’est ce que devraient faire les étrangers en France. » Qu’importent les contradictions du discours, qu’importe si le mot « pied-noir » n’apparaît qu’en 1962, pour désigner les exilés de la fin de la guerre : le 16 octobre, en meeting à Béziers, c’est cette étiquette que Zemmour choisit pour les désigner, lui et cet autre journaliste élu à la tête de la ville avec les soutiens frontistes, Robert Ménard.

    Le plus fragile

    La vérité, c’est que le père d’Eric Zemmour, un préparateur en pharmacie qui décide de racheter une compagnie d’ambulances, continue à parler arabe dans les bars de la rue Myrha. Qu’il ne tape pas seulement le carton à la Goutte-d’Or, mais court les casinos, où il se met à perdre beaucoup d’argent, au désespoir de son épouse diabétique. On imagine la suite. « La ceinture de mon père était toujours posée sur la table, confie Zemmour, mais c’est quand on affronte son père qu’on devient un homme. Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus de père à tuer. » Sa mère encaisse, le protège, son Eric est le meilleur, le plus beau, même si les filles l’ignorent. Le plus fragile aussi, avec cette arthrite au genou qui… le dispense de service militaire après ses « trois jours ». « Elle l’adulait comme la mère d’Albert Camus son fils, raconte un de ses proches. Elle faisait le silence pour qu’Eric puisse réviser son bac, puis Sciences Po, dans la cuisine de la rue Doudeauville. »

    33 bis, rue Doudeauville. La nostalgie d’Eric Zemmour a une adresse, qui est aussi l’épicentre de son effroi. L’exacte place qu’occupe la rue Jean-Pierre Timbaud, qui court le 11e arrondissement de Paris, dans la géographie sentimentale d’Alain Finkielkraut. L’artère qui abritait l’atelier de maroquinerie du père du philosophe a fait place à des vitrines pleines de« burkas » et « des librairies islamistes », si bien que « Finkie » ne reconnait plus la rue où il a naguère grandi. « Pour éviter la polémique inutile », Finkielkraut avait préféré, dans un livre et dans un film, en rester à ce constat : « Effrayant. » Zemmour n’a pas ces prudences. « J’y suis retourné il n’y a pas longtemps. J’avais l’impression d’avoir changé de continent. Les trafics, les tissus, les coiffeurs afro, il n’y a plus un Blanc rue Doudeauville. Là, tu le vois, le “grand remplacement” ! », s’écrie-t-il, l’œil brillant, en citant sans complexe cette théorie identitaire de l’écrivain Renaud Camus – la disparition programmée du peuple blanc catholique au profit des musulmans – que même Marine Le Pen ne reprend pas à son compte. « Un grand Noir m’a reconnu et m’a dit : “Zemmour, t’es pas chez toi ici, va-t’en !” »

    « J’adore revenir »

    Il n’a pas attendu ce conseil. Zemmour a quitté Barbès bien avant d’épouser, à 32 ans, Mylène Chichportich, une juriste devenue avocate. Un mariage à la synagogue des Tournelles. Trois enfants. La famille est installée dans un vieil immeuble XIXe, à l’ombre de l’église Saint-Augustin dans le 8e, ce phare du catholicisme pour temps obscurs. Qui pourrait croire que cet homme, qui pratique mollement le shabbat, « pour les valeurs et la tradition », raconte Philippe Martel, partage son attachée de presse avec l’Opus Dei ? L’appartement d’Eric Zemmour est empli de livres, mais aussi de toiles de gentilhommes en pied et de tapisseries d’un autre âge. Un dédale de pièces dessiné « en 1840 », qu’il vante devant ses hôtes, comme si l’âge de cet immeuble préhaussmanien l’ancrait encore davantage dans ce Paris balzacien, capitale éternelle d’une France qu’il rêve barricadée, amidonnée et corsetée.
    Il ne s’en évade pas, d’ailleurs, ou si peu ! « Je l’ai croisé un jour dans un avion pour la Tunisie », raconte Jean-Philippe Moinet, son ancien collègue du Figaro passé par le Haut Conseil à l’intégration, qui le raille régulièrement dans La Revue civique, dont il est directeur. « Je lui ai dit : “J’adore partir !” Il m’a répondu : “J’adore revenir.”. » Du monde, Zemmour ne connaît que les hôtels de Washington et des capitales européennes qu’il fréquentait, il y a très longtemps, un passe autour du cou, avec ses collègues embedded. Les étés d’Eric Zemmour se déroulent toujours en France, dans le même hôtel de Provence, ses hivers au Club Med aux Antilles, un peu comme dans la chanson de Renaud. A cause de l’anglais qu’il parle mal, Zemmour fut d’ailleurs recalé à l’ENA. « Sa manière autiste, son côté célinien – la France en chaussons », s’amuse Franz-Olivier Giesbert, qui le repère dès ses premiers pas au Quotidien de Paris, chez l’ami Philippe Tesson.
    Après un détour par la pub, antichambre alimentaire des enfants de son siècle, comme les écrivains Frédéric Beigbeder ou Grégoire Delacourt, Zemmour a en effet choisi la presse écrite, où il veut travailler à l’ancienne : du style, des idées, avant l’information. Au Quotidien, Tesson se souvient d’un garçon cultivé mais « incroyablement individualiste et personnel ». Le titre sombre, hélas, alors que s’ouvre la campagne Balladur-Chirac, « la plus belle de la Ve », que Zemmour piaffe de chroniquer. InfoMatin lui ouvre ses portes. « Rousselet cherchait quelqu’un pour faire des éditos bien troussés et anti-balladuriens bien troussés, raconte Bruno Patino, alors directeur délégué du titre. Zemmour était un contempteur absolu de la bourgeoisie libérale. » Un solitaire qui sèche les AG et oublie les conf de rédaction et manque la photo de groupe du dernier numéro du quotidien, le 8 janvier 1996. FOG l’accueille aussitôt au Figaro, où Zemmour étoffe son carnet d’adresses : à ses déjeuners avec les caciques socialistes et gaullistes, durant lesquels il parle plus que ses convives, s’ajoutent les rendez-vous chez Jean-Marie Le Pen. Récompensant l’assiduité de son hôte, le chef du Front national lui offre le scoop de ses rencontres secrètes avec Jacques Chirac, lors de la présidentielle de 1988.
    Aux équipes des rédactions, Zemmour préfère les déjeuners de travail en tête-à-tête, rue de Lille ou dans les bistrots proches de l’Assemblée nationale. Le monde politique est devenu le sien. Il le tutoie, l’embrasse, applaudit bruyamment chaque bon mot de Philippe Séguin – son « grand homme » – devant ses confrères stupéfaits. Bien avant que ne s’annonce le nouveau traité constitutionnel européen, il navigue à son aise entre Charles Pasqua et Jean-Pierre Chevènement, tirant des bords entre les « républicains des deux rives » : au milieu des années 1990, il flirtait avec la Fondation Marc-Bloch, où quelques journalistes, comme Elisabeth Lévy, dénonçaient la « pensée unique » de l’intelligentsia française. Une petite bande souverainiste dont la trajectoire laisse rêveur. En 2002 (Zemmour vote pour Chevènement), ces « nationaux-républicains » commencent par dénoncer le front anti-Le Pen et l’antifascisme de salon qui fait descendre la jeunesse dans la rue. Puis décontaminent patiemment les idées du FN, quand ils ne rejoignent pas directement la formation d’extrême droite, comme l’ex-plume du « Che » Paul-Marie Coûteaux, et investissent les médias. « Je ne l’ai pas forcément théorisé au début, savoure Zemmour, mais oui, je fais de l’entrisme à la télé. J’y fais passer mes idées. »

    Voilà pourquoi la success story d’Eric Zemmour, ce nostalgique d’un monde d’avant Pathé et Marconi, s’écrit toujours sur petit écran. Un an avant que Catherine Barma ne le repère, le journaliste est invité sur un plateau avec Christine Boutin pour défendre le « non » au référendum européen de 2005. Face à lui, pour le « oui », François Hollande. Hollande, son ancien prof d’économie à Sciences Po : ce député drôle et bavard avec lequel il a partagé tant de pains au chocolat, le matin, au café de Flore. « Il avait déjà son scooter et ce même cynisme jovial que j’ai vu chez Chirac », raconte Zemmour. Cette fois, pourtant, le patron du PS fuit son regard et se dérobe durant tout le débat. « Pourquoi tu m’as évité comme ça ? », demande le journaliste après l’émission. « Parce que tu ne respectes pas les codes », répond Hollande. « On fait mine de s’en apercevoir maintenant, confie aujourd’hui le chef de l’Etat, mais ça fait bien longtemps que Zemmour n’est plus journaliste, ne suit plus une réunion, plus un déplacement. »Idéologue, acteur politique, qui sillonne désormais la France et l’Europe à son compte : « Avec mon livre, j’ai l’impression de faire plus de politique que la plupart des hommes politiques », avoue-t-il le 4 novembre aux sympathisants UMP exilés à Londres. Un pied dans le système, l’autre dehors.

    Revanche.

    Entrisme, encore ? Schizophrénie ? Pendant que le polémiste dénonce le conformisme et la bien-pensance des « technos », Eric Zemmour, le recalé de l’ENA 1980, est choisi pour faire passer le « grand O » à la promo 2006. Belle revanche ! Deux ans plus tard, il fête en grande pompe ses 50 ans avec le tout-Paris politique. Ce fan de l’Empire a loué pour l’occasion la Petite Malmaison. C’est entre des grenadiers en costume qu’il reçoit ses invités : Catherine Barma, évidemment, ses copains du Fig Mag, Henri Guaino, compagnon du « non » devenu conseiller de Nicolas Sarkozy, sa grande amie Isabelle Balkany, mais aussi les bons vieux copains de gauche, Jean-Luc Mélenchon et Jean-Christophe Cambadélis. « Eric s’était payé le château de Joséphine de Beauharnais !, raconte Paul-Marie Coûteaux. J’étais stupéfait. Le monde tournait autour de lui : ce soir-là, il a changé de visage à mes yeux. » La nuit tombée, on avait tiré le canon avant d’aller danser sur des vieux standards des Stones, la bande-son folklo d’une jeunesse évanouie. Mais pas seulement.
    Tubes, blockbusters, best-sellers, rien de ce qui appartient à la culture de masse n’est indifférent à Eric Zemmour : lorsque, dans son dernier livre, il revisite la Ve République, c’est à partir des charts et du box-office, cette mémoire populaire qui manque souvent aux élites. A l’instar des vieux routiers trotskistes lambertistes accourus à la Malmaison, il estime que la guerre se gagne sur le terrain des idées. « Gramsci est mon modèle »,clame le journaliste en citant le théoricien italien. « Comme Louis Pauwels au Fig Mag, comme Patrick Buisson sous le dernier quinquennat, Zemmour juge que le combat est d’abord culturel », analyse Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche. Pari gagné ? « Il y a une“zemmourisation” de la société française », a expliqué dans les micros Cambadélis, après avoir décortiqué, rue de Solférino, devant le bureau national du PS, le succès du Suicide français. « Je suis flatté », a choisi de répondre Zemmour par SMS.

    « Prendre les femmes sans les comprendre ».

    Son nom est devenu plus qu’une marque : un argument de vente. Fig Mag ou Valeurs actuelles, chaque couverture consacrée au polémiste maison, un protégé du nouveau patron du Figaro, Alexis Brézet (catholique traditionnel et chantre de l’union des droites), fait merveille. Qu’il est loin, le temps où les saillies de Zemmour lui faisaient craindre la porte, comme en 2010 ! A la télé, chez Ardisson, il venait de lâcher sa fameuse phrase : « Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est un fait. » Et au montage, pour doper l’audience, la production choisit d’incruster deux mots en bas de l’écran : « Zemmour dérape. » Etienne Mougeotte, le prédécesseur de Brézet, convoque le chroniqueur pour « un entretien préalable à licenciement », avant de simplement réclamer copie de la lettre d’excuses que Zemmour a adressée à la Licra. En coulisses, Isabelle Balkany s’est agitée pour qu’on ménage son protégé. Des balcons de son immeuble, sur les Grands Boulevards, la rédaction a surtout découvert un spectacle hallucinant : sur le trottoir, devant le journal, des cris et des banderoles, « Touche pas à mon Zemmour » ou « Licra = Pravda », et des manifestants bien mis qui marquent une minute de silence « pour la liberté d’expression ». Cette fois, Zemmour a bel et bien échappé au Figaro.

    Plus rien ne l’arrête. Le 6 mars 2010, il affirme sur France Ô que les employeurs « ont le droit de refuser des Arabes ou des Noirs ». Il est à nouveau condamné un an plus tard. En mai 2014, le journaliste accuse sur RTL « des bandes de Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains » de « dévaliser, violenter ou dépouiller » la France. Le CSA le met « fermement en garde » ainsi que sa radio, RTL. Il continue pourtant à creuser le sillon de ses obsessions. Dans Le Figaro, il chronique Les Petits Blancs, d’Aymeric Patricot, un livre qui décrit « la misère sexuelle de [ces]jeunes prolétaires qui ne peuvent rivaliser avec la virilité ostentatoire de leurs concurrents noirs ou arabes ». Les étrangers qui nous prennent nos femmes ! Pour Patricot, c’est « la revanche symbolique de la colonisation ». Pour Zemmour, bien davantage encore : le signe de« l’antique attrait des femmes pour le mâle vainqueur, à l’instar de ces Françaises qui couchèrent pendant la seconde guerre mondiale avec des soldats allemands puis américains ». La version mainstream, en somme, des Années érotiques 1940-1945, de Patrick Buisson (Albin Michel, 2008), une histoire de la « collaboration horizontale », où les femmes n’ont pas souvent le beau rôle – comme dans les « essais » de Soral et de Zemmour.

    Il est de ceux (son dernier livre) qui « préfèrent prendre les femmes sans les comprendre plutôt que de les comprendre sans les prendre ». Eloge du machisme et exégèse de « l’ambiguïté du viol » chez Soral (son complice Dieudonné a choisi pour totem une quenelle), complexe de l’homme blanc chez Zemmour… Le sexe, en tout cas, obsède le trio – Soral, il y a quelques jours, se plaignait d’ailleurs sur son site de voir Zemmour s’intéresser « sept ou huit ans » après lui à ses sujets de prédilection – comme les femmes. En version soft, chez le journaliste du Fig Mag, ça donne : « Les hommes sont sommés de devenir des femmes comme les autres. Ils n’ont plus le droit de désirer. (…) Ils ne doivent plus qu’aimer. » En version hard, cela devient :« Seule la salope peut réveiller le désir fragile du mâle. » Zemmour a signé,en 2013, « Touche pas à ma pute ! », le manifeste des 343 « salauds » lancé par le mensuel Causeur d’Elisabeth Lévy.

    Promis, pas de psychologie. Zemmour a 56 ans. Malgré les longueurs de bassin et son jogging quotidien, il vieillit. Ne croit plus en rien, sauf en la médecine, pense que tout est foutu, sauf si advenait une guerre. Déjà, en 2010, il avait voulu appeler sa Mélancolie française « Le Chagrin français », mais son ami Bruno Larebière, ex-patron de Minute et ancien pilier du Bloc identitaire, lui avait fait changer son titre : « Ça fait pas trop Le Chagrin et la pitié ? » Son dernier ouvrage, Zemmour voulait le nommer « Cette France qu’on abat », mais Natacha Polony, autre chevènementiste révélée par la télé, autre déclinophile, lui a piqué l’idée. Et Renaud Camus déjà préempté le Suicide d’une nation.

    Ariane Chemin

    http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/11/08/et-zemmour-devint-zemmour_4520705_823448.html

    • C’est clairement un des facteurs qui a contribué à son succès (inviter un provocateur qui surfe sur le racisme ordinaire et l’aigreur ambiante pour faire de l’audience).
      Mais je vois aussi chez ce type un patriotisme déraciné, qui recherche son objet dans l’Etat plutôt que dans les #biens_communs, oubliés de longue date http://seenthis.net/messages/167677
      ce même État inhumain, brutal, bureaucratique, policier, légué par Richelieu à Louis XIV, par Louis XIV à la Convention, par la Convention à l’Empire, par l’Empire à la IIIe République. Et qu’on voit à l’oeuvre aujourd’hui dans la #surveillance généralisée et la #militarisation de la police http://seenthis.net/messages/285552

      L’État est une chose froide qui ne peut pas être aimée mais il tue et abolit tout ce qui pourrait l’être ; ainsi on est forcé de l’aimer, parce qu’il n’y a que lui. Tel est le supplice moral de nos contemporains.

      C’est peut-être la vraie cause de ce phénomène du chef qui a surgi partout et surprend tant de gens. Actuellement, dans tous les pays, dans toutes les causes, il y a un homme vers qui vont les fidélités à titre personnel. La nécessité d’embrasser le froid métallique de l’État a rendu les gens, par contraste, affamés d’aimer quelque chose qui soit fait de chair et de sang. Ce phénomène n’est pas près de prendre fin, et, si désastreuses qu’en aient été jusqu’ici les conséquences, il peut nous réserver encore des surprises très pénibles ; car l’art, bien connu à Hollywood, de fabriquer des vedettes avec n’importe quel matériel humain permet à n’importe qui de s’offrir à l’adoration des masses. à Hollywood comme à la trash TV moderne...

  • Robert Paxton : « L’argument de Zemmour sur Vichy est vide » - Le nouvel Observateur
    http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/09/robert-paxton-largument-zemmour-vichy-est-vide-255385

    Le système Eric Zemmour se nourrit de sa propre surenchère : chaque livre de l’essayiste doit aller plus loin que le précédent – vers l’extrême droite. Il est allé si loin qu’il en arrive, dans son dernier essai, « Le Suicide français » (éd. Albin Michel) – déjà un best seller – à prendre la défense de Vichy, ce sinistre souvenir français. S’il avait vécu à cette époque, Zemmour, issu d’une famille juive algérienne, aurait été déporté ou aurait vécu dans la terreur.

  • http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/06/comment-troll-eric-zemmour-attire-piege-255313

    Bien sûr, Eric Zemmour n’est pas un troll à proprement parler : il opère à visage découvert, il ne s’invite pas mais est invité, il ne pourrit pas vraiment la conversation puisqu’il l’anime. Mais il importe dans le champ médiatique quelques techniques identifiées du trolling numérique :

    l’attaque tous azimuts ;
    le refus de l’affiliation : dès qu’on pense pouvoir l’identifier à un courant politique, il s’en distingue (à l’inverse, par exemple, de Robert Ménard qui fut troll un temps, avant de devenir clairement lepéniste) ;
    l’égo démesuré : à peine éditorialiste, Eric Zemmour n’hésite pas à remettre en cause dans son dernier livre les travaux de Robert Paxton, historien qui a consacré sa vie à des travaux d’un sérieux guère contredit ;
    le refus de la vérité admise : au nom de l’esprit critique, de la pensée contre soi, du droit à la remise en question, il peut raconter n’importe quoi puisque tout l’objet de son propos n’est pas d’être vrai en lui-même, mais d’être distinct de la vérité admise.

    Et c’est là tout le génie du troll. En remettant en question une vérité admise, il fait apparaître la communauté de ceux qui la partagent. Et ensuite, il se sert de cette apparition (qui prend en général la forme d’une indignation) pour renforcer son discours : à savoir qu’il est impossible de remettre en question quoi que ce soit, qu’il existe une pensée unique défendue par une élite qui transcende les clivages apparents.