person:roland gori

  • De quoi l’expression « en même temps » est-elle le symptôme ? par Roland Gori
    https://www.lemediatv.fr/articles/de-quoi-l-expression-en-meme-temps-est-elle-le-symptome

    Comment préserver l’autorité de l’Etat et « en même temps » externaliser ses missions en les abandonnant à la spéculation financière ? Comment « en même temps » placer la République sous l’enseigne de la « fraternité » et évoquer ces « gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » ? Comment concilier Ricoeur et le CAC 40 ? Le psychanalyste Roland Gori explore brillamment pour « Le Média » les paradoxes et les impostures d’une expression devenue la marque Macron...

    Le « en même temps », riche d’un potentiel symbolique, n’exprime plus la contradiction, la dialectique, le dialogue, l’invention du politique, le pouvoir sacré et symbolique, mais se réduit à la portion congrue du spectacle, de l’illusion brillante et habile. Reconnaissons-lui ce talent qui aveugle le peuple sur la férocité des pratiques néo-libérales mise en œuvre. La « fraternité » à laquelle conviaient les vœux présidentiels, et dont Bergson disait qu’elle était la valeur citoyenne qui réconciliait ces « sœurs ennemies » que sont l’égalité et la liberté, cède la place à l’ontologie entrepreneuriale présidentielle : l’humain ne vaut que par ce qu’il fait et rapporte. L’appel à la fraternité est épidictique, ornement d’une pratique néolibérale férocement assumée.

    Un seul exemple récent : l’école. Le ministre en charge des petits Français est un universitaire brillant, au parcours exemplaire, désireux d’apparaitre comme un des nouveaux héritiers de la tradition des érudits humanistes dont la France s’est montrée éplorée et orpheline. Jean-Michel Blanquer déclare se référer à « l’esprit Montessori », en appelle à « la créativité, la diversité des expériences », et « en même temps » nomme un Conseil scientifique de l’Education Nationale « endogamique », désireux d’éclairer les managers des écoles maternelles et primaires par la science positive.

    Voilà un ministre qui a compris la signification d’« en même temps », puisque « en même temps » qu’il prononce un discours rassurant, humaniste et pluraliste, il nomme un Conseil Scientifique de l’Education Nationale à la tête duquel il place Stanislas Dehaene, éminent professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, entouré d’une « brochette » de positivistes assumés. Pour le pluralisme, on repassera. Point de professionnels de terrain, de cliniciens, de sociologues critiques, d’historiens de l’éducation, de chercheurs critiques en sciences de l’éducation… Non, que du beau monde, bien propre, objectif, neutre, prompt à la mesure et à l’imagerie fonctionnelle du cerveau qui feignent d’oublier que parfois « les experts se trompent plus que les chimpanzés »...

    #Macron #En_même_temps #Etat #Finance

  • De quoi l’expression « en même » temps est-elle le symptôme ? Roland Gori, Le Média
    https://www.lemediatv.fr/articles/de-quoi-l-expression-en-meme-temps-est-elle-le-symptome

    Comment préserver l’autorité de l’Etat et « en même temps » externaliser ses missions en les abandonnant à la spéculation financière ? Comment « en même temps » placer la République sous l’enseigne de la « fraternité » et évoquer ces « gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » ? Comment concilier Ricoeur et le CAC 40 ? Le psychanalyste Roland Gori explore brillamment pour « Le Média » les paradoxes et les impostures d’une expression devenue la marque Macron.
    « Nous serions capables d’éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne nous versent pas de dividendes. [1] »
    L’expression « en même temps » est passée, non sans ironie, dans le vocabulaire des médias et du monde politique. Comme la célèbre phrase de Bartleby[2], « I would prefer not to », une expression peut « corrompre » l’entourage politico-mondain qui est le plus hostile à son promoteur. Emmanuel Macron a fait de cette expression, « en même temps », sa marque de fabrique politique. Dès le mois de juillet 2017 dans le quotidien Libération[3] j’attirais l’attention sur la complexité et la signification de cette formule qui, au-delà de son effet de divertissement, condense la vérité d’une signature politique.
    Les partisans du président dotent cette expression d’une signification positive : elle serait le signe d’une pensée de la « complexité » qui transcenderait les anciens clivages. La France enfin livrée au ravissement d’un économisme décomplexé et d’un humanisme affirmé, pourrait assumer, à la fois l’efficacité et la justice, le souci de l’entreprise et l’exigence du social. On peut toujours ironiser sur le caractère de « spectacle » (au sens de Guy Debord[4]) de cette rhétorique de propagande qu’en son temps déjà Giscard d’Estaing nous avait servie en prenant son petit déjeuner avec les éboueurs, et son dîner au MEDEF. Il n’empêche qu’il convient d’analyser plus en détails cette formule, sa structure et son efficacité symboliques.
    Nous le savons, les opposants au président Macron voient dans cette formule l’ambiguïté typique d’un centrisme social-libéral assumé, décomplexé, renouvelé, toujours aussi hypocrite. Peut-être, mais ce diagnostic se révèle bien insuffisant si on ne déconstruit pas davantage les composants qui assurent le succès de cette formule, que je considère comme symptomatique du macronisme. Bref, pour sortir de l’impasse des querelles idéologiques de pur prestige, il nous faut nous pencher plus attentivement sur les significations sociales et politiques de cette formule-valise du président Macron. Elle participe d’une victoire qui repose sur un malentendu lié à la double signification de cette expression qui séduit d’autant plus le bon peuple de France que son pouvoir symbolique repose sur une ambiguïté fondamentale.

    #contradtiction #superposition_temporelle #école #cognitivisme

  • La fabrique des imposteurs et la toute puissance du pervers narcissique
    https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/la-fabrique-des-imposteurs-et-la-toute-puissance-du-pervers

    G-É-N-I-A-L !
    Bon je suis tombée sur cette conf par hasard intriguée par le titre. En fait ça ne parle pas des pervers narcissiques du tout.
    Je ne connaissais pas Roland Gori. Ici ça parle d’éducation, de la dictature de la norme, de politique, de la soumission de l’homme à la technique etc
    1h41 de présentation en freestyle, ce qui est impressionnant.
    Une petite citation du début vers 3:00 pour vous mettre l’eau à la bouche :

    Aujourd’hui tous les dispositifs d’initiation sociale, tous les dispositifs d’éducation, de soin, de travail social… tous ces dispositifs ont pour objectif de vous éviter d’avoir à penser, de vous économiser en quelque sorte d’avoir à penser. Et ça peut vous paraître évident mais vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point — c’est aussi la pratique clinique qui le met en évidence — penser n’est pas autant désiré que cela par les individus. Penser, comme décider d’ailleurs, ça mobilise de l’angoisse, ça mobilise l’angoisse de l’imprévu, ça mobilise l’angoisse de l’avenir, ça mobilise l’angoisse de la liberté, ça mobilise l’angoisse de la décision. Décider c’est renoncer et on n’aime pas renoncer ; et renoncer d’une certaine manière dans la culpabilité. Et donc c’est peut-être ce qui fait que finalement on se coule relativement facilement dans tous ces dispositifs de colonisation des mœurs qui sont des espèces de programmes de vie, de modes d’emploi, de protocoles calibrés.

    #psychologie #gori #norme_sociale #marx #liberté #servitude_volontaire

  • Roland Gori : « La démocratie dans la recherche n’est pas pour demain » | Sciences Critiques
    https://sciences-critiques.fr/roland-gori-la-democratie-de-la-recherche-nest-pas-pour-demain

    Interview de Roland Gori

    Du coup, les publications scientifiques sont inévitablement soumises à l’obsolescence programmée. Les revues ne sont plus des lieux de communication et de partage des chercheurs, mais les indispensables vitrines qui font d’un laboratoire ou d’un enseignant une personnalité de marque. Du coup, les revues scientifiques ne sont plus faites pour être lues mais simplement permettent de publier des articles short and dirty, moyens comme un autre d’accroitre son facteur H ou M. Donc, on publie beaucoup, non pas parce qu’on a quelque chose à dire, mais parce qu’il faut rester connectés. C’est le Facebook des communautés scientifiques contrôlé par des censeurs dont la censure ne porte pas sur le contenu des messages mais sur les conditions de production et d’accès. Un jour viendra où les futures générations n’auront que mépris pour ces fabriques de servitude volontaire que sont devenues nos institutions.

    Certains critères d’évaluation ont des affinités électives avec le langage des maîtres du monde, et leur utilité sociale et politique − au sens de Pierre Bourdieu − prévaut sur la pertinence épistémologique. Il est évident qu’une évaluation quantitative et formelle se révèle davantage adaptée aux disciplines scientifiques qu’aux humanités. Ce type d’évaluation sera favorisé par le néolibéralisme, puisqu’il invite à une civilisation des mœurs et une conception du monde où tout est numérisé, transformé en marchandise, soumis à la concurrence et à la vitesse. Encore que, nombreux sont les scientifiques qui se plaignent de cette manière de penser la valeur et de censurer leur production. 3

    De la même manière, s’il convient de favoriser le partage et la confrontation internationale des travaux de recherche, il est absurde de le faire sur la base du globish qui est devenu l’esperanto du monde des affaires comme de celui de l’université. L’anglo-américain devient le « cheval de Troie » d’une manière de penser le monde qui se révèle hégémonique et partisane de l’utilitarisme anglo-américain. C’est à chaque communauté scientifique de décider des critères les mieux adaptés à ses objets et à ses méthodes. Face à la globalisation de la recherche, réalisée avec le même logiciel que la globalisation marchande, il faut réhabiliter le local. Local n’est pas un gros mot. C’est le mot du concret, du singulier, de l’histoire et du vivant.

    et la conclusion :

    Il faut abattre les classements type Shanghai comme on a pris la Bastille.

    #Publications_scientifiques #Evaluation #Recherche

    • En attendant, on a osé... :) (mais avec quelques réserves tout de même).

      Les 500 universités les plus importantes au monde - Philippe Rekacewicz et Philippe Rivière - Visionscarto
      https://visionscarto.net/les-500-universites-les-plus-importantes

      Un mot de méthodologie. Dès sa conception, cette carte a suscité une discussion : fondée sur le classement de Shanghaï, elle ne critique pas frontalement cet indicateur mais le reprend comme une « donnée de base ». Mais comme tout classement — qu’on parle de vins, de santé ou d’enseignement — Shanghaï est extrêmement problématique. Peut-on dire d’une université qui ne peut s’enorgueillir ni de Prix Nobel ni de résultats publiés dans les revues scientifiques majeures, mais dispense un enseignement de qualité à des dizaines de milliers d’étudiant·e·s, qu’elle n’est pas « importante » ? De plus, Shanghaï a des effets aberrants. La raison : plus les établissements sont petits, et indépendamment de la qualité de leur production, moins ils ont de chances d’être cotés. On observe donc dans certains pays des regroupements d’établissements qui semblent dictés par le désir de progresser non pas tant dans la qualité de l’enseignement et de la recherche que dans ce classement.

      Cela étant dit, le problème du choix des données est courant en cartographie. La notion même de croissance économique, par exemple, est fondamentalement viciée ; néanmoins, et malgré ses défauts, elle permet de dessiner une carte de la richesse relative des nations. Il nous semble ainsi que, sans accorder trop de crédit aux détails du classement de Shanghaï, les agrégats par pays reflètent un paysage académique mondial fortement inégalitaire, dominé par les États-Unis et l’Europe, où l’Asie progresse à grands pas et où l’ancien bloc de l’Est, puissance académique importante jusqu’à la chute du mur de Berlin, n’est toujours pas parvenu à se reconstruire.

      Un meilleur titre pour cette carte eût certainement été « Les 500 universités les mieux classées par … » Nous conservons cependant le titre sous lequel cette carte a été publiée dans L’État du Monde.

  • Enregistrement sonore de la conférence de Roland Gori
    http://universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article937

    « Un monde sans esprit » Librairie Terra Nova, le 8 mars 2017, Toulouse. Discussion animée par Moniquet Lauret, psychiatre et psychanalyste. Roland Gori est professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille et psychanalyste. Il a été en 2009 l’initiateur de l’Appel des appels. Il est l’auteur de nombreux livres parmi lesquels : La Dignité de penser, De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? et La Santé totalitaire. Monique Lauret est psychiatre et psychanalyste. (...)

    #Démocratie

  • #Roland_Gori - La Fabrique des #Imposteurs

    « L’imposteur est aujourd’hui dans nos sociétés comme un poisson dans l’eau : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité, préférer l’audience au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que pour le courage de la vérité, choisir l’#opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les #valeurs, pratiquer l’art de l’#illusion plutôt que s’émanciper par la #pensée_critique, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à l’amour et à la #création. Voilà le milieu où prospère l’imposture ! Notre société de la #norme, même travestie sous un hédonisme de masse et fardée de publicité tapageuse, fabrique des imposteurs. L’imposteur est un authentique martyr de notre environnement social, maître de l’#opinion, éponge vivante des valeurs de son temps, fétichiste des modes et des formes.

    L’imposteur vit à crédit, au crédit de l’Autre. Soeur siamoise du #conformisme, l’imposture est parmi nous. Elle emprunte la froide logique des instruments de gestion et de procédure, les combines de papier et les #escroqueries des #algorithmes, les #usurpations de crédits, les #expertises_mensongères et l’#hypocrisie des bons sentiments. De cette civilisation du #faux-semblant, notre #démocratie de caméléons est malade, enfermée dans ses #normes et propulsée dans l’enfer d’un monde qui tourne à vide. Seules l’#ambition de la culture et l’#audace de la liberté partagée nous permettraient de créer l’avenir. » A travers cette conférence, organisée dans le cadre des conférences de l’Université permanente de l’Université de Nantes, Roland Gori revient sur les idées fortes de son dernier ouvrage « La Fabrique des imposteurs ».

    https://www.youtube.com/watch?v=2FEtiA18lZU

    • C’est de la video @aude_v et après en avoir écouté plus je suis moins enthousiaste. Roland Gori est ce que j’appel un #phallosophe cad un patriarche qui pontifie au masculin neutre comme si les femmes n’existaient simplement pas et qui de toute façon n’a pas perdu son temps ni à les lire, ni à les cités dans ses conférences.

    • J’ai abandonné au bout de 18 minutes ^^ (j’ai essayé)
      Les tics de langage et le coté trop « universitaire » m’ont calmé.

      J’avais trouvé le thème et l’intro intéressant.
      C’est probablement la dernière fois que je poste un truc pas écouté/lu, désolé.

    • Oui ses tics de langage sont assez fatiguant mais bon ca c’est pas ce qui m’a dérangé le plus. Ce qui est remarquable aussi dans la conférence sur l’imposture c’est le spectacle d’un Roland Gori qui exerce ses privilège de dominant sans aucun complexe et avec une aisance assez typique d’un vieux mâle blanc habitué à n’en faire qu’a sa tête depuis toujours sans que personne ne lui dise rien.
      Son exposé déborde du temps établie par les organisateurices (vraiment beaucoup en plus), et au lieu de demander poliment « est-ce que je peu avoir plus de temps svp ? » ou « est-ce que je peu empiété sur le temps du débat svp ? », il continue son discours peinard sans s’inquiète des consignes et dit toutes les 20 minutes qu’il va déborder encore de 10 minutes et cela de manière péremptoire et répété pendant largement plus de 40 minutes. Il ne demande pas, il prend ce dont il à envie sans se soucié de rien.

      Autre truc qui me fait toujours soupirer avec les phallopsophes et les dominants c’est leur capacité à se déclaré digne de gouverner et s’autoproclamés sages, profonds, vrais... Au début de la conf il cite Camus qui dit que les seuls hommes intègres, libres ou vrai sont les artistes (Camus est un artiste comme par hasard) et Gori dit que c’est valable pour les artisans parce qu’il y a art dans artisans et on apprend que Gori se considère comme artisan (le hasard encore lol). Ce qui le mettrait à l’abri de la vacuité du monde et ferai de lui un être authentique, pas comme les experts et prolétaires qu’il dénonce comme étant dans le mécanisme (tout en étant lui même dans une posture d’expert pendant toute la conf et tout en disposant du temps des autres alors qu’il dit que le temps est la grande valeur du XXI). C’est le même vice qui rend Platon complètement ridicule avec son philosophe roi. Un philosophe qui dit que les philosophes sont les seuls dignes d’avoir le pouvoir, un artiste qui dit que seul les artistes sont dignes, qui peu prendre ces mecs au sérieux après des affirmations pareilles ?
      En tant qu’artiste je ne pense pas que les artistes soient à l’abri de la vacuité du tout (Platon le pensait pas non plus d’ailleurs mais il était pas artiste cqfd). Les artistes sont le reflet de leur époque, ce sont pas des surhommes et si on suis la logique de Gori, les artistes du XXI sont tous obligatoirement des imposteurs (je dit pas imposteuses ni surfemmes vu qu’il y a pas de femmes dans le monde de Gori ni dans celui de Platon et des phallosophes) car la thèse de Gori est que l’imposture serait la caractéristique de notre époque. Un artiste qui ne serait pas vide, faux, menteur, tricheur, escroc ne sera pas reconnu comme artiste par ses contemporain·ne·s.

      Par contre @0gust1 je trouve pas que c’est un problème de poster des choses pas lus ou pas écoutés sur seenthis. Je le fait souvent, ca me sert de mémo pour mes liens. L’intitulé de la conf donnait envie, il fallait écouter pour découvrir que c’etait surtout de la psy pour dominants et de la phallosophie. Et pour avoir écouté en entier il y a quand même des idées intéressantes.

  • « Le néolibéralisme détruit les biens communs et le lien social depuis 40 ans » Roland Gori : | L’Humanité
    http://www.humanite.fr/roland-gori-le-neoliberalisme-detruit-les-biens-communs-et-le-lien-social-d

    La désaffiliation propre à uneconception néolibérale du sujet humain comme individu autoentrepreneur de lui-même a abouti à une pulvérisation des collectifs et une atomisation des relations sociales, créant un besoin de nouvelles formes d’affiliation qui peuvent s’exprimer par différentes manières de faire et d’être ­ par le besoin de partager et d’inventer autre chose, mais aussi au moyen de ces entreprises terroristes qui proposent la fraternité par le meurtre et la soumission à mort. Les humains cherchent un sens, une cohérence à leur existence, et sont donc d’autant plus exposés à la prise des idéologies ­ on l’a vu dans l’histoire contemporaine ­ qu’ils sont dénutris de mythes et de religions.
    Désespérés et affamés de nouvelles valeurs, ils sont susceptibles d’être attirés par des prédateurs qui les invitent à faire corps avec le groupe à partir de valeurs partagées. Comme le faisaient les Jeunesses hitlériennes, ces groupes terroristes offrent un salaire, une panoplie, des femmes, la jouissance de la cruauté, la vengeance des humiliations vécues et héritées et la possibilité pour un individu atomisé de s’enraciner dans un parti ou une secte de masse.

  • Apple watch : les questions qui fâchent
    http://www.internetactu.net/2015/03/17/apple-watch-les-questions-qui-fachent

    Nous avions déjà pointé quelques limites au système de santé pour les montres et smartphones d’Apple : notamment sur le fait que ses capacités de mesure ne pouvaient pas être supprimées (voir également notre dossier sur les limites les applications de santé). Sur The Verge, Josh Dzieza nous explique que la montre d’Apple va surtout nous servir à utiliser moins…

    #économie_comportementale #bodyware

    • Au cœur de l’Apple Watch, un problème philosophique majeur, Vincent Billard
      http://rue89.nouvelobs.com/2014/09/10/coeur-lapple-watch-probleme-philosophique-majeur-254767

      (...)Le point sur lequel j’aimerais attirer l’attention est la dimension de cette montre, mise en avant par le patron de la firme californienne lui-même, liée à la surveillance de nos activités physiques.

      Avec cette toute nouvelle catégorie d’objet, la montre intelligente, apparue très récemment, et avec le « kit de santé » qui va avec, le fameux « #HealthKit » intégré à l’iPhone, il semble qu’Apple ait bien l’intention de contribuer à accélérer de manière radicale l’expansion d’une forme inédite de rapport à notre #corps.

      Il s’agit de ce que les anglo-saxons appellent le « #Quantified_Self », que l’on peut comprendre comme la mise en #mesure systématique de notre propre corps : non seulement mesurer son rythme cardiaque à tout moment (comme le permettra l’Apple Watch), mais centraliser en une seule application toutes les évaluations chiffrables de nos diverses activités, telles que le nombre de pas faits dans la journée, le nombre d’heures de sommeil, le nombre de calories dépensées, notre courbe de poids, notre taux de glycémie, etc.

      Certains imaginent déjà le cauchemar que pourrait constituer le fait de voir se répandre sur les réseaux sociaux ce genre d’évaluations égocentriques de soi-même, ou les dangers liés à la divulgation de ces renseignements personnels à des organismes prêts à les faire fructifier. Tout cela est vrai, mais il s’agit en réalité de bien plus encore.

      La #médicalisation de l’#existence

      Même si c’est de manière encore timide (la montre d’Apple ne remplit pas pour l’instant toutes les fonctions, mais d’autres objets sont déjà connectables avec le kit santé de l’iPhone), nul doute qu’il s’agit ici d’un premier pas décisif de la firme dans le domaine de la « médicalisation de l’existence ».

      Ce phénomène n’est certes pas nouveau, mais il tend à s’amplifier. Dès les années 70, le philosophe Ivan Illich avait expliqué dans un essai remarqué ( « Némésis médical », éd. Seuil) que ce phénomène consistait selon lui à accorder trop de place à la médecine dans notre conception de la #santé. (...)

      Cette vision médicale du corps est en réalité devenue pour nous si courante que nous n’y faisons même plus attention, chacun parle comme s’il était lui-même médecin : « Mon cholestérol, mon écho, ma colo, ma fibro, ma mammo, mes T4, mon IRM, mes Gamma-GT, mon PSA… moi ! C’est la référence médicale qui constitue la nouvelle identité du corps », dénonçait en 2002, le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique.

      Mouvement de médicalisation

      Pourtant, Jean-Paul Sartre dans « L’Etre et le néant » avait déjà montré qu’il y a deux manières bien différentes d’appréhender notre corps :

      il y a notre propre corps vu de l’intérieur en quelque sorte, de notre point de vue. Ainsi je peux saisir ma jambe comme ensemble de sensations, possibilité de marcher ou de faire du foot, etc. ; et il y a le corps vu de l’extérieur, comme un objet parmi les autres objets, tel que le perçoit la médecine. Je peux bien sûr moi aussi parfois voir mon corps ainsi (lorsque je regarde une radio ou consulte un bilan sanguin), mais pour Sartre cela doit rester exceptionnel.
      Le Quantified Self, c’est justement cette manière de mélanger les deux, ou plutôt de ne plus regarder continuellement mon corps, et ensuite ma santé, qu’avec les yeux de la médecine et des mathématiques. Or, pour cela il faut des capteurs, un « tracking de mon activité corporelle. Et c’est précisément ce qu’apportent, à un degré inédit puisque réalisé en permanence, à la fois la montre intelligente d’Apple et ce site de centralisation de toutes les données qu’est le HealthKit.
      (...)

      La #Santé_totalitaire

      C’est le titre choc que deux professeurs de #psychopathologie ont donné à un ouvrage réédité récemment dans la collection Champs : “La Santé totalitaire”, de Roland Gori et Marie-José Del Volgo. Pour eux, la rationalisation du rapport au corps se fait au détriment de l’oubli de sa nature profonde, et notamment de son rapport avec l’esprit.

      Or, précisément, en mettant en avant le fitness et toutes les activités sportives censées entretenir notre corps, Apple renforce cette pression exercée sur nous, cette #surveillance permanente de nous-mêmes. Cette obsession de la santé devient pour certains insupportable.

      Ainsi la jeune philosophe Claire Marin, dans un ouvrage récent, “L’Homme sans fièvre” (éd. Armand Colin), dénonce-t-elle le fait que “ la santé devenue une injonction sociale, doit faire l’objet d’une attention, d’un effort, d’une sorte de ‘travail’’ (faire du sport, manger sainement, ne pas faire d’excès). ’ Mais paradoxalement, derrière ce ‘ devoir ’ de fitness, c’est la #hantise_de_la_maladie qui se cache. Ainsi notre monde surmédicalisé devient obnubilé par la peur de la défaillance physique.

      Le dédoublement du #rapport_à_soi

      Quoi que l’on pense de cette médicalisation de l’existence, il est difficile de nier que ce phénomène institue en quelque sort un dédoublement de notre rapport à nous-mêmes. Comme le dit encore une fois Claire Marin :

      ‘ Nous sommes ainsi de plus en plus familiers d’une double représentation de notre corps : une approche #sensible immédiate et une image anatomique (ou tout type d’imagerie médicale) que la médecine superpose désormais à cette première couche’ de nous-mêmes.”.

  • Notre société fabrique de plus en plus d’imposteurs - LaTribune
    http://alireailleurs.tumblr.com/post/98790750764

    La journaliste et psychanalyste Sophie Peters revient pour la Tribune sur la publication du livre de Roland Gori, La fabrique des imposteurs. Notre société de la #norme fabrique des imposteurs :

    “A l’heure où les carrières ne se font plus que par le biais des réseaux sociaux, où l’entreprise évalue le mérite de ses managers à leur cote interne, où l’information n’a de poids que par le buzz qu’elle produit, il convient de s’interroger sur ce phénomène d’imposture qui tend à devenir plus collectif qu’individuel. Sous couvert de discours sur le pragmatisme, de compétitivité nationale, d’utilitarisme social, on promeut sans conscience des techniques et des schémas de comportement voire même des pédagogies qui incitent les sujets à se vendre dans tous les domaines de l’existence. Les techniques de ventes ont (...)

    #bodyware #psychologie

    • Difficile dans ces conditions de sortir de la gangrène de la crise actuelle. Il semblerait que dans les entreprises comme à la tête des Etats on peine à retrouver un peu d’audace nécessaire et essentielle pour créer l’avenir. Une civilisation des moeurs qui fait reposer le crédit d’un individu, d’un groupe, d’un Etat sur l’apparence, sur l’opinion n’incite-t-elle pas à l’imposture ?, interroge le psychanalyste. Qu’est-ce qu’une politique qui vend sans cesse à l’opinion publique la « marque de fabrique » d’un gouvernement évaluant par des sondages constants la pénétration de sa propagande au sein de la population ? Sans compter un président « normal » qui place la démocratie sous les auspices de la norme. Or l’incitation à être « normal » et « adapté » fait le lit de l’imposture, selon Roland Gori.

    • Et justement, au travail, être un travailleur « normal » aujourd’hui, c’est être quelqu’un d’exceptionnel, c’est à dire quelqu’un qui fait toujours mieux que les autres, et toujours mieux que le jour précédent. Pour être normal il faut être hors-norme, voilà pourquoi on n’a d’autre choix que mentir, tricher, ou capituler (parfois via le suicide)

      Et Roland Gori de rappeler que lorsque l’autorité est en crise, lorsque le pouvoir normatif s’accroît lorsque la vulnérabilité sociale et psychique grandit, il faut survivre et pour survivre il faut parfois tricher, frauder, mentir, et usurper toutes sortes de rôles et de fonctions en s’affublant des masques de pseudo identifications que ne désavoueraient pas les plus fieffés des imposteurs.

      à rapprocher des travaux de Vincent de Gaulejac sur la souffrance au travail
      http://nrt.revues.org/439

      Si le travailleur va mal, si le travail est devenu une source presque exclusive de souffrance et de mal-être, si les salariés ne peuvent dire leur tourment et s’insurger, c’est tout simplement parce que les organisations et le management qui les anime sont devenus malades eux-mêmes et brouillent toute compréhension. Organisations et management sont des systèmes « paradoxants », nous dit l’auteur. En eux, tout est oxymorique, antinomique, contradictoire et controuvé. Devenues essentiellement « réactives », c’est-à-dire fermées à la réflexion et obnubilé par le court terme et la « performance », les organisations exposent en permanence les travailleurs à des injonctions paradoxales (« double blind »), des couples de principes contradictoires : le travailleur doit être « responsable » dans le temps même que l’entreprise se désintéresse totalement de lui et que la seule « responsabilité » qu’on accorde au salarié, c’est d’atteindre les objectifs qu’on lui a fixé, sans qu’il ait jamais pu discuter les moyens qu’on lui alloue ; il doit viser sans cesse « l’excellence », en dépassant mois après mois ses limites, autrement dit se situer toujours « hors du commun », s’exposant à la fois à l’inéluctabilité de l’échec (le dépassement de soi ne pouvant être permanent), et à l’exclusion du groupe de pairs (on a besoin des autres pour agir correctement) ; il doit « être autonome », « prendre des initiatives », « investir subjectivement sa tâche », alors qu’on lui demande en vérité de se conformer religieusement à des prescriptions élaborées par d’autres, comme aux heures triomphales du taylorisme industriel (ainsi les « méthodes qualité », les « tableaux de bord », les « scripts » de conduite d’entretien, etc.), et surtout aller sans répit au devant des attentes de l’entreprise, ses stratégies, ses objectifs, sans aucune prise sur la direction choisie ; il doit être « adaptable », « flexible », c’est-à-dire se soumettre aux décisions obscures et erratiques d’un management aux ordres de conseils d’administration jouant au Monopoly mondial, au risque d’annihiler toute possibilité d’accumulation de connaissances, d’expériences, de savoir faire, qui peuvent faire de lui un « bon professionnel » ; il doit enfin se plier à la tyrannie de l’urgence, gagner du temps sur le temps, sans jamais pouvoir suivre le tempo, pressé qu’il est par les « impératifs » qui s’embouteillent au poste de travail, désespérant de pouvoir faire convenablement un travail dont on n’évaluera que les résultats, jamais les conditions dans lesquelles il se réalise… En vérité, le management exalte la « liberté » du travailleur, alors même qu’il n’encourage et ne récompense que le conformisme, c’est-à-dire la soumission à des règles, normes, prescriptions et autres injonctions, sans considération aucune pour leur faisabilité intrinsèque. L’échec ne peut plus s’expliquer alors que par un déficit personnel, une incapacité propre, une insuffisance du travailleur, un manque d’attention sans doute à la valorisation de son « capital humain », grâce auquel il aurait pu donner à son travail la logique qui lui fait intrinsèquement défaut.

  • Roland Gori « On veut nous confisquer nos possibilités de penser, de débattre » | Humanite
    http://www.humanite.fr/debats/roland-gori-veut-nous-confisquer-nos-possibilites-513706

    Roland Gori « On veut nous confisquer nos possibilités de penser, de débattre »
    Mots clés : citoyenneté, travail, environnement, emploi, profits, temps de travail, appel des appels, entretien, bernard madoff,

    Professeur émérite en psychopathologie et co-­initiateur de l’Appel des appels, mouvement dont l’ambition est de 
« remettre l’humain au cœur de la société », Roland Gori dénonce, dans son dernier esssai, les dispositifs d’évaluation quantitative, qui ­colonisent toutes les dimensions de nos existences, produisent du conformisme et, finalement, de l’imposture.

    Dans votre ouvrage, la Fabrique des imposteurs, vous attaquez le capitalisme par le biais de la chosification qu’il produit au niveau des rapports humains. Cette critique était déjà celle de Marx, dénonçant le « fétichisme de la marchandise » qui donne aux rapports sociaux de production l’apparence de rapports entre choses. Quelle est la spécificité de votre apport ?

    Roland Gori. Le capitalisme, c’est l’économie tout entière tournée vers la quête effrénée 
de plus-values, de profits calculés. Avec cette réalité, il y a effectivement chosification de l’humain, celui-ci est réduit à un instrument permettant d’accroître les taux de profit. 
C’est le point commun à tous les capitalismes qui se sont succédé dans l’histoire. C’est 
le point commun entre le capitalisme 
industriel analysé par Marx, et le capitalisme financier actuel, contexte de ma réflexion. 
Ce capitalisme financier a une forte spécificité qui accroît l’aliénation sociale et subjective en jouant toujours davantage sur la fluidité du temps et de l’espace, la vitesse et la globalisation. Désormais, ce qui s’échange, 
ce sont essentiellement des produits financiers déconnectés de l’économie réelle et favorisant les bulles spéculatives. Cette mutation dans la production s’accompagne d’une dématérialisation des rapports sociaux qui accroît l’aliénation. Marx parlait du prolétaire comme cette aliénation d’un humain auquel 
la machine avait confisqué son savoir et 
son savoir-faire, au contraire de l’artisan. Cette prolétarisation s’est étendue aux classes moyennes et à l’ensemble des professionnels des secteurs dédiés au bien commun et à l’espace public. Les machines se sont dématérialisées, elles prescrivent toujours plus de normes de comportement dans tous les domaines de la vie. Le calibrage des comportements opère de manière plus insidieuse, requérant toujours davantage notre servitude volontaire. Dans le domaine de la recherche, plutôt que de nous dire que tout savoir doit devenir marchandise et qu’en conséquence seules les recherches appliquées sont souhaitables, on va jouer sur la grammaire des discours du savoir. Plutôt que d’interdire les recherches qui ne conviennent pas au pouvoir politique, on va les empêcher. Ce genre de procédé se diffuse dans tous les secteurs de la société et fabrique de l’imposture. De nos jours, l’imposteur n’est pas forcément celui qui falsifie des identités, ou s’invente un héritage bidon, une origine aristocratique pour escroquer les autres. C’est plutôt le genre Bernard Madoff, mais en plus ordinaire, avec une série de traficotages au quotidien pour 
faire face aux exigences des normes imposées. De petites tricheries ont lieu partout. Dans 
un colloque récent, auquel je participais, 
le paléontologue Henri de Lumley racontait qu’un chercheur qui avait découvert dans le Rif marocain une dizaine de dents datées d’environ 5 000 ans se trouvait incité par le mode actuel de l’évaluation des scientifiques à produire 
non un seul article sur sa découverte, 
mais une dizaine, un pour chaque dent…

    Si l’imposture est répandue dans toute la société, est-ce à dire que nous serions autant imposteurs en bas qu’en haut de l’échelle sociale ? Ou bien votre réflexion anthropologique sur l’imposture s’articule-t-elle à une analyse de classe ?

    Roland Gori. Ce que je souligne, c’est que 
le capitalisme exige une rationalisation de la production qui aboutit à une fragmentation des actes professionnels. Marx montrait déjà que, pour le capitalisme, le «  travailleur idéal  » était un travailleur sans subjectivité et sans citoyenneté. Marx comme Weber montrent que, pour parvenir à cet asservissement 
de l’homme aux exigences des machines, le processus de rationalisation doit s’étendre au-delà du temps de travail et s’emparer du temps de l’existence tout entière. Le temps du loisir, par exemple, se verra de plus en plus confisqué par la logique de la marchandise et du spectacle. Cette évolution porte une exigence d’adaptation sociale et subjective toujours plus intense, et qui, en tant que telle, n’est pas le lot de telle ou telle classe mais traverse au contraire toute la société. Alors il arrive que, face à un système qui colonise toutes les dimensions de l’existence en le privant de ses possibilités de création, l’individu cherche à se protéger par la ruse et le semblant. L’imposteur n’est pas seulement l’escroc conscient et responsable de ses actes, jouissant de duper, de feindre et de mentir. L’imposture dont je parle concerne aussi les individus ou même les États qui ont été dépossédés, expropriés de leur souveraineté, et qui dès lors se parent de mensonges, de tricheries, de masques pour contrer un système normatif qui exige trop d’eux. Par analogie, disons qu’il arrive qu’un enfant mente moins parce qu’il est malade ou immoral que parce qu’il ressent son environnement comme trop intrusif. Le mensonge devient le moyen, le fétiche par lequel l’enfant se reconstitue un monde intérieur, une intimité mise à l’abri 
de l’environnement perçu comme traumatique. Cela donne une multitude de personnalités particulières, type as if (comme si), des 
faux soi ne répondant qu’en apparence 
aux exigences de l’environnement qui les fait vivre au-dessus de leurs moyens. C’est une fausse adaptation fabriquée par la violence des normes imposées. Cela ne disculpe pas l’imposteur, cela montre simplement que l’environnement dont il émerge a sa part. 
Et cette part est grande, eu égard à la comédie sociale des mœurs qui est la nôtre. J’en donne plusieurs exemples. Ce sont les mécanismes de telles situations que j’essaie de percer à jour.

    Vous disiez qu’aujourd’hui la prolétarisation n’est plus limitée au travail et qu’elle se combat au niveau de l’existence dans sa globalité. Mais vous écrivez aussi que «  l’émancipation politique des travailleurs suppose leur émancipation préalable dans les activités de travail  ». N’est-ce pas, alors, qu’il ne peut y avoir de réelle émancipation sans une action collective pour libérer le travail du joug de la logique capitaliste ?

    Roland Gori. Oui, mais l’émancipation ne saurait être seulement une émancipation 
des conditions matérielles du travail. Gramsci soulignait déjà que l’action des syndicats 
est nécessairement limitée dans la mesure 
où ils ne réunissent les travailleurs que sur 
la seule base de la force de travail, souci 
qu’ils partagent avec le patronat. Aujourd’hui encore, les syndicats se battent davantage sur les conditions de l’emploi que sur la défense des métiers. L’emploi, c’est évidemment crucial du point de vue de la «  citoyenneté sociale  », comme l’a bien montré Robert Castel. 
On assiste aujourd’hui à l’évidence à 
une érosion des droits sociaux, et il faut 
y résister. Mais la prolétarisation n’est pas réductible à cette érosion. Elle consiste 
aussi en une confiscation de la pensée même de l’acte professionnel. Prenons l’exemple des médecins. Au travers de dispositifs comme la tarification à l’activité (T2A) ou le contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi), des critères hétérogènes à la logique médicale leur sont imposés. 
Les dispositifs d’évaluation requièrent 
une soumission sociale librement consentie les invitant à incorporer toujours davantage des préoccupations de gestion au détriment de l’acte de soin en lui-même. Tout est fait pour que la dimension du soin s’estompe 
au profit de la valeur marchande de l’acte et soit subordonnée aux autorités administratives. Du coup, par exemple, 
ce sont les spécialités les plus techniques 
qui sont valorisées au détriment des autres.Par petits bouts, c’est l’acte même du 
soin qui se trouve modifié. C’est pour cela qu’il y a urgence à déployer 
une «  politique des métiers  », comme 
s’y emploie l’Appel des appels (1).

    Dans vos travaux, vous montrez que l’imposture 
est inhérente à la «  folie de l’évaluation  », 
qui prétend tout mesurer, tout «  quantifier  », 
et produit du conformisme et du faux-semblant. 
Mais l’évaluation ne peut-elle pas être 
un recours pour démasquer l’imposteur ? 
Évaluer les compétences des uns et des autres, n’est-ce pas se doter d’un outil pour débusquer 
les beaux parleurs, qui masquent l’absence 
de fond par un jeu subtil sur les formes ?

    Roland Gori. Je ne critique pas toute forme d’évaluation. J’ai d’ailleurs moi-même passé ma vie à évaluer : des thèses, des mémoires de master, des copies de première année, etc. L’évaluation fait partie de nos vies quotidiennes. On évalue en permanence, 
quand on va au restaurant, au cinéma, etc. 
Ce que je dénonce, ce sont les nouvelles formes sociales de l’évaluation, qui se prétendent objectives alors qu’elles sont simplement formelles et procédurales. Prenez le facteur d’impact (ou, en anglais, l’impact factor). Cette expression renvoie au taux de citation d’une revue et c’est devenu un critère essentiel d’évaluation de la recherche scientifique. Cela signifie que plus une revue a des auteurs cités, plus elle a un indice de popularité élevé. À partir de là, plus on publie dans ce type de revue, plus on est évalué comme un bon auteur. On confond valeur et opinion. C’est une politique de la marque, de l’Audimat 
et du spectacle qui fait de l’article une marchandise comme une autre. Ce type d’évaluation quantitative et spectaculaire prend modèle sur la notation en cours sur les marchés financiers. Les évaluations des chercheurs, celle des enfants de maternelle, celle des équipes hospitalières, du travail social, de l’enseignement, etc. sont établies sur la même base que la notation des agences du même nom. Il s’agit d’émettre une opinion à partir d’un certain nombre d’indicateurs construits à partir des comportements passés. Cette manière d’entrer dans l’avenir à reculons, d’anticiper le futur à partir des logiciels du passé, se généralise à l’ensemble des évaluations sociales. En psychiatrie, cela s’appelle la «  méthode actuarielle  », qui consiste à évaluer les risques de récidives de comportements déviants de la même manière que les agences de notation définissent les risques encourus lors des placements financiers. C’est la même méthode à tous les étages du social, au risque 
là encore de produire ce que l’on annonce et 
de réaliser une prophétie autoréalisatrice.

    Le problème n’est donc pas l’évaluation en soi, mais la place et la forme qu’elle prend dans 
ce que vous appelez la « démocratie d’expertise et d’opinion »…

    Roland Gori. On peut dire les choses de façon plus tranchée : le problème, ce n’est pas 
les chiffres, mais le fait qu’on nous assène des chiffres pour désamorcer par avance la possibilité même du débat. La démocratie d’expertise et d’opinion dont je parle renvoie à cette confiscation systématique de nos possibilités de penser, de débattre. On veut nous faire taire en nous subordonnant aux donneurs de chiffres. De plus en plus, nous nous mettons à croire aux chiffres comme hier en l’animisme, en la bonne parole de l’Évangile ou aux prophéties millénaristes. Nous devons 
à tout prix nous libérer de cette tendance !

    Vous en appelez au désir et aux fictions… Mais ces catégories ont-elles un potentiel subversif, dans notre société de spectacle et de consommation ?

    Roland Gori. Le désir n’est pas l’envie ou le caprice. Le désir naît d’un manque qui ne se laisse saturer par aucun objet, personne ou symbole. Il pousse à créer sans cesse, à inventer la vie sans la réduire à la répétition du passé ou aux conformismes des modes d’emploi. Il nous pousse à fictionner, si j’ose dire. Un individu ou une société qui méprise la fiction se condamne au mensonge. C’est la raison pour laquelle il n’y aura pas d’émancipation politique sans émancipation culturelle. Le jeu, la poésie, l’amour sont inutiles en apparence mais essentiels. Notre civilisation technicienne, en confondant le jeu avec le divertissement et le futile, en méprisant les fictions de la culture et de l’imagination, participe à la chosification de l’humain et de la nature. C’est une authentique catastrophe écologique qui finit par détruire l’environnement symbolique autant que celui de la nature.

    (1) www.appeldesappels.org

    les normes en question « Respecter les normes, c’est le b.a.-ba de tout imposteur », nous explique Roland Gori dans son essai (1).
Ce qui signifie que l’imposteur dont s’occupe le
professeur émérite en psychopathologie est potentiellement en chacun de nous. Il dérive d’une société qui ne jure que par la norme et évalue frénétiquement les individus pour produire du conformisme, du faux-semblant. Attention, «  il ne s’agit pas de supprimer des normes, mission aussi stupide qu’impossible, mais de permettre un jeu suffisant dans leur usage pour qu’elles n’empêchent pas l’invention  », précise Roland Gori. De même, la guerre n’est pas déclarée à l’évaluation en général, mais à «  l’évaluation quantitative, formelle et normative  » dont l’enjeu est de propager la «  religion du marché  » dans tous les domaines de l’existence, à commencer par tout ce qui relève directement du bien commun (l’éducation, la santé, la recherche, etc.). En démontant les rouages psychiques et sociaux de l’imposture, ce livre nous aide à sortir de 
ce que l’auteur appelle un «  état de stupeur culturelle  ».

    (1) La Fabrique des imposteurs, Éditions Les Liens qui Libèrent, 
224 pages, 21,50 euros, 2013.

    Entretien réalisé par Laurent Etre

  • Roland Gori : « La vie devient un mode d’emploi » - Libération
    L’apport essentiel de Roland Gori, c’est de lier psychanalyse et sociologie politique, de relire Hannah Arendt ou Pierre Bourdieu à la lumière de Freud et Lacan. Retour sur les notions de culpabilité, dépendance et obsession à l’ère pragmatique des « sociétés de la norme ».
    http://www.liberation.fr/livres/2014/02/05/la-vie-devient-un-mode-d-emploi_978135
    #Gori #psychanalyse #normes #évaluation #Arendt #sociologie #politique

  • " Je ne critique pas toute forme d’évaluation. J’ai d’ailleurs moi-même passé ma vie à évaluer : des thèses, des mémoires de master, des copies de première année, etc. L’évaluation fait partie de nos vies quotidiennes. On évalue en permanence, 
quand on va au restaurant, au cinéma, etc. 
Ce que je dénonce, ce sont les nouvelles formes sociales de l’évaluation, qui se prétendent objectives alors qu’elles sont simplement formelles et procédurales. Prenez le facteur d’impact (ou, en anglais, l’impact factor). Cette expression renvoie au taux de citation d’une revue et c’est devenu un critère essentiel d’évaluation de la recherche scientifique. Cela signifie que plus une revue a des auteurs cités, plus elle a un indice de popularité élevé. À partir de là, plus on publie dans ce type de revue, plus on est évalué comme un bon auteur. On confond valeur et opinion. C’est une politique de la marque, de l’Audimat 
et du spectacle qui fait de l’article une marchandise comme une autre. Ce type d’évaluation quantitative et spectaculaire prend modèle sur la notation en cours sur les marchés financiers. Les évaluations des chercheurs, celle des enfants de maternelle, celle des équipes hospitalières, du travail social, de l’enseignement, etc. sont établies sur la même base que la notation des agences du même nom. Il s’agit d’émettre une opinion à partir d’un certain nombre d’indicateurs construits à partir des comportements passés. Cette manière d’entrer dans l’avenir à reculons, d’anticiper le futur à partir des logiciels du passé, se généralise à l’ensemble des évaluations sociales. En psychiatrie, cela s’appelle la «  méthode actuarielle  », qui consiste à évaluer les risques de récidives de comportements déviants de la même manière que les agences de notation définissent les risques encourus lors des placements financiers. C’est la même méthode à tous les étages du social, au risque 
là encore de produire ce que l’on annonce et 
de réaliser une prophétie autoréalisatrice." Roland Gori #RolandGori #évaluation #société #capitalisme #quantitatif #psychanalyse #psychologie #social #enseignement #notations

  • Discussion:Appel des appels/Suppression — #Wikipédia
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Appel_des_appels/Suppression

    L’Appel des appels créé fin décembre 2008 par les psychanalystes Roland Gori et Stefan Chedri est un mouvement visant à la fédération des professionnels de différents secteurs du service publique (éducation, justice, santé, culture), soutenu par la société civile, et opposé à ce que les logiques économiques soient le seul critère de réforme et d’évaluation de l’action publique.

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  • • Éducation populaire, une utopie d’avenir
    http://www.cnt-f.org/nautreecole/?education-populaire-une-utopie-d

    Éducation populaire, le retour

    Né officiellement en France après la Libération comme l’une des missions importantes de l’État, sous l’impulsion d’une pensée portée par le Conseil National de la Résistance et dont le cheminement remonte au moins à Condorcet, ce grand mouvement continue aujourd’hui à porter l’idéal d’un art et d’une culture pour (et par) tous. Il prend parfois d’autres noms, invente d’autres formes, mais en une période où le néolibéralisme fait rage et répand dans le monde le poison d’une marchandisation universelle, ce qui est en son cœur continue de nous animer comme l’un des plus précieux outils pour réaffirmer la part créative de chaque être et ce que le psychanalyste Roland Gori appelle l’humanité dans l’Homme.

    #Education #pédagigie