Alors ils m’ont dit ce qu’ils pensaient. Tout le monde a participé à la discussion. Voici ce qu’ils m’ont dit.
Ces gens-là, madame, c’est pas des musulmans, c’est des tarés.
C’est péché de tuer.
Ils sont cons, ils vont aller en enfer, ils ont pas droit de tuer les gens. Allah est le seul qui peut juger, on n’a pas le droit de juger.
Mais madame, si les dessinateurs étaient menacés de mort depuis longtemps, pourquoi ils ont continué ? Ils auraient dû arrêter, ils auraient été tranquilles. C’était quand même un peu abusé, ils en rajoutaient tout le temps.
[…]
Toutes et tous ont compris. Aucun ne m’a dit : « C’est bien fait », « Ils l’ont bien cherché », « Je suis bien content-e ». Aucun. Je n’ai pas eu besoin de les mener à dire quoi que ce soit. Ils l’ont dit eux-mêmes. Les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas des idiots.
Et moi non plus, enseignante, je ne suis pas idiote. Je ne baigne pas dans la démagogie dégueulasse dont on nous pense souvent coupables.
Je sais qu’une poignée d’élèves a refusé de faire la minute de silence, quand une grande majorité l’a respectée sans aucun problème. Curieusement – ou pas – ce sont les mêmes élèves qui, tout au long de l’année, ne respectent pas l’école ni les enseignant-e-s. Les mêmes qui viennent au collège sans leurs affaires, ne font pas leur travail, n’apprennent pas leurs leçons, perturbent le cours. Les mêmes dont les parents ne viennent pas aux réunions de remise des bulletins, les mêmes dont la famille ne répond pas au téléphone. Les mêmes dont nous peinerons à freiner la déscolarisation.
Ce n’est pas une coïncidence.
[…]
Lorsque je vois qu’un quotidien national, quelques jours après l’attentat contre Charlie Hebdo, part investiguer dans le 93 pour savoir comment ont réagi les élèves, je m’interroge, parce que l’odeur qui émane d’une telle démarche n’est pas très agréable à sentir.
Pourquoi le 93 ? Aucun de ces terroristes ne venait de Seine Saint-Denis. Aucun. Pourquoi le 93 ?
[…]
Je regrette vraiment qu’aujourd’hui les élèves du 93 soient stigmatisés, au lendemain de l’attentat terroriste, et je ne comprends pas pourquoi les médias choisissent de titrer, dans un geste racoleur qui me fout sérieusement la gerbe, « Les élèves de Seine Saint-Denis ne sont pas tous Charlie ».
Les élèves de Seine Saint-Denis n’ont surtout rien demandé. Ils aimeraient bien qu’on leur foute la paix, pour une fois, qu’on arrête de braquer les projecteurs sur eux dès qu’un bas du front islamiste vient dire ou commettre quelque chose d’effroyable.
Pas d’amalgame, dit-on.
Sauf qu’on regarde toujours du même côté quand quelque chose ne va pas. On dresse l’inconscient des lecteurs, même les plus intelligents, à créer une association d’idées entre un attentat terroriste et des gamins de Seine Saint-Denis qui ne représentent pas la majorité et qui sont conditionnés par le milieu qui les a vus naître.
Oui, il y a des connards en Seine Saint-Denis. Oui, il y en a qui sont bien contents que Charb se soit pris une balle dans la tête.
Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas pour ces attentats. Non, tous les enfants de Seine Saint-Denis ne sont pas d’accord avec l’intégrisme islamiste. C’est même le contraire. Certains ont écrit spontanément des plaidoyers pour la liberté d’expression. D’autres ont eu des remarques plus intelligentes que certains adultes. D’autres ont lu « Liberté » de Paul Eluard en sanglotant.
En braquant les caméras et les dictaphones sur une poignée de crétins, on oublie l’intelligence des autres et la sienne.
Pendant ce temps-là, des Musulmans et des Musulmanes se font agresser. Des mosquées sont incendiées, taguées, injuriées.