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  • Offensive contre les géants de l’édition scientifique en Europe Marco Fortier - 13 Septembre 2018 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/societe/education/536595/offensive-europeenne-contre-les-geants-de-l-edition-scientifique

    Les conseils de recherche de onze pays européens, dont la France et le Royaume-Uni, prennent les grands moyens pour endiguer la soif de profits des géants de l’édition scientifique, qui siphonnent les budgets des bibliothèques universitaires.

    Ces onze États viennent de dévoiler un plan qui obligera d’ici deux ans leurs chercheurs subventionnés à publier le fruit de leurs travaux sur des plateformes en libre accès. Le but : mettre fin à la domination commerciale des cinq plus grands éditeurs scientifiques, qui font des profits considérables en publiant des articles fournis par les universitaires.

    « Il ne faut pas enfermer la science derrière des murs payants », indique le manifeste du nom de « Plan S » dévoilé la semaine dernière par Science Europe, un regroupement d’organisations européennes vouées à la promotion et au financement de la recherche.

    « Aucune raison ne justifie un modèle d’affaires établi sur des abonnements à des publications scientifiques. À l’ère numérique, le libre accès augmente la portée et la visibilité de la recherche universitaire », précise le document signé par Marc Schiltz, président de Science Europe.


    Outre Paris et Londres, cette offensive est appuyée par les organismes subventionnaires des pays suivants : Suède, Norvège, Pays-Bas, Autriche, Irlande, Luxembourg, Italie, Pologne et Slovénie. Ces États, comme bien d’autres (dont le Québec et le Canada), en ont assez des coûts astronomiques des abonnements aux publications scientifiques comme Nature ou Science.

    Comme Le Devoir l’a rapporté au cours de l’été, les frais d’abonnement aux magazines scientifiques accaparent désormais 73 % des budgets d’acquisition des bibliothèques universitaires. Les cinq grands éditeurs publient à eux seuls plus de la moitié des articles savants dans le monde. Les abonnements à ces magazines coûtent tellement cher que certaines bibliothèques n’ont plus les moyens d’acheter des livres.

    L’offensive des pays européens contre ces tarifs jugés déraisonnables risque de faire mal aux géants de l’édition — notamment les groupes Elsevier, #Springer #Nature, #John_Wiley_Sons, #Taylor_Francis et #SAGE_Publications — qui dominent le marché mondial.

    « Ce ne sera pas la mort demain de ces grands ensembles-là, mais cette campagne s’ajoute aux désabonnements [aux périodiques scientifiques] de beaucoup d’universités en réaction à la hausse des coûts d’abonnement », dit Vincent Larivière, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal (UdeM). Il dirige la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante.

    Crise mondiale
    Les grandes revues comme Nature sont attrayantes pour les chercheurs. Ces magazines sont prestigieux. Ils sont lus, donc beaucoup cités. Et pour réussir en tant que professeur — être embauché, obtenir une promotion —, il faut être cité par ses pairs. C’est pour ça que les magazines scientifiques peuvent se permettre de facturer une fortune en abonnements aux bibliothèques universitaires.

    Les éditeurs scientifiques obtiennent pourtant leurs articles tout à fait gratuitement : les chercheurs ne sont pas payés par les magazines pour publier leurs travaux. Ça fait partie de leur tâche de professeur. Et les articles sont révisés bénévolement par des pairs. Plus troublant encore, un nombre croissant de revues scientifiques imposent des frais de 3000 $ ou 5000 $, par exemple, aux professeurs qui veulent que leurs articles soient en libre accès.

    Ce modèle d’affaires des revues savantes soulève un tollé partout dans le monde, rappelle Vincent Larivière. Le biologiste Randy Schekman, de l’Université de Californie, a même appelé au boycottage des magazines ayant publié ses travaux qui lui ont valu le prix Nobel. Il a fondé en 2012 son propre journal, eLife, qui publie ses articles en libre accès.

    Aux États-Unis, de puissants organismes comme la Fondation Bill Melinda Gates et les Instituts nationaux de santé (National Institutes of Health) exigent aussi que les recherches scientifiques qu’ils financent soient publiées en libre accès.

     #édition_scientifique #open_access #publications_scientifiques #elsevier #publications #sciences #science #recherche #université

  • Chaires de recherche : où sont les femmes ?
    Thomas Dufour, La Presse, le 21 août 2018
    http://plus.lapresse.ca/screens/80b7d0af-b131-4d0b-ae7f-a09c8a604402__7C___0.html

    En décembre 2019, plusieurs universités québécoises pourraient perdre une partie du financement versé par le gouvernement fédéral à leurs chaires de recherche du Canada (CRC) si elles n’augmentent pas le nombre de femmes titulaires. À moins d’un an et demi de la date butoir, 12 institutions québécoises sur 18 n’ont pas encore atteint leur cible.

    En 2009, le gouvernement fédéral sonne l’alarme : les chaires de recherche du Canada (CRC) manquent de femmes, de personnes autochtones, de personnes handicapées et de membres des minorités visibles à leur tête.

    Les universités canadiennes se dotent alors de cibles à atteindre pour chaque groupe. À partir de 2012, elles doivent rendre compte annuellement de leur progression.

    Puis, en mai 2017, le programme des chaires de recherche du Canada lance un ultimatum aux universités : elles devront atteindre les cibles, notamment de représentativité hommes-femmes, d’ici décembre 2019, sans quoi elles perdront une partie de leur financement.

    Le programme de chaires de recherche impose alors une série de mesures aux universités : ces dernières doivent publier leurs données sur le nombre de femmes titulaires de CRC, mettre sur pied un plan d’action afin d’atteindre leurs objectifs, offrir de la formation au personnel et revoir le processus de sélection des candidats, entre autres.

    Si les cibles ne sont pas respectées à la fin de l’année 2019, le gouvernement fédéral arrêtera d’évaluer les candidatures de titulaires de CRC présentées depuis l’automne 2017, selon le conseiller en communications du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada Jai Aggarwal. Ce faisant, les chaires arrivées à échéance ne seront pas renouvelées, et les universités qui accusent du retard perdront du financement.

    À titre d’exemple, le programme des chaires de recherche du Canada a versé 38,7 millions de dollars aux CRC québécoises à l’automne 2017. Pour le Canada en entier, le budget est d’environ 265 millions par an.

    En compilant les données des CRC, La Presse a pu remarquer que les femmes étaient peu présentes dans plusieurs institutions et domaines au Québec.

    L’Université McGill est la seule institution de grande taille à atteindre sa cible. L’Université de Montréal et l’Université Laval accusent des retards importants.

    Les chaires de recherche du Canada sont issues d’un programme fédéral créé en 2000 pour encourager la recherche au pays. Les candidats au poste de titulaire sont choisis par les universités avant d’être approuvés par un comité d’évaluation des chaires de recherche du Canada. Les CRC représentent plus du tiers de toutes les chaires de recherche des universités québécoises.

    À la naissance du programme, les universités choisissaient un chercheur sans qu’ait lieu d’appel de candidatures. « Ce qu’on voit, c’est que dans l’informel, les femmes étaient désavantagées par rapport aux hommes », expose le professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’Université de Montréal, Vincent Larivière.

    Depuis quelques années, les universités organisent des concours internes afin de choisir un candidat ou une candidate. Cette façon de faire permet de faire émerger plus de femmes, mais certaines universités ont adopté la méthode tardivement.

    Depuis le début des années 2000, le taux de réussite des femmes est le même que celui des hommes devant le comité des chaires de recherche. Cependant, les chercheuses sont moins nombreuses à être proposées par les universités à l’issue des processus de sélection.

    Les CRC se divisent en trois catégories de recherche : les sciences naturelles et le génie ; la santé ; et les sciences humaines. La représentation des femmes n’est pas la même pour tous ces domaines.

    Les cibles à atteindre imposées par le fédéral pour se rapprocher de la parité ne sont pas choisies arbitrairement : elles sont calculées par rapport au nombre de femmes demandant des subventions auprès de trois organismes fédéraux, l’un pour chaque domaine. Pour les sciences naturelles et le génie : 21 % des demandes de subvention proviennent des femmes ; pour les sciences de la santé, c’est 35 % ; et pour les sciences humaines : 45 %.

    Si une université n’a que des chaires dans le domaine de la santé, sa cible sera de 35 %. Par contre, lorsque les trois catégories sont impliquées, la cible représente une moyenne entre les proportions de femmes dans les différents domaines en fonction de leur importance dans l’établissement.

    La moyenne de titulaires femmes au Québec est de 28,36 %, légèrement sous la moyenne canadienne à 30,64 %.

    Les cibles des chaires de recherche du Canada prennent uniquement en compte le nombre global de femmes indépendamment du domaine. Cette façon d’établir les objectifs ne permet pas de voir quels sont les domaines les moins paritaires au sein d’une université.

    À titre d’exemple, à l’Université Laval, 25 % des titulaires de chaire sont des femmes. Par contre, pour les sciences naturelles et le génie, ce pourcentage chute à 11,54 %. C’est pourquoi ce tableau inclut les différents champs de recherche.

    Depuis 2017, toutes les universités ont un plan d’action. Mais certaines universités ont commencé à prendre des mesures bien avant. C’est le cas de l’Université McGill, qui a augmenté la proportion de femmes de près de 73 % en 10 ans, dépassant ainsi la cible de 18 %.

    « On a vraiment fait un effort pour mettre beaucoup de lumières sur les questions d’équité, de diversité et d’inclusion depuis quatre ans », affirme la vice-principale adjointe (politiques, procédures et équité) de l’Université McGill, Angela Campbell.

    « Ça prend une réelle volonté. Quand il y a des départements ou des facultés qui ne veulent rien savoir, il ne se passe rien. Ils vont toujours trouver : “Ah ! vous avez engagé une femme. Donc nous, on est corrects, on va pouvoir engager un homme” », expose la titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec à l’Université de Sherbrooke, Ève Langelier.
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    La performance des 18 universités québécoises

    Sciences naturelles et génie

    Le domaine des sciences naturelles et du génie est celui qui peine le plus à recruter des femmes, ce qui explique le seuil d’équité plus bas à 21 %. Le bassin pour recruter des femmes est plus bas. Selon des statistiques compilées par La Presse, les femmes représentent 17,23 % des professeurs en sciences naturelles et en génie. Même si les données sont globalement assez faibles, certaines universités sont loin derrière les autres.

    Sciences de la santé

    L’Université de Montréal est l’établissement qui accuse le retard le plus important dans ce domaine. « En 2016, quand j’avais vu ça, c’est un écart qui m’avait frappée. C’était troublant », expose la vice-rectrice à la recherche à l’Université de Montréal, Marie-Josée Hébert. Pour le domaine de la médecine, qui représente la majorité des chaires en sciences de la santé, la parité est atteinte dans la pratique clinique mais pas dans la recherche, explique toutefois Vincent Larivière, professeur à l’Université de Montréal.

    Sciences humaines

    Le domaine des sciences humaines est celui où les universités se rapprochent le plus de la parité. Les universités où la proportion de femmes titulaires est faible dans ce domaine ne possèdent pas beaucoup de chaires, ce qui rend cet écart plus facile à combler. Le nombre d’étudiantes et de professeures est aussi plus élevé dans ce domaine.
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    Les universités confiantes d’atteindre les cibles

    À 15 mois de la date butoir, les universités qui accumulent le plus de retard croient tout de même qu’elles pourront atteindre leurs cibles avant la fin de l’année 2019. Selon la vice-rectrice à la recherche à l’Université de Montréal, Marie-Josée Hébert, l’institution dépassera ses cibles en avril prochain, si le programme de chaires de recherche du Canada accepte ses nominations.

    L’Université Laval croit elle aussi pouvoir rattraper son retard. Les neuf postes de titulaires de CRC à combler en 2019 seront exclusivement proposés à des membres des groupes sous-représentés, soit les femmes, les personnes handicapées, les autochtones et les minorités visibles.

    Ces deux universités reconnaissent qu’elles ont du travail à faire. « Ça nous a frappés nous aussi. Nos statistiques qui venaient du secrétariat étaient rentrées en février 2016 et on s’était rendu compte qu’on n’avait pas la progression qu’on souhaitait », explique Marie-Josée Hébert.

    Son homologue de l’Université Laval, Eugénie Brouillet, a fait les mêmes constats. « Depuis que la dernière direction est entrée en fonction, il y a un an, on s’est rendu compte qu’on avait des efforts à faire », souligne-t-elle.

    Du progrès

    La proportion de femmes dans les chaires de recherche du Canada au Québec a augmenté de près de 8 % depuis 2010. Ce progrès est dû à la série de mesures entreprises par les universités à la demande des chaires de recherche du Canada.

    « Atteindre l’équité et la diversité en recherche n’est pas juste une question de quotas. Il s’agit de mettre en place une infrastructure institutionnelle visant à lever les barrières discriminatoires », affirme Tania Saba, titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance de l’Université de Montréal.

    En 2017, les méthodes de sélection des candidats pour les CRC ont changé. Les universités doivent maintenant offrir des formations aux personnes impliquées dans les processus de recrutement afin que ces derniers soient sensibilisés par rapport aux biais inconscients lors de la sélection de candidats.

    Un titulaire de chaire ne peut désormais être renouvelé dans ses fonctions qu’une seule fois. Cette décision du programme des chaires de recherche du Canada permet une plus grande diversité des titulaires.

    « Il y a des choses positives qui se passent. C’est très contraignant [des cibles] pour les universités, on leur impose des choses. Mais ça fait avancer les choses », exprime la chercheuse Ève Langelier.

    Le problème pour certains domaines est le manque de professeures pouvant devenir titulaires. « Pour atteindre la parité ou la bonne représentation en recherche, il faut d’abord l’atteindre au sein du corps professoral », affirme Tania Saba.

    Si les femmes sont majoritaires dans la population étudiante, elles sont minoritaires chez les professeures et encore moins présentes en recherche. « On appelle ça le pipeline qui fuit. Plus tu augmentes dans la progression en carrière, plus tu perds des femmes », explique le professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’Université de Montréal, Vincent Larivière.

    L’excellence intacte

    Si les universités sont en train de développer des structures pour intégrer plus de femmes, l’excellence des candidatures reste toujours le critère principal dans la sélection. « Quand on a mis en place ces quotas-là, on n’a pas eu de misère à trouver des femmes qui étaient excellentes », remarque Vincent Larivière.

    « On ne laisse pas tomber les critères d’excellence, mais il n’y a pas un seul moyen pour mesurer l’excellence. À travers les bourses, les publications, les chaires, est-ce que c’est la seule façon de mesurer du potentiel d’excellence ? », se questionne Tania Saba. Cette dernière croit que la quantité des publications ne devrait pas prévaloir sur la qualité.

    Dans les faits, les femmes s’impliquent plus dans les programmes de premier cycle. « Elles vont donner beaucoup pour faire rouler le programme de bac tandis que les hommes vont se donner plus sur les études graduées, plus sur la recherche. Et qu’est-ce qui est valorisé : c’est la recherche. », dit Ève Langelier.

    Une carrière difficile

    « Il reste deux endroits difficiles [pour les femmes] : l’université et les chantiers de construction. Mais les chantiers de construction, je pense que c’est plus positif que les femmes profs. Elles doivent faire leur place en arrivant, mais après ça, c’est correct », expose Ève Langelier.

    La chaire dont Mme Langelier est titulaire se penche sur la sous-représentation féminine dans le domaine des sciences et du génie. « Quand tu arrives à une table, c’est impressionnant la première fois, tu t’assois pis il y a 30 hommes, plus vieux que toi. C’est intimidant », raconte celle qui a une formation en génie.

    Les raisons qui expliquent le faible nombre de femmes en sciences sont nombreuses. Souvent, un double standard est en jeu. « Dans le domaine des sciences, le fait d’avoir des enfants pour un homme, ça va être un gain de crédibilité et de sérieux. Dans le cas des femmes, c’est associé à un déclin, à la réduction de la visibilité et de la production », relate Vincent Larivière.

    « Les jeunes, tu leur demandes de dessiner un scientifique, la plupart vont dessiner un homme, blanc, vieux, avec des lunettes et des cheveux blancs, avec un sarrau. Si tu vois ça et que tu es une petite fille, tu te dis : “Ce n’est pas pour moi” », décrit Ève Langelier.

    #Femmes #Discrimination #Recherche #Université #Canada

  • Les tricheurs de la science La Presse CA - Marie-Claude Malboeuf - 12 Septembre 2017
    http://www.lapresse.ca/actualites/enquetes/201709/12/01-5132442-les-tricheurs-de-la-science.php

    Ils devraient être des modèles de rigueur. Ils ont plutôt truqué leurs résultats, détourné des fonds, menti ou volé des écrits. Depuis cinq ans, près d’une centaine de scientifiques canadiens ont été punis pour malhonnêteté, révèlent des données obtenues par La Presse. Et ils sont de plus en plus nombreux à se faire prendre.

    De plus en plus de tricheurs démasqués
    Dans chaque bureau de l’hôpital d’Ottawa, les révélations du Dr Paul Hébert déclenchaient un séisme. Le spécialiste des soins intensifs était lui-même sidéré. Et enragé par ce que la responsable de son programme de recherche venait de découvrir.
    « Une professionnelle de la santé fraudait, elle fabriquait des données de recherche ! », confie le chercheur, aujourd’hui chef du département de médecine au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et auteur de travaux qui ont transformé la pratique de la transfusion sanguine.

    Dans le cadre de l’étude qu’il faisait à l’époque, l’employée tricheuse devait absolument prélever le sang de patients à des moments précis pour qu’on mesure l’effet d’un traitement. Mais au lieu de remplir sa mission le samedi, comme il le fallait, elle ne s’est jamais présentée à l’hôpital. De retour le lundi, elle a recueilli le sang en douce et écrit la mauvaise date sur les fioles, en espérant brouiller les pistes. Mais ses collègues surveillaient le réfrigérateur.

    « On l’a congédiée, mais à l’hôpital, la crise a duré des semaines. Elle a failli ruiner l’étude », explique le Dr Hébert.
    Quinze ans plus tard, il se souvient de tout. Entre deux nuits d’insomnie, il a alerté les organisations concernées et repris la collecte de données auprès de 40 patients. Une somme de travail colossale, qui s’est étendue sur un an et lui a coûté 100 000 $.
    L’étude a ainsi pu être publiée dans une revue prestigieuse. Mais cela n’empêche pas le spécialiste de frémir en pensant à ce qui aurait pu se produire. « Découvrir la fraude seulement après la publication, ç’aurait été un désastre... »

    Il n’en avait encore jamais parlé publiquement.
    Des désastres, le médecin sait bien que d’autres universités en connaissent, y compris au Canada, où est survenu l’un des pires scandales.

    Du fond de l’Université Memorial, à Terre-Neuve-et-Labrador, le chercheur Ranjit Chandra est devenu une vedette mondiale en publiant des études sur des multivitamines miracles et d’autres au sujet de 700 bébés n’ayant finalement jamais existé. Il les inventait et recopiait des séries de chiffres d’une étude à l’autre.

    L’université a enterré l’affaire pendant 12 ans, ignorant de nombreux dénonciateurs et laissant son professeur empocher une fortune - jusqu’à ce qu’il quitte le Canada en douce, en 2002.
    À la même époque, le chercheur James Xu est entré dans un laboratoire albertain en pleine nuit pour ajouter une substance dans les éprouvettes, afin que les expériences de son équipe semblent concluantes.

    Plus de fraudeurs démasqués
    Combien de délinquants sévissent encore au Canada ? Ces cinq dernières années, les universités du pays ont transmis aux autorités fédérales des rapports d’enquête concernant 192 chercheurs, dont 83 ont été jugés malhonnêtes, révèlent de nouvelles données obtenues par La Presse. Leur analyse montre que le nombre de chercheurs sanctionnés annuellement a augmenté de 54 % au cours de cette période.

    Treize d’entre eux avaient fabriqué, falsifié ou détruit des données. Les autres avaient menti dans leurs demandes de subvention, détourné des fonds publics, plagié ou bâclé leur travail (détails ci-contre).

    Peu de cas rendus publics
    À Toronto, Sophie Jamal a berné une très prestigieuse revue médicale. L’endocrinologue avait altéré sa base de données pour faire croire que le fait d’appliquer un onguent avait fait augmenter la densité osseuse de ses patientes à risque d’ostéoporose. Elle a donc perdu son emploi l’an dernier, et perdu à jamais le droit de demander des subventions fédérales.

    En 2013, les Américains ont révélé qu’un pathologiste prometteur de l’Université Western Ontario (Hao Wang) avait faussement rapporté avoir réussi une greffe de rein sur deux singes.
    La même année, l’Université McGill a obtenu gain de cause contre l’un de ses chercheurs les plus connus - et les plus subventionnés -, Avi Chaudhuri. Le professeur de psychologie avait menti au sujet de 14 voyages en Inde, prétendant s’y rendre pour faire ses recherches, alors qu’il y faisait plutôt rouler une entreprise lui appartenant. Il a été congédié.

    De leurs propres aveux, plusieurs scientifiques ne se font jamais prendre. Environ 2% des chercheurs sondés lors d’enquêtes scientifiques admettent avoir déjà falsifié ou fabriqué des données. Et 9% avouent avoir déjà adopté d’autres pratiques discutables.
    Les scientifiques détestent parler de ces dérives en public, par crainte que la population n’oublie que 90 % d’entre eux sont rigoureux et honnêtes, et ne condamne injustement la science dans son ensemble.
    En privé, par contre, « il y a un besoin criant de se défouler, vous n’avez pas idée ! », constate le professeur Bryn Williams-Jones, qui dirige les programmes de bioéthique à l’UdeM et collabore à une enquête internationale lancée par son ancienne étudiante, Élise Smith.
    Le sondage portait sur la signature des études savantes, mais les participants en avaient long à dénoncer. « Ils nous parlent d’abus, de manipulations de données, de harcèlement, de conflit d’intérêts... énumère le bioéthicien. Leurs témoignages font déjà 300 pages ! »

    Influence mortelle
    « Le manque d’intégrité, c’est hyper dangereux ; les décideurs se basent sur des données scientifiques de toutes sortes dans leur travail », prévient le professeur Williams-Jones.
    En santé, il suffit d’un seul délinquant pour causer « d’immenses dégâts », car des millions de médecins se fient aux études pour traiter leurs patients, précise le Dr Hébert.

    « La recherche clinique frauduleuse ou mal menée peut tuer. »
    Des chercheurs ont accusé deux scientifiques européens d’avoir eu ce genre d’influence mortelle. Le premier (l’anesthésiste Joachim Boldt) prônait l’emploi d’un soluté controversé pour réanimer les patients en insuffisance circulatoire. Le second (le cardiologue Don Poldermans), celui de bêtabloquants lors d’opérations à haut risque. Ces deux pratiques tuaient probablement beaucoup plus de gens qu’elles n’en sauvaient, a-t-on compris trop tard - après avoir découvert, il y a quelques années, que chacun des deux hommes avait publié des données fictives ayant brouillé les cartes.

    Des jeunes sont également morts après avoir attrapé la rougeole, parce que leurs parents avaient lu que les faire vacciner risquait de les rendre autistes. Dans sa pseudo-étude portant sur 12 enfants, l’ex-médecin britannique Andrew Wafefield avait pourtant déformé le contenu de chaque dossier médical, sans exception. Et caché le fait qu’un avocat lui avait versé plus de 700 000 $ après lui avoir commandé l’étude pour justifier le dépôt de poursuites judiciaires contre les fabricants de vaccins.

    Des millions gaspillés
    Chaque année, les scientifiques malhonnêtes privent la société de millions de dollars. « En fraudant, tu gaspilles tes propres fonds de recherche et tu amènes plein d’autres scientifiques à suivre de fausses pistes avec les leurs, dénonce le Dr Hébert. Ça mobilise des ressources rares en pure perte, alors qu’elles auraient pu permettre de vrais progrès. »

    Les agences canadiennes tentent de réduire les dégâts en exigeant que les délinquants remboursent les fonds mal utilisés. En cinq ans et demi, elles ont ainsi récupéré près de 0,9 million, soit 80 % des sommes réclamées (et l’équivalent de 0,038 % de leur budget annuel de 2,38 milliards).

    Quarante-deux chercheurs se sont par ailleurs retrouvés sur une « liste noire » qui les empêchent de recevoir des subventions - dont sept pour toujours.

    D’année en année, le nombre de délinquants sanctionnés augmente. « On accepte maintenant de recevoir les allégations anonymes, précise Susan Zimmerman, directrice du Secrétariat pour la conduite responsable de la recherche, qui assiste les agences subventionnaires. On essaie de faciliter les choses pour encourager les gens à parler. »

    Cas de plagiat, de falsification ou de fabrication sanctionnés de 2012 à 2017
    • 39 par le Secrétariat pour le conduite responsable de la recherche (Canada) :
    • 92 par la National Science Foundation (EU)
    • 54 par l’Office for Research Intergrity (EU)

    Un premier bilan détaillé
    Dès qu’un scientifique soutenu par des fonds fédéraux est soupçonné d’inconduite, les universités sont tenues d’alerter le Groupe et le Secrétariat pour la conduite responsable de la recherche. Elles doivent ensuite leur transmettre leurs rapports d’enquête. C’est la règle depuis décembre 2011, les trois agences subventionnaires fédérales s’étant alors dotées d’une politique commune - une innovation notamment motivée par le scandale survenu à l’Université Memorial. Le Secrétariat aide les agences à faire appliquer les règles et compile les statistiques rapportées dans ce reportage. C’est la toute première fois qu’il livre un bilan détaillé des manquements et des sanctions enregistrées depuis sa création. L’an dernier, les trois agences fédérales ont soutenu 36 000 chercheurs.

    Pourquoi frauder ?
    Qu’est-ce qui pousse des scientifiques - censés chercher la vérité - à frauder ? Voici ce qu’ont répondu les principaux intéressés.
    La compétition féroce

    « Dans la position académique que j’occupais, ton estime de toi dépend des subventions obtenues. [...] J’étais sur un tapis roulant et je ne pouvais pas descendre », a déclaré le chercheur en obésité Eric Poehlman lors de son procès criminel couvert par le New York Times.
    Sans fonds, un chercheur ne peut ni faire rouler son labo, ni publier, ni être promu. « Et comme les athlètes qui se dopent, certains pensent qu’ils ne peuvent pas réussir sans tricher », analyse l’éthicien Bryn Williams-Jones, de l’Université de Montréal.

    « Trop de structures encouragent les comportements nocifs. Des taux de réussite de 12 % lors des demandes de subvention, ça crée une compétition hallucinante, qui favorise les manquements. »

    La vanité
    « Ce sont la vanité et l’autoglorification qui l’ont motivé. C’était un expert mondial, qui voyageait en première classe pour donner des conférences à travers le monde. » L’éditeur scientifique Steven Shafer a expliqué de cette façon pourquoi l’anesthésiste allemand Joachim Boldt, a pu publier 94 études frauduleuses.

    Besoin de pouvoir, d’admiration, arrogance... Dans les sphères hautement compétitives, ces traits narcissiques sont fréquents, d’après la diplômée en psychologie légale Cristy McGoff, que le site RetractionWatch a interrogée au sujet des cas gérés dans son université américaine. « Se percevoir comme étant respecté et omniscient peut amener quelqu’un à pousser le bouchon. »

    La maladie
    « Certains de ses comportements étaient si illogiques et outrageux qu’il est évident qu’il n’était pas capable de penser rationnellement à l’époque. »

    D’après son avocat, c’est la maladie qui a poussé Scott Reuben à frauder. Des épisodes de manie lui ont permis d’abattre un travail insensé, jusqu’à ce qu’il ne parvienne plus à remplir ses engagements et commence à avoir recours à son imagination.
    Avide d’attention et devenu inconscient des risques, l’anesthésiste a prétendu avoir enrôlé 200 patients ayant subi un remplacement du genou, alors que son hôpital effectuait très peu d’opérations du genre.
    À l’époque du procès, il avait tout perdu - sa femme, son permis de médecin, sa fortune - et emménagé chez ses parents.

    La pente glissante
    « Il a commencé à tricher un peu, et la tromperie est devenue totalement incontrôlée. » Voici comment le chercheur norvégien Jon Sudbø a fini par inventer 908 patients, selon ce qu’a déclaré son avocat à l’époque.

    « Le premier pas sur le chemin de la fraude est probablement franchi en raison d’une peur égoïste », explique la psychologue Jennifer Crocker dans la revue Nature. Tout commence par la crainte d’être mal vu ou « de ne pas obtenir le poste, la subvention ou le prix convoités ». Mais le chercheur se sent mal d’avoir triché et rationalise son geste pour se revaloriser, ce qui rend le prochain pas facile à franchir.

    L’obsession des résultats
    « Il vaut mieux publier des résultats positifs pour [sa] carrière. C’est de ça qu’il s’agit : gravir les échelons. » Le lanceur d’alarme Peter Wilmshurst a raconté au quotidien Der Spiegel que ses confrères peu scrupuleux ne se font pas prier pour faire des cachettes. 

    « De nos jours, les journaux et les organismes subventionnaires veulent des résultats positifs », observe le professeur Vincent Larivière, qui détient la Chaire sur les transformations de la communication savante.

    « Certains chercheurs vont donc prendre quelques libertés pour obtenir des résultats plus frappants, afin de publier plus facilement dans des journaux mieux cotés et d’être plus cités. C’est bien plus répandu que la fraude. »

    L’insécurité extrême
    Le professeur de psychologie néerlandais Diederik Stapel, doyen de sa faculté, a inventé les résultats d’innombrables expériences jamais faites. Dans le récit autobiographique de sa chute, publié en 2012, il raconte combien la difficulté d’être publié l’angoissait et évoque son insécurité extrême. « Marquer des points te fait applaudir et un pointage élevé te fait applaudir très fort. Et les forts applaudissements sont formidables, parce qu’ils noient tes doutes au sujet de la valeur de ce que tu fais et de qui tu es. » « Comme un alcoolique ou un héroïnomane, j’ai commencé à utiliser ma dépendance pour tout régler : mauvais résultats, longue périodes sans trouver un effet ou sans publier. »

    L’argent
    « L’argent est un incitatif très fort, c’est la nature humaine... » Selon l’éthicien Bryn Williams-Jones, l’appât du gain a vraisemblablement motivé plusieurs fraudes scientifiques.

    Au Canada, Ranjit Chandra a inventé ses travaux au sujet de vitamines de sa fabrication, censées repousser la démence. D’après la preuve déposée lors de sa poursuite en diffamation contre CBC, il espérait réaliser des ventes de 125 millions.

    Après avoir fui en Inde en 2002, l’allergologue est revenu pratiquer la médecine dans la grande région de Toronto. La police a affirmé l’an dernier qu’il en a profité pour frauder la régie de l’assurance maladie ontarienne, avant de repartir en Inde.

    Les justiciers de la science
    Excédés de voir leur réputation ternie, des scientifiques s’efforcent de démasquer leurs confrères malhonnêtes et de nettoyer la littérature savante. Voici leurs méthodes - si efficaces qu’elles font exploser le nombre d’études discréditées et rayées de la carte.

    Mauvais menteurs
    Des invraisemblances grossières provoquent parfois la chute de stars de la recherche. Le Norvégien Jon Sudbø avait attribué la même date de naissance à 250 des 908 cancéreux qu’il avait inventés. Et il a prétendu les avoir trouvés dans une base de données qui n’existait pas encore.
    Le Canadien Ranjit Chandra a, quant à lui, attribué des scores cognitifs si faibles à ses sujets (censément normaux, mais fictifs) qu’ils semblaient atteints d’un retard mental.

    D’autres ont recyclé des séries de chiffres d’une étude à l’autre (dont Chandra et le professeur de psychologie néerlandais Diederik Stapel). Ou rapporté avoir réalisé un sondage en science politique si complexe (l’étudiant américain Michael LaCour) qu’un autre étudiant désireux de reproduire l’expérience a découvert que cela nécessitait un budget insensé.

    Anonymat
    L’union fait apparemment la force. Depuis 2012, les scientifiques dénoncent les lacunes d’études suspectes sur le site PubPeer, qui leur permet d’échanger avec des confrères du monde entier et, surtout, de le faire de façon anonyme. Cette révolution a délié les langues et généré des commentaires au sujet de 22 000 études.
    Après avoir perdu son emploi, un chercheur du Michigan s’est vainement adressé aux tribunaux pour savoir qui avait attaqué ses travaux, disant avoir été diffamé.

    L’anonymat est essentiel, affirme en entrevue le fondateur de PubPeer, Brandon Stell, chercheur au CNRS à Paris. « Bien des scientifiques craignent de s’attirer des représailles s’ils critiquent [ouvertement leurs collègues]. »

    Fausses images
    La popularité de logiciels comme PhotoShop facilite la manipulation d’images - une supercherie qui fausse 4 % des études, d’après les évaluations les plus récentes.

    « Des chercheurs réutilisent par exemple la photo d’une expérience faite sur un type de cellules, afin de prétendre qu’elle a fonctionné aussi sur un autre type de cellules », explique au téléphone le journaliste scientifique Ivan Oransky, fondateur site RetractionWatch.
    L’ex-étoile montante Anil Potti a même recyclé de vieux scans de poumons pour illustrer les supposés effets de son traitement expérimental contre le cancer.

    « Certaines personnes utilisent des logiciels, mais d’autres le font à l’oeil. Elles ont le genre de cerveau qui n’oublie pas les images », constate le fondateur de PubPeer, où les images truquées sont activement dénoncées.

    Robots policiers
    Comment repérer les leurres subtils au milieu d’un déluge de données ? Un nouveau logiciel identifie les distributions statistiques qui avaient des chances infimes de se produire sans tricher. Après l’avoir mis au point, l’anesthésiste John Carlisle a écrit cet été que des douzaines d’études cliniques publiées dans des revues prestigieuses étaient douteuses.

    Depuis un an, un robot informatique baptisé « StatCheck » permet par ailleurs de déceler les erreurs de calcul. Il a ainsi remis en question 50 000 études en psychologie sur PubPeer. Mais ses réprimandes publiques ont été dénoncées, car elles humilient aussi les responsables d’erreurs de bonne foi.

    Poids des mots
    D’autres chercheurs se sont demandé si leurs confrères malhonnêtes écrivaient différemment lorsqu’ils mentaient. D’après leur analyse, la lecture des études biomédicales frauduleuses est plus ardue, car elles sont plus vagues, plus techniques et contiennent plus de références, mais moins de quantitatifs.

    Dans ses études fictives, le professeur de psychologie Diederik Stapel utilisait pour sa part moins d’adjectifs, mais plus de superlatifs et d’amplificateurs (comme « profondément » ou « extrêmement ») que dans ses études authentiques.

    Justiciers solitaires
    En Europe, le cardiologue britannique Peter Wilmshurst a dénoncé une vingtaine de scientifiques malhonnêtes et survécu aux poursuites engagées pour le faire taire. Avant lui, plusieurs personnes avaient fermé les yeux.

    En Chine, le diplômé en biochimie Shimin Fang a attaqué des centaines de délinquants sur son site News Threads. Ce qui lui a valu 10 poursuites, une agression au marteau et un prix de l’organisme Sense about Science. Le gouvernement chinois a censuré son site en 2014.

    Aux États-Unis, le chercheur Paul Brookes a dû fermer science-fraud.org en 2013, après six mois d’activités, durant lesquels il avait dénoncé 275 études - convaincu que le faire en privé ne donnerait guère de résultats.

    Déluge d’études discréditées
    Tous ces efforts ont eu un remarquable effet, provoquant le retrait de milliers d’études discréditées. L’an dernier, 972 articles erronés ou frauduleux ont été rétractés après publication. « En 2000, 30 fois moins d’études avaient connu le même sort », indique en entrevue le journaliste scientifique Ivan Oransky.

    Depuis 2010, son site RetractionWatch fait la lumière sur ces événements en insistant sur les cas de fraude et de plagiat, qui sont trois fois plus nombreux que les cas d’erreurs et semblent augmenter.
    À lui seul, l’anesthésiste japonais Yoshitaka Fujii a vu 183 de ses études être rétractées : un record. Le rapport d’enquête qui le concerne conclut qu’il fonctionnait « comme s’il rédigeait un roman »

    #Etudes (fictives) #Experts #recherche #medecine (non limitatif) #Triche #résultat (culture du) #Publications scientifiques #fraude #compétition

  • Is the staggeringly profitable #business of scientific publishing bad for #science? | Science | The Guardian
    https://www.theguardian.com/science/2017/jun/27/profitable-business-scientific-publishing-bad-for-science

    The core of Elsevier’s operation is in scientific journals, the weekly or monthly publications in which scientists share their results. Despite the narrow audience, scientific publishing is a remarkably big business. With total global revenues of more than £19bn, it weighs in somewhere between the recording and the film industries in size, but it is far more profitable. In 2010, Elsevier’s scientific publishing arm reported profits of £724m on just over £2bn in revenue. It was a 36% margin – higher than Apple, Google, or Amazon posted that year.

    [...]

    It is difficult to overstate how much power a journal editor now had to shape a scientist’s career and the direction of science itself. “Young people tell me all the time, ‘If I don’t publish in CNS [a common acronym for Cell/Nature/Science, the most prestigious journals in biology], I won’t get a job,” says Schekman. He compared the pursuit of high-impact #publications to an incentive system as rotten as banking bonuses. “They have a very big #influence on where science goes,” he said.

    And so science became a strange co-production between scientists and journal editors, with the former increasingly pursuing discoveries that would impress the latter. These days, given a choice of projects, a scientist will almost always reject both the prosaic work of confirming or disproving past studies, and the decades-long pursuit of a risky “moonshot”, in favour of a middle ground: a topic that is popular with editors and likely to yield regular publications. “Academics are incentivised to produce research that caters to these demands,” said the biologist and Nobel laureate Sydney Brenner in a 2014 interview, calling the system “corrupt.”

    • #Robert_Maxwell #Reed-Elsevier #Elsevier #multinationales #business #Pergamon

      With total global revenues of more than £19bn, it weighs in somewhere between the recording and the film industries in size, but it is far more profitable. In 2010, Elsevier’s scientific publishing arm reported profits of £724m on just over £2bn in revenue. It was a 36% margin – higher than Apple, Google, or Amazon posted that year.

      #profit

      In order to make money, a traditional publisher – say, a magazine – first has to cover a multitude of costs: it pays writers for the articles; it employs editors to commission, shape and check the articles; and it pays to distribute the finished product to subscribers and retailers. All of this is expensive, and successful magazines typically make profits of around 12-15%.

      The way to make money from a scientific article looks very similar, except that scientific publishers manage to duck most of the actual costs. Scientists create work under their own direction – funded largely by governments – and give it to publishers for free; the publisher pays scientific editors who judge whether the work is worth publishing and check its grammar, but the bulk of the editorial burden – checking the scientific validity and evaluating the experiments, a process known as peer review – is done by working scientists on a volunteer basis. The publishers then sell the product back to government-funded institutional and university libraries, to be read by scientists – who, in a collective sense, created the product in the first place.

      A 2005 Deutsche Bank report referred to it as a “bizarre” “triple-pay” system, in which “the state funds most research, pays the salaries of most of those checking the quality of research, and then buys most of the published product”.

      Many scientists also believe that the publishing industry exerts too much influence over what scientists choose to study, which is ultimately bad for science itself. Journals prize new and spectacular results – after all, they are in the business of selling subscriptions – and scientists, knowing exactly what kind of work gets published, align their submissions accordingly. This produces a steady stream of papers, the importance of which is immediately apparent. But it also means that scientists do not have an accurate map of their field of inquiry. Researchers may end up inadvertently exploring dead ends that their fellow scientists have already run up against, solely because the information about previous failures has never been given space in the pages of the relevant scientific publications

      It is hard to believe that what is essentially a for-profit oligopoly functioning within an otherwise heavily regulated, government-funded enterprise can avoid extinction in the long run. But publishing has been deeply enmeshed in the science profession for decades. Today, every scientist knows that their career depends on being published, and professional success is especially determined by getting work into the most prestigious journals. The long, slow, nearly directionless work pursued by some of the most influential scientists of the 20th century is no longer a viable career option. Under today’s system, the father of genetic sequencing, Fred Sanger, who published very little in the two decades between his 1958 and 1980 Nobel prizes, may well have found himself out of a job.

      Improbable as it might sound, few people in the last century have done more to shape the way science is conducted today than Maxwell.

      Scientific articles are about unique discoveries: one article cannot substitute for another. If a serious new journal appeared, scientists would simply request that their university library subscribe to that one as well. If Maxwell was creating three times as many journals as his competition, he would make three times more money.

      “At the start of my career, nobody took much notice of where you published, and then everything changed in 1974 with Cell,” Randy Schekman, the Berkeley molecular biologist and Nobel prize winner, told me. #Cell (now owned by Elsevier) was a journal started by Massachusetts Institute of Technology (MIT) to showcase the newly ascendant field of molecular biology. It was edited by a young biologist named #Ben_Lewin, who approached his work with an intense, almost literary bent. Lewin prized long, rigorous papers that answered big questions – often representing years of research that would have yielded multiple papers in other venues – and, breaking with the idea that journals were passive instruments to communicate science, he rejected far more papers than he published.

      Suddenly, where you published became immensely important. Other editors took a similarly activist approach in the hopes of replicating Cell’s success. Publishers also adopted a metric called “#impact_factor,” invented in the 1960s by #Eugene_Garfield, a librarian and linguist, as a rough calculation of how often papers in a given journal are cited in other papers. For publishers, it became a way to rank and advertise the scientific reach of their products. The new-look journals, with their emphasis on big results, shot to the top of these new rankings, and scientists who published in “high-impact” journals were rewarded with jobs and funding. Almost overnight, a new currency of prestige had been created in the scientific world. (Garfield later referred to his creation as “like nuclear energy … a mixed blessing”.)

      And so science became a strange co-production between scientists and journal editors, with the former increasingly pursuing discoveries that would impress the latter. These days, given a choice of projects, a scientist will almost always reject both the prosaic work of confirming or disproving past studies, and the decades-long pursuit of a risky “moonshot”, in favour of a middle ground: a topic that is popular with editors and likely to yield regular publications. “Academics are incentivised to produce research that caters to these demands,” said the biologist and Nobel laureate Sydney Brenner in a 2014 interview, calling the system “corrupt.”

      As Maxwell had predicted, competition didn’t drive down prices. Between 1975 and 1985, the average price of a journal doubled. The New York Times reported that in 1984 it cost $2,500 to subscribe to the journal Brain Research; in 1988, it cost more than $5,000. That same year, Harvard Library overran its research journal budget by half a million dollars.

      Scientists occasionally questioned the fairness of this hugely profitable business to which they supplied their work for free, but it was university librarians who first realised the trap in the market Maxwell had created. The librarians used university funds to buy journals on behalf of scientists. Maxwell was well aware of this. “Scientists are not as price-conscious as other professionals, mainly because they are not spending their own money,” he told his publication Global Business in a 1988 interview. And since there was no way to swap one journal for another, cheaper one, the result was, Maxwell continued, “a perpetual financing machine”. Librarians were locked into a series of thousands of tiny monopolies. There were now more than a million scientific articles being published a year, and they had to buy all of them at whatever price the publishers wanted.

      With the purchase of Pergamon’s 400-strong catalogue, Elsevier now controlled more than 1,000 scientific journals, making it by far the largest scientific publisher in the world.

      At the time of the merger, Charkin, the former Macmillan CEO, recalls advising Pierre Vinken, the CEO of Elsevier, that Pergamon was a mature business, and that Elsevier had overpaid for it. But Vinken had no doubts, Charkin recalled: “He said, ‘You have no idea how profitable these journals are once you stop doing anything. When you’re building a journal, you spend time getting good editorial boards, you treat them well, you give them dinners. Then you market the thing and your salespeople go out there to sell subscriptions, which is slow and tough, and you try to make the journal as good as possible. That’s what happened at Pergamon. And then we buy it and we stop doing all that stuff and then the cash just pours out and you wouldn’t believe how wonderful it is.’ He was right and I was wrong.”

      By 1994, three years after acquiring Pergamon, Elsevier had raised its prices by 50%. Universities complained that their budgets were stretched to breaking point – the US-based Publishers Weekly reported librarians referring to a “doomsday machine” in their industry – and, for the first time, they began cancelling subscriptions to less popular journals.

      In 1998, Elsevier rolled out its plan for the internet age, which would come to be called “The Big Deal”. It offered electronic access to bundles of hundreds of journals at a time: a university would pay a set fee each year – according to a report based on freedom of information requests, Cornell University’s 2009 tab was just short of $2m – and any student or professor could download any journal they wanted through Elsevier’s website. Universities signed up en masse.

      Those predicting Elsevier’s downfall had assumed scientists experimenting with sharing their work for free online could slowly outcompete Elsevier’s titles by replacing them one at a time. In response, Elsevier created a switch that fused Maxwell’s thousands of tiny monopolies into one so large that, like a basic resource – say water, or power – it was impossible for universities to do without. Pay, and the scientific lights stayed on, but refuse, and up to a quarter of the scientific literature would go dark at any one institution. It concentrated immense power in the hands of the largest publishers, and Elsevier’s profits began another steep rise that would lead them into the billions by the 2010s. In 2015, a Financial Times article anointed Elsevier “the business the internet could not kill”.

      Publishers are now wound so tightly around the various organs of the scientific body that no single effort has been able to dislodge them. In a 2015 report, an information scientist from the University of Montreal, Vincent Larivière, showed that Elsevier owned 24% of the scientific journal market, while Maxwell’s old partners Springer, and his crosstown rivals Wiley-Blackwell, controlled about another 12% each. These three companies accounted for half the market. (An Elsevier representative familiar with the report told me that by their own estimate they publish only 16% of the scientific literature.)

      Elsevier says its primary goal is to facilitate the work of scientists and other researchers. An Elsevier rep noted that the company received 1.5m article submissions last year, and published 420,000; 14 million scientists entrust Elsevier to publish their results, and 800,000 scientists donate their time to help them with editing and peer-review.

      In a sense, it is not any one publisher’s fault that the scientific world seems to bend to the industry’s gravitational pull. When governments including those of China and Mexico offer financial bonuses for publishing in high-impact journals, they are not responding to a demand by any specific publisher, but following the rewards of an enormously complex system that has to accommodate the utopian ideals of science with the commercial goals of the publishers that dominate it. (“We scientists have not given a lot of thought to the water we’re swimming in,” Neal Young told me.)

      Since the early 2000s, scientists have championed an alternative to subscription publishing called “open access”. This solves the difficulty of balancing scientific and commercial imperatives by simply removing the commercial element. In practice, this usually takes the form of online journals, to which scientists pay an upfront free to cover editing costs, which then ensure the work is available free to access for anyone in perpetuity. But despite the backing of some of the biggest funding agencies in the world, including the Gates Foundation and the Wellcome Trust, only about a quarter of scientific papers are made freely available at the time of their publication.

      The idea that scientific research should be freely available for anyone to use is a sharp departure, even a threat, to the current system – which relies on publishers’ ability to restrict access to the scientific literature in order to maintain its immense profitability. In recent years, the most radical opposition to the status quo has coalesced around a controversial website called Sci-Hub – a sort of Napster for science that allows anyone to download scientific papers for free. Its creator, Alexandra Elbakyan, a Kazhakstani, is in hiding, facing charges of hacking and copyright infringement in the US. Elsevier recently obtained a $15m injunction (the maximum allowable amount) against her.

      Elbakyan is an unabashed utopian. “Science should belong to scientists and not the publishers,” she told me in an email. In a letter to the court, she cited Article 27 of the UN’s Universal Declaration of Human Rights, asserting the right “to share in scientific advancement and its benefits”.

      Whatever the fate of Sci-Hub, it seems that frustration with the current system is growing. But history shows that betting against science publishers is a risky move. After all, back in 1988, Maxwell predicted that in the future there would only be a handful of immensely powerful publishing companies left, and that they would ply their trade in an electronic age with no printing costs, leading to almost “pure profit”. That sounds a lot like the world we live in now.

      https://www.theguardian.com/science/2017/jun/27/profitable-business-scientific-publishing-bad-for-science
      #Butterworths #Springer #Paul_Rosbaud #histoire #Genève #Pergamon #Oxford_United #Derby_County_FC #monopole #open_access #Sci-Hub #Alexandra_Elbakyan

    • Publish and be praised (article de 2003)

      It should be a public scandal that the results of publicly-funded scientific research are not available to members of the public who are interested in, or could benefit from, such access. Furthermore, many commercial publishers have exploited the effective monopoly they are given on the distribution rights to individual works and charge absurdly high rates for some of their titles, forcing libraries with limited budgets to cancel journal subscriptions and deny their researchers access to potentially critical information. The system is obsolete and broken and needs to change.

      https://www.theguardian.com/education/2003/oct/09/research.highereducation

  • Mort au facteur d’impact ! – UdeMNouvelles
    http://nouvelles.umontreal.ca/2016/07/18/mort-au-facteur-dimpact

    Depuis le 11 juillet, huit revues savantes appartenant à la Société américaine de microbiologie ont éliminé toute référence au facteur d’impact dans leurs sites Web, outils de promotion et publications imprimées. Le directeur de la Société, Stephano Bertuzzi, soutient que cette mesure doit être bannie. « Le vent tourne contre le facteur d’impact », écrit le reporter de Nature Ewen Callaway.

    Vincent Larivière, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, est parmi les spécialistes à s’être exprimé dans le sens du vent réformiste… « Cette mesure crée plus de confusion sur la qualité de la recherche scientifique qu’elle l’éclaire. À mon avis, il faudrait l’abandonner complètement », affirme le premier auteur d’un article paru le 5 juillet dans bioRxiv et qui dit (...)

  • Des effets positifs de l’interdisciplinarité
    https://lejournal.cnrs.fr/billets/des-effets-positifs-de-linterdisciplinarite

    Les articles scientifiques qui font appel à plusieurs disciplines ont plus d’impact que les autres : c’est la conclusion d’une étude réalisée par des chercheurs nord-américains. Chiffres à l’appui, Vincent Larivière, l’un des auteurs, nous en dit plus dans ce billet publié initialement sur le site de notre partenaire, le magazine « Découvrir ».

  • L’évaluation par les pairs est-elle systématiquement misogyne ?
    Vincent Larivière
    http://www.nouvelles.umontreal.ca/recherche/sciences-humaines-lettres/20131211-levaluation-par-les-pairs-est-elle-systematiquement-mis

    « Nous avons découvert qu’en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et dans des pays très productifs en recherche, tous les articles ayant des femmes au sommet de la hiérarchie des auteurs sont moins cités que les articles ayant des hommes en position équivalente, explique Vincent Larivière. De plus, les femmes ont moins de collaborations internationales que les hommes. Or, les collaborations internationales augmentent généralement les chances d’être cité. »