• J’accuse - ♀ le genre & l’écran ♂
    https://www.genre-ecran.net/?J-accuse

    J’accuse, 12 nominations aux Césars, un record ! Le dernier film de Polanski est-il esthétiquement éblouissant ? S’agit-il d’un regard d’une complexité inédite sur l’affaire Dreyfus ? Le scénario témoigne-t-il d’une habileté particulière ? Est-ce qu’il nous touche par la peinture subtile des relations humaines ? Assiste-t-on à des performances d’acteur/trice hors du commun ? Si je suis obligée de répondre négativement à toutes ces questions, qu’est-ce qu’il reste pour expliquer cette unanimité de la profession ? Serait-ce la manifestation du soutien indéfectible à un cinéaste dont le prestige arrive de moins en moins bien à camoufler des comportements qui tombent sous le coup de la loi ? Serait-ce une façon de rappeler que, malgré #MeToo, les (grands) artistes en France sont au-dessus des lois ?

    • Au-delà de l’académisme de ce film historique, qui nous fait nous interroger sur les véritables raisons du soutien qu’il a reçu de la part de la critique cinéphilique, d’habitude si soucieuse de la forme et de l’originalité esthétique, le personnage qu’incarne Dujardin renvoie à un type de masculinité qu’on peut qualifier d’hégémonique, pour reprendre le concept élaboré par la sociologue australienne R.W. Connell [2]. En effet, il a tous les attributs qui permettent de légitimer le patriarcat. Droit dans ses bottes, vêtu d’uniformes impeccables, la moustache conquérante, il n’a jamais besoin de personne pour mener sa barque, rien ni personne ne peut l’impressionner, et même sa maitresse est une présence contingente. Jamais la moindre manifestation de vulnérabilité, pas la moindre faille : il traverse la tempête qu’il a déclenchée sans jamais plier, même en prison. Il prend ses décisions seul, uniquement mu par la recherche de la vérité (et de l’efficacité : c’est un militaire moderne). Un homme, un vrai ! Inutile de préciser que la mise en scène ne prend jamais la moindre distance avec ce parangon de masculinité héroïque et solitaire.

      Quel est l’intérêt, plus d’un siècle après l’Affaire, et après les dizaines d’ouvrages historiques écrits sur ses aspects les plus complexes, de faire un film parfaitement linéaire, totalement focalisé sur un seul protagoniste transformé en héros, aussi monolithique, aussi univoque, aussi hagiographique, et aussi académique, esthétiquement parlant ? Je ne vois qu’une véritable raison : faire oublier la face obscure de son réalisateur, et suggérer son identification avec un autre « persécuté », une autre victime illustre d’une « erreur judiciaire », alors même que les innombrables appuis complaisants qui lui permettent de continuer à faire des films depuis des décennies, peinent de plus en plus à entretenir sa légende. Mais au-delà de cette raison de circonstances, ce qui transparaît dans ce film, c’est une adhésion aux « valeurs » masculines les plus désuètes, les plus réactionnaires, les plus sexistes…

      #Geneviève_Sellier

      J’en profite pour poster ça :

      (4) Pour en finir avec la domination masculine dans le cinéma - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2019/12/06/pour-en-finir-avec-la-domination-masculine-dans-le-cinema_1767218

      Si les coups d’éclats des censeurs reçoivent l’attention médiatique, la fin de la domination masculine dans le cinéma passera par un travail de fond pour changer les regards et les représentations.

      Et au milieu des preuves de #proféminisme, l’auteur en profite pour une belle #mecsplication de ce que les féministes devraient penser de Polanski !
      (Je connais le mec depuis quinze ans, mes amies depuis trente ans, nous avons découvert son proféminisme à cette occasion !)

  • J’ai été un violeur ? (discussion avec des féministes)
    https://www.youtube.com/watch?v=u1t--qEn1F4

    Je découvre la polémique autour de cette video posté il y a trois jours.
    Voici ce que disent les deux féministes invitées par ce vidéaste.

    L’introduction et le titre sont une mise en scène qui permet ensuite de parler de la « culture du viol ». Je n’ai violé personne et je n’ai jamais forcé personne. Le message principal de la vidéo était : « tous les hommes sont des violeurs car leurs comportements sont conditionnés par la culture du viol ». J’ai dit que j’étais un violeur parce que j’ai voulu incarner cette idée et inviter les hommes à se remettre en question.

    J’estime que ma domination masculine imprégnée de la culture du viol doit être remise en question. Je ne peux donc pas me « rendre à la police pour avouer mon crime » car ce n’en est légalement pas un.
    Mais je peux essayer de remettre en question mes privilèges et ceux de tous les hommes cis pour que soit mise en place une « culture du consentement ».

    Je présente mes excuses à toutes les victimes de viol qui ont pu souffrir suite à cette vidéo. Mon objectif n’était clairement pas d’avouer mon viol et d’obtenir un « pardon », mais de mettre en avant des comportements que beaucoup de couples ont connu.

    Je tiens également à présenter mes excuses à nos deux invitées féministes qui m’avaient alerté sur les conséquences possibles de cette introduction. Leur message a été obstrué par mon intro maladroite et c’est dommage. Elles ne sont pas responsable de tout ça.

    ►Si vous êtes victime de :

    Viol : appelez le 0.800.05.95.95
    Violences Conjugales : appelez le 3919
    (numéros gratuits et anonymes)

    #culture_du_viol #viol #male_gaze #violophilie #féminisme #hétérosexualité

  • « On a suivi la formation pour être un mâle alpha ! ».
    https://www.explicite.info/articles/1034-on-a-suivi-la-formation-pour-être-un-mâle-alpha-
    (Pour info. Article complet, sans les photos, visible ci-dessous mais pas du tout bien édité. Je crois que la lecture est limitée à un article sur le site, avant inscription gratuite.)

    On a suivi la formation pour être un mâle alpha !
    Un ex-leader du FN se lance dans le coaching. Objectif de ce site masculiniste : transformer les « hommes fragiles » en mâles alpha. Explicite a suivi les cours en ligne.
    20 juin 2018 - par Matthieu Beigbeder

    Qu’est-ce qui est pire qu’un lundi au soleil ? Probablement un lundi au soleil à regarder Julien Rochedy disserter sur la masculinité.
    Hier, lundi donc, j’apprenais l’existence, à travers un énième clash twitteresque, du magazine « École Major », lancé début juin par l’ex-patron du Front National de la Jeunesse (FNJ), qui se définit aujourd’hui comme polémiste, écrivain ou encore influenceur, Julien Rochedy. Site Internet masculiniste, on peut y apprendre, entre autres, à « faire un voyage d’homme », « pourquoi il faut montrer ses intentions aux femmes », ainsi que quelques « conseils pour une alimentation saine et non fragile » pour, imagine-t-on, manger des salades comme un gros bonhomme.

    Julien Rochedy donnant une leçon de masculinité lors de sa « Session Alpha » (Capture écran Session Alpha)
    Surtout, « École Major » propose une formation, intitulée sobrement « Session Alpha ». Destinée à ceux qui en ont « marre de la société d’eunuques dans laquelle on vit », elle est censée « offrir toutes les bases culturelles et mentales qu’un homme doit connaître » pour la modique somme de 47€, tarif généreusement raboté de moitié pour le lancement. Me trouvant un peu mou en ce moment, j’ai donc décidé de participer à cette formation afin d’apprendre à être un homme, un vrai.
    La théorie masculiniste
    La Session Alpha se décompose en deux parties : théorique et pratique, composées d’une quinzaine de leçons vidéo (avec fichiers PDF inclus en guise de résumé), dont la durée s’étale de 8 à 25 minutes, soit approximativement quatre heures de pur bonheur en compagnie de Julien Rochedy. Une bonne soirée en perspective.
    La première chose qui frappe, c’est que les thèses de Rochedy ont cela de malin qu’elles cachent presque parfaitement (hormis quelques dérapages) le caractère misogyne, machiste et patriarcal des masculinistes. Les leçons théoriques s’articulent autour de plusieurs thèmes, à chaque fois enrobés de références à d’illustres penseurs et aux civilisations grecque et romaine : « savoir s’inspirer du passé », « comprendre la volonté de puissance », « les valeurs des forts contre les valeurs des faibles », « l’attitude virile du soi », etc.
    Rochedy truffe son argumentaire de comparaisons historiques, opposant les « anciens mondes » au nouveau, ce dernier étant jugé dégénérescent, en proie au déclin de l’homme.
    À chaque fois, l’argumentaire évolue dans un paradigme hétérosexuel, où hommes et femmes seraient attirés l’un par l’autre sans possibilité d’avoir de relations homosexuelles. En filigrane de toute leçon, c’est le moyen, pour l’homme, de séduire « la femme » et de la conserver. Et c’est plutôt bien fait. À chaque fois, Rochedy truffe son argumentaire de comparaisons historiques, opposant les « anciens mondes » au nouveau, ce dernier étant jugé dégénérescent, en proie au déclin de l’homme et des « valeurs masculines ». Les civilisations grecque et romaine y sont hissées au rang de modèles de virilité et de masculinité, car guerrières, cultivées et croyantes (mais certainement pas esclavagistes ni adeptes de l’homosexualité, faut pas déconner).

    Au long de sa démonstration, Rochedy dénonce pêle-mêle les « bobos des centres-villes » et le trop grand nombre de fonctionnaires (qui font souvent un travail de bureau assis sur une chaise, ce qui ne permet plus de les différencier des femmes, disserte-t-il). Affirmant qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’"écoles" de formation (comme la famille, les Scouts, l’Eglise, l’armée, des écoles qui vous forment un gaillard à la vie, en somme), il nous incite à lire des biographies ("afin de vous imprégner de la vie des grands hommes") et à trouver un modèle qui nous corresponde.
    Fidèle capitaliste libéral, Julien Rochedy prendra souvent, tout au long de ses leçons, la figure du chef d’entreprise comme exemple modèle. Tout en prévenant : « J’espère pour vous que vous n’allez pas les chercher dans les grandes stars des médias, parce que je vous assure que le monde des médias ne nécessite pas du tout les qualités viriles et masculines pour particulièrement réussir, et ce sont souvent des ‘semi-virs’, comme diraient les Romains ».
    « Les valeurs des esclaves ont totalement triomphé »
    Me sentant un peu insulté ("semi-vir toi-même oh"), j’enchaîne néanmoins sur les leçons suivantes en me sentant déjà un peu plus mâle. Les leçons théoriques qui s’en suivent sont un panier garni de namedropping en tout genre (Einstein, Schopenhauer, Michel Foucault, Nietzsche, Cicéron, Marc-Aurèle, Freud, Don Juan...), dont les citations sont supposées éclairer et justifier le raisonnement masculiniste.

    Julien Rochedy dissertant sur la pratique de la masculinité (©Capture d’écran Session Alpha)
    Julien Rochedy développe ainsi une argumentation basée sur le « struggle for life » de Charles Darwin afin de soutenir qu’"il n’y a que les plus forts qui parviennent à survivre". Ceci constituant « des vérités qui font mal aux oreilles », avant de dénoncer la « moraline » de certains (bobos de centre-ville, on imagine). Partant de ce constat, Rochedy dénonce l’inversion des repères de nos sociétés, où « les valeurs des esclaves (paix, amour, gentillesse, tolérance) ont totalement triomphé, c’est pour ça qu’en tant qu’homme on se sent mal à l’aise ».
    « Les valeurs féminines sont beaucoup plus vers la paix, la douceur et la non-violence »
    Mais au fait, c’est quoi un homme, et c’est quoi une femme ? Quelles sont les valeurs qui les distinguent ? Partie essentielle de son raisonnement, l’influenceur Rochedy définit les « valeurs » qui distinguent l’homme de la femme sans pratiquement aucune justification, hormis leur supposée prégnance dans les anciennes civilisations.
    Côté valeurs féminines, on est donc dans « l’acceptation de l’autre », tandis que chez les valeurs masculines, on est dans la « pénétration de l’autre ». Subtil. Selon Rochedy, la guerre et la violence sont des valeurs masculines, « tandis que les valeurs féminines sont beaucoup plus vers la paix, la douceur et la non-violence » (faudrait qu’on lui présente Cléopâtre ou Athéna, déesse grecque de la guerre, ou peut-être les Amazones ou les combattantes kurdes). Pêle-mêle ensuite, la tolérance et le dialogue c’est pour les meufs, tandis que l’autorité ("qui a fait beaucoup plus avancer les individus et les communautés que le dialogue") c’est pour les mecs qui en ont dans l’caleçon.
    « Aujourd’hui, on est à 99% dans les valeurs féminines, conclut Julien Statistiques. C’est très mauvais, ça conduit les individus à la déprime, à la névrose et à l’incapacité de réussir. Ça conduit nos communautés à la destruction. Il faut retourner aux valeurs masculines ».

    S’en suivent deux dernières leçons sur la spiritualité. L’homme, le vrai, est vivement incité à se doter d’une spiritualité, l’athéisme y est très critiqué : « Ces individus sont amenés à être dépressifs et à mourir par nature. C’est une logique absolument certaine ». Pour finir sur l’amitié homme-femme : « Pour qu’une amitié entre un homme et une femme soit possible, il faut qu’il y ait une égalité parfaite, 50-50 entre ce qui chez cette femme vous dégoûte et ce qui chez cette femme vous plaît ».
    Pratiques masculines et anecdotes personnelles
    Me voilà un peu plus instruit sur ma condition de mâle alpha. Effaçant les numéros de toutes mes amies de sexe féminin, je profite d’être au bord de l’apoplexie cérébrale pour me concocter un bon gros plat de pâtes de bonhomme, avec du gros jambon qui sent encore le foin comme les vrais cochons alphas, et du gruyère bien sale qui sent sous les bras et qu’est certainement pas homo lui.
    Il est temps de passer à la pratique. Enfin, quand je dis « pratique », il s’agit plus d’une nouvelle partie théorique appuyée de plusieurs anecdotes personnelles afin d’énoncer des conseils présentés comme naturels. On apprend ainsi à « avoir de l’audace », « développer son courage » et « son charisme », évidemment « travailler son corps » ("Un patron tyrannique manquera beaucoup moins de respect à un type subordonné musclé qu’à un type subordonné pas musclé. C’est une expérience sociologique que vous pouvez faire"). Il faut également apprendre à développer un réseau, qui n’est que le reflet actuel du « clan » ancestral, nécessaire à l’épanouissement de chaque grand homme : « L’homme individualiste pur se retrouve complètement baisé, explique l’écrivain Rochedy, lorsqu’il affronte d’autres communautés qui elles restent organisées sur des points de vue ethniques, religieux ou idéologiques ».

    Valeur primordiale, l’homme alpha doit à tout prix apprendre à « se faire respecter ». L’ex-cadre frontiste raconte qu’on « a tous déjà vu » des hommes se faisant agresser dans la rue, « souvent des Français qui n’ont pas cette culture (masculiniste) », frappés par « d’autres communautés », des gens « élevés dans des notions purement masculines, même si pour le coup elles peuvent être brutales et barbares », et qui « n’estiment pas que l’on doit le respect à quelqu’un au prétexte qu’il est quelqu’un ». Parfois, les thèses du FN ne sont pas loin.
    Une pensée rétrograde
    En résumé, la formation de Julien Rochedy peut prêter à sourire. Elle ressemble, quoiqu’en (légèrement, très légèrement) plus long, aux vidéos de coaching où un soi-disant formateur vous explique les trois techniques à appliquer pour aborder et emballer à coup sûr une femme dans la rue.
    Mais sous couvert de références philosophiques permanentes, de comparaisons historiques bancales, d’anecdotes à la gloire des anciens mondes grec et romain, à la France d’avant où l’homme avait toute sa place et où la femme fermait sa gueule, à l’appui de thèses sociologiques au ras du plancher ("on a tous déjà vu…", « j’ai des amis qui… »), l’idéologie de Rochedy sent le soufre, la détresse d’un « mâle » élevé au rang de symbole, désorienté qui, faute d’arriver à se positionner dans le monde actuel, construit autour de lui un univers qui se veut « impertinent », « conservateur » et « anti-bobo », occultant son caractère profondément machiste et patriarcal.
    Le seul « oubli » volontaire, la seule différence entre l’ancien monde et le nouveau que Rochedy appréhende tant, c’est qu’aujourd’hui les femmes ont l’opportunité de parler, et surtout d’être entendues. Ce qui, visiblement, déplaît à certains.

  • Un proféminisme toxique
    http://blog.ecologie-politique.eu/post/Un-profeminisme-toxique

    Comme beaucoup de féministes, j’ai appris (dans la douleur) à me méfier des hommes qui se présentent comme des alliés. De mes engagements associatifs à des discussions avec des inconnus, la fréquentation d’hommes prétendant lutter contre le sexisme, les inégalités et les violences qu’il entraîne, a porté tort à mon engagement à moi, exigeant de ma part une attention qui aurait pu plus utilement être employée sur d’autres sujets, sabotant mon travail ou s’attaquant à mon intégrité. D’où vient donc que des hommes qui prétendent apporter leur contribution à ces luttes puissent y participer de manière si toxique ?

    #féminisme #proféminisme #hommes #sexisme #mecsplication #Aude_Vidal

  • Pour une éducation populaire féministe
    Entretien avec les auteures de l’ouvrage Education populaire et féminisme,
    partie 1
    http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire
    partie 2
    http://lmsi.net/Pour-une-education-populaire,1861

    (Que du bon dans cet entretien, je cite juste un long passage sur les réactions personnelles et collectives des gars.)

    Quand vous vouliez que les hommes travaillent sur leurs privilèges, était-ce avec cette idée qu’ils prennent conscience de leur position de domination ? Comment aviez-vous envie que ce soit travaillé ? Et pourquoi ça n’a pas été travaillé d’après vous ?

    – [rires] Vu qu’on est un groupe non-mixte-femmes, de fait il y a eu un groupe non-mixte d’hommes pendant l’Université d’été. Ils se sont réunis, ils ont fait un petit cercle et ça a été une catastrophe apparemment. Une catastrophe parce que plusieurs ne se sentaient pas dans l’existence d’un groupe non-mixte hommes. Déjà, tous n’étaient pas là, et ils n’avaient pas le même désir derrière. Je n’arrive pas à mesurer quel a été le travail individuel. Après cette classe d’hommes, elle n’est pas homogène non plus, on l’a analysé…

    – On voulait pousser les hommes à travailler mais il y a eu un refus de prise en charge collective, avec du déni et des prétextes comme : « On n’est pas concernés », « Je ne m’y retrouve pas du tout », ou encore « Moi, je suis pas trop mal, j’ai pris conscience et je vais continuer ; mais avec les autres, c’est trop dur ». Ceux qui auraient peut-être pu prendre en charge leur classe, s’astreindre à de la réflexivité, se remettre en question et faire de la pédagogie, ils n’ont pas voulu le faire. L’ensemble du boulot qui a été fait, ce sont des femmes qui l’ont porté, partout, tout le temps. Il y a eu vraiment une grosse opposition à mettre en travail les privilèges masculins. Le fait de dévoiler comment les hommes font classe pour augmenter leurs capitaux et assurer leurs privilèges a été une des causes de répression très forte. Autant la notion même de privilèges dans le rapport social capitaliste est actée, autant les privilèges dans le rapport social patriarcal sont mis en doute. Rien que le terme, il a été refusé totalement.

    – Ce que j’attendais certainement sur cette question des privilèges, c’était de l’ordre au moins d’une conscience collective et des modifications visibles des pratiques professionnelles – dans le rapport aux stagiaires ou dans les co-animation homme-femme. C’était tellement flagrant ! Cela aurait été un premier pas déjà. Mais comme de toute façon pour certains, notre analyse était insupportable dès le départ, ça l’est devenu forcément beaucoup plus à mesure qu’on travaillait. Certains hommes ont décidé d’abdiquer et de partir en disant que ce n’était pas possible de remettre en question ses privilèges, et que c’était insupportable pour eux d’être jugé sur son côté dominant et réac’. Alors concrètement, il n’y a rien eu de travaillé ; peut-être à la marge seulement : des changements de discours et des attentions, des vigilances, mais rien dans les pratiques de fond.

    – En fait tout ce qu’on a gagné – en « prendre moins dans la gueule », se faire moins couper la parole, qu’ils accaparent moins l’espace sans se poser de questions – c’est seulement avec le rapport de force qu’on l’a obtenu. Et la continuité de notre groupe est la seule chose qui garantit de contenir tout ça.

    Je ne sais pas si on attendait quelque chose de ce travail de remise en question des privilèges. On voulait surtout s’occuper de nous et travailler pour les femmes. Il y avait une nécessité à fabriquer de la protection sociale, on a donc créé du « droit féministe » au sein du réseau sur les conditions de travail, sur les conditions matérielles de subsistances et sur le fond politique. Ce travail sur les privilèges a été une piste lancée comme ça. Et on n’allait pas faire le travail à leur place en plus.

    – Après il y a eu du soutien ; je dirai qu’il y a individuellement de l’alliance proféministe dans des espaces intimes, mais pas avec une parole d’interpellation des autres hommes. En tous cas, à l’échelle du réseau, tout ce qui demande à se départir de privilèges ou à assumer du travail, et bien pour moi il n’y a rien, sauf peut-être quand on envoie un collègue au front pour « gérer » les « gros virils ».

    – Moi je n’attendais rien d’eux parce que tout de suite je me suis dit c’était simplement des patrons dans un autre rapport social. Je n’attendais pas d’eux qu’ils changent. Par contre je ne m’attendais pas à ce qu’ils détériorent autant nos rapports. C’était un peu naïf de ma part : j’ai subi comme toutes les femmes du collectif la détérioration patente et violente de nos rapports.

    – Pour ne pas travailler leurs privilèges, certains hommes – en particulier ceux du Pavé – ont nié le désaccord politique. C’est une stratégie hyper forte, car elle autorise à traiter l’auto-dissolution du Pavé comme un « divorce », c’est à dire à rester dans le registre psychologique, conjugal ou familial, alors même que notre brochure vient analyser politiquement le conflit et les divergences d’orientation dans l’éducation populaire. Bien sûr, à partir du moment où il y a un déni de la dimension politique du désaccord, on ne peut pas rentrer dans un débat.

    (Vu qu’il n’y a pas « désaccord », il y a …

    – … il y a récupération, appropriation de notre travail, dans un deuxième temps.

    On avait bien conscience de cette possibilité alors on a essayé de l’éviter. Par exemple, on a choisi de ne pas faire relire le livre par les hommes du réseau avant parution, et pour les présentations publiques du livre, on a clairement acté qu’aucun homme du réseau ne présenterait le bouquin. Seules les rédactrices peuvent le faire.

    Mais certains gars trouvent quand même d’autres moyens de bénéficier de notre travail en passant pour des hommes avertis, féministes, au travail quoi ! Alors que bon... Cela nous surprend toujours que des hommes puissent à la fois se dire victimes de notre travail et en tirer profit dans leur action dans d’autres sphères sociales.

    #education_populaire #profeminisme #privileges #patriarcat

  • Gail Dines : Ghomeshi a joué le rôle d’un allié féministe, mais en privé il était pleinement embourbé dans la culture pornographique

    https://tradfem.wordpress.com/2016/04/04/gail-dines-ghomeshi-a-joue-le-role-dun-allie-feministe-mais-en-pr

    Au Canada, #Jian_Ghomeshi, un ex-animateur de radio, passait dernièrement en procès pour deux des signalements d’agressions sexuelles et autres qui ont entraîné son renvoi de la Société Radio-Canada il y a un an et demi. Voici ce qu’en disait Gail Dines à l’époque de la divulgation des faits, en 2014.

    « Du fait d’avoir été exposée à autant d’hostilité de la part d’interviewers masculins, je me souviens bien de ceux qui se sont montrés particulièrement favorables au point de vue féministe. Un de ceux qui se démarquent ainsi par la qualité de sa réflexion est Jian Ghomeshi, ancien animateur d’une émission de radio très écoutée du réseau CBC, Q. Non seulement Ghomeshi s’était-il montré bien informé du contenu de mon livre Pornland, mais il avait aussi exprimé de l’empathie pour les femmes dont le corps est sexuellement utilisé et violenté dans les productions pornographiques, à la seule fin de divertir des hommes.

    Alors, imaginez ma stupeur quand on a commencé à apprendre que des femmes accusaient publiquement Ghomeshi de les avoir agressées sexuellement, de façons conformes aux violences mises en scène dans le monde de la porno. Qu’il s’agisse d’asphyxier ses victimes avec son pénis ou de violences verbales pendant ses agressions, le comportement de Ghomeshi cadre parfaitement avec les scènes porno standard... »

    Traduction : #Tradfem
    Original : http://www.feministcurrent.com/2014/11/07/ghomeshi-played-the-role-of-a-feminist-ally-but-in-private-he-was-f

    #Gail_Dines est professeure d’études en sociologie et en études féministes au Wheelock College de Boston. C’est une des fondatrices du mouvement Stop Porn Culture, et l’autrice de Pornland : How Porn has Hijacked our Sexuality. Son nouveau documentaire, basé sur Pornland, peut être visionné en ligne.


    #proféminisme #médias #pornographie #agressions_sexuelles #Feminist_Current

  • John Stoltenberg : Vivre avec Andrea

    https://tradfem.wordpress.com/2015/12/22/john-stoltenberg-vivre-avec-andrea

    J’avais 29 ans, au printemps 1974, lorsque, quittant à Greenwich Village une lecture de poésie devenue lourde de misogynie (une soirée de soutien à la War Resisters League, en plus !), j’ai croisé sur le trottoir Andrea, qui avait alors 27 ans. Elle avait quitté la salle pour la même raison. Nous avons commencé à parler, puis à aller au fond des choses – et notre conversation dure encore.

    Andrea et moi avions déjà été présentés par un ami commun, metteur en scène, lors d’un meeting d’une nouvelle organisation, la Gay Academic Union. Sa première impression de moi – elle me l’a dit – était que j’avais l’air d’un blondinet des plages, traînard et pas très futé. Nous n’étions pas vraiment assortis.

    Traduction : Tradfem
    Original : http://www.nostatusquo.com/ACLU/dworkin/LivingWithAndrea.html (1994)

    #John_Stoltenberg est l’auteur de Refuser d’être un homme – pour en finir avec la virilité (Éd. Syllepse et M Éditeur, 2013 - http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_62_iprod_567-refuser-d-etre-un-homme.html) et Peut-on être un homme sans faire le mâle ? (Éd. de l’Homme, 1995).

    #Andrea_Dworkin #féminisme_radical #proféminisme #tradfem

    • Andrea m’a beaucoup appris sur la signification de posséder un chez-soi. Elle parle souvent et avec éloquence des femmes qui se sentent sans abri ou qui risquent de le devenir faute du salaire d’un homme, ou parce qu’un amant ou un mari les violentent, ou parce qu’il ne semble pas exister d’autre choix que l’échange de sexe contre un endroit où dormir. J’en suis venu à comprendre qu’un chez-soi signifie pour Andrea une chose à laquelle aspirent bien des femmes, mais qu’elles peuvent rarement prendre pour acquis.

      J’ai grandi sans jamais avoir à penser à un domicile de cette façon. Je peux facilement m’endormir quand je suis fatigué (je n’ai pas les souvenirs d’Andrea, qui a tremblé sous le porche d’un magasin de centre-ville, un couteau à côté de son sac de couchage pour repousser tout intrus). Je peux généralement dormir confortablement toute la nuit, sauf pour aller pisser, et sans mauvais rêves (je n’ai pas les cauchemars propres à Andrea d’être brutalement réveillée par un agresseur qui rentre ivre à la maison avec ses exigences). Vivre avec Andrea m’a appris par dessus tout que le monde dans lequel j’ai grandi et vis, en tant qu’homme, est un monde qui n’est qu’un rêve pour la plupart des femmes. C’est pourquoi le chez-soi doit être le lieu où ce rêve devient réalité.

      […]

      Au fil du temps, ce chez-soi fut sept endroits différents, dont un appartement à Northampton, dans le Massachusetts, où nous survivions de coupons alimentaires ; un abri plein de moisissures sur une île infestée de moustiques dans les Keys de Floride ; et un trou à rats étouffant dans le Lower East Side de Manhattan. Nous avons maintenant la chance de posséder notre propre maison de style victorien à Brooklyn, pleine de couleurs chaudes, de boiseries et de murs entiers de livres. Nous vivons ici un bonheur presque parfait – en partie parce que c’est notre port douillet contre la tempête, mais aussi parce qu’Andrea et moi avons des rythmes d’écriture complètement différents : elle dort le jour et travaille toute la nuit, avec pour compagnie une théière et nos chats. Je travaille mieux tôt le matin, de tasse de café en tasse de café, après une bonne nuit de sommeil. Nous avons trouvé la maison parfaitement adaptée à notre rythme syncopé : travail, sommeil, repas ensemble, toujours plus de conversation.

      cc @chezsoi

  • Recension récente du livre de John Stoltenberg, Refuser d’être un homme, paru aux éditions Syllepse en 2013. Une lecture incontournable !

    http://hassan.blog.tdg.ch/archive/2015/11/27/refuser-d-etre-un-homme-pour-en-finir-avec-la-virilite-par-j-272115.

    L’auteur part d’un constat simple : nous vivons dans un monde patriarcal qui implique que les hommes possèdent des privilèges. Dans ce contexte, comment faire pour lutter contre le patriarcat en tant qu’homme ? John Stoltenberg répond dans son titre pour, ensuite, développer ce que cela implique : il est nécessaire de refuser d’être un homme. L’auteur considère la masculinité comme un construit de nature politique qui implique une histoire et des pratiques. Ainsi, il est nécessaire de déconstruire la virilité si on souhaite supprimer le patriarcat. Les explications de Stoltenberg se forment dans différentes contributions, articles ou conférences, qui sont regroupées en quatre parties.

    Ces quatre parties permettent à l’auteur d’expliquer son point de vue. Il commence par expliquer comment les hommes intègrent la masculinité comme un moyen de s’éloigner des femmes. Il explique que les garçons sont d’abord des propriétés des maris avant d’être des êtres humains et qu’il est nécessaire de les rendre identiques au père pour en faire des hommes citoyens. Stoltenberg passe aussi beaucoup de temps à analyser la sexualité. Il tente non seulement de la déconstruire en tant que forme politique de domination mais aussi de trouver où se trouve cette formation de la sexualité masculine. Cela le conduit à analyser la pornographie dans de nombreux chapitres. Il démontre que celle-ci, loin d’être une expression, est avant tout un moyen d’inférioriser la population féminine tout en formatant le plaisir masculin sur ce besoin d’inférioriser autrui. Il milite donc pour une sexualité qui ne soit pas celle d’un dominant mais de deux égaux consentants à tous les actes qui ont lieu entre eux en tant que couple.

    Que penser de ce livre ? Le titre a été écrit pour choquer et interpeller mais il ne ment pas. Les propos de Stoltenberg sont sans concessions et convaincants. Il montre en quoi la sexualité masculine, dans un contexte patriarcal, est toxique. En particulier, ce qu’il écrit sur la pornographie est particulièrement intéressant. J’ai lu avec grand intérêt la tentative de créer une loi anti-pornographie qui prenne en compte les victimes. On sort de ce livre avec l’idée que la masculinité doit être détruire afin de mettre à bas la bipolarisation de genre et les structures de pouvoirs qui y sont spécifiquement liées.


    Disponible ici : http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_62_iprod_567-refuser-d-etre-un-homme.html
    #John_Stoltenberg #Refuser_d'être_un_homme #virilité #anti_masculinisme #proféminisme #christine_delphy #michaël_merlet #yeun_l-y #martin_dufresne

    • Il y a beaucoup de personnes qui ont refusé d’être coulé dans le moule, d’adopter une identité (de genre, de classe, de boite) avec laquelle ils ne sont pas en accord, inculquée par le milieu dans lequel ils évoluent. Construire ses valeurs est une longue résistance qui n’est pas reconnue, et très mal perçue, comme il est mal perçue d’être différent mais pire de choisir de l’assumer parce que c’est comme autoriser à ce qu’on vous tape dessus puisque vous êtes si fort.
      Voila, et comme exemple je pense à mes ami·e·s hypersensibles qui n’ont de cesse d’avancer à l’encontre des constructions de genre et à la souffrance de certains de mes potes homosexuel·le·s. Et je pense aux jeunes filles que l’on dit « garçon manqué » alors que ce sont des enfants réussies et qui dans leur tête de gamine se disent que tout irait tellement mieux pour elles si elles pouvaient ne pas avoir les seins qui poussent et une jupe qui les empêchent de grimper aux arbres et continuer ainsi de vivre librement.