• « Loin de créer un “choc des savoirs”, Gabriel Attal va produire un choc d’ignorance », Pierre Merle, spécialiste des questions scolaires
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/19/pierre-merle-specialiste-des-questions-scolaires-loin-de-creer-un-choc-des-s

    La réforme souhaitée par le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, sous l’appellation « choc des savoirs », est fondée sur des diagnostics erronés. Première contrevérité, le collège français n’est nullement « uniforme ». En 2022, les collèges publics scolarisent près de 40 % d’élèves défavorisés. Les collèges privés en scolarisent moins de 16 %. Encore ne s’agit-il que de moyenne ! Dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+), la proportion d’élèves d’origine populaire dépasse parfois 70 % alors qu’elle est souvent inférieure à 10 % dans les collèges privés du centre-ville des capitales régionales.

    A cette #ségrégation_sociale interétablissement, à laquelle correspondent des différences considérables de compétences des élèves, s’ajoute, énonce notamment une étude publiée en 2016 par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), une ségrégation intraétablissement d’une importance équivalente en raison de la multiplication des #sections bilangues et européennes, des classes à horaires aménagés, des langues rares, etc.

    Vouloir créer des groupes de niveau (faible, moyen, fort) dans des classes déjà homogènes est une triple erreur. D’abord, l’idée (en elle-même bienvenue) de réduire à 15 le nombre de collégiens dans les groupes de niveau d’élèves faibles profitera à des élèves moyens, voire bons, scolarisés dans les collèges très favorisés, au détriment des élèves réellement faibles scolarisés en REP.

    Ensuite, en 2019, une synthèse des recherches publiée par Sciences Po Paris a montré un effet bénéfique de la mixité sociale et scolaire sur les progressions des élèves faibles, sans effet négatif sur les meilleurs. Séparer encore davantage les élèves faibles des élèves moyens et forts ne fera qu’accentuer leurs difficultés d’apprentissage.

    Mixité sociale bénéfique à tous

    Enfin, l’évaluation des expériences de mixité sociale réalisées en France, souligne une note publiée en avril par le Conseil scientifique de l’éducation nationale, se traduit par un accroissement du bien-être de l’ensemble des élèves, y compris celui des élèves favorisés. La mixité sociale favorise aussi le développement des capacités socioémotionnelles, réduit la prévalence des #stéréotypes raciaux et sociaux et, pour les élèves socialement défavorisés, améliore leur insertion professionnelle (note de l’Institut des politiques publiques, publiée en novembre). Autant d’effets bénéfiques à tous les élèves. L’établissement scolaire et la classe sont des petites sociétés. Il faut créer de l’unité, non des groupes de niveau.

    La seconde contrevérité du projet ministériel est d’accréditer l’idée d’un redoublement favorable aux élèves en difficulté. Un large consensus scientifique a montré que cette politique débouche sur un résultat inverse. Le redoublement produit des effets négatifs en termes d’estime de soi, de motivation et d’apprentissages ultérieurs. Les seules exceptions concernent, outre la classe de terminale, les classes de 3e et de 2de dans lesquelles les élèves faibles, en cas de redoublement, sont motivés pour éviter une orientation non choisie.

    Tout comme la création des groupes de niveau, des redoublements plus fréquents pénaliseront les élèves faibles, majoritairement d’origine défavorisée. Alors même que, pour l’école française, le constat principal de l’édition 2022 du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est l’écart considérable entre le niveau des élèves d’origine défavorisée et favorisée, le ministre Gabriel Attal, loin de créer un choc des savoirs, va produire un choc d’ignorance fondé sur une mise à l’écart encore plus accentuée des élèves les plus faibles.

    Le projet ministériel contient d’autres contradictions. Par exemple, Gabriel Attal souhaite une réforme des programmes et une labellisation des manuels scolaires, non pas en référence avec les cycles actuels de trois ans, mais avec des « objectifs annuels », voire « semi-annuels ». Finalement, après avoir dénoncé une uniformité fantasmée du collège, le ministre veut imposer un rythme de progression identique à tous les élèves alors même que, dès l’âge de 2 ans, les inégalités socio-économiques différencient sensiblement leurs compétences langagières.

    De surcroît, la décision de réformer au plus vite le « socle commun » [de connaissances, de compétences et de culture] signifie que l’expérience des #professeurs, les plus avertis des difficultés des élèves, ne sera pas prise en compte. Gabriel Attal veut renforcer leur autorité et, dans le même temps, a déjà décidé d’une modification des programmes sans même les consulter. Un bel exemple de déni de leurs compétences. Pourquoi, aussi, faut-il changer d’urgence des #programmes déjà réécrits par Jean-Michel Blanquer ? Sont-ils à ce point médiocres ? Et pourquoi la nouvelle équipe ministérielle ferait-elle mieux que l’ancienne ?

    Effets délétères

    Dernier exemple, bien que les résultats de #PISA 2022 montrent une baisse des compétences des élèves en #mathématiques, le ministre a décidé la création, à la fin des classes de premières générales et technologiques, d’une nouvelle épreuve anticipée du bac consacrée aux mathématiques et à la culture scientifique. Le ministre se targue de provoquer un choc des savoirs tout en supprimant une année entière d’enseignement scientifique ! Un projet paradoxal dont la genèse tient à l’absence d’une réelle réflexion sur un problème incontournable : la #crise_de_recrutement des professeurs, particulièrement en mathématiques.

    La réforme Blanquer, en reportant le concours d’accès au professorat de la fin du master 1 à celle du master 2, a réduit l’attractivité déjà insuffisante du métier d’enseignant. Certes, Gabriel Attal souhaite revenir sur cette réforme désastreuse, mais son projet est controversé. Au mieux, une réforme ne s’appliquera qu’à la rentrée 2025. En attendant, le ministre se contente d’expédients tels que le recrutement de #contractuels non formés, choix incompatible avec l’élévation du niveau scolaire des élèves.

    L’analyse du projet ministériel montre les effets délétères des mesures envisagées. Groupes de niveau, #redoublement, fin du collège « uniforme », énième réforme des programmes, renforcement de l’autorité du professeur… ne sont que les poncifs éculés de la pensée conservatrice. Ils ne répondent en rien à la crise de l’école française. En revanche, électoralistes et populistes, ces mesures sont susceptibles de servir l’ambition présidentielle de l’actuel ministre de l’éducation.

    Pierre Merle est sociologue, spécialiste des questions scolaires et des politiques éducatives, et il a notamment publié « Parlons école en 30 questions » (La Documentation française, 2021).

    https://seenthis.net/messages/1031680

    #élitisme #obscurantisme #autorité #école #éducation_nationale #élèves #éducation #groupes_de_niveau #ségrégation #Gabriel_Attal #hétérogénéité #coopération

  • Paternalisme colonialiste « vert » | Jadran Svrdlin
    https://threadreaderapp.com/thread/1692485951568633976.html
    https://video.twimg.com/amplify_video/1692428868550832128/vid/640x360/L_U8W942ul0gBVGF.mp4?tag=16


    Médine, accusé d’antisémitisme, invité d’EELV : « Je serai extrêmement attentive à ce que Médine dira le 24 août », assure Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti.

    Cet entretien de Mme Tondelier concentre une énorme dose de paternalisme, de mépris, imprégné fortement d’esprit colonialiste. A trop vouloir donner des gages aux chiens de garde médiatiques, elle se vautre dans un racisme à peine caché.

    Tout d’abord, elle valide la thèse selon laquelle Medine a bien tenu des propos antisémites dans son fameux tweet concernant Rachel Khan.
    Mais elle tente de rendre Médine fréquentable malgré cette accusation qui devrait, selon toute évidence, écarter toute possibilité d’en faire un interlocuteur intéressant pour les journées d’été. Mais voyez comment elle s’y prend :

    Il y a, dit-elle, d’un côté des gens qui assument leur antisémitisme. « Dont acte », dit-elle. Mais il y a d’un autre côté des gens qui peuvent tenir des propos antisémites par « maladresse », par « mimétisme », par « manque de culture sur le sujet », par « manque de formation »... et enfin par « bêtise » ou « ignorance ». Selon Marine Tondelier Médine est dans ce cas-là.

    Voilà une défense bien curieuse et condescendante. Le pauvre Médine propage des propos antisémites mais c’est parce qu’il ne possède pas un savoir que, nous, membres d’#EELV, possédons...

    ... Là où le caractère « républicain » de la parole d’un Edouard Philippe ne fait aucun doute, Médine, lui, est condamné à porter les stigmates de son infériorité de façon permanente !
    Même s’il « réussit son exercice » (sic !) que la [#professeureTondelier ] lui donne avec tant de bienveillance. Pour finir, on a envie de dire à Mme Tondelier que le concept de République est vidé de tout sens par des gens comme Edouard Philippe qui mènent une politique écocide, raciste, et socialement criminelle.

    On aurait tant envie de voir si les verts seront un jour capables de lier le combat écologique au combat contre le capitalisme plutôt que de surjouer les polémiques de diversion lancées par celui-ci, et qui s’appuient sur son caractère impérialiste et colonial.

    Mais ce serait là prendre le problème écologique d’une façon autrement plus conséquente que ce que peut faire EELV, tant il est écrasé par son sentiment de #supériorité-morale.

    Jadran Svrdlin, enseignant, auteur de « Que faire en cas d’émeutes si on est de gauche ? » https://blogs.mediapart.fr/jadran-svrdlin/blog/030723/que-faire-en-cas-demeutes-si-est-de-gauche

    Echange ou interrogatoire ?
    MarineTondelier en traitant Médine d’antisémite refoulé valide la rhétorique confusionniste du printemps républicain. Le musulman suspect devra « réussir son exercice » et montrer patte blanche.

    https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/medine-chez-lfi-et-eelv-mais-que-reprochent-au-rappeur-ceux-qui-s-ind

    • « En donnant un fondement au maccarthysme ambiant, cette gauche bourgeoise démontre son incapacité à représenter les classes populaires qu’elle sacrifiera systématiquement pour un adoubement républicain de la part de ceux qui ont renoncé depuis longtemps à la République. » Paul Elek

      Journées d’été EELV : la maire de Strasbourg annule sa venue en raison de la présence de Médine

    • Médine : un lynchage inacceptable
      https://www.jeunes-communistes.fr/medine-un-lynchage-inacceptable
      https://video.twimg.com/amplify_video/1694030263544627200/vid/1280x720/OiDAc4o9zXqIyzL_.mp4?tag=16

      Depuis quelques jours, le rappeur Médine fait l’objet d’un lynchage de la part du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite. Face aux accusations plus mensongères les unes que les autres, le Mouvement jeunes communistes de France apporte sa solidarité et son soutien à l’artiste.

      Chacun est libre d’apprécier ou non la musique de Médine, d’être en accord ou non avec ses combats, mais le lynchage et la diffamation ne sont pas acceptables.
      Pour ce qui nous concerne, Médine a toujours été de nos combats : il y a 10 ans, il participait au concert organisé par les Jeunes communistes pour la libération de Salah Hamouri. Quelques années plus tard, il était avec nous à la Fête de l’Humanité pour un grand concert de soutien au peuple palestinien, puis lors d’un débat à la fête de l’Humanité Normandie avec le MJCF76 Il était cette année avec nous dans la rue contre la réforme des retraites, et chantait le premier mai contre la venue du RN au Havre. Au-delà, Médine est un compagnon de route que nous croisons dans les combats anti-racistes et anti LGBPTIphobies.

      Pour toutes celles et ceux qui connaissent, écoutent et apprécient Médine, les accusations d’antisémitisme qu’il subit sont inconcevables. Nombre de ses chansons condamnant toutes formes de discrimination, y compris antisémites, parlent pour lui. Il n’est donc pas pensable que le tweet faisant polémique ait été publié avec une intention antisémite. En revanche, celui-ci a pu être perçu comme tel par certains, ce qui a conduit Médine à le retirer immédiatement et à s’excuser. La polémique n’a donc pas lieu d’être.

      De la même manière, les accusations d’islamisme envers un rappeur dont le répertoire regorge de morceaux s’attaquant à une vision rigoriste et violente de la religion sont ridicules et ne sauraient masquer le racisme et la haine des musulmans de celles et ceux qui l’en accusent.

      En réalité, derrière le procès fait à Médine se cache un procès fait à une culture musicale qui continue d’être méprisée et incomprise par la droite et l’extrême droite. Ce qui choque les réactionnaires, c’est que Médine soit rappeur, franco-algérien et ouvertement de gauche. Ce qui choque les conservateurs, c’est que Médine, à travers ses chansons, raconte l’histoire de France, le rapport des immigrés à la nation, dénonce la colonisation en Palestine et s’affirme ouvertement antifasciste.

      Le gouvernement incapable de répondre à nos réelles préoccupations se couvre de honte en fonçant tête baissée dans une polémique lancée par l’extrême droite et qui vient jeter en pâture un artiste. Le gouvernement n’a pas à décider quel artiste mérite le droit à la parole ou pas. Cette tentative de censure démontre encore une fois le mépris des macronistes pour la démocratie.

      Le MJCF affirme que ce n’est pas aux héritiers de Pétain, Maurras et Le Pen de définir qui sont les personnes fréquentables ou non.

      Le MJCF affirme sa pleine solidarité au rappeur Médine et à sa famille, et se réjouit de sa présence au mois de septembre à la Fête de l’Humanité.

      https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/medine-mathilde-panot-se-declare-honoree-que-le-rappeur-participe-aux-u

    • « On me traite d’antisémite et cela me broie » : le Havrais Médine répond à la polémique
      https://tendanceclaire.org/breve.php?id=43425
      « Entretien de Médine. Tout à fait clair, sauf pour [celleux] qui veulent salir Médine. Honte à Rousseau ou Tondelier qui jouent les maîtresses d’école. Elles ne méritent pas la présence de Médine à leur université d’été. » https://twitter.com/GastonLefranc/status/1694282234482614680

      le Havrais Médine répond à la polémique sur Paris-Normandie

      Au cœur de plusieurs polémiques ces dernières années, Médine est accusé, avant les journées d’été EELV qui se déroulent au Havre à partir du jeudi 24 août 2023, d’antisémitisme après un tweet à l’encontre de l’essayiste Rachel Khan, petite-fille de déporté. Une polémique qui divise la classe politique. Entretien

    • Frustration

      EELV : LE PARTI SOUMIS AUX EXIGENCES DE LA BOURGEOISIE 🧶

      EELV est pris dans une polémique ridicule pour avoir invité le rappeur Médine à son université d’été, et panique de ce que pourraient penser la droite et l’extrême droite.

      C’est parce qu’EELV est le parti de l’écologie bourgeoise. C’est ce dont nous avions parlé à l’époque dans notre contre-portrait d’EELV et de son candidat 2022 Yannick Jadot.

      EELV refuse catégoriquement les 2 ruptures essentielles et préalables à tout programme écologique conséquent : la rupture avec le capitalisme et la rupture avec l’Union Européenne.

      EELV est un combo de nullité politique et de nullité stratégique. Contrairement à ce que pense EELV , une coordination internationale pour le climat ne passe ni par l’Union Européenne ni par le libéralisme.

      Sur le libéralisme, le choix est clair, celui de l’écologie de marché. “ L’économie de marché ? Tout le monde est pour l’économie de marché ! Vous voulez que les paysans bio vendent dans les sovkhozes ? Vous voulez l’économie de Maduro ?” s’était écrié par exemple Jadot.

      L’écologie de posture, sans aucun impact sur la catastrophe en cours correspond en partie à l’électorat petit-bourgeois d’EELV : la fierté de la prise de conscience écologique, mais sans la radicalité des actions qu’elle nécessiterait.

      A propos des Gilets Jaunes, le candidat d’EELV beuglait “ ça suffit ! les manifestations en centre-ville le week-end ça suffit !”, s’inquiétant, comme toujours chez les bourgeois, plus que des “dégradations pour les petits commerces” que des pieds arrachés, des yeux crevés.

      Il y a toutefois des manifestations que Jadot et EELV apprécient, comme la manif d’extrême droite des policiers, où ils s’étaient rendus, aux côtés du RN, d’Eric Zemmour et de Gérald Darmanin.

      Sur le reste des sujets sociaux, le flou règne. EELV propose des “conventions citoyennes” pour “aller vers…” pour le temps de travail, “mettre en place des négociations” s’agissant des “bas salaires”…, ces formules à rallonge qui ne disent rien de concret.

      EELV a clairement choisi son type d’écologie. Les “grandes conférences” étaient d’ailleurs le hobby favori de François Hollande : on a vu le résultat.

      Sur les retraites notamment, EELV ne propose là aussi rien de plus que le maintien de la retraite à 62 ans et une “prise en compte de la pénibilité” qui existe déjà et qui ne marche pas.

      Il est toujours utile de le rappeler, EELV est le parti qui a accouché parmi ce qui se fait de pire en Macronie : Daniel Cohn-Bendit, Nicolas Hulot, François De Rugy, Jean-Vincent Placé… et il serait bien naïf de n’y voir qu’un hasard.

      Avec sa composition de petits notables libéraux cherchant un marché politique, les divergences avec LREM (libéral, fanatiquement pro-européen…) ne sont que des nuances qui expliquent la grande porosité entre les deux formations politiques.

      Avec son incapacité congénitale à toute radicalité, EELV est surtout profondément inutile : loin de servir à la lutte pour le climat, il n’est que du hollandisme 2.0, un libéralisme autoritaire saupoudré de vert, au service de la bourgeoisie pollueuse.

      Retrouvez l’analyse de la ligne politique d’EELV que nous avions fait lors de la dernière présidentielle :
      Faut-il voter Jadot quand on est écologiste ?
      https://www.frustrationmagazine.fr/jadot

      https://twitter.com/Frustration_web/status/1694285407540715932

  • German professor under fire for racist slurs against female Muslim student
    https://www.trtworld.com/discrimination/german-professor-hurls-racist-insults-at-muslim-student-13593402

    “The professor said that he will not allow a student with a headscarf to attend the class, just as he would not allow a neo-Nazi wearing a swastika. He shouted at me, saying ‘you are an Islamofascist’, and that he will report me to the directorate,” she said.

    #professeur

  • Non remplacement des #professeurs (comment alerter les responsables, à imprimer et afficher devant les écoles)
    #services_publics #education_nationale #ecole #ecoles #education

    Action Unitaire FLASH QR-code - à destination des parents d’élèves | SNUipp-FSU 67 du Bas-Rhin
    https://67.snuipp.fr/spip.php?article7636

    Affiche QRcode non-remplacement - version1.2
    PDF - 150.1 ko
    Télécharger

    9 mars 2022

    Action Unitaire FLASH QR-code - à destination des #parents_d’élèves
    Non remplacement : ça suffit !

    https://framaforms.org/courrier-dalerte-non-remplacement-1638899435

    autre plateforme : FCPE :

    Ouyapacours
    https://ouyapacours.fcpe.asso.fr

  • Professeurs, entrez dans le monde merveilleux des formateurs ! - SNCA-CGT
    https://www.snca-cgt.fr/professeurs-entrez-dans-le-monde-merveilleux-des-formateurs

    Professeurs, entrez dans le monde merveilleux des formateurs !
     
    Dans plusieurs CFA les employeurs essayent, par différents moyens, de transformer le statut de professeur en statut de formateur. Il ne s’agit pas seulement de sémantique, d’utiliser un mot pour un autre, c’est un projet réfléchi et même très bien réfléchi. Prenons simplement l’exemple d’un CFA en région parisienne. Celui des métiers de l’industrie. Il est sous forme associative, dirigé par le groupement des industries métallurgiques, émanation de l’UIMM, composante du MEDEF.
     
    Dans ce CFA, les enseignants sont tous des formateurs, la situation n’est pas nouvelle pour eux. Leurs conditions de travail ont commencé à se dégrader au milieu des années 90 avec une accélération marquée par la marchandisation du monde de la formation depuis 2012. Le salarié, enseignant l’histoire ou le français est devenu aujourd’hui formateur en « communication-culture ». Il est donc appelé à intervenir dans différents domaines. La notion de matière disparait. L’enseignant est devenu « accompagnateur d’un projet professionnel », un « développeur de compétences ou de talents ». On ne s’intéresse plus, ou de loin, aux référentiels « Diplôme ».
     
    Autre changement significatif, la personne chargée des emplois du temps et de la répartition des classes est devenue« Responsable des Opérations de Production ». Enseigner devient donc une tâche de production !

    Et les apprenants dans tout ça ? Il faut les rendre autonomes et acteurs de leur formation. On essaye donc de planifier la formation avec de l’e-learning, le formateur n’est là que pour aider. Le discours est émancipateur et parait séduisant mais dans les faits, ça ne marche pas ou très mal. L’objectif de l’employeur est simplement de faire tendre le temps de préparation vers zéro.

    #formation #enseignement #professeurs #travail #école

  • #Frédérique_Vidal annonce vouloir demander une #enquête au #CNRS sur l’#islamogauchisme à l’#université

    Sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach dimanche 14 février, la ministre de la recherche et de l’#enseignement_supérieur, Frédérique Vidal, a fustigé, dans un flou le plus total et pendant 4 minutes 30 secondes, des chercheurs et chercheuses soupçonné·e·s d’islamogauchisme et a annoncé la commande au CNRS d’une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion. »

    L’entame du sujet annonçait déjà la couleur : « Moi, je pense que l’#islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » affirme Frédérique Vidal.

    Puis la ministre de la recherche continue tout de go, sans s’appuyer sur aucune étude scientifique ni même quoi que ce soit qui pourrait prouver ce qu’elle dit :

    « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des #idées_radicales ou des #idées_militantes de l’islamogauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de #diviser, de #fracturer, de #désigner_l’ennemi, etc… »

    Mélange entre #biologie et #sociologie

    Pour se prévaloir implicitement de son titre d’enseignante-chercheuse, la ministre effectue un mélange erroné entre biologie et sociologie en affirmant :

    « En biologie, on sait depuis bien longtemps qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de #race et vous voyez à quel point je suis tranquille sur ce sujet là. »

    Cette phrase est censée répondre à des chercheur·euse·s en #SHS qui ont fait le constat, non de l’existence de races humaines biologiques, mais de l’existence de #discriminations liées à des races perçues par la société.

    #Confusionnisme sur les #libertés_académiques

    La ministre continue ensuite un discours confusionniste en faisant croire que les chercheur·euse·s revendiquent le droit de chercher contre leurs collègues :

    « Dans les universités, il y a une réaction de tout le milieu académique qui revendique le #droit_de_chercher, d’approfondir les connaissances librement et c’est nécessaire »

    La plupart des chercheur·euse·s qui revendiquent ce droit, le font surtout en s’opposant à la droite sénatoriale qui voulait profiter de la Loi Recherche pour restreindre les libertés académiques (https://www.soundofscience.fr/2517) et à l’alliance LR/LREM lors de la commission paritaire de cette même loi qui a voulu pénaliser les mouvements étudiants (https://www.soundofscience.fr/2529), empêchée, au dernier moment, par le Conseil constitutionnel.

    La ministre Frédérique Vidal semble faire un virage à 180° par rapport à sa position définie dans sa tribune publiée en octobre dernier par l’Opinion et titrée « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du #fanatisme » (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). Cette #contradiction entre deux positions de la ministre à trois mois et demi d’intervalle explique peut-être le confusionnisme qu’elle instaure dans son discours.

    Alliance entre #Mao_Zedong et l’#Ayatollah_Khomeini

    Mais ce n’est pas fini. #Jean-Pierre_Elkabbach, avec l’aplomb que chacun lui connaît depuis des décennies, affirme tranquillement, toujours sans aucune démarche scientifique :

    « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre #Mao Zedong et l’Ayatollah #Khomeini »

    Loin d’être choquée par une telle comparaison, Frédérique Vidal acquiesce avec un sourire :

    « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela. »

    C’est dans ce contexte là, que la ministre déclare :

    « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des #courants_de_recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »

    La suite du passage n’est qu’accusations d’utilisations de titres universitaires non adéquates, ce que la ministre ne s’est pourtant pas privée de faire quelques minutes plus tôt et accusations de tentatives de #censure.

    La ministre finit sa diatribe en appelant à défendre un « #principe_de_la_République » jamais clairement défini et proclame un curieux triptyque « #Danger, #vigilance et #action » qui ne ressemble pas vraiment au Républicain « Liberté, égalité, fraternité ».

    https://www.soundofscience.fr/2648
    #Vidal #ESR #facs #France #séparatisme

    –---

    Fil de discussion sur ce fameux « séparatisme » :
    https://seenthis.net/messages/884291

    Et l’origine dans la bouche de #Emmanuel_Macron (juin 2020) et #Marion_Maréchal-Le_Pen (janvier 2020) :
    https://seenthis.net/messages/884291
    #Macron #Marion_Maréchal

    • Quand ta ministre te fout tellement la honte que tu dois lui dire gentiment :

      Du jamais vu : répondant à la ministre de l’enseignement supérieur, la Conférence des présidents d’université « fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile » et invite « à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce » !

    • Comme le faisait justement remarquer un syndicaliste (entendu à la radio) le terme « islamo-gauchisme » est construit sur le même modèle que le « judéo-bolchévisme » de l’entre deux guerre.
      Avec le résultat qu’on connait...

    • Je n’ai plus de ministre
      https://academia.hypotheses.org/31026

      Après le président de la République, après plusieurs autres ministres, c’est notre ministre de tutelle, Frédérique Vidal, qui a repris à son compte la rhétorique de l’« islamo gauchisme » en déclarant notamment « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » et en annonçant commissionner une enquête du CNRS sur les pratiques universitaires.

      Ces déclarations sont extrêmement graves et forment une attaque frontale non seulement contre les libertés universitaires qui garantissent l’indépendance de la recherche au pouvoir politique, mais aussi contre toutes celles et ceux qui à l’université et ailleurs mettent leur énergie à rendre la société meilleure : plus juste, plus inclusive, moins discriminante, où tous et toutes ses membres ont place égale. L’« islamo gauchisme » est un mot dont le flou est une fonction. Côté pile, face une demande de définition (dont on notera l’absence chez madame la ministre) on trouvera un contour restreint, qui se veut repoussoir, et dont on aura bien du mal à trouver des signes tangible. Mais côté face, en utilisant le mot on convoque sans avoir besoin de l’expliciter un grand nombre d’idées et d’actions qui se retrouvent stigmatisées. Là où des chercheurs et chercheuses révèlent des discriminations et leur mécanisme de racialisation, c’est-à-dire d’assignation d’autrui à une race qui n’existe que dans l’esprit de ceux qui discriminent ; là où des militantes et militants dénoncent ces discriminations, les documentent, les exposent ; on les désigne comme nouveaux racistes ou « obsédés de la race ».

      Ainsi le gouvernement espère-t-il sans doute protéger son action des critiques virulentes qu’elle appelle. Déclare-t-on ne pas voir le problème si des femmes choisissent de s’habiller d’une façon ou d’une autre pour suivre leurs cours à l’université, y compris la tête couverte d’un foulard ? Islamo gauchisme. Déclare-t-on qu’il faut se préoccuper d’une très faible représentation des femmes et des personnes racisées aux postes titulaires de recherche et d’enseignement, alors que le jury d’admission du CNRS déclasse l’une de ces personnes trois fois en désavouant le jury d’admissibilité ? Islamo gauchisme. Dénonce-t-on la destruction illégale des tentes de migrants par les forces de l’ordre ? Islamo gauchisme.

      Madame la ministre, j’avais beaucoup à critiquer dans vos actions, vos inaction, vos discours et vos non-dits. Vous avez choisi d’achever de démontrer publiquement que vous n’êtes pas là pour servir les universités, leurs étudiantes et étudiants, leur personnel, mais pour servir votre carrière, quitte à l’adosser à un projet politique mortifère. Je ne vous reconnais aujourd’hui plus comme ma ministre, Madame Vidal. Je ne me sens plus lié par vos écrits. Vous avez rompu le lien de confiance qui doit lier une ministre aux agents et usagers de son ministère. Seule votre démission pourrait encore redonner son sens à la fonction que vous occupez sur le papier.

    • « Danger, vigilance et action ». La Ministre demande à l’Alliance Athena d’actionner le tamis

      Grâce à Martin Clavey, The Sound of Science, nous disposons du verbatim de l’ « interview » de Frédérique Vidal par Jean-Pierre Elkabach le 14 février 2021 sur CNews.

      Frédérique Vidal annonce qu’elle va demander « notamment au CNRS » de faire une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».Elle précise aujourd’hui à AEF qu’elle en fait la demande officielle à l’Alliance Athena.Dirigée actuellement par Jean-François Balaudé, président de la commission des moyens de la CPU et président du Campus Condorcet ainsi que par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, et vice-président de l’Alliance depuis le 1er novembre 2016, ce consortium va être chargé de distinguer parmi les « opinions ».

      Dans son interview, Frédérique Vidal annonce son intention de demander une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

      « Ce qu’on peut observer, c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou militantes. En regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi ».

      « Quand on s’en sert pour exprimer des opinions ou faire valoir des opinions, en niant le travail de recherche, c’est là qu’il faut le condamner.

      « Il faut être extrêmement ferme, il faut systématiquement parler et que l’université se réveille »

      « Disons-le, quand les gens ne font pas de sciences mais du scientisme », poursuit la Ministre qui a couvert au moins une grave affaire de fraude scientifique.


      *

      Alors que certains entendent distinguer les « sciences critiques » et les « sciences militantes » et que la Ministre commande à des anciens universitaires de trier entre le bon grain et l’ivraie, Academia invite donc ses lecteurs et ses lectrices à relire Max Weber1 dans la traduction précise d’Isabelle Kalinowki :

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Academia, pour sa part, a choisi contre une nouvelle forme de police politique, la protection des libertés académiques.

      https://academia.hypotheses.org/30958

    • #Diffamation à l’encontre d’une profession toute entière ? La Ministre doit partir. Communiqué de la LDH EHESS

      Malgré leur habitude des faux-semblants et du peu d’attention portée à leur profession, les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures sont confronté.es aujourd’hui à une campagne de #dénigrement sans précédent, désignant en particulier par le terme aussi infâmant qu’imprécis « d’islamo-gauchisme » des établissements ou des disciplines dans leur entier.

      Il serait attendu d’une ministre qu’elle prenne quelque hauteur dans ce débat de plus en plus nauséabond, et qu’elle refuse de reprendre à son compte des notions aussi peu scientifiquement fondées. On attendrait que la responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle-même issue de ce milieu, relève avec gratitude la façon dont les enseignant.es universitaires ont en première ligne fait face à la détresse étudiante en cette période de pandémie ; ils n’ont pas démérité en tant que pédagogues, allant même au-delà dans leur rôle d’accompagnement d’étudiant.es par ailleurs largement oubliés.

      Mais, plutôt que de s’intéresser à la crise qui les touche, Mme Frédérique Vidal, sur les ondes d’une chaîne télévisuelle dont un des animateurs a été condamné pour injure et provocation à la haine, répond par l’affirmative lorsque M. Elkabbach décrit les universités françaises, dont elle a la charge, comme étant régies par une sorte d’alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini.

      Et elle enchaîne le lendemain en demandant à l’Alliance Athena (qui n’est pas une inspection mais une institution qui coordonne les sciences sociales) « d’enquêter » sur l’islamo-gauchisme et ses « courants » dans le milieu académique.

      Une accusation typique de l’extrême-droite est ainsi reprise une nouvelle fois par une ministre de la République, rassemblant dans une formule ignominieuse un groupe fantasmatique et fantasmé de pseudo-adversaires qui ne sont, en réalité jamais nommés, ou au prix d’approximations grossières amalgamant des concepts mal compris et de noms de collègues ne partageant parfois que peu de choses (si ce n’est les menaces parfois graves que ces accusations font tout à coup tomber sur eux).

      Bref, à ces accusations mensongères faisant courir des risques parfois graves à des fonctionnaires, leur ministre ne trouve à répondre que par de vagues admonestations décousues (selon lesquelles, par exemple, en tant que biologiste elle peut dire que « la race » n’existe pas), et par la réitération des accusations portées à leur encontre. Plus encore, elle en appelle à une sorte de police par et dans les institutions d’enseignement et de recherche, rejoignant de la sorte les interdictions de certaines thématiques (les études sur le genre) dans les universités hongroises, brésiliennes ou roumaines

      Elle se fait ainsi complice de faits de diffamation collective à l’encontre d’une profession toute entière, mais aussi d’une dévalorisation accrue des universités. Elle parvient ainsi, au-delà de ces dégâts dans l’opinion qui ne peuvent qu’accroître le désespoir des étudiantes et des étudiants dont les formations sont ainsi décrites, à confirmer sa décrédibilisation personnelle aux yeux des personnels de l’ESR.

      Un appel à la démission de Frédérique Vidal avait été porté en novembre 2020 par la CP-CNU, représentant l’ensemble des disciplines, après le vote de la loi LPR.

      Plus que jamais, au regard de ces nouvelles dérives dans un contexte de difficultés sans précédent pour l’université et la recherche, sa démission s’impose, tout comme l’abandon de cette prétendue « enquête » non seulement nauséabonde mais déshonorante au regard des difficultés sans précédent dans lesquelles se débat l’ESR. Oui, danger, vigilance et action mais à l’encontre de la Ministre.

      Qu’aucun.e collègue, quel que soit son statut, ne prête main forte à cette campagne de dénonciation.

      https://academia.hypotheses.org/31060

    • Vidal au stade critique. Communiqué de Sauvons l’université !, 17 février 2021

      Sauvons l’université ! avait été la première à monter au créneau lorsque Jean-Michel Blanquer, dans les pas d’Emmanuel Macron et de Marion Maréchal-Le Pen, avait tenu des propos diffamatoires devant les sénateurs et sénatrices. Academia reproduit le communiqué que l’association fait paraître ce jour sur leur site.

      –---

      Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer

      « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase :

      « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre :

      « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      https://academia.hypotheses.org/31070

    • L’ « islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique. Communiqué du CNRS, 17 février 2021

      « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

      Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

      La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

      C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

      https://academia.hypotheses.org/31086

    • Non à la #chasse_aux_sorcières ! Communiqué de la #CP-CNU, 17 février 2021

      La CP-CNU demandait la #démission de Vidal dès le 6 novembre 2020 en ces termes

      « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la #légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université.

      C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous posons la question de la pertinence du maintien en fonctions de Madame la Ministre dans la mesure où toute communication semble rompue entre elle et la communauté des enseignants-chercheurs. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération. »

      Les choses étant dites, elles n’ont pas été répété dans le communiqué de 17 février 2021

      https://academia.hypotheses.org/31089

    • Sortir toute armée de la cuisse de Jupiter. Communiqué de l’#Alliance_Athéna, 18 février 2021

      L’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (#Athéna) est un lieu de concertation et de coopération stratégique entre les universités et les organismes de recherche. Elle a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales, sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques. L’alliance porte les positions partagées qui émergent de ce dialogue auprès des instances de décision et de financement de la recherche, de niveau national et européen notamment. L’alliance Athéna consacre ainsi exclusivement ses réflexions aux questions de recherche avec pour objectif constant de servir le débat scientifique, de préserver les espaces de controverses et de favoriser la diversité des questions et des méthodes. A cet égard, il n’est pas du ressort de l’alliance Athéna de conduire des études qui ne reposeraient pas sur le respect des règles fondatrices de la pratique scientifique, qui conduiraient à remettre en question la pertinence ou la légitimité de certains champs de recherche, ou à mettre en doute l’intégrité scientifique de certains collègues.

      https://academia.hypotheses.org/31107

    • Heating Up Culture Wars, France to Scour Universities for Ideas That ‘Corrupt Society’

      The government announced an investigation into social science research, broadening attacks on what it sees as destabilizing American influences.

      Stepping up its attacks on social science theories that it says threaten France, the French government announced this week that it would launch an investigation into academic research that it says feeds “Islamo-leftist’’ tendencies that “corrupt society.’’

      News of the investigation immediately caused a fierce backlash among university presidents and scholars, deepening fears of a crackdown on academic freedom — especially on studies of race, gender, post-colonial studies and other fields that the French government says have been imported from American universities and contribute to undermining French society.

      While President Emmanuel Macron and some of his top ministers have spoken out forcefully against what they see as a destabilizing influence from American campuses in recent months, the announcement marked the first time that the government has moved to take action.

      It came as France’s lower house of Parliament passed a draft law against Islamism, an ideology it views as encouraging terrorist attacks, and as Mr. Macron tilts further to the right, anticipating nationalist challenges ahead of elections next year.

      Frédérique Vidal, the minister of higher education, said in Parliament on Tuesday that the state-run National Center for Scientific Research would oversee an investigation into the “totality of research underway in our country,’’ singling out post-colonialism.

      In an earlier television interview, Ms. Vidal said the investigation would focus on “Islamo-leftism’’ — a controversial term embraced by some of Mr. Macron’s leading ministers to accuse left-leaning intellectuals of justifying Islamism and even terrorism.

      “Islamo-leftism corrupts all of society and universities are not impervious,’’ Ms. Vidal said, adding that some scholars were advancing “radical” and “activist” ideas. Referring also to scholars of race and gender, Ms. Vidal accused them of “always looking at everything through the prism of their will to divide, to fracture, to pinpoint the enemy.’’

      France has since early last century defined itself as a secular state devoted to the ideal that all of its citizens are the same under the law, to the extent that the government keeps no statistics on ethnicity and religion.

      A newly diversifying society, and the lasting marginalization of immigrants mostly from its former colonies, has tested those precepts. Calls for greater awareness of discrimination have met opposition from a political establishment that often views them as an invitation to American multiculturalism and as a threat to France’s identity and social cohesion.

      In unusually blunt language, the academic world rejected the government’s accusations. The Conference of University Presidents on Tuesday dismissed “Islamo-leftism’’ as a “pseudo notion” popularized by the far right, chiding the government’s discourse as “talking rubbish.’’

      The National Center for Scientific Research, the state organization that the minister ordered to oversee the investigation, suggested on Wednesday that it would comply, but it said it “firmly condemned” attacks on academic freedom.

      The organization said it “especially condemned attempts to delegitimize different fields of research, like post-colonial studies, intersectional studies and research on race.’’

      Opposition by academics hardened on Thursday, when the association that would actually carry out the investigation, Athéna, put out a sharply worded statement saying that it was not its responsibility to conduct the inquiry.

      The seemingly esoteric fight over social science theories — which has made the front page of at least three of France’s major newspapers in recent days — points to a larger culture war in France that has been punctuated in the past year by mass protests over racism and police violence, competing visions of feminism, and explosive debates over Islam and Islamism.

      It also follows years of attacks, large and small, by Islamist terrorists, that have killed more than 250 French, including in recent months three people at a basilica in Nice and a teacher who was beheaded.

      While the culture war is being played out in the media and in politics, it has its roots in France’s universities. In recent years, a new, more diverse generation of social science scholars has embraced studies of race, gender and post-colonialism as tools to understand a nation that has often been averse to reflect on its history or on subjects like race and racism.

      They have clashed with an older generation of intellectuals who regard these social science theories as American imports — though many of the thinkers behind race, gender and post-colonialism are French or of other nationalities.

      Mr. Macron, who had shown little interest in the issues in the past, has won over many conservatives in recent months by coming down hard against what he has called “certain social science theories entirely imported from the United States.’’

      In a major speech on Islamism last fall, Mr. Macron talked of children or grandchildren of Arab and African immigrants “revisiting their identity through a post-colonial or anticolonial discourse’’ — falling into a trap set by people who use this discourse as a form of “self-hatred’’ nurtured against France.

      In recent months, Mr. Macron has moved further to the right as part of a strategy to draw support from his likely main challenger in next year’s presidential election, Marine Le Pen, the far-right leader. Polls show that Mr. Macron’s edge has shrunk over Ms. Le Pen, who was his main rival in the last election.

      Chloé Morin, a public opinion expert at the Fondation Jean-Jaurès, a Paris-based research group, said that Mr. Macron’s political base has completely shifted to the right and that his minister’s use of the expression Islamo-leftism “speaks to the right-wing electorate.”

      “It has perhaps become one of the most effective terms for discrediting an opponent,” Ms. Morin said.

      Last fall, Mr. Macron’s ministers adopted a favorite expression of the far right, “ensauvagement,’’ or “turning savage,’’ to decry supposedly out-of-control crime — even though the government’s own statistics showed that crime was actually flat or declining.

      Marwan Mohammed, a French sociologist and expert on Islamophobia, said that politicians have often used dog-whistle words, like “ensauvagement’’ or “Islamo-leftism,’’ to divide the electorate.

      “I think the government will be offering us these kinds of topics with a regular rhythm until next year’s presidential elections,’’ Mr. Mohammed said, adding that these heated cultural debates distracted attention from the government’s mishandling of the coronavirus epidemic, the economic crisis and even the epidemic-fueled crisis at the nation’s universities.

      The expression “Islamo-leftism” was first coined in the early 2000s by the French historian Pierre-André Taguieff to describe what he saw as a political alliance between far-left militants and Islamist radicals against the United States and Israel.

      More recently, it has been used by conservative and far-right figures — and now by some of Mr. Macron’s ministers — against those they accuse of being soft on Islamism and focusing instead on Islamophobia.

      Experts on Islamophobia examine how hostility toward Islam, rooted in France’s colonial experience, continues to shape the lives of French Muslims. Critics say their focus is a product of American-style, victim-based identity politics.

      Mr. Taguieff, a leading critic of American universities, said in a recent email that Islamophobia, along with the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” sought to create the false narrative of “systemic racism’’ in France.

      Sarah Mazouz, a sociologist at the National Center for Scientific Research, said that the government’s attacks on these social theories “highlight the difficulty of the French state to think of itself as a state within a multicultural society.”

      She said the use of the expression “Islamo-leftism” was aimed at “delegitimizing” these new studies on race, gender and other subjects, “so that the debate does not take place.”

      https://www.nytimes.com/2021/02/18/world/europe/france-universities-culture-wars.html

    • L’ « islamogauchisme » — et le HCERES — au tapis. #Jean_Chambaz et #Pap_Ndiaye — et Thierry Coulhon — sur Radio France

      L’islamogauchisme, concept de Pierre-André Taguieff au début des années 2000 pour signaler des formes de dérives d’une extrême-gauche pro-palistinien tendant à des discours antisémites, se trouve désormais récupéré par l’extrême-droite à des fins d’anathème.Deux interventions matinales très claires de Jean Chamblaz, président de Sorbonne Université, et de Pap Ndiaye, professeur à Sciences po.

      A retrouver sur academia :

      https://academia.hypotheses.org/31126

    • #Pétition : #Vidal_démission !

      Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

      Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.

      Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

      La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.

      Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.

      Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités
      d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.

      Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

      Vous pouvez signer la pétition ici : https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder

      https://academia.hypotheses.org/31187

    • Islamo-gauchisme à l’université ? La proposition de Vidal fait bondir ces universitaires

      Sur CNews, la ministre a annoncé vouloir "demander notamment au CNRS" une enquête "sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université."

      “L’islamo-gauchisme gangrène les universités”. C’est ce titre du Figaro que le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a présenté à Frédérique Vidal, invitée sur son plateau sur CNews dimanche 14 février, l’invitant à le commenter avec lui. La réponse de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs.

      “Je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société”, a-t-elle affirmé.

      Et d’ajouter : “Ce que l’on observe, à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc…”
      “Une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini”

      Des idées que semble alors partager Jean-Pierre Elkabbach, qui décrit les universitaires en question comme “une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini.”

      “Mais vous avez raison, renchérit la ministre. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela.”

      À la suite de quoi, la ministre a annoncé sur le plateau de CNews qu’elle allait confier une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université.”

      Pour Christelle Rabier, maîtresse de conférence à l’EHESS, ce n’est pas un hasard si la ministre tient ces propos maintenant. “La semaine dernière, elle a été mise en cause au Sénat pour répondre face à la détresse étudiante, remarque-t-elle. Il y a 20% des étudiants qui ont recours à l’aide alimentaire, sans parler des suicides et de la détresse psychologique. Elle en est directement responsable.”
      Attaques contre les universitaires

      Les propos de la ministre ont provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs, même s’ils ne surprennent pas. “Nous sommes vraiment scandalisés, s’indigne une chercheuse du CNRS, qui préfère rester anonyme. La ministre s’en prend - une fois de plus - à la liberté académique en confondant approches scientifiques critiques et militantisme.”

      Après la Loi de programmation sur la recherche, très mal reçue, c’est pour eux une nouvelle attaque contre les universitaires, dans un contexte aggravé par la crise sanitaire. Le 6 novembre, la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU) avait demandé la démission de Frédérique Vidal.

      “On observe plusieurs formes d’attaques contre les universitaires, soutient Christelle Rabier. Les non-renouvellements et les suppressions de postes, des attaques systématiques de collègues sur leurs travaux, en particulier si ce sont des femmes et qu’elles traitent de questions qui pourraient remettre en cause l’ordre dominant.”
      L’utilisation du terme “islamo-gauchisme”

      Pour les enseignants-chercheurs, l’utilisation du terme “islamo-gauchisme” n’est pas anodin. “C’est un mot un peu aimant, qui rassemble toutes les détestations et qui ne veut absolument rien dire, estime Christelle Rabier. Et que cela vienne d’une ministre, qui n’a déjà plus de légitimité depuis plusieurs mois, c’est intolérable.”

      Pour François Burgat, directeur de recherches au CNRS, cette “appellation stigmatisante” a pour objectif de “discréditer les intellectuels (non musulmans) qui se solidarisaient ou qui refusaient de criminaliser les revendications des descendants des populations colonisées.”

      Le terme avait déjà été utilisé par Jean-Michel Blanquer le 22 octobre, qui affirmait :“Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages”, notamment ”à l’université.” Quelques jours plus tard, Frédérique Vidal avait réagi tardivement pour rappeler le principe des libertés académiques.

      “On peut constater depuis hier qu’elle a franchi un cran supplémentaire. C’est juste scandaleux”, s’indigne la chercheuse du CNRS.

      Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’université (CPU) a fait part de “sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’“islamogauchisme” à l’université”.

      Elle appelle ”à élever le débat”. “Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition”, a-t-elle proposé.


      https://twitter.com/CPUniversite/status/1361727549739515908

      “Une réalité hautement contestable”

      L’annonce d’une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université”, si elle n’est pas en soit répréhensible, pose plusieurs questions.

      “Le ‘cahier des charges’ de la demande qui lui est adressée fait réellement peur, estime François Burgat. La ministre s’abstrait purement et simplement de toute exigence scientifique.” Pour le chercheur, le postulat de la ministre, selon lequel “la société est gangrénée par l’islamo-gauchisme”, dont l’université, et une “réalité hautement contestable” qui ne repose sur “aucun corpus”.

      La chercheuse du CNRS qui préfère garder l’anonymat ajoute : “Si des cas particuliers sont litigieux au regard de la loi, qu’elle les cite et ouvre le débat. Sinon, qu’elle se taise.”

      Et d’ajouter : “Nous sommes des chercheurs, nous essayons de penser et analyser le monde, mobiliser des outils, et débattre de nos méthodes ou concepts d’analyse. Nous ne sommes pas au service d’un ministère et de ses obsessions politiques et calculs électoralistes.”

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-proposition-de-vidal-sur-lislamo-gauchisme-fait-bondir-ces-univers

    • Frédérique Vidal veut demander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université

      La ministre de l’Enseignement supérieur souhaite ainsi faire le distinguo entre « recherche académique » et « militantisme ».

      Mobilisée sur la précarité étudiante liée à la crise sanitaire actuelle ou sur la multiplication des dénonciations d’agressions sexuelles dans les IEP avec le hashtag #SciencesPorc, Frédéric Vidal ouvre un nouveau front. Invitée ce dimanche sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé vouloir « demander notamment au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université. »

      Par « ces sujets », la ministre parle de « l’islamo-gauchisme », qui selon elle « gangrène la société dans son ensemble », et donc l’université également.

      Avec ces travaux, Frédérique Vidal souhaiterait ainsi « distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion », relate le site d’information scientifique Soundofscience, qui se fait l’écho de l’annonce.

      « Alliance » entre Mao et Khomeini

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont », affirme la ministre, malgré l’émoi provoqué dans le milieu universitaire par ces accusations, régulières ces derniers mois. « Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      En guise de conclusion, la ministre a de nouveau persisté et signé dans son idée, prenant au mot une affirmation de Jean-Pierre Elkabbach selon laquelle la situation à l’université pourrait ressembler à « une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini. »

      « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », termine-t-elle.

      Les universités déjà émues par des propos de Blanquer

      Ce n’est pas la première fois qu’un membre du gouvernement utilise ce terme. En octobre dernier, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait à son tour dénoncé « l’islamo-gauchisme » qui fait selon lui « des ravages à l’université », prenant notamment pour cibles le syndicat étudiant Unef et La France Insoumise. « Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée », avait-il alors ajouté au micro d’Europe 1.

      Face à cette accusation, la Conférence des présidents d’université (CPU) s’était émue et avait tenu à répondre au ministre.

      « Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une ’idéologie’ qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme », était-il affirmé dans un communiqué.

      https://www.bfmtv.com/societe/education/frederique-vidal-veut-demander-au-cnrs-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l

    • Frédérique Vidal tombe dans la fange de l’extrême droite

      Invitée de CNews ce 14 février, Frédérique Vidal a emboité le pas aux dérives de Blanquer et Darmanin en reprenant la petite musique nauséabonde de « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène la société dans son ensemble » et l’université en particulier. Un discours qui stigmatise tout ensemble les universitaires et les musulmans.

      Ce dimanche j’échangeais avec un étudiant qui, comme des milliers d’autres, tente de survivre à la désocialisation et aux cours à distance. Il ne va pas bien. Je lui ai proposé une conversation téléphonique. Le confinement, le sens de la vie, les doutes face à un projet professionnel... Mais ce qui le rend le plus anxieux, parmi toutes les difficultés qu’il tente d’affronter, c’est simplement le fait d’être musulman. Il m’a dit : « l’anxiété d’être musulman aujourd’hui ». Tout est là. Et je crois que c’est vraiment le résultat d’une politique. L’exploitation idéologique et sécuritaire du #terrorisme. La loi sur le « séparatisme » qui détricote nos libertés et grave dans le marbre la #stigmatisation des #musulmans. La politique guerrière de Macron au Sahel et le mépris, affiché ce jour, des pays africains. Tout ceci fait système. Et l’étudiant avec lequel je parle l’a très bien compris. L’étudiant musulman qui a eu peur en entendant Vidal, dimanche dernier. Et qui m’en a parlé en premier.

      J’ai donc écouté Frédérique Vidal répondre à Elkabbach, sur la chaîne qui est devenue le caniveau du journalisme d’extrême droite. Zemmour and co. Et une fois de plus j’ai eu #honte en écoutant « ma » ministre. Honte pour l’intelligence critique et les savoirs qu’elle devrait représenter. Honte de voir une « chercheuse », ancienne présidente d’université, asséner des #contre-vérités, insulter les universitaires et la pensée elle-même, se complaire dans la fange de l’extrême droite et rejoindre ainsi Blanquer et Darmanin dans le jeu dangereux de celui qui sera plus radical que Marine le Pen. En novembre 2020 la CP-CNU appelait à la démission de la ministre et écrivait ceci : « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université. » Aujourd’hui au nom de qui parle cette ministre ? Au nom du gouvernement et de Macron, ou au nom de Marine Le Pen ? De qui ou de quoi fait-elle le jeu ?

      On peut se faire une idée de la partie que Vidal a jouée en écoutant cet extrait mis en ligne par The Sound of Science, une vidéo devenue virale en quelques heures, Vidal devenue virale par sa haine des sciences humaines, de la recherche libre et des universitaires :

      https://twitter.com/SoundofScFr/status/1361390845111451650

      Petit retour en arrière. En octobre 2020 Frédérique Vidal avait été pressée par la CPU de recadrer Blanquer qui s’en était pris violemment aux universitaires, ravagés par « l’islamo-gauchisme », et accusés de « #complicité_intellectuelle avec le terrorisme ». La ministre avait pris position dans un journal à faible visibilité en affirmant dans une tribune, contre son collègue, que « l’université n’est pas un lieu d’expression ou d’encouragement du terrorisme ». La ministre défendait alors « la liberté d’expression et les libertés académiques » qui « sont indissociables ». De deux choses l’une : ou bien Vidal défend les libertés académiques, la liberté de recherche et la liberté d’expression des universitaires qui ont une valeur constitutionnelle, ou bien elle sacrifie ces trois libertés sur l’autel d’une attaque idéologique du libéralisme autoritaire contre l’université et la recherche. Comment comprendre cette contradiction ? Comment comprendre la violente #stigmatisation des islamo-gauchistes sur le plateau de C News quatre mois après la tribune de L’Opinion ? L’art macronien du « en même temps » ? Une immense #hypocrisie dans la tribune du mois d’octobre ? Un voile de fumée jeté sur un bilan désastreux ? La réponse à une commande politique de Macron ? Continuer la petite chanson « le RN est trop mou, LREM fera mieux dans la radicalité » ?

      Rien de tout ceci n’est exclu, mais je pense que la réponse est donnée par Vidal elle-même dans la suite de l’entretien. Très spontanément Vidal, pour remettre à leur place les méchants universitaires qui font des études de genre trop libres ou des études postcoloniales trop engagées, en appelle à l’évaluation-sanction par les pairs et pourquoi pas à la #délation et à la #condamnation : « C’est là qu’il faut être condamné … Allons-y, disons quand les gens ne font pas de #science, mais font du #scientisme » - où Vidal montre, au passage, qu’elle ne maitrise pas le concept de scientisme (à 43:20 ici). Et Vidal de diligenter une enquête du CNRS sur les disciplines suspectes. Comme si le CNRS était une section disciplinaire ou avait des pouvoirs d’enquête. Ce que la CPU elle-même dénonce en remettant vertement en place la ministre dans un communiqué qui appelle à "stopper la confusion et les polémiques stériles" et à cesser de "raconter n’importe quoi" (sic).

      A quoi assiste-on ? A une #dérive_autoritaire qui montre que la LPR et la chasse idéologique aux islamo-gauchistes forment un tout. Evaluer, sanctionner, séparer, diviser les universitaires pour les affaiblir. Les monter les uns contre les autres. Faire en sorte que l’institution soit elle-même l’agent de la chasse aux sorcières. Instiller partout la #concurrence, la #peur, la #suspicion et la #servitude_volontaire. Le premier séparateur des universitaires, c’est la LPR. Dans le viseur de Vidal : la limitation et la surveillance des libertés académiques. Macron, son gouvernement et LREM font le même travail avec toute la société. Dans leur viseur : la limitation et la surveillance des libertés publiques. Monter le plus grand nombre de citoyens contre les musulmans, monter les français contre eux-mêmes. Macron et son système, c’est une guerre sans fin, une guerre contre le peuple. Le #séparatisme permanent. Il est temps de nous unir contre lui. Il est temps de déradicaliser ce gouvernement.

      Contre le séparatisme, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes de nos amis musulmans. Contre la LPR, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des universitaires. Contre la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des étudiants. Vite de la lumière, avant que ne retombe la longue nuit brune de l’histoire !

      #Pascal_Maillard

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160221/frederique-vidal-tombe-dans-la-fange-de-l-extreme-droite

    • "Islamo-gauchisme" à l’université : 5 questions sur l’enquête demandée par Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé lundi 15 février qu’elle souhaitait enquêter sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Des propos qui ont indigné le monde universitaire.

      « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société. » D’une phrase prononcée dimanche 14 février, Frédérique Vidal a provoqué une levée de bouclier du monde académique et de la gauche française.

      Invitée de CNews ce jour-là, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur l’islamo-gauchisme, terme décrit par le journaliste comme désignant « une sorte d’alliance (...) entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ». C’est là que Frédérique Vidal a annoncé « demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université ». Une séquence repérée par le site The Sound of Science.

      Le lendemain, la ministre a confirmé sa position devant l’Assemblée nationale. « Je vais demander à ce que l’on fasse un bilan des recherches qui se déroulent dans notre pays que ce soit les recherches sur le postcolonialisme… » a-t-elle répondu à la question de Bénédicte Taurine, députée de la France insoumise, sans finir son énumération. Mais quel est l’objet de cette enquête ?

      1. Qu’est-ce que l’"islamo-gauchisme" ?

      Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de l’écrivain #Pierre_André-Taguieff en 2000. Il le définit alors comme une association entre les mouvements de gauche et les mouvements pro-palestiniens. Cependant, comme l’explique le linguiste Albin Wagener à RTL.fr, ce terme a très vite été repris par l’extrême-droite pour désigner « deux ennemis : l’islam et la gauche ».

      Aujourd’hui, son utilisation s’est démocratisée au point de se faire une place dans les éléments de langage du gouvernement et de la gauche elle-même, dans la bouche de #Manuel_Valls. Ainsi, le terme controversé qualifié même de « faux concept » par le chercheur Pascal Boniface, désigne aujourd’hui une supposée collusion entre les mouvements islamistes et certains mouvements de gauche.

      Pour Philippe Marlière, chercheur et auteur d’une tribune publiée dans Mediapart au mois de décembre, la trajectoire de ce terme est inquiétante. ""L’islamo-gauchisme’ est un mot grossièrement codé qui désigne un ennemi (l’islamisme) et ses porteurs de valise (les intellectuels de gauche critiques), explique-t-il. Ce vocabulaire d’#extrême_droite crée et entretient un climat de #guerre_civile. Il ne nourrit pas le débat, il prend les personnes pour #cible."

      Le CNRS, lui, affirme dans un communiqué que le terme ne revêt « aucune réalité scientifique » quand la conférence des présidents d’université (CPU) parle de « pseudo-notion ».

      2. Qu’est-ce que le CNRS ?

      L’acronyme CNRS désigne le Centre national de la recherche scientifique. Placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dirigé par Frédérique Vidal, il est l’organisme de référence de la recherche universitaire française. Plus particulièrement, l’enquête demandée par la ministre s’intéresse aux #sciences_sociales, c’est-à-dire des disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la science politique.

      Dans ses propos devant l’Assemblée nationale, Frédérique Vidal cite ainsi l’alliance Athéna présidée par le CNRS en alternance avec la Conférence des Présidents d’Université (CPU). Sur son site, cette institution est décrite comme réunissant « les principaux acteurs de la recherche publique française en #sciences_humaines_et_sociales », plus communément désignées sous le sigle #SHS.

      3. Quel est le type de recherche visé ?

      Dans ses propos tenus sur CNews, Frédérique Vidal a justifié sa décision de mener une enquête sur « l’islamo-gauchisme » au sein de ces champs disciplinaires pour « distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion ».

      Le CNRS a répondu mercredi soir à la ministre de l’Enseignement supérieur dans un communiqué désapprobateur. « Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ’race’, ou tout autre champ de la connaissance », écrit le centre de recherche.

      Une réponse claire et nette aux nombreuses attaques ciblant ces champs disciplinaires qualifiés parfois de « racialistes » par leurs détracteurs qui se multiplient ces derniers mois. En octobre, Jean-Michel Blanquer avait par exemple explicitement cité « les ravages » de l’islamo-gauchisme comme ayant joué un rôle dans l’assassinat de #Samuel_Paty.

      « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion, expliquait-il au Journal du Dimanche dans des propos décryptés par L’Obs. C’est le terreau d’une #fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises. »

      4. #Postcolonialisme, #intersectionnalité... De quoi parle-t-on ?

      Théorisée par la juriste américaine #Kimberlé_Crenshaw à la fin des années 1980, l’intersectionnalité permet d’étudier un phénomène sociologique en appliquant une réflexion multiple, au carrefour de plusieurs parts d’identité comme le genre, la classe et la race (au sens de race sociale perçue par la société, pas de la race biologique qui n’existe pas). Son objectif n’est donc pas d’essentialiser mais de prendre en compte différentes caractéristiques sociologiques pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les situations de discrimination. Par exemple, une femme noire ne vivra pas seulement d’un côté le sexisme et de l’autre le racisme, mais l’intersection des deux.

      Quant aux théories décoloniales et postcoloniales, elles permettent d’étudier la société contemporaine au regard des dynamiques historiques et du racisme qui découle de périodes telles que l’#esclavage et la #colonisation. Ce sont ce type de recherches qui révèlent les #inégalités sous toutes leurs formes (sociologiques, économiques, politiques, historiques...) qui sont visées lorsque les ministres parlent d’"islamo-gauchisme" à l’université.

      5. Comment le monde universitaire réagit-il ?

      Au-delà de condamner les propos de Frédérique Vidal, dans son communiqué, le CNRS regrette une « #instrumentalisation de la science » et rappelle qu’il existe des voies de « l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche ». « C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », conclut l’organisme.

      La veille, la conférence des présidents d’université (CPU) publiait elle aussi un communiqué dans lequel elle s’étonnait de « l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ’du militantisme ou de l’opinion’ ». « La CPU réclame, au minimum, des clarifications urgentes, tant sur les fondements idéologiques d’une telle enquête, que sur la forme, qui oppose CNRS et universités alors que la recherche est menée conjointement sur nos campus par les chercheurs et les enseignants-chercheurs. »

      Contacté par RTL.fr, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation n’a pour l’heure par répondu aux sollicitations.

      https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/islamo-gauchisme-a-l-universite-5-questions-sur-l-enquete-demandee-par-frederiqu

    • Les leçons de Vidal

      Avec ses sorties sur « l’islamo-gauchisme » cette semaine, la ministre déléguée à l’Enseignement supérieur fait surtout les affaires de ses collègues de l’Education et de l’Intérieur. Une femme se grille. Des hommes engrangent.

      La chose se répète souvent sous ce quinquennat. Une ministre femme, issue de la société civile (donc non-politique) qui monte en première ligne pour faire les affaires politiciennes de ses collègues ministres hommes (eux devenus professionnels de ce milieu). La sortie de Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » est un nouvel exemple de ce constat. La ministre de l’Enseignement supérieur n’a pas « dérapé » sur CNews, dimanche, face à Jean-Pierre Elkabbach. Elle savait très bien ce qu’elle faisait. Sinon elle n’aurait pas réitéré ses propos au centre de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi après-midi, lors de la séance hebdomadaire des questions d’actualité au gouvernement.

      Alors qu’elle avait été muette sur le sujet, en octobre, lorsque deux de ses camarades au gouvernement, Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin, avaient déjà balancé, en octobre à l’Assemblée, cette formule appartenant au champ lexical de l’extrême droite, la voilà qui les devance. Le ministre de l’Education et celui de l’Intérieur ont pourtant passé deux semaines sur les bancs lors du projet de loi « confortant les principes de la République » sans écart de langage. Ordre du Président de se tenir à carreaux sur ce texte censé réincarner « le rassemblement » de la majorité sur la laïcité. Foutaises. A peine les ministres avaient-ils récupéré leurs bons de sorties pour les médias que Vidal est partie à son tour en croisade contre les affreux « islamo-gauchistes » qui professeraient dans les amphis. Recadrée par le président de la République, éloignée un peu plus du monde universitaire et du monde étudiant… Mauvais résultat pour elle : la voici un peu plus isolée Rue Descartes. A qui profite donc cette séquence ? A Ses collègues Darmanin et Blanquer qui voient un de leurs marqueurs politiques progresser. Vidal, une femme, prend le bouillon médiatique et une humiliation présidentielle. Ses collègues, hommes, avaient été épargnés.

      Vidal n’est pas la première victime de cette stratégie du bélier. On rembobine. Mars 2019, en pleine « concertation » sur la réforme des retraites, la ministre de la Santé et des Solidarités d’alors, Agnès Buzyn, s’autorise une sortie inattendue sur un « allongement de la durée du travail ». « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, expliquait Buzyn. Est-ce que, alors que le nombre d’actifs diminue, nous allons pouvoir maintenir sur les actifs le poids des retraites qui vont augmenter en nombre et en durée ? Nous savons que cet équilibre-là va être de plus en plus difficile à tenir. » Exactement la ligne portée en coulisses par le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, et de ses deux camarades de l’ex-UMP installés à Bercy : Bruno Le Maire et (déjà) Gérald Darmanin. Lequel se presse pour saluer le « courage » de Buzyn.

      Comme pour Vidal, les politiques hommes avaient laissé une femme issue de la société civile monter au front médiatique pour pousser leurs propres billes. Obligée de rétropédaler (repousser l’âge de départ n’était pas dans le programme d’Emmanuel Macron et le haut-commissaire d’alors, Jean-Paul Delevoye, menaçait de démissionner), Buzyn s’était abîmée dans cette aventure politicienne. Cette dernière n’est plus au gouvernement. Le Maire et Darmanin plus que jamais.

      https://www.liberation.fr/politique/les-lecons-de-vidal-20210219_BI4BCKNDCNBXBDMT2TRO3BZPB4
      #genre #hommes #femmes #hommes_politiques #femmes_politiques

    • Frédérique Vidal, une ministre bisbilles en tête

      Déjà critiquée, entre autres, pour son management à l’université Sophia-Antipolis, la Niçoise s’est lancée dimanche, sans le soutien de l’Elysée, dans une offensive contre l’« islamo-gauchisme » dans la recherche, se mettant à dos une majorité d’enseignants.

      On ne l’attendait pas vraiment sur ce dossier. Frédérique Vidal, ministre de troisième rang en macronie, a surpris beaucoup de monde en appelant à lancer, dimanche sur CNews, une enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans la recherche universitaire.

      Décrédibilisée dans les rangs de la recherche supérieure après avoir maintenu la ligne libérale de la loi de programmation de la recherche (LPR), fragilisée dans les universités après plusieurs cafouillages sur l’organisation en ce temps de crise sanitaire, critiquée pour son manque de réactions face au malaise étudiant qui a poussé certains au suicide, Frédérique Vidal n’a pourtant pas hésité à se mettre à dos une nouvelle fois une bonne partie des professionnels qui dépendent de son ministère.

      Au sein du gouvernement, l’axe Blanquer-Darmanin-Schiappa, porteur de ce débat droitier sur l’islam, a-t-il décidé de se servir d’elle comme bélier, après deux semaines sans grandes controverses sur le projet de loi de lutte contre les « séparatismes » ? Ou bien Vidal a-t-elle choisi ce registre en guise de diversion, alors que les polémiques sur la précarité étudiante ne s’apaisent pas ? En tout cas, on ne la suit pas côté Elysée. Le Président reste attaché à « l’indépendance des enseignants-chercheurs », a bien souligné le porte-parole, Gabriel Attal, mercredi à l’issue du Conseil des ministres. Un désaveu.

      « Elle a toujours eu de l’ambition »

      Dans le casting de début de quinquennat, Vidal faisait pourtant partie de ces ministres de la société civile censés ouvrir le monde politique au monde universitaire. Une présidente d’université pour s’occuper des universités, forcément ça avait du sens dans le « en même temps » macronien. Jusque-là, la Niçoise n’était jamais sortie du couloir qu’on lui avait assigné. A peine s’était-elle aventurée, en 2019 – soit bien avant la crise sanitaire, économique et sociale –, dans une poignée de réunions de ministres souhaitant incarner « l’aile gauche » de l’ex-gouvernement Philippe. L’idée était, à l’époque, de tenter de s’organiser pour peser davantage sur la ligne de l’exécutif, jugée trop… à droite.

      Et avant son arrivée au gouvernement, Frédérique Vidal n’avait aucun engagement politique. L’universitaire est passée des bancs de la fac, où elle étudiait la génétique, à la présidence de cette même université, en 2012. Une évolution fulgurante en moins de vingt-cinq ans. Sabine, aujourd’hui chercheuse syndiquée CGT Ferc Sup, était inscrite dans la même promo, « il y a un peu plus de vingt ans », en maîtrise de biochimie et en DEA de virologie. « C’est quelqu’un qui a toujours eu de l’ambition, dit-elle. Ça a été une bonne enseignante, mais elle a fait peu de recherche sur la durée car elle a très vite rejoint la direction de la formation. Elle est devenue doyenne de la fac de sciences, puis présidente. »

      « Phrases assassines »

      Les techniques managériales de Vidal marquent les esprits à l’université de Sophia-Antipolis. « C’est quelqu’un qui ne tolère pas le débat, ce qui est paradoxal quand on est universitaire, ni la contradiction, ce qui est un problème quand on est scientifique, estime Sabine. Elle a imprimé cette façon de diriger. »

      En novembre, le directeur général de la recherche et de l’innovation, Bernard Larrouturou, qui dépendait de son ministère, a claqué violemment la porte. Dans une lettre qu’avait révélée Libération, il dénonçait la gestion peu humaine du cabinet de Vidal.

      Sandra (1) parle de « tendances managériales à l’américaine » qui l’auraient poussée au burn-out. Cette technicienne audiovisuelle, ancienne déléguée syndicale à l’université, pointe une « infantilisation », avec un renforcement de la hiérarchie, et des « expériences assez douloureuses en conseil d’administration », avec des « phrases assassines » à chaque question ou opposition de sa part. « Mme Vidal est une vraie grande pédagogue, défend le docteur en génétique Erwan Paitel, son ancien bras droit à l’université, qui l’a rejointe au ministère. Elle sait gouverner au sens d’aller au bout de ses idées. »

      Mais, selon différents membres de l’université qui témoignent à Libération, « les sciences de l’éducation ont été mises plus bas que terre », « les sciences humaines étaient méprisées », « ça rigolait » à l’évocation des profs d’histoire. « Quand elle parle d’islamo-gauchisme, c’est juste un moyen de bâillonner le débat d’idées, estime Marc, syndiqué CGT Ferc Sup et travaillant dans un labo de maths à Nice. C’est une insulte pour notre intelligence et pour les victimes. On est à Nice, on a été touché par plusieurs attentats, c’est assez dégueulasse de jouer là-dessus. »

      (1) Cette personne a souhaité rester anonyme pour ne pas nuire à sa carrière.

      https://www.liberation.fr/societe/frederique-vidal-une-ministre-bisbilles-en-tete-20210217_G4WLKNLQGNGTZPOF

    • « Frédérique Vidal risque d’alimenter une #police_de_la_pensée qui serait dramatique »

      Le président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard, revient sur la sortie de sa ministre de tutelle sur « l’islamo-gauchisme », qu’il juge « schématique » et « caricaturale ».

      En s’inquiétant du développement d’« idées militantes de l’islamo-gauchisme » dans les universités françaises au cours d’une interview à CNews dimanche, la ministre Frédérique Vidal a suscité de nombreuses critiques dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’universités a par exemple dénoncé une « nouvelle polémique stérile » et invité les politiques à ne pas « raconter n’importe quoi ». Président de l’université Clermont-Auvergne, l’historien Mathias Bernard revient sur cette sortie médiatique. Pour lui, les propos caricaturaux de la ministre instrumentalisent politiquement des études nécessaires au débat scientifique.

      Dans un communiqué, les présidents d’universités ont dit leur « stupeur » à la suite des propos de Frédérique Vidal. Pourquoi cette surprise ?

      Parce que cela ne correspond pas aux positions antérieures de la ministre. A l’automne, elle avait tenu des propos bien plus distanciés lorsque son collègue Jean-Michel Blanquer avait parlé d’islamo-gauchisme. A cela, il faut ajouter le contexte sanitaire : la priorité n’est pas de lancer un débat politicien, mais plutôt de répondre à la détresse des étudiants après un an de confinement. C’est un bel exemple du décalage entre les gouvernants et la réalité des opérateurs sur le terrain.

      Qu’est-ce qui invalide cette accusation d’« islamo-gauchisme » ?

      Depuis une quinzaine d’années, ce mot est instrumentalisé politiquement. Il ne sert pas à caractériser un ensemble de positions scientifiques, mais à les discréditer. Cette notion produit aussi un effet de généralisation : l’islamo-gauchisme gangrènerait l’université, comme on l’a vu écrit il y a quelques jours à la une du Figaro. Cette rhétorique de la contamination rappelle les discours antisémites des années 30 sur l’influence juive qui corromprait l’ensemble des corps sociaux. Dans mon université, il n’y a eu par exemple aucun incident, aucune étude ou manifestation scientifique susceptible de s’apparenter à une « menace islamo-gauchiste ». Cette généralisation crée une dramatisation, un climat anxiogène qui ne peut qu’alimenter le rejet.

      Quels sont les faits initiaux à partir desquels s’opère cette généralisation ?

      Il existe un militantisme intolérant qui, en empêchant par exemple la tenue de certaines conférences, pose problème à l’université, car celle-ci est par nature un lieu de dialogue. Mais il faut le distinguer des études en sciences sociales qui s’inscrivent dans l’héritage de la pensée postcoloniale et élaborent une pensée critique qui contribue au débat scientifique. Or, ce sont ces débats qui font progresser la science. Une prise de position rapide, schématique et caricaturale comme celle de Frédérique Vidal risque de jeter l’opprobre sur toute cette réflexion et d’alimenter une forme de police de la pensée qui serait dramatique. Cela donne l’impression que des chercheurs confondraient massivement militantisme et travail universitaire, ce qui n’est pas le cas. Et si des cas se présentaient, il existe des instances pour les traiter. Inutile d’instrumentaliser le CNRS, dont les chercheurs travaillent au quotidien avec les universités.

      Faut-il y voir une volonté de contrôle politique du travail universitaire ?

      Les contraintes inhérentes à une interview télévisée ont sans doute occasionné des maladresses. Mais si on regarde ces propos à l’aune du contexte plus global, marqué à la fois par une séquence très régalienne de la présidence Macron et par les débats sur la loi « séparatisme », il peut y avoir une volonté de distinguer deux types de recherche, l’une bonne et l’autre dangereuse. Un peu comme à l’époque de la guerre froide où l’on se méfiait de l’université marxiste. Cela explique une partie de la défiance actuelle du monde politique vis-à-vis de l’université, qui est constitutionnellement indépendante du point de vue scientifique.

      Le dialogue entre le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche et la ministre est-il rompu ?
      En 2020, les débats sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ont contribué à une rupture assez nette entre la ministre et une partie de la communauté universitaire. Mais il ne faut pas généraliser : les présidents d’université et les établissements continuent à travailler avec le ministère dans cette période difficile. Je suis certes critique sur cette sortie médiatique, je n’en suis pas moins reconnaissant à la ministre d’avoir défendu l’ouverture des universités alors que la situation sanitaire reste tendue.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/frederique-vidal-risque-dalimenter-une-police-de-la-pensee-qui-serait-dra

    • #Thomas_Piketty : «Frédérique Vidal doit partir»

      Les déclarations sur l’« islamo-gauchisme » de la ministre de l’Enseignement supérieur montrent sa méconnaissance des sciences sociales, estime l’économiste. Elle livre à la vindicte populaire des chercheurs dont les savoirs sont pourtant essentiels.

      Une suspicion généralisée qui amènerait à un dialogue de sourds : l’économiste Thomas Piketty, connu pour ses recherches internationales sur les inégalités, estime que la demande d’enquête sur la présence de courants « islamo-gauchistes » à l’université, faite dimanche par la ministre Frédérique Vidal, est un non-sens.

      Jean-Michel Blanquer en octobre, Frédérique Vidal aujourd’hui. Pourquoi ces attaques contre le monde universitaire, et sur ce thème de l’islamo-gauchisme ?

      L’horreur des attentats de 2015-2016 et de la décapitation de Samuel Paty en 2020 fait que chacun cherche naturellement des explications, des coupables. Chez les plus désespérés, mais aussi parmi les plus cyniques, certains ont eu l’idée géniale de soupçonner de complicité jihadiste n’importe quel chercheur s’intéressant aux questions de discrimination, ou encore n’importe quel croyant musulman achetant du hallal ou portant des leggings sur la plage, un foulard dans la rue ou lors d’une sortie scolaire. Ces soupçons ignobles sont totalement à côté de la plaque, dans un contexte où le pays devrait être rassemblé derrière son système de justice, de police et de renseignement pour lutter contre l’ultraminorité terroriste. Cette logique de la suspicion généralisée ne peut conduire qu’à des raidissements et à des dialogues de sourds. Et pendant ce temps-là, personne ne parle des politiques antidiscriminatoires dont nous aurions tant besoin, et qui demandent des débats approfondis et apaisés, tant les enjeux sont nouveaux et ouverts.

      Pourquoi demandez-vous la démission de la ministre Frédérique Vidal ?

      Avec ses déclarations, Frédérique Vidal a démontré sa totale inculture et sa profonde ignorance de la recherche en sciences sociales. Elle livre à la vindicte populaire les personnes qui produisent et diffusent les savoirs dont nous avons tant besoin dans cette époque hyperviolente. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir dans plusieurs régions et au niveau national, c’est totalement irresponsable. Elle doit partir.

      Vous connaissez bien le monde de la recherche. Quelle est la réalité de ces « chercheurs minoritaires qui porteraient au sein de l’université des idées radicales et militantes de l’islamo-gauchisme » que dénonce la ministre ?

      Je ne connais aucun chercheur que l’on puisse soupçonner de près ou de loin de complaisance avec les jihadistes, ou dont les travaux auraient pu « armer idéologiquement le terrorisme », suivant l’expression désormais routinière au sommet de l’Etat. Et le terrorisme au Nigeria, au Sahel, en Irak, aux Philippines, c’est aussi de la faute des universitaires islamo-gauchistes français ou américains ? C’est ridicule et dangereux. Au lieu de mobiliser l’intelligence collective pour appréhender des processus sociohistoriques inédits et complexes, ce que font précisément les chercheurs en sciences sociales, on sombre dans la logique du bouc émissaire à courte vue.

      Pensez-vous qu’il y a un climat anti-intellectuels en France ?

      Les diatribes anti-intellectuels sous Sarkozy avaient marqué une première étape. Mais l’hystérie actuelle autour de l’accusation d’islamo-gauchisme nous fait franchir un nouveau seuil. Petit à petit, les responsables politiques français, du centre droit à l’extrême droite, se rapprochent sans le savoir de l’attitude des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) qui, depuis dix ans, visent à asseoir leur domination politique en stigmatisant toujours davantage la minorité musulmane (14% de la population, soit 150 millions de personnes tout de même) et les intellectuels réputés islamo-gauchistes soupçonnés de les défendre. On l’ignore trop souvent en France, mais cette hargne des nationalistes hindous se nourrit elle aussi des attentats jihadistes commis sur le sol indien, comme ceux de Bombay en 2008 ou les attaques au Cachemire musulman début 2019. Là encore, je peux comprendre que le traumatisme des attentats conduit les uns et les autres à chercher des explications pour cette horreur nihiliste. Mais cela n’a aucun sens de soupçonner de complicité les 150 millions de musulmans indiens qui, comme en France, cherchent simplement à mener une vie ordinaire, à trouver un travail, un revenu, un logement, et ne se demandent pas chaque matin comment ils vont venir en aide à un terroriste. Les soupçons vis-à-vis des universitaires indiens, qui tentent de faire leur travail dans des conditions précaires, sont toutes aussi odieux. En Inde, le gouvernement BJP en est arrivé à fomenter des émeutes antimusulmans, à fermer des centres de recherche et à faire arrêter des intellectuels. On en est évidemment très loin en France, mais il est urgent de se mobiliser avant que les choses ne continuent à dégénérer pour les groupes les plus fragiles. Concrètement, les intellectuels français disposent encore de solides ressources pour se défendre, mais il n’en va pas de même pour les populations issues de l’immigration extra-européenne, qui font face dans notre pays à des discriminations sociales et professionnelles extrêmement lourdes et à une stigmatisation croissante.

      Vous qui travaillez avec des réseaux de recherches dans le monde entier, comment jugez-vous l’université française par rapport aux autres grandes universités internationales ? Y a-t-il une américanisation de la recherche ?

      L’idée d’une contamination des chercheurs français par leurs collègues américains ne correspond à aucune réalité. En pratique, le développement des études coloniales et postcoloniales, par exemple des travaux sur l’histoire des empires coloniaux et de l’esclavage, est une coproduction internationale. Cette évolution implique depuis longtemps des chercheurs basés en Europe, aux Etats-Unis, en Inde, au Brésil, etc. Elle est là pour durer, et c’est tant mieux. Le phénomène colonial s’étale de 1500, avec les débuts de l’expansion européenne, jusqu’aux années 60 avec les indépendances, voire jusqu’aux années 90 si l’on intègre le cas de l’apartheid sud-africain. A l’échelle de la longue durée, cette phase coloniale vient tout juste de se terminer. Ses conséquences sur les structures sociales ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. Il a fallu quelques décennies pour que la recherche s’empare pleinement des thèmes coloniaux et postcoloniaux. Ce n’est pas près de changer, et c’est tant mieux.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/thomas-piketty-frederique-vidal-doit-partir-20210217_22G6RI2Q4ZA6RID5XRX5
      #Piketty

    • «Islamo-gauchisme»: Vidal provoque la #consternation chez les chercheurs

      En annonçant commander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre a suscité l’ire du monde de la recherche. Les présidents d’université dénoncent « une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser […] à l’extrême droite », le CNRS émet de profondes réserves.

      Particulièrement transparente ces derniers mois malgré la crise grave que connaît l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal embrase la communauté universitaire, abasourdie par son intention de commander « une enquête » au CNRS sur « l’islamo-gauchisme » à l’université.

      Tout est parti d’un entretien pour le moins sidérant accordé par la ministre, dimanche 14 février, à CNews, la chaîne préférée de l’extrême droite. Interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur la récente une du Figaro titrée « Comment l’islamo-gauchisme gangrène l’université », la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a commencé par acquiescer à ce « constat ».

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont […]. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi », commence-t-elle par affirmer.

      « Vous ajoutez aussi les #indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale… tout ça, ça forme un tout ? », la relance doctement Jean-Pierre Elkabbach.

      Nullement gênée par l’incroyable confusion de la question, la ministre acquiesce à nouveau. « Absolument. D’ailleurs en biologie cela fait bien longtemps qu’on sait qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de race donc vous voyez à quel point je suis tranquille avec ce sujet-là », répond-elle, montrant combien les récents débats scientifiques sur la notion de « race » dans les sciences sociales lui ont totalement échappé.

      « Oui, vous, vous êtes tranquille, mais il y a des minorités et elles sont agissantes… », relance encore le journaliste en agitant les doigts – une gestuelle censée représenter une forme d’infiltration de ces « minorités » à l’université.

      « Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini ? », suggère encore un Jean-Pierre Elkabbach à qui le sujet tient manifestement à cœur.

      « Vous avez raison. Mais c’est pour cela qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », avance Frédérique Vidal, sans que le spectateur, à ce stade, sache très bien ce que « cela » désigne, perdu entre les différentes chimères de « l’islamo-maoïsme » et du « féminisme-racialiste »…

      « C’est pour cela que je vais demander, notamment au CNRS, de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche, sur ces sujets, dans l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme, de l’opinion », lance alors la ministre.

      Dans la communauté scientifique, l’annonce de la ministre a manifestement pris tout le monde de court. Interrogé mardi sur les contours de cette future mission d’enquête, le CNRS semblait bien en peine de fournir le moindre élément de réponse. « À ce stade, nous en discutons avec le cabinet de Frédérique Vidal pour préciser les attentes de la ministre », nous a-t-on d’abord répondu dans un embarras manifeste.

      Au cabinet de Frédérique Vidal, on semble tout autant dans le brouillard, quant aux « attentes de la ministre ». « Les objectifs de cette étude seront définis dans les prochains jours. Il s’agira de définir ce qui existe comme courants d’études en France, sur différents thèmes », nous répond-on finalement. Difficile de faire plus vague.

      S’agit-il de faire une typologie des « courants » de pensée plus ou moins suspects ainsi que, pourquoi pas, des listes d’enseignants participant à ces courants comme aux grandes heures du maccarthysme ?

      L’enquête, selon le ministère, sera « portée » par l’alliance Athena « qui regroupe les principaux acteurs de la recherche publique française et qui est présidée par #Antoine_Petit », c’est-à-dire le directeur du CNRS. Sauf que l’alliance Athena est encore dirigée pour un mois par #Jean-François_Balaudé, qui, comme l’a révélé Le Monde, n’a même pas été informé de ce projet.

      Traversant aujourd’hui une période particulièrement difficile en raison de la pandémie, avec des étudiants en grande détresse et un corps d’enseignants-chercheurs à bout de souffle, la communauté universitaire s’est littéralement embrasée ces dernières heures.

      Mercredi en fin de journée, le CNRS a finalement publié un communiqué cinglant, expliquant que « l’islamogauchisme » était un « #slogan_politique » qui « ne correspond à aucune réalité scientifique ». « L’#exploitation_politique qui en est faite est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ». L’organisme de recherche, qui précise qu’il mènera une enquête « visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », a pris les devants en affirmant qu’il « condamne en particulier les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de "race", ou tout autre champ de la connaissance ».

      La conférence des présidents d’université, d’ordinaire très prudente, s’est fendue mardi en fin de journée d’un communiqué assassin faisant part de sa « stupeur » et réclamant des « clarifications urgentes » à leur ministre de tutelle. « L’islamo-gauchisme n’est pas un #concept. C’est une #pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisée », écrit ainsi l’organisation qui représente tous les présidents d’université.

      Le but de cette « enquête » confiée au CNRS est-il d’identifier des éléments potentiellement idéologiquement dangereux au sein de la communauté universitaire ? Sur ce point également, la Conférence des présidents d’université (CPU) tient à mettre les choses au point : « La CPU regrette la confusion entre ce qui relève de la liberté académique, la liberté de recherche dont l’évaluation par les pairs est garante, et ce qui relève d’éventuelles fautes et infractions, qui font l’objet si nécessaire d’enquêtes administratives », et qui sont confiées dans ce cas à l’Inspection générale de l’éducation.

      « La CPU s’étonne aussi de l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève “du militantisme ou de l’opinion”, cingle l’organisation. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Sauf qu’en matière de « n’importe quoi », la CPU et le monde de la recherche plus généralement n’avaient, sans doute, pas encore tout entendu. Questionnée mardi par la députée Bénédicte Taurine (La France insoumise) sur sa volonté de créer une « police de la pensée », Frédérique Vidal a eu cette réponse étonnante : « Alors, oui, en sociologie on appelle ça mener une enquête. Oui, je vais demander à ce qu’on fasse un bilan de l’ensemble des recherches qui se déroulent actuellement dans notre pays… Sur le postcolonialisme… Mais moi, vous savez, j’ai été extrêmement choquée de voir apparaître au Capitole un drapeau confédéré et je pense qu’il est essentiel que les sciences sociales se penchent sur ces questions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. »

      Un rapprochement entre études postcoloniales et drapeau confédéré, emblème aujourd’hui des suprémacistes blancs, que personne n’a compris… Et pourquoi citer désormais les #études_postcoloniales qui sont un domaine de recherche présent dans les universités du monde entier ?

      Beaucoup d’universitaires et de chercheurs indignés ont demandé, à l’instar de l’économiste Thomas Piketty ou de la philosophe #Camille_Froidevaux-Metterie, le départ de la ministre aujourd’hui désavouée par une grande partie de la communauté scientifique. « Avec Frédérique Vidal, le gouvernement Macron-Castex réalise le rêve de Darmanin : contourner Le Pen par sa droite… Cette ministre indigne doit partir », a déclaré Thomas Piketty sur Twitter, où le mot-dièse #VidalDemission a rencontré un grand succès.

      Une « chasse aux sorcières »

      Les chercheurs du CNRS que Mediapart a interrogés ont unanimement rejeté l’idée d’être « instrumentalisés » par l’improbable projet d’enquête de la ministre.

      Pour l’historienne Séverine Awenengo Dalberto, chargée de recherche au CNRS et membre de l’Institut des mondes africains, Frédérique Vidal doit effectivement démissionner. « C’est scandaleux et honteux de vouloir restreindre les libertés académiques, d’instrumentaliser la recherche en histoire et sciences sociales à des fins politiciennes, et surtout, dans le contexte pandémique actuel, de mépriser à ce point les étudiants et étudiantes en portant l’attention médiatique et parlementaire sur cette fausse question de l’islamo-gauchisme plutôt que sur la détresse et la précarité des jeunes », explique-t-elle. Cette historienne, spécialiste des questions coloniales, fustige une démarche visant, selon elle, « à banaliser un discours d’extrême droite et à alimenter les fractures qu’elle feint de dénoncer. Comment peut-elle sérieusement penser que travailler sur des discriminations raciales, sur les mécanismes et les effets des assignations identitaires chromatiques, c’est reconnaître l’existence de races biologiques ? »

      Comme elle, nombre de chercheurs insistent aussi sur l’#absurdité de faire diligenter cette enquête sur l’université par le CNRS, puisque nombre de laboratoires ont une double tutelle CNRS et université.

      Le spécialiste des mobilisations ouvrières Samuel Hayat, chargé de recherche au CNRS, décrit ainsi ses collègues « entre #sidération et #découragement ». « Cela s’inscrit dans la suite logique de la gestion autoritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche par Frédérique Vidal », souligne-t-il, en référence à la loi de programmation sur la recherche passée au forceps. « C’est une offensive générale contre, en gros, le #discours_critique et la #pensée_critique », estime-t-il. « Pour Frédérique Vidal, l’université doit être dans “l’#excellence” et la #rentabilité mais l’idée qu’il y ait des pôles de résistances critiques aux politiques est insupportable », assure-t-il. Ce politiste souligne aussi combien cette « chasse aux sorcières » rappelle les politiques menées au Brésil, en Hongrie, aux États-Unis, en Turquie ou au Japon contre les libertés académiques.

      Si dans ces pays la bataille s’est principalement concentrée sur les études de #genre, accusées de détruire les fondements de la société, la lutte contre l’#islamisme offre, en France, l’excuse toute trouvée pour traquer les chercheurs « déviants ». « Comme ils ne vont pas trouver d’islamistes dans les universités, ils s’appuient sur un concept comme “l’islamo-gauchisme” qui ne veut rien dire mais qui permet d’amalgamer les savoirs critiques au terrorisme », affirme Samuel Hayat. « La cerise sur le gâteau est l’instrumentalisation du CNRS, qui est un établissement public de recherche qui détermine évidemment son agenda de recherche. Être traité comme une officine pour cerner un objet qui n’existe pas, c’est particulièrement insultant. Le CNRS doit réaffirmer qu’il n’est pas aux ordres des objectifs politiques du gouvernement. »

      Pour l’historienne Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’Afrique aux XVIIIe et XIXe siècles, cette annonce de Frédérique Vidal s’inscrit dans « un pur enjeu électoral consistant à placer la question de l’islam au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Le problème c’est que c’est un #discours_performatif et qu’ils n’en mesurent pas les conséquences », souligne-t-elle, décrivant des discours stigmatisants « qui blessent une partie de la société française à qui l’on veut faire comprendre qu’elle doit rester à sa place ».

      Pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’islamophobie comme nouvelle forme de racisme, le sociologue #Abdellali_Hajjat (qui a quitté la France pour enseigner en Belgique devant le climat de plus en plus hostile à ces travaux dans l’Hexagone) estime que les déclarations de Frédérique Vidal sont « la énième étape d’un processus de #panique_morale d’une partie des #élites_françaises qui a commencé au moins en 2015-2016. Et cela marque le succès d’un intense #lobbying de la part des “#universalistes_chauvins”, tenants de la fausse opposition entre “universalistes” et “décoloniaux”, estime-t-il. La ministre dit qu’il s’agit de distinguer travail de recherche et militantisme… Il semble qu’il s’agit surtout de cibler les universitaires qui seraient “déviants” d’un point de vue politique et scientifique ».

      Selon lui, malgré l’ineptie du discours d’une ministre qui semble largement dépassée par la situation, et qui pourrait prêter à sourire, la situation est très alarmante. « Cette volonté d’#hégémonie, de #contrôle total sur la recherche rappelle les pratiques des régimes politiques contemporains les plus autoritaires », assène-t-il.

      « Je suis en colère car ce qui est en train de se passer est à la fois honteux et très inquiétant », affirme de son côté Audrey Célestine, maîtresse de conférences en sociologie politique et études américaines à l’Université de Lille et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. « Nous sommes dans une forme de #maccarthysme », assure-t-elle jugeant le niveau du débat public « atterrant ». « Lorsqu’on voit quelqu’un comme #Raphaël_Enthoven évoquer “la #peste_intersectionnelle”, on se dit qu’il y a une fierté à étaler dans ces débats son #ignorance crasse. Je suis pour le débat mais avec des gens qui lisent les travaux dont ils parlent », explique-t-elle. Comme pour tous les chercheurs interrogés, Frédérique Vidal a désormais perdu toute #crédibilité et ne peut plus rester ministre de tutelle.

      Après les premières déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche avait semblé vouloir défendre les libertés académiques. « L’université n’est ni la matrice de l’extrémisme ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement », avait-elle rappelé à son collègue du gouvernement.

      Aujourd’hui, Frédérique Vidal semble appliquer avec zèle une feuille de route écrite par l’exécutif. Interrogé sur France Inter, le 1er février par Léa Salamé, sur la place des « indigénistes » et des « racialistes » à l’université – un questionnement qui en dit long sur la maîtrise du sujet –, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a ainsi expliqué que ces idéologies sont peut-être « majoritaires » à l’université : « C’est un drame pour la France et nous devons absolument débattre pied à pied, idée par idée cela », a détaillé ce matin-là – sans souci du mélange des genres – le « premier flic de France ».

      « C’est d’ailleurs ce qu’a souhaité le président de la République dans son discours des Mureaux », rappelait-il alors, en référence au discours du chef de l’État ciblant le « #séparatisme_islamiste ».

      Soutenu par le gouvernement, un amendement glissé au Sénat dans la loi de programmation sur la recherche avait déjà, en octobre dernier, tenté de soumettre les libertés académiques au « cadre des valeurs de la République ». Finalement rejeté, au vu de sa formulation floue, il révélait déjà combien l’exécutif se montrait soupçonneux à l’égard du monde universitaire.

      La tribune des cent universitaires publiée dans le Monde fin octobre, parmi lesquels Marcel Gauchet, Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff ou Pierre Nora, dénonçant un « déni » face à l’islamisme et déplorant que « Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) » aient infiltré l’université « nourrissant une haine des « Blancs » et de la France » a sans doute fait son effet sur l’exécutif. Lequel n’a pas prêté grand crédit aux multiples contre-tribunes, sur le sujet, dont celle de deux mille chercheurs aussi publiée par le Monde, et pourtant signée par des chercheurs encore en prise, eux, avec la production en sciences sociales.

      Le président, passé de la lecture de Paul Ricœur à celle de Pierre-André Taguieff et sa dénonciation des « bonimenteurs du postcolonial », avait déjà affirmé en juin dernier devant des journalistes que « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux ».

      Aujourd’hui, sous les coups de boutoir d’un pouvoir obsédé par la mise au pas de la communauté universitaire, ce sont surtout les enseignants, les chercheurs et plus largement les libertés académiques qui sont menacés.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/170221/islamo-gauchisme-vidal-provoque-la-consternation-chez-les-chercheurs?ongle

    • Vidal au stade critique - Communiqué de SLU, 17 février 2021

      « Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase : « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre : « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8893

    • Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • Merci @marielle, je mets tout le contenu de la lettre de #Pinar_Selek sur ce fil :

      Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un #cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en #Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’#autonomie de la production scientifique.

      –—

      Madame Vidal,

      Vous vous souvenez de moi, l’enseignante-chercheure exilée que vous aviez accueillie, dans le cadre du Programme PAUSE, à l’Université Côte d’Azur, quand vous étiez sa présidente. Mais nous nous sommes rencontrées la première fois, le 30 septembre 2019, dans le cadre de la conférence de presse du Programme PAUSE ( Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil). En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous souteniez ce programme. Je pense que vous le soutenez encore. Tant mieux : vous soutenez les enseignant.es-chercheur.es qui ont fui la répression politique dans leur pays et qui ont besoin d’un espace de liberté pour continuer à poser des questions et à conduire leurs recherches.

      Depuis vos dernières déclarations sur "l’islamo-gauchisme", je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout.es les scientifiques exilé.es qui sont aujourd’hui accueilli.es par le Programme PAUSE sont entrés dans le même cauchemar, car elles-ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France.

      J’ai envie de vous dire que si vous ne revenez pas publiquement sur vos propos ou si vous ne démissionnez pas, le cancer se diffusera et des scientifiques français.es prendront le chemin d’exil.

      Ne me dites pas qu’en France ce n’est pas possible. Si, Madame Vidal, si. Vous le savez mieux que moi : le pétainisme n’est pas si vieux que ça. Rappelez-vous dans les années 1940, il y avait beaucoup d’universitaires français exilés, refusant de se soumettre au fascisme.

      Vous vous souvenez peut-être, dans la conférence de presse de PAUSE, j’avais commencé mon intervention en disant ceci : « Pour vous épargner un récit victimisant et pour me distancier d’une vision intégrationniste imprégnée de colonialisme, j’avais pensé d’abord rappeler que chaque pays a besoin de passeurs des théories scientifiques. Surtout la France qui a de grandes difficultés de traduction. Elle a besoin de savant.es qui se sont formés dans d’autres pays. De plus, accueillir les scientifiques qui ne sont pas soumis à l’autorité ne peut être qu’une richesse pour ceux et celles qui les accueillent. » Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      Madame Vidal, essayez d’écrire des articles scientifiques, avec votre casquette universitaire, pour remettre en question les notions scientifiques et inscrivez-vous dans le débat collectif des chercheur.es, mais surtout cessez d’intervenir en mettant votre casquette politique !

      Sinon vous allez mettre la machine infernale en marche.

      Et la machine du pouvoir peut aller plus loin que vous ne l’imaginez.

      Pinar Selek

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • "Islamogauchisme" : Le piège de l’#Alt-right se referme sur la Macronie

      Mardi dernier, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a exprimé son souhait de missionner le CNRS pour une « étude scientifique » sur “l’islamo-gauchisme” qui, d’après ses propos de dimanche (14/02/21) sur une chaîne TV privée, « gangrène la société dans son ensemble ». « L’université n’[y étant] pas imperméable », il s’agirait de définir « ce qui relève de la recherche et du militantisme ». La Conférence des Présidents d’Université a immédiatement exprimé sa stupeur devant de tels propos, tandis que le CNRS indiquait dans un communiqué de presse que « “L’islamogauchisme” , slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique ».

      C’est la troisième fois en moins de six mois que l’expression “l’islamo-gauchisme” est employée par un ministre du gouvernement Castex, contribuant à inscrire ce terme comme dénomination légitime d’une catégorie sociale, malgré l’absence de réalité scientifique.

      Au-delà de la menace que fait peser la démarche de la Ministre sur les libertés académiques, qui a suscité de vives polémiques, nous montrons qu’elle s’inscrit dans une tendance d’autant plus inquiétante qu’elle semble relever d’un #aveuglement au niveau de la Présidence et du gouvernement.

      Afin de discerner ce qui relève du #militantisme ou de la #stratégie_politique dans la #popularisation de ce #néologisme, ainsi que l’impact que pourrait avoir sa #légitimation par de hauts responsables de la République, nous présentons ici une étude factuelle sur les contextes de son utilisation dans le paysage politique français sur les 5 dernières années.

      Nous nous appuierons sur le #Politoscope, un instrument du CNRS que nous avons développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris IdF pour l’étude du #militantisme_politique en ligne. Il nous permet d’analyser à ce jour plus de 290 millions de messages à connotation politique entre plus de 11 millions de comptes #Twitter émis depuis 2016.

      Nous renvoyons le lecteur intéressé par l’origine de l’expression “islamo-gauchisme” à l’historique qui en avait été fait en octobre dernier lors des premières utilisations de ce terme, d’abord par le Ministre de l’Intérieur lors d’un échange à l’Assemblée Nationale, puis par le Ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports en réaction à l’assassinat de Samuel Paty.

      Le point important pour notre propos est que nous avons affaire à un néologisme relativement ancien (une quinzaine d’années) qui a jusque-là été peu utilisé. Entre le 1er Août 2017 et le 30 décembre 2020, sur 230M de tweets analysés, le terme « islamogauchisme » ou ses variantes ont été promus dans des tweets originaux et relayés via retweets respectivement par 0,019% et 0,26% du total comptes Twitter analysés, au sein de « seulement » 73.806 messages (0,032% du total). Nous sommes donc sur une #terminologie, et a priori une catégorisation des groupes sociaux, très marginales[1].

      Comme le montrent les recherches en sociologie et psychologie sociale[2], ce type de dénomination émergente indique la volonté de créer une nouvelle catégorie dans l’#imaginaire_collectif, passage obligé pour faire accepter de nouveaux #récits_de_référence et pour façonner de manière durable de nouvelles #représentations, #croyances et #valeurs.

      S’agissant de la dénomination d’un #groupe_social, elle est l’instrument d’une démarcation entre le groupe social qui l’emploie et le groupe social réel ou fantasmé qu’elle est censée désigner. Si le CNRS s’est exprimé au plus haut niveau pour indiquer que l’« islamogauchisme » était plus un #fantasme qu’une réalité scientifique, nous posons ici la question de ce que cette expression révèle sur le ou les groupes sociaux qui l’emploient.

      Voici donc ce qui ressort de l’expression « islamogauchisme »[3] lorsque nous la passons au macroscope de nos méthodes d’analyse.

      Quels ont été les contextes d’usage de l’expression « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      Si l’expression« islamo-gauchisme » est très marginale dans la #twittersphère et dans le #langage_politique ordinaire, elle apparaît dans des contextes très précis en tant qu’instrument de #lutte_idéologique.

      Une première évaluation qualitative de ce fait peut être menée à partir des messages mentionnant cette expression. Nous reproduisons ci-dessous les tweets ayant touché le plus de comptes distincts ces cinq dernières années. Ils sont classés par ordre décroissant de leur impact.

      Il apparaît clairement sur cet échantillon, par ailleurs assez représentatif de l’ensemble, que « islamo-gauchisme » est employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à « islamo-gauchisme » sont celles de #traître, d’#ennemi_de_la_république, d’#immoralité, de #honte, de #corruption ainsi que de #menace, d’#insécurité, de #danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’#islamisme_radical.

      La principale communauté politique visée par ce terme (et qui s’en défend, d’où sa présence dans ce corpus de tweets) est la #France_Insoumise et la personnalité de #Jean-Luc_Mélenchon, mais occasionnellement, ce terme vise la communauté plus large des personnalités et militants de #gauche, comme le montre le tweet le plus relayé de tout notre corpus et adressé à #Benoît_Hamon.

      Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un #danger_imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire. La construction même du terme reflète cette ambition. Dans un pays encore meurtris par les attentats du Bataclan, le préfixe « islamo- » est au mieux négatif voire désigne des personnes dangereuses pour l’ordre public, quant au suffixe « gauchisme », il est une forme péjorative pour désigner en vrac les #idéologies_de_gauche.

      Qui a fait la promotion de la notion « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      En y regardant de plus près, l’usage de l’expression « islamo-gauchisme » est un marqueur de types de comptes Twitter très précis. Voici les comptes qui ont le plus utilisé cette expression ces cinq dernières années, classés par nombre décroissant d’usages de cette expression :

      Table 1. Liste des comptes ayant le plus relayé le terme « islamo-gauchisme » depuis 2016 dans le Politoscope. La mention ‘suspendu’ indique des comptes suspendus par Twitter pour leur comportement violant ses règles d’utilisation. La mention ‘protégé’ indique des comptes qui ont choisi de rendre leurs messages confidentiels. La mention bot indique des comptes ouvertement pilotés par des robots informatiques.

      On remarque tout d’abord qu’il y a une forte majorité de #comptes_suspendus. D’après Twitter, la plupart des comptes suspendus sont des #spammeurs, ou tout simplement des #faux_comptes qui introduisent des risques de sécurité pour Twitter et ses utilisateurs. Un compte peut également être suspendu si son détenteur adopte un comportement abusif, comme envoyer des menaces à d’autres personnes ou se faire passer pour d’autres comptes, ou si Twitter pense qu’il a été piraté.

      Les cas de suspension de comptes sont très rares. L’une des plus importantes purges de comptes Twitter a visé récemment 70.000 comptes ayant incité à la violence dans les jours précédant le saccage du Capitole aux USA, ce qui ne représente que 0,023% de l’ensemble des comptes actifs. Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur l’« islamo-gauchisme » est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants.

      Dans le cas présent, les raisons de la suspension semblent être un comportement verbalement violent et peut-être même plus probablement un comportement de tromperie ou d’astroturfing typique des agissements d’une certaine frange de l’#extrême_droite : une démultiplication démesurée et généralement artificielle de l’activité d’un compte pour faire illusion sur le soutien réel d’une population à une idée. Cette hypothèse est confortée par la présence de deux ‘amplificateurs’ parmi cette short list, c’est à dire des comptes dont le nombre quotidien de tweets (plus de 60 par jour en moyenne) indique qu’ils sont probablement pilotés par des robots ou des salariés.

      La seconde chose que l’on peut remarquer est l’#orientation_politique des quelques comptes présents dans cette liste pour ceux qui sont encore actifs : ils sont tous idéologiquement d’extrême-droite.

      L’analyse de l’ensemble des 83.000 #tweets contenant « islamo-gauchisme » et de leur dynamique permet de préciser ce tableau.

      Les deux communautés politiques historiques qui ont été les plus actives sur ce thème sont le #Rassemblement_National et #Les_Républicains, mais avec des temporalités très différentes. Jusqu’au 1er tour de la présidentielle de 2017, Les Républicains, et principalement les sarkozystes, étaient les plus actifs sur le sujet. Ce point n’est pas une coïncidence puisque, comme nous l’avons démontré[4] la tactique consistant à dénigrer un adversaire en révélant sa soit-disant proximité avec l’islamisme radical avait déjà été utilisée au sein même de LR contre Alain Juppé, une première fois par les sarkozistes pendant la primaire de la droite de 2016 où il était grand favori, puis par les fillionnistes au moment du Peneloppe Gate, alors que la possibilité d’un retour de Juppé était évoquée.

      La tendance s’est inversée très exactement dans l’entre-deux tours et le #RN est alors devenu, et de loin, le courant politique qui a le plus fréquemment fait usage du terme « islamo-gauchisme ». Sur ces quatre dernières années, les militants d’extrême droite ont consacré plus de deux fois plus d’efforts à sa promotion que leurs homologues Républicains (rapporté à leur volume total de tweets).

      Cette inversion s’explique par la reconfiguration des forces politiques à l’issue de la présidentielle. Comme nous l’avons déjà décrit[5], pendant la majeure partie de la campagne présidentielle, Marine Le Pen étant pronostiquée au second tour, les autres candidats se sont affrontés entre-eux pour obtenir la place restante. #Mélenchon était donc l’un des principaux adversaires de Fillon. Mais dès la présidentielle terminée et l’effondrement du PS et de LR qui s’en sont suivis, LFI et le RN sont devenus les principaux partis d’opposition et se sont donc mis à s’affronter pour prendre la place de première force d’opposition. C’est dans ce cadre que le RN a tenté d’imposer sa vision de « islamo-gauchisme » afin de discréditer son principal opposant et servir par la même occasion son agenda politique anti-immigration.

      Le terme « islamo-gauchisme » est donc avant tout une #arme_idéologique utilisée dans un #discours_hostile pour discréditer une communauté politique indépendamment de la réalité qu’il est supposé désigner.

      Une #cartographie de l’ensemble des échanges Twitter avec identification des communautés politiques révèle d’ailleurs très bien cette organisation dichotomique des échanges autour de cette expression. La figure 2 montre deux blocs qui s’affrontent : d’un côté les communautés d’extrême-droite et LR qui utilisent ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI, de l’autre LFI qui se défend. On remarquera par ailleurs que l’extrême droite est elle-même divisée en deux sous groupes : le RN et les courants patriotes/identitaires. Enfin, la figure 3 ci-dessous montre bien l’activité ancienne, persistante et massive de l’extrême-droite pointant l’intention de faire accepter une certaine représentation du monde par ce néologisme.


      Figure 2. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme ». Chaque point est un compte Twitter, sa couleur indique son appartenance à un courant politique. A droite, les communautés d’extrême-droite et LR utilisant ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI (à gauche) qui se défend. La taille des nœuds est fonction du nombre de leurs tweets mentionnant « islamo-gauchisme » mise à part celle des nœuds labellisés avec des comptes actifs dont la taille a été augmentée pour des questions de visualisation. Pour ces nœuds là uniquement, la couleur indique le nombre de tweets mentionnant « islamo-gauchisme », par ordre croissant du blanc au violet. On remarquera la présence marquée de comptes très impliqués dans ce type d’échanges et suspendus depuis par Twitter. Image : CNRS, #David_Chavalarias – CC BY-ND 4.0.


      Figure 3. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme » avec indication de la longévité des comptes. La taille des nœuds est proportionnelle à l’intervalle de temps pendant lequel a été détectée une participation à la polémique « islamo-gauchisme ». Il apparaît clairement qu’il y a une activité ancienne, persistante et massive à l’extrême-droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      Pourquoi l’adoption du #vocabulaire de l’extrême droite est-elle un piège ?

      Si l’on résume les éléments factuels que nous venons de présenter :

      Bien que la science ne reconnaisse pas « islamo-gauchisme » comme une catégorie sociale légitime, plusieurs courants d’extrême-droite en font depuis longtemps la promotion,
      Cette promotion, qui s’inscrit dans des échanges hostiles et dépourvus d’éléments programmatiques, a des objectifs bien précis : 1) discréditer ses opposants de gauche, 2) convaincre l’#opinion_publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : des ennemis intérieurs alliés aux forces obscures de l’islamisme radical. Ce faisant, elle crée une #atmosphère_anxiogène propice à l’adhésion à ses idées.

      Si, comme nous avons pu le mesurer, cet effort soutenu n’a pas eu d’effet notable sur l’écosystème politique jusqu’à récemment, les interventions successives de trois ministres de la République ont changé la donne. La dernière intervention de Frédérique Vidal lui a fourni une exposition inespérée.

      L’existence de groupes « islamo-gauchites » vient d’être défendue officiellement au plus haut niveau puisqu’il serait absurde de demander une enquête sur quelque chose à laquelle on apporte peu de crédit. Cette dénomination est donc légitimée par le gouvernement, avec en prime l’idée que de notre jeunesse serait menacée d’#endoctrinement.

      La réaction épidermique du milieu universitaire à ces interventions n’a fait qu’amplifier l’exposition à cette idée, même si c’était pour la démentir, laissant présager d’un #effet_boomerang. Nous voyons ainsi sur le détail de l’évolution de la popularité de ce terme (Figure 4) qu’il a été propulsé au centre des discussions de l’ensemble des communautés politiques à la suite de l’intervention de la ministre et qu’il a même atteint assez profondément “la mer”.

      « La mer » est le nom que nous avons donné à ce large ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques. Toucher “la mer” avec leurs idées est le graal pour les communautés politiques car c’est un réservoir important de nouvelles recrues. Ainsi, “la mer”, concentrant son attention sur ce concept d’« islamo-gauchisme », est amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême-droite.

      D’après nos mesures, les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême-droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant « islamo-gauchisme » est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020. On peut parler de #performance.


      Figure 4. Détail de l’évolution du nombre cumulé de tweets émis par les principales communautés politiques avec la mention « islamo-gauchisme » ou ses variantes. Le volume de tweets de “la mer” apparaît en vert et peut être lu sur l’axe des ordonnées à droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      La porte ouverte à l’#alt-right

      Pour bien comprendre la faute politique que constitue la légitimation et l’appropriation d’un concept tel que « islamo-gauchisme » par un gouvernement, il faut se placer dans le contexte mondial de la montée de l’alt-right et des étapes qui permettent à cette idéologie de gangrener le pouvoir.

      Contrairement à “« islamo-gauchisme », l’alt-right est un mouvement idéologique bien réel, scientifiquement documenté[6], et revendiqué publiquement au sein d’espaces d’échanges en ligne tels que #4Chan et #8Chan.

      L’alt-right est l’idéologie dont l’ascension a accompagné la prise du pouvoir de Donald Trump. Ses partisans sont nationalistes et suprématistes, racistes et antisémites, complotistes, intolérants et d’une violence parfois teintée de néonazisme[7]. Ils s’organisent de manière décentralisée via les médias numériques et recrutent “parmi les identitaires blancs, éduqués ou non, qui se présentent comme victimes de la culture dominante” (Port-Levet, 2020). Ils utilisent la #désinformation comme principal moyen pour propager leur idéologie “qui se fonde sur la #confusion_idéologique et dont l’un des principaux objectifs est de troubler l’ordre politique pour accélérer le chaos”[8].

      On ne s’étonnera pas que l’alt-right conçoive l’Université comme un repère de gauchistes et que certains de ses partisans en aient fait leur principal champ de bataille[9].

      L’idéologie alt-right a déjà quelques belles victoires à son palmarès, dont les mandatures de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil, pays dont on relèvera qu’il dispose du même mode de scrutin présidentiel que la France.

      Comme nous l’avons documenté[10], ses partisans sont convaincus que #Marine_Le_Pen est de leur côté (cf. Figure 5), ils l’ont d’ailleurs activement soutenu en 2017 en espérant lui donner le coup de pouce décisif qui la mènerait à la victoire. L’un de leurs forums post-premier tour, intitulé “#Final_Push_Edition”, commençait le 25 avril 2017 par la formule “Alright everyone, our golden queen has won the first round and must now face her final opponent Macron Antoinette.”[11]. S’en suivait une série d’échanges et de conseils sur la meilleure manière de manier la désinformation pour réorienter une partie de l’opinion française vers un vote Le Pen ou l’abstention.


      Figure 5. Meme propagé en 2017 par les partisans de l’alt-right montrant Marine Le Pen faisant le symbole « O-KKK » (en référence au Ku Klux Klan) qui signifie “White Power”, signe de ralliement des suprémacistes blancs. Ce signe peut être vu également sur de multiples photos de la prise du Capitole. La grenouille, “Pepe the frog”, est la mascotte du mouvement. Ce photo-montage est un message entre partisans de l’alt-right pour indiquer que Marine Le Pen défend leurs valeurs. Image : 4Chan – Meme Internet – auteur anonyme.

      Depuis, ce courant n’a cessé de se renforcer à travers le monde, bénéficiant de la bouffée d’oxygène apportée par la mandature #Trump. Avec la victoire de Biden, ils n’auront rien de mieux à faire ces prochains mois que de s’occuper à nouveau des élections présidentielles en Europe.

      Pour propager leur idéologie à grande échelle, les activistes de l’alt-right se doivent de conquérir l’#imaginaire_collectif avec leurs représentations du monde. Comme une araignée, ils nécrosent progressivement la #morale_collective et la confiance que les citoyens ont dans leurs institutions démocratiques jusqu’à leur faire perdre tout repère. L’espoir de ces activistes est qu’alors un coup de force coordonné, jouant sur les #émotions_négatives, leur permettra de faire basculer une élection.

      Le chemin de cette nécrose est connu et documenté par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques. Il a été emprunté par les partisans de #Donald_Trump et a mené à l’insurrection du Capitole. En avoir connaissance nous permet de constater que nous l’empruntons déjà et que la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation vient, probablement à son insu, d’y jouer un rôle d’agent de la circulation très efficace.

      Il y a en effet un parallèle quasi parfait entre la stratégie de l’alt-right américaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion d’« islamo-gauchisme ». Citons pour nous en convaincre quelques passages d’une excellente recherche sur ce mouvement aux États Unis. Elle se fonde sur une analyse qualitative du discours alt-right sur le forum “r/The_Donald” au sein de Reddit (McLamore and Uluğ, 2020) :

      […] La théorie des représentations sociales met en évidence la pensée dualiste et dichotomique qui distingue les catégories, c’est-à-dire les “bonnes personnes/mauvaises personnes”, les “amis/ennemis”, les “élites/nonelites”, la “majorité/minorité” (Markova, 2006 ; Staerklé, 2009 ; Staerklé, Clemence, & Spini, 2011) – et l’appartenance à ces #catégories_antagonistes est attribuée en fonction de la concordance ou de la discordance avec des #symboles, #valeurs ou caractéristiques qui sont socialement représentés (Staerklé, Clemence, & Spini, 2011)

      Les résultats indiquent que les billets[12] qui contiennent des représentations sociales ou des éléments narratifs sur r/The_Donald se concentrent largement sur les caractéristiques des libéraux/gauchistes/démocrates, y compris leurs idéologies, leurs motivations et leurs objectifs perçus, et représentent les partisans de Donald Trump et des conservateurs plus généralement par opposition à ces groupes.

      Dans les trois catégories principales les plus courantes, les billets ont pour fonction de rejeter les positions libérales et de délégitimer les opposants politiques au populisme d’extrême droite (par exemple, les libéraux, les gauchistes, les marxistes, les militants des minorités, les militants de l’immigration, les féministes, les militants queer, etc.) […]

      Ces représentations des libéraux interprètent les positions libérales comme peu sincères et/ou invalides, représentant l’opposition au #populisme d’extrême droite comme le produit d’un lavage de cerveau, et représentant les opposants au populisme d’extrême droite comme illégitimes dans leurs croyances. Ce faisant, ces représentations des libéraux fonctionnent non seulement pour rejeter les idées libérales, mais aussi pour positionner les partisans de Donald Trump et les libéraux comme des parties opposées au sein d’un récit. L’émergence de tels récits, qui représentent des groupes en tant que forces opposées ayant des buts et des objectifs incompatibles, tout en délégitimant ou en rejetant simultanément les buts et les objectifs du parti rival, est un élément essentiel de l’infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes (Bar-Tal, 2007 ; Bekerman & Zembylas, 2009 ; Salomon, 2004).

      Comme les représentations sociales fonctionnent comme les éléments constitutifs des récits (Liu & Hilton, 2005 ; Moscovici, 1968/2008), ces représentations des libéraux et du libéralisme contribuent à établir les bases d’une infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes. […]

      La #délégitimisation des musulmans et des immigrants renforce mutuellement la délégitimisation des libéraux sur r/The_Donald. En tant que tels, les libéraux ne sont pas seulement présentés comme une #menace_interne, intragroupe, par leur élitisme et leur censure perçus de la culture américaine traditionnelle, mais aussi comme facilitant ou permettant une #menace_externe, intergroupe, par leur association avec les immigrants et les musulmans, qui sont représentés sur r/The_Donald comme intrinsèquement dangereux. Ces deux processus pourraient faciliter le soutien à l’#escalade_de_la_violence, car des travaux antérieurs en psychologie sociale établissent un lien entre la menace perçue et le soutien à l’escalade du conflit et à la #violence future dans les conflits violents (Hirschberger, Pyszczynski, & Ein-Dor, 2015). Au sein de r/The_Donald, nos résultats qualitatifs suggèrent donc que les libéraux représentent à la fois une menace culturelle par leurs attaques (perçues) contre les valeurs traditionnelles de ces Redditeurs, mais aussi une menace physique tangible par leurs liens avec des groupes extérieurs qui sont représentés comme violents et dangereux. Ces perceptions de la menace, qui se chevauchent mais sont distinctes, suggèrent que, dans ces représentations, les libéraux peuvent représenter des menaces à la fois symboliques et réelles (voir Stephan & Stephan, 2000).

      Pris dans leur ensemble, les billets des principales catégories [de r/The_Donald] représentent les libéraux comme étant à la fois oppresseurs des Blancs américains et des traditions américaines, mais impuissants, s’appuyant sur la #conspiration et le #lavage_de_cerveau pour conserver leur position d’élite. […]

      Ces représentations pourraient, en théorie, évoquer une #mentalité_de_siège typique des victimes dans un conflit où elles perçoivent tout comme étant contre elles (voir Bar-Tal & Antebi, 1992). Avec cette mentalité, les personnes partageant les représentations sociales qui prévalent sur r/The_Donald peuvent se comporter comme si elles étaient assiégés parce qu’ils se perçoivent et se représentent comme tels.

      Dans sa prise de parole sur l’« islamo-gauchisme » à l’assemblée, la Ministre a justifié sa démarche en se disant “extrêmement choquée de voir au Capitole apparaître un drapeau confédéré et [qu’elle pensait] qu’il est essentiel que les sciences humaines et sociales se penchent sur ces questions qui sont encore d’actualité”. Aussitôt dit aussitôt fait, dirions-nous. Les sciences humaines et sociales se sont déjà penchées sur les dérives qui ont mené au Capitole et elles n’ont rien à voir avec l’« islamo-gauchisme ». Au contraire, comme le démontrent les extraits précédents, les événements du Capitole sont directement liés à la légitimation de termes tels que « islamo-gauchisme ».

      En résumé, la première étape pour ancrer l’#idéologie_alt-right et arriver à saboter une démocratie est de concrétiser dans l’imaginaire collectif la représentation d’un #ennemi_de_l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs). La notion d’« islamo-gauchisme » est en cela une #trouvaille_géniale qui véhicule en quelques lettres cette idée maîtresse. En France, l’alt-right n’aurait pu rêver mieux que l’intervention récente de la Ministre : l’« islamo-gauchisme » pourrait être en train de corrompre les têtes pensantes de nos Universités ; propos amplifié par le Ministre de l’Éducation Nationale qui le voit “« comme un #fait_social indubitable »[13]. La polémique nationale que cela a suscité est un service rendu inestimable.

      Le billard du chaos

      Le recours du gouvernement à la rhétorique de « islamo-gauchisme » révèle une perte inquiétante de repères. Après trois reprises par trois ministres différents et importants, la dernière étant assumée deux jours plus tard par une intervention à l’Assemblée Nationale puis une autre au JDD, une #stratégie_gouvernementale affleure qui révèle une certaine nervosité. Et si LREM n’était pas au deuxième tour de la présidentielle en 2022 ?

      Les mouvements sociaux de 2018, les gilets jaunes éborgnés, la pandémie qui n’en finit pas de finir, la crise économique sans précédent qui s’annonce, tout cela fait #désordre et n’a pas permis à Emmanuel Macron de développer pleinement son programme. Il y a de quoi s’inquiéter. Comme en 2017, les partis politiques semblent se résoudre à avoir Marine Le Pen au second tour, jeu dangereux étant donné les failles de notre système de vote[14]. Pour passer les deux tours, LREM devra donc éliminer LFI au premier tour, actuellement son opposant le plus structuré hormis le RN, puis battre le RN au deuxième tour. Accréditer l’existence d’un “islamo-gauchisme”, c’est à la fois affaiblir LFI en emboîtant le pas de l’extrême droite et montrer aux électeurs qui seraient tentés par le RN que, dans le domaine de la lutte contre l’islamisme radical, LREM peut tout à fait faire aussi bien, voire mieux, qu’une Marine Le Pen qualifiée de “molle” par Gérald Darmanin[15].

      Ce billard à trois bandes qui relève du “en même temps” est cependant extrêmement dangereux et a toutes les chances de devenir incontrôlable.

      Il n’y a pas de “en même temps” dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées. Une fois les représentations ad-hoc adoptées, l’électeur préférera toujours l’original à la copie et l’anti-système au système. Le vainqueur de 2022 sera celui qui arrivera à contrôler le cadre dans lequel s’effectueront les raisonnements des électeurs, et si ce cadre contient en son centre le terme “islamo-gauchisme”, il est fort à parier que Macron pourra faire ses valises. Pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer.

      Epilogue

      Pour revenir sur la question de l’indépendance des universitaires et des chercheurs qui a donné à cette polémique une couverture nationale, on remarquera qu’il y a là un exemple assez pur du mode opératoire de l’alt-right, que la Ministre, a priori à son insu, a accompagné. Comme le montre Simon Ridley (2020), l’alt-right n’est plus un activisme marginal, exercé sous couvert de la « liberté d’expression », mais un engagement dans des actions criminelles destinées à créer du #chaos et à renverser la réalité[16]. Un mode opératoire récurrent des partisans de l’alt-right est de créer un #ennemi_imaginaire contre lequel ils se positionnent en rempart, espérant ainsi créer la réaction hostile à leur encontre qui justifiera leurs actions, souvent violentes.

      L’alt-right cible de manière privilégiée la #jeunesse et les universités. L’idée qu’il puisse y avoir au sein de l’université des groupes tels que des “islamo-gauchistes” sert précisément à légitimer leur intervention dans ce milieu. On a donc ici un parfait renversement de valeurs : un groupe qui promeut des méthodes malhonnêtes et violentes essaie de faire croire à l’existence d’un pseudo-groupe pour apparaître comme un rempart salutaire.

      https://politoscope.org/2021/02/le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie

    • #Blanquer voit l’"islamo-gauchisme" comme «un fait social indubitable»


      https://twitter.com/BFMTV/status/1363103524020760578

      Blanquer, je transcris ici ses propos:

      « Ce serait absurde de ne pas vouloir étudier un #fait_social. Il faut bien étudier dans ce cas là... si c’est une #illusion... il faut étudier l’illusion, et regarder si ça n’est une. Pour ma part je le vois comme un fait social indubitable, ça se voit par exemple dans les déclarations de certains politiques politiques. Quand vous avez Monsieur Mélanchon qui participe à une manifestation du CCIF où il y avait clairement des islamistes radicaux, Monsieur Mélanchon quand il fait cela tombe dans l’islamogauchisme sans aucun doute. Je veux bien après que des spécialistes de sciences politiques examinent ça, trouvent d’autres mots pour décrire le phénomène, chacun doit voir cela avec sérénité et objectivité »

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque des libertés académiques. Le déni doit cesser, à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux libertés publiques.
      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat, à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du définancement du budget « Vie étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement.

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances,mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « Avenir lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « Principes républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de Marion Maréchal-Le Pen, dont les idées sont reprises par Emmanuel Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » et continuée avec Jean-Michel Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat, à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.
      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « déni de démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental, pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan, et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « nuit noire » d’octobre : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.
      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un délit pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des franchises académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre, lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La protection fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale, c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence Sarkozy et le vote de la loi dite « Libertés et responsabilités des universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la diversion à la saisie du problème de la pauvreté étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un ordre colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante

      #Christelle_Rabier

    • Note de solidarité à l’intention des chercheuses et chercheurs en poste en France

      Nous, chercheurs et chercheuses en poste en Allemagne, suivons avec inquiétude les derniers développements de la polémique en France autour du prétendu « islamo-gauchisme » dans les universités françaises ainsi que les attaques répétées faites aux recherches intersectionnelles et postcoloniales. Nous y voyons un effort ciblé pour réduire au silence certains champs de recherche qui, par leurs résultats scientifiques, remettent en question des privilèges et inégalités structurellement ancrés.

      Ce débat a des effets dévastateurs sur nos collègues dont on essaie de délégitimer le travail. Nous rejetons résolument les insinuations destinées à semer le doute sur leur intégrité scientifique. Nous voyons dans ces reproches un empiètement inacceptable sur la liberté de recherche et de l’enseignement académique. L’évaluation de la qualité académique d’une approche scientifique n’incombe pas aux ministres ou aux parlementaires, c’est une compétence primordiale de la communauté scientifique. Or, tout comme chercheuses et chercheurs font valoir les fruits de leurs recherches sur la scène publique sous forme d’un transfert des connaissances, leur travail régulier consiste également en l’évaluation des travaux de leurs pairs.

      Nous déplorons que cette polémique ait vu certains membres du gouvernement et de la majorité présidentielle apporter leur soutien à des positions et des stratégies rhétoriques jusqu’ici réservées à l’extrême droite. Nous constatons avec inquiétude ces évolutions, qui ouvrent la voie à une profonde remise en question des principes qui sous-tendent jusqu’à présent l’enseignement supérieur et la recherche.

      Le débat dépasse le seul cadre de la sphère académique française : il a une dimension européenne et mondiale. Il touche également aux valeurs communes de la coopération scientifique franco-allemande et internationale. Afin de pouvoir continuer notre travail au-delà des frontières tant disciplinaires que nationales, il est essentiel que nos collègues en France puissent poursuivre leurs recherches sans aucune intervention politique dans le choix de leurs approches théoriques, méthodologiques et empiriques. Notre échange d’idées ne saurait se faire si nos travaux étaient soumis à une conditionnalité politique.

      C’est pourquoi nous exprimons notre solidarité et notre soutien à nos collègues de toutes les disciplines qui refusent de telles tentatives d’intimidation. Nous lançons un appel solennel à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et à toutes les personnalités de l’échiquier politique qui alimentent cette polémique : nous vous demandons instamment de cesser les attaques et de revenir immédiatement à une situation de respect absolu de la liberté académique en France.

      [Nous suivons de très près les développements actuels de ce débat en France. La collecte des signatures est ouverte jusqu’au 25 février inclus. Si nous arrivons à atteindre un nombre significatif de signatures, nous transmettrons cette note aux médias français et allemands le 26 février.]
      * Solidaritätserklärung mit Forschenden in Frankreich *
      Wir, in Deutschland beschäftigte Forschende, verfolgen mit Sorge die andauernde Debatte in Frankreich um angebliche „islamisch-linke“ Strömungen an den französischen Universitäten und die wiederholten Angriffe auf intersektionale und postkoloniale Forschungsrichtungen. Wir sehen darin einen gezielten Versuch, bestimmte Forschungsfelder zum Verstummen zu bringen, welche auf Basis ihrer wissenschaftlichen Erkenntnisse zahlreiche lange bestehende Privilegien und strukturelle Ungleichheiten offenlegen.

      Diese Debatte hat eine verheerende Wirkung auf unsere Kolleg_innen, deren Arbeit man zu delegitimieren versucht. Wir weisen entschieden die Andeutungen zurück, mit denen die wissenschaftliche Integrität unserer Kolleg_innen in Zweifel gezogen werden soll. Die Bewertung der wissenschaftlichen Qualität eines Forschungsansatzes obliegt nicht den Ministerien oder Abgeordneten ; dies ist zuallererst die ureigene Kompetenz der wissenschaftlichen Community. Wenn Forschende die Ergebnisse ihrer Arbeit als Wissenstransfer in die Öffentlichkeit tragen, so ist auch dies ein integraler Bestandteil ihrer üblichen Tätigkeit.

      Wir missbilligen die Art und Weise, wie sich einige Mitglieder der Regierung und der parlamentarischen Regierungsmehrheit in der Debatte an Konzepte und rhetorische Strategien anlehnen, die bisher vor allem der extremen Rechten vorbehalten waren. Diese Entwicklung beunruhigt uns sehr, denn sie bereitet einer Entwicklung den Weg, welche letztendlich die Grundprinzipien unseres Wissenschafts- und Bildungssystem in Frage stellt.

      Die Debatte geht über das akademische Umfeld Frankreichs hinaus, sie hat eine europäische und weltweite Tragweite. Sie berührt auch die gemeinsamen Werte der deutsch-französischen und internationalen wissenschaftlichen Zusammenarbeit. Um unsere Arbeit über nationale wie fachliche Grenzen hinaus fortsetzen zu können, ist es unabdingbar, dass unsere Kolleg_innen in Frankreich ohne jede Einmischung der Politik in die Wahl ihrer theoretischen, methodischen oder empirischen Zugänge forschen können. Unser Ideenaustausch wäre erheblich gestört, wenn ihre Arbeit künftig einem politischen Vorbehalt unterläge.

      Unsere Solidarität und Unterstützung gilt deshalb allen Kolleg_innen in den Geistes-, Sozial- und Naturwissenschaften, welche derartige Einschüchterungsversuche ablehnen. Wir richten uns daher an die französische Wissenschaftsministerin sowie an alle anderen Personen des politischen Lebens, die sich hieran beteiligen : Wir fordern Sie mit Nachdruck dazu auf, diese Angriffe zu unterlassen und fortan die akademische Freiheit in Frankreich wieder vollumfänglich zu gewährleisten und zu respektieren.

      [Eine Zusammenfassung der Hintergründe zu dieser Thematik auf Deutsch finden Sie hier : https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

      Wir verfolgen weiterhin aufmerksam den Fortgang der Debatte in Frankreich. Die Liste zur Mitunterzeichnung ist offen bis zum 25. Februar. Kommt eine signifikante Anzahl von Unterschriften zustande, übermitteln wir die Erklärung am 26. Februar den französischen und deutschen Medien zur Veröffentlichung.]
      * Appel initié par / Initiiert von *
      Dr. Philipp Krämer, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Naomi Truan, Universität Leipzig
      * Signataires / Unterzeichnende *
      Merci d’indiquer votre nom complet, votre institution, et, si vous souhaitez être tenu·e informé·e, votre adresse email institutionnelle. Si vous avez des changements urgents à proposer, merci de nous les communiquer par e-mail jusqu’au 25 février au plus tard (voir adresses ci-dessus).

      Bitte vollständigen Namen und Institution angeben, sowie Ihre Mailadresse, falls Sie über den Stand der Dinge informiert werden möchten. Bei dringenden Formulierungsvorschlägen bitten wir bis spätestens 25. Februar um eine persönliche Nachricht per E-Mail (s. oben).

      Dipl. Frank.-Wiss. Magdalena von Sicard, Universität zu Köln
      Dr. Vladimir Bogoeski, University of Amsterdam / Centre Marc Bloch
      Dennis Dressel, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Aleksandra Salamurovic, Friedrich-Schiller-Universität Jena
      Ignacio Satti, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Florian Busch, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg
      Dr. Benjamin Krämer, Ludwig-Maximilians-Universität München
      Edgar Baumgärtner, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Oliver Niels Völkel, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Dorothea Horst, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Katharina Jobst, M.A., Paris Sorbonne Université
      Dr. Marie-Therese Mäder, Universität Bremen
      Lisa Brunke, M.A., Martin-Luther Universität Halle-Wittenberg
      Prof. Dr. Theresa Heyd, Universität Greifswald
      Elena Tüting, M.A., Universität Bremen
      Christoph T. Burmeister, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin
      Dr. Marie Leroy, Goethe Universität Frankfurt
      Dr. Silva Ladewig, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Hagen Steinhauer, M.A., Universität Bremen
      Prof. Dr. Jürgen Erfurt, Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Prof. Dr. Britta Schneider, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Andreas Frings, Johannes Gutenberg-Universität Mainz
      Anka Steffen, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Prof. Dr. Sylvie Roelly, Universität Potsdam
      Kira van Bentum, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Baptiste Gault, Max-Planck Institut für Eisenforschung, Düsseldorf
      PD Dr. Benoit Merle, Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg
      Lucie Lamy, M.A., Centre Marc Bloch / Université de Paris
      Annette Hilscher, M.A., Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Dr. Giulio Mattioli, Technische Universität Dortmund
      Yasmin Afshar Fernandes Abdollahyan, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin / Centre Marc Bloch
      Martin Konvička, M.A., Freie Universität Berlin
      Laura Bonn, M.A., Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg
      Dr. habil. Béatrice von Hirschhausen, ULR Géographie-cités / Centre Marc Bloch
      Dr. Eva Schöck-Quinteros, Universität Bremen
      Mariia Mykhalonok, M.A., Europa-Universität Viadrina Frankfurt (Oder)
      Christopher Smith Ochoa, M.A., Universität Duisburg-Essen
      Dr. Zoé Kergomard, Deutsches Historisches Institut Paris
      Dr. habil. Nikola Tietze, WiKu Hamburg / Centre Marc Bloch
      PD Dr. Silke Horstkotte, Universität Leipzig
      Dr. Thomas Stockinger, G. W. Leibniz Bibliothek Hannover / Leibniz-Archiv
      Dr. Felix Hoffmann, TU Chemnitz
      Maximilian Frankowsky, M.A., Universität Leipzig
      Enora Palaric, M.A., Hertie School
      Amelie Harbisch, M.A, Freie Universität Berlin
      Dr. Johara Berriane, Centre Marc Bloch Berlin
      Prof. Dr. Andrea Geier, Universität Trier
      Dr. Andreas Bischof, TU Chemnitz
      Prof. Dr. Sabine Broeck, Universität Bremen
      Cristina Samper, M.A., Hertie School
      Patrick Bormann, M.A., Universität Bonn

      https://academia.hypotheses.org/31322
      #solidarité #solidarité_internationale

    • Frédérique Vidal. Frankreichs Ministerin für Hochschule und Forschung stürzt sich in ideologische Grabenkämpfe.

      „Islamo-Gauchisme“, Islamo-Linke - wer diesen Begriff verwendet, kann sich sicher sein, in Frankreich viel Aufmerksamkeit zu bekommen. Und so geht es nun auch der Ministerin für Hochschule und Forschung, Frédérique Vidal. Vergangene Woche sprach sie zunächst in einem Fernsehinterview davon, dass der „Islamo-Gauchisme“ die „Gesellschaft vergifte“ und damit auch die Universitäten. Vor der Nationalversammlung legte die Ministerin dann nach: Sie forderte eine Untersuchung, um zu klären, inwieweit der „Islamo-Gauchisme“ dazu führe, dass bestimmte Recherchen verhindert würden. Zudem solle untersucht werden, wo an den Universitäten „Meinungen und Aktivismus“ statt Wissenschaft gepflegt würden. Sie nannte auch direkt ein Forschungsfeld, dass ihr besonders untersuchungswürdig erschien - postkoloniale Studien.

      Mit ihrem Vorschlag hat Vidal nun große Teile derjenigen gegen sich aufgebracht, die sie als Hochschulministerin vertritt. 600 Forscher und Professoren, darunter auch der Ökonom Thomas Piketty, veröffentlichten am Freitag einen offenen Brief, in dem sie Vidals Rücktritt fordern. Vidal handele so wie „das Ungarn Orbáns, das Brasilien Bolsonaros oder das Polen Dudas“, also wie eine nationalistische Populistin. Sie greife diejenigen Institute an, in denen zu rassistischer Diskriminierung, zu Gender und zu den Folgen des Kolonialismus geforscht werde. Kritik an Vidal kam dabei nicht nur von Linken. Auch die französische Hochschulrektorenkonferenz sagte, sie sei „verblüfft“ über Vidals Idee. Das nationale Forschungsinstitut CNRS stellte klar, dass „Islamo-Gauchisme“ kein wissenschaftlicher Begriff sei und warnte davor, die Freiheit der Wissenschaft einzuschränken.

      Tatsächlich distanziert sich auch der Schöpfer des Begriffes, der Soziologe Pierre-André Taguieff, von seiner eigenen Wortfindung. Er habe 2002 mit „Islamo-Gauchisme“ eine Allianz zwischen einigen Linksextremen und muslimischen Fundamentalisten beschreiben wollen, durch die ein neuer Antisemitismus entstand. Seitdem hat sich das Wort zum Lieblingskampfbegriff der Rechten entwickelt, die Linken vorwirft, sich nur für die Diskriminierung von Muslimen zu interessieren, nicht jedoch für islamistischen Terror.

      Sonderlich präzise ist der Begriff des „Islamo-Gauchisme“ dabei nicht. Allein schon, weil er keine klare Grenze zwischen Muslimen und Islamisten zieht. In die Rhetorik der Regierung hat er dennoch Einzug gehalten. Vor Vidal verwendeten ihn bereits der Bildungs- und auch der Innenminister. Gerade Innenminister Gérald Darmanin gibt in Emmanuel Macrons Regierung die rechtskonservative Gallionsfigur. Die Angst vorm links-islamistischen Schulterschluss treibt vor allen Dingen konservative und rechte Wähler um. Laut einer aktuellen Ifop-Umfrage halten mehr als 70 Prozent der Le-Pen-Sympathisanten den „Islamo-Gauchisme“ für eine in Frankreich weit verbreitete Denkrichtung.

      Vidal reagiert auf die Kritik an ihren Äußerungen gelassen. In Interviews am Sonntag und Montag betonte sie jeweils zum einen, dass die „aktuelle Polemik“ den Blick auf die wirklichen Probleme, also auf die Not der Studenten in Corona-Zeiten, versperre. Zum anderen hielt sie daran fest, dass eine „Bestandsaufnahme“ zu linkem Aktivismus an den Universitäten nötig sei. Die 56-Jährige sieht sich dabei als Wissenschaftlerin, die „Rationalität zurückbringt“. Bevor Macron sie 2017 zur Wissenschaftsministerin machte, war die Biochemikerin Vidal Präsidentin der Universität von Nizza.

      Auch jenseits ideologischer Kämpfe stecken Frankreichs Universitäten in der Sinnkrise. Das Geburtsland des Impfpioniers Louis Pasteur hat bislang keinen Corona-Impfstoff entwickeln können. Wissenschaftler machen dafür auch die schlechte finanzielle Ausstattung der Labore verantwortlich. Diese Arbeitsbedingungen kennt Vidal gut. Vor ihrer Doktorarbeit forschte sie am Institut Pasteur.

      https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

    • La ministre, la science et l’idéologie

      En demandant au CNRS une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’université, ce sont les sciences sociales que vise Frédérique Vidal, sous prétexte qu’elles seraient gangrénées par des idéologies. Mais faut-il rappeler qu’il y a des sciences sociales parce qu’il y a des idéologies ? Et que, si les sciences sociales ne se réduisent pas à un écho des idéologies, elles n’auraient à vrai dire aucun sens si elle ne se rapportaient pas à elles. En effet, il y a des sciences sociales parce qu’il y a des problèmes sociaux, et que ceux-ci sont traversés par des positionnements idéologiques.

      https://aoc.media/analyse/2021/02/23/la-ministre-la-science-et-lideologie

      #paywall

    • « Islamo-gauchisme, le jeu dangereux de la macronie ». #André_Gunthert, sur Le Média, 23 février 2021

      Ça y est. La Macronie s’en va-t-en-guerre. Elle a décidé de lancer la bataille contre un concept à la fois fumeux et ambigu, l’islamogauchisme. Une bataille qui se mène sur un front particulier : nos universités publiques, qui seraient (et je caricature à peine) des foyers de sédition voués aux idées de Mao Tsé Toung et de l’ayatollah Khomeini. Mais au fait, c’est quoi ce mot, “islamogauchisme” ? D’où provient-il ? Pourquoi Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, prend le risque d’une confrontation avec le monde universitaire en le dégainant, et en annonçant une sorte d’audit idéologique des amphithéâtres ?

      Pour répondre à ces questions, j’ai invité André Gunthert, historien des cultures visuelles, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. André Gunthert a publié il y a peu sur son site imagesociale.fr, un article très instructif dont le titre est “Islamogauchisme : un épouvantail en retard d’une crise”.

      https://www.youtube.com/watch?v=kqakmGVZEFM&feature=emb_logo

      https://academia.hypotheses.org/31324

    • Macron et la bête immonde

      Le #macronisme porte en lui la #guerre. Après la guerre aux Gilets jaunes réprimés dans une violence inouïe, après celle conduite contre nos libertés fondamentales avec la loi « sécurité globale », après la loi « séparatisme » qui légalise la guerre contre les musulmans et les minorités, Macron entend conduire à son terme la guerre contre l’Université et la chimère de l’islamo-gauchisme.

      "Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ?"

      "Pourquoi la guerre ?" Lettre d’Albert Einstein à Sigmund Freud, le 30 juillet 1932

      L’entretien donné par Frédérique Vidal ce 20 février au Journal du Dimanche aura eu au moins deux vertus. En persistant dans sa #stigmatisation des universitaires et en maintenant sa demande d’enquête sur « l’islamo-gauchisme », la ministre aura élevé au carré l’indignation des chercheurs et renforcé leur unité : en trois jours à peine, la tribune du Monde demandant sa démission a recueilli 18 000 signatures (https://www.wesign.it/fr/science/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder) de personnels de l’université et de la recherche. Voir ici (https://universiteouverte.org/2021/02/22/la-ministre-vidal-doit-demissionner-plus-de-13-000-universitaires) le communiqué d’Université Ouverte et là (https://www.snesup.fr/article/frederique-vidal-doit-etre-remplacee-lenseignement-superieur-et-la-recherche-) la demande de démission d’un syndicat, parmi bien d’autres. Il est exceptionnel qu’une pétition dans le secteur de l’enseignement supérieur atteigne autant de signatures – 18 000 signatures correspond à 20 % des enseignants du supérieur. À titre de comparaison le « #Manifeste_des_100 » réactionnaires et laïcistes de la gauche égarée qui soutenaient Blanquer à l’automne dernier, apparait, avec ses 258 signataires, tout aussi inconsistant et marginal que le phénomène incriminé par Vidal, à savoir « l’islamo-gauchisme » à l’université. Dans son entretien au JDD, Vidal, après l’avoir fait descendre très bas, souhaite qu’on « relève le débat ». Elle voulait probablement dire « élever le débat ». Ce sont les universitaires qui souhaitent aujourd’hui que l’on « relève » la ministre de ses fonctions.

      La seconde vertu de l’entretien au JDD est d’asseoir une lecture politique de la séquence qui laisse peu de place à l’hypothèse de la #maladresse d’une ministre fatiguée et très impopulaire, qui ne saurait plus quoi faire pour masquer son #incurie et son #incompétence dans la gestion de la crise sanitaire à l’université. Il apparaît en effet que nous avons affaire à la construction délibérée d’une #séquence_politique dans laquelle Vidal est une pièce maîtresse dans un dispositif étroitement associé à la construction de la loi sur « les séparatismes » et à la loi « sécurité globale » (voir ici la très bonne analyse de Christelle Rabier : https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante). Il convient de raisonner en terme de #cohérence systémique et idéologique, et non selon le registre de la #pulsion ou de l’#improvisation. La séquence commence le 22 octobre avec la sortie de #Blanquer contre les universitaires islamo-gauchistes accusés de « #complicité_intellectuelle avec le #terrorisme » (ici chaque mot compte), accusation à laquelle Vidal répondra très mollement dans L’Opinion le 26 octobre (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). La séquence se poursuit le 1er novembre avec le #Manifeste_des_100, co-produit par le cercle de « #Vigilance_Universités » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) dont la majorité des publications est également accueillie dans le journal libéral et pro-business de L’Opinion. Et nous assistons aujourd’hui au troisième acte avec l’attaque de Vidal contre l’institution qu’elle est censée représenter. Le quatrième acte sera probablement l’appui des réactionnaires/laïcistes à la demande d’enquête de Vidal. Et le cinquième la réalisation de l’enquête en question, même si on ne connaît pas encore l’instance qui trouvera les quelques volontaires pour la conduire.

      Les avantages de la séquence ont été soulignés à mainte reprises : le coup de politique politicienne vise à racoler toujours plus loin sur les terres du RN, à attaquer la gauche et à la diviser davantage – il n’est pas anodin que Vidal s’en soit prise nommément à Mélenchon – et à faire oublier l’état calamiteux dans lequel Vidal a mis l’université et la recherche, les personnels et les étudiant.es. Les conséquences, calamiteuses au plan éthique et politique, sont principalement les suivantes : la création d’une #polémique qui cherche à faire oublier que des étudiant.es se suicident ou meurent de faim ; la #validation, la #banalisation et le renforcement des thèses du RN ; la #légitimation du concept d’islamo-gauchisme auprès de l’opinion publique alors qu’il est une construction de l’extrême droite ; la porte ouverte à l’alt-right, dont l’un des schèmes de la pensée est que l’université serait un ramassis de gauchistes, ainsi que le rappelle justement David Chavalarias dans son étude (https://politoscope.org/2021/02/islamogauchisme-le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie). Tout ceci est entendu, mais nous ne pouvons en rester à cette seule analyse. Car les armes utilisées par les néolibéraux pour faire la guerre aux biens communs, aux services publics, aux libertés fondamentales et à toutes les minorités, ces armes sont celles-là mêmes que les régimes les plus autoritaires utilisent systématiquement. On peut au moins commencer à le montrer.

      *

      Reprenons ! Le passage de la ministre sur CNews, le choix de cette chaine ainsi que l’adéquation des propos de Vidal à sa ligne éditoriale et idéologique qui est celle de l’extrême droite raciste et nationaliste, renforcent la lecture d’une #stratégie_politique élaborée en amont, nécessairement en lien avec le sommet de l’Etat, avec l’accord de #Macron et #Castex. Dès lors, la critique de Macron rapportée par Gabriel Attal doit être comprise comme une nouvelle tartuferie d’un pouvoir qui nous a habitués à toutes les comédies du « #en_même_temps », avec son lot de #mensonges, son #hypocrisie permanente et son #cynisme consommé. On trouvera une preuve évidente de la tartuferie de Macron dans le fait que dès le 2 octobre 2020, soit 20 jours avant la sortie de Blanquer, le président, lors de son discours des Mureaux sur le « #séparatisme_islamiste », a porté la charge contre les #intellectuels qui « sont hors de la République », contre certaines « #traditions_universitaires » et des « théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». Des théories que Vidal, dans un #confusionnisme digne des complotistes les plus dérangés, n’hésitera pas à mettre en rapport avec la prise du Capitole et le drapeau des Confédérés… En d’autres temps, la séquence aurait pu provoquer le rire, tant la farce politique semble énorme, tant la bêtise est confondante. Mais, de la bêtise à la bête, il n’y a souvent qu’un pas. Car, si une analogie pouvait avoir du sens, il me semble que nous assistons à la pièce que #Brecht écrivit en 1941, La résistible Ascension d’Arturo Ui, dont l’épilogue est bien connu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la #bête_immonde ». Je laisse chacune et chacun imaginer ce à quoi pourrait bien correspondre, aujourd’hui, le trust des choux-fleurs. Et retrouver qui fit l’éloge de Pétain en 2018. Sans mémoire et sans éthique, un homme politique porte en lui un #monstre.

      « La bête immonde » est donc à l’œuvre. Elle use de trois moyens, parmi bien d’autres : elle fait exister une chose qui n’a aucune réalité, elle crée des #boucs_émissaires et elle programme de les éradiquer de la société. Les deux premières étapes ont été méthodiquement appliquées. Si nous n’y prenons garde, la troisième pourrait être mise en œuvre rapidement. Elle a peut-être déjà commencé.

      Il en va du « séparatisme » comme de « l’islamo-gauchisme » : l’incrimination de « séparatisme » crée le « séparatisme », l’incrimination d’« islamo-gauchisme » crée « l’islamo-gauchisme » . En effet, il arrive que dans certains états autoritaires les lois fassent exister des choses qui n’existent pas, simplement en les nommant. En #Turquie on accuse des chercheur.e.s de terrorisme pour la conduite d’une enquête sociologique. C’est ce qui est arrivé à Pinar Selek. En France les propos et la communication de Blanquer, Vidal, Darmanin et Macron font exister l’islamo-gauchisme par le simple fait d’utiliser, de propager et de banaliser le concept : le donner en pâture aux médias qui s’en repaissent et à une opinion publique fragilisée en temps de pandémie, suffit à faire exister une chose qui n’a pourtant aucune réalité effective. C’est une #politique_du_performatif : je fais exister la chose en la nommant. La vérité et la force du concept seront proportionnels à sa #viduité, c’est-à-dire à son aptitude à être rempli par de l’impensé, du fantasmatique et de l’idéologie. Vidal elle-même concède dans le JDD que le concept n’a aucun fondement scientifique et correspond à « un #ressenti de nos concitoyens ». Une enquête sur un ressenti : Vidal ou l’art du #vide. Mais une stratégie qui marche à plein.

      Car l’invention du concept est pleine de sens. L’idéologie qui la sous-tend est toute entière dans la relation entre les deux concepts : elle est dans le tiret entre #islamisme et #gauchisme, l’association de la #gauche à l’#islam_politique et, par glissement, de la gauche au #terrorisme_islamiste. Et encore, pour finir, elle produit cette double équation : gauche = islamisme = terrorisme. Le #monstre_idéologique créé par Macron, Vidal and Co est le suivant : les universitaires sont des gauchistes, des islamistes et des terroristes. L’opinion a désormais ses boucs émissaires, désignés, dénoncés et bientôt nommés : les musulmans, les gauchistes et les universitaires. L’association des universitaires aux seconds et premiers construit un #schème_imaginaire de la #radicalisation et du danger. Ce n’est plus seulement de l’#anti-intellectualisme primaire, ce qui devrait en soi faire honte à une ministre le l’enseignement supérieur, mais une véritable #incitation_à_la_haine.

      Il sera donc non seulement légitime, mais urgent – troisième étape - de couper le membre gangréné que les « islamo-gauchistes » constituent au sein de l’université et qui risque de pourrir, tout comme l’islam menace de gangréner la totalité du corps social. Ce schème est au-delà de la droite extrême : il est proprement fasciste. Macron, qui souhaite "décapiter" Al-Qaïda au Sahel, met dans son langage la pratique des terroristes. On a souligné que l’incrimination d’islamo-gauchiste fonctionnait sur le modèle sémantique et historique de l’incrimination de #judéo-bolchévique. L’« islamo-gauchiste » ne devient-il pas le juif de l’université, le juif des années 30 ?

      Une dernière question : quel sens y a-t-il à ce que les musulmans et les universitaires « gauchistes » soient si étroitement associés ? Question sans réponse. Mais question essentielle. Il nous faudra y répondre avant que ce pouvoir sans nom ne passe vraiment à la troisième étape. Nous n’en sommes pas loin, si l’on veut bien considérer tout l’arsenal législatif que Macron et sa majorité mettent au service de la bête immonde, de "la bête qui monte, qui monte", et de la bête qui est déjà là, en eux.

      Un épilogue, en manière d’hommage à celles et ceux qui se sont battus et se battent encore, et se battront demain, sans fin. Les Gilets jaunes ont parfaitement saisi la nature du pouvoir politique auquel ils se confrontaient : la dimension militaire de la répression policière leur a permis de comprendre dans leur chair ce qu’il en était de la #violence pure de ce pouvoir. Ils l’ont exprimé dans une chanson qui a la force des chants populaires et révolutionnaires : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi ». Les universitaires sont en train de comprendre la vraie nature du pouvoir qui les opprime, qui tente de les diviser, et qui les affaiblit un peu plus chaque jour en détruisant leur outil de travail, leurs libertés et leur dignité. Macron devrait y prendre garde : quand on touche à la #dignité et à la #liberté d’une communauté, elle résiste. La #résistance est en route.

      #Pascal_Maillard

      L’expression « Nous sommes la bête qui monte, qui monte… » est de Jean-Marie Le Pen, le 3 mars 1984, à quelques mois des élections européennes.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/230221/macron-et-la-bete-immonde
      #fascisme

    • TEMOS et les libertés académiques
      Texte approuvé par l’assemblée générale des membres de l’UMR réunie le 23 février 2021

      TEMOS UMR CNRS 9016 – 23 février 2021
      Réponse à Mme Vidal, pour la défense des libertés académiques à l’Université

      Les propos de Mme Vidal, ministre de l’ESR, tenus le 14 février 2021 et réitérés le 21 février, mettent en cause « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène » l’université. La ministre entend diligenter une enquête sur cette question, qui serait conduite par le CNRS, chargé de produire un « bilan » des recherches menées dans les universités afin d’établir « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Pour rappel, ces déclarations font suite à des propos similaires de M. Blanquer, ministre de l’EN, le 25 octobre 2020, qui, à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty, dénonçait les « complicités intellectuelles » de certain·es chercheur·es universitaires qu’il désignait comme des « islamo-gauchistes ».
      Des déclarations qui vont à l’encontre de la méthode scientifique

      Il convient tout d’abord d’affirmer que, comme le souligne le CNRS dans un communiqué daté du 17 février 2021, le terme d’islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique », mais relève d’une instrumentalisation politique. Il ne renvoie à aucun groupe précisément identifié qui le revendique, à aucune forme d’action collective en son nom, à aucun corps de doctrine clairement formulé comme tel qui pourraient être observés et analysés par les scientifiques. Aucune enquête sociologique, aucune observation empiriquement fondée ne permet de prétendre qu’il existe à l’Université un tel courant de pensée, à supposer que ce courant puisse être défini précisément. Le terme, mot-valise aux contours volontairement flous, n’a pour fonction que de fédérer ceux qui l’utilisent, en particulier dans les rangs de l’extrême droite. Y sont amalgamées pêle-mêle, les études postcoloniales, intersectionnelles, sur le genre et jusqu’à l’écriture inclusive… Ainsi, les prémices de la pensée de Mme Vidal relèvent tout simplement d’une contre-vérité, notamment mobilisée par des mouvements se donnant pour mission de répertorier et combattre les champs d’études précités.
      Des actes qui remettent en cause les libertés académiques

      Derrière les mots, Mme Vidal entend poser un certain nombre d’actes, dont la conduite d’une enquête sur ce supposé phénomène, présenté comme une menace pour la liberté des chercheur·es. Cette enquête aurait pour objectif d’ausculter les recherches universitaires, principalement en sciences sociales, selon leur accointance présumée avec les mouvements islamistes. Au-delà du caractère ubuesque d’une telle recherche voulue « rationnelle et scientifique » par la ministre bien que portant sur un objet dont elle reconnaît elle-même qu’il « n’a pas de définition scientifique », il apparaît, en première analyse, que ces investigations commanditées par le gouvernement remettent en cause le principe d’indépendance de la science et les libertés académiques, institutionnalisées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC). À cet égard, la CPU a condamné dans un communiqué du 16 février 2021 une « instrumentalisation du CNRS », dont la vocation n’est pas d’enquêter sur l’université, et encore moins « d’éclaircir ce qui relève ‘du militantisme ou de l’opinion’ ». En prétendant, habilement, garantir les libertés académiques, Mme Vidal les bafoue, au mépris de la loi constitutionnelle, et laisse présager des représailles contre une partie de la communauté scientifique (à quoi bon enquêter sur ce fléau, sinon ?).
      Une récupération politique contre un projet émancipateur

      En dehors de l’effet d’aubaine politique attribuable à l’actuel gouvernement qui voit venir de nouvelles échéances électorales, ces attaques s’inscrivent dans une généalogie des ingérences politiques à l’égard de l’Université en général et des sciences sociales en particulier. Ces propos relèvent d’une forme de panique morale, argutie contrefactuelle livrant à la vindicte de l’opinion publique des universitaires diabolisé·es, dans un contexte d’angoisse au sujet de la cohésion nationale. Elle est le fait d’entrepreneurs de morale dont le dessein politique discerne un danger dans le projet émancipateur des sciences sociales. En effet, ces dernières, à travers l’épistémologie « intersectionnelle » notamment, cherchent à agencer les concepts de classe, de genre et de race dans l’étude des fondements des inégalités. Leur ambition politique, en tant que savoirs situés, est de contribuer à la réduction des inégalités et des injustices qui traversent nos sociétés. Là où leurs pourfendeurs les accusent de faire le lit des « séparatismes », les sciences sociales entendent justement réfléchir à la construction des hiérarchies sociales qui justifient les discriminations, conduisant précisément à la mise à l’écart de certain·es citoyen·nes hors de la communauté politique.
      C’est en pratiquant une histoire sociale qui cherche à définir les inégalités que des membres de l’UMR TEMOS se sont trouvé·es confronté·es à des attaques, stigmatisé·es pour leurs recherches et ce qu’ils/elles sont. En novembre 2020, un colloque en ligne sur les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes a été piraté et interrompu par des cyberharceleurs néo-nazis. En février 2021, une enseignante-chercheuse, #Nahema_Hanafi, a été accusée par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » de faire « l’éloge de la cybercriminalité » pour avoir analysé les motivations énoncées par les cyber-escrocs ivoiriens, puis nommément exposée sur des sites d’extrême-droite. Les entraves, intimidations et instrumentalisations de ce type se sont multipliées ces dernières années. Les auteur·es de ces attaques sont justement ceux/celles qui se plaignent d’être soi-disant empêché·es dans leurs recherches par une prétendue mainmise des « islamo-gauchistes » sur l’Université. Mme Vidal, dont la fonction est précisément de protéger la communauté universitaire de ces ingérences extrémistes, prend le parti des agresseurs.

      En cela, il nous apparaît non seulement nécessaire de défendre le principe épistémologique d’indépendance de la science à l’égard des pouvoirs politiques, économiques ou religieux, condition d’une pratique scientifique objective, mais aussi de justifier le rôle politique de la science de participer à l’avènement d’un monde à la fois plus lucide et, de ce fait, plus juste.

      https://temos.cnrs.fr/actualite/temos-et-les-libertes-academiques

    • Islamo-gauchisme : une étude du CNRS pointe un « piège » pour le gouvernement

      Après les déclarations de Frédérique Vidal, une enquête du CNRS montre comment l’exécutif a offert une “exposition inespérée” à un néologisme promu par l’extrême droite.

      Aussi préoccupée par cette question que demandeuse d’une enquête en la matière, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal devrait lire avec attention cette étude produite par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur l’emploi de l’expression “islamo-gauchisme”. Elle y constaterait, éléments objectifs à l’appui, qu’en réclamant un “bilan” sur “l’islamo-gauchisme” à l’université, elle a surtout contribué à populariser un néologisme, surtout utilisé sur Internet comme un “instrument de lutte idéologique” par l’extrême droite.

      Côté méthode, cette étude menée par le Politoscope du CNRS et rendue publique ce dimanche 21 février, a utilisé un outil permettant d’analyser “plus de 290 millions de messages à connotation politique émis depuis 2016 entre plus de 11 millions de comptes Twitter”. Un système permettant de cartographier avec précision les tweets mentionnant cette expression et d’étudier les communautés militantes qui l’utilisent, et de quelle façon.
      Surreprésentation de l’extrême droite

      “Le premier constat que l’on peut faire est que les comptes qui se sont le plus impliqués dans la promotion d’‘islamo-gauchisme’ depuis 2016 sont tous idéologiquement d’extrême droite. Le second constat est qu’il y a une forte majorité de comptes suspendus”, note David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’étude. Autre point soulevé par l’article, le caractère marginal de cette expression qui, entre le 1er août 2017 et le 30 décembre 2020, n’a concerné que 0,26% du total des comptes Twitter analysés.

      Au-delà des débats sur l’origine du terme et sur sa réalité scientifique, l’étude démontre que l’expression “islamo-gauchiste” est essentiellement utilisée pour dénigrer et/ou disqualifier un adversaire. Le néologisme est ainsi “employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à ‘islamo-gauchisme’ sont celles de traître, d’ennemi de la République, d’immoralité, de honte, de corruption ainsi que de menace, d’insécurité, de danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’islamisme radical”, énumère David Chavalarias.

      Un phénomène que l’on peut mettre en parallèle avec d’autres méthodes de disqualification prisées sur Twitter, comme celles d’affubler son adversaire politique d’un patronyme oriental pour souligner sa compromission avec l’islamisme.

      “Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un danger imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire”, poursuit le chercheur, soulignant que la communauté politique la plus ciblée à travers ce terme est la France insoumise ainsi que celle de Benoît Hamon et de ses sympathisants.
      Une “exposition inespérée”

      L’étude souligne également que la multiplication des mentions du terme “islamo-gauchisme” sur le réseau social est fortement liée à une pratique bien connue de ceux qui suivent le militantisme en ligne : l’astroturfing. Une méthode prisée par l’extrême droite consistant à multiplier les comptes bidon dans le but d’accroître la visibilité d’une thématique ou d’une fake news.

      “Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur ‘l’islamo-gauchisme’ est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants”, souligne l’étude.

      Pour résumer, nous avons affaire à un terme qui est massivement utilisé comme un outil de dénigrement, dont la visibilité a été artificiellement augmentée sur Twitter et qui était jusqu’il y a peu un anathème marginal prisé par l’extrême droite. Or, cela n’a pas empêché le néologisme de se retrouver cité à trois reprises en moins de six mois par un ministre du gouvernement Castex.

      Et c’est en s’appropriant ce vocabulaire que le gouvernement est tombé dans un piège, selon l’étude. Car en l’adoptant et en focalisant l’attention sur le danger “islamo-gauchiste” qui guetterait les universités, le gouvernement a offert à ce terme polarisateur une “exposition inespérée”.

      Pour schématiser l’effet des polémiques sur la masse des messages étudiés, les chercheurs utilisent l’image de “la mer”, décrit comme un “ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques”. Résultat : “les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant ‘islamo-gauchisme’ est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020”.

      Cette explosion de la visibilité de ce néologisme s’apparente à un jeu “extrêmement dangereux” pour le chercheur, dans la mesure où cette “mer” de comptes s’intéressant au débat public est dorénavant “amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême droite”. D’autant que la France n’est pas un cas isolé concernant l’entrisme des concepts extrêmes dans le corps social, à l’image du travail de longue haleine abattue par l’alt-right américaine et dont la réalisation la plus emblématique à ce jour s’est concrétisée par l’invasion du Capitole.

      “Il n’y a pas de ‘en même temps’ dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées”, conclut l’étude. Avant de prévenir un gouvernement qui se perçoit comme un rempart contre l’extrême droite : “pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer”.

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/une-etude-du-cnrs-sur-lexpression-islamo-gauchisme-pointe-le-piege-qu

    • Derrière « l’islamo-gauchisme » : les semaines à venir sont celles de tous les dangers

      Don’t feed the troll. Depuis des mois, des collègues bien intentionné·es et un brin condescendant·es soutiennent qu’il ne faut pas faire de publicité aux attaques en « islamo-gauchisme », en « militantisme » et autres « dérives idéologiques » qui fleurissent de toutes parts. « Ne tombez pas dans le piège de députés en mal de notoriété », « ne venez pas perturber avec vos histoires la sérénité de l’examen par le Conseil constitutionnel de la loi de programmation de la recherche », « ne déposez pas de plainte en diffamation », « ne jouez pas à vous faire peur » : il faudrait que, du côté de la rédaction d’Academia, l’on recense tous les bons conseils qu’ont bien voulu prodiguer des collègues, des chef·fes d’établissement et des parlementaires.

      Jusqu’il y a peu, certain·es semblaient même croire que cette stratégie de l’autruche pouvait être tenable. Ils et elles y croient peut-être encore, d’ailleurs, quand on voit à quel point, depuis quelques jours, la ministre Vidal sert de paratonnerre facile à la CPU et au CNRS, alors même que c’est le président de la République, ses principaux ministres, la quasi-intégralité de la droite parlementaire et une bonne partie des député·es de la majorité qui sont désormais convaincu·es que des militant·es grimé·es en scientifiques dévoient le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en « cassant la République en deux ». Nous sommes malheureusement déjà entré·es dans l’étape d’après, désormais, celle dont nous décrivions le processus il y a trois mois à partir de l’expérience de la dissolution du CCIF : ce qui est en jeu ces jours-ci, en effet, ce n’est plus le fait de savoir si des « dérives idéologiques » traversent l’ESR car cela, les principaux titulaires du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif en sont désormais convaincus. La seule chose sur laquelle on hésite encore au sommet de l’État, c’est sur la manière de mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, les conséquences à tirer de cette nouvelle conviction partagée.

      Formaliser la défense de « l’université républicaine »

      Dans les couloirs du parlement et dans certains cabinets ministériels, en effet, d’âpres discussions sont en cours pour trouver les « bons » moyens de sauver « l’#universalisme_républicain » dans les universités. C’est à cet aune qu’il faut comprendre les dernières sorties de la ministre : ce qui est notable dans l’intervention de Frédérique Vidal sur CNews, ce n’est pas tant le fait qu’elle légitime de manière abjecte les attaques en « islamogauchisme » que le fait qu’elle ressente le besoin de défendre publiquement un traitement des « dérives idéologiques » dans l’ESR qui soit interne, c’est-à-dire qui se fasse par les instances de l’ESR elles-mêmes. Dans son passage sur CNews, autrement dit, Vidal ne s’adresse pas aux Français·es, ni à la communauté universitaire ; elle sait mieux que quiconque quelles sont les discussions en cours et cherche à peser sur les parlementaires et sur le gouvernement, pour imposer ce qui lui semble être le meilleur compromis entre la prétendue nécessité de sauver l’université des communautarismes et des militantismes qui l’assailliraient, d’une part, et l’obligation de respecter les libertés académiques, d’autre part.

      C’est pour cette raison que nous sommes déjà « à l’étape d’après » : les débats en cours, au sein des pouvoirs exécutif et législatif, ne sont plus désormais que des débats d’ingénierie juridique et administrative. Des débats de forme, autrement dit, car sur le fond, il existe, d’ores et déjà, un accord général sur le fait qu’il faut agir. Il faut agir, pensent-ils ou pensent-elles, car il faut apporter une réponse à « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique », pour reprendre la formule employée dans un récent communiqué de l’association Qualité de la science française (QSF) qui est particulièrement représentatif de ce qui est devenu, au sein des cercles du pouvoir en France, la représentation très majoritaire des deux plaies qui submergeraient l’ESR, à savoir la censure et, « plus largement », le militantisme.

      Or, si la ministre a jugé utile de défendre publiquement, ces jours-ci, « sa » solution contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR, c’est parce qu’elle sait que les discussions à ce propos sont en train de s’emballer. Le moment est charnière, en effet : nous sommes au tout début de l’examen, par le Sénat, du projet de loi confortant le respect des principes de la République – actuellement en commission, puis, à partir de la fin mars, en hémicycle – et la droite, qui y est majoritaire, est tentée d’introduire dans ce texte des dispositions sur l’ESR, comme elle a tenté de le faire à l’Assemblée. Non pas les dispositions grossières qu’ont pu proposer les député·es LR il y a quelques semaines1, mais des dispositions qui s’attaqueraient à ce qu’ils et elles conçoivent comme étant le fond du problème, à savoir – on ne se lasse pas de la formule de QSF – « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique ».

      Les scenarii possibles

      Ce qui est presque amusant, c’est que pour répondre à une telle « question urgente », tout ce beau monde tâtonne. Juridiquement parlant, en effet, lutter contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR est particulièrement complexe à mettre en forme, du fait de la protection constitutionnelle des libertés académiques. Academia a appris, par exemple, que le cabinet de Marlène Schiappa (en novembre dernier), puis les rapporteurs du projet de loi confortant le respect des principes de la République (ces dernières semaines), avaient sollicité Vigilance Universités à propos des mesures à prendre concernant l’ESR, mais que les membres de ce collectif – aujourd’hui débordé·es sur leur droite par l’Observatoire du décolonialisme – ont été incapables de se mettre d’accord sur la moindre proposition légistique concrète.

      Alors, comment va se mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, la lutte contre les « dérives idéologiques » à l’université ? Il est peu probable que l’on pénalise certaines recherches et mette en prison les enseignant·es et chercheur·ses qui ne se conformeraient pas à ces interdictions. Il n’y a guère que Xavier-Laurent Salvador pour oser le proposer, il y a quelques jours sur Public Sénat, lorsqu’il comparait les études décoloniales avec le négationnisme pénalement réprimé :

      Les libertés académiques, « ce n’est pas un droit opposable à la loi. Lorsque Faurisson se lançait dans un enseignement négationniste, personne ne s’est posé la question de savoir si, oui ou non, cela relevait de sa liberté académique ».

      Non, les choses se passeront d’une manière un peu plus subtile, si l’on peut dire, et le scénario le plus probable qui se dessine désormais est le suivant, en deux pans : l’organisation d’un déni de la scientificité de certaines recherches et de certains enseignements, pour contrer le « militantisme » ; la mise en place d’un délit pénal spécial, pour contrer les « censures ».

      1) S’agissant du premier pan, la solution qui se prépare consiste non pas à pénaliser des recherches et des enseignements, mais à chercher à les exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques. Un précédent papier d’Academia décrivait déjà cette dynamique, qui passe par une négation de scientificité, au travers du renvoi de certaines recherches et de certains enseignements au statut d’« opinions » ou d’« idéologies ». C’est très exactement ce que soutient la tribune d’un collectif de 130 universitaires parue dans Le Monde du 22 février :

      « Il y a bel et bien un problème dans l’enceinte universitaire, mais ce n’est pas tant celui de l’« islamo-gauchisme » que celui, plus généralement, du dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche », qui produirait une « pseudo-science ».

      Sur ce point, on observe qu’un accord assez large est en train de se forger autour de cette option, qui présente le double avantage de préserver une régulation interne au champ académique – en conformité apparente avec les libertés académiques – tout en donnant un outil pour lutter contre la prétendue « expansion des militantismes dans l’université ». C’est cette stratégie que poursuivait Frédérique Vidal lorsqu’elle a annoncé une « enquête » du CNRS ou de l’Alliance Athena. C’est cette même stratégie que défendent les 130 universitaires de la tribune précitée, lorsqu’ils et elles en appellent au Hcéres pour lutter contre « la contamination du savoir par le militantisme ».

      L’idée de recourir au Hcéres est la plus inquiétante, car elle vient vérifier toutes les craintes que l’on pouvait avoir concernant l’usage politique croissant qui risque d’être fait de cette autorité, dont la majorité des membres, rappelons-le, est nommée par le pouvoir exécutif hors de toute proposition émanant des organismes de l’ESR (12 membres sur 23, auxquel·les il faut ajouter les deux représentants parlementaires). Il aura donc suffi de quelques mois après la nomination du conseiller d’Emmanuel Macron à la tête de cette autorité pour que nous arrivions déjà à une croisée de chemins : dès lors que les libertés académiques offrent aux enseignant·es et aux chercheur·ses une protection constitutionnelle – aussi imparfaite soit-elle – contre les immixtions extérieures, le HCERES se trouve structurellement condamné à être le réceptacle de toutes les pressions politiques sur les recherches et les enseignements menés. C’est la raison pour laquelle, rappelons-le aussi, la nomination de Thierry Coulhon représentait – et représente encore – la mère de toutes les batailles, justifiant le dépôt, début janvier, d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, à propos duquel Academia fera prochainement un point d’étape.

      2) Ceci dit, à côté de cette instrumentalisation administrative des critères de la scientificité, il existe encore et toujours une vraie tentation d’investir le terrain pénal. À partir du moment où les titulaires des pouvoirs exécutif et législatif sont persuadés que l’ESR produit de la « censure », à partir du moment où une député de la majorité peut raconter en hémicycle, sans être démentie par quiconque, que « les partisans des thèses indigénistes, sur l’intersectionnalité » (?) « excluent tout autre débat » et que « c’est leur intolérance et une forme de totalitarisme intellectuel qu’il nous faut combattre » (Anne-Christine Lang, 3 février 2021), alors il est inévitable qu’un équivalent de l’amendement Lafon ou de l’amendement Benassaya soit de nouveau mis sur le tapis un de ces prochains jours.

      Car qui peut être pour les entraves aux débats universitaires ? Qui pourrait s’opposer à la pénalisation des entraves à l’exercice des missions de services public de l’enseignement supérieur ? On a déjà répondu plusieurs fois à ces questions sur Academia, encore récemment, si bien qu’on ne reviendra pas ici, une fois encore, sur les dangers immenses qui accompagnent les tentatives de ce type. Rappelons simplement, à titre général, que les deux tentatives ces quatre derniers mois d’introduire un délit nouveau en ce sens sont caractéristiques d’une véritable surenchère sécuritaire en cours, telle qu’on l’a connue dans d’autres domaines, mais qui, appliquée à l’université, se retournera contre les étudiantes et les étudiants en premier lieu, mais aussi contre l’université en général et contre les libertés académiques. C’est bien simple : le débat universitaire n’a en réalité pas besoin d’être protégé par un durcissement de l’arsenal répressif qui prétend faussement venir à son soutien, car les risques qui y sont associés sont bien supérieurs aux dangers auxquels il prétend répondre.

      De ce point de vue, d’ailleurs, il faut être bien aveugle à tout ce qui se joue aujourd’hui sur les terrains juridique et administratif, pour juger qu’il est opportun de comparer les atteintes aux libertés académiques actuellement en préparation, d’une part, avec la polémique qui a accompagné, sur les réseaux sociaux, la parution de l’essai Race et sciences sociales de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, d’autre part. Soutenir, comme le font d’excellent·es collègues dans une tribune publiée hier, que « beaucoup de chercheurs, a fortiori lorsqu’ils sont précaires, ont désormais peur de s’exprimer dans un débat où l’intensité de l’engagement se mesure à la véhémence de la critique et où l’attaque ad hominem tient lieu d’argument », et qualifier cette polémique de « menaces » pour les libertés académiques au même titre que toutes celles qui sont vraiment en cours, c’est alimenter directement le sentiment irrationnel d’insécurité concernant les débats dans l’ESR aujourd’hui. Et le faire dans le contexte législatif actuel, à quelques jours des débats sur le projet de loi confortant le respect des principes républicains, c’est proprement irresponsable : certain·s, au gouvernement et au parlement, n’attendent que cela pour en tirer des conséquences juridiques.

      https://academia.hypotheses.org/31344

    • Démission de Frédérique Vidal : la pression monte !
      https://universiteouverte.org/2021/02/24/demission-de-frederique-vidal-la-pression-monte

      "Nous en sommes là !!

      Libé met en Une la tribune de « Vigilance Université », collectif réactionnaire ami de « l’observatoire du décolonialisme », qui prétend que nous refuserions le « débat scientifique contradictoire » ! 1/10..."
      https://twitter.com/UnivOuverte/status/1364890298694983681

      " L’air de rien, les universalistes ont mis de l’eau dans leur vin, donnant raison à leurs critiques. Plus d’accusations sordides d’islamogauchisme, retour à la dénonciation d’une « cancel culture » fantasmée, qui permet de poser à la défense des libertés académiques …"

    • Une vague de pyromanie

      Une nouvelle polémique vient de naître chez nos voisins français, lancée dimanche sur CNews, la Foxnews hexagonale. L’islamo-gauchisme gangrène-t-il les universités ? Oui, estime la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui entend confier au CNRS (!) une enquête sur la question. Mardi, à l’Assemblée, elle pointait aussi du doigt les études postcoloniales.

      La réponse a été cinglante : les présidents des universités réunis ont appelé la ministre à laisser l’islamo-gauchisme, cette « pseudo-notion », « aux animateurs de CNews » ou « à l’extrême droite qui l’a popularisée », tandis que le CNRS dénonçait « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’ ».

      Tentative de #diversion d’une ministre peu présente sur les difficultés du corps enseignant en temps de pandémie ou celles des étudiant·e·s faisant entendre leur précarité fin janvier à Paris ? Forme de chasse aux sorcières, plutôt, nourrie à la fois par le contexte d’adoption de la loi sur le séparatisme et une présidentielle approchant à grands pas. On sait combien les chercheurs sur l’islam sont observés à la loupe, en particulier quand ils ne sont pas Gilles Kepel mais Olivier Roy ou François Burgat. Combien l’islamo-gauchisme est devenu soupçonnable – de collusion avec l’ennemi, l’islamisme radical – au point qu’un sociologue dénonce un « #néo-maccarthysme ».

      Citoyen·nes, député·es, associations : jusqu’ici, cette production sémantique aléatoire a servi à disqualifier (la gauche de) la gauche préoccupée de discriminations. Avec l’intervention de la ministre, elle étend son territoire à la recherche, qui régulièrement produit des analyses (sur les rapports sociaux de pouvoir, l’égalité des chances, la mémoire historique) contrant les puissantes manœuvres néolibérales destinées à défaire les fondements humanistes de notre démocratie. Et, à l’ère des fake news triomphantes, qui fournit des moyens de #résistance_intellectuelle. La suspicion exprimée par sa propre ministre de tutelle est de taille à ébranler profondément ceux-ci.

      Lors de leur récent face-à-face, Gérald Darmanin qualifiait Marine Le Pen de « molle » face au « péril islamique ». L’enjeu n’est donc pas seulement culturel, il est aussi politique : le « ni de droite ni de gauche » macronien de 2017 a vécu, et c’est la carte identitaire qui sera brandie pour la présidentielle de 2022. Quitte à prendre cinq millions de musulmans en tenailles d’une rhétorique boute-feu.

      https://lecourrier.ch/2021/02/18/une-vague-de-pyromanie

    • If You Thought the Culture War in the US and UK Was Dumb, Check Out France’s

      French politicians are proudly using a new term – originally coined by the far-right – to paint left-wing academics as sympathetic to Islamist terrorists.

      On the 17th of October, the day after French school teacher Samuel Paty was beheaded outside his school, threats from France’s far-right began to rain down on liberal academics across the country.

      Éric Fassin — a professor of sociology at the University of Paris 8 who had written a blog arguing the reaction to terror attacks “must at all costs avoid falling into their trap” of becoming a “conflict of civilisations” — became a lightning rod for their anger.

      “Traitor” wrote one far-right supporter on Twitter; “collaborator” added another. But one individual known in the neo-Nazi scene struck a more chilling tone with an overt death threat: “I’ve put you on my list of assholes to decapitate when it begins”.

      Fassin is among a group of French academics that supposedly embody the concept of “Islamo-gauchisme” (Islamo-leftism), a term suggesting an alliance between extremist Islamists and left-wing academics that had until recently only been used in neo-Nazi circles. The insult is levelled at those whose so-called “woke” theories point out the discrimination suffered by Muslims in France, where deep-set discrimination touches hiring, housing, policing and beyond — paralleling culture wars currently raging in the US and the UK.

      The term has found its way into the lexicon of prominent members of the French government. “Islamo-gauchisme is an ideology which, from time to time, leads to the worst,” Education Minister Jean-Michel Blanquer told French radio station Europe 1. Then Gérarld Darmanin, France’s right-leaning Minister of the Interior, used the term in the National Assembly, referring to “intellectual accomplices” in terrorist acts.

      On Sunday, events took a dramatic turn. Frédérique Vidal, the University Minister, went on TV channel CNews and denounced how Islamo-gauchisme “plagues society as a whole” and pledged to launch an investigation into academic research considered in breach, particularly postcolonial studies.

      “They are in the minority and some do it to carry radical ideas or militant ideas … always looking at everything through the prism of their desire to divide, to fracture,” she said, likening it to an alliance between Mao Zedong and Ayatollah Khomeini.

      The comments have sparked outrage. On Tuesday, France’s Conference of University Presidents called for the debate “to be elevated” and that the government should not talk “nonsense.” On Wednesday, the French National Centre for Scientific Research, who Vidal said should carry out the investigation, criticised the “political exploitation that is... emblematic of a regrettable instrumentalisation of science.” On Thursday, daily newspaper Libération dedicated its front page to the debacle, quipping that Vidal had “lost her faculties”.

      However, for Fassin, and numerous other academics across France, the efforts to target them are cause for serious concern and could pose a very real danger. “This is very worrying,” he told VICE World News. “This is a political attempt to control knowledge. One imagines that it will not succeed, but the effect sought is intimidation. Above all, it helps to justify repression.”

      Frédéric Sawicki, professor of political science at Paris 1 University Panthéon-Sorbonne, said he felt “targeted” by the move. “If you declare yourself hostile to the ban on the wearing of the veil or to the organisation of a mandatory minute of silence in schools after a terrorist attack,” he said. “You are therefore an accomplice and as a consequence, you become an ‘Islamo-left-winger’!”

      “I am outraged,” he added. “The French Republic, except during the period of the Vichy regime, has always protected academic freedom. The Minister should protect this freedom at the foundation of any democracy.”

      Eyebrows have also been raised at the timing of the move by Vidal, with protests in response to the widespread problem of sexual assault on campus and huge numbers of students forced into financial uncertainty during the pandemic – leading to snaking queues for the subsidised university canteens.

      “The minister’s words are just a political diversion to make us forget her catastrophic management of higher education and research,” said Léon Thébault, a student at SciencesPo University Paris. “If Frédérique Vidal put as much energy into fighting these problems as she does into the media show, we wouldn’t have any more students living in precarity. She is out of touch with universities and students.”

      Michel Deneken, president of the University of Strasbourg, said the underlying motives behind Vidal’s announcement are purely political. “The regional and presidential elections are on the horizon,” he said. “The government is using this as a way to capture the support of the right. [Right-wing daily newspaper] Le Figaro writes every day about Islamo-gauchisme every day now.”

      French Muslim campaign groups express little doubt that it is an attempt to flirt with the far-right. “One has the impression that every week they want to find a new reason to talk about Islam,” said Sefen Guez Guez, a lawyer for the Collective Against Islamophobia in France (CCIF).

      But the French government’s crackdown on campuses also extends to legislation to limit research that is deemed unacceptable. The Senate last month adopted a bill setting the research budget for French universities, and while it is yet to pass through the National Assembly, critics say will curtail student protests and put freedom of research at stake by requiring it to “align with the values of the republic.”

      Rim-Sarah Alouane, a French legal academic and PhD candidate in comparative law at the University Toulouse Capitole, said “the vast majority of people working in academia are shocked and terrified for the future of research in this country”. She added that French academia has been “falling apart” due to budget cuts and lack of recruitment.

      For Alouane, it’s the latest in a long line of tightening of civil freedoms, including the controversial separatism law – aimed at tackling the Islamist terrorism that has grown since 2015 but labelled Islamophobic by rights groups – that was passed by the National Assembly, and the Global Security law, which at the end of last year proposed banning the filming of police, despite several high-profile cases of police violence.

      “You need to integrate this kind of announcement into a broader scope which is the hyper securitisation of our society, that is processed by limiting civil liberties on the ground of national security and public order,” she said.

      It comes as part of a wider reckoning in France, with “woke” leftist theories on race, gender and post-colonialism said to be imported from the US and the UK the target of the government’s ire. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ Blanquer said in October.

      Philippe Marlière, professor of French and European Politics at University College London, says that those Anglophone countries are themselves facing battles over freedom of speech, “wokeness” and so-called “cancel culture” at universities.

      “I think that there’s a bit of a deja-vu with what’s happening in the UK,” he said. “But the French situation is far worse. In the UK, the attacks remain quite implicit, but in France the government is trying to taint the personalities and reputations of academics. These are highly dangerous means that is the usual approach of the far right.”

      Marlière, who has himself been the target of far-right attacks – including in a recent article claiming he “has not ceased to work to promote racialist ideology” – warns there could be serious repercussions for this approach.

      “France is in complete denial when it comes to race,” he said. “Islamo-gauchisme is of course an insult. It’s almost a physical aggression because you put people at risk. What is remarkable is that it’s becoming more mainstream.”

      The Ministry of Higher Education, Research and Innovation did not respond to a request for comment. But government spokesman Gabriel Attal said on Wednesday that French President Emmanuel Macron has “an absolute attachment to the independence of teacher-researchers.”

      https://www.vice.com/en/article/jgq9m4/if-you-thought-the-culture-war-in-the-us-and-uk-was-dumb-check-out-frances

    • Aux sources de l’« islamo-gauchisme »

      Le philosophe #Pierre-André_Taguieff revient sur les origines d’un concept qu’il a contribué à forger. Selon lui, les usages polémiques discutables du terme ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’il désigne un véritable problème : la #collusion entre des groupes d’extrême gauche et des #mouvances_islamistes de diverses orientations.

      En France, à entendre les clameurs qui montent de l’arène politico-médiatique, le nouveau grand clivage serait celui qui oppose les « islamo-gauchistes » aux « islamophobes ». Cependant, rares sont ceux qui s’assument soit en tant qu’« islamo-gauchistes », soit en tant qu’« islamophobes », sauf par provocation. L’« islamophobe » ou l’« islamo-gauchiste », c’est toujours l’autre. Ces termes d’usage polémique sont des hétéro-désignations. Mais il serait naïf de reprocher à des termes politiques d’être polémiques. En les employant, on vise à stigmatiser un individu ou un groupe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

      Face aux « islamophobes » se tiendraient donc les « islamo-gauchistes », censés être islamophiles. Mais l’opposition est faussement claire. Il y a en effet de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme, sous toutes ses formes, constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de nos libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ? C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes. Ils sont en vérité « islamismophobes », et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans. Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion. Quant aux « islamismophiles » d’extrême gauche, ils sont de deux types : il y a d’abord ceux qui, sur les réseaux sociaux, applaudissent les attaques jihadistes, ensuite ceux qui, intellectuels ou acteurs politiques, s’efforcent de justifier le comportement des islamistes en arguant que ces derniers ne font que réagir aux discriminations dont sont victimes les musulmans.

      À lire aussiEn finir avec l’« islamo-gauchisme » ?

      Il est de bonne méthode de revenir au moment de la formation de l’expression « islamo-gauchisme » en langue française. Il se trouve que, sur la question, j’ai joué un rôle, ce qui me permet d’intervenir en tant que témoin direct. C’est à partir de mes enquêtes, au début des années 2000 alors que débutait la seconde Intifada, sur des manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment ceux de la LCR (devenue en 2009 le NPA), que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme », forgée par mes soins. Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis ».
      Valeur descriptive

      L’expression « islamo-gauchisme » avait sous ma plume une valeur strictement descriptive, désignant une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle. Elle intervenait dans ce qu’on appelle des « énoncés protocolaires » en logique. J’ai utilisé l’expression dans diverses conférences prononcées en 2002, ainsi que dans des articles portant sur ce que j’ai appelé la « nouvelle judéophobie », fondée sur un antisionisme radical dont l’objectif est l’élimination de l’Etat juif. Pour ne prendre qu’un exemple, dans mon article synthétique intitulé « L’émergence d’une judéophobie planétaire : islamisme, anti-impérialisme, antisionisme », publié dans la revue Outre-Terre, j’évoque la « mouvance islamo-gauchiste » en cours de formation.

      Il faut par ailleurs être d’une insigne mauvaise foi pour laisser entendre, comme le font certains aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que je voulais par là assimiler insidieusement islam et islamisme, alors que tous mes écrits sur la question témoignent du contraire. Je n’allais pas forger, pour éviter de donner prise aux lectures malveillantes, une expression juste mais un peu lourde du type « islamismo-gauchisme », qui n’aurait d’ailleurs pas empêché des gens de mauvaise foi de s’indigner.
      « Judéo-bolchevisme »

      Que, mise à toutes les sauces, l’expression ait eu par la suite la fortune que l’on sait, je n’en suis pas responsable. Mais ses usages polémiques discutables ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’elle désigne un véritable problème, qu’on peut ainsi formuler : comment expliquer et comprendre le dynamisme, depuis une trentaine d’années, des différentes formes prises par l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche se réclamant du marxisme (ou plutôt d’un marxisme) et des mouvances islamistes de diverses orientations (Frères musulmans, salafistes, jihadistes) ? Pourquoi cette imprégnation islamiste des mobilisations « révolutionnaires » ?

      Ecartons pour finir un argument fallacieux, souvent repris sur les réseaux sociaux, qui consiste à rapprocher, pour la disqualifier, l’expression « islamo-gauchisme » de l’expression « judéo-bolchevisme ». Lorsqu’elle s’est diffusée, au début des années 20, dans certains milieux anticommunistes et antisémites, l’expression « judéo-bolchevisme » signifiait que le bolchevisme était un phénomène juif et que les bolcheviks étaient en fait des Juifs (ou des « enjuivés »). Il n’en va pas du tout de même avec l’expression « islamo-gauchisme », qui ne signifie pas que le gauchisme est un phénomène musulman ni que les gauchistes sont en fait des islamistes. L’expression ne fait qu’enregistrer un ensemble de phénomènes observables, qui autorisent à rapprocher gauchistes et islamistes : des alliances stratégiques, des convergences idéologiques, des ennemis communs, des visées révolutionnaires partagées, etc.

      C’est ainsi qu’on observe, d’une part, que des militants marxistes-léninistes passés au terrorisme, tel Carlos, se sont rapprochés des milieux islamistes, jusqu’à se convertir à l’islam en version Al-Qaïda et à prôner un front islamo-révolutionnaire « contre les Juifs et les croisés ». Et que, d’autre part, des islamistes se sont ralliés au drapeau du tiers-mondisme, puis à celui de l’altermondialisme (tel Tariq Ramadan), avant de donner dans le postcolonialisme et le décolonialisme pour accuser les sociétés démocratiques occidentales de « racisme systémique ». C’est ainsi qu’un pseudo-antiracisme importé des campus étatsuniens, représentant une nouvelle forme de racialisme militant désignant « les blancs » comme les seuls racistes, est devenu à la fois un moyen d’intimidation et un puissant instrument de mobilisation, principalement d’une partie de la jeunesse.

      Les querelles de mots ne doivent pas nous empêcher de voir la dure réalité, surtout lorsqu’elle contredit nos attentes ou heurte nos partis pris.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/10/26/aux-sources-de-l-islamo-gauchisme_1803530

    • Une quatrième raison de la nécessaire démission de Frédérique Vidal

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’Université et la France ».

      Aux trois raisons qui d’emblée rendaient nécessaire la démission de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à la suite de ses déclarations sur CNews et dans le Journal du Dimanche et de sa décision de demander au CNRS d’enquêter sur la présence de l’ « islamo-gauchisme » au sein de l’Université, s’en ajoute maintenant une quatrième.

      Comme il fallait s’y attendre de premières listes de dénonciation circulent. Julien Aubert, député LR du Vaucluse, en avait pris l’initiative dès l’automne en stigmatisant nominativement des universitaires.

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’Université et la France ».

      Il ne s’agit de nuls autres que les signataires de la pétition publiée par Le Monde et demandant la démission de la ministre. Tant qu’à faire il eût été plus honnête de parler des 17 000 « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » puisque la pétition a aujourd’hui recueilli ce nombre de signataires – et ceux-ci continuent d’affluer.

      La lecture de cette liste de « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » est en elle-même assez comique. S’y retrouvent pêle-mêle des universitaires dont la plupart n’ont jamais écrit une ligne sur l’islam, la décolonialité, les genres ou je ne sais quelle autre phobie du bloc identitaire dont se réclame désormais sans fard la macronie, mais protestent tout simplement contre l’atteinte ministérielle à la liberté académique. Il y a en elle un côté inventaire à la Prévert désopilant quand on connaît les personnes mises en cause.

      Une fois de plus il se vérifie que les obsédés de l’ « islamo-gauchisme » et autres fadaises identitaristes parlent de choses qu’ils ne connaissent précisément pas ni ne comprennent.

      C’est par exemple ce qui les a amenés à auditionner à l’Assemblée nationale, le 1er mars, Bernard Lugan, enseignant à l’Université nationale du Rwanda de 1972 à 1983, puis à l’Université Lyon-III de 1984 à 2009, négationniste du caractère prémédité du génocide des Tutsi en 1994, polygraphe apprécié de Saint-Cyr et des nostalgiques de l’apartheid pour son insistance sur l’explication ethniciste du politique en Afrique à défaut de l’être par la corporation des historiens africanistes patentés, pour qu’il livre son expertise sur… l’opération Barkhane, en dépit de son ignorance complète du Sahel.

      Alors que l’Université et le CNRS abritent, à défaut d’ « islamo-gauchistes », nombre d’excellents spécialistes de la région, toutes disciplines, toutes générations et, horresco referens, tous genres confondus, dont le député France insoumise Bastien Lachaud s’est fait un malin plaisir de rappeler quelques noms à la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées.

      Nous en sommes là.

      L’#idéologisation du savoir vient bel et bien du gouvernement, à l’initiative du président de la République lui-même, dans le cadre de la stratégie de sa réélection en 2022, comme le soulignent un nombre croissant d’observateurs de la vie politique française. J’avais moi-même parlé de maccarthysme après les déclarations de Jean-Michel Blanquer, dans ma tribune du Monde du 31 octobre.

      Au train où nous allons il faudra bientôt parler de lyssenkisme.

      Quoi qu’il en soit, Frédérique Vidal, déjà désavouée par la Conférence des présidents d’Université, l’alliance Athéna et la direction du CNRS à la suite de ses déclarations délibérées et destinées à complaire à son maître présidentiel, va devoir désormais exercer sa tutelle ubuesque sur des institutions qui vont accorder (on ne peut imaginer qu’elles se dérobent) leur protection fonctionnelle à une partie de leur personnel livrée à la haine en ligne, au harcèlement moral, voire – qu’à Dieu ne plaise – à des agressions physiques commises par quelque tête brûlée, à la suite des déclarations irresponsables qu’elle a elle-même faites et réitérées.

      Choisira-t-elle d’attendre qu’un quelconque groupe Charles Martel casse la gueule de Christelle Rabier, Sophie Wanich, Eric Fassin, Samuel Hayat et autres « islamo-gauchistes » pour qu’elle tire les conséquences de son cynisme électoral ?

      Ce gouvernement commence à sérieusement puer les années trente…

      https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/030321/une-quatrieme-raison-de-la-necessaire-demission-de-frederique-vidal

    • Islamo-gauchisme : « Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française »

      Près de 200 universitaires du monde anglophone, parmi lesquels #Arjun_Appadurai, #Judith_Butler, #Frederick_Cooper et #Ann_Stoler, et plusieurs organisations universitaires dénoncent la « chasse aux sorcières » menée par la ministre Frédérique Vidal.

      –-

      Nous écrivons pour exprimer notre profonde consternation devant la récente requête de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de diligenter une enquête sur les agissements « islamo-gauchistes » dans les universités françaises.

      Nous regrettons qu’après le passage par le gouvernement français d’une loi sur le « séparatisme » ayant déjà accentué la stigmatisation de musulmans en France, ce soit désormais aux universitaires d’être accusés de polariser les débats publics. L’idée que l’on puisse surveiller des enseignants-chercheurs sous prétexte du « dévoiement militant de la recherche » est dans les faits une menace directe de censure qui nous inquiète à plus d’un titre.

      Tout d’abord, l’Etat n’a ni le droit ni la compétence pour censurer les travaux d’universitaires qui s’appuient sur leur expertise pour contribuer à l’avancée du savoir dans nos sociétés. C’est un précédent dangereux qui ne saurait être toléré dans une société démocratique.
      Fanon, Sartre, Bourdieu…

      L’argument selon lequel des universitaires, soi-disant « islamo-gauchistes », risquent de diviser la société est dans les faits un effort visant à diffamer nos collègues. Cette #attaque est de surcroît justifiée au nom de la protection de la République face à l’alliance supposée entre une partie de la gauche et un groupe religieux.

      Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française, et notamment avec un discours attaquant les « judéo-bolcheviques » qui déjà servait à créer l’#amalgame entre engagements politiques et religieux.

      Par ailleurs, les approches actuellement sous le feu de la critique ont été directement inspirées par quelques-unes des plus brillantes figures de la tradition philosophique, littéraire et sociologique française. En tant que chercheurs travaillant aux États-Unis et ailleurs, nous sommes redevables intellectuellement envers la France pour avoir contribué par ses universités à l’émergence de penseurs tels que #Frantz_Fanon, #Albert_Memmi, #Hélène_Cixous, #Aimé_Césaire, #Paulette_Nardal, #Jean-Paul_Sartre, #Pierre_Bourdieu, #Louis_Althusser, #Jacques_Derrida et #Michel_Foucault.

      La plupart de ces figures n’étaient pas seulement des penseurs, mais aussi des individus impliqués dans des #luttes_politiques prolongées pour rendre nos sociétés meilleures. Ces #intellectuels_engagés sont devenus les piliers des diverses approches qui sont désormais attaquées sous le nom de « #post-colonialisme. »

      Censure

      Qu’un pays qui a tant contribué à faire avancer la #pensée_critique tourne ainsi le dos à son #patrimoine_national n’est pas seulement alarmant, c’est aussi dénué de vision à long terme. Nous ne demandons pas que tout le monde embrasse ces approches et reconnaisse leurs mérites, mais simplement que les universitaires français puissent en débattre et les partager avec leurs étudiants, si tel est leur bon vouloir.

      Enfin, ceux qui gouvernent l’enseignement supérieur feraient mieux de chercher des solutions concrètes au problème de la #discrimination_raciale en France, plutôt que de se lancer dans une chasse aux sorcières contre des chercheurs. Las, plutôt que de soutenir des universitaires afin de faire avancer la lutte commune pour l’égalité, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche les menace de censure.

      Plutôt que de répondre à la souffrance des étudiants dans un contexte de pandémie globale, ou aux problèmes économiques auxquels est confrontée l’éducation publique, Frédérique Vidal et ses collègues désignent des enseignants comme la principale #menace pesant sur les universités françaises.

      De nombreux signataires de la présente tribune ont bénéficié de leurs échanges prolongés avec des universités françaises, que ce soit avec des individus ou au niveau institutionnel. Nous souhaitons que cette collaboration avec nos collègues français se poursuive dans un esprit de débat ouvert et libre. C’est pourquoi nous attirons à nouveau votre attention sur les graves #dangers que ces menaces de censure font peser sur la #liberté_académique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/04/islamo-gauchisme-nous-ne-pouvons-manquer-de-souligner-la-resonance-avec-les-

      –—

      Liste des signataires :
      https://docs.google.com/document/d/1sAvvdgTRQgx-L5XaiX2e8g76Y1hjJkxDeBRudgq3Lrg/edit

    • L’université menacée par « l’islamo-gauchisme » ? Une cabale médiatique bien rodée

      Problème public numéro un à l’université ? Depuis les déclarations de la ministre Frédérique Vidal face à Jean-Pierre Elkabbach autour des « universités en proie à "l’islamo-gauchisme" » (un des thèmes de « l’interview-tribune » de CNews), et ses velléités de commander une enquête sur le prétendu phénomène dans les facultés françaises, le sujet est traité partout dans les grands médias. Enième illustration de la capacité de ces derniers à co-construire un problème public en grossissant et déformant les faits convoqués en plus de balayer les positions du CNRS d’un revers de main, l’épisode nous invite à nous repencher sur une précédente séquence, ayant largement labouré le terrain de la cabale politico-médiatique actuelle : le « Manifeste des 100 » publié dans Le Monde en octobre 2020, et pour ce qui concerne Acrimed, ses dites « preuves à l’appui », composées majoritairement d’articles de presse.

      « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités » (Une du Figaro, 12/02), « alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini » (Jean-Pierre Elkabbach, CNews, 14/02), « peste intersectionnelle qui ronge les facs » (Raphaël Enthoven, Twitter, 16/02), « Nos facs sont-elles gangrénées par l’islamo-gauchisme ? » (« Grandes gueules, RMC, 17/02), « Islamisme à l’université : faut-il confier l’enquête au principal suspect ? » (Le Point, 17/02), « "Islamo-gauchisme" à l’université : comment Frédérique Vidal s’est piégée » (L’Express, 19/02), « Islamo-gauchisme : la ministre persiste » (en Une du JDD, 21/02), « Islamo-gauchisme dans les universités : "Il n’y a pas lieu de faire de polémique", selon Vidal » (en interview chez RTL, 22/02), « Islamo-gauchisme : il faut sauver la soldate Vidal » proclame Franz-Olivier Giesbert qui parle lui de « totalitarisme » (Le Point, 25/02), « Universités : les nouveaux fanatiques » (LCI, 27/02)… Une nouvelle séquence de chasse aux sorcières médiatique, coproduite avec une partie de la classe politique et du gouvernement (ministre de l’Enseignement supérieur en tête), s’est déroulée en ce mois de février 2021 sur les plateaux des chaînes d’info, dans les pages de certains quotidiens nationaux et d’une grande partie de la presse magazine, en passant par les comptes Twitter des éditocrates, gagnant une nouvelle fois l’ensemble du paysage médiatique.

      Si tous les médias ne versent pas dans le même degré d’outrances, et si certains (rares) ont même (enfin) l’idée d’inviter des chercheurs jusqu’alors inaudibles dans l’espace du débat autorisé, le sujet de « l’islamo-gauchisme » – et de sa prétendue omniprésence dans les universités françaises – occupe bel et bien le haut de l’agenda. La mécanique est alimentée par d’innombrables dépêches AFP, occupées à titrer sur la moindre « petite phrase » de responsable politique, par d’intarissables « débats » et par de multiples interviews, conduites par d’infatigables journalistes tribuns… sans compter les tribunes et pseudo « enquêtes », en passant par les instituts de sondage, qui ne résistent pas à entretenir la machine médiatique (savamment sollicités par les médias eux-mêmes) en fabriquant l’opinion qu’ils prétendent sonder [1].

      Les émissions de service public n’y coupent pas non plus : « Islamo-gauchisme : entre opportunisme politique et débat scientifique » titre la matinale de France Culture (23/02), « Enquête ouverte sur "l’islamo-gauchisme" à la fac » annonce « C à vous » (France 5, 17/02) dans une discussion avec… Gérald Darmanin ; « Islamo-gauchisme : fantasme ou réelle menace politique ? » demande encore « C ce soir » (France 5, 17/02) ; « Islamo-gauchisme : la polémique » titre à son tour « C l’hebdo » (20/02), « Islamo-gauchisme à l’université : fantasme ou réalité ? » radotent « Les Informés » (France Info, 18/02), « Islamo-gauchisme : Frédérique Vidal s’invite au cœur du débat politique » ose le 20h de France 2 (21/02). Revenant sur les propos de la ministre, France Inter en fait même son « mot de la semaine » (21/02), dont le « décryptage » est confié au fin analyste et expert Renaud Dély, éditorialiste sur France Info et Arte [2]. Et le 26 février, à peine deux minutes avant la fin de l’interview matinale, Nicolas Demorand (France Inter) demande à Gabriel Attal, porte-parole de LREM, s’il « estime que "l’islamo-gauchisme" gangrène l’université […], oui, non ? »

      Pendant ce temps, les problèmes structurels qui frappent de plein fouet l’université (manque de moyens et des postes pérennes, précarité voire détresse économique et morale des étudiants, etc.) sont relégués au second plan dans les grands médias, les angles morts révélés par ce genre d’obsessions éditoriales se multipliant. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) par exemple, menée par le gouvernement actuel et encore combattue par « 114 universités et écoles, 330 labos, 30 collectifs de précaires, 157 revues, 16 sociétés savantes, 47 séminaires, 39 sections CNU et 11 sections CoNRS, 54 évaluateur·trices de l’HCERES… » [3], reste ainsi plus que jamais « d’actualité » dans les faits, quoique négligée et traitée de manière superficielle par une grande partie des médias dominants. Car rien n’y fait : déformant ou hypertrophiant certains "faits" d’actualité encore plus que d’ordinaire, la focale médiatique construit « l’islamo-gauchisme à l’université » et les théories intersectionnelles ou décoloniales comme un problème public de premier plan. Ainsi Le Figaro peut-il se fendre de trois Unes sur le sujet entre le 12 et le 26 février, et Le Point y consacrer pas moins de trois éditoriaux dans son numéro du 25 février, dont celui de BHL qui a tranché du haut de sa superbe : « Un spectre hante les universités et que ce soit celui de l’islamo-gauchisme n’est pas douteux. Que les universités […] ne puissent elles-mêmes s’y dérober et devenir je ne sais quels territoires perdus de la pensée critique me semble également l’évidence. »

      Un terrain médiatique labouré de longue date : le cas du « Manifeste des 100 »

      Il faut dire que ce discours contre l’université française (et les études post-coloniales en particulier) a gagné en amplitude depuis l’assassinat de Samuel Paty. En octobre 2020 s’étaient en effet déjà multipliés les tribunes alarmistes, les éditos survoltés et les Unes tapageuses. Et depuis, les stars de l’info n’ont de cesse d’entretenir le même climat anxiogène à coups de questions désinformées, comme ce 1er février où Léa Salamé interrogeait Gérald Darmanin :

      Si on parle de ce qui se passe dans nos universités françaises, ces idées racialistes, indigénistes, qui viennent des campus américains, cette idéologie... idée différentialiste, aujourd’hui, elle n’a pas gagné selon vous dans les universités françaises ? Vous n’avez pas l’impression qu’elle gagne du terrain chaque jour ?

      Les « polémiques » et « controverses » actuelles ne sauraient donc être abordées sans rappeler combien le terrain médiatique est labouré de longue date par des « entrepreneurs de cause », reçus à colonnes ouvertes et micros branchés.

      Revenons ainsi sur un cas emblématique. Le 31 octobre 2020, une centaine d’universitaires (auxquels se sont ajoutés cent-cinquante-huit nouveaux signataires) publiaient dans Le Monde une tribune en soutien à Jean-Michel Blanquer, lequel dénonçait au micro d’Europe 1 un « islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’université » [4]. Les signataires reprenaient alors à leur compte ces graves accusations. Ils s’alarmaient en outre d’un « militantisme parfois violent » et d’un « déni » des universitaires (en général), et d’une « liberté de parole tend[ant] à [se] restreindre de manière drastique » à l’université. Que pointaient-ils du doigt ? « L’islamisme », et plus diversement « les idéologies indigéniste, racialiste et "décoloniale" (transférées des campus nord-américains) » qui nourriraient une « haine des "blancs" et de la France ». Des « idéologies » dont les signataires s’attachaient à montrer la matérialisation en-dehors de l’université, en pointant notamment « le port du voile […] qui se multiplie ces dernières années ». En conclusion, ils demandaient à la ministre Frédérique Vidal « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes [à l’université], de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République ».

      Des « preuves à l’appui » médiatiques

      L’histoire aurait pu en rester là : une prise de position dans les pages « idées » d’un grand quotidien, comme il y en a des dizaines chaque semaine. Mais les signataires du « Manifeste » sont allés plus loin, en créant un site internet sur lequel ils revendiquent — entre autres — de mobiliser des « preuves » à l’appui de leur propos. Ce qui était « opinion » deviendrait ainsi « faits », comme on peut le lire sur la page d’accueil du site : « […] Tous les éléments rassemblés sur ce site depuis la publication du Manifeste en témoignent : articles de presse, livres, témoignages, mais aussi exemples de connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants. […] Parlons moins mais parlons vrai. Parlons des faits. »

      Or il s’avère que le corpus des « preuves » en question est presque exclusivement constitué d’articles et d’émissions publiés et diffusées majoritairement dans les grands médias : 47 articles, cinq livres, trois émissions de radio et un documentaire [5]. Ce qui ne pouvait manquer d’interpeller un observatoire des médias comme Acrimed [6]. « Parlons des faits. » Dont acte. Nous nous sommes donc attelés à analyser et objectiver le corpus fourni : les articles/émissions cités s’appuient-ils sur des données scientifiques, statistiques et sur un ensemble d’éléments à même d’étayer les accusations contre l’université française dans son ensemble ? Quel statut ont ces articles ? Sont-ce des enquêtes, des reportages ou des tribunes et des commentaires ? Quel est le statut de leurs auteurs ? Comment présentent-ils les travaux en sciences sociales incriminés ? Les relayent-ils seulement ? Etc.

      Le nombre important d’articles laissait penser que les universitaires s’étaient donné la peine de bien faire leur travail ; qu’ils avaient puisé dans un corpus hétérogène (où le commentaire se nourrit de l’enquête et des statistiques) et pluraliste (où les journaux d’opinion côtoient les journaux d’information et d’investigation). Et pourtant…

      Vous avez dit « preuves » ?

      Sauf erreur de notre part, il n’y a tout simplement aucune statistique ou étude empirique approfondie sur l’invasion des théories dites « indigénistes » ou « racialistes », encore moins sur les prétendues « connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants », pas plus que sur la restriction « drastique » de « la liberté de parole » à l’université. Ces questions sont pourtant au centre du propos du « Manifeste ». Vous avez dit « preuves » ?

      Une absence d’autant plus problématique que les différents articles du corpus usent (et abusent) de qualificatifs soulignant la progression, en nombre et en intensité, de ce qui est présenté comme une « menace » ou un « danger ». Entre autres : « montée croissante des pensées racialiste, décolonialiste et indigéniste » qui « inquiète de nombreux étudiants et parlementaires » (Le Figaro, 10 janvier 2021) ; « le politiquement correct et l’affirmation du droit des minorités se sont largement répandus dans les facultés » (L’Opinion, 30 octobre 2019) ; « l’emprise croissante d’un dogme qui […] ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain » (Le Monde, 25 septembre 2019) ; « En quelques années, les théories intersectionnelles se sont imposées dans les amphis des sciences sociales » (Marianne, 12 avril 2019) ; « l’influence grandissante de l’islamo-gauchisme sur la faculté » (Causeur, 20 novembre 2017)…

      Une menace grandissante sans statistique ? Et pour cause [7]…

      Mais cette absence de données chiffrées ne suffit évidemment pas à rejeter en bloc les « preuves à l’appui » du Manifeste. Une autre interrogation peut alors porter sur le nombre d’enquêtes et de reportages dans le corpus. Et force est de constater que le journalisme d’investigation n’y a pas bonne presse…

      Les tribunes ou formats apparentés (communiqués, éditos…) arrivent largement en tête : près de la moitié des articles (21 sur 47), auxquels il faut ajouter les interviews (8). Ils sont suivis des chroniques (ou d’articles non basés sur un reportage) signées de journalistes « maison » (13). En résumé, seuls cinq articles se basent sur une enquête. Et encore reste-t-il à souligner la déontologie pour le moins approximative qui les caractérise, notamment en termes de pratique du contradictoire et de pluralité des sources (voir en annexe 1, une courte analyse de l’une des enquêtes). Ces enquêtes se résument bien souvent à l’interview de quelques enseignants, étudiants et militants (dont on ne sait pas comment ils sont sélectionnés, ni à quel point ils sont représentatifs ou illustratifs de l’objet de l’article) et/ou à la retranscription de propos entendus durant un évènement. Le tout est rarement contextualisé et circonstancié. Quel statut accorder en effet à une invective lancée par un étudiant à un enseignant durant un cours ou un séminaire, ou à des tensions et conflits entre militants lors d’une réunion ? Dans quelle mesure peut-on parler d’une tendance régulière ou croissante à l’université, et si c’est bien le cas, dans quelles proportions ?

      Plus généralement, il est pour le moins significatif qu’aucun article scientifique publié dans une revue à comité de lecture (faisant appel à des pairs et à des relecteurs extérieurs pour évaluer l’article) ne vienne « appuyer » une tribune d’universitaires. Pour gage de sérieux scientifique, peut-être ses auteurs se contentent-ils des cinq livres référencés sur leur site, qui font la part belle à l’essai et qui ne s’éloignent guère de leur espace intellectuel de prédilection. L’un d’eux est ainsi écrit par un des premiers signataires du « Manifeste » (Pierre-André Taguieff, à l’origine du « concept » d’« islamo-gauchisme »), qui occupe également une bonne place dans les articles de presse « à l’appui » : une fois comme auteur, deux fois dans des entretiens donnés au Figaro et une fois avec un extrait de l’un de ses essais. Un deuxième ouvrage « preuve » (constitué, en guise d’enquête, de « témoignages et verbatim […] recueillis lors de colloques, de sessions universitaires ou de rassemblements associatifs ») est rédigé par Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni. Tous deux écrivent pour Causeur. La première apparaît à plusieurs reprises dans les articles de presse du corpus. Et le second est, en plus de ses fonctions universitaires (chargé de cours à l’Essec, doctorant en philosophie à l’ENS), banquier d’investissement et conseiller politique LR… Les autres livres sont : un essai de Pascal Bruckner, que l’on ne présente plus (et qui a préfacé l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni…) ; un essai de Fatiha Boudjahlat, habituée des colonnes de Causeur et Valeurs actuelles ; un ouvrage du sociologue Manuel Boucher, dont une tribune publiée dans Marianne figure également dans le corpus, dans laquelle il s’en prend à Clémentine Autain (députée du groupe La France insoumise) qui serait dans « une logique munichoise servant les intérêts des extrémistes nationalistes ». Sic.

      Vase clos : des médias d’opinion (de droite) massivement mobilisés

      L’impression de vase clos se poursuit lorsque l’on regarde d’un peu plus près les médias mobilisés, ainsi que la circulation entre ses signataires et les intervenants des articles de presse. Sur les 50 auteurs des 47 articles, on dénombre 26 auteurs universitaires [8], parmi lesquels… 22 sont logiquement signataires du « Manifeste des 100 ». Ainsi, on ne s’étonne guère que plus de la moitié des articles (28) comporte au moins une référence à un signataire de la tribune, ou que leur auteur se retrouve dans une autre « preuve à l’appui ».

      Ensuite, il est à noter que près de la moitié des articles (20) proviennent de médias d’opinion, marqués à droite voire à l’extrême droite : Figarovox (5), Le Point (7), L’Opinion (3), Causeur (2), Atlantico (2), Le Figaro (1).

      En deuxième position du corpus figurent une diversité de sources intermédiaires (12 au total), que l’on ne peut soupçonner d’être en opposition à ce peloton de tête. On y trouve d’abord cinq articles de médias dédiés à l’information ou à la discussion « intellectuelle » : le « portail des livres et des idées » Nonfiction livre quatre contributions (en réalité une contribution en quatre parties, du même auteur : un sémanticien… François Rastier), la cinquième venant d’une revue électronique de philosophie « dévolue à la présentation et l’analyse des nouveautés éditoriales publiées en langue française » (Actu Philosophia). Quatre autres articles de cette deuxième catégorie viennent ensuite de médias qui se destinent à la réponse à l’actualité, à l’opinion ou à la demande politique : une plateforme se définissant comme un « organisateur de débats pressants » (Persuasion), une « agence intellectuelle » se disant « d’inspiration réformiste » (Telos), un observatoire du « conspirationnisme » (Conspiracy Watch) et un blog (Mezetulle). Les trois derniers sont signés du journal satirique Charlie Hebdo, par deux fois, et d’une association, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

      Enfin, une troisième et dernière catégorie est composée de médias classés « au centre » ou « à gauche » (15 au total) : Le Monde (5), Marianne (5), Libération (3), Télérama (1) et L’Obs (1).

      À propos de ce panorama, on remarquera que les médias les plus représentés contribuent activement depuis au moins une décennie à construire le « problème » de l’islam et de l’immigration dans le débat public, et à fustiger sans discontinuer les « obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », pour reprendre la formule placardée en Une de Marianne (avril 2019) : trois thématiques dont ces médias font régulièrement leurs choux gras, quand elles ne sont pas érigées en obsessions éditoriales [9]… En témoignait (encore) dernièrement la Une du Point [10] (14 janvier 2021), agitant comme des épouvantails les « déboulonneurs », « indigénistes », la « gauche racialiste » mais également « l’écriture inclusive ».

      Si d’autres médias et acteurs politiques (du côté de la gauche républicaine notamment) se sont appropriés ce sujet, une récente étude statistique de l’Ina [11] corrobore d’ailleurs le rôle joué par cette (petite) poignée d’entrepreneurs médiatiques – chroniqueurs ou titres de presse – dans la légitimation et la promulgation du pseudo « concept » d’« islamo-gauchisme » et partant, dans la banalisation de son usage dans le débat public :

      À compter de cet événement [l’attentat contre Charlie Hebdo], le terme [« islamo-gauchisme »] trouve ses entrepreneurs de cause : un petit nombre de journalistes le convoqueront désormais à l’envi, contribuant à en ritualiser l’usage. Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, surtout, mais aussi Éric Zemmour, Alexandre Devecchio, Étienne Gernelle et Michel Onfray à la fin de l’année 2015, forment ce personnel médiatique rassemblé autour d’un petit nombre de titres — Le Figaro, Le Point, Marianne.

      Autant dire qu’au total, ce corpus est l’incarnation d’une information et d’idées qui circulent en vase clos [12] : forte homogénéité des médias mobilisés qui répond à l’homogénéité toute aussi importante des auteurs des articles. En résumé, les opinions de ces universitaires (notamment les plus médiatiques d’entre eux) ne pouvaient que rencontrer celles des médias qui en assurent déjà la visibilité et la promotion…

      Un corpus qui révèle davantage les biais ordinaires du journalisme dominant que des « preuves » factuelles

      Sans même mentionner la part non négligeable de productions du corpus dans lesquelles on peine à trouver le moindre lien avec la problématique initiale (l’université) [13], il faut enfin souligner combien les différents articles de presse et émissions mis en avant sont avant tout des « preuves à l’appui » des travers ordinaires du journalisme dominant. Un journalisme notamment marqué par l’affranchissement quasi systématique du contradictoire, entre autres règles professionnelles de base : ainsi les termes du débat ne sont-ils quasiment jamais interrogés, les travaux universitaires incriminés rarement cités, et le pluralisme… piétiné (dans le cas des cinq enquêtes figurant dans le corpus).

      Et quand il ne s’agit pas de tribune (un format qui ne permet pas la contradiction), il n’est pas rare que les interviews soient d’une complaisance à l’égard des intervenants (voir deux exemples en annexe 2), n’ayant d’égal que la disqualification violente et arbitraire des chercheurs, étudiants et universitaires taxés contre leur gré [14] d’« indigénistes » ou d’ « identitaires ». Souvent en leur absence, et plus encore en leur présence : car lorsque ces derniers ont la rare occasion de présenter leur point de vue, on peut apprécier les conditions dans lesquelles ils sont reçus…

      Reportons-nous pour cela à l’une des trois émissions de France Culture citées « à l’appui » du Manifeste : « Signes des temps » (25 octobre 2020), consacrée à « la crise dans l’enseignement et crise de la gauche après l’assassinat de Samuel Paty ». Une émission bien connue d’Acrimed puisque nous l’épinglions déjà dans notre article consacré à la traque médiatique des « islamo-gauchistes », comme une illustration exemplaire d’ « interrogatoires journalistico-policiers en règle », durant laquelle Marc Weitzmann [15] est rapidement sorti de son rôle de présentateur pour endosser celui de procureur contre Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef. En effet, si les trois autres intervenants avaient eu droit à des questions ouvertes les invitant à rebondir sur les termes de leurs propres écrits, Mélanie Luce s’est vue sommée de répondre à une série d’accusations. Le tout enrobé de sous-entendus, amalgames et suspicions à son encontre (voir en annexe 3).

      Ainsi la question du pluralisme dans les différentes productions médiatiques « à l’appui » se joue-t-elle autant dans l’absence – ou la disqualification immédiate – de contradicteurs que dans les cadrages à sens unique du débat. L’escroquerie des « preuves à l’appui » est de taille lorsque l’on constate que France Culture (dont trois émissions sont citées dans le corpus, et dans lesquelles on peut aisément repérer des nuances et contre-arguments au propos du « Manifeste »), a pourtant beaucoup produit sur la question. Notamment, une série documentaire de l’émission « LSD » en quatre épisodes (« Les débats de société à l’assaut de l’université », quatre heures au total), n’apparaît pas dans les « preuves à l’appui », alors qu’elle donne à voir ce que la pratique d’un (vrai) pluralisme, incluant donc les chercheurs concernés, apporte à la salubrité du débat public.

      *

      Ainsi les amalgames et les analyses fourre-tout (« islamisme », travaux « décoloniaux/racialistes », port du voile, etc.) cachent-ils donc très mal le caractère hautement politique du « Manifeste », appuyé par et sur une série d’articles loin d’être « factuels » ou « neutres ». Tous répondent en réalité d’un raisonnement circulaire, qui pourrait se résumer comme suit : « Il existe un danger "islamiste" et "racialiste" à l’université. La preuve ? Nous le dénonçons. »

      Le problème n’est pas tant que ce monde d’entre-soi puisse se satisfaire d’une circulation intellectuelle et médiatique en circuit fermé : ils ont évidemment le droit de penser ce qu’ils veulent, et de le dire publiquement ! C’est finalement le pluralisme des idées et des opinions dans les médias dominants qui est en jeu, et son déséquilibre structurel flagrant. De même que l’appauvrissement en continu du débat public. Il est ainsi pour le moins surprenant, de la part d’universitaires et chercheurs censés être au fait des courants de pensée et des discussions et controverses académiques nécessaires à la progression de la connaissance, de les voir rabattre un ensemble de recherches en sciences humaines et sociales à une « haine des "blancs" » ou à des traces suspectes d’« islamo-gauchisme »… Encore plus surprenant d’accuser des adversaires de faire œuvre d’idéologie et non de science, de sacrifier les idéaux de la recherche pure sur l’autel de leur militantisme – une conception en outre épistémologiquement douteuse de la « neutralité » absolue du savant – tout en déroulant d’un autre côté une litanie de jugements éminemment marqués idéologiquement, sans avoir recours au moindre travail scientifique rigoureux — ou en ignorant superbement les travaux existants. Le tout en recevant les soutiens d’Emmanuel Macron, en mobilisant les analyses d’une conseillère régionale du Val-d’Oise, ou encore en étant signataires de l’appel des 80 intellectuels contre le « décolonialisme » aux côtés d’Alain Finkielkraut et… Bernard de la Villardière.

      De tels discours bifaces et autres pétitions de convictions pourraient ainsi faire sourire s’ils ne s’inscrivaient pas dans une offensive politico-médiatique d’ampleur. Et dont les conséquences dépassent en réalité de loin le bavardage hors sol : ainsi des attaques concrètes contre la recherche, son autonomie et les libertés académiques voient-elles le jour, depuis la mission d’information sur les « dérives idéologiques à l’Université » réclamée par deux députés LR, jusqu’à l’enquête souhaitée au plus haut sommet de l’État par la ministre Frédérique Vidal [16]. Une croisade médiatico-politique, décuplée depuis les attentats de 2015, qui montre plus que jamais les dangers d’un fonctionnement médiatique donnant, à travers un ensemble de mécanismes, le primat à « l’opinion » sur l’information et la connaissance scientifique.

      https://www.acrimed.org/L-universite-menacee-par-l-islamo-gauchisme-Une

    • « L’éthique de la recherche, c’est la capacité à distinguer les enjeux, à ne pas glisser de la théorie vers l’idéologie »

      Face au mélange entre science et politique, au refus du #pluralisme, les chercheurs doivent pouvoir échanger de façon argumentée et réfutée, en s’employant à « éviter les #fractures et les #enclaves », explique le géographe Jacques Lévy dans une tribune au « Monde ».

      –—

      Une des effets dommageables de la prise de position de Frédérique Vidal sur l’ « islamo-gauchisme » à l’université a été de permettre à ses détracteurs d’inverser son propos et de porter la charge sur les lanceurs d’alerte. Pourtant, il existe bien des motifs d’#inquiétude sur la relation entre la société et ses chercheurs, et pas seulement en sciences sociales. Pour y voir plus clair, distinguons trois plans : celui des théories, celui du mélange des genres et celui du pluralisme.

      Les théories qui cherchent à expliquer le monde sont nombreuses et tant mieux ! L’une d’elles se fonde sur une vision communautaire du social : elle se représente la société comme une constellation de groupes aux appartenances non choisies et irréversibles. La fameuse « #intersectionnalité » consiste en une #essentialisation des #identités, qu’on peut éventuellement croiser, mais sans les remettre en question. Cette école de pensée tente de sauver le #structuralisme_marxiste, dans lequel la communauté de #classe était centrale, en ajoutant de nouvelles « structures » à un édifice qui se lézarde, pris à contre-pied par l’irruption des #singularités_individuelles. On peut préférer, dans le sillage de Norbert Elias (1897-1990), le paradigme de la « société des individus », qui décrit un monde où les individus acteurs prospèrent de conserve avec une société postcommunautaire. La différence entre ces deux conceptions est patente, mais on ne peut s’en plaindre. Cela, c’est le débat, sain parce que libre et transparent, qui caractérise la démarche scientifique.

      Création de monstres

      Le danger apparaît avec le mélange des genres entre science et #politique. Roger Pielke (The Honest Broker, Cambridge University Press, 2007, non traduit) a montré, à propos des débats sur le climat, que lorsqu’un sujet est marqué à la fois par des controverses scientifiques et des oppositions politiques fortes, les deux dissensus peuvent s’épauler et créer des monstres : le militant choisit l’hypothèse qui l’arrange pour se parer de la #légitimité_scientifique, tandis que le chercheur se mue subrepticement en un politicien sans scrupule. Les chercheurs sont aussi des citoyens et ils ont bien le droit de l’être. Leurs expériences personnelles peuvent être des ressources pour la connaissance.

      Si la conscience que les registres ne doivent pas se fondre les uns dans les autres fait défaut, les savants se muent tout bonnement en #idéologues d’autant plus déplaisants qu’ils s’abritent derrière leur statut. On voit fleurir des #novlangues dignes du 1984 de George Orwell, lorsque, au nom de la science, l’ « antiracisme » couvre un nouveau type de racisme, ou lorsque la « démocratie éco logique » vise une dictature des écologistes intégristes. L’enquête qu’ont menée les chercheurs britannique et américain Helen Pluckrose et James Lindsay (Cynical Theories, Pitchstone Publishing, 2020, non traduit) montre que des revues universitaires prestigieuses acceptent aisément de publier des textes délirants dont on aimerait pouvoir rire mais qui sont animés par une idéologie de la haine intercommunautaire et n’hésitent pas à traiter de « négationniste » toute prise de position divergente.

      Le troisième plan est sans doute le plus grave. Il s’y déroule une attaque frontale contre la démarche scientifique et un refus du pluralisme des idées. De la « #positionalité » (l’autoanalyse par le chercheur de biais liés à sa position sociale) déjà ambiguë, on est passé à la #standpoint_theory, un oxymore qu’on peut traduire par la « théorie-point de vue », qui décrète que l’ « #objectivité_forte » ne peut être atteinte que si le chercheur s’appuie sur sa propre #expérience. Seules les femmes peuvent parler des femmes, seuls les Noirs peuvent parler des Noirs, et c’est ainsi que les women studies ou les black studies désignent, par défaut, à la fois l’objet d’études et l’identité du chercheur. Une épistémologie ubuesque dans laquelle l’histoire des temps reculés devient impossible même si l’on s’intéresse aux dominés et où le travail de terrain et l’observation participante sont bannis. C’est une technique pour discréditer les travaux qui dérangent, rappelant la stalinienne opposition entre « science bourgeoise » et « science prolétarienne .

      Un contrat exigeant signé avec la société

      Cette fois, c’est l’appartenance ou non à une communauté définie par un principe biologique, le sexe ou la race, qui arme les censeurs. La #cancel_culture, cette posture de l’annulation et de l’#annihilation, s’appuie sur la tradition puritaine américaine qui, en dénonçant des blasphèmes, cherche à intimider, parfois à brutaliser les récalcitrants.

      Il y a donc plusieurs dangers, qu’il ne faut pas confondre. C’est justement cela le principal risque : le #glissement, de la théorie vers l’idéologie et de la désinvolture vers la #négation_de_l'autre. L’#éthique de la recherche réside au contraire dans la capacité à distinguer les enjeux différents. Le contrat que les chercheurs signent avec la société en s’engageant à construire autant qu’il est possible, par leur observation et par leur raison, des #vérités_objectives est exigeant. Ceux qui le déchirent minent la confiance de nos concitoyens. Ce contrat est subtil et il ne peut être vérifié que dans la pratique incessante d’échanges argumentés et réfutés, dans le monde de la recherche, mais dans l’ensemble de la société qui, elle aussi, nous écoute, nous lit et nous évalue. Le #tournant_éthique que nous vivons se manifeste à chaque fois qu’on peut imaginer une proportionnalité entre #liberté et #responsabilité. Ce tournant concerne les puissants et les puissances, mais tout autant chaque individu.

      Face à une société états-unienne tristement clivée, l’Europe peut montrer l’exemple en s’employant à éviter les fractures et les enclaves de manière que tous puissent continuer à parler à tous. De ce nécessaire dialogue les sciences du social comme celles du monde biophysique ou les mathématiques ne peuvent s’affranchir.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/02/l-ethique-de-la-recherche-c-est-la-capacite-a-distinguer-les-enjeux-a-ne-pas
      #Jacques_Lévy

    • #Etienne_Balibar : « Le conflit fait partie des lieux du savoir »

      Alors que le gouvernement reproche aux universitaires leur militantisme, le philosophe s’interroge : quel rapport y a-t-il en sciences sociales entre la nécessité de prendre parti et celle du savoir pour le savoir ? L’université doit, plus que par le passé, ouvrir ses portes et ses oreilles à l’extérieur de la société.

      On peut trouver effarant (c’est mon cas) que les ministres de l’Education et de l’Enseignement supérieur, encouragés du sommet, soient allés ramasser dans un caniveau idéologique une épithète aux sinistres résonances pour lancer dans l’Université et au CNRS une campagne d’épuration.

      On peut s’inquiéter (c’est mon cas) de la vitesse avec laquelle s’accomplit le démantèlement de la recherche publique autonome, à travers l’austérité budgétaire et la généralisation des crédits ciblés (et contrôlés) « par objectifs ».

      On peut se désoler (c’est mon cas) de voir les porte-parole de la « qualité de la science française » vouloir interdire à nos étudiants de participer à de grands courants internationaux d’innovation et de pensée critique, censés attenter aux valeurs républicaines, nous enfermant ainsi dans le provincialisme et le chauvinisme.

      On peut – alors même qu’on défend, comme je le fais, la légitimité des études de « race », de « genre », de « classe », de « culture postcoloniale », ainsi que toutes leurs intersections – savoir mettre en garde contre les amalgames sans fondement historique et les interdits de parole sectaires aux marges de l’Université.

      On peut (ce qui est mon cas) regretter de voir des sociologues et historiens, qui avaient contribué par des travaux de référence à la critique des inégalités et des exclusions sociales ou nationales, rallier avec aigreur le camp du #conservatisme et du #corporatisme_intellectuels.

      Mais tout ceci ne fait pas avancer la question épistémologique : Quel rapport y a-t-il, dans le champ desdites sciences humaines et sociales, entre la nécessité de prendre parti, et celle du savoir pour le savoir (le seul qui mérite ce nom, en vérité) ? Voici que se pose à nouveau la question de Max Weber dans ses conférences de 1919 (1) : Quelle est la « vocation » de la science ? En quoi diffère-t-elle de la « vocation » de la politique ? Or la solution qu’il proposait alors : « #neutralité_axiologique », séparation des deux « éthiques » (de la #conviction et de la #responsabilité) s’est avérée impraticable.

      Je vois quatre raisons à cela. Elles dessinent comme une unité de contraires, dans laquelle nous avons à tracer notre route, sans céder sur aucune exigence.

      Non aux institutions de #monologue

      Premièrement, l’Université et ses centres de recherches ne peuvent plus être des institutions de monologue. Elles doivent, plus que par le passé, ouvrir leurs portes et leurs oreilles à l’extérieur de la société, ou mieux de la cité. Nul ne conteste qu’il faille étudier, transmettre des savoirs, s’exercer à l’argumentation rationnelle : tout cela se fait dans des salles de classe et de séminaires. Mais l’objet lui-même, dont on recherche l’intelligibilité, est par définition au-dehors et surtout il est irréductiblement conflictuel, car nous ne vivons pas (et ne vivrons pas de sitôt) dans une cité « harmonieuse ». Pour qu’il y ait chance de l’appréhender et de le comprendre, ce conflit ne doit pas seulement faire l’objet d’une enquête ou d’une analyse à distance. Il doit s’introduire dans les lieux du savoir à travers ses acteurs réels, à moins que les chercheurs eux-mêmes ne partent à l’aventure pour les retrouver (par exemple dans une « jungle » ou dans un « quartier »). Comme aurait pu le dire Foucault, il faut faire sortir (les enseignants, les étudiants, les chercheurs) et laisser entrer (les manifestants avec ou sans gilet, les « militants », c’est-à-dire les citoyens actifs). Il faut leur donner la parole dans les enceintes réservées au discours. On sait que c’est presque impossible, mais des protocoles doivent pouvoir être expérimentés pour cela.

      Avec le lieux entre l’idéologie. C’est une banalité. Le problème est que l’idéologie est toujours déjà dans la place sous une forme plus ou moins « dominante ». Poser que le socle indiscutable du savoir économique est l’anticipation rationnelle des opérateurs de marché, ou que la connaissance sociologique se rejoue indéfiniment entre l’individualisme méthodologique et la solidarité organique, ou que l’objet commun de la psychologie et de la pédagogie est l’adaptation, ou que le sens de la modernité historique est la sécularisation du religieux, ce ne sont pas que des postulats, ce sont des prises de parti qui s’étayent sur des rapports de pouvoir. Naturellement il y en a d’autres, plus ou moins reconnues suivant les époques. Une institution de savoir vivante, capable d’accueillir l’inconnu, devrait se fixer comme objectif (y compris dans les instances nationales d’évaluation) de débusquer systématiquement les paradigmes « incontestés » pour les remettre en discussion. Souvenons-nous de l’épisode désastreux qui a vu l’interdiction d’une section « Economie et société » au Conseil national des universités (CNU), et dont nous payons le prix à l’heure du « quoi qu’il en coûte » …

      Aiguiser la #conflictualité

      Mais le conflit des idéologies scientifiques (comme disait Canguilhem) et des idéologies de savants (comme disait Althusser) n’est peut-être pas le cœur du problème. On pourrait croire, une fois de plus, que la conflictualité n’est que dans l’objet, ou dans les « investissements » du savoir par les intérêts, les engagements de ses porteurs. Mais pas dans le concept, qui est le cœur même du savoir. Rien n’est plus faux. Le savoir parvient au concept non pas en se protégeant de la conflictualité mais en l’aiguisant, en l’intensifiant autour de grandes alternatives « ontologiques », forçant à choisir entre des conceptions incompatibles de la nature des choses ou des êtres. L’histoire de la vérité n’est pas dans la synthèse, même provisoire, mais dans l’ascension polémique, vers les points d’#hérésie de la #théorie. C’est l’évidence en économie, dans les sciences humaines, dans les sciences de l’environnement, et peut-être au-delà – par exemple en biologie dans la théorie de l’évolution.

      Enfin, plus profondément, il y a ceci que le savoir n’est pas sans sujet(s). Ceci n’est pas un défaut de la #connaissance_scientifique, c’est sa condition de possibilité, en tout cas dans toutes les sciences qui ont une dimension anthropologique (et peut-être dans d’autres). Pour connaître il faut « s’avancer » subjectivement dans le champ où on se trouve déjà situé, avec tout le bagage des caractères (comme disait Kant) qui nous font « ce que nous sommes » (par construction historique et sociale, bien évidemment), car il n’y a pas de subjectivité « transcendantale ». Mieux, il faut s’avancer vers le point de trouble dans l’identité où chaque sujet se loge tant bien que mal avec sa « différence », qu’il s’agisse de masculinité et de féminité (ou d’autre « sexe » encore), de blanchité et de noirceur (ou de quelque autre « couleur »), de compétence et d’incompétence intellectuelle, de croyance ou d’incroyance « religieuse », pour en faire un analyseur des effets de société qui nous enferment, nous orientent et nous repoussent. Car si nul (le) ne peut absolument choisir sa place dans la cité, en raison même des rapports de domination qui la traversent, aucune place n’est pourtant assignable une fois pour toutes. Faire ainsi de la différence anthropologique vécue et reconnue et de son incertitude propre l’instrument de dissection du corps politique que nous sommes collectivement, et faire de l’analyse des mécanismes qui la produisent et la reproduisent le moyen d’en relativiser les effets normatifs, ce n’est peut-être pas la voie royale de la science, mais c’en est certainement un passage obligé. On pense ici à ce que Sandra Harding appelle « l’#objectivité_forte », incluant la connaissance de son propre sujet. C’est dire à quel point les positivismes font fausse route.

      Des modèles coûts-bénéfices prévisionnels aux comités d’experts…

      Le chemin qui nous attend est donc très difficile. J’ai fait ma carrière de professeur dans une époque que, rétrospectivement, on pourrait être tenté de qualifier de « bénie ». Les conflits étaient très durs, mais les interdits professionnels de guerre froide n’avaient plus cours. La « valeur de la science » était peu contestée. Mai 68, qui avait voulu secouer l’académisme et faire exploser les frontières, laissait beaucoup de déceptions, mais nourrissait de sa ferveur et de ses fureurs nombre de « programmes », dans lesquels se formèrent les jeunes chercheurs d’aujourd’hui, dont la moitié végète d’un contrat court à un autre. Notre classe dirigeante n’est plus en effet une bourgeoisie au sens historique du terme : elle n’a ni projet d’hégémonie intellectuelle ni point d’honneur artistique. Il ne lui faut (du moins le croit-elle) que des modèles coûts-bénéfices prévisionnels, des programmes d’éducation « cognitifs » et des comités d’experts. C’est pourquoi, pandémie et révolution télématique aidant, elle prépare activement la liquidation des départements de sciences sociales et d’humanités, ou même de sciences théoriques. Qui veut noyer son chien l’accuse alors de la rage (« l’islamo-gauchisme », le « militantisme », « l’idéologie »). De toutes nos forces, comme intellectuels, comme citoyens, nous devons résister à ce démantèlement des outils du savoir et de la culture. Mais pour ce faire, nous devons aussi ouvrir les yeux sur les révolutions dont a besoin l’institution, et les mettre en discussion parmi nous sans pudeurs ni présupposés.

      (1) Max Weber, le Savant et le Politique, nouvelle traduction et introduction par Catherine Colliot-Thélène, éditions La Découverte, Paris 2003.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/etienne-balibar-le-conflit-fait-partie-des-lieux-du-savoir-20210309_YFL47

      Et ici :
      https://seenthis.net/messages/905530

    • Attaques contre des universitaires : le SNESUP-FSU écrit à la ministre F. Vidal

      Publié le : 12/03/2021

      Paris, le 12 mars 2021

      Madame la Ministre,

      Le #SNESUP-FSU, attaché aux libertés académiques indispensables pour faire avancer les débats scientifiques suivant des démarches partagées, comme aux institutions garantissant ces libertés, déplore leur mise en cause dans des interventions médiatiques politiques qui ont abouti à fragiliser l’Université et à attiser les tensions de toutes parts.

      Vous avez exprimé récemment votre attachement sans faille à la protection de l’ensemble des enseignants-chercheurs et des agents du ministère.

      À notre connaissance, vos déclarations ont été très vite suivies de l’attribution de la protection fonctionnelle à des enseignants de l’IEP de Grenoble dont les noms ont été diffusés sur internet accompagnés de propos injurieux ou accusatoires.

      En parallèle un grand nombre d’enseignants du supérieur sont exposés de façon similaire depuis une quinzaine de jours sur un site web qui les accuse d’être « complices de l’Islam radicale » (sic) et de « pourrir l’université et la France ». Certains de nos collègues craignent en conséquence pour leur intégrité. Les organismes et les établissements disposent des éléments sur cette attaque calomnieuse. Un certain nombre ont informé leurs agents concernés de leur soutien et des démarches à suivre pour bénéficier de la protection prévue par l’article 11 de la loi 83-634, notamment pour la prise en charge de frais d’avocat ou pour des mesures spécifiques suite à des menaces. Mais les autres n’ont pas alerté leurs agents. Le retrait de la page diffamant les agents aurait été demandé à son auteur et à son hébergeur mais à ce jour les propos diffamatoires sont toujours visibles.

      Fin novembre un tweet du député Julien Aubert toujours accessible en ligne désignait déjà nommément sept collègues « coupables » d’« islamo-gauchisme ». D’après la question écrite n° 21254 d’un sénateur1 une maitresse de conférences ainsi visée a essuyé un refus d’octroi de la protection fonctionnelle de la part de la présidence de son établissement sur la base d’une consultation de vos services.

      Face à ces discordances, le SNESUP-FSU rappelle que le droit des agents à être défendu par l’administration n’est pas à géométrie variable. La loi prévoit l’obligation de les défendre indépendamment de l’origine des attaques. La circulaire du 2 novembre 2020 sur le renforcement de la protection des agents publics rappelle que la PF est une obligation pour l’employeur public pour ne pas laisser l’agent sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité. Elle indique qu’« en cas de diffamation, de menace ou d’injure véhiculée sur les réseaux sociaux visant nominativement un fonctionnaire ou un agent public, il est demandé à l’employeur d’y répondre de manière systématique », et elle poursuit par des actions concrètes à entreprendre.

      La circulaire enjoint chaque administration à communiquer largement à ses agents sur les dispositions prises – ce qui reste donc à concrétiser – et à mettre en place un dispositif permettant de recenser les attaques, les protections fonctionnelles accordées et refusées, et les mesures de protection mises en œuvre. Par conséquent le SNESUP-FSU souhaiterait avoir connaissance du dispositif mis en place, et du bilan des actions entreprises qui devait être transmis début 2021 au ministère chargé de la FP.

      La circulaire demande aux ministres de garantir la mobilisation à tous les niveaux de l’administration en ajoutant « nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur ». C’est pourquoi le SNESUP-FSU vous demande donc de vous assurer que c’est bien le cas pour les agents du ministère victimes des attaques précitées, qu’un bilan des mesures prises et des éventuels refus de protection soit établi et lui soit communiqué (ou diffusé).

      Nous attirons enfin votre attention sur la situation des étudiants, notamment les doctorants, qui se retrouveraient attaqués ou menacés dans le cadre de leur participation à des travaux de recherche ou de formation sous la responsabilité d’une administration. Il importe qu’ils sachent compter sur le soutien de celle-ci même en l’absence de lien contractuel. À cet effet, nous souhaiterions savoir la nature de la protection sur laquelle ils peuvent compter et les modalités pour en bénéficier.

      Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de notre haute considération.

      Anne ROGER - Christophe VOILLIOT
      Co-secrétaires généraux du SNESUP-FSU

      Philippe AUBRY
      Secrétaire général adjoint du SNESUP-FSU

      https://www.snesup.fr/article/attaques-contre-des-universitaires-le-snesup-fsu-ecrit-la-ministre-f-vidal

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une #diversion et un #ballon_d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de F. Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps de réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque contre les universités. Le #déni doit cesser : à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la #sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org (https://academia.hypotheses.org/newsletters) et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » (https://academia.hypotheses.org/30630) qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux #libertés_publiques.

      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat (https://academia.hypotheses.org/30821), à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du #définancement du budget « #Vie_étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement (https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/psy/consequences-psychopathologiques-du-confinement).

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances, mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald #Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat #Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « #Avenir_lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « #Principes_républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de #Marion_Maréchal-Le Pen (https://academia.hypotheses.org/27305), dont les idées sont reprises par #Emmanuel_Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » (https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430) et continuée avec #Jean-Michel_Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat (https://academia.hypotheses.org/27386), à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires (https://academia.hypotheses.org/27264) est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.

      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche (https://www.lejdd.fr/Politique/exclusif-vidal-persiste-sur-lislamo-gauchisme-je-veux-une-approche-rationnelle) dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « #déni_de_démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde (https://academia.hypotheses.org/26788) qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (https://www.lecese.fr/travaux-publies/contribution-du-cese-au-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-re), pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact (https://academia.hypotheses.org/24589) en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan (https://academia.hypotheses.org/9135), et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « #nuit_noire » d’octobre (https://academia.hypotheses.org/27401) : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré (https://academia.hypotheses.org/29702) par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.

      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un #délit_pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des #franchises_académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre (https://www.parisnanterre.fr/espace-presse/message-de-la-presidence-19-02-2021-1004292.kjsp), lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé. Pour ce qui touche à la formation des enseignantes et des enseignants, les menaces se font toujours plus pressantes : il n’est que de voir, après de longues années à retirer des heures de formation aux universitaires, la nouvelle expérimentation qui fait la « une » du site web du Ministère de l’Education Nationale : l’annonce qu’à titre expérimental, dans vingt-deux académies, on va retirer de l’université les étudiants et les étudiantes destinées à devenir professeur∙es des écoles, pour les former, pendant trois ans, dans des lycées, avec très peu de cours à l’université. En confiant leur formation à des professeur∙es du secondaire, beaucoup moins en phase avec la recherche critique faute de temps à y consacrer et à l’inverse beaucoup plus soumis aux pressions de leur ministère, qui s’exercent par toute une série de relais (rectorats, inspecteurs, conseillers pédagogiques), il s’agit ni plus ni moins de retirer aux universités l’influence qu’elles exercent sur les jeunes citoyennes et citoyens en formant leur esprit critique.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La #protection_fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » (https://academia.hypotheses.org/28160) — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale (https://www.soundofscience.fr/2671), c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices (https://academia.hypotheses.org/29291) ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence #Sarkozy et le vote de la loi dite « #Libertés_et_responsabilités_des_universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC (https://connexion.liberation.fr/autorefresh?referer=https%3a%2f%2fwww.liberation.fr%2fchecknews) et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la #souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la #diversion à la saisie du problème de la #pauvreté_étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un #ordre_colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en humiliant les gens du voyage, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de #résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/christelle-rabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante#at_medium=cu

      #ordre_patriarcal

    • Islamophobie ou islamo-gauchisme : l’indignation à géométrie variable de Frédérique Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur défend promptement les universitaires accusés d’islamophobie quand elle tarde à apporter son soutien aux professeurs désignés comme « islamo-gauchistes ».

      Le gouvernement défend-il plus les enseignants-chercheurs qui vont dans son sens politique ? Depuis plusieurs semaines, des universitaires sont affichés publiquement, tantôt pour islamophobie, tantôt pour islamo-gauchisme. Force est de constater que la réponse du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pas égale face à ces prises à partie ad hominem.

      Quand deux enseignants-chercheurs de l’IEP de Grenoble, Klaus Kinzler et T., sont la cible d’un affichage sur les murs de l’établissement les traitant de « fascistes » et d’« islamophobie » le 4 mars, le communiqué de condamnation de l’acte par Frédérique Vidal ne se fait pas attendre plus de quatre jours. De même, la direction de l’IEP se range derrière ses personnels et saisit le procureur de la République.

      Par contre, quand #Pascal_Praud désigne la directrice du laboratoire Pacte prise dans la polémique de Sciences-Po Grenoble au sujet de Klaus Kinzler, Anne-Laure Amilhat Szary, comme « militante » et livre son nom dans son émission du 9 mars dernier, sa ministre de tutelle ne publie aucun communiqué, malgré la virulente campagne de calomnies qui a suivi par les propos de l’animateur de CNEWS. « Je me sens fortement soutenue par mes tutelles, l’université Grenoble Alpes, le CNRS et l’IEP, déclare la principale intéressée à Libération. Il faut laisser du temps à l’enquête et je le comprends, mais je reçois des menaces de mort depuis ce week-end et je suis préoccupée pour notre pays que l’on puisse jeter en pâture le nom d’une professeure des universités et celui de son laboratoire sans qu’il y ait d’intervention publique immédiate pour les défendre dans les médias. » Les messages sur les réseaux sociaux l’accusent en effet « d’#islamo-fascisme » et d’avoir lancé « une #fatwa » à l’encontre de ses deux collègues de l’IEP Grenoble, ce que les faits contredisent tout à fait.

      Cet embrasement sur le thème d’un supposé « islamo-gauchisme » au sein des universités françaises a été attisé par la ministre Frédérique Vidal elle-même. En février, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait, sur CNEWS déjà, son intention de commander « une enquête » au CNRS portant sur « l’islamo-gauchisme » dans les facs. Très vite, une pétition de chercheurs et universitaires va « demander avec force la démission de Frédérique Vidal ». Les 600 premiers signataires de cette pétition vont se retrouver affichés sur un site sous le titre « Liste des 600 gauchistes (et quelques autres) complices de l’islam radical qui pourrissent l’université et la France », sans que cela n’émeuve le ministère rue Descartes. Comme dans le cas de l’affaire de l’IEP de Grenoble, ce sont les tutelles qui vont faire le travail, accordant la #protection_fonctionnelle à leurs personnels pour prendre en charge les frais de justice, comme à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Le CNRS a aussi saisi le procureur de la République sur ces faits. Finalement, le 9 mars, lors d’une réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), Frédérique Vidal fera lire un message condamnant « l’attitude de certains sites et organisations politiques, adoptant la même attitude envers des universitaires au prétexte qu’ils ont participé à une pétition. Sur ce dernier point, je soutiens sans réserve le signalement effectué à l’initiative du CNRS ». Un soutien à bas bruit médiatique au nom d’une position de principe réitérée au Sénat le lendemain.


      https://twitter.com/VidalFrederique/status/1369667352497958917

      Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, s’inquiète de cette dérive consistant à attaquer les chercheurs personnellement en raison de leur thème de recherche. « Cela demande une réaction forte du gouvernement. Il faut protéger les libertés académiques sans rentrer dans une forme de choix en fonction de la couleur politique des personnes », plaide-t-il avant de reconnaître que cette indignation sélective a été tant le fait « du gouvernement, de certains parlementaires que, parfois, de certains collègues ».

      https://www.liberation.fr/politique/islamophobie-ou-islamo-gauchisme-lindignation-a-geometrie-variable-de-fre

    • « Le Klu Klux Klan en aurait rêvé ! » Ce que les #paniques_morales sur les universités révèlent de la #propagande d’extrême-droite

      Les universités n’ont jamais eu bonne presse avec les journaux conservateurs. Espaces de contestation et de critique, particulièrement depuis la massification d’après-Seconde Guerre Mondiale et les mouvements sociaux de la fin des années 1960 et des années 1970, ces institutions se sont révélées, pour une part importante d’entre elles, très résistantes aux tentatives d’entrée et d’emprise du militantisme conservateur ou réactionnaire — même si quelques-unes d’entre-elles sont fameuses pour avoir accueilli des groupes et des intellectuels essentiels de la droite radicale. Il y aurait certainement une histoire à faire des paniques morales agitées concernant ces espaces, qui s’y prêtent bien, étant fréquentés par une partie bien définie de la population et relativement coupés du reste des sphères sociales, mais un tel effort dépasserait les ambitions de ce billet pour Academia.

      Une actualité insistante

      Une chose toutefois claire — et que j’ai discutée ailleurs (https://racismes.hypotheses.org/209) — est le fait que l’année 2019 voit en France une résurgence d’un tel cycle de #paniques, dont la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021 semblent être un pic : pas un jour ne passe ou presque sans qu’un article discutant, qui la mise en place d’une cérémonie de remise de diplômes réservée aux personnes LGBT dans une université états-unienne (https://www.lepoint.fr/monde/a-columbia-une-remise-de-diplomes-pour-chaque-minorite-18-03-2021-2418406_24) — où la pratique existe pourtant depuis plusieurs décennies —, qui un conflit mineur au sein d’une salle de classe quant aux conditions acceptables d’utilisation d’une injure raciste (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/30/a-l-universite-d-ottawa-le-mot-qui-ne-doit-jamais-etre-prononce_6057913_4500) — particulièrement en ce qui concerne la lecture de textes employant ces termes — qui d’un débat concernant le programme à enseigner dans un cours (https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/non-l-antiquite-n-etait-pas-raciste-20210311). Les personnes ayant tenté sans succès l’attention des médias sur la situation des universités, notamment concernant les ravages de l’austérité et de la précarité tant sur les usagers que les travailleurs de ces institutions, ressentiront sans doute une pointe de jalousie face à cet intense intérêt pour la question de la composition du syllabus du cours de littérature médiévale de l’université de Leicester (https://www.lepoint.fr/culture/cancelculture-quand-l-universite-de-leicester-decolonise-ses-programmes-24-0), par exemple, au moment même où l’avenir des départements de lettres est remis en cause en France (https://twitter.com/JulienGossa/status/1371816497274888197) car ils constitueraient un « aller simple pour le chômage ».

      Dans ce contexte médiatique survolté, l’association Qualité de la science française (https://www.qsf.fr/2021/03/16/le-climat-dintimidation-a-luniversite-ne-peut-pas-perdurer) s’interroge « sur la place à réserver au sein des universités à des manifestations consacrées à la défense ou à la promotion de certaines #valeurs (telles les « semaines de l’égalité ») ». Car, ajoute-elle, « Les valeurs sont par définition des objets polémiques ».

      C’est précisément ce qui va m’intéresser ici, à savoir la place que tient en particulier le thème de la « #ségrégation » dans le registre de la dénonciation des initiatives pro-diversité ou anti-racistes, spécifiquement dans les universités, tel qu’il se déploie dans ces paniques morales. Une interjection souvent entendue en ce sens se résume ainsi à « Le Klu Klux Klan en a rêvé, les universitaires l’ont fait ! » (https://twitter.com/Eric_Anceau/status/1372085529437745158), reprenant la vieille accusation bien connue de « #racialisme », selon laquelle dans une société largement post-raciste, les seules personnes faisant exister encore le racisme seraient d’une part quelques marginaux racistes en pleine débandade, et de l’autre un groupe bien plus dangereux, que seraient les antiracistes « obsédés de la race ».

      Cette accusation se retrouve sur le temps long dans la littérature conservatrice : dans son fameux Sanglot de l’Homme Blanc, l’essayiste #Pascal_Bruckner nous avertissait déjà de ce qu’il pensait être le risque de la valorisation de la diversité :

      "Perçue alors comme infériorité, la différence est vue désormais comme distance infranchissable. Poussée dans sa logique extrême, cet éloge de l’autarcie aboutit aux politiques discriminatoires de triste renom : qu’est-ce d’autre en effet que l’apartheid sud-africain, sinon le respect de la spécificité pris au pied de la lettre, jusqu’au point où l’autre est si distinct de moi qu’il n’a plus le droit de m’approcher ? On sait qu’à Pretoria la règle du « chacun chez soi et tout le monde sera content » est une religion d’État."

      Le fait que le texte en question ait été écrit une décennie avant l’abolition de l’apartheid permet de saluer toute la finesse de l’analyse. Mais il en ressort la présence durable d’une crainte, réelle ou feinte — et au vu des craintes face au cosmopolitisme ou au multiculturalisme que l’auteur énonce dans son texte par la suite, ce caractère feint est une hypothèse à prendre au sérieux — face au fait que le principal moteur d’une résurgence du racisme soit finalement les antiracistes eux-mêmes. Cela explique les exclamations paniquées devant la moindre initiative visant à transformer en dispositifs de politiques publiques des principes antiracistes : « Le KKK en aurait rêvé ! ».

      Il faut certes reconnaître la profonde méconnaissance de l’histoire des effets politiques du groupe terroriste états-unien, de son agenda, et de l’actualité de son militantisme et de celui d’organisations partageant ses idées qui suinte du discours de Pascal Bruckner. En effet, il sous-entend que le KKK n’existerait plus ou que ses idées ne pourraient être déduites que de débats de plusieurs décennies, quand non seulement l’organisation, en déclin, existe et parle encore, mais de surcroit des organisations partageant ses idées ont pignon sur rue. La plus célèbre — le #Council_of_Conservative_Citizens — organise des meetings publics, où elle invite des politiciens de premier plan, aux campagnes desquels elle participe, et publie des journaux : il est très facile de savoir ce que pense le mouvement ségrégationniste aux États-Unis, puisqu’il n’a pas disparu. Un élément néanmoins marquant, c’est la façon dont les expressions de choc moral et les cris d’orfraie de l’essayiste français se font de façon paradoxale l’écho d’éléments de propagande issus, précisément, de ces milieux radicaux.

      Inverser les valeurs

      On aurait tort d’ignorer, dans le discours de ces nouveaux prophètes réactionnaires, la tradition intellectuelle états-unienne suprémaciste blanche. Comme je viens de le préciser, il est en effet possible de lire et d’entendre des analyses d’intellectuels issus du mouvement suprématiste blanc états-unien, auquel se rattache le KKK, de façon régulière : le mouvement dispose depuis longtemps de ses presses, de ses think tanks, etc. Comme le rappelle le philosophe Jason Stanley dans son ouvrage How Fascism Works, l’extrême-droite états-unienne a depuis plusieurs décennies considéré la lutte contre l’institution universitaire comme une mission de premier plan. Le rôle de l’activiste #David_Horowitz, analysé par Stanley, peut être considéré central dans de telles attaques, notamment via son organisation, #Students_for_Academic_Freedom :

      "Le but de Students for Academic Freedom est de faire la promotion de l’embauche d’enseignants ayant un point de vue conservateur, un effort présenté comme une promotion de la « #diversité_intellectuelle et de la liberté académique dans les universités américaines », d’après la #Young_America_Foundation [autre organisation de droite proche de SAF]. Pendant les dernières décennies, #Horowitz a été une personnalité marginale dans la #droite_radicale états-unienne. Plus récemment, ses tactiques et objectifs, parfois sa #rhétorique, sont entrées dans le #langage_commun, où les attaques envers le « #politiquement_correct » sur les campus sont devenues banales."

      La stratégie de David Horowitz évoquée ici est définie par ce dernier dans une note stratégique qu’il a rédigée pour le Sénateur Républicain Jeff Sessions en 2012 : intitulée « Viser le cœur plutôt que la tête », la note développe une méthode consistant à faire haïr le camp adverse à l’électorat plutôt que de gager sur les atouts du programme que l’on défend. Pour Horowitz, le camp progressiste parvenant à se représenter comme ayant le surplomb moral, il fallait au contraire développer « une #campagne_émotionnelle qui mette nos agresseurs [les Démocrates] sur la défensive ; qui les attaque sur le même plan moral, leur attacher l’#image des méchants ».

      Il n’est dès lors pas étonnant que sur le long terme, les entreprises militantes que cet activiste a développées s’appuient sur une #inversion_des_valeurs. Comme le fait remarquer Jason Stanley, les propositions concrètes portées par les groupes du type de ceux soutenus par Horowitz n’est pas une extension des libertés, mais une réduction de celles-ci : « Les attaques depuis la droite montrent clairement le désir même de la droite de contrôler ce sur quoi on a le droit de travailler. Dans le genre classique de la propagande démagogique, la tactique consiste à attaquer des institutions représentant la #raison et le débat ouvert, au nom de ces mêmes idéaux ». Ce qui explique que les organisations soutenues par Horowitz, qui font toutes appel à la liberté et au débat dans leurs noms, publient également régulièrement des listes d’enseignants jugés déviants à remettre en cause : en 2016, #Turning_Point_USA, un groupe similaire, lançait la plateforme « #Professor_Watchlist » (https://academia.hypotheses.org/2684), qui visait à effectuer une liste de « #professeurs_dangereux ». Horowitz avait lui-même inauguré le modèle en publiant un ouvrage sur « les 101 professeurs les plus dangereux des États-Unis », puis en créant le répertoire « #Discover_the_Networks », suivant le même objectif.

      L’un des éléments les plus structurants du discours de la droite horowitzienne consiste très tôt à mettre en avant la façon dont l’antiracisme sur les campus universitaires reviendrait à réactiver une ligne de couleur par ailleurs effacée, particulièrement dans le cadre des débats sur les politiques d’affirmative action visant à accroître la diversité sur les campus : « Le KKK en rêvait ! », commence-t-on alors à s’émouvoir dans une droite qui, peu de temps avant, continuait dans certaines parties du pays à élire des représentants issus des rangs du même KKK, et qui prendrait bientôt l’habitude de recevoir des soutiens financiers de ses héritiers. Cette image d’une université qui, croyant bien faire, réactiverait des clichés et surtout développerait des pratiques incompréhensibles, devient en tant que telle un élément de propagande de cette même extrême-droite : dans un document d’ »analyse » pour un think tank suprématiste blanc, le « #Geopolitical_Studies_Institute », un auteur expliquait ainsi le mouvement #Black_Lives_Matter comme suit :

      "Nous avons remarqué que des jeunes gens éduqués – avec des diplômes supérieurs à la licence – sont surreprésentés parmi les militants #BLM. Une explication possible – outre le fait que les départements de lettres et de sciences sociales sont de plus en plus des machines à #endoctrinement gauchistes – est qu’il y a une relation positive entre le #neuroticisme [un trait de personnalité associé aux émotions fortes en psychologie] et le succès universitaire, particulièrement combiné à un haut niveau de conscience de soi (contrôle des impulsions et suivi des règles). C’est peut-être parce que l’#anxiété agit comme motivateur de la diligence ou parce que le neuroticisme implique un plus grand désir de connaître la nature du monde de façon certaine, et donc de croire que l’on peut y accéder via les études supérieures."

      Traduit en autre chose que le sabir pseudo-scientifique original, le raisonnement revient à dire qu’à la fois le désir de faire des études et la propension à participer à un mouvement social antiraciste n’est explicable ni par l’état de la société, ni par une position idéologique avec laquelle il est possible d’être en désaccord, mais qui se discute au moins, mais en réalité par une sorte de défaut fondamental de la personnalité des personnes qui s’y prêtent. L’auteur explique un peu plus haut qu’un tel phénomène aurait lieu du fait d’un changement évolutionnaire dans l’espèce humaine lié à l’#industrialisation, qui conduirait à la disparition des processus darwiniens naturels réduisant la prévalence de tels traits dans la population. On retrouve facilement les vieilles marottes eugénistes et spencériennes qui portent la droite radicale dans toute son histoire moderne.

      Une telle lecture psychologisante et médicalisante de « la religion de la justice sociale » est longtemps restée enfermée dans les champs de la pseudo-science raciale, mais trouve à la fin des années Obama une place accueillante sur la chaîne de télévision #Fox_News, où un segment quasi-quotidien, « La folie des campus », animé par le présentateur vedette #Tucker_Carlson, vient documenter quasi-quotidiennement des non-événements censés éclairer les #dérives_universitaires, montées de façon unilatérale autour d’une histoire simpliste dans laquelle les « antiracistes gauchistes extrémistes » sont toujours des « fous » et des « méchants », tandis que leurs « victimes » sont toujours de libres-penseurs modérés souhaitant seulement « discuter d’idées ». C’est à cette même époque que des intellectuels états-uniens proches de ces idées, auto-qualifiés du label peu flatteur mais ironiquement bien trouvé d’#Intellectual_Dark_Web prennent l’habitude de se qualifier de « #libéraux_classiques » (classical liberals), tout en travaillant comme l’illustrait le commentateur politique #Michael_Brooks dans son propre décorticage du mouvement, #Against_the_Web, à mettre à l’agenda des positions violemment réactionnaires et antiscienti (fiques renvoyant aux vieilles marottes de la « science raciale », et plus généralement du rappel à l’ordre :

      "Ils défendent tous l’ordre économiste capitaliste sur le plan domestique, et l’hégémonie impérialiste américaine internationalement. Ils se voient comme les défenseurs d’une construction floue (et franchement incohérente historiquement) qu’ils appellent « l’Occident ». Ils défendent tous ce qu’ils imaginent être « la biologie » contre les féministes, et au moins certains d’entre eux, comme #Sam_Harris – qui fait la promotion de #Charles_Murray, intellectuel odieusement d’extrême-droite et aux préjugés explicites – prennent une position similaire sur le sujet de la race. Plus encore, dans l’ensemble de ces sujets, l’#IDW promeut des perspectives qui naturalisent ou mythologisent des relations de pouvoir historiquement contingentes – entre patrons et travailleurs, hommes et femmes – ce sont des réactionnaires à l’ancienne."

      Pas étonnant dès lors que ces « progressistes classiques » soient rapidement devenus les progressistes préférés de la droite états-unienne, et commencent à devenir des lumières pour une partie de la droite européenne.

      Liaisons dangereuses

      Les représentations des paniques morales de 2021 sont directement tributaires de la littérature des « #progressistes_classistes ». Avec une précision millimétrique, les mêmes affaires sont traduites, diffusées, et discutées dans les mêmes termes, devenant l’un des produits les plus populaires d’exportation des États-Unis vers la France. La multiplication d’ »enquêtes » sur « la #folie_des_campus », accusant la « #génération_offensée » que seraient les jeunes et les « endoctrineurs » que seraient leurs enseignants de « créer de toutes pièces » un antiracisme « racialiste » qui se mettrait à agiter des polémiques « imaginaires », qui est désormais une obsession bien fixée d’une partie de la presse, n’est pas sans faire écho non seulement aux paniques qui agitaient la presse générale états-unienne il y a cinq ans. Les raisons en sont certainement nombreuses, et on ne peut pas entièrement ignorer le fait que, dans la machine du clickbait et de l’info en continu, des affaires qui ne nécessitent pas beaucoup d’enquête — et, disons-le, pas beaucoup de #déontologie non plus, comme l’a bien illustré la récente affaire de Sciences Po Grenoble dans laquelle la parole d’une partie au conflit a été érigée immédiatement en vérité face à laquelle aucune perspective dissonante ne devait être entendue, sont une bonne matière première. Cette même matière sert apparemment désormais des discours pour qui les fondements constitutionnels de la République Française — liberté, égalité, fraternité — poseraient problème, à l’université notamment.

      Enquêter à l’université, aller chercher les conditions de vie et de travail des gens qui y sont, comprendre l’imbroglio administratif qui conduit à la dégradation progressive de cette institution est fastidieux et fait peu vendre, par rapport au fait de multiplier des Unes sensationnalistes suivant une recette bien établie et facile à reproduire. Mais – et c’est particulièrement ironique face à l’accusation de ressembler au discours d’organisations terroristes comme le KKK – cette logique qu’elle provienne de contraintes, de conviction, ou de malveillance, conduit irrémédiablement à se calquer petit à petit sur les analyses et à l’agenda que, de longue date, le mouvement suprématiste blanc états-unien a mises en avant sur ces questions.

      https://academia.hypotheses.org/31676

    • Courrier de la ministre Vidal (22.03.2021) :

      https://i.imgur.com/1po5SGh.jpg

      A propos de la « #Liste des #600_gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’université et la France » publiée sur le blog de #Philippe_Boyer :
      https://philippe-boyer.eu/liste-des-600-gauchistes-complices-de-lislam-radicale-qui-pourrissent

      Comme dit Claire Sécail sur twitter :

      « C’est aussi à la vitesse de réaction que l’on reconnait un foutage de gueule. »

      https://twitter.com/clairesecail/status/1374055660531429379

    • Derrière la polémique sur l’« islamo-gauchisme », la ministre Vidal isolée comme jamais

      Imaginée par une poignée de conseillers de Frédérique Vidal, la #polémique sur l’« islamo-gauchisme » a servi de paravent à une ministre isolée comme jamais du monde académique, des réalités étudiantes mais aussi de sa propre administration.

      Ses conseillers lui avaient promis de marquer, enfin, l’agenda politique. De ce point de vue, l’opération est réussie. Absente du débat public depuis le début de la crise sanitaire, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal a provoqué un tollé en déclenchant, en pleine pandémie, un débat sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités.

      L’instant d’une polémique – qui l’a soudainement amenée à défendre le contraire de ce qu’elle prétendait penser à l’automne –, la ministre a même réussi à reléguer au second plan les critiques sur son défaut de gestion de la crise. Oublié aussi son isolement du monde académique, des réalités étudiantes ainsi que de sa propre administration. Fin novembre, son ministère a été marqué par la démission fracassante du directeur général de la recherche et de l’innovation. Mais de cet événement aussi inédit que parlant sur l’état du ministère, il n’a pas été question sur les plateaux de télévision. De l’art de faire #diversion.

      En recommandant à leur patronne d’attaquer bille en tête la communauté universitaire, les quelques conseillers de Frédérique Vidal à la manœuvre n’avaient en revanche pas anticipé l’ampleur des protestations qui s’élèveraient contre elle.

      Les pétitions appelant sur tous les tons à sa démission se multiplient – celle issue d’une tribune publiée le 21 février 2021 dans Le Monde cumulant même, à ce jour, plus de 22 000 signatures individuelles d’universitaires. Consternés, des intellectuels du monde entier volent désormais au secours de leurs collègues français (lire cette tribune de L’Obs). Jamais une ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche n’avait autant fait l’unanimité contre elle. Signe que l’heure est grave, des organisations scientifiques d’habitude discrètes affichent désormais leur désaccord.

      Alors que Frédérique Vidal avait demandé, le mardi 16 février 2021, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « un bilan de l’ensemble des recherches », pour mieux séparer ce qui relèverait de la science et du militantisme, le CNRS a répondu que « l’islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique ». L’organisme de recherche a condamné « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche ».

      Même la conférence des présidents d’université s’est exprimée en des termes peu habituels : « Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Du côté syndical aussi, le front est large. La FSU (Syndicat national des chercheurs scientifiques et Syndicat national de l’enseignement) et Sud (Recherche et Éducation) ont appelé au départ de la ministre. La CGT estime que « la ministre doit retirer ses déclarations et présenter ses excuses aux personnels, annuler ses velléités d’inspection politique de la recherche ». Et l’Unsa d’attaquer : « Cela fait des mois que les universitaires se dépensent sans compter pour assurer la continuité du service public de l’enseignement supérieur. La plupart sont épuisés. Est-ce pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant-chercheur que l’on stigmatise des pans entiers de la recherche ? »

      Avant même la polémique sur « l’islamo-gauchisme », la communauté universitaire s’était émue, cet automne, des attaques faites aux libertés académiques lors de l’examen puis du vote de la Loi de programmation de la recherche (LPR). Les premiers à avoir demandé la démission de Frédérique Vidal ont été les membres de la Commission permanente du conseil national des universités (CP-CNU), une instance aux deux tiers élus et se prononçant sur le recrutement et la carrière des enseignants-chercheurs.

      Déjà le 7 novembre 2020, ils estimaient que Frédérique Vidal devait quitter ses fonctions, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. La CP-CNU y déplorait le fait de ne jamais avoir été entendu lors de la préparation de la LPR. L’ultime affront, celui poussant cette instance à demander pour la première fois de son existence la démission d’un ministre, étant le vote au Sénat, tard dans la nuit du 28 au 29 octobre 2020 et avec le soutien du gouvernement, de deux amendements sulfureux.

      Le premier sanctionne de trois ans de prison l’occupation en réunion d’un bâtiment universitaire. Le second passe outre l’expertise du CNU pour la qualification des professeurs et marque le début de la même expérimentation pour les maîtres de conférences, remettant totalement en cause l’organisme qui délivre ladite qualification, le CNU.

      « En touchant à la question de l’autonomie de la production des savoirs vis-à-vis du pouvoir politique (quel qu’il soit) et aux libertés académiques, ainsi qu’au cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs, ces amendements confirment le mépris dans lequel la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est tenue depuis des mois en France », s’est alors alarmée l’organisation.

      Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU, se souvient de sa stupeur en découvrant la position du gouvernement : « À maintes reprises, le cabinet et la ministre nous avaient promis qu’ils ne toucheraient pas au CNU et au recrutement des enseignants chercheurs, ils ont menti. » Une manière de faire si brutale qu’elle a choqué jusqu’à Cédric Villani, ancien représentant des universitaires chez LREM. 

      Le député de l’Essonne a même voté contre la #LPR. Dans une lettre publiée au lendemain du vote, il dénonce la réforme, sur le fond comme sur la forme. Au sujet de la criminalisation de l’occupation des facs, il écrit : « En tant que député, je trouve inconcevable qu’une telle disposition soit prise sans débat à l’Assemblée ; en tant qu’universitaire, je ne puis voter pour une telle limitation de nos précieuses libertés académiques. »

      Depuis, la colère de la CP-CNU n’est pas redescendue. « La seule fois où j’ai vu Frédérique Vidal depuis 2017, c’était en mars 2020. Nous étions en pleine mobilisation contre la LPR. Elle nous a engueulés parce que des profs exerçaient leur droit de grève. Elle s’est plainte que personne ne la soutienne », se rappelle Sylvie Bauer. Un récit confirmé par Fabrice Planchon, vice-président de la CP-CNU. Un échange tendu puis un appel à démission plus tard, les liens entre le ministère et l’instance ont complètement été rompus.

      La CP-CNU n’est pas la seule instance à avoir gardé un amer souvenir des discussions autour de la LPR. Patrick Lemaire, biologiste et président du collège des sociétés savantes académiques de France, se souvient d’une curieuse « #garden_party » organisée à l’été 2020 dans les jardins du ministère en guise de « concertation ». « C’était un drôle de mélange. Frédérique Vidal était là, debout, usant de l’argument d’autorité pour nous convaincre du bien-fondé de sa loi. Quand on la contredisait, elle pouvait devenir plus constructive mais ne remettait jamais en question son projet. Elle ne voulait rien changer à son texte, mais mieux l’expliquer. »

      Un autre invité se souvient auprès de Mediapart d’un « one-women show d’une heure et demie », du buffet, du beau jardin et de l’impression de s’être rendu à une réunion pour rien : « Nous, on aurait préféré être assis, à une table, pouvoir échanger calmement, échanger des dossiers. Ça ne s’est pas fait mais ça voulait peut-être dire que, pour elle, il n’y avait déjà plus grand-chose à discuter. »

      Pour dénoncer les attaques faites aux libertés académiques et le manque de dialogue social avec le ministère, les syndicats ne s’adressent d’ailleurs plus à Frédérique Vidal mais passent directement par le premier ministre. Même chose pour les décisions pour lutter contre la précarité étudiante, qui sont annoncées depuis l’Élysée.

      Toutes les organisations de l’arc syndical ont écrit, au moins à trois reprises, à Matignon sur l’unique mois de novembre 2020. Le 5 novembre, contre la fermeture des établissements. Le 9 novembre, contre un amendement sénatorial durant l’examen de la LPR, depuis retoqué par la commission paritaire mixte, visant à inscrire dans la loi que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Le 16 novembre, la CGT, la FSU, FO, la CFDT, le SNPTES, Sud et l’Unsa reprenaient la plume pour demander un rendez-vous urgent à Jean Castex après le vote au Sénat des deux amendements, « validés par Frédérique Vidal » sans « consultations préalables », sur l’occupation des facs et la qualification des professeurs.

      La démission fracassante d’un directeur d’administration

      Plus particulièrement, Anne Roger, co-secrétaire générale du SNESUP-FSU, décrit des relations avec la ministre totalement dégradées. « C’est simple, on n’a pas de discussion avec elle. Notre dernier rendez-vous avec le cabinet remonte à quatre mois, il n’y avait ni la ministre, ni le directeur, ni le directeur adjoint de son cabinet. C’était juste pour nous calmer », souffle la représentante syndicale. Selon elle, les rendez-vous sont « des grand-messes qui ne sont pas exactement le lieu du débat. Et à plusieurs reprises, lors de ces réunions, en multilatérales ou au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), elle vient, fait son topo, écoute un peu puis part et laisse son cabinet gérer la fin de la réunion. En fait, l’important pour elle, c’est de dire, pas d’écouter. »

      Cette absence d’écoute est aussi ressentie par le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), qui vient d’ailleurs de remporter une bataille judiciaire contre le ministère. Le tribunal administratif de Paris a ordonné, le 8 mars, en référé, à Frédérique Vidal de convier le syndicat aux réunions de suivi du protocole d’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières des agents du ministère jusqu’en 2027.

      Début 2021, la ministre avait unilatéralement décidé d’écarter des réunions de suivi la FERC-CGT (la fédération à laquelle est affilié le SNTRS-CGT), qui s’était opposé publiquement au protocole d’accord. Or, cette décision « porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale », a estimé le juge des référés.

      Devant le tribunal administratif, le représentant du ministère a soutenu que la FERC-CGT n’avait pas été lésé puisque aucune réunion n’avait jusqu’ici été organisée, ni même programmée, avec les autres organisations syndicales. Ce qui est faux, une première réunion du comité de suivi ayant même été organisée le 5 février, selon nos informations. Interrogé sur ce mensonge, le cabinet de la ministre nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre (voir notre « Boîte noire »).

      Même impression de désinvolture au CHSCT du ministère. Alors qu’elle préside cette instance, Frédérique Vidal ne s’est jamais rendue à aucune des réunions. S’il est habituel que les ministres se fassent excuser, « vu la crise sanitaire, il aurait été logique qu’elle montre un peu d’intérêt… », grince une membre du CHSCT. Un avis de l’instance, en date du 6 novembre 2020, laisse transparaître un agacement général : « Les représentants du personnel du CHSCT MESR attendent que la ministre montre un intérêt à l’instance qu’elle préside, en y faisant acte de présence, ne serait-ce qu’une fois. »

      D’autant plus que le CHSCT semble être baladé, de réunions exceptionnelles en délais incompressibles, dans une urgence permanente. Tous les membres se souviendront de cette réunion du 18 décembre 2020 à 15 heures, dernier jour avant les vacances de Noël. Ils y ont été convoqués à la dernière minute, la veille à 17 heures. « Prendre son service dans cet état de stress et de panique constitue à l’évidence un danger grave et imminent pour tous les personnels, mais également et par voie de conséquence pour les étudiants », relève d’ailleurs l’avis du CHSCT.

      Lors de cette réunion fut discutée la mise en place d’une circulaire permettant le retour progressif des étudiants à l’université à partir du 4 janvier 2021, par groupe de dix. La circulaire, rendue publique le samedi 19 décembre, était censée être applicable dès la rentrée. Impossible, pourtant, pour la plupart des universités, de mettre en place de telles dispositions mal ficelées et diffusées pendant les vacances scolaires. Par ailleurs, la circulaire contrevenait à un décret qui n’a finalement été modifié que le 9 janvier 2021, cinq jours après le début de la soi-disant rentrée. « À chaque fois on râle, mais ça n’a aucun impact, souffle la membre du CHSCT. Même avec la crise, on pourrait mieux anticiper et réfléchir. »

      « Aux États-Unis, ils se sont organisés dès le mois de mai 2020 pour l’année universitaire 2020-2021, avec des cours en ligne, des programmes allégés. Nous aussi, on aurait pu le faire, mais Frédérique Vidal ne nous a pas écoutés », abonde Bruno Vallette.

      Ce mathématicien a bien connu Frédérique Vidal à l’université de Nice, où la ministre a passé l’intégralité de sa carrière : étudiante puis maître de conférences en 1994, professeure des universités en 2002 (elle n’a officiellement jamais encadré de thèse), directrice de l’UFR Sciences en 2009 et, enfin, présidente de l’université à partir de 2012, jusqu’à son entrée au gouvernement en 2017.

      Élu d’opposition (Snesup) au conseil d’administration, Bruno Vallette retient des mandats de Frédérique Vidal, arrivée à la présidence d’une université désorganisée et exsangue financièrement, une gestion « “en bonne mère de famille”, comme elle le disait elle-même, mais de manière autocratique, toute seule, au nom de l’efficacité ». « Elle sait mieux que les autres. Je trouve au ministère sa manière de fonctionner à l’université de Nice », insiste le professeur, désormais à l’université Paris-XIII.

      Son passage à la présidence de l’université de Nice n’a pas laissé un mauvais souvenir qu’à ses opposants. « Je n’avais aucun a priori négatif. Je savais qu’elle avait publié dans des revues prestigieuses et elle a, d’ailleurs, été accueillie de façon tout à fait conviviale », se rappelle Frédéric Torterat, l’un des maîtres de conférences rattachés à une équipe de recherche supprimée brutalement en 2017 sous la présidence de Frédérique Vidal. « On ne s’y attendait pas, j’ai dû partir à l’université de Montpellier, complète-t-il. On était 15 à 16 enseignants chercheurs et deux fois plus de doctorants et on a tous dû changer d’unité, et pour certains changer d’université. Elle ne nous a même pas prévenus, c’est assez irrespectueux. »

      Pour l’ancienne directrice de cette unité de recherche, « ce fut un traumatisme ». Nicole Biagioli, aujourd’hui professeure émérite à l’université de Nice, se rappelle de la manière avec laquelle son travail de plusieurs années a été anéanti : « Mme Vidal a fait voter par le conseil d’administration – sauf les élus FSU – la suppression de mon laboratoire en refusant de le faire évaluer scientifiquement, alors que tout était prêt pour la visite de l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Je n’en ai jamais été avisée par Mme Vidal, c’est sa collègue en charge de la visite pour le HCERES qui m’a appris la suppression du laboratoire. Au niveau réglementaire, elle a le droit de le faire mais la moindre des choses aurait été de nous prévenir… » Un récit confirmé par Chantal Amade-Escot, déléguée scientifique pour les sciences de l’éducation auprès du HCERES de 2015 à 2018 et professeure émérite à l’université de Toulouse…

      Aujourd’hui, Nicole Biagioli estime que « Mme Vidal n’est ni formée ni intéressée par les langues, les lettres et les sciences humaines. Il y a chez elle une certaine forme de mépris pour ces matières ».

      Rue Descartes, où l’ambiance s’est alourdie au fur et à mesure de l’aggravation de la crise sanitaire, l’explosion a finalement eu lieu le 25 novembre 2020. #Bernard_Larrouturou, alors directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI), l’une des deux directions d’administration centrale, démissionne avec fracas.

      Il s’en explique à ses anciens collègues dans un courrier, sans mâcher ses mots. « Cette démission a été pour moi une décision difficile, et même douloureuse… Je ne m’y suis résolu que parce que l’isolement, entretenu par la direction du cabinet, par la ministre, avec laquelle les directeurs généraux n’ont eu aucun échange depuis plus de six mois, et les difficultés aiguës qui persistent depuis un an et demi en matière de relations de travail entre le cabinet et les services ont installé un véritable empêchement, voire une impossibilité, pour la conduite des actions que la DGRI doit porter », dénonce-t-il dans une lettre de trois pages, dont des premiers extraits avaient été dévoilés par Libération et que Mediapart publie ci-dessous en intégralité.

      Dans son courrier, qui est remonté jusqu’à l’Élysée, Bernard #Larrouturou déplore notamment l’isolement de la ministre avec ses équipes. Il y raconte, par exemple, comment « elle a traité avec mépris et humilié des personnes de la DGRI ou lorsqu’elle a exigé arbitrairement la mise à pied de tel cadre de nos équipes… ». Interrogé sur le contenu de cette missive accablante, Frédérique Vidal n’a pas répondu non plus.

      Des relations compliquées avec les parlementaires

      « Le rythme des cabinets a toujours été caractérisé par l’urgence mais, ce qu’il y a de nouveau depuis l’arrivée de Frédérique Vidal, c’est qu’il est de plus en plus fréquent que le cabinet court-circuite les directions et aille directement voir les agents, ça peut créer de grandes tensions », relève Sylvie Aebischer, responsable CGT Educ’action pour l’administration centrale qui compte plus de 3 300 agents.

      À l’hiver 2018, lors d’un CHSCT, des délégués du personnel et le médecin de prévention alertent sur la situation au sein du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante. Un rapport est commandé à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Ses résultats remis le 26 mars 2019, auxquels Mediapart a eu accès, font notamment état « de situations collectives de #souffrance_au_travail ». Les inspecteurs pointent du doigt une surcharge de travail, des conflits éthiques, « des relations au travail compliquées, avec des problèmes liés au soutien jugé parfois insuffisant de la hiérarchie, régulièrement encartée ou empêchée, parfois mis en fragilité par un pilotage peu clair ».

      L’une des douze recommandations de l’inspection était de formaliser les rapports avec le cabinet. Signée en juillet 2019, une charte prévoit depuis l’organisation de réunions régulières entre les directeurs d’administration et le cabinet pour fluidifier les relations. Une tentative qui se soldera par un échec, comme en témoigne la démission de Bernard Larrouturou l’année suivante.

      Au Parlement aussi, les relations avec la ministre sont tout sauf fluides. Au Sénat, une séquence reste gravée dans les mémoires. Le 7 avril 2020, Frédérique Vidal renvoie dans les cordes le sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui lui demande pourquoi les biologistes de Marseille ne sont pas dotés d’un cryo-microscope électronique pour étudier le SARS-CoV-2.

      Ces biologistes n’ont qu’à se déplacer à Nice où se trouverait justement un « magnifique microscope » au sein du « Centre commun de microscopie appliquée (CCMA) », répond avec assurance la ministre. Frédérique Vidal, biochimiste de formation, rappelle qu’elle a fait toute sa carrière à Nice – « je connais donc bien le sujet », glisse-t-elle, avec certitude. Sauf que son explication est fausse : l’équipement niçois ne comporte aucun cry-microscope capable d’aider les biologistes à élucider la structure moléculaire du virus, relève le journaliste spécialisé Sylvestre Huet sur son blog.

      Frédérique Vidal « répond souvent avec beaucoup de désinvolture », regrette le député d’opposition Régis Juanico (Génération·s), membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. « Elle nous répond souvent avec suffisance en se référant à son passé de présidente d’université. Cela lui permet de disqualifier les élus qui ne seraient pas d’accord avec elle », ajoute-t-il. Le parlementaire relève aussi que la ministre « n’a jamais répondu » aux conclusions de son rapport parlementaire, co-rédigé avec Nathalie Sarles (LREM), sur Parcoursup.

      « En audition, on a le sentiment qu’elle ne se sent pas concernée », abonde la députée communiste Marie-George Buffet, membre de la même commission. Lors de l’audition du 10 novembre 2021, dans le cadre du rapport sur l’impact qu’a eu le Covid sur les jeunes et les enfants, l’élue de Seine-Saint-Denis a relevé que, « contrairement à d’autres ministres », Frédérique Vidal « répétait des éléments de langage sans répondre réellement ». « Est-ce qu’elle pensait que cette audition n’avait pas d’importance ? Est-ce que la problématique des étudiants ne l’intéresse pas ? », s’interroge la députée.

      Le député LREM Bruno Studer, qui préside la commission, voit les choses autrement : « Je lance régulièrement des missions d’information qui portent sur la recherche et à chaque fois le cabinet se met à disposition des parlementaires. La ministre vient régulièrement devant la commission », témoigne-t-il. Il précise que Frédérique Vidal « est une ministre technique, pas politique », raison pour laquelle elle n’aurait donc pas « tous les codes ».

      « Les choses se sont tendues ces dernières semaines avec ces histoires d’islamo-gauchisme », reconnaît le député de la majorité, en expliquant avoir lui-même été étonné par l’ouverture de cette séquence. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Ça m’a surpris de sa part et je lui ai dit, je suis plutôt en désaccord. Ce ne sera pas la première fois que je trouve que des ministres ont des expressions maladroites. »

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

      Plusieurs interlocuteurs datent une vraie rupture à partir du remplacement du directeur de cabinet de la ministre, le 4 mai 2020, par un ancien du cabinet de Manuel Valls à Matignon. La nouvelle conseillère presse de Frédérique Vidal est également la fondatrice des « #Jeunes_avec_Valls », micro-mouvement créé en décembre 2016 pour accompagner la candidature de l’ancien premier ministre à la primaire du PS.

      Beaucoup s’interrogent aussi sur la place croissante occupée par le conseiller spécial de la ministre, un certain #Graig_Monetti, qui cumule aussi avec les fonctions de chef de cabinet. Le trentenaire, qui connaît bien Frédérique Vidal depuis ses années étudiantes à l’université de Nice, où il a présidé l’antenne locale du syndicat étudiant de la Fage, a gravi un à un les échelons de son cabinet. En juin, il a aussi été élu adjoint au maire de Nice Christian Estrosi, avec une délégation à la jeunesse. Ce qui n’est pas sans créer une certaine confusion : on peine parfois à discerner au nom de qui (le ministère ou la mairie de Nice) il intervient dans certains dossiers universitaires.

      Selon un fin connaisseur de la rue Descartes, « Frédérique Vidal a écarté les autres et n’écoute plus que lui ». Cela n’a pas empêché l’actuel président de la Fage, Paul Mayaux, de prendre quelques distances avec le ministère.

      Son syndicat a même appelé à la mobilisation intersyndicale du 26 janvier 2021. « Ce n’est pas leur stratégie politique. Si même eux y vont, c’est un signe qu’il y a une absence totale d’écoute de la part du gouvernement », glisse une responsable syndicale étudiante sous le couvert de l’anonymat. Paul Mayaux confirme : « Effectivement, ce qui s’est passé le 26 janvier, ce ne sont pas des choses qui arrivent souvent. Il y a urgence et même si parfois le cabinet examine certaines de nos propositions, on n’a pas été entendus au bon moment sur la crise des étudiants. C’était trop tard et trop faible, même si on ne nie pas que quelques mesures ont été prises dans le bon sens. »

      En dehors des Jeunes avec Macron, logiquement du côté du gouvernement, les autres organisations de jeunesse sont nettement plus critiques. Frédérique Vidal est « méprisante » et « infantilisante » avec les étudiants, notamment dans son expression publique, dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef. Lors d’un énième retour symbolique à l’université, le lundi 11 janvier 2021, à Cergy-Université, la ministre glisse, selon Le Monde : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria. »

      « On ne demande pas juste sa démission, on veut un vrai changement politique », affirme Mélanie Luce dont l’organisation s’est opposée farouchement aux trois grandes réformes de Frédérique Vidal : Parcoursup, qui instaure la sélection à l’entrée de l’université, « Bienvenue en France », qui multiplie les frais d’inscription pour les étudiants étrangers, et la LPR, qui réforme en grande partie l’université et la recherche française.

      La crise du Covid et sa gestion chaotique par le ministère de l’enseignement supérieur puis la polémique autour de l’islamo-gauchisme ont été les attaques de trop. « Nous, notre priorité, c’est comment aider les étudiants à sortir de cette crise. On demande 1,5 milliard d’euros mais ça n’avance jamais. La solution pour sortir un peu la tête de l’eau, c’est d’augmenter les APL et les bourses du Crous, on le répète sans cesse mais on a l’impression de ne pas être entendus », souffle la présidente de l’Unef. En ce qui concerne les bourses, la refonte du système Crous promise par l’exécutif ne vient pas. Et pour les APL, une réforme a bien eu lieu, mais elle désavantage les jeunes travailleurs et les étudiants en apprentissage.

      « Des milliers d’étudiants font la file pour pouvoir manger. On attendait des aides qui soient à la hauteur de la crise, de la précarité et de la détresse psychologique qu’on voit tous les jours. À la place, on a eu une nouvelle polémique sur l’islamo-gauchisme. C’était tout, sauf ce qu’on attendait… », souffle Ulysse Guttmann-Faure, qui préside l’association Co’p1, fondée en octobre 2020 par six étudiants parisiens pour distribuer de la nourriture aux étudiants précaires.

      L’étudiant, dont l’association rassemble désormais 300 bénévoles, note qu’il « a fallu des mobilisations dans la rue et des suicides pour que la ministre nous entende ». « Et encore…, reprend-il, il y a eu de petites avancées, mais c’était trop tard et pas suffisant ». Les files d’attente, le soir, à la banque alimentaire ne désemplissent effectivement pas.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/220321/derriere-la-polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-vidal-isolee-comm

      Citation :

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

    • Communiqué de presse de l’#Action_française suite à leur action contre l’hôtel de région Occitanie (25.03.2021) (https://www.midilibre.fr/2021/03/25/toulouse-deux-membres-daction-francaise-tentent-de-sintroduire-au-sein-du-) :

      –-> où on peut voir, comme l’a identifié Pierre Plottu sur twitter, que « l’Action française a donc diffusé un communiqué pour revendiquer cette action.
      Il s’y appuie notamment sur les propos de votre collègue, Mme la ministre Vidal, sur un prétendu l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités pour la justifier. »


      https://twitter.com/pierre_plottu/status/1375188878630477831

      Repris aussi sur le blog academia :
      https://academia.hypotheses.org/31962

    • « Combien d’attaques contre la science faudra-t-il pour briser le silence ? »

      Des procès en islamo-gauchisme à la disparition annoncée de l’Observatoire de la laïcité, les volontés de faire taire toute pensée critique se multiplient dangereusement, alertent Albert Ogien et Sandra Laugier.

      Il est des #silences qui sont plus accablants que des milliers de discours. Il y eut d’abord celui qui a entouré la publication de la liste rouge des enseignants-chercheurs « islamo-gauchistes », accusés de « gangréner » l’Université en faisant de la politique plutôt que de la science. Il y eut ensuite celui qui a accompagné le rejet de la candidature d’une personnalité scientifique de renom (#Nonna_Mayer) à la présidence de Sciences Po, après qu’elle a été publiquement réprouvée au nom de son engagement en faveur des exclus. Et puis est venu celui qui entoure la disparition annoncée de l’#Observatoire_de_la_laïcité, que la secrétaire d’Etat à la citoyenneté Marlène Schiappa présente comme une simple formalité, le mandat de sa direction arrivant à expiration. Et maintenant la course à l’échalote des sénateurs pour remporter le prix de l’amendement le plus sévère apporté à la loi confortant le respect des principes de la République. Bien sûr, quelques voix se sont élevées pour condamner chacune de ces attaques écœurantes contre le droit et la pensée, mais elles sont elles-mêmes déconsidérées ou ignorées, comme une discordance dans l’indifférence convenue et majoritaire des politiques, des médias et des intellectuels.

      Une étrange confrérie de traqueurs-censeurs

      Ces silences sont autant de reculs et d’abdications face à la #violence qu’exerce cette étrange confrérie de militants qui réunit des personnes venant d’horizons idéologiques différents et partageant une même volonté : disqualifier, rendre inaudibles, voire interdire les voix qui leur déplaisent et contestent leur autorité. Leur principale occupation et obsession consiste à dénicher et détruire la moindre intervention publique ou expression qui signale une compréhension des problèmes politiques et sociaux du présent ; notamment des revendications et souffrances des groupes de population qui subissent des inégalités, des discriminations, des dénis de citoyenneté, au nom d’une ascendance dont la légitimité reste suspecte – « les Noirs et les Arabes » pour parler clair. Et petit à petit, la #traque et l’#opprobre ont gagné d’autres thèmes présentés comme autant de manifestations de #dégénérescence : les études décoloniales, l’écriture inclusive, les études de genre, l’emploi du mot de « racisé », les réunions non-mixtes…

      Discréditer la recherche

      Cette inquisition permanente, inimaginable encore il y a quelques mois, a aujourd’hui une cible prioritaire : ceux et celles qui disposent de titres universitaires et d’une parole publique, et qu’elle accuse de minorer les graves menaces que ferait peser l’islamisme sur la paix civile et les libertés individuelles. Mais la lutte contre le terrorisme doit-elle se mener sur ce front ? En s’en prenant à la production de connaissance, elle s’avilit. Ses agents ne s’embarrassent plus d’aucune considération pour les torts infligés aux personnes ou aux organisations qu’ils livrent en bloc à la vindicte – ou aux injures sur des réseaux sociaux mobilisés à leur profit et dont la force de frappe est incommensurable à celle de la recherche.

      Leur but est que les travaux scientifiques soient discrédités sur un #soupçon, que les enseignements soient marginalisés avant si possible d’être interdits, avec toutes les conséquences de cette mise en cause sur les vies et carrières d’universitaires qui travaillent simplement à maintenir la recherche française au niveau des standards internationaux. C’est que, n’en déplaise à nos censeurs, les questions du #racisme_systémique, des violences faites aux femmes, du #sexisme et de l’#homophobie, mais aussi du désastre climatique et de la souffrance animale (questions qu’on croyait plus consensuelles mais depuis incluses, pour faire bon prix, dans le paquet) sont reconnues dans le monde académique global alors que de vieilles résistances font, en France, qu’elles restent polémiques.

      Une peur viscérale de l’islam

      Ce qui est étrange est que ce front des bien-pensants se construit sur une #peur viscérale de la religion musulmane, à laquelle il prête des propriétés qui en feraient l’ennemi irréductible de la modernité démocratique. Cette peur alimente la crainte fantasmatique de l’organisation d’une cinquième colonne qui occuperait déjà les « territoires perdus de la République », attendant son heure pour frapper et déloger les nationaux. Et chaque meurtre commis au nom de l’Etat islamique (quelle que soit la réalité de cette allégeance) est une occasion de raviver la suspicion. Dès lors, évoquer et analyser les #injustices, les #discriminations, l’#exclusion ou le #harcèlement_policier subis par « l’ennemi de l’intérieur » revient à pactiser ou trahir.

      Pour faire taire ceux et celles qui doutent sincèrement d’une telle menace de l’islam, une solution ne serait-elle pas de documenter, de quantifier et d’exposer publiquement le danger ? Cela ferait normalement tomber les réticences. Mais voilà : aucune information ne filtre qui permettrait de confirmer les craintes des apeurés. La seule indication qui vient périodiquement donner un peu de crédit à cette accusation est celle, livrée sans aucun détail, du nombre d’attentats qui auraient été déjoués par les services de renseignements sur le territoire français. Parfois, la mise en scène de l’arrestation d’un ou une « terroriste » dont, la plupart du temps, on est bien en peine de savoir exactement quel objectif il ou elle poursuivait.

      Nous sommes donc tous censés savoir que nous vivons dans un état d’alerte permanent sans en être vraiment alertés. Un peu comme nous traversons la crise sanitaire sans être jamais associés aux mesures prises par une poignée de « sachants » autoproclamés qui décident seuls de ce qui est bon pour en finir avec le Covid 19, avec le succès qu’on sait. Les avertis qui se sont arrogé le droit d’organiser la riposte se posent de même en surplomb de la République. Les premières victimes de ces sentinelles sont tous ces citoyens qui sont ramenés à une identité musulmane sans qu’on ne leur demande leur avis, sauf quand on les somme de prendre position contre les attentats (eux à la différence des autres, comme si c’était moins évident). On a beau jurer ne pas vouloir faire d’amalgame entre musulman et islamiste radical, le moindre signe d’appartenance à cette communauté est vu comme un péril pour la nation. Ce qui est choquant dans cette volonté d’ostraciser un groupe social est le fait qu’elle méprise totalement les sensibilités individuelles et gomme la diversité des croyances et des opinions qui s’y expriment.

      Extension du domaine de la #suspicion

      Et dans un saut épistémique propre à tous les régimes autoritaires et promoteurs de l’#ignorance, cette suspicion s’étend en deuxième lieu à tous ceux qui, dans les milieux de la recherche et de l’enseignement, s’efforcent de prendre la juste mesure du danger djihadiste et introduisent des distinctions et des clarifications qui en dressent un tableau réaliste. Un tel saut a été effectué par les gouvernements qui au Brésil, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Pologne ou en Turquie ont allié la misogynie, l’homophobie, les discriminations ethniques et le climato-scepticisme de leurs politiques à la suppression des recherches sur les femmes, les sexualités, le racisme ou l’environnement ; par l’ex-président Trump, qui tout en multipliant les mesures discriminatoires et soutenant ouvertement les violences contre les Noirs a voulu faire réécrire les manuels scolaires pour y minorer l’histoire de l’esclavage ; et en France, par la violence inédite d’un gouvernement contre les universitaires qui observent les discriminations qui travaillent la société française.

      Ce saut est révélateur : il s’agit de décourager la #pensée_critique et l’#argumentation_rationnelle, immédiatement traînées dans la boue des réseaux et dans la mêlée des plateaux TV ou radio – où les quelques chercheurs qui se risquent encore à faire entendre des éléments de connaissance se retrouvent mis sur un pied d’égalité avec des idéologues ignorants du domaine. Cette situation honteuse, qui rappelle les mauvaises heures du maccarthysme, s’explique ici par une haine conjuguée des recherches et des objets/sujets de ces recherches. Ce phénomène est connu des spécialistes du genre. Il prend ces derniers temps l’allure ultra glauque d’un #assaut concerté mené par des ministres et des intellectuels alliés, par calcul politique incertain, pour faire taire toutes les voix, des plus vives au plus modérées, qui les rappellent aux exigences minimales de l’égalité. Voilà qui nous oblige à briser ce silence.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210415.OBS42801/combien-d-attaques-contre-la-science-faudra-t-il-pour-briser-le-silence.a

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : « On ne peut pas nous accuser d’être des #militants »

      Face aux attaques contre les sciences humaines et sociales, accusées de diffuser un discours « islamo-gauchiste » à l’université, des universitaires angevines (Maine-et-Loire) sortent du bois et prennent la parole. Retour sur une polémique pas nouvelle, mais qui, depuis quelques mois, rebondit sur la scène politico-médiatique.

      Elles ont décidé de prendre la parole. Parce qu’elles ont des choses à dire et qu’elles en ont gros sur le cœur, surtout après les attaques visant #Nahema_Hanafi, leur collègue, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporain à l’Université d’Angers, après la publication de son ouvrage consacré aux « brouteurs ».

      Elles, ce sont ces universitaires angevines, dont le champ de recherches s’applique aux sciences humaines et sociales, confrontées aux attaques et aux accusations d’ « islamo-gauchisme » à l’université. De quoi parle-t-on ? Quel est le problème ? Décryptage.

      Pourquoi des responsables politiques visent-ils l’université ?

      La polémique concernant l’universitaire angevine Nahema Hanafi n’est pas tombée du ciel. Tout le monde garde en tête les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Dans un entretien sur CNews , le 14 février, elle a demandé une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait l’université.

      Avant de persister, tout en tentant de réduire la portée de son propos, puisqu’elle s’est montrée bien incapable de définir cette notion. Elle a été soutenue par certains de ses collègues. En réalité, elle avait été largement devancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Pas plus précis, mais bien plus vindicatif contre les « ravages » à l’université.

      À chaque fois, ces sorties ont provoqué une levée de boucliers des chercheurs, en particulier du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS.

      Cette attaque contre l’université est une antienne régulièrement reprise à droite comme à gauche, avec des relais forts comme le Printemps républicain dont le cofondateur, #Gilles_Clavreul, dénonce la pensée décoloniale. Idéologiquement proche de ce courant, qui défend une conception très restrictive de la laïcité, l’ancien Premier ministre socialiste #Manuel_Valls avait ouvert les hostilités au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris.

      Dans une première déclaration au Sénat, deux semaines après, il avait lancé : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. » Quelques semaines plus tard, en janvier 2016, il avait poussé plus loin cette réflexion, lors d’un hommage aux victimes. « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

      À l’origine de la récente polémique visant Nahema Hanafi et ses travaux, l’Observatoire du décolonialisme, fondé par des enseignants linguistes, historiens et médiévistes, creuse ce même sillon.

      Pourquoi la polémique touche- t-elle l’#Université_d’Angers ?

      Parce qu’un membre de cet Observatoire, #Hubert_Heckmann, maître de conférences en littérature du Moyen Âge à Rouen (Seine-Maritime) a publié, le 2 février, une tribune, sur le site internet de l’hebdomadaire Le Point , fustigeant le travail de Nahema Hanafi.

      Maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine au sein de l’institution angevine, cette dernière est l’autrice d’un livre, L’arnaque à la nigériane, spams, rapports postcoloniaux et banditisme social , consacré aux « brouteurs », ces cyberescrocs spécialisés dans l’escroquerie à l’avance de frais.

      Pour Hubert Heckmann, l’universitaire angevine fait, dans son ouvrage, « en connaissance de cause, l’éloge d’un système criminel ». Des mots, comme un procès d’intention, qui ont trouvé un écho dans les milieux d’extrême droite.

      « L’article issu des travaux de l’Observatoire du décolonialisme et des théories identitaires », comme il est présenté, devient alors le terreau d’une haine sans filtre contre Nahema Hanafi. Une #haine déversée sur les réseaux sociaux et la section commentaires du site.

      La maîtresse de conférences encaisse, mais elle a décidé de porter plainte. Le parquet d’Angers a ouvert une enquête préliminaire. « Ces attaques ont suscité chez moi une vive émotion », exprime-t-elle.

      Bien sûr, il y a les insultes racistes, mais Nahema Hanafi s’alarme aussi de « voir attaqués, par des membres de l’université, des champs d’études et des méthodologies – celles des sciences sociales – pourtant essentiels à la compréhension de nos sociétés ».

      Qu’est-ce qu’on reproche aux sciences humaines et sociales ?

      Car, au fond, la question est là. Au-delà du « cas » Nahema Hanafi, tout un pan des recherches universitaires actuelles est actuellement remis en cause, autant par le monde politique que par le monde universitaire.

      Un opprobre grossi, déformé, récupéré, amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux, et qui contribue, aujourd’hui, à un sentiment d’insécurité des enseignantes et enseignants investis dans ces recherches.

      « La période est tellement difficile pour nous que l’on se doit de faire attention aux paroles qui vont être portées publiquement, relève Marie Sonnette, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université d’Angers, qui travaille, notamment, sur les rapports de pouvoirs et de genre. Le moindre mot de travers peut nous porter préjudice. On se demande comment on va pouvoir continuer à faire notre métier. » Elle a d’ailleurs été contrainte de suspendre un temps son compte Twitter après des attaques groupées.

      Un métier qui, pour rappel, consiste à explorer et enseigner des disciplines liées à la réalité humaine, dans toute sa pluralité. Un métier qui, justement, en raison de cette pluralité, amène à investir des champs nouveaux, à l’aune de travaux, d’ici et d’ailleurs. Comme les études de genres, développées aux États-Unis.

      « Les sciences humaines et sociales aident à mieux comprendre le monde, plaide Chadia Arab, géographe à l’Université d’Angers et chargée de recherches au CNRS, qui travaille, notamment, sur les migrations et le genre. Elles servent aussi à expliquer les dysfonctionnements de ce monde, les inégalités produites par ce monde. Et je pense que c’est cela qui fait peur aux politiques. » Pas seulement les politiques…

      Ces recherches sont-elles le porte-voix d’un #militantisme ?

      Chadia Arab réfute ne serait-ce que l’idée. « Nous sommes tout le temps évalués, tout le temps éprouvés par la rigueur scientifique, il faut en tenir compte. On ne peut pas nous accuser d’être des militants en sciences sociales ni, pour aller vite, d’être des islamo-gauchistes. »

      Pour Katell Brestic, docteure en études germanophones à l’Université d’Angers, qui mène, notamment, des études postcoloniales et transnationales, c’est clair : « La valeur de nos recherches est scientifique, au même titre que celles d’un biologiste ou d’un généticien. Simplement, on ne travaille pas sur l’ADN avec des pipettes dans un laboratoire, mais sur d’autres formes de matériaux, qu’on analyse après, avec des grilles scientifiques précises. »

      Aujourd’hui, confrontées à un débat qui n’a plus rien d’apaisé, les universitaires angevines que nous avons interrogées sont inquiètes. Pour leurs champs de recherches, pour la liberté académique, pour l’avenir. Pour elles.

      « D’éminents confrères du monde entier ont récemment signé une tribune pour nous soutenir, souligne Marie Sonnette. Ils concluent en disant qu’ils seront prêts à accueillir les chercheurs qui ne pourront plus mener leurs recherches en France. Et ça, ça nous fait extrêmement peur. »

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/islamo-gauchisme-a-l-universite-on-ne-peut-pas-nous-accuser-d-etre-des-

    • Ecole de #Marion_Maréchal: anatomie d’un fiasco

      Lancé il y a trois ans, l’#Issep, qui se voulait le « Sciences-Po » de la droite de la droite, vivote. Loin de la communication à outrance, l’école recrute surtout parmi le microcosme des proches de l’ancienne députée frontiste.

      « Avez-vous déjà entendu parler de la “blanchité hégémonique” (les Blancs responsables de tous les malheurs du monde), du “racisme systémique” (l’État et la société française seraient intrinsèquement racistes) ou encore de la séparation du monde entre “dominants (blancs) et racisés” ? Sûrement trouvez-vous ces concepts délirants et dangereux. Eh bien sachez qu’aujourd’hui ces “thèses” sont très répandues voire enseignées dans de nombreuses écoles et universités du supérieur. »

      Dans un courrier de quatre pages envoyé le 16 avril à un fichier de 10 000 personnes, Marion Maréchal, qui entend bien profiter des polémiques sur « l’islamo-gauchisme » censé « gangrener » l’université, fait un vibrant appel aux dons pour son école de sciences politiques, l’Issep (Institut de sciences sociales, économiques et politiques), créée il y a trois ans à Lyon.

      « L’Issep est l’un des seuls remparts contre le terrorisme intellectuel qui sévit en France […] Si votre vœu le plus cher pour vos enfants ou petits-enfants est qu’ils fassent de belles études, il faut agir maintenant. Aussi modeste soit-il, votre geste peut changer l’avenir de notre cher pays », affirme l’ancienne députée FN.

      Elle décrit des facs où règnent des « commissaires du peuple d’un nouveau genre qui n’hésitent pas à utiliser la violence ou la menace » contre les mal-pensants. Pour achever de vaincre les dernières réticences, Marion Maréchal rappelle les déductions fiscales propres à ce type de dons.

      Initiés par le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, puis réactivés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal, les débats autour de « l’islamo-gauchisme », les études de genre ou décoloniales à l’université semblent une formidable opportunité pour l’entreprise de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.

      Ces controverses, aussi artificielles soient-elles, offrent une soudaine légitimité au discours de l’extrême droite, qui n’a pendant longtemps pas dépassé ce cercle militant.

      « L’Issep étant né d’un constat négatif porté sur l’enseignement supérieur et en particulier les filières en sciences sociales – i.e. la baisse du niveau moyen des formations avec notamment l’abandon progressif des humanités et le militantisme associé, voire le sectarisme idéologique, qui sévissent trop souvent dans les établissements privés ou universitaires – les dérives et les violences du courant islamo-gauchiste ne font que conforter notre diagnostic et légitiment un peu plus notre existence, ce qui incite de nombreux Français à soutenir notre projet », assure d’ailleurs auprès de Mediapart Jacques de Guillebon, coprésident du conseil scientifique de l’Issep, également directeur de la rédaction du magazine L’Incorrect.

      Depuis son inauguration en juin 2018, l’Issep, qui se voulait une « vitrine » pour la « bataille culturelle » de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, aurait pu profiter d’un climat politique a priori favorable. Et pourtant, l’établissement, censé démontrer que l’ancienne députée du Vaucluse pouvait être une cheffe d’entreprise loin de la vie politique, vivote péniblement.

      Malgré un lancement sous une forêt de micros et de caméras, les débuts de « l’institut » ont été des plus laborieux. L’Issep n’a d’abord reçu l’agrément ministériel l’autorisant à s’afficher en tant qu’établissement privé du supérieur qu’en janvier 2019, plusieurs mois après son ouverture. En cause, un dossier administratif longtemps incomplet, l’école étant incapable de fournir au rectorat les informations administratives de base, comme l’avait raconté à l’époque une enquête de l’émission de télévision « Quotidien ».

      Dans la déclaration d’ouverture de l’Issep, transmise au rectorat de Lyon, Marion Maréchal promettait ainsi plus de 400 heures d’enseignement et une équipe d’une vingtaine de professeurs. Fin septembre, son dossier ne contenait plus que 90 heures de cours et apportait des informations lacunaires sur à peine six professeurs, comme l’avait révélé le magazine Challenges.

      Le « diplôme » de l’Issep n’a surtout aujourd’hui aucune valeur dans l’enseignement supérieur et n’offre aucune équivalence. Le tour de passe-passe, avancé lors de la création de l’école, consistant à nouer un partenariat avec une université européenne pour obtenir une équivalence de diplôme n’a pas marché.

      « Au-delà de la reconnaissance du diplôme, il est important d’avoir des partenaires de qualité afin de crédibiliser la pédagogie de notre école, répond l’Issep. Aujourd’hui, nous avons une antenne de l’Issep à Madrid, et des partenariats avec l’université de Saint-Pétersbourg en Russie et l’université du Saint-Esprit à Kaslik au Liban. » Ce qui signifie qu’aucune université européenne n’a souhaité associer son nom avec ce qui ressemble fort à une coquille vide.

      Celui qui a œuvré au partenariat entre l’Issep et l’université de Saint-Petersbourg, l’historien #Oleg_Sokolov, spécialiste de Napoléon, est aujourd’hui en prison depuis novembre 2019 après avoir tué et démembré son épouse de 24 ans, également son ancienne étudiante.

      Une affaire pour le moins embarrassante pour l’image de l’Issep, même si l’école n’y est évidemment pour rien. Le choix de s’adjoindre, cette année, les services du professeur de droit #Jean-Luc_Coronel_de_Boissezon, aujourd’hui renvoyé devant le tribunal correctionnel pour son implication, en mars 2018, dans une opération de l’extrême droite pour déloger des grévistes de la faculté de droit de Montpellier, pose par ailleurs question.

      Proches des identitaires, lui et son épouse, #Patricia_Margand, sont accusés d’avoir « activement participé à la mise en place » du commando, selon la juge d’instruction chargée du dossier, comme l’ont révélé Mediacités et Mediapart.

      « Nous avons fait le choix de lui confier un cours, parce que nous considérons cette histoire de l’université de Montpellier comme particulièrement injuste et politiquement orientée. C’est un professeur reconnu, qui a mené durant 30 ans une carrière irréprochable, et a toujours été apprécié par ses étudiants. Il a été la victime de bloqueurs d’extrême gauche outranciers et violents, laissés libres de leurs actions par un préfet qui n’a pas voulu prendre ses responsabilités », répond à ce propos Jacques de Guillebon.

      Le principal échec de l’école, qui n’a formé en trois ans que 230 étudiants, la majorité en formation continue (c’est-à-dire en suivant des cours quelques week-ends par an), est ailleurs. Il tient dans l’incapacité de recruter au-delà d’un tout petit cercle militant ou amical, comme a pu l’établir Mediapart. À chaque rentrée, Marion Maréchal est d’ailleurs obligée de battre le rappel pour trouver de nouvelles recrues.

      Un microcosme consanguin

      À cet égard, le pari de convaincre la bourgeoisie lyonnaise conservatrice d’inscrire ses enfants à l’Issep est un échec cuisant. « Nos étudiants ont des profils très variés, et la majorité n’a jamais eu d’engagement politique. Ils viennent de toute la France et de filières très diverses, allant de l’écogestion au droit, en passant par l’histoire ou des écoles d’ingénieur », affirme Jacques de Guillebon.

      Sauf que l’Issep, qui se targuait de concurrencer les instituts de sciences politiques, ne « forme » en réalité que des militants identitaires ou des proches de Marion Maréchal.

      Une certaine idée du « pluralisme » maintes fois mis en avant par la directrice de l’école, Marion Maréchal, qui n’a cessé de mettre en scène son retrait de la vie politique et sa distance avec le RN présidé par sa tante.

      L’examen de la liste que Mediapart s’est procurée des 35 étudiants inscrits en formation continue cette année – il existe deux promotions – est à ce titre édifiant.

      Un premier groupe d’élèves est constitué d’élus ou de membres du #RN de la région lyonnaise : #Enzo_Dubois est le référent #Génération_nation, la branche jeune du RN à Voiron ; #Antonia_Dufour est une ancienne conseillère départementale RN du canton de Monteux ; #Mathilde_Robert, qui milite au parti depuis ses 15 ans, était aussi candidate du RN aux municipales 2020 à Vienne (Isère) au côté d’#Adrien_Rubagotti, qui fait d’ailleurs, lui aussi, partie de la même promotion Issep.

      Le deuxième cercle est celui des militants de Génération identitaire (#GI), mouvement dissous en mars par le ministère de l’intérieur pour plusieurs motifs, dont la provocation à la « discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison » de leur origine, mais aussi pour présenter dans sa forme et son organisation « le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».

      Sous son nom civil, #Anne-Thaïs_du_Tertre, on trouve la très médiatique #Thaïs_d’Escufon, porte-parole du groupuscule dissous et qui a fait parler d’elle pour avoir participé au happening identitaire – les militants de GI avaient déroulé en haut d’un immeuble une banderole contre « le racisme anti-Blanc » – en marge de la manifestation contre les violences policières place de la République, en juin 2020.

      Le président de GI, #Clément_Gandelin, dit « #Galant », fait aussi partie des « étudiants » de l’école de Marion Maréchal. Condamné en première instance à six mois de prison ferme, 2 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques pour une durée de cinq ans, dans l’affaire de l’opération anti-migrants à la frontière franco-italienne, en 2018, avant d’être relaxé par la cour d’appel de Grenoble, « Galant » avait déjà été condamné pour des faits de violence en marge d’une rencontre sportive.

      #Corentin_Merdy est lui aussi un militant bien connu de GI à Toulouse. Il a participé à l’action du groupe place de la République et a été interpellé au côté de Thaïs d’Escufon – une photo les immortalise ensemble dans le fourgon de police.

      Le troisième groupe est constitué de militants identitaires et de catholiques traditionalistes. On peut y classer #Alexis_Forget, qui tient la librairie identitaire #Les_Deux_Cités, à Nancy, et écrit régulièrement dans L’Incorrect, le journal de Jacques de Guillebon.

      La chroniqueuse à Sud Radio #Stella_Kamnga, qui se présente comme « citoyenne contre la désinformation » (et qu’on peut voir ici débattre à Sud Radio avec sa camarade de promotion Thaïs d’Escufon), fait elle aussi partie des étudiants de l’Issep cette année. L’engagement politique de certains, plus anonymes, se comprend assez rapidement en consultant leurs pages personnelles sur différents réseaux sociaux.

      Le dernier groupe, à l’intersection des groupes précédents, est constitué de « fille de », de « femme de » ou, pour un cas, de « mari de ». Il est intéressant en ce qu’il révèle l’étroitesse de la galaxie Marion Maréchal, en décalage total avec l’incroyable attention que lui accordent les médias depuis plusieurs années.

      La militante RN #Mathilde_Robert, précédemment citée, est ainsi non seulement l’épouse du conseiller régional RN #Thibaut_Monnier, grand ami de Marion Maréchal et cofondateur de l’Issep, mais elle est aussi la fille de #Sophie_Robert, candidate RN à la mairie de Saint-Étienne et vieille connaissance de la famille Le Pen. Cette dernière soutient tellement l’école que trois autres de ses filles sont dans la même formation. Une formation continue, qui leur permet de suivre de « vraies » études par ailleurs ou d’exercer un métier.

      #Anne-Sophie_Legauffre est, quant à elle, la compagne du conseiller régional #Antoine_Mellies, lui aussi proche parmi les proches de Marion Maréchal et qui a assuré lors du lancement de l’école les relations avec la presse.

      Autre étudiant en formation continue, #Benoît_Marion, imprimeur lyonnais de 43 ans, n’est autre que le mari d’#Agnès_Marion, candidate RN à la mairie de Lyon et qui gravite depuis des années dans la sphère des catholiques traditionalistes lyonnais proches de #Bruno_Gollnisch.

      Trois ans après sa création, l’Issep, qui affirme dans le courrier envoyé le 16 avril vouloir « former la jeunesse de notre pays, préparer l’élite de demain pour relever la France », forme donc surtout le microcosme consanguin des amis de Marion Maréchal. Une certaine idée de la relève.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/100521/ecole-de-marion-marechal-anatomie-d-un-fiasco#at_medium=custom7&at_campaig

  • Anissa Belhadjin et Bruno Robbes : La formation PPPE des futurs professeurs des écoles, une « très belle opportunité » ?
    http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/02/10022021Article637485357780183507.aspx

    Début février, les lycéens de terminale et leurs parents ont reçu, dans leur boite mail, un flyer vantant la nouvelle invention du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer : le « parcours préparatoire au professorat des écoles » (PPPE) qui ouvrira en septembre dans toutes les académies. Dans le même temps, une petite vidéo de présentation circule sur les réseaux sociaux. Le ministre y présente ce nouveau parcours, le qualifiant de « meilleur de l’enseignement supérieur ». Cette vidéo, très consultée ces derniers jours alors que Parcoursup vient d’ouvrir, est accompagnée de commentaires élogieux : nouvelle formation, très bonne chose, etc. La publicité promet d’être efficace. Mais de quoi ce PPPE est-il le nom ? Anissa Belhadjin et Bruno Robbes, enseignants-chercheurs engagés dans la préprofessionnalisation et la formation des enseignants à l’INSPÉ de Versailles, en proposent une analyse.

    #formation #professeur_des_écoles #parcoursup

  • Des #chercheurs sur le #nucléaire s’inquiètent après le #licenciement d’une spécialiste de Fukushima
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/01/06/nucleaire-des-chercheurs-s-inquietent-apres-le-licenciement-d-une-specialist

    "Spécialiste de la catastrophe de #Fukushima, Christine Fassert a été renvoyée pour faute en juin 2020, au motif d’une « insubordination récurrente » et d’un « comportement inadapté », comme l’a révélé en septembre Le Canard enchaîné. Elle affirme que le conflit avec sa hiérarchie est lié aux résultats de ses travaux de recherche, ce que l’IRSN, l’expert public des risques nucléaires et radiologiques, bras technique de l’Autorité de sûreté nucléaire, conteste fermement.

    Socio-anthropologue, Christine Fassert est embauchée en 2012 par l’IRSN, qui vient alors de créer un #laboratoire des #sciences_humaines_et_sociales. Le projet Shinrai – « confiance », en japonais –, lancé en partenariat avec Sciences Po Paris et l’université japonaise Tokyo Tech, vise à étudier les conséquences sociales et politiques de l’accident de la centrale de Fukushima de mars 2011. En cinq ans, Christine Fassert et Reiko Hasegawa, chercheuse anciennement rattachée à Sciences Po, réalisent près de 130 entretiens au #Japon auprès des évacués rentrés ou non chez eux, de représentants du gouvernement ou d’associations.

    Dès la #publication des premiers articles, Christine Fassert affirme avoir subi des tentatives d’obstruction de sa hiérarchie, qui demande des modifications ou l’empêche de participer à plusieurs colloques. « Quand nos analyses ne correspondaient pas à ce que l’IRSN voulait entendre, ils essayaient de nous imposer des changements, assure Reiko Hasegawa. Ils nous demandaient d’enlever des phrases entières, c’était des pratiques totalement inhabituelles dans le milieu de la recherche. »

    Selon les deux chercheuses, un passage indiquant que la population japonaise a perdu confiance envers les autorités, par exemple, devait être modifié. Impossible également d’écrire que, à la suite de l’accident, les Japonais se sont prononcés lors d’un débat public en faveur de la sortie du nucléaire, et que le résultat est le même à chaque fois que les populations sont consultées à travers le monde. Parmi les sujets sensibles figureraient aussi la question du retour des évacués et celle de la dangerosité de l’exposition à de faibles doses de radioactivité, qui suscite une importante controverse scientifique. Après l’accident de Fukushima, le gouvernement japonais a fait passer la dose limite pour le public de 1 millisievert (mSv) par an au niveau du seuil de référence maximum, soit 20 mSv/an, la politique de retour dans les zones évacuées étant établie sur cette limite.

    En 2019, la publication de deux #articles de Christine Fassert est refusée. L’un porte sur la gouvernance des risques et repose sur des entretiens avec des #experts critiques du nucléaire et sur le rapport dit « Pompili », sur les fragilités du parc nucléaire français ; le second démontre que les citoyens japonais font davantage confiance à l’expertise associative qu’à l’expertise institutionnelle. « Est-ce que, en cas d’#accident en France, les citoyens feront plus confiance à la Commission de #recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (#Criirad) et à l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO), ou à l’IRSN ? La question n’est peut-être pas agréable à entendre, mais elle est réelle », assure Christine Fassert."

  • « La déconsidération des universités par le milieu politique est un élément structurel »

    Pour #Mathias_Bernard, président de l’université Clermont Auvergne, la promulgation de la #loi_de_programmation_de_la_recherche (#LPR) est une « #occasion_manquée ». Il revient sur la LPR pour « Libération », mais aussi sur dix ans de politique des universités.

    Ça y est. La si polémique loi de programmation de la recherche a été promulguée le jeudi 24 décembre, et publiée ce samedi au journal officiel. Elle lisse sur dix ans une hausse de 5 milliards d’euros du #budget annuel de la recherche et prévoit une hausse des #primes des personnels scientifiques. Mais plusieurs éléments sont critiqués par la communauté universitaire.

    L’une des mesures les plus contestée, la pénalisation des #mobilisations_étudiantes, a été retoquée par le Conseil constitutionnel le 21 décembre. Les « sages » ont aussi émis des réserves sur la proposition d’une nouvelle voie de #recrutement_dérogatoire pour les #professeurs, les « #chaires_de_professeurs_juniors », qui permettrait aux présidents d’université de s’immiscer dans l’appréciation des mérites des futurs candidats.

    Pour le reste, le texte accentue la #compétition entre les chercheurs et entre les établissements en prolongeant la logique de financement par #appels_à_projets, en vogue depuis plus de dix ans. Président de l’université Clermont Auvergne, Mathias Bernard connaît bien le sujet. Pour Libération, il revient sur ce texte et sur les réformes successives des universités depuis plus de dix ans.

    La loi de programmation de la recherche a été promulguée. Quel est votre sentiment sur ce texte ?

    C’est une occasion manquée. Quand l’annonce d’une loi de programmation a été faite, en février 2019 par le Premier ministre, je me suis réjoui, comme beaucoup de collègues. Notre secteur a besoin de #stabilité pour se projeter dans le temps long. J’espérais que cette loi permette de rééquilibrer la part des #financements_récurrents par rapport à ceux distribués par appels à projets. Ce n’est pas le cas. Les nouveaux #moyens sont en majorité conditionnés.

    C’est problématique. Cette loi n’aborde ni la question des #investissements en #équipements_scientifiques ni celle de l’#emploi. Les seules mesures de #ressources_humaines visent à faciliter le recrutement de #contractuels. C’est une #déception.

    Dans quelle mesure la LPR s’inscrit-elle dans le train de #réformes_universitaires depuis dix, quinze ans ?

    La LPR est clairement dans la ligne de ce qui se fait depuis le milieu des années 2000 avec la création de l’#Agence_nationale_de_la_recherche [chargée d’animer la politique d’appels à projets, ndlr]. Ce qui est prôné, c’est la différenciation des universités. L’Etat nous demande de mettre en avant « la #signature » de l’établissement. Cela passe par la réponse aux appels à projets nationaux, internationaux, territoriaux… Le nombre de guichets s’est multiplié.

    En parallèle de cela, notre #dotation_de_base stagne alors que le nombre d’étudiants augmente. Je ne dis pas qu’il y a quinze ans le système était idéal, mais le point d’équilibre est largement dépassé.

    Quelles sont les conséquences pour les établissements ?

    C’est d’abord un #coût. Nous avons besoin de recruter des équipes pour suivre ces appels et aider nos chercheurs à y répondre. J’ai plusieurs dizaines de personnes qui travaillent à cela.

    Ensuite, c’est un changement dans le #statut des personnes employées. Si ma dotation de base stagne, je ne peux pas recruter de #fonctionnaires. La progression du nombre d’employés des universités augmente uniquement grâce aux contractuels. Là encore, avoir une part de contractuels dans nos personnels n’est pas problématique mais ils sont recrutés pour conduire des missions pérennes.

    C’est notamment le cas pour des #contrats_d’enseignants qui, il faut bien le reconnaître, sont payés au lance-pierre.

    La stagnation des financements récurrents attribués aux universités n’est-elle pas la conséquence d’une défiance du milieu politique vis-à-vis du monde académique ?

    Je dirais une #défiance et une #méconnaissance. Les deux vont de pair. Cela vient d’un système de formation des #élites qui ne les amène jamais à l’université. Ils la connaissent mal et en ont une représentation fantasmée et négative.

    Le secteur a dû aborder beaucoup de lois, en 2007, 2013, 2018 et maintenant 2020, et pourtant, aucune n’a reconnu les universités pour ce qu’elles sont, à savoir les opérateurs principaux en matière d’#enseignement_supérieur et de #recherche. Les arbitrages ne nous sont jamais favorables et ce quelle que soit la législature. Les moyens de l’Etat sont dispersés sur une multitude d’opérateurs. Malheureusement, le fait d’avoir une ministre, #Frédérique_Vidal, issue de nos rangs, n’a rien changé au problème de la #déconsidération des universités par le milieu politique qui est un élément structurel.

    La #loi_LRU de 2007 promettait l’#autonomie des universités…

    Mais cette promesse n’a jamais été tenue. L’autonomie a consisté à déléguer la gestion des mécontentements. S’est installée une forme de #bureaucratisation qui subordonne le conseil d’administration des universités à d’autres instances, comme les jurys des appels à projets ou l’administration du ministère, qui s’est investie dans une forme de #micro-management.
    Vous faites référence à la création par ce gouvernement des #recteurs_académiques_de_région qui sont aux universités ce que le recteur est à l’enseignement scolaire. Comment ce micromanagement s’illustre-t-il ?

    Par exemple, pendant la crise sanitaire, les universités ont le droit d’ouvrir des séances de travaux pratiques. Si je décide d’ouvrir un TP d’optique pour 20 étudiants le mardi de 17 heures à 19 heures, je dois obtenir un arrêté du recteur académique à Lyon. Je lui ai, en tout, transmis plusieurs centaines de demandes d’autorisation. C’est de la #bureaucratisation inutile.

    De même, dans le cadre de ce que nous appelons le « #dialogue_stratégique_de_gestion » que nous menons avec l’Etat, une petite partie du budget est conditionnée à la manière dont l’université met en œuvre les #politiques_publiques.

    Pourquoi n’êtes-vous ni membre de l’#Alliance_des_universités_de_recherche_et_de_formation (#Auref) ni de l’#Udice, qui réunit les dix universités dites « de recherche » de France ?

    Je suis contre l’idée d’un système universitaire à #deux_vitesses. Il me semble donc dangereux de l’institutionnaliser à travers des associations. Je suis très attaché aux dimensions de #formation et de recherche des universités. Nous devons concilier une mission de #service_public et une exigence d’#excellence. Le risque avec l’existence de ces deux associations est d’encourager les pouvoirs publics à acter cette division, et à différencier les moyens budgétaires et les outils législatifs attribués aux établissements en fonction de leur appartenance à une organisation ou à une autre.

    Cette différenciation pourrait passer, par exemple, par des droits d’inscription différenciés ?

    On sent bien que cela va être tenté. Une brèche a été entrouverte par le gouvernement en introduisant un droit d’entrée différencié pour les #étudiants_internationaux. Une mesure qui pourrait profiter économiquement à un petit nombre d’universités, qui ont la notoriété pour justifier des droits plus élevés. Mais elle pourrait vider les autres établissements de leurs étudiants internationaux.

    C’est une première tentative qui pourrait être prolongée par une différenciation des #droits_d’entrée pour les étudiants français. Certains présidents pourraient y voir une ressource supplémentaire. Pour ma part, je suis attaché à notre modèle d’un accès le plus ouvert possible à l’enseignement supérieur.

    Vos étudiants, justement, comment vont-ils ?

    Mal. Si j’en juge par le nombre d’entre eux qui se signalent auprès de notre bureau d’accompagnement psychologique, je dirais qu’il y a beaucoup de souffrances.

    Pourtant, dans le plan de #déconfinement du gouvernement, les universités sont les dernières à rouvrir. Comment expliquez-vous cela ?

    Cette annonce a suscité beaucoup d’émotion au sein de la communauté. C’est révélateur d’une forme de #déconsidération des universités qui ne rouvrent qu’après les lycées, les classes prépa, les églises…

    Le principal problème pour nous, dans cette gestion de crise, c’est le décalage systématique entre les décisions gouvernementales, qui créent de l’attente, et la notification précise de leur application. Cela nous met, nous, présidents, en porte-à-faux. Par exemple, il y a eu des annonces sur le recrutement de tuteurs pour accompagner les étudiants en difficulté en janvier, mais nous n’avons reçu ni les budgets ni les modalités avant les congés de fin d’année. De même, l’Etat s’est engagé à soutenir la prolongation des contrats doctoraux décalés par le Covid-19. Nous avons fait les avances dès septembre, mais les crédits ne sont arrivés qu’en toute fin d’année.

    https://www.liberation.fr/france/2020/12/26/la-deconsideration-des-universites-par-le-milieu-politique-est-un-element

    #université #ESR #France #LPPR

    Métaliste sur la LPPR :
    https://seenthis.net/messages/820330

  • Numéro en lutte


    La #lutte est pleine
    As the Struggle Continues

    –-

    Precademics 85.42.1
    On #Pause : Academic Precarity in the COVID-19 Era and Beyond in Greece

    –-

    Jeanne Hersant
    Faire de la #science au #Chili : la #recherche_par_projet comme seul horizon

    –-

    Aslıhan Aykaç Yanardağ
    Qu’est-ce qui motive l’enseignant-chercheur ?

    –—

    Ahmet Insel, Élise Massicard and Özgür Türesay
    Témoignage d’un universitaire « agitateur d’idées » en #France et en #Turquie

    –-

    Tang Yun, Katiana Le Mentec and Camille Noûs
    Bureaucratic and Neoliberal Management in Academia. A Franco-Chinese Dialogue between Two Anthropologists

    –-


    Camille Noûs
    Quelque part en Asie : l’expérience d’un “chercheur en visite”

    –-
    Elsa Clavé
    Être #professeur_junior à l’université allemande : retour d’expérience

    –-

    Aslı Vatansever and Aysuda Kölemen
    Reflections on Exile and Academic Precarity : Discussing At the Margins of Academia

    –-

    Cem Özatalay
    Purge, Exile, and Resistance :
    Rethinking the Conflict of the Faculties through the Case of Academics for Peace in Turkey

    –-

    Emine Sevim and Sümbül Kaya
    Sümbül Kaya’nın Emine Sevim ve BIRARADA derneğiyle röportajı
    Entretien avec #Emine_Sevim de l’association « #BİRARADA » par Sümbül Kaya

    https://journals.openedition.org/ejts/6407

    #université #lutte #luttes #ESR #précarisation #précarité #revue #néolibéralisme #Allemagne #précarité_académique #résistance #exile #purge #Chine

  • Lettre ouverte aux élèves qui sont devant les professeur·es documentalistes - Doc pour docs
    http://docpourdocs.fr/spip.php?article655

    Pourquoi cette démarche ? Pour tout t’avouer, elle me taraude depuis plusieurs semaines. Depuis le 28 novembre 2020 précisément. Ce jour-là, l’on apprend que les professeur·es documentalistes sont exclu·es de l’attribution d’une prime d’équipement de 150 euros destinée aux enseignant·es, parce qu’ils ne sont pas "devant les élèves" [2].

    À ce moment-là, Anaïs, la première personne à laquelle j’ai pensé, c’est toi. Toi qui déclarais lors d’un entretien en 2017 : « Je crois que moi je peux dire que j’ai eu beaucoup de chance, avec des professeurs très présents, qui voulaient qu’on réussisse… Il y a surtout eu (Pr-Doc) [3] au lycée, franchement, lui, c’était super important. Je trouve qu’au niveau de l’accès à l’information, il nous aide à trier, mais aussi à réfléchir en fait. Il nous amène à nous questionner sur l’information, comment on s’approprie tout ça parce que c’est vrai qu’on est surchargé d’informations de la télé au smartphone, et voilà. Ses cours étaient très riches et j’adorais ses cours en fait. Je les ai gardés (...) C’est une référence que j’ai. Je pense qu’il y a des profs comme ça qui nous marquent dans notre scolarité ».
    Cet enseignant qui t’a marqué à ce point, Anaïs, au moment même où tu apprenais à ses côtés, se battait pour ne plus être rattaché dans les listes de diffusion au « personnel administratif », alors qu’il était titulaire d’un CAPES de documentation, formé en Sciences de l’information et de la communication. Il y a plus encore : l’effacement du statut d’enseignant·e est presque naturel dans le langage courant du système éducatif. Ainsi on anthropomorphise volontiers le CDI : ce lieu, au même titre que la salle D 24 dans laquelle un·e professeur·e de Français va dispenser ses cours, se substitue dans les discours à l’humain, au professionnel. Combien d’emplois du temps d’élèves comportent l’appellation « cours de CDI » ? De la même façon, on va volontiers « demander au CDI » d’intervenir lors des temps de pré-rentrée à destination des nouveaux personnels. Il ne s’agit pas d’une question de langage. Il s’agit bien d’une question de fond. De considération. Tant humaine que professionnelle, et même sociale.

    #Anne_Cordier #Professeur_documentaliste #Enseignement_médias_information

  • « Car oui, aujourd’hui, Anaïs, je voudrais te parler du métier qu’exerce l’enseignant que toi-même, spontanément, tu désignes comme "la personne de référence dans (ton) parcours scolaire" : le métier de professeur documentaliste. »

    Quels sont ces enseignants souvent oubliés, les « profdocs », alias « la dame du CDI » ?

    http://docpourdocs.fr/spip.php?article655

    #EMI #CDI #professeur_documentaliste

  • Résultats pas très probants, mais au moins là bas on peut faire le calcul :

    Quelle diversité chez les nouveaux professeurs d’université ?
    Mélissa Guillemette, Québec Science, le 23 juillet 2020
    https://www.quebecscience.qc.ca/societe/diversite-professeurs-universite

    Québec Science s’est penché particulièrement sur le sort des minorités visibles (c’est-à-dire les personnes, autres que les Autochtones, qui n’ont pas la peau blanche) et des Autochtones. En 2019, les universités avaient parmi leurs employés 6% de minorités visibles, alors que l’objectif moyen était de 12,5%, et elles comptaient 0,3% d’employés autochtones, plutôt que le 0,5% visé en moyenne, selon le dernier rapport triennal de la CDPDJ. Ces statistiques comprennent tous les types d’emplois.

    Alors que les universités parlent de diversité, « moi, je parle plutôt de décolonisation », dit Catherine Richardson, de Concordia. À l’hiver dernier, tous les cours de la majeure et de la mineure en études des peuples autochtones étaient donnés par des enseignants autochtones (incluant des chargés de cours), « une victoire ».

    #Universités #Québec #Racisme #Discriminations #Autochtones #minorités_visibles

  • #Tunis : Suspension du professeur de l’ENS, accusé de harcèlement sexuel par des étudiantes - Kapitalis

    A. H., le professeur de l’Ecole normale supérieure (ENS) de Tunis, accusé de harcèlement sexuel par des étudiantes et faisant l’objet d’une enquête par l’Inspection générale du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a été suspendu des ses fonctions.

    C’est ce qu’indique le collectif « Le harceleur n’enseigne pas », qui se réjouit de cette décision et espère que cela ne s’arrêtera pas là et que la justice entrera aussi en ligne.

    « Pour le moment, il a été décidé de le suspendre jusqu’à la fin de l’enquête et, de son côté, il a menacé de porter plainte contre les étudiantes pour diffamation », précise le collectif.

    Les étudiantes, qui se sont présentées comme victimes, disent avoir des preuves de leurs accusations et souhaitent que cette affaire ne soit pas étouffée et que A. H. ne soit pas muté dans une autre université.

    « S’il est muté, il recommencera, et on ne fera que déplacer le problème. C’est dans sa nature et il n’a jamais été puni par la loi. A Lyon où il a étudié, il y a également eu plusieurs témoignages remontant à plus de 10 ans et il n’a donc jamais cessé son manège », déplore Y. D., une des victime présumée.

    « Bravo aux normaliennes qui ne renoncent pas et qui ne cessent de lutter pour que justice soit faite », a commenté pour sa part, le collectif #EnaZeda, luttant contre le harcèlement sexuel, le viol et les violences faites aux femmes et qui a, dès le début de l’affaire, soutenu les étudiantes.

    Y. N.

    #Tunisie #Ecole_normale_supérieure #ENS #étudiantes #harcèlement_sexualisée #ministère #Enseignement_supérieur #professeur #suspension

    http://kapitalis.com/tunisie/2019/12/26/tunis-suspension-du-professeur-de-lens-accuse-de-harcelement-sexuel-par-d

    • #Avant-projet de LPPR : une gigantesque machine à précariser et à privatiser
      L’avant-projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche — 220 pages indigestes mêlant #novlangue, vernis idéologique pseudo-républicain et dispositions qulequefois très techniques — a enfin été diffusé, à cinq jours de la consultation obligatoire du #CNESER, et ce, alors que le texte est largement écrit depuis des mois. Le message à l’endroit du CNESER est clair : aucune considération n’est accordée à l’instance collégiale chargée de représenter la diversité des intérêts dans l’ESR. À ce niveau, on peut même parler de #mépris.

      Rappelons quelques points préalables, qui sont dénoncés depuis longtemps :

      - L’appellation de l’avant-projet de loi « de programmation pluriannuelle de la recherche » est trompeuse, car la question de la #programmation_budgétaire, si elle est cruciale, ne représente jamais que deux articles d’un projet de lui qui en compte 24.
      – Les engagements de programmation budgétaire (article 2) n’engagent en réalité à rien sur le plan juridique : le législateur des années suivantes en fera ce qu’il voudra. Qui plus est seuls 104 millions d’euros sont abondés pour cette année — la seule qui compte vraiment — soit un quart de ce que la Ministre annonce partout depuis plusieurs mois. La poudre de perlimpinpin a magiquement disparu, sauf dans les dépêches médiatiques qui continuent l’incantation de 25 Mds sur 10 ans1
      – Le texte qui circule depuis ce matin n’est pas encore celui qui sera examiné par le Parlement. Il est peu probable que son contenu bouge substantiellement à la suite de son examen par le CNESER (le 12 juin) et le comité technique ministériel (le 17 juin), à moins bien sûr que la communauté de l’ESR se mobilise massivement, ce à quoi nous appelons dès le 12 juin. Il est très probable, en revanche, que les échanges interministériels, sans doute encore en cours, et le Conseil d’État – obligatoirement consulté avant l’examen du projet en conseil des ministres (annoncé pour le 8 juillet) – conduiront à quelques évolutions du texte.

      Les quelques lignes qui suivent ne sont pas destinées à commenter la partie budgétaire du projet (titre I), mais tout le reste, autrement dit tout ce qui, normalement, ne devrait rien avoir à faire dans une loi de programmation budgétaire (titres I à V). Car ce « reste » a eu la main lourde : il contient des évolutions majeures du #droit_de_l’enseignement_supérieur, qu’il va nous falloir analyser en détails en cinq jours.

      1. Le #tenure-track ou la transformation des #statuts des enseignant·es-chercheur·ses

      Signalons un premier point majeur, qui, à lui seul, devrait justifier une très vive mobilisation de la communauté universitaire : l’article 3, qui met en place un système de « tenure-track » conforme à ce que l’on annonçait et craignait. Une « track » vers la « tenure » est créée, c’est-à-dire une procédure dérogatoire de #titularisation dans le corps des directeurs de recherche et de professeur des universités, qui se traduit par la reconnaissance d’un #privilège d’accès à ces corps au bénéfice d’individus ayant d’abord été recrutés par voie contractuelle par un établissement. Le schéma, plus précisément, est le suivant : un établissement (une université, par exemple) recrute par contrat un individu pour une période de trois à six ans, puis se voit reconnaître le droit de procéder à sa titularisation dans le corps des DR ou des PU (selon l’établissement), l’individu signant alors « un #engagement_à_servir » dont la durée n’est pas précisée.

      C’est évidemment une évolution très grave, pour de multiples raisons dont les principales sont les suivantes :

      - on court-circuite toute procédure de #qualification_nationale ;
      - les contrats préalables à l’éventuelle titularisation ne font l’objet d’aucun #encadrement_légal, si ce n’est un très vague renvoi à un décret en Conseil d’État dans lequel le ministère pourra mettre ce qu’il veut, ce qui ouvre grand la porte à une #modulation_des_tâches (et en particulier des services d’enseignements) ou encore à la variation des #rémunérations ;
      - aucun mécanisme de protection des #libertés_académiques n’est mentionné durant la période contractuelle ; au contraire, durant le contrat, l’aspiration DR ou PU se voit imposer des « objectifs à atteindre », forme sans précédent d’atteinte à la liberté de la recherche.

      En contrepoint, les « garanties » qui sont mises en place autour des tenure-tracks sont très légères : le recrutement doit se faire « à l’issue d’une sélection par commission constituée de personnes de rang égal à celui de l’emploi à pourvoir et comportant des universitaires ou des chercheurs extérieurs à l’établissement dans lequel le recrutement est ouvert, et notamment étrangers ». C’est très vague, et laisse sans réponse des questions de première importance : quelle proportion d’EC exactement ? Quelle proportion de personnalités extérieures ? Qu’est-ce que signifie exactement la formule « à l’issue de » ? Est-ce une simple obligation de procédure ou signifie-t-elle que la commission décide seule de la personne sélectionnée ?…

      Pour le dire simplement, ce qui est établi ici est bien plus grave encore que les « contrats LRU », qui étaient déjà une ignominie. Avec les tenure tracks, en effet, ce n’est pas un mécanisme contractuel qui est établi à côté du statut ; c’est le statut lui-même qui est détricoté, dans une proportion potentiellement très importante : jusqu’à 25 % des recrutements de DR et PU pourront passer par cette voie. Un sur quatre !

      Tout cela, on l’aura compris, n’a rien à voir avec une programmation budgétaire pluriannuelle. Tout le projet de loi est du même acabit, et appelle une lecture très attentive. Citons quelques autres points très problématiques concernant les emplois :

      2. #Emploi dans l’ESR : la privatisation pour religion

      – Un « #contrat_doctoral » de #droit_privé (article 4, I) est créé, qui rompt avec la logique tripartite de la convention #CIFRE qui associe une entreprise, un doctorant et un laboratoire, au bénéfice d’une logique bilatérale dont le laboratoire est exclu. Un seuil est donc franchi, et nous voilà arrivés à une recherche doctorale totalement privatisée.
      – Dans la même veine, des #post-docs de droit privé sont créés (article 4, IV), sans aucun encadrement légal autre qu’un très vague renvoi à un décret en Conseil d’État et l’exigence que « l’activité de recherche proposée doit fournir au salarié une expérience professionnelle complémentaire au doctorat ». Pire encore, les quelques mesures d’encadrement des CDD prévus par le #code_du_travail sont rendues inapplicables à ces post-docs (« Les dispositions des articles L. 1243-13 et L. 1243-13-1 du code du travail ne sont pas applicables au contrat de travail »). Ne serait-ce que sur ce point, la LPPR s’annonce comme une gigantesque machine à précariser.

      - Le « CDI de #mission_scientifique », qui était annoncé, est bien mis en place (article 5), avec pour objet de contourner la règle de la transformation obligatoire en CDI des relations contractuelles d’une durée supérieure à six ans – une règle qui, il faut le rappeler, n’a été introduite en France en 2005 que parce qu’il s’agissait d’une obligation européenne (directive du 28 juin 1999). Dans la lignée du « CDI de chantier ou d’opération » d’ores et déjà applicable « dans les établissements publics de recherche à caractère industriel et commercial et les fondations reconnues d’utilité publique ayant pour activité principale la #recherche_publique » depuis la #loi_PACTE du 22 mai 2019 (cf. art. L. 431-4 du code de la recherche et décret du 4 octobre 2019 fixant la liste des établissements et fondations concernés : CEA, IFREMER, CNES, Institut Pasteur, Institut Curie, ), l’objectif n’est rien d’autre, autrement dit, que de créer un CDI – un CDI aux conditions de rupture particulièrement souples – permettant d’éviter d’avoir à cédéiser.

      3. Le #darwinisme vidalo-coulhonien en acte

      Par ailleurs, il est important de noter que la logique de #compétition et de #mise_en_concurrence ne se situe pas seulement au niveau des dispositifs d’emplois : elle est le fil-conducteur de tout le projet de loi, et transpire de chaque article. En voici quelques exemples :

      – Le principe d’#évaluation des établissements est encore accentué (article 9, avec une extension de l’évaluation à la totalité des missions des établissements), tout comme l’engagement des personnels de la recherche dans les #entreprises, au nom de « l’ouverture du monde académique vers les entreprises » (article 12 et 13, 17, …). Cela se traduit, en particulier, par une ouverture très large des possibilités de #cumul_d’activités à temps partiel entre les établissements de l’ESR et les entreprises.
      – Le système des #primes et des dispositifs d’intéressement est renforcé, en particulier entre les mains des chefs d’établissement (article 14).
      - De même, une part croissante du financement des établissement passera désormais par les #appels_à_projets de l’#Agence_nationale_de_la_recherche (article 11), qui devient une source importante de financement de besoins jusqu’ici considérés comme pérennes, et non soumis à la logique compétitive des appels à projets.
      – Sommet de ce dispositif, l’#HCERES dont la présidence est vacante depuis plus de six mois a sans douté trouvé preneur, puisqu’on prévoit « la présence dans le collège du HCERES d’une personne ayant participé à la création d’une entreprise » (article 9)

      4. Pot-pourri pourri

      On trouve à côté de cela tout un pot-pourri de mesures dont il va falloir faire dans les prochains jours une analyse serrée, afin de démasquer tous les loups éventuels. On remarque, par exemple, à l’article 18 une ouverture forte du recours à l’#enseignement_à_distance dont on peine encore à comprendre les implications exactes, à l’article 19 une simplification des modalités de changement des statuts des établissements dits « composantes » des #établissements_expérimentaux, à l’article 20 une mesure destinée à limiter les recours contentieux en matière de recrutements des personnels #enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs, à l’article 21 une liste importante d’habilitations à légiférer par voie d’#ordonnances, en particulier s’agissant des établissements d’enseignement supérieur privés.

      Bref, c’est un nombre considérable de fronts qui se trouvent ainsi ouverts. La communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont le CNESER est censé représenter les différentes composantes, a donc cinq jours pour en débattre, se faire une opinion, débusquer les loups, faire des contre-propositions, trouver des compromis. Cinq jours. CINQ JOURS. Devant un tel mépris, y-a-t-il vraiment quelque chose à débattre ?

      Liens – Documents touchant à l’avant-projet de loi LPPR

      – LPPR EXPOSE DES MOTIFS : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-EXPOSE-DES-MOTIFS.pdf
      - LPPR PROJET DE LOI-1 : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-PROJET-DE-LOI-1.pdf
      – LPPR RAPPORT ANNEXE : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-RAPPORT-ANNEXE.pdf
      – LPPR TABLEAU 3 COLONNES TITRE II-1 : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-TABLEAU-3-COLONNES-TITRE-II-1.pdf
      – LPPR TABLEAU 3 COLONNES TITRE III : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-TABLEAU-3-COLONNES-TITRE-III.pdf
      – LPPR TABLEAU 3 COLONNES TITRE IV : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-TABLEAU-3-COLONNES-TITRE-IV.pdf
      – LPPR TABLEAU 3 COLONNES TITRE V : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/06/LPPR-TABLEAU-3-COLONNES-TITRE-V.pdf

      https://academia.hypotheses.org/24364
      #précarisation #privatisation #liberté_académique #ANR

    • LPPR : Le projet de loi

      Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPPR) se balade désormais dans les réseaux. Il sera présenté et éventuellement discuté en CNESER le 12 juin, CTMESRI le 17 juin et CTU le 22 juin, donc dans un temps trop court pour permettre une discussion collégiale. Contenant 23 articles sur 26 pages, de nombreux détails nécessiteront une analyse approfondie. Cependant, il confirme désormais ce que Mme. #Vidal qualifiait de « rumeurs » (https://twitter.com/VidalFrederique/status/1227250557535969280) et qui a suscité un nombre impressionnant de tribunes à charge au début de l’année : les tenure-tracks à la française, les #CDI_de_mission, le renforcement des #primes et de l’évaluation.

      Il s’agit ainsi simplement d’une pleine confirmation des nombreuses critiques adressées au ministère et dirigeants de l’ESR français, critiques qui n’ont donc absolument pas été écoutées.

      Analyse sur les #réformes_statutaires
      Chaires de #professeur_junior / Tenure-tracks à la française
      ARTICLE 3 : #Chaires_de_professeur_junior (#CPJ)

      « Un arrêté ministériel peut autoriser un établissement à recruter, afin de répondre à un besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son #attractivité_internationale, dans des domaines de recherche qu’il justifie, des personnes titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme équivalent, en qualité d’#agent_contractuel_de_droit_public en vue d’une titularisation dans un corps de directeurs de recherche. » ou de « professeur »

      « dans la limite de 25% des recrutements autorisés dans le corps concerné. »

      « La durée de ces contrats ne peut être inférieure à trois ans et ne peut être supérieure à six ans. »

      « Ce recrutement est réalisé, après appel public à candidature, à l’issue d’une sélection par une commission »

      « Au terme de son contrat, l’intéressé est titularisé / sous réserve de la vérification par une commission de sa valeur scientifique et de son aptitude à exercer les missions mentionnées à l’article L. 441-1. »

      Les chaires de professeur juniors sont donc bien des tenure-tracks à la française. Elles sont situées exactement au même niveau que les Chargés de recherche (CR) et Maîtres de conférences actuels (MCF), mais pour un temps très limité (3 à 6 ans) et dans un cadre extrêmement dérégulées tant au niveau de la définition des postes que du recrutement et de titularisation.

      Seule précision nouvelle, la limite de 25% des recrutements (supérieure à l’annonce initiale de 10%). C’est cette limite qui place le curseur de la concurrence entre CR/MCF et CPJ pour l’accès à la #promotion. En effet, à l’heure actuelle, environ un tiers des MCF deviennent PR. Or, si un quart de ces MCF deviennent des CPJ bénéficiant d’un pré-recrutement PR, il ne restera pratiquement plus de postes PR pour les autres.

      Ainsi, MCF -et ses lourdeurs universitaires de recrutement- pourrait bien devenir une voie de garage, dont seuls certain.e.s se sortiront au prix d’immenses efforts et sacrifices. Il sera naturel de réserver cette voie à l’enseignement : les « excellents » ayant de toutes façons choisi une CPJ, dont le service n’est pas régulé et sera sans doute plus agréable. Si absolument rien ne prouve que les CPJ permettront d’« améliorer attractivité des métiers scientifiques », ils risquent fortement de diminuer l’attractivité des #MCF.

      CDI de mission
      ARTICLE 5 : CDI de mission scientifique

      « un agent peut être recruté, pour mener à bien des projets ou opérations de recherche, par un contrat de droit public dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. » / « Ce contrat est conclu pour une durée indéterminée. »

      « Le contrat prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’Etat. Il peut être également rompu lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser. »

      Il s’agit là encore d’un contrat extrêmement dérégulé, pouvant être rompu unilatéralement : potentiellement, le projet « ne peut pas se réaliser » pour des raisons budgétaires. Le financeur contrôle donc unilatéralement la durée du contrat, et pourra abandonner l’agent dès lors qu’il aura servi ou ne pourra plus servir, sans justification particulière.

      Evaluation

      L’évaluation est au cœur des chaires de professeur junior, pour le recrutement et la titularisation, et des CDI de mission, pouvant être arrêtés à tout moment en cas de bons ou mauvais résultats. Mais l’évaluation s’étend aussi sur les établissements :
      ARTICLE 9 : Évaluation et contractualisation

      « Evaluation et contrôle de la recherche et du développement technologique » devient « Evaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur » / « procédures d’évaluation périodique, qui portent sur l’ensemble des objectifs et missions ».

      L’évaluation est étendue à toutes les missions, et non plus seulement la recherche et du développement technologique.

      #Primes
      ARTICLE 14 : Intéressement des personnels

      « Les chefs d’établissement des établissements publics à caractère scientifique et technologique sont responsables de l’attribution des primes aux personnels qui sont affectés à leur établissement »

      « Le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la #rémunération des personnels. »

      Il devient possible pour chaque établissement de développer son propre #régime_indemnitaire, spécifique, fortement dérégulé, et contrôlé par la présidence.

      Conclusion

      Au niveau statutaire, le projet de loi est en tout point conforme aux recommandations des groupes de travail sur la LPPR, contre lesquelles la communauté s’est fortement engagée en ce début d’année.

      La #dérégulation adossée à l’évaluation est présentée comme seule et unique solution aux problèmes de l’ESR français. Premièrement, il convient de noter que les dérégulations renforcent mécaniquement les pouvoirs de ceux qui en ont déjà, dont font partie les membres des groupes de travail à l’origine de cette loi. C’est ce que l’on désigne traditionnellement par le « #Mandarinat ».

      Secondement, ce projet de loi confirme l’hypothèse formulée dans ce billet : en renforçant la pression sur des chercheurs dont la situation précaire dépend des résultats scientifiques, on augmente les #performances mais au prix d’une augmentation mécanique des #inconduites_scientifiques :

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/01/18/lppr-une-loi-de-programmation-de-linconduite-scientifique

      Un mot sur les #contrats_doctoraux et post-doctoraux
      ARTICLE 4 : Fixer un cadre juridique spécifique pour le #contrat_doctoral et le contrat post-doctoral

      Les contrats doctoraux devraient être désormais ouverts aux entreprises, au delà des CIFRES. Peut-être que cela permettra d’enrayer la chute des effectifs de doctorants sans pour autant augmenter les effets des universités.

      « Par dérogation à l’article L. 1221-2 du code du travail, un contrat de travail de droit privé à durée déterminée, dénommé « contrat doctoral », peut être conclu lorsque l’employeur : Confie des activités de recherche à un salarié inscrit dans un établissement d’enseignement supérieur français en vue d’obtenir la délivrance d’un diplôme de doctorat »

      « La durée totale du contrat ne peut excéder cinq ans »

      Les contrats post-doctoraux est vaguement régulé.

      « Les établissements publics / dont les statuts prévoient une mission de recherche peuvent recruter des chercheurs, titulaires du diplôme de doctorat tel que prévu à l’article L. 612-7 du code de l’éducation, par un contrat de droit public dénommé « contrat post-doctoral ». »

      Le contrat post-doctoral doit être conclu au plus tard trois ans après l’obtention du diplôme de doctorat, pour une durée maximale de trois ans, renouvelable une fois. »

      Un mot sur la « #démocratie_universitaire »

      Le projet de loi comporte de nombreux renforcement du pouvoir des présidences et mandarins.
      ARTICLE 16 : Mesures de simplification en matière d’organisation et de fonctionnement interne des établissements

      « Dans le cas où le / chef d’établissement /, pour quelque cause que ce soit, / les titulaires d’une délégation donnée par le chef d’établissement restent compétents pour agir dans le cadre de cette délégation »

      16-IV : Redéfinir le rôle de la commission de la recherche du conseil académique

      « Elle fixe les règles de fonctionnement des laboratoires et elle est consultée sur les conventions avec les organismes de recherche » devient « Elle est consultée sur les règles de fonctionnement des laboratoires. »

      16 -V Limitation des élections partielles en cas de vacance tardive

      « sauf si la vacance intervient moins de six mois avant le terme du mandat. »
      « sauf si la vacance intervient moins de huit mois avant le terme du mandat. »

      ARTICLE 19 Ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux

      Extension des dérogations des établissements expérimentaux au livre VI du code de l’éducation « L’organisation des enseignements supérieurs » (en plus du livre VII « Les établissements d’enseignement supérieur »).
      ARTICLE 8

      « Lorsqu’ils sont, préalablement à la date à laquelle ils atteignent la limite d’âge, lauréats d’un appel à projets inscrit dans une liste fixée par décret, les professeurs / peuvent être autorisés à rester en fonctions au-delà de la limite d’âge jusqu’à l’achèvement du projet de recherche »

      Un mot sur les #fondations

      Le projet de loi comporte aussi de nombreux assouplissements pour la collecte de #fonds en hors de la dotation d’état.
      16-X Simplifier le régime des #fondations_partenariales

      « Par dérogation à l’article 19-7 de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 précitée, les sommes que chaque membre fondateur, personne publique, s’engage à verser ne sont pas garanties par une caution bancaire. »

      « Par dérogation à l’article 19-3 de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 précitée, la fondation peut acquérir ou posséder d’autres #immeubles que ceux nécessaires au but qu’elle se propose. »

      ARTICLE 16-XI

      « Les #dons et #legs avec charges dont bénéficient l’Institut ou les académies sont autorisés par décret en Conseil d’État. » -> « L’institut et les académies peuvent recevoir des dons et legs. Un décret fixe le montant au-delà duquel les dons et legs avec charges sont autorisés par décret en Conseil d’État. »

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/06/07/lppr-le-projet-de-loi

    • Sur le #financement de la LPPR : l’obole à Charon

      Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, et membre de la Commission Culture du Sénat, a proposé sur Twitter (https://twitter.com/OuzouliasP/status/1269659992711475202) une analyse du volet budgétaire de la LPPR, en complément de notre billet d’analyse initiale de l’avant-projet. Nous la reprenons ici.


      Espérons qu’à la suite de Pierre Ouzoulias et de Gérard Larcher, son président, le Sénat défendra avec vigueur l’université française contre la fragilisation de l’emploi et contre l’affaiblissement continu de ses crédits.

      https://academia.hypotheses.org/24380

    • LPPR : lettre de 25 #sociétés_savantes à la Ministre

      Le gouvernement prépare une « Loi pour la programmation pluriannuelle de la recherche » (LPPR), qui sera présentée au Parlement dès juillet prochain.
      Le Président de la République et le gouvernement se sont récemment exprimés pour souligner l’importance de la recherche face à des crises comme celle du Covid-19 et se sont engagés à augmenter les budgets qui y sont consacrés, à la fois pour la recherche spécifiquement dédiée à la lutte contre le Covid-19 et pour la recherche en général.
      Dans ce contexte, plus de 25 sociétés savantes ont cosigné la lettre ci-dessous en vue d’alerter Madame la Ministre de L’Enseignement Supérieur et de la Recherche et de l’Innovation sur un certain nombre de points nous paraissant critiques

      Paris, le vendredi 5 juin 2020

      À l’attention de Madame la Ministre
      de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation
      Madame la Ministre,
      Les sociétés savantes signataires prennent acte des annonces du Président de la République et de vous-même insistant sur l’importance de la recherche pour la société en ces temps difficiles et des annonces budgétaires s’y référant. Nous avons par ailleurs noté notre engagement à régler la question de laprolongation des contrats doctoraux et autres contrats courts du fait de l’épidémie. Nous souhaitons à ce sujet que l’Étatdéclare de la façon la plus claire son engagement à financer ce surcoût pour tous les contrats relevante sa compétence.
      Nous espérons quececi seramis en pratique au niveaudes personnes intéressées le plus rapidement possible.Nous souhaiterions attirer ici votre attention sur le fait qu’il serait extrêmement dommageable pour la recherche française que le budget supplémentaire envisagé vienne mettre en danger le nécessaire équilibre entre la recherche de base au long cours, principalement financée par les organismes nationaux et les Universités, et la recherche sur projets, principalement financée par l’ANR. La crise actuelle a encore une fois démontré la nécessité absolue d’un spectre le plus large possible de recherches au long terme, non seulement essentiellespour l’avancée générale des connaissances, mais également indispensablespour pouvoir être à même de répondre du mieux possible aux crises du futur dont nous ignorons tout encore et pour lesquelles la recherche sur projets ne pourra jamais fournir des réponses en temps utile.
      Cette indispensable recherche de base ne pourra se développer sans un accroissement significatif desmoyens humains et financiers des organismes nationaux et des Universités. Une augmentation du budget de l’ANR n’aura aucun effet sur les trois problèmes essentiels dont souffrent les laboratoires aujourd’hui ainsi que leurs directeurs et directrices viennent de vous l’écrire : le manque de personnel permanent, le manque de crédits récurrents et le manque de visibilité à moyen et long terme de leur stratégie de recherche. Ces problèmes sont liés car sans personnel permanent en nombre suffisant, sans perspectives attrayantes pour leur carrière, sans recrutement plus important de jeunes chercheuses et chercheurs, de jeunes enseignantes-chercheuses et de jeunes enseignants-chercheurs, sans attention particulière à la place des femmes dans l’ensemble du système, il n’y aura pas la possibilité de mettre en pratique une stratégie nationale de recherche à long terme. L’objectif d’augmenter le taux de succès des appels d’offres ANR est louable mais il ne doit pas être atteint par la seule augmentation mécanique du budget de l’ANR qui par nature ne poursuit pas une politique scientifique sur le long terme, à dix ans ou plus. Une répartition plus stratégique des ressources supplémentaires permettrait d’augmenter ce taux de succès en baissant le nombre de projets soumis, puisque nombre d’entre eux s’inscriraient alors dans les politiques scientifiques financées par les grands organismes nationauxet les universités.Ceci permettraiten outre de diminuer le temps beaucoup trop important passé aujourd’hui par les chercheuses et les chercheurs pour le montage, la gestion ou l’évaluation de projets à court termeau lieu de se consacrer à la recherche proprement dite.

      Dans le cadre de l’impulsion que le gouvernement a déclaré vouloir donner en faveur de la recherche, il nous paraît indispensable que ces remarquessoient prises en compte et nous serions heureux de pouvoir les développer directement avec vous.

      Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre considération distinguée.

      Association Française d’Ethnologie et d’Anthropologie
      Association des Historiens contemporanéistes de l’ESR
      Association des Professeurs d’Archéologie et d’Histoire de l’Art des Universités
      Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie
      Association Femmes et Sciences
      Association Française de Mécanique
      Association Française de Sociologie
      Comité d’Information et de Liaison pour l’Archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel
      Comité National Français de Géographie
      Société Botanique de France
      Société Chimique de France
      Société d’Etudes Anglo-Américaines des XVIIeet XVIIIesiècles
      Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique
      Société Française de Biologie du Développement
      Société Française de Biophysique
      Société Française d’Écologie et d’Évolution
      Société Française de Génétique
      Société Française de Microscopie
      Société Française de la Neutronique
      Société Française d’Optique
      Société Française de Physique
      Société Française de Psychologie
      Société desHistoriens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public
      Société Mathématique de France
      Société des Professeurs d’Histoire ancienne de l’Université
      Société Informatique de France
      Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles
      Société de Sociologie du Sport de Langue Française

      .Cette lettre a été envoyée en copie aux principaux acteurs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ainsi qu’aux conseillers de l’Élysée et de Matignon:Philippe Baptiste (Conseiller Premier Ministre) Gilles Bloch (INSERM) Thierry Coulhon (Conseiller Président République) Frédéric Dardel (MESRI) François Jacq (CEA) Gérard Longuet (OPECST) Philippe Mauguin (INRA) AntoinePetit (CNRS) Gilles Roussel (CPU) Ali Saib (MESRI) Bruno Sportisse(INRIA) Cédric Villani (OPECST)AEF–CNESE

      https://academia.hypotheses.org/24390

    • Recherche : le gouvernement persiste sur sa ligne

      Le projet de loi de programmation pluriannuelle (LPPR) est enfin dévoilé. Le gouvernement n’a pas pris en compte les critiques émises avant le confinement.

      Les affaires reprennent. Le gouvernement reprend sa réforme de la recherche là où elle s’est arrêtée avant la crise du Covid-19.

      Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) a enfin été envoyé aux représentants siégeant au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Ils doivent l’étudier en séance le 12 juin et la présentation au Conseil des ministres est prévue pour le 8 juillet, mais « aucune date d’inscription à l’agenda parlementaire n’est prévue pour les prochaines semaines », précise la ministre Frédérique Vidal dans son courrier au Cneser. « Le temps de concertation est réduit au minimum, ce qui est inacceptable pour une loi de cette importance », s’indigne Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT. L’exposé des motifs est ci-dessous, le texte de loi derrière ce lien.

      Ce projet de loi comprend un volet ressources humaines contenant des propositions dont l’évocation avait mis une partie de la communauté des chercheurs dans la rue cet hiver. Le Covid n’a pas rendu le gouvernement plus à l’écoute. « Les éléments qui faisaient un large consensus contre eux sont encore présents dans le projet. Alors que ce n’est pas ce qu’attendent nos collègues et encore moins ce dont a besoin la recherche française », regrette Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT.

      La première est la possibilité d’une nouvelle voie de recrutement de directeur de recherche ou professeur des universités. Le gouvernement veut proposer des contrats de trois à six ans à l’issue desquels la titularisation est possible sans passer par la case maître de conférences ou chargé de recherche.
      « Une gigantesque machine à précariser et privatiser »

      La deuxième proposition controversée est la création d’un CDI de mission scientifique. L’idée ici est de remplacer les CDD par un CDI qui prend fin à l’issue d’un projet. Une idée qui ne satisfait pas les jeunes chercheurs qui préféreraient voir une hausse des titularisations. Le site militant Université ouverte, animé par des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche, résume sa lecture du projet de loi ainsi : « une gigantesque machine à précariser et privatiser ».

      Le dernier point, qui devait permettre à la communauté d’avaler ces pilules, est la fameuse programmation pluriannuelle de la loi. L’objectif, fixé par le président de la République par tweet mi-mars en pleine épidémie, est d’augmenter la dépense de recherche annuelle de l’Etat de 5 milliards d’euros en 2030. Elle est estimée à 17,9 milliards d’euros en 2017. Une promesse osée pour un gouvernement à moins de deux ans du terme de son mandat. Par ailleurs, selon le service statistique du ministère, cet effort de recherche publique a diminué de 2,21% à 2,20% du PIB en 2018, première année pleine de ce gouvernement…

      https://www.liberation.fr/france/2020/06/07/recherche-le-gouvernement-persiste-sur-sa-ligne_1790555

    • du Groupe JP Vernant (c’est moi qui graisse) :

      Selon l’adage bien connu, il ne faut jamais laisser se perdre une bonne crise.

      Le projet de loi pour la Recherche, qui sera présenté en conseil des ministres le 8 juillet, est enfin connu. On y trouve quelques changements par rapport à la version que nous nous étions procurée, mais le texte, dans son volet « Ressources Humaines » est conforme à nos analyses les plus pessimistes. Si nos analyses sur le volet budgétaire s’avèrent exactes, les premiers ballons d’essai pour un retour de la loi sur les retraites s’apprêtent à être lancés.

    • Emmanuel Macron veut bâtir du nouveau sur ce qui a été fait, sans renier ses réformes, y compris celle des retraites qu’il voudrait reprendre en partie, et sans renoncer à ses priorités économiques que sont l’amélioration de la compétitivité et la politique de l’offre.

      Tout cela s’annonce en effet, y compris sur la #réforme_de-L'État, selon un article « exclusif » des Échos (sans paywall , pas réservé aux patrons etc.)
      https://seenthis.net/messages/858823
      #précarisation #restructuration_permanente #économie #travail #État

    • Retour de la LPPR, rentrée universitaire : quelles priorités pour l’ESR ? - Communiqué de SLU, 7 juin 2020

      1. Quelles sont les priorités ?

      Les dernières semaines ont clairement montré que la hiérarchie des questions importantes n’est pas la même au ministère ou chez ses indéfectibles soutiens et dans la communauté universitaire. Alors qu’une réflexion s’imposerait sur les effets délétères des cours à distance, on entérine leur normalisation en lançant d’inquiétants appels à projet sur « l’hybridation des formations ». Alors que le premier des impératifs de l’ESR devrait être de ne laisser personne de côté dans ces temps d’urgence sanitaire, certains se préoccupent de pratiquer des coupes franches ou des renvois à une date indéterminée dans les paiements des heures complémentaires ; certain doyen à Reims entend vérifier systématiquement les horaires de cours de ses collègues en temps de confinement ; d’autres à Nanterre ou Paris 1, mettent toute leur énergie à imposer des formes de validation irréalistes et surtout structurellement inégalitaires ; certains CROUS enfin semblent avoir comme objectif premier de collecter les loyers d’étudiants qui ont quitté leur chambre (alors que, dans plusieurs université, ont dû être créées des caisses de solidarité pour tenter d’aider les étudiants qui ne pouvaient plus se nourrir [1]). Le souci d’une ministre qui se respecte et qui nous respecte, devrait être d’obtenir des moyens pour le service public de l’ESR, mais madame Vidal préfère soutenir une minorité de professeurs de Paris 1, commentant des décisions de justice à grand renfort de communiqués et de tweets sur la validation des examens. Un cadrage national serait utile pour une rentrée universitaire qui sera nécessairement différente des autres, mais la ministre reste silencieuse et même une part de ses habituels soutiens, les présidents d’université, commence à s’en inquiéter.

      2. Madame Vidal ressort du bois !

      C’est au point qu’on l’avait cru endormie, uniquement intéressée par la contestation des décisions de la Commission de la Formation et de la Vie Universitaire (CFVU) de l’Université Paris I, tout occupée à avouer de façon répétée son incapacité à intervenir dans des communiqués lénifiants qui s’en remettent à l’inventivité de la communauté universitaire et à son sens du bien public. Et voilà qu’au débotté, et sans en avoir apparemment parlé à grand monde, la ministre de l’ESR décide de relancer en plein mois de juin (donc en un moment crucial pour la gestion des sessions d’examen et la préparation de la rentrée) l’examen du projet de LPPR. La proposition de passage devant les différentes instances consultatives dans le courant du mois de juin (un CNESER est fixé dans 5 jours !) puis dès le 8 juillet en conseil des ministres relève d’une accélération du processus parfaitement injustifiée à un triple titre. [2]
      D’abord parce qu’aucun élément nouveau sur le plan budgétaire ne le justifie : le gouvernement n’a pas l’intention d’aller au-delà des 400 millions annuels déjà promis (et pour l’instant se contente d’ailleurs d’un peu plus de 200 millions…), lesquels ne suffisent même pas à couvrir les effets budgétaires négatifs de la pandémie, sans parler de répondre aux nécessités de refinancement de l’ESR reconnues unanimement depuis des années (et évaluées entre 1,5 et 2 milliards par an).
      Ensuite, parce qu’on ne voit pas pourquoi la LPPR échapperait à la décision prise en mars par le président de la République de suspension et renvoi de toutes les réformes structurelles en cours.
      Enfin parce que cette précipitation vient empêcher toute discussion sur un texte de loi dont les éléments préparatoires ont été fortement contestés par la communauté universitaire et par l’ensemble de ses instances représentatives. Qu’en sera-t-il de la discussion parlementaire dont le calendrier est déjà très chargé ?
      En tout cas, malgré les bonnes paroles et certains rappels sur la situation matérielle dramatique de la science française (baisse du nombre de doctorants, niveau de salaire scandaleusement bas, conditions de travail délétères, budgets notoirement insuffisants et ne respectant aucune des promesses et des annonces faites depuis quinze ans), le #sous-financement chronique et la dégradation de l’emploi scientifique ne seront pas réglés par ce qu’annonce la LPPR.

      3. La loi et la rentrée

      Notre ministre de tutelle semble ainsi considérer que l’urgence du moment doit consister à soutenir les plus aveugles des présidences d’université et à relancer un débat législatif clos de fait depuis la mi-mars et qui avait suscité des réactions de rejet claires de la part de la communauté de l’ESR dans les mois précédents. Au lieu de tenter de penser les effets de la pandémie et de dégager de nouveaux moyens – ces fameux « arbitrages nécessaires à l’obtention des moyens financiers indispensables pour assurer cette rentrée » selon les présidents de l’AUREF –, la ministre s’en remet à « l’autonomie » des universités, tout en tentant d’imposer des évolutions structurelles par le haut, sans aucun débat préalable avec la communauté universitaire et en réduisant à quelques jours l’examen de son texte de loi par les instances paritaires.
      Le texte dévoilé ce week-end conforte la plupart des craintes que nous avions exprimées en janvier dernier [3] :
      – sous prétexte de développement de « l’#attractivité » de notre métier, le projet de loi ouvre de nouvelles voies pour effectuer sa carrière dans l’ESR – Chaires de professeur junior, les fameuses « tenure tracks » à la française, et CDI de mission – au détriment de l’existence de l’#HDR, du statut de fonctionnaire et de l’égalité au sein des corps ;
      – une multiplication de mesures exaltant « l’#innovation » permettent le contrôle par les entreprises de pans conséquents de la recherche, au détriment de la distinction entre #service_public de l’ESR et intérêts privés ;
      – le projet de loi accentue le règne des appels à projets sur le financement notamment par le rôle renforcé pour l’#ANR et par la concentration de l’essentiel des moyens sur un nombre restreint d’établissements ;
      – il étend l’#évaluation à toutes les missions des établissements universitaires, et non plus seulement à la recherche et au développement technologique ;
      – enfin, cette prétendue loi sur la recherche ne parle quasiment pas des universités et surtout pas de l’enseignement et de ses liens avec la recherche, comme si l’ESR se ramenait aux laboratoires, aux entreprises, aux cabinets présidentiels et aux grands organismes.

      Tout ce que la ministre avait présenté comme des rumeurs infondées se trouve donc présent dans ce projet de loi. Aucune largesse budgétaire ne fera passer la pilule de tels bouleversements : l’effort présenté (25 milliards sur une dizaine d’années) peut sembler important mais comme l’indique le tableau très utile de projection des dépenses annuelles sur dix ans, les engagements pour les trois prochaines années sont limités. Les vraies décisions en la matière dépendront d’autres gouvernements que celui de madame Vidal, les promesses n’engageant en l’occurrence que celles et ceux qui auraient la faiblesse d’y croire. Les universitaires vont-ils se laisser acheter par quelques délégations au CNRS et quelques CRCT de plus, puisque ce sont bien les seuls engagements à court terme qui soient pris ?

      Au bout de trois mois où l’on peut dire que le #MESRI a été un des ministères les plus passifs et les moins attentifs à aider celles et ceux sur lesquels sa tutelle est censée s’exercer – les enseignants-chercheurs, les chercheurs, les membres du personnel administratif et les étudiant.e.s –, Madame Vidal tente non sans un certain #cynisme d’exister politiquement en rouvrant le dossier d’un projet qui porte atteinte à plusieurs piliers du service public de l’ESR. On a vu durant la crise sanitaire ce qu’une telle politique avait fait à l’hôpital public. On a vu l’affaiblissement de la #recherche_fondamentale et les errements de la recherche financée par des intérêts privés. Que ne voit-on la déliquescence de l’université version LRU que ce projet de loi prolonge ?

      Sauvons l’Université !
      7 juin 2020

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8739

    • 19 organisations syndicales refusent le fait accompli de la LPPR

      Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)
      Nous refusons d’être mis devant le fait accompli

      Les organisations soussignées découvrent avec surprise que, alors que nous sommes à peine sortis du confinement, le gouvernement veut faire passer les projets de texte LPPR dans les instances au mois de juin : le 12 juin au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), le 17 au Comité Technique ministériel de l’enseignement supérieur et de la recherche (CT-MESR) et le 22 au Comité Technique des personnels de statut universitaire (CT-U). Malgré des demandes répétées, les organisations syndicales n’ont eu le projet de texte que ce dimanche 7 juin.

      La crise sanitaire due à la COVID-19 a montré que la recherche et l’enseignement publics doivent être une priorité, mais un tel projet de loi ne peut être examiné dans la précipitation et tant que l’état d’urgence sanitaire entrave le droit à se rassembler et à manifester sur la voie publique. Une large partie du personnel et des étudiant·e·s de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), relayée par les organisations syndicales signataires et au travers de nombreuses motions, s’est déjà élevée contre les premières annonces orales qui avaient été faites avant le début du confinement. Le projet de loi diffusé ce dimanche, confirme ces annonces et conforte les inquiétudes exprimées. Alors que les universités et centres de recherche sont encore largement fermés, le Ministère entend passer en force et empêcher le personnel de l’ESR et les étudiant·e·s de prendre pleinement connaissance du projet de loi qui modifierait pourtant durablement leurs conditions de travail. De fait, d’autres choix sont possibles pour une programmation de la recherche qui soit à la hauteur des enjeux et des enseignements à tirer de la crise sanitaire.

      Par conséquent, les organisations soussignées refusent ce calendrier inacceptable et, demandent que la consultation de toutes les instances sur le sujet soit a minima reportée à la rentrée universitaire.

      Elles appellent d’ores et déjà le personnel et les étudiant·e·s à débattre et à se mobiliser pour refuser ce passage en force.

      Signataires : SNTRS-CGT, CGT FERC SUP, CGT-INRAE, SNESUP-FSU, SNCS-FSU, SNEP-FSU, SNASUB-FSU, FO-ESR, SUD RECHERCHE EPST-SOLIDAIRES, SUD EDUCATION, SOLIDAIRES ETUDIANT-E-S, UNEF, L’ALTERNATIVE, SNPTES, ANCMSP, A&I, ITRF-BiO, Sup’Recherche UNSA, fédération UNSA éducation, SGEN-CFDT RechercheEPST

      https://academia.hypotheses.org/24449

    • LPPR : Loi budgétaire peu ambitieuse pour un darwinisme social inégalitaire

      Le texte du projet de loi Recherche (ou LPPR, loi de programmation pluriannuelle pour la recherche) est disponible depuis dimanche. Il sera présenté par Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) en fin de semaine pour passer ensuite au conseil des ministres début juillet.
      Le temps long comme prétexte à un financement lent

      Édouard Philippe justifiait, lors de son annonce il y a un an et demi, le caractère pluriannuelle de ce projet de loi par le besoin de temps long de la science :

      « Parce que la science s’inscrit dans le temps long, le Gouvernement a souhaité inscrire l’effort de soutien à la recherche dans le cadre pluriannuel d’une loi de programmation ».

      Finalement, le temps long, c’est à lui même que le gouvernement le donne pour augmenter péniblement le budget de la recherche plutôt qu’aux chercheur·euses.

      Contrairement à ce qu’on aurait pu penser en écoutant le Premier ministre, l’idée du gouvernement n’est pas de financer de façon massive la recherche dès maintenant pour aider la recherche française à obtenir des résultats dans le long terme.

      Contrairement aux annonces faites en début d’année et au printemps, ce n’est pas le budget de la seule Recherche qui devrait augmenter de 5,8 milliards d’euros dans 10 ans mais le budget global du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et de l’innnovation (MESRI). En somme, le gouvernement prévoit une augmentation annuelle moyenne du budget du MESRI équivalente à celle de l’année 2020.
      Une ambition revendiquée… mais pour les quinquennats suivants

      Pire, comme vous pouvez le voir sur le graphique suivant, le projet de loi LPPR prévoit pour l’année 2021 une augmentation du budget total du ministère de 104 millions d’euros, c’est à dire cinq fois moins que pour l’année 2020 selon le Ministère lui-même.1

      Frédérique Vidal planifie de rattraper son retard à l’allumage en 2022, année électorale, avec une augmentation de 692 millions d’euros par rapport à l’année précédente. Au final, la loi ferait peser les efforts budgétaires annoncés essentiellement sur les gouvernements suivants.

      Frédérique Vidal affirmait en février dernier :

      « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire, avec une trajectoire financière spécifiquement dédiée à l’investissement dans la recherche »

      En prévoyant une trajectoire financière si lente à l’allumage et en faisant peser sa programmation budgétaire sur ses successeuses et successeurs, le projet de loi pluriannuelle risque de perdre en crédibilité pour les quinquennats suivant. D’autant plus qu’une loi budgétaire pluriannuelle n’est pas légalement contraignante face aux lois de finance annuelles.
      Une ANR de plus en plus puissante

      Le projet de loi prévoient que les financements arrivent petit à petit mais aussi que les chercheur·euse·s devront se battre pour les obtenir.

      Car le gouvernement souhaite donner encore plus de place à l’Agence Nationale pour la Recherche dans la politique de la recherche française. Cette agence, qui sert à distribuer des financements selon des appels à projets, verrait son budget augmenter de 150 millions d’euros par an dès l’année prochaine. L’Agence va pouvoir enfin afficher des taux de succès à ses appels à projets un peu plus élevés que les 15% de 2018 et peut être rattraper les 30% de son homologue allemande.

      Mais cela signifie aussi que plus de la totalité de l’augmentation du budget 2021 du ministère passerait dans les mains de l’ANR si ce projet de loi était voté 2. Pour que leurs recherches profitent de ces financements, les chercheur·euse·s devraient alors prendre du temps pour remplir des dossiers et croiser les doigts pour espérer faire parties des projets sélectionnés par l’Agence et ne pas compter sur un budget inscrit dans le temps long.
      L’organisation d’un darwinisme social sans pitié

      Mais c’est finalement de façon structurelle que le monde français de la recherche risque d’être le plus affecté par cette loi, contrairement à la déclaration de la ministre.

      Comme annoncé ces derniers mois, la création de nouveaux types de contrats des tenure tracks à la française (rebaptisées Chaires de professeur junior) et des CDI-chantier (rebaptisés « CDI de mission scientifique ») est au programme.
      Tenure tracks à la française

      En parallèle des classiques postes de Maître·esse de conférence et de Chargé·e de recherche accessibles par concours, les tenure tracks à la française (rebaptisées Chaires de professeur junior) seraient des contrats à durée déterminée de 3 à 6 ans « en vue d’une titularisation dans un corps de directeurs de recherche [ou de professeurs] ».

      Le projet de loi prévoit que la création de Chaires de professeur junior pourrait aller jusqu’à 25% des créations de postes de directeur·trice·s de recherche et de professeur·e·s.
      CDI de mission scientifique

      Le projet de LPPR prévoit de généraliser l’utilisation des CDI-chantiers (rebaptisés « CDI de mission scientifique ») dans le monde de la recherche publique. Les institutions de recherche pourraient proposer des contrats sans en préciser la durée. Ces contrats prendraient fin avec la réalisation du projet mais pourraient être rompus si l’employeur considère que le projet n’est plus réalisable. Depuis février, certains établissements de recherche peuvent déjà utiliser ce genre de contrat.
      Un contrat doctoral dans le privé

      Alors que la plupart des changements engendrés par la LPPR avait été annoncée, l’article 4, qui crée un nouveau contrat doctoral à durée déterminée de droit privé, est une surprise. L’employeur devra confier des activités de recherche au salarié et participer à la formation à la recherche de son employé. Le projet de loi prévoit que ce contrat ne puisse pas dépasser cinq années.

      D’autres dispositions comme la participation des personnels de la recherche en qualité d’associé ou de dirigeant à une entreprise existante, des « mesures de simplifications » ou la création de « séjours de recherche » pour les chercheur·euse·s et doctorant·e·s étranger·ère·s sont prévu dans le projet de loi.
      Des revalorisations essentiellement pour les chercheurs

      Sur les rémunérations, il faut aller lire le rapport annexe qui devra être approuvé par l’article 1 du projet de loi pour comprendre quelle politique de revalorisation le ministère entend mener. Si le rapport indique que ces revalorisations toucheront tous les personnels, il précise que « le gain sera plus élevé pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs dont le niveau de rémunération est aujourd’hui loin des standards internationaux que pour les personnels ingénieurs, techniciens administratifs et bibliothécaires, dont la situation actuelle est proportionnellement moins favorable ».

      Ces différentes mesures de gestion des ressources humaines de la recherche publique française organisent encore un peu plus la compétition et la précarité des jeunes chercheur·euse·s qui devront attendre encore un peu plus longtemps pour avoir un poste stable.

      Le président du CNRS Antoine Petit avait imploré le gouvernement en novembre dernier dans les Echos :

      Cette loi doit être à la hauteur des enjeux pour notre pays. Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies.

      Pour ce qui est de l’inégalitaire et du « darwinisme social » (ou plutôt spencerisme puisque c’est Herbert Spencer qui a porté l’hypothèse du « darwinisme social » évoqué par Antoine Petit), ce projet de loi devrait satisfaire le président du CNRS.

      On peut avoir plus de doutes sur son côté vertueux et son ambition qui se reporte plus sur les gouvernements prochains que sur celui actuellement en place.

      Enfin, pour ce qui est de la mobilisation des énergies des chercheur·euse·s, pour l’instant, le projet de loi a l’air de résigner les quelques jeunes chercheur·euse·s qui espéraient une stabilité économique et sociale tout en mobilisant majoritairement contre lui.

      Sur Twitter, quelques jeunes chercheur·euse·s en postdoctocat expriment leur désarroi :

      https://twitter.com/SavannahSBay/status/1269925377599778816?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      https://twitter.com/Animula_tenera/status/1269879580749434880?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      https://twitter.com/alexandra_gros/status/1270098637918437377?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      L’année dernière déjà, les Conseils scientifiques du CNRS s’opposaient au « Darwinisme social » prôné par leur PDG.

      A rebours de la direction de ce projet de loi, des chercheurs et chercheuses comme la mathématicienne Claire Mathieu, médaille d’argent du CNRS 2019, partagent leurs préoccupations sur le manque de personnel et de crédits permanents de la recherche française :

      https://twitter.com/clairemmathieu/status/1269683541601853441?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      Et la publication du projet de loi relance la mobilisation. Le collectif Université Ouverte, qui avait mis en place une première coordination nationale en début d’année, appelle à une nouvelle mobilisation en proposant des rassemblements partout en France les 12 et 17 juin.

      https://www.soundofscience.fr/2383

    • L’université allemande comme horizon de la LPPR ?

      En tant qu’universitaires inscrits dans des carrières entre France et Allemagne, nous exprimons notre vive inquiétude vis-à-vis du projet de loi LPPR. Nous sommes d’autant plus inquiets que cette réforme s’inscrit dans l’horizon des transformations mises en œuvre depuis plus de vingt ans en Allemagne et qui ont profondément dégradé le fonctionnement de l’université à l’Est du Rhin.

      Mis de côté pendant la pandémie, le projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, dit « Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) », très fortement contesté au sein de la communauté universitaire, fait son retour au pas de charge mais par la petite porte. La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a en effet décidé d’accélérer l’examen du projet de loi LPPR en annonçant début juin la discussion du texte devant les instances consultatives (le passage devant le CNESER est fixé au 12 juin) avant un passage en conseil des ministres le 8 juillet. Alors que le fonctionnement de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), dont l’énergie a été consacrée à la « continuité pédagogique » et à la préparation de la prochaine rentrée universitaire, est encore très fortement perturbé par la pandémie, la ministre semble donc décidée à jouer le calendrier pour contourner la contestation.

      En tant qu’universitaires inscrits dans des carrières entre France et Allemagne ou dans des institutions académiques franco-allemandes, nous tenons à exprimer notre vive inquiétude vis-à-vis du projet de loi LPPR en cours de discussion en France. Nous doutons en effet profondément de la pertinence, jamais démontrée, des mesures proposées et contestons en particulier la remise en cause des emplois durables, le pilotage politique de l’évaluation, la mise en concurrence budgétaire des unités de recherche, l’assèchement des crédits récurrents des laboratoires et des universités, tout comme la généralisation des financements sur projets fléchés et les logiques managériales d’allocation des ressources. Nous sommes d’autant plus inquiets que cette réforme s’inscrit dans l’horizon des transformations mises en œuvre depuis plus de vingt ans en Allemagne et qui ont profondément dégradé le fonctionnement de l’ESR à l’Est du Rhin.

      Nous proposons dans ce qui suit un aperçu de la situation dans le monde académique allemand telle que nous la percevons à partir de notre expérience partagée entre les deux systèmes de recherche en sciences humaines et sociales. Les analyses critiques sur les évolutions du monde académique allemand (voir par exemple l’article de Kolja Lindner « Le modèle allemand : précarité et résistances dans l’enseignement supérieur et la recherche d’outre-Rhin » : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-02496377), ainsi que les mobilisations qui s’y déroulent actuellement, sont en effet particulièrement instructives du point de vue français. Il en va de même pour nos collègues allemand.e.s qui regardent la situation française avec beaucoup d’intérêt. Des ressources sont disponibles sur le blog « Réflexions sur les politiques de recherche en France et en Allemagne » (https://cmb-wispo.hypotheses.org/category/france) qui propose un espace de traduction, d’échange d’informations, et d’analyses sur les politiques de l’enseignement supérieur et de la recherche en France et en Allemagne, ainsi que la plateforme Mittelbau.net).

      Les mesures contenues dans la LPPR reflètent en effet celles qui ont été mises en œuvre depuis une vingtaine d’années en Allemagne. La question des statuts, notamment, laisse augurer une situation à l’allemande : la LPPR multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, et crée notamment les chaires de « professeur.e.s junior » (tenure track) comme cela a été fait dans les universités allemandes dans le cadre de « Tenure-Track-Programme » que les Länderont développé à partir de 2002, notamment suite aux recommandations du ministère fédéral de la recherche en 2000, ainsi que les contrats de recherches, cyniquement nommés « CDI de mission scientifique » dans le projet de la LPPR. En 2007, la loi Wissenschaftszeitvertragsgesetz a réduit les possibilités d’embauche en CDD tout en favorisant des modes de financement encore plus précaires telles que les bourses ou les vacations. En Allemagne, trois conventions entre l’Etat fédéral et les Länder – le « #Pacte_pour_l’université_de_2020 », le « #Pacte_pour_la_recherche_et_l’innovation » et la « #Stratégie_d’excellence » -, structurent la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche privilégiant les « #investissements_spéciaux » destinés aux « #établissements_innovants » qui sont censés renforcer « la #recherche_de_pointe » et démontrer la « #compétitivité de l’Allemagne comme site scientifique » (#Wettbewerbsfähigkeit_des_Wissenschaftsstandorts_Deutschland). La libéralisation du marché de l’#emploi_académique s’est donc accompagnée de la mise en #concurrence_budgétaire des universités et des unités de recherche et de l’asséchement des #financements_pérennes au profit de la généralisation des #financements_sur_projet.

      A première vue, les performances scientifiques du système de recherche allemand pourraient avoir des raisons de séduire. Mesurée à l’aune des indicateurs quantitatifs qui pilotent désormais les politiques publiques de recherche, la qualité de la recherche en Allemagne est parvenue à se maintenir à un très haut niveau de #rayonnement_scientifique. En dépit d’une concurrence exacerbée entre les États sur les volumes d’articles publiés et de citations, et en dépit de l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine, l’Allemagne maintient son rang. Et c’est sans doute ce qui motive la politique française à vouloir lui emboîter le pas. Ce succès, rappelons-le, est pourtant d’abord porté par une politique d’investissement important dans la #recherche_publique : même au plus fort des restrictions budgétaires des années 2000, le Ministère de la formation et de la recherche n’avait pas vu son budget baisser ; depuis les effectifs dans la recherche ont constamment augmenté. Mais cet accroissement repose avant tout sur des bataillons de « jeunes » chercheur.e.s précarisé.e.s. et ce choix est motivé par l’option idéologique selon laquelle la #concurrence_généralisée et un fort #turn-over chez les jeunes chercheur.e.s amélioreraient la « #performance » du système. On a pourtant de nombreuses raisons de penser que le même investissement dans des emplois stables donnerait de meilleurs résultats. En effet, ce que nous observons au quotidien dans l’ESR en Allemagne ressemble davantage à un grand #gâchis des compétences dans un contexte de profonde dégradation des #conditions_de_travail.

      Nous éprouvons et constatons en effet que les transformations de l’université depuis vingt ans ont été profondément préjudiciables aux conditions réelles de productions des savoirs. Si l’entrée dans les carrières de recherche est relativement aisée, grâce à une offre abondante de financements #post-doc, leur poursuite s’avère ensuite souvent un #piège à un âge où il devient difficile de changer de voie et de se reconvertir. A bien des égards, la situation actuelle de l’ESR en Allemagne, fruit de réformes engagées dès les années 1990, peut être considérée comme une forme radicale de #précarisation du #marché_du_travail_académique : généralisation de contrats en #CDD, enseignements délivrés gratuitement, part écrasante des « financements sur projet », fortes #inégalités dans l’attribution des fonds publics etc. Cette #néolibéralisation de l’université allemande repose en effet sur trois dynamiques conjointes : la concurrence généralisée, l’extension du #précariat et la gestion néomanagériale des ressources.

      Cette néolibéralisation de l’ESR allemand a considérablement aggravé les #inégalités d’emploi et de #statuts. Le clivage oppose les professeur.e.s qui, dans le système académique allemand, sont pratiquement les seul.e.s à être titulaires de leurs postes (les grades de MCF et PRAG n’existent pas en Allemagne), au personnel académique non titulaire, regroupé sous le terme de « #Mittelbau ». Dans l’université allemande en effet, on estime à plus de 85% la part du personnel scientifique employée sous contrat à durée déterminée (rappelons à titre de comparaison que dans le secteur privé, les CDD ne représentent en Allemagne que 7% des emplois). Parmi les non-professeur.e.s de moins de 45 ans, la part des emplois en CDD est évaluée à 93%, et pour la moitié d’entre eux pour des durées inférieures à un an.

      Dans une tribune publiée en 2018 dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (https://www.faz.net/aktuell/feuilleton/akademischer-mittelbau-flexible-dienstleister-der-wissenschaft-15502492-p3.html), la chercheure Ariane Leendertz dresse le bilan sans appel de cette évolution de l’emploi académique : entre 2005 et 2015, la hausse déjà spectaculaire du nombre d’emplois en CDD qui avait été engagée au cours de la décennie précédente, s’est encore poursuivie en augmentant encore de 59,2% (de 91046 à 144928) alors que, sur la même période, le nombre des professeur.e.s a connu une hausse de seulement 17,7% (de 18649 à 21153). Le prestige persistant du statut professoral motive encore les vocations mais les chances réelles de pouvoir y accéder un jour ont diminué de manière drastique.

      La « jeune génération » est donc fortement dépendante d’un petit nombre de chaires de professeurs qui sont à la fois supérieurs hiérarchiques, superviseurs, évaluateurs et chefs de projet, gérant des budgets parfois considérables, et accaparés par leurs responsabilités managériales. Dans ce contexte, l’enseignement au sein de l’université allemande repose en grande partie sur des heures non rémunérées, ce #travail_gratuit étant la condition pour espérer un jour accéder au graal professoral. Du côté de la recherche, les « #collaborateurs_scientifiques » (#wissenschaftliche_Mitarbeiter) enchaînent les contrats courts au sein de projets de recherche. Cette obsédante quête d’emploi réduit évidemment drastiquement l’#autonomie des chercheur.e.s qui doivent se couler dans des projets conçus par d’autres ou se conformer aux modes thématiques pour répondre aux #appels_à_projets des agences et des fondations, pourvoyeurs des financements. À peine un financement est-il obtenu qu’il faut penser au suivant. On déménage au gré des postes ou des contrats décrochés ici ou là. Sur le moyen terme, ce fonctionnement a pour conséquence la multiplication des carrières sans issue pour un très grand nombre de « post-doctorant.e.s » habilités et précarisés (l’âge limite d’entrée dans le professorat étant fixé à 52 ans). Dans ce contexte d’absence de prévisibilité des carrières académiques, les inégalités de #genre se creusent puisque, comme le précise le rapport 2017 du Ministère fédéral de l’éducation et de la recherche (Bundesministerium für Bildung und Forschung), 49% des femmes engagées dans ces carrières renoncent à avoir des enfants, contre 35% des hommes. D’après une enquête sur la situation du « Mittelbau » conduite par l’hebdomadaire Die Zeit en 2015, 81% des répondant.e.s disaient regretter leur choix de carrière et chercher le moyen d’en sortir. Enfin, ces évolutions ont des conséquences préjudiciables sur la nature, la pérennité et la qualité des recherches menées – au détriment de la #recherche_fondamentale. La situation est d’autant plus paradoxale que la mise en concurrence suppose un appareil bureaucratique en charge de l’organiser : en pleine expansion au cours de ces dernières décennies, cette #bureaucratie de la recherche a absorbé une partie des chercheurs, et surtout d’ailleurs des chercheuses, qui finissent par préférer les emplois stables qu’elle propose. L’argent public finance ainsi des milliers d’ancien.e.s chercheur.e.s, retiré.e.s de la production scientifique.

      Détricotage des statuts, généralisation des CDD, mise en concurrence budgétaire des universités et des unités de recherche, assèchement des crédits récurrents au profit des financements sur projets fléchés, logiques managériales d’allocation des ressources et détérioration des conditions de vie des enseignant.e.s-chercheur.e.s : la situation de l’ESR en Allemagne préfigure à bien des égards le monde académique que promet la LPPR en France. Enfin, et comme le révèle notamment la crise provoquée par l’épidémie du Covid-19, la qualité du travail de recherche repose aussi sur le dépassement des cadres nationaux. Pourtant, à bien des égards, les orientations contenues dans les conventions entre l’État fédéral et les Länder en Allemagne, ainsi que dans la LPPR en France, privilégient la #compétition entre les pays plutôt qu’elles ne stimulent la #collaboration_internationale.

      https://blogs.mediapart.fr/jeremie-g/blog/120620/l-universite-allemande-comme-horizon-de-la-lppr
      #Allemagne #modèle_allemand

    • LPPR : l’#étude_d’impact et les conditions de son examen

      Un élu a fait connaître sa position au Ministère à propos de la LPPR examinée ce jour au #CNESER. Parmi les documents arrivés tardivement, le pompon revient à l’étude d’impact de 100 pages, datée et transmise le 11 juin, pour une réunion le 12. Nous reproduisons le courrier qu’il a adressé au secrétariat général du gouvernement.

      –-

      « Compte tenu de l’impossibilité pratique de tenir compte de cette étude d’impact pour la séance du CNESER prévu ce jour, je souhaite donc de manière expresse et non équivoque son report pour pouvoir tenir compte de cette étude d’impact. Je ne prendrai(s) donc part à la séance de ce jour que si le quorum était réuni en dépit de ma volonté qu’il ne le soit pas pour la raison évoquée ci-dessus.
      Et si je devais être conduit à prendre part à cette séance, c’est-à-dire si le quorum était réuni, mon intervention orale contrairement à ce que j’avais prévu, se limiterait à stigmatiser la tardiveté relative à cette étude d’impact et à l’évocation de quelques aspects absents du projet de loi LPPR et qui devraient y figurer (il faut que les autres membres du CNESER qui n’en sont pas encore informés découvrent la désinvolture dont le CNESER fait l’objet, de la part d’un intervenant dont l’indépendance et la liberté d’expression sont garanties légalement), réservant la plénitude de nos analyses et contre propositions à une intervention ultérieure, après avoir pu y intégrer ce qui figure dans l’étude d’impact.
      Je suis très déçu de cette #parodie_de-consultation du CNESER totalement indigne, et je considère que cette #indignité s’attache plus à ses auteurs qu’à ceux qu’ils traitent ainsi.
      Merci de transmettre à qui de droit. »
      #Denis_Roynard

      –—

      L’étude d’impact, document d’anthologie, a été analysée hier par Julien Gossa sur Twitter (https://twitter.com/JulienGossa/status/1271010159528153088?s=20) : un document entre fraude et bêtise intersidérale.

      L’ensemble des documents se trouvent désormais ici (https://academia.hypotheses.org/24502), pour le projet de loi consolidée et l’étude d’impact, et là (https://academia.hypotheses.org/24364), pour l’ensemble des documents et l’avant projet.

      https://academia.hypotheses.org/24552

    • Falsifier la #démocratie : l’étude d’impact de la LPPR

      L’étude d’impact du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 a donc été divulguée jeudi 11 juin. 187 pages de texte, que les membres du CNESER – devant lequel le projet était présenté le lendemain, vendredi après-midi – étaient censés avoir lu, soupesé et critiqué en quelques heures à peine.

      Julien Gossa en a déjà proposé une lecture serrée, à la fois sur Twitter et sur son blog, qui met désormais en regard le projet de loi et l’étude d’impact Il faut saluer son courage, tant l’analyse de ce document suppose un travail de titan. C’est bien simple, en effet : à chaque phrase de chacune de ces 187 pages de néoparler, il y aurait à redire. Les efforts conjugués de toute la rédaction d’Academia n’y suffiraient pas pour remettre à l’endroit le sens renversé des mots et le contenu inversé des démonstrations qui y sont à l’oeuvre.
      Détournement de l’étude d’impact

      Nous ne sommes pas sûr·es, cependant, que la communauté de l’ESR ait tout à fait pris conscience de la gravité de ce que le ministère vient d’accomplir avec cette étude d’impact. Une étude d’impact — qui est une obligation d’origine constitutionnelle depuis 2008 — n’est pas un dossier de presse vantant les mérites d’une réforme : falsifier une étude d’impact, que ce soit avec des manipulations de chiffres ou des biais argumentaires, comme Julien Gossa a pu en identifier un certain nombre, c’est falsifier tout le processus démocratique d’adoption d’une loi.

      Comme le rappelle le très officiel Guide de légistique du Conseil d’État et du Secrétariat général du gouvernement, en effet, l’étude d’impact

      « s’attache a fournir une évaluation préalable de la réforme envisagée, aussi complète, objective et factuelle que possible », « destinée a éclairer les choix possibles, en apportant au Gouvernement et au Parlement les éléments d’appréciation pertinents » (p. 14). Elle « ne doit être ni un exercice formel de justification a posteriori d’une solution prédéterminée, ni une appréciation technocratique de l’opportunité d’une réforme qui viendrait se substituer a la décision politique ».

      Une étude d’impact, autrement dit, ce n’est pas un discours de propagande : si elle est biaisée, c’est tout le processus de discussion de la loi qui se trouve détourné. Et c’est cela que le ministère vient de faire.

      Avec l’étude d’impact du projet de LPPR, nous voilà tout simplement revenu.e.s six mois en arrière, au moment du désastreux épisode de l’avis du Conseil d’État sur la réforme des retraites. Souvenons-nous que dans cet avis des 16 et 23 janvier 2020, le Conseil d’État avait dénoncé, dans des termes d’une rare vigueur chez lui, les documents de l’étude d’impact, rappelant qu’ils ne répondaient pas « aux exigences générales d’objectivité et de sincérité des travaux procédant à leur élaboration » (p. 1). Rappelons aussi, au passage, que dans ce même avis, le Conseil d’État s’inquiétait des délais très restreints dans lesquels les consultations obligatoires avaient été faites, signalant avec euphémisme que

      « si la brièveté des délais impartis peut être sans incidence sur les avis recueillis lorsqu’ils portent sur un nombre limité de dispositions, il n’en va pas de même lorsque la consultation porte sur l’ensemble du projet de loi, tout particulièrement lorsque le projet de loi, comme c’est le cas en l’espèce, vise à réaliser une réforme de grande ampleur » (p. 2).

      De ce point de vue, la LPPR présente donc un air de déjà-vu, en forme de confirmation des pires pratiques de fabrication de la loi.
      La réduction des inégalités hommes-femmes selon l’étude d’impact

      Un seul paragraphe concerne un objet majeur des politiques de recherche aujourd’hui : l’égalité hommes-femmes

      Rions un peu : le MESRI qui traîne déjà la patte à établir des données correctes sur les inégalités hommes-femmes, les inégalités salariales, de promotion, d’écarts de rémunération à la retraite, d’inégal accès aux financements de la recherche et aux responsabilités de l’ESR. Dans un accès de bêtise crasse, le Ministère réduit donc celles-ci aux différences de capacités reproductives et de nourrissage ; bien pire, il concocte une politique à l’endroit des seules femmes, en aggravant leur précarisation en début de carrière. Academia lui tire son chapeau.

      Ce que nous apprend l’étude d’impact : l’exemple des tenure tracks

      Que l’étude d’impact soit un vaste tissu de mensonges et d’omissions, c’est une chose, et il faut en prendre acte tout en le dénonçant. Mais cela ne signifie pas, pour autant, que l’on n’apprend rien à sa lecture, et c’est à ce travail qu’il faut s’atteler pour préparer le débat parlementaire à venir. Prenons un seul exemple, à ce stade — en attendant que nous nous organisions collectivement pour produire enfin un contre-discours à la LPPR, qui se traduise lui-même dans un vrai projet législatif. Cet exemple, ce sont les tenure tracks (article 3 du projet de loi).

      Pour mémoire, le mécanisme envisagé est le suivant : une procédure dérogatoire de titularisation dans les corps de directeurs de recherche et de professeurs des universités est créée, qui se traduit par la reconnaissance d’un privilège d’accès à ces corps au bénéfice d’individus ayant d’abord été recrutés par voie contractuelle par un établissement, ce que l’étude d’impact nomme des « pré-recrutements conditionnels dans un cadre contractuel » ou « pré-titularisations ». Le schéma, plus précisément, est le suivant : un établissement (une université, par exemple) recrute par contrat un individu pour une période de trois à six ans, puis se voit reconnaître le droit de procéder à sa titularisation dans le corps des DR ou des PU, l’individu signant alors « un engagement à servir » dont la durée n’est pas précisée. Comme Academia a déjà pu l’expliquer, ce qui est établi ici est bien plus grave encore que les « contrats LRU », qui étaient déjà une ignominie : avec les tenure tracks, en effet, ce n’est pas un mécanisme contractuel qui est établi à côté du statut ; c’est le statut lui-même qui est détricoté, dans une proportion potentiellement très importante, puisqu’un recrutement de DR et PU sur quatre pourra passer par cette voie.

      Qu’apprend-on de plus à propos des tenure tracks après lecture de l’étude d’impact ?

      1° Un premier point d’ordre technique doit être signalé, qui n’a pas forcément été encore suffisamment aperçu : l’étude d’impact produit tout un argumentaire destiné à justifier la principale conséquence des tenure tracks, à savoir le contournement des concours pour le recrutement et la titularisation de DR et de PU. Ce souci argumentaire s’explique de manière simple : les tenure tracks ne posent pas seulement problème au regard de l’ESR ; elles sont un coin enfoncé dans le droit de la fonction publique en général, faisant de l’ESR un poste particulièrement avancé de remise en cause du statut général des fonctionnaires.

      Quelques explications s’imposent à ce sujet : seules deux hypothèses de « pré-recrutements » par contrat suivis (ou non) d’une titularisation de l’agent dans la fonction publique existent à ce jour en droit français, pour deux hypothèses très particulières, toutes deux présentées comme exceptionnelles et non-généralisables lorsqu’elles avaient été instituées en 2005 :

      d’une part, les contrats dits « PACTE » (comme Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et de l’État), réservés à des jeunes de moins de 29 ans, qui n’ont ni diplôme, ni qualification professionnelle reconnue ;
      d’autre part, les contrats spéciaux de recrutement de certaines personnes en situation de handicap.

      Les tenure tracks seraient donc la troisième de ces hypothèses.

      Si ces hypothèses étaient jusqu’ici si contenues, c’est parce que c’est rien moins que le principe de l’égal accès des citoyens aux emplois publics, tel que proclamé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui se trouve mis en jeu. Réserver un poste de fonctionnaire à un individu en particulier, c’est porter atteinte au principe selon lequel

      « tous les Citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

      Et c’est précisément pour lever ce risque d’inconstitutionnalité que l’étude d’impact produit une série d’arguments destinée à démontrer que les tenure tracks sont, au contraire, l’outil idoine pour respecter l’article 6 de la Déclaration : non seulement elles permettent de « sortir des logiques disciplinaires » et de mieux prendre en compte « la variété des mérites des jeunes chercheurs » ; mais aussi elles ont pour conséquence de mieux tenir compte des « besoins du service public de la recherche ».

      Ce débat, on l’a peu entendu jusqu’ici, et c’est vrai que le ministère a tout intérêt à ce que les tenure tracks soient conçues comme une question propre à l’ESR. Il faut lutter contre cet enfermement : il est important, au contraire, de rappeler que les tenures tracks feraient de l’ESR une des avant-gardes de la nouvelle étape de la remise en cause du modèle de la fonction publique en général, celle qui consiste non plus à contourner le statut par le recours à la voie contractuelle, mais à contractualiser le statut même. C’est pourquoi, sur ce point particulièrement, un argumentaire structuré doit émerger, qui établisse qu’au contraire, les tenure tracks, par la fragilisation considérable de la position des jeunes chercheurs et plus encore des jeunes chercheuses qu’entraîne la précarisation, ouvrent grand la porte aux passe-droits et autres privilèges, attentent au respect des principes de neutralité et d’impartialité, et portent donc une atteinte grave au principe du recrutement « sans autre distinction que celle [des] vertus et [des] talents ».

      2° De manière plus discrète, l’étude d’impact tente d’apporter des réponses à une autre immense question juridique. Cette question, nous pouvons d’ores et déjà l’annoncer, montera en puissance dans les prochaines semaines, à mesure que le débat sur la LPPR se déplacera toujours plus sur le terrain de la technique juridique – ce qui est un effet mécanique subi par tout projet de loi qui entre dans sa dernière phase, du fait de l’intervention du Conseil d’État — en amont de l’examen du projet de loi en Conseil des ministres — puis du Conseil constitutionnel (en aval de son adoption par le Parlement). Cette immense « autre » question juridique, c’est celle qui consiste à savoir si les tenure tracks sont contraires au principe constitutionnel d’indépendance des enseignant·es-chercheur·ses et des chercheur.·ses.
      Or, si ce point sera central dans le débat au Conseil d’État, au Parlement et au Conseil constitutionnel, la très grande médiocrité de la réponse qu’y apporte l’étude d’impact surprend. Elle se résume à une courte phrase, sous forme de rappel : « tout professeur recruté dans le cadre d’un pré-recrutement conditionnel bénéficiera dès sa titularisation dans son corps d’accueil des garanties d’indépendance des enseignants-chercheurs […] » (p. 39). On se frotte les yeux pour y croire, tant c’est maladroit et contre-productif de la part du ministère : qu’un.e PU ou un.e DR bénéficie des garanties constitutionnelles d’indépendance, c’est une évidence, puisque le bloc de constitutionnalité l’impose ; mais c’est dire, dans le même temps, qu’avant sa titularisation, un individu recruté contractuellement dans le cadre d’une tenure track n’en bénéficiera pas, à la différence, rappelons-le, des maître.sse.s de conférences, auxquelles les garanties d’indépendance des PU et DR ont été étendues par le Conseil constitutionnel.

      La question du respect de l’indépendance des personnes recrutées sous tenure track est donc traitée avec une grande désinvolture dans l’étude d’impact. Elle est pourtant l’une des plus importantes du projet de loi, dans la mesure où les personnes concernées seront dans une situation structurelle d’immense vulnérabilité, sur tous les plans : vulnérabilité du fait de l’incertitude quant à leur titularisation ; vulnérabilité du fait de l’imposition d’« objectifs à atteindre », auxquels le renouvellement des contrats est subordonné ; vulnérabilité du fait des contenus très variables des tenures tracks, aussi bien en termes de rémunération, d’obligations d’enseignement, ou de responsabilités administratives ; vulnérabilité du fait des cofinancements par les entreprises des « dotations de démarrage » dont les tenure tracks bénéficieront ; vulnérabilité du fait des passages dans le secteur privé, qui sont encouragés (p. 45) ; etc.

      Que le ministère ait ressenti le besoin de recourir à la métaphore virile du « chasseur » (p. 42) en dit d’ailleurs long sur la psychologie qui domine les rédacteurs de l’étude d’impact : les jeunes enseignant·es et chercheur.e.s sont donc conçu·es comme des proies. Une proie, ça se domine ; c’est l’antithèse du pair, dont on respecte et défend l’indépendance.

      3° L’étude d’impact, par ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas, permet donc d’avancer dans l’anticipation des débats juridiques qui se développeront devant le Conseil d’État, le Parlement et le Conseil constitutionnel – tâche indispensable qu’il nous faut à présent engager, quand bien même elle ne doit pas se substituer aux manifestations de rue et autres actions qui restent les manières les plus efficaces d’agir à notre échelle.

      À côté des deux points de principe précités, l’analyse serrée de l’étude d’impact permet d’avoir une vision plus précise des tenure tracks envisagées. Citons trois points à cet égard, qui n’ont pas encore suffisamment été dénoncés, et qui, tous trois, ont pour point commun de nous ramener à la loi de la jungle :

      Contrairement à ce qui a parfois été annoncé, les individus recrutés sous tenure tracks ne seront pas mieux rémunérés : « la rémunération sera sensiblement la même que celle des enseignants-chercheurs sous statut » (p. 45). Si « le contrat propose une rémunération globale compétitive au plan internationale » (p. 43), ce n’est donc pas du fait du salaire de la personne recrutée, mais de la « dotation de démarrage » (estimée à 250 000€ par personne, pour trois ans) dont cette personne bénéficiera. L’esprit des tenure tracks s’exprime crûment ici, sous ses deux facettes : d’une part, l’explosion des inégalités entre les collègues en début de carrière, dont le critère sera d’abord et avant tout le thème de recherche imposé par les « objectifs » fixés dans le contrat de recrutement ; d’autre part, la démultiplication des situations de précarité et de domination, dans la mesure où la dotation de démarrage permettra à la personne recrutée, sous forte pression des objectifs à atteindre pour sa titularisation, de recruter elle-même un ou deux précaires de la recherche, qu’elle mettra au service de son propre objectif de titularisation…
      Le nombre de recrutement ouvert chaque année en tenure tracks est limité à 25 % des recrutements de PU et de DR. Une précision importante doit être signalée à cet égard : il s’agit de 25 % des recrutements par « corps concerné », et non 25 % des recrutements par établissement recruteur, à la différence, par exemple, de la limitation légale qui était prévue pour les contrats LRU dans la loi de 2007 (pourcentage maximum de la masse salariale qu’un établissement peut consacrer au recrutement par la voie des contrats LRU). La différence est radicale : une université vertueuse qui n’ouvrirait aucun recrutement sous la forme de tenure tracks libérera des « places » pour des recrutements de ce genre par d’autres universités, qui, elles, pourront alors recruter massivement, voire exclusivement, sous cette forme. Il est assez simple d’imaginer quelles sont les présidences d’université qui, en bonnes « chasseuses », se lèchent d’ores et déjà les babines.
      On observe que l’étude d’impact, fort bavarde sur certains points, se garde bien de donner la moindre précision sur les conditions du passage de la phase contractuelle à la phase de titularisation. C’est pourtant la charnière du système : si ce point de passage est peu balisé (qui exactement en décide et à quelles conditions ?), et s’il est complexe à franchir (quels sont les mécanismes qui offrent des garanties contre les non-titularisations abusives ?), alors toutes les craintes d’explosion de la précarité et de résurgence des formes de mandarinat se réaliseront. Que le ministère n’ait pas ressenti le besoin d’apporter le moindre éclaircissement sur ce point dans l’étude d’impact en dit très long sur le peu de cas qu’il fait de la titularisation de ces nouveaux personnels précaires.

      Nous n’insisterons pas davantage : pour chacun des articles du projet de LPPR, il est désormais urgent d’opérer une lecture serrée des quelques documents dont nous disposons, à l’instar des quelques lignes qui précèdent s’agissant des tenure tracks. C’est la condition pour anticiper au mieux les combats à venir qui, en plus des indispensables mobilisations de rue, vont très rapidement se déplacer sur le terrain de la technique juridique. Et ce déplacement, à en croire le calendrier qui se dessine, risque de s’exécuter à un moment bien particulier : dans la torpeur de l’été.

      https://academia.hypotheses.org/24589

    • Passage en force soudain de la loi de programmation de la recherche

      De décembre à mars, le projet de loi sur la recherche avait suscité un mouvement massif de forte contestation dans la communauté des chercheur.e.s, largement repris dans les médias. Alors que nous ne sommes même pas sortis ni de la crise sanitaire ni de ses lourds effets sur les universités, le gouvernement relance en urgence son projet de loi... sans y avoir rien changé.

      Vendredi 6 juin, les organisations représentatives des personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), et les élues aux instances nationales de l’ESR, ont reçu une convocation inattendue pour examiner le Projet de Loi Pluriannuel pour la Recherche (LPPR) : le 12 juin pour le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER), 17 juin pour le Conseil Technique Ministériel l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CTMESR), le 22 au Comité Technique des Personnels Universitaires (CTU), le 24 au Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) et au plus tard le 2 juillet au Conseil d’État. Le tout pour un passage du texte au Conseil des Ministres le 8 juillet et un vote parlementaire dans la foulée dont la date n’est pas encore précisée.

      Le samedi soir 7 juin et le dimanche 7 juin, le texte du projet de loi, accompagné de documents de présentation pour un total d’environ 1560 pages, a été diffusé. Pour un examen 5 jours plus tard, dimanche inclus.

      Que la recherche soit enfin devenue une priorité nationale, soit, mais pourquoi une telle précipitation, alors même que le texte du projet était réclamé à cors et à cris, et en vain, avant le confinement et qu’il n’était connu que par des fuites et des déclarations ponctuelles de la ministre ? Les universités sont encore semi-fermées, les instances (y compris CNESER, etc.) ne se tiennent qu’en mode dégradé par visioconférence. Personne n’aura le temps d’examiner le texte, d’en débattre, d’élaborer d’éventuelles propositions, voire de se mobiliser pour s’y opposer. On peut d’ailleurs légitimement se demander si ce n’est pas pour profiter de la situation de quasi-paralysie de la vie scientifique, syndicale, démocratique que ce texte si controversé est présenté dans ces conditions inacceptables. Ce à quoi s’ajoute peut-être une urgence pour la ministre qu’on dit partante au très prochain remaniement du gouvernement... Une loi présentée comme si importante présentée de façon aussi précipitée, c’est forcément troublant.

      Le 9 juin, c’est plus de vingt organisations syndicales réunies, dont toutes les grandes organisations de la CGT et SUD au SGEN-CFDT et à l’UNSA en passant par la FSU et le SNPTES, qui publie un communiqué lapidaire intitulé « Nous refusons d’être mis devant le fait accompli » :

      « (...) Le Ministère entend passer en force et empêcher le personnel de l’ESR et les étudiant·e·s de prendre pleinement connaissance du projet de loi qui modifierait pourtant durablement leurs conditions de travail. De fait, d’autres choix sont possibles pour une programmation de la recherche qui soit à la hauteur des enjeux et des enseignements à tirer de la crise sanitaire. Par conséquent, les organisations soussignées refusent ce calendrier inacceptable et, demandent que la consultation de toutes les instances sur le sujet soit a minima reportée à la rentrée universitaire. Elles appellent d’ores et déjà̀ le personnel et les étudiant·e·s à débattre et à se mobiliser pour refuser ce passage en force »

      Le projet final reste identique au projet très contesté du départ

      On s’en souvient : le projet en préparation était su si choquant pour la communauté scientifique qu’il n’a jamais été ouvertement présenté, et ceci jusqu’au 7 juin 2020. C’est uniquement à partir des rapports préparatoires publiés fin septembre 2019, des déclarations publiques du directeur du CNRS Antoine Petit, des déclarations (contradictoires) de la ministre, puis par des fuites (organisées ?) le 9 janvier et le 11 mars, qu’on a pu se faire une idée, de plus en plus précise, des grands tendances et des mesures concrètes de cette loi.

      Pour dire les choses simplement, car elles ont été abondamment analysées et médiatisées entre octobre 2019 et mars 2020, ce projet de loi est accusé d’accélérer les mesures néolibérales de ces vingt dernières années qui détruisent l’université et la recherche scientifique publiques. Une comparaison avec l’hôpital public, qui aussi souvent universitaire, a été plusieurs fois affirmée. On allait droit dans le mur ou vers le précipice, cette loi nous y fait aller à grande vitesse, telles sont les expressions couramment employées à ce sujet.

      Effectivement, le projet de loi diffusé en juin est très proche de ce que l’on en supposait. Les cinq titres sont presque identiques. Il maintient la totalité des dispositions qui avaient fuité et provoqué un rejet massif du projet. Il ajoute même la ratification de l’ordonnance de décembre 2018 relative à la création d’établissements expérimentaux dérogeant aux garanties statutaires légales : or cette ordonnance avait fait l’objet d’un rejet unanime par les instances représentatives. De plus, il autorise, au passage, le gouvernement à prendre toute une série de mesures très variées par ordonnance.

      Bref, comme l’a aussitôt déclaré Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, syndicat pourtant réputé proche du gouvernement, « les éléments qui faisaient un large consensus contre eux sont encore présents dans le projet. Alors que ce n’est pas ce qu’attendent nos collègues et encore moins ce dont a besoin la recherche française » (https://www.liberation.fr/france/2020/06/07/une-gigantesque-machine-a-precariser-et-privatiser_1790573).

      De mauvaises réponses aux besoins et une transformation structurelle qui poursuit la destruction de la recherche publique en France

      Que propose donc cette loi ? Il n’est pas possible de reprendre ici toutes les dispositions, y compris des dispositions techniques très ponctuelles, de ce texte de 26 pages. Il contient peut-être quelques dispositions éventuellement positives quoique pas claires du tout dans leur mise en œuvre concrète : création de postes (mais lesquels ?) et augmentation (mais laquelle ?) des salaires des titulaires débutant.e.s, libération de temps universitaire pour la recherche dans certains cas (pas généralisée), certaines simplifications administratives (parfois au bénéfice du privé), objectif d’égalité femme-homme. Il contient aussi et surtout des mauvaises réponses aux besoins et des transformations structurelles profondes et graves.

      Institutionnalisation de la précarisation des chercheur.e.s et du contournement du statut protecteur de fonctionnaire et du statut particulier d’enseignant.e—chercheur.e

      La loi institue des postes de « pré-titularisation conditionnelle » (traduction de « tenure track ») sur des contrats de 3 à 6 ans et jusqu’à 25% du nombre de postes à pourvoir de professeur.e des universités ou de directeur/-trice de recherche (rang A) dans les organismes de recherche (CNRS, INSERM, etc.). La titularisation finale (ou non) de ces chercheur.e.s, directement au plus haut grade et sans passer par le grade précédent (maitre de conférences ou chargé.e de recherche, rang B) se ferait par une commission ad hoc, sans avis du Conseil National des Université (CNU). Outre le caractère précaire de ces emplois, et l’absence des protections statutaires dont bénéficient les titulaires, ils posent un problème d’égalité de traitement puisqu’ils échappent à la fois aux modalités très strictes du recrutement national des titulaires et permettent de « doubler » les "rang B" titulaires dont les promotions deviendraient encore plus difficiles pour l’accès au "rang A".

      La loi crée également des « contrats à durée indéterminée » (CDI) dits « de mission scientifique » dont la durée coïncide avec celle du projet de recherche pour lequel les personnes sont recrutées, c’est-à-dire en fait un contrat à durée déterminéedépassant les durées légales maximales actuelles et sans obligation de reconduction ni de titularisation au bout de 6 ans.

      Elle crée, enfin, des « contrats post-doctoraux », de 4 ans maximum (c’est beaucoup) dont les modalités et les garanties sont très floues, qui pourraient présenter des aspects positifs, mais qui, pour le moins, participe à la multiplication des emplois précaires au détriment de l’entrée dans une carrière de titulaire. D’autant que ces emplois dérogent explicitement au Code du travail.

      Privatisation progressive de la recherche

      La loi met en place une facilitation incitative des mobilités du public vers le privé, avec possibilité de mise à disposition de chercheur.e.s du public auprès d’entreprises privées (maintien du déroulement de carrière dans le public pendant les périodes dans le privé, valorisation de l’engagement des universitaires auprès d’entreprises privées pour accéder à l’Institut Universitaire de France, etc.) et facilité pour les chercheur.e.s du public de créer des entreprises privées. Elle crée un contrat doctoral en entreprise. Elle développe enfin les financements privés de la recherche en facilitant les conventions avec le privé et les apports du privé via des fondations.

      Maintien de la suprématie de la course aux financements

      Pour toute réponse à la demande pressante du corps professionnel de rééquilibrer la place des financements stables de la recherche afin de soutenir de la recherche fondamentale et à long terme et de libérer du temps de chercheur.e.s en réduisant le montage de dossiers, la LPPR renforce... les financements sur projets. Ainsi, les établissements obtiendront des financements complémentaires à hauteur de 40%, destinés à être répartis (à leur bon vouloir) entre leurs unités de recherche, mais uniquement comme compléments à des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) obtenus sur projets (ce « prélèvement » porte le nom barbare de « préciput »). Tout continue donc à passer par la compétition sur projets déposés auprès de l’ANR, en créant une compétition délétère supplémentaire à la fois entre les unités d’un même établissement pour la répartition de ces moyens complémentaires et entre celles qui « rapporteront » de l’argent aux autres qui leur seront redevables, voire assujetties.

      En ce qui concerne les personnels, le rattrapage de leurs salaires, reconnus très inférieurs à la moyenne et à ceux de pays comparables, si l’on excepte les "rang B" débutant.e.s, se fera par une revalorisation des primes (pas nécessairement attribuées à tous et à toutes) et par un « intéressement financier » pour valoriser les personnels qui s’impliquent dans des missions de recherche partenariale avec des entreprises, le tout selon la volonté des établissements. Il ne s’agit ni de revaloriser le point d’indice, gelé depuis 12 ans, qui sert de base au calcul des salaires, ni d’augmentation généralisée des salaires des personnels de la recherche, dont les personnels administratifs et techniques.

      Bref, comme l’a déclaré le FERC-SUP-CGT dans son communiqué suite à la diffusion de ce projet : « La loi de programmation pluriannuelle de la recherche va à l’encontre des besoins de l’enseignement supérieur et la recherche ! ».

      Pourtant, des propositions claires et simples ont été faites à la ministre par une large majorité des chercheur.e.s

      Les demandes très convergentes faites par une grande partie de la communauté des chercheur.e.s peuvent être résumées en quatre grands axes :

      des moyens stables et suffisants en budgets et en personnels pour garantir à tous et à toutes de travailler sereinement sur la durée en se projetant dans l’avenir, chacun.e sur son champ de compétences (et arrêter les financements rares à court terme obtenus par compétition, concentrés sur les secteurs déjà les plus dotés, dont la « performance » est cotée par une évaluation bureaucratique permanente[1]— et qui laissent la majorité se débattre sans moyens entre des surcharges de tâches multiples, au détriment de la recherche) ;
      l’indépendance statutaire de la recherche[2], donc l’indépendance des établissements, autogérés par des universitaires et autres chercheur.e.s indépendant.e.s, car la recherche doit suivre sa propre logique scientifique de façon libre et diversifiée (et non pas dépendre de pressions ou d’intérêts politiques, idéologiques ou économiques), y compris pour favoriser les découvertes inattendues hors des sentiers battus ;
      la mission de service public désintéressé d’élaboration, d’enseignement et de diffusion de connaissances scientifiques actualisées et éventuellement critiques, dans tous les domaines, y compris quand cela dérange les systèmes et les pouvoirs en place — on pense aux questions écologiques ou sociales par exemple (et non l’assujettissement à des intérêts privés ou l’étranglement de certaines disciplines gênantes y compris par le jeu des financements) ;
      le respect des personnels de l’ESR et la confiance méritée par leurs (trop) difficiles parcours de formation, de recrutement, de carrière, d’engagement au service du bien commun (et non pas la suspicion par l’évaluation permanente et l’imposition de décisions politiques non concertées voire massivement refusées).

      Il ne suffit pas d’annoncer des financements augmentés à coups de millards dans les dix ans à venir, que rien ne permet d’assurer aujourd’hui. Ni de promettre une façon d’appliquer la loi que rien ne garantit surtout sous d’autres ministres à venir. Il faut utiliser cet argent pour répondre à ces quatre grandes attentes et inscrire dans la loi des mesures sures, stables et précises.

      Mais le gouvernement n’écoute pas, n’entend pas, ne comprend pas...

      Aussi sidérant que cela puisse paraitre ou ne pas paraitre selon l’idée que l’on se fait aujourd’hui de ce gouvernement, l’ensemble des propositions portées par la vaste mobilisation de l’ensemble du monde de la recherche n’a été ni entendu, ni repris. Pire, le projet va clairement à l’encontre des besoins, des attentes et des propositions qui ont été exprimés.

      La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et avec elle son cabinet, réussissent une fois de plus à dresser contre ses projets la grande majorité de la profession et des étudiant.e.s qui y sont lié.e.s. On a l’impression que ce ministère n’a dans la tête que quelques mots-clés devenus des dogmes (compétition, privatisation, management...) dont ils ne sont pas en mesure de se libérer et qui les rendent imperméables à d’autres mots-clés (égalité, service public, libertés académiques...). Ils et elles feront sans doute cette fois-ci comme les autres fois : passeront outre les avis très majoritairement voire unanimement négatifs des instances consultatives comme le CNESER ou les CT, des instances ou organismes représentatifs (CNU, syndicats, sociétés savantes, associations professionnelles, conseils et composantes des établissements, etc.), et des personnes directement concernées. Au mieux ils et elles feront passer des projets mal votés, grâce aux abstentions ou aux absences, si fréquentes en période de crise sanitaire d’ailleurs. Mais il est probable qu’ils et elles s’en fichent éperdument, tellement ils et elles sont sur.e.s d’avoir raison.

      Le CNESER a d’ailleurs appris le 10 juin qu’il pourrait se tenir le 12 en mode hybride : mi-présenciel mi-distanciel et qu’il fallait s’inscrire à l’avance pour un tour de parole. Curieuse conception des débats...

      Le SGEN-CFDT et la FAGE ont demandé au ministère de ne pas présenter la loi pour vote au CNESER du 12 juin, vu les délais, mais seulement de la présenter et de la soumettre au vote d’un avis les 18 et 19 juin. Le ministère a accepté. On ne voit vraiment pas, hélas, ce qu’une semaine de plus va changer quand il est clair que ce n’est pas d’amendements dont ce texte à besoin, mais d’un retrait et de la rédaction d’un tout autre projet de loi, indispensable et urgent, inspiré par de tout autres principes.

      [1] Ce système est régulièrement accusé de favoriser le conformisme des projets (pour obtenir les financements selon les critères imposés ou valorisés) et la tricherie dans les publications (pour augmenter artificiellement son nombre de publications, dans les disciplines qui ont recours à la bibliométrie et au classement des revues, surtout en sciences naturelles et formelles, moins en SHS).

      [2] Cette indépendance est un principe très ancien et général de protection de la recherche scientifique. Voir mon texte « Le projet de LPPR poursuit les attaques contre le statut particulier des universitaires pour s’emparer de l’Université » en ligne sur https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2020-1-page-III.htm

      https://blogs.mediapart.fr/philippe-blanchet/blog/110620/passage-en-force-soudain-de-la-loi-de-programmation-de-la-recherche

    • Message reçu par mail de la rédaction du blog « Academia » (https://academia.hypotheses.org), le 15.06.2020 :

      Vous étiez nombreux et nombreuses à souscrire à notre appel solennel (https://academia.hypotheses.org/22438) remis le 21 avril à la Ministre et lui demandant de ne pas prendre de mesures non-urgentes pendant le confinement. Si le confinement obligatoire est terminé, pour autant l’état d’urgence continue, avec des mesures anti-rassemblement, et la fermeture des universités à ses étudiant∙es. C’est cette période que le gouvernement a choisi pour présenter son projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche devant les instances nationales, en vue de sa présentation en Conseil des ministres le 8 juillet et vraisemblablement de son vote au cours de l’été. Parallèlement, la Commission Culture du Sénat rendait un rapport accablant (https://academia.hypotheses.org/24538) sur le système de recherche pendant la pandémie.

      Après la saisine du Conseil économique, social et environnemental le 5 juin, la diffusion de l’avant-projet de loi par le SGEN dimanche 7 juin 2020, Academia a rapidement fourni des éléments sur l’avant-projet de loi (https://academia.hypotheses.org/24364), mais aussi sur le projet de loi (https://academia.hypotheses.org/24502) transmis au Conseil d’État — texte prêt « depuis le mois de mars » selon la Ministre (https://academia.hypotheses.org/24568), rattrapée par une affaire de fraude scientifique (https://academia.hypotheses.org/24479) — et son étude d’impact.

      Disons-le simplement : ce projet de loi détruit méthodiquement le cadre légal de l’Université, approfondit les dérogations créées par la loi PACT (https://academia.hypotheses.org/7164), et impute les maigres augmentations de budget (https://academia.hypotheses.org/24380) à la seule Agence nationale de la Recherche. Les jeunes collègues ne s’y sont pas trompé·es : cette loi ne vise nullement à améliorer le sort des jeunes chercheurs et chercheuses, mais à précariser davantage leur situation ; elle met au jour le simple fait que la transmission des savoirs — auprès de celles et de ceux qui feront l’élite de demain — n’intéresse aucunement le Ministère de l’Enseignement supérieur. La pilule est très amère (https://academia.hypotheses.org/24413).

      La parution de l’étude d’impact de près de 200 pages, la veille de la réunion du CNESER, est un modèle du genre : manipulation de chiffres, biais argumentaires, et autres paragraphes en novlangue. Explicitant le rôle législatif de l’étude d’impact, Academia en a analysé deux dispositions (https://academia.hypotheses.org/24589) :

      - la lutte contre les inégalités hommes-femmes ;
      – l’adoption des tenure tracks, nouvelle voie d’accès hors concours aux statuts de professeures des universités et des directions de recherche.

      Compte tenu du mépris dans lequel le Ministère tient les élu∙es∙des instances, plusieurs organisations syndicales ont boycotté la séance du CNESER du 12 juin 2020 (https://academia.hypotheses.org/24573) à l’exception notable de la CPU qui s’est félicitée du texte. La communauté universitaire s’est mobilisée (https://academia.hypotheses.org/24556), syndicats, Facs et labo en lutte, Revues en lutte en tête (https://academia.hypotheses.org/24465), relayée dans la presse (https://academia.hypotheses.org/24577). Le vote n’aura lieu que jeudi 18, précédant celui du CTMESR le vendredi 19 juin. L’examen du texte en Conseil des ministres est prévu le 8 juillet 2020. Nous entrons dans la dernière phase du processus législatif, avec un projet qui n’est pas encore inscrit au calendrier parlementaire, mais qui pourrait être passé après l’été, vraisemblablement à la fin de l’année 2020 ou au tout début 2021.

      Il nous faut désormais nous interroger sur les moyens dont nous disposons pour que ce projet ne devienne pas loi. Un chercheur a suggéré qu’il ne fallait désormais prendre la parole auprès des médias que pour dénoncer la future loi (https://academia.hypotheses.org/24427). Un élu CNESER a esquissé quelques pistes de moyens juridiques pour le contrer (https://academia.hypotheses.org/24552). Plusieurs manifestations sont prévues : unitaire avec les soignantes le 16, puis le 18 et le 19. Il y a aussi l’envoi en masse de propositions de « dérégulation » auprès du MESRI (https://academia.hypotheses.org/24300), sans oublier d’interpeler les présidences d’université sur le contenu inique de la LPPR.

      Alors que nous vivons depuis plusieurs semaines un magnifique mouvement en faveur des droits civiques (https://academia.hypotheses.org/24472) et de la justice, notons que le droit constitutionnel de manifester vient d’être sérieusement entravé (https://academia.hypotheses.org/24609) dans un régime de plus en plus nauséabond.

      Contre la LPPR, il nous faut toutes les forces sur le pont et beaucoup d’imagination : nous comptons sur vous !

    • LPPR : le ministère change les règles du jeu, deux jours avant la tenue d’un CNESER qui n’aurait par ailleurs jamais dû être convoqué !

      En plein état d’urgence sanitaire, alors que le gouvernement a été désavoué par le Conseil d’État sur l’interdiction des rassemblements, que les universités demeurent fermées aux usager·es et leur accès très limité aux personnels, le CNESER, le CTMESR et le CTU sont convoqué·es pour débattre et soumettre des avis sur le projet de LPPR très largement contesté. Ces convocations, dans le contexte actuel, constituent une provocation et manifestent le mépris du ministère pour les personnels de l’enseignement supérieur.

      Sur le fond, en renforçant le financement sur projet via l’agence nationale de la recherche, le projet de loi ne tire aucun enseignement de la crise sanitaire. En ne permettant pas à la recherche publique d’atteindre 1 % du PIB en 2030, il poursuit le sous-financement de l’enseignement supérieur et de la recherche. La loi envisagée contourne et casse les statuts des chercheur·es et des enseignant·es-chercheur·es en accélérant les recrutements contractuel·les du secteur déjà le plus précaire de toute la fonction publique d’État. En favorisant les passages du public au privé et réciproquement, elle organise les conflits d’intérêt et la subordination de la recherche publique aux intérêts privés. Le projet de LPPR remet également en cause fortement l’indépendance des personnels de la recherche, à travers la concurrence généralisée, l’extension du précariat et la gestion néo-managériale des ressources, il conduit au rétrécissement des domaines de la recherche et des bénéficiaires de moyens alloués.

      Alors que les universitaires sont submergé·es et mobilisé·es au delà du maximum pour conduire à leur terme deux semestres particulièrement pénibles, alors qu’ils/elles sont en pleine incertitude quant aux conditions de la rentrée, le ministère a d’abord imposé à ses membres élu·es au CNESER une séance consacrée au projet de LPPR le 12 juin, avec envoi des documents le dimanche 4 juin, après que la presse les ait déjà diffusés.

      Cette séance du 12 juin s’est déroulée sans la FSU, dans des conditions d’obtention du quorum particulièrement douteuses sur le plan juridique : confirmation de la présence obtenue par téléphone, aucune vérification d’identité, procurations possibles à distance par simple envoi des codes à qui le demandait… l’étude de la loi LPPR par les instances mérite davantage de respect et de rigueur.

      Et puis, alors que la deuxième partie du CNESER avait été annoncée en modalité “hybride” le 10 juin, soudain, lundi 15 juin en fin d’après-midi, à deux jours de l’échéance devant déboucher sur un vote, nous apprenons que la séance se tiendra finalement en présentiel le jeudi 18 juin ! En l’absence de quorum elle aura lieu le lendemain cette fois-ci sans condition de quorum. Dans les conditions de transports et d’hébergement que l’on connaît, sans parler des questions d’agenda des personnels pleinement mobilisé·es, il s’agit d’une véritable provocation ! Le MESRI continue d’humilier la communauté universitaire et scientifique et n’hésite pas à envisager la discussion sur une loi de programmation, dont on connaît l’importance pour l’avenir, sur des bases largement discutables juridiquement.

      Le SNESUP-FSU, le SNASUB-FSU, le SNCS-FSU le SNEP-FSU qui ont déjà demandé le report à la rentrée de la consultation en présence de toutes et tous, dans des conditions permettant véritablement les échanges, réitèrent leur demande. Il en va de la démocratie et de notre avenir commun. Les conditions dans lesquelles sont organisés les débats sont indignes et inacceptables. Nous ne cautionnerons pas cette mascarade.

      Reçu par email, le 16.06.2020

    • La loi Recherche à la lumière de la crise sanitaire

      Emmanuel Macron et Frédérique Vidal ont décidé de concurrencer les Shadoks. Quant un truc ne marche pas, il faut persévérer dans l’erreur car c’est en essayant longtemps de se tromper que l’on pourra réussir, se disent-ils manifestement… Donc, la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, telle que conçue et préparée avant la COVID-19, est remise en selle avec le maximum de précipitation possible (convocation en urgence absolue des instances de discussion avec les personnels, passage en conseil des ministres prévu le 8 juillet) afin d’être bien certains de ne pas tenir compte des enseignements de cette crise sanitaire pour la politique de recherche du pays.

      Quelles sont, en réalité, ses principales dispositions ?

      1- Des sous, il n’y en aura pas plus.

      Frédérique Vidal a beau abuser, comme Valérie Pécresse et Généviève Fioraso, des formules publicitaires et des affichages en trompe-l’œil, le volet programmation financière de la LPPR promet… de compenser l’inflation future. Cette décision politique fondamentale poursuit la politique budgétaire menée par Hollande, puis par Macron depuis trois ans. Les moyens des laboratoires publics sont au mieux stagnants, avec des perdants ici, des gagnants là, mais au total une enveloppe qui ne décolle pas. Autrement dit, après avoir promis, depuis l’adoption de la Stratégie de Lisbonne en 2000, d’augmenter sensiblement l’effort de recherche, aucun gouvernement français n’a tenu cette promesse. Et Emmanuel Macron se propose de continuer. Avec une trajectoire budgétaire de plus 500 millions d’euros par an – dont il laisse le soin à ses successeurs de la réaliser après avoir mis les laboratoires au régime sec depuis son élection – la LPPR est très loin de simplement parvenir à l’objectif fixé en 2000 – soit 1% du PIB pour la recherche publique – … sauf à compter sur la récession brutale provoquée par la crise sanitaire.

      Bref : la crise sanitaire a montré que nous avions besoin de plus de connaissances scientifiques pour affronter les défis du siècle – sanitaires, climatiques, énergétiques, sociaux… – on va compter sur la chance pour les construire et non sur des moyens supplémentaires.

      Information précieuse pour comprendre le sens des « annonces » mirifiques : toutes celles concernant les « millions » mis sur la table pour les recherches sur le coronavirus Sars-Cov-2 se sont réalisées avec… 0€ de plus versés aux laboratoires, mais un déshabillage de Pierre au profit de Paul, par redéploiement de crédits déjà votés à l’Assemblée Nationale et déjà ou pas encore affectés. Quant aux prolongations de contrats pour les thèses ou les post-doctorats interrompus par le confinement… ils doivent se faire à budget constant, donc en diminuant le nombre des nouveaux contrats.

      2- Les sous, tu les distribuera par appels d’offre en mettant les scientifiques en compétition entre eux.

      Parmi les leçons de la crise sanitaire, on peut relever ce propos d’un tout récent rapport de la Commission des Affaires culturelles du Sénat, et donc pas vraiment écrit par des syndicalistes sortis en colère de leur laboratoire (1) :

      Ce rapport, à la suite des trois Académies concernées (des Sciences, de Médecine et de Pharmacie) déplore lui aussi le manque de coordination des recherches thérapeutiques contre la Covid-19, provoquée notamment par un mode de financement par appels d’offre et non par une concertation organisée entre les véritables acteurs de la recherche.

      Bref : puisqu’on a la preuve – une nouvelle preuve après tant d’autres – que l’allocation des ressources prioritairement par des appels d’offres compétitifs, où les taux de succès sont si bas que l’écrasante majorité des demandes des scientifiques sont rejetées, ne fonctionne pas… continuons dans cette voie suivant le principe shadokien.

      3 La précarisation des personnels tu accentueras.

      Ces dernières années, les effectifs des personnels de la recherche ont subi un double mouvement. Moins de personnels scientifiques sur des emplois stables – par exemple moins 10% pour le principal établissement, le CNRS – et des milliers d’emplois précaires, y compris pour des fonctions pérennes au services d’équipements techniques. Des emplois précaires censés servir de tremplins à des jeunes très qualifiés… mais qui aboutissent beaucoup trop souvent à l’éviction finale de la recherche par manque de postes.

      Ce système très efficace pour gâcher les talents, éloigner les meilleurs et désorganiser l’activité des laboratoires a montré son caractère néfastes ? Accentuons-le donc, en décrétant que jusqu’à 25% des postes pérennes des organismes de recherche et des universités, y compris pour des seniors (directeurs de recherche, professeurs) pourront se transformer en contrats à durée déterminée dits « de missions » et en « tenure tracks » de 3 à 6 ans pour l’Université.

      4 Pour la promesse de Lisbonne, tu pratiqueras l’enfumage.

      Il n’est pas très compliqué de mesurer l’écart abyssal entre la LPPR et la simple mise en oeuvre de la promesse faite il y a 20 ans à Lisbonne, fondée sur une analyse jamais remise en cause sur l’importance de la recherche scientifique pour l’avenir des pays européens. Pour parvenir à 1% du PIB de la France consacré à la recherche publique, contre 0,76% en 2019, (un niveau historiquement bas puisqu’il faut remonter à avant les augmentations de 1981 pour le retrouver), il manquait près de 5 milliards d’euros en 2019. Pour combler l’écart, progressivement en dix ans soyons réalistes, il faudrait créer 60 000 postes pérennes dans l’Enseignement supérieur et la recherche dans les dix ans à venir, augmenter à 20.000 par an le nombre de docteurs formés et augmenter d’un milliard par an les dotations de recherche aux établissements (universités et organismes de recherche).

      Là encore, nul besoin d’aller chercher un scientifique en colère, le rapport du Sénat y suffit :

      Le graphique ci-dessous permet de mesurer l’enfumage qui consiste à annoncer des « milliards en plus » sans tenir compte de l’inflation sur la durée envisagée, en réalité, la LPPR ne prévoit aucune augmentation sérieuse de l’effort de recherche public.

      Juste avant le confinement, la contestation de la LPPR avait vue le jour. Plusieurs organisations syndicales ont démarré des mobilisations pour alerter les citoyens et infléchir la politique gouvernementale. Le calendrier de la LPPR n’est pas encore complètement connu puisque aucune date d’examen parlementaire n’est encore décidée. Il pourrait avoir lieu à l’automne.

      Sylvestre Huet

      https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/06/15/la-loi-recherche-a-la-lumiere-de-la-crise-sanitaire

    • L’appel du 18 juin contre la LPPR !

      Ce jeudi 18 juin l’avant-projet de LPPR était examiné par le CNESER, dans un calendrier de pseudo-concertation menée à marche forcée par Frédérique Vidal.

      Les Facs et Labos en Lutte étaient là, pour dire une fois encore leur refus de la LPPR, leur refus de la précarisation et de la privatisation des services publics de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons besoin de postes et de financements, maintenant !

      Retour en images sur les interventions.

      https://www.youtube.com/watch?v=vkuS6kBp1pI&feature=emb_logo

      Ce jeudi 18 juin l’avant-projet de LPPR était examiné par le CNESER, dans un calendrier de pseudo-concertation menée à marche forcée par Frédérique Vidal.

      Les Facs et Labos en Lutte étaient là, pour dire une fois encore leur refus de la LPPR, leur refus de la précarisation et de la privatisation des services publics de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons besoin de postes et de financements, maintenant !

      Retour en images sur les interventions.
      Que faut-il de plus pour que nous soyons entendu·es ?

      Début mars, contre la précarité, contre la LPPR et contre la casse des retraites, on dénombrait plus de 108 établissements universitaires et 268 labos mobilisés ; 35 collectifs de précaires ; 134 revues ; 16 sociétés savantes ; 46 séminaires ; 35 sections du CNU et une cinquantaine d’évaluateur·trices de l’HCERES. Plus de 700 directeurs et directrices de laboratoire ont exprimé leur opposition au projet de loi LPPR. Le 5 mars nous étions des milliers de manifestant·es partout en France, dont 25 000 personnes à Paris.
      Cette mobilisation est tout simplement historique ! Comment le Ministère ose-t-il accélérer le calendrier et passer en force, alors même qu’il n’y a pas la place à l’agenda parlementaire pendant l’été ?

      Que faut-il de plus pour que nous soyons entendu·es ?

      Pour les rares personnes de ma génération qui sont entrées en poste ces dernières années, nous nous considérons comme des miraculées. La quasi-totalité de nos camarades, de nos collègues, avec qui nous avons envie de travailler pour proposer les meilleures formations possibles aux étudiant·es, sont au chômage, au RSA, donnent des charges de cours pour lesquelles ielles sont payé·es au bout de six mois au mieux et en dessous du SMIC horaire, et entre deux post-docs, ils passent leur temps à faire des candidatures et des auditions dans la plus totale incertitude sur leur avenir.

      Ceux et celles qui ont des postes sont épuisé·es, surchargé·es et n’ont parfois pas les moyens de faire leur métier correctement. L’ESR est un secteur qui a tout simplement institutionnalisé le travail gratuit, avec la raréfaction des postes.
      Et face au constat de cette précarité de l’emploi, la réponse serait donc cette LPPR qui promet plus de compétition, plus de précarité, des CDI de chantiers ou des CDD d’enseignant·e-chercheur·se !

      Depuis trois ans donc que je suis en poste à la fac, il y a eu d’abord au ParcourSup puis la hausse des frais d’inscription pour les étrangèr·es qu’ils ont osé appelée « Bienvenue en France ». Une sélection à l’entrée de l’université et une augmentation des frais d’inscriptions sur des critères de nationalité, ce qui constitue une rupture d’égalité contraire à la constitution. Et maintenant cette LPPR, encore une nouvelle étape vers la marchandisation et la précarisation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique.

      Nous sommes épuisées par la brutalité et l’aveuglement de ce gouvernement.

      Nous ne devrions pas avoir à exiger une énième fois le retrait de cette loi, après tout ce qui s’est passé, et quatre semaines seulement après le déconfinement. Nous devrions être en train de réfléchir collectivement et sur le long terme à un monde plus solidaire et plus juste face à la crise sanitaire, sociale et écologique.

      Pour commencer, quand est-ce que nous ferons objectivement le bilan désastreux de l’impact de cette crise dans les universités ?
      Mme la Ministre se félicite que des aides d’urgence aient été distribuées ? Nous, nous ne nous remettons pas d’avoir vu les étudiant·es tomber dans les pommes en venant chercher des colis alimentaires, parce qu’ielles n’avaient pas mangé depuis trois jours. La Ministre se félicite de la « continuité pédagogique » ? Le décrochage n’a jamais été aussi fort et l’acharnement évaluatif a mené à des situations insupportables.
      Le Ministère s’est empressé de faire un appel à projets ANR pour penser des enseignements à distance ! Personne ne demande cela Mme la Ministre, personne ne veut étudier ou enseigner derrière un écran. Les universités sont des lieux d’échanges, de vie, d’émancipation et de construction.

      Aujourd’hui si les universités craquent, c’est parce qu’elles souffrent d’un sous-emploi structurel et parce qu’elles sont paupérisées par des politiques de marchandisation successives, et par ce gouvernement qui fait le choix délibéré d’en restreindre l’accès et de sous-financer l’enseignement supérieur.

      Alors Mme Vidal, non seulement nous exigeons le retrait de cette loi, mais on ne s’arrêtera pas là !

      Nous refusons une fois encore toute forme de discrimination sociale, raciale et sur des critères de nationalité à l’entrée à l’université.
      Nous exigeons que les conditions de vie et d’études soient garanties par un salaire étudiant.
      Nous exigeons au moins 60 000 postes de titulaires pour que nos collègues précarisé·es arrêtent de travailler gratuitement pour la recherche française et d’enseigner dans des conditions qui relèvent de l’exploitation.
      Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas plus de collègues titulaires, des enseignant·es et des agent·es administratif·ves, car il y a bien du travail dans les universités et dans les laboratoires !

      Alors M. Macron, cessez votre destruction des services publics, cessez vos attaques de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      Ce ne sont pas les universitaires qui cassent la République en deux, ce sont vos politiques inégalitaires qui brutalisent, qui précarisent et qui compromettent l’avenir de la jeunesse.

      La LPPR et la #précarité aggravent les #inégalités_de_genre !

      https://www.youtube.com/watch?v=APTlUrAhi2M&feature=emb_logo

      Cette analyse féministe de la LPPR, qui met KO le patriarcat abject que le gouvernement veut perpétuer au sein de l’ESR, a été publié sur le Academia. En voici un extrait :

      Dès lors, ce ne sont pas seulement sept petites lignes rapidement rédigées qui soldent la question de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les 187 pages du texte de l’Étude d’impact de la LPPR, c’est bien un positionnement sur la condition féminine dans l’ESR et au-delà qui est révélé. La question de la place des femmes dans la recherche est abordée en considérant leur maternité potentielle, c’est tout. Les disparités salariales à grade égal, la diminution du nombre de femmes dès l’inscription en thèse alors qu’elles sont majoritaires auparavant, les freins à la carrière qui conduisent à une très moindre proportion de femmes parmi les professeurs des universités ou les directeurs de recherche, le moindre nombre de femmes déposantes et lauréates, logiquement mais pas seulement, aux appels à recherche ANR ou H2020 ne sont pas même évoqués.

      Comment ne pas lire dans ces lignes un propos réactionnaire sur les femmes et les moyens mis en œuvre pour atteindre l’égalité entre femmes et hommes ?

      L’émancipation est incompatible avec la précarité subie.

      La LPPR est injuste pour tous et toutes mais avec ces sept petites lignes, on a bien compris qu’elle se préoccupait encore moins de l’être avec toutes qu’avec tous. Alors on va le dire calmement mais fermement : on n’écrit pas une thèse avec son utérus, nos recherches ne sont pas plus dépendantes de notre désir de procréer ou non que celles des hommes, il n’existe aucune justification aux inégalités entre femmes et hommes dans l’ESR si ce n’est les résidus rances d’un patriarcat qui ne l’est pas moins. La précarité subie fragilise, pour l’heure la place des femmes dans l’ESR doit être renforcée. Ce texte est plein d’effluves irrespirables d’une conception hors d’âge de l’emploi des femmes, rejoignons alors Virginie Despentes : c’est terminé. On se lève. On gueule.
      On prend notre place.

      LPPR : Loi de Précarisation et de Privatisation de la Recherche

      https://www.youtube.com/watch?v=bHLuW-URllY&feature=emb_logo

      Une intervention conclusive, qui revient sur les principaux éléments de la LPPR. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter nos articles qui lui sont consacrés !
      TWEETStorm

      Pendant que nos camarades criaient leur indignation devant le ministère, de nombreux·ses autres exprimaient leur refus de la LPPR sur Twitter, plaçant nos hashtags #StopLPPR #StopPrécarité et #FacsEtLabosEnLutte parmi les plus utilisés en France aujourd’hui !

      Voici quelques unes des images créées et partagées à cette occasion.

      https://universiteouverte.org/2020/06/18/lappel-du-18-juin-contre-la-lppr

    • LPPR : le flowchart

      Le rapport annexe comme l’étude d’impact étant particulièrement nébuleux, il est très difficile de comprendre les raisonnements qui supportent les mesures envisagées dans la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Heureusement, Frédérique Vidal donne plus de précisions sur la logique qui sous-tend cette loi dans un entretien. Une modélisation de cette logique sous forme de flowchart permet d’identifier certaines décisions critiques, conduisant à l’étonnante mise à l’écart des solutions les plus simples, et le développement de solutions complexes et imparfaites.

      https://twitter.com/VidalFrederique/status/1273985042637783040?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      L’argumentaire de la Ministre dans cet entretien part de quatre constats : l’augmentation des #rémunérations, le besoin de #réinvestissement massif, le #temps_long de la recherche, et la perte de #compétences. A partir de là, plusieurs choix conduisent aux mesures de la LPPR : augmentation des primes, chaires de professeur junior, CDI de mission, augmentation de l’ANR et de son préciput, et développement du dialogue stratégique.

      On observe d’abord que les mesures proposées sont des solutions partielles, globalement insatisfaisantes puisque chacune renforce au moins un des constats d’origine. Ensuite, on observe que des solutions beaucoup plus globales sont déjà disponibles sans besoin de légiférer : améliorer l’#indiciaire, ouvrir des #postes au concours, et augmenter les #subventions pour charge de service public.

      La Ministre développe un argumentaire étonnant quant à l’exclusion de ces trois #mesures.

      Exclusion des trois mesures les plus évidentes
      Améliorer l’indiciaire

      L’indiciaire est la manière traditionnelle de fixer les rémunérations des fonctionnaires. C’est la manière la plus simple, puisqu’il s’agit d’une simple multiplication d’un point par un indice se trouvant dans une grille. C’est aussi la manière la plus égalitaire puisqu’elle ne dépend que de l’ancienneté, et la plus collective puisque point et grilles sont communs aux fonctionnaires et aux corps/classe.

      C’est donc un système de #rémunération particulièrement bien adapté aux missions d’enseignement et de recherche, pour lesquelles il est difficile d’évaluer la performance, imprédictible par nature, surtout de façon individuelle puisque ces missions sont collectives par nature.

      Pour exclure cette possibilité, Frédérique Vidal déclare « Je ne fixe pas les grilles indiciaires de la fonction publique ». Cet argument est particulièrement étonnant : personne ne demande à la Ministre elle-même de fixer ces grilles. D’ailleurs, l’Etat est justement engagé depuis 2017 dans un protocole de revalorisation des grilles indiciaires, le PPCR, notoirement peu abouti pour les Enseignants-chercheurs, ce qui démontre que c’est parfaitement possible. Cet argument doit être écarté.

      Très étonnamment aussi, l’Etude d’impact de la loi ignore totalement cette possibilité dans les « options possibles », qu’elle doit pourtant présenter de façon « aussi complète, objective et factuelle que possible ».

      En se dispensant ainsi de considérer le moyen le plus évident, les rédacteurs limitent leur champ des possibles à des solutions forcément plus compliquées, plus coûteuses, plus individuelles et plus inégalitaires.
      Ouvrir des postes au concours

      Là encore, il s’agit de la manière la plus simple de conserver les compétences : ouvrir des postes au concours avec les statuts existants, très attractifs compte tenu des taux de pression actuels (1 poste pour 7 candidats : 85% n’auront rien).

      Frédérique Vidal commence par justifier la baisse de ces postes ainsi : « Le problème, c’est qu’on a vu le nombre de postes mis au concours diminuer parce que l’augmentation mécanique du coût de la masse salariale absorbait une partie des moyens disponibles. ». Mme Vidal oublie de rappeler que cette situation résulte notamment d’une de ses propres décisions politiques : ne plus compenser du tout cette augmentation mécanique.

      Elle indique ensuite que « Le réinvestissement prévu a vocation à inverser la tendance. On aura une augmentation du nombre de postes mis au concours ». Mais cette affirmation est explicitement contredite par l’Etude d’impact : « Compte tenu de l’évolution des départs à la retraite sur les prochaines années, il serait possible de maintenir en flux le nombre actuel de postes mis aux concours et de consacrer tout ou partie du solde à cette nouvelle voie d’accès aux corps de professeurs et de directeurs de recherche ».

      D’après l’étude d’impact, l’investissement n’est donc pas pour ouvrir postes au concours, et les effectifs devraient baisser puisque la hausse des départs à la retraites devra servir à financer les nouveaux statuts. La hausse des concours avec les statuts actuels est de plus absente des « options possibles ».

      Encore une fois, les rédacteurs se dispensant de considérer le moyen le plus évident pour atteindre leur objectif.
      Augmenter les subventions pour charge de service public

      L’amélioration de l’indiciaire et l’ouverture des postes nécessitent évidemment une augmentation des subventions pour charge de service public (SPCSP), qui est la source principale et normale de financement pour les laboratoires et universités.

      Autre avantage des SPCSP : elles sont naturellement inscrites dans le temps long, abondent presque automatiquement les dotations de base, et sont surtout extrêmement simples à augmenter.

      Pour exclure cette possibilité, Frédérique Vidal affirme « La subvention pour charge de service public a été définie il y a plus de dix ans en fonction de comment les universités se présentaient elles-mêmes. Certaines ont mal estimé leur masse salariale à l’époque et se trouvent aujourd’hui en difficulté. Si je continuais dans ce système, alors je donnerais en effet plus à celles qui sont déjà mieux dotées. ». On ne pourra que s’en étonner : les SPCSP sont réévaluées chaque année, 10 ans semble un délais raisonnable pour corriger d’éventuelles erreurs d’appréciation, et rien n’empêche la ministre d’arbitrer en faveur d’un rééquilibrage avec le système actuel. L’argument doit être écarté.

      Là encore, l’étude d’impact, ainsi que tous les documents relatifs à la LPPR, traitent les questions de financement en ignorant purement et simplement le moyen principal de financement. En conséquence, la suite est un argumentaire en cascade, imparfait et peu convainquant.
      Conséquence : un argumentaire en cascade peu convainquant

      Le refus d’augmenter les SPCSP déclenche de nombreux problèmes subsidiaires. La Ministre note par exemple que « les établissements ne peuvent pas titulariser », or « il faut pouvoir proposer quelque chose d’attractif aux chercheurs ».

      La ministre propose donc de créer des Chaires de professeurs junior, mais qui représentent une augmentation des coûts, et renforce donc le besoin d’investissement, et par ricochet diminuent le nombre de postes, donc font perdre in fine des compétences.

      Elle propose également d’augmenter les budgets de l’ANR. Mais ceux-ci sont par nature temporaires, et ne permettent donc que des « CDD très courts ». La Ministre propose donc un nouveau « contrat qui correspond à la durée du financement », ce qui est contraire à l’inscription de la recherche dans le temps long, et ne résout pas le problème de la perte de compétences.

      De plus, l’ANR est par nature distincte des dotations de base. C’est pourquoi la Ministre propose d’augmenter le préciput. Mais cette augmentation déséquilibre les financements entre établissements, allant plus à ceux qui décrochent le plus d’ANR. Pour « rééquilibrer les financements », la Ministre propose alors d’user du « dialogue stratégique », mais ce dialogue dépend de la performance et non des charges de service public. Il faudra donc le dénaturer pour répondre au problème posé.
      Conclusion

      Cette analyse de l’argumentaire de la Ministre aboutit à la conclusion qu’en se privant des mesures les plus évidentes (indiciaire, ouverture de postes au concours et augmentation des subventions pour charge de service public), la loi est amenée à déployer des mesures beaucoup plus complexes et coûteuses. Surtout, ces mesures ne répondent qu’imparfaitement aux problèmes posés, et en renforcent même certains.

      La Ministre refusant de fournir des réponses raisonnables à propos de cette mise à l’écart des solutions les plus simples, nous n’avons d’autres choix que dresser une hypothèse. Le point commun de ces trois mesures est qu’elles renforcent l’autonomie académique : les SPCSP représentent la liberté maximale pour les établissements, et les postes titulaires accompagnés de dotations de base représentent la liberté maximale pour les enseignants et/ou chercheurs.

      Ces solutions vont donc objectivement à l’encontre des intérêts d’un ministère qui souhaiterait renforcer son contrôle sur l’appareil d’enseignement supérieur et de recherche. Cette hypothèse est au moins cohérente avec le constat dressé par le Sénat à propos de la mise en œuvre de la loi LRU : il y a « une part de responsabilité évidente de l’État dans l’incapacité des universités à assumer leurs nouvelles responsabilités dans des conditions optimales ».
      Un mot sur l’Etude d’impact

      Comme le pointent les confrères d’Académia :

      une étude d’impact « s’attache a fournir une évaluation préalable de la réforme envisagée, aussi complète, objective et factuelle que possible », « destinée a éclairer les choix possibles, en apportant au Gouvernement et au Parlement les éléments d’appréciation pertinents ». Elle « ne doit être ni un exercice formel de justification a posteriori d’une solution prédéterminée, ni une appréciation technocratique de l’opportunité d’une réforme qui viendrait se substituer a la décision politique ».

      En ignorant purement et simplement les solutions les plus simples et les plus utilisées pour résoudre les problèmes qu’il se pose, le document accompagnant la LPPR et signé par Marie-Anne Lévêque ne peut être considéré comme une étude d’impact.

      Plus généralement, ce document impressionne par le nombre des imprécisions et incohérences, conduisant à se demander s’il est simplement bâclé, s’il relève d’une manipulation consciente, ou si défendre les mesures de la LPPR est une tâche en réalité impossible.

      Pour seuls exemples, en plus de l’ignorance des solutions existantes aux problèmes présentés :

      L’argumentaire des Chaires professeur junior s’appuie essentiellement sur l’exemple des carrières allemandes, sans décrire la réalité de ces carrières : « 81% des répondant.e.s disaient regretter leur choix de carrière et chercher le moyen d’en sortir ».
      L’argumentaire pour les CDI de mission scientifique tient sur un seul argument : « il est plus facile lorsqu’on dispose d’un CDI de contracter un bail locatif ou un emprunt immobilier que lorsqu’on relève d’un contrat à durée déterminée ». Ce n’est pourtant pas ce qu’on constate.
      De façon plus éclatante encore : les valeurs cibles ne sont même pas des valeurs, mais des images collées sans aucun soin.

      Pour d’autres détails, vous pouvez vous référer à ce (très long) thread :
      https://twitter.com/JulienGossa/status/1271010159528153088

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/06/21/lppr-le-flowchart

      –----

      Commentaire de Marc Aymes, reçu via la mailing-list Facs et labos en lutte, le 22.06.2020 :

      Merci à Julien Gossa pour cette synthèse si utile.

      L’hypothèse d’une LPPR visant à confiner l’autonomie académique, en limitant au maximum les libertés des établissements comme des enseignants et/ou chercheurs, est forte.

      Toutefois, en réécoutant les propos du candidat Macron en 2017, on pourrait également être tenté d’envisager une seconde lecture possible.

      Il faut, disait-il :
      – réduire la part du MESRI en central,
      – mener une vraie réforme voire une suppression de l’organisation du recrutement des professeurs d’université,
      – développer de vraies filières sélectives.

      On pourrait lire à l’aune de ce triple projet les trois non-mesures aujourd’hui sous-jacentes au projet de LPPR :
      1/ Ne pas améliorer l’indiciaire, privilégier l’indemnitaire et l’intéressement : on confie les décisions de revalorisation aux bons soins des accords d’entreprise... pardon, d’établissement.
      2/ Ne pas ouvrir des postes au concours : avec les chaires de prof junior commence aujourd’hui la grande « réforme voire suppression » du recrutement de demain.
      3/ Ne pas augmenter les subventions pour charges de service public : car qui dit filière sélective (et « performante ») dit financement sur fonds propres.

      Sources :
      https://t.co/bcsCWu8fHj?amp=1
      https://twitter.com/adirlabos/status/1270111667750404099

    • D’une LPPR à l’autre : 14 ans de promesses inchangées

      En 2004, le gouvernement Jean-Pierre Raffarin de Jacques Chirac préparait la Loi programme pour la recherche (LPPR) de 2006, avec Luc Ferry pour ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche.

      En 2020, le gouvernement Edouard Philipe d’Emmanuel Macron prépare la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) de 2021, avec Frédérique Vidal pour ministre lʼEnseignement supérieur, de la recherche et de lʼinnovation.

      En 2004, « nous voulons tenir les #objectifs_de_Lisbonne / Je crois que c’est possible ; les 3 % en 2010, il faut que ce soit possible ». En 2020, la LPPR « prévoit, avant toutes choses / d’aller vers l’objectif d’un effort national de recherche atteignant 3 % du PIB ».

      En 2004, c’est « 70 milliards d’euros consacré à l’intelligence, Education et recherche. 70 milliards ! ». En 2020, c’est « un effort budgétaire supplémentaire de 25 milliards d’euros pendant les dix prochaines années, ce qui est sans précédent depuis plusieurs décennies ».

      En 2006 « Le futur projet de loi prévoit une très forte augmentation des crédits de cette agence qui pourraient atteindre 1,5 Md€ en 2010 ». En 2018, l’ANR a consacré 518M€ aux appels à projets de recherche. En 2020, Il faut « Accroître de 1 Md€ les financements compétitifs de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour être au niveau des standards internationaux »… Pour atteindre donc 1,5 Md€.

      En 2004, « il ne sert à rien d’opposer les différents types de recherche, notamment la recherche publique et la recherche privée ». En 2020, il y a « La nécessité de financer la recherche publique et de soutenir la recherche privée ».

      En 2004, il faut « mettre en place un dispositif pour clarifier la responsabilité des différentes institutions publiques de recherche ». En 2020, il faut « clarifier et d’unifier la place de ces unités dans l’ensemble des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche »

      En 2004, il faut « renforcer l’évaluation de leurs formations, de leur recherche ». En 2020, faut « une évaluation de façon harmonisée sur la totalité de leurs missions ».

      En 2004, il faut « pouvoir mener des politiques qui leur soient propres, avec leurs partenaires territoriaux ». En 2020, il faut « renforcer les politiques de site de l’ESRI et l’ancrage de chaque site dans son territoire ».

      En 2004, on discute de « La création d’un contrat de mission, intermédiaire entre contrat à durée indéterminée (CDI) et déterminée (CDD) ». En 2020, il faut un « un contrat à durée indéterminée de mission scientifique sera créé qui permettra d’allonger les contrats actuels ».

      En 2004, on voit « le pays douter de la recherche, ou douter des capacités qu’a la société à résoudre les problèmes qui lui sont actuellement posés ». En 2020, « la société française est traversée par des courants d’irrationalité et de doutes sur les progrès et les connaissances ».

      En 2004, « ce qui est préoccupant dans le développement de la Chine, c’est le développement des centres de recherche qui s’y développent ». Mais « Entre 2000 et 2016, la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’UE-28 et le Royaume-Uni ont augmenté leur DIRDA significativement plus que la France ». En 2020, donc, « il est évident que, sur de nombreux sujets, c’est uniquement à l’échelle de l’Europe que nous pouvons espérer rivaliser avec les géants de la recherche que sont les Etats-Unis et la Chine ».

      En 2004, Bernard Larrouturou était PDG du CNRS. En 2020, l’auteur du rapport annexe de la LPPR est « blarrout ».

      En 2004, le gouvernement était « dans l’impasse des retraites ». En 2020 aussi.

      En 2004, le gouvernement annonçait « des réformes qui, dès cet été, seront en place pour les 20 ans qui viennent ».

      En 2020, « Une loi de programmation est nécessaire » car « La dernière loi de programmation de la recherche est la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006. L’absence de loi de programmation de la recherche depuis cette date est sans doute un des facteurs ayant conduit à l’état des lieux détaillé ci-dessus. »

      En 2004, peut-être pouvait-on y croire. En 2020, le peut-on encore ?

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/06/18/dune-lppr-a-lautre-14-ans-de-promesses-inchangees

    • Depuis le #CNESER, point de vue sur les négociations

      par Nicolas Holszchuch, directeur de recherche INRIA, élu SGEN

      Je suis nouvellement élu au CNESER ; je n’ai pas encore terminé la première année de mon premier mandat. Je ne suis encore qu’un débutant sur cette instance,malgré mon âge avancé.

      Je me rappelle encore mon enthousiasme en étant élu ; je pensais pouvoir avoir une influence à l’échelle nationale sur la recherche française. J’étais bien naïf…
      Une instance purement consultative

      Le CNESER n’est qu’une instance consultative. Et purement consultative : même si l’ensemble du CNESER vote, unanimement, contre un texte, le ministère peut toujours passer outre. Dans les Comités Techniques, en cas de vote unanime contre (et sans abstention), la direction est obligée de revenir une semaine plus tard avec un projet différent. Cette possibilité n’existe pas pour le CNESER.

      Une autre caractéristique du CNESER est sa composition : il y a des représentants des syndicats des chercheurs et enseignants-chercheurs, des représentatns des syndicats d’étudiants (UNEF, FAGE, ANDÈS,…), mais aussi des représentants du MEDEF ou des présidents d’université (CPU). Et, ce qui est important pour le fonctionnement de l’institution, personne n’a la majorité absolue. Non seulement aucun syndicat n’a la majorité absolue, mais en plus, même si vous regroupez tous les syndicats d’opposition (disons, par exemple, une alliance Sud + CGT + SNESUP), vous n’arrivez pas à la majorité absolue. C’est pareil si on regroupe tous les syndicats de négociation (une alliance, par exemple, CFDT + UNSA + FO), il n’y a pas la majorité. Pour faire adopter un texte ou une motion, il faut nécessairement rassembler au delà de son propre camp, ce qui implique une certaine capacité de négociation et de savoir tenir compte des avis des autres. Je ne porte pas de jugement sur ce fonctionnement, mais en conséquence c’est une instance où on est souvent dans la recherche de compromis.

      Les grands centrales syndicales nationales sont bien entendu représentées (CFDT, CGT, FO, Sud…). Et pour elles, il faut aussi prendre en compte l’impact du vote sur l’ensemble des travailleurs. Un vote au CNESER, c’est une position publique du syndicat, il faut que ça soit cohérent avec la politique nationale, ou au minimum explicable au conseil fédéral. Un amendement qui propose de supprimer toute la métallurgie française et de redonner les crédits à la recherche, ça serait probablement populaire auprès de la base, mais ça passerait moyen ensuite en conseil fédéral avec le représentant des syndicats métallurgistes. C’est pareil avec un amendement qui réforme le code du travail : il faut avoir une position cohérente au niveau national. Là encore, sans porter de jugement, ça a une influence sur le fonctionnement de l’instance : il faut non seulement rassembler au delà de son propre camp, mais aussi avoir une proposition acceptable pour une large part de la société.

      Même si le ministère peut passer outre un vote négatif du CNESER, le poids médiatique d’un vote « pour » est important (comme on le voit bien depuis vendredi dernier). Pour l’obtenir, le ministère négocie aussi en amont de la réunion avec les représentants des syndicats. C’est en partie là que se joue l’importance des élections professionnelles : les syndicats sont écoutés aussi en fonction de leur poids aux élections (et les listes non-syndicales ne sont souvent pas écoutées du tout).

      Racontons maintenant le CNESER sur la LPPR…

      Une session peu ordinaire

      J’essaie de faire abstraction de l’organisation matérielle du CNESER, mais disons que ça a duré 21h, de 10h du matin à 7h du matin le lendemain et que ça n’est pas raisonnable. Je ne vais pas vous faire un : « moi conseiller du ministre, ça ne se passera pas comme ça » (d’abord parce que je ne suis pas candidat), mais quand même…

      Une fois le projet de loi dévoilé, les organisations syndicales avaient jusqu’à mardi soir pour déposer des amendements. Il y en avait au total 300, et 225 après regroupement des amendements identiques, si je me souviens bien (dont 185 déposés par la seule UNEF).

      Le CNESER étant un organe consultatif, le fonctionnement général était : d’abord on vote un amendement, et ensuite (si vote favorable), la ministre nous dit si elle compte le retenir. Si le vote est défavorable, la question ne se pose bien sûr pas. Pour ne pas influencer les débats, la ministre n’est pas censée nous dire avant le vote si elle compte retenir ou pas un amendement, même si on se doute souvent de son avis.

      Sur tous les points controversés du projet de loi : chaires de professeur junior, CDI de mission, contrats de post-doc long… les syndicats avaient déposé des amendements de suppression, c’est à dire que si l’amendement est adopté, l’article du projet de loi est supprimé. Tous ces amendements ont été adoptés à une large majorité. Mais, sans surprise, la ministre nous a informé qu’elle ne comptait pas retenir ces amendements.

      Tous les syndicats avaient préparé à l’avance des amendements de repli. L’idéal serait qu’il n’y ait pas de CDI de mission, on est d’accord. Mais comme la ministre a le ministère et la majorité pour elle à l’assemblée, il y en aura. Donc, qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça ne soit pas insupportable pour les personnes concernées ? On a voté et accepté des amendements sur la durée minimum du contrat (3 ans), sur une durée minimum de préavis avant la fin du contrat (3 mois), sur l’obligation de justifier la fin du CDI de mission, sur l’impossibilité de ré-embaucher quelqu’un d’autre tout de suite après la fin du CDI de mission pour faire le même travail… Tous ces amendements ont été proposés, souvent par plusieurs syndicats, votés et acceptés. Et — ce qui est important — la ministre s’est engagée à les retenir dans le projet de loi.

      On peut voir le verre à moitié vide : ce sont des choses tellement évidentes qu’elles auraient dû être dans le projet initial. On peut voir le verre à moitié plein : elles seront dans le projet de loi final. Le CDI de mission commence à ressembler à un CDI.

      C’est pareil avec les autres points controversés (mais je n’étais plus dans la salle au moment du vote) : amendement de suppression voté mais rejeté par la ministre, amendements de modification votés et acceptés.

      À la fin de la nuit, le CNESER a voté sur l’ensemble du projet de loi. Si j’ai bien compris, le vote porte sur le projet de loi « en supposant qu’il intègre tous les amendements que la ministre s’est engagée à retenir », pas le projet de loi initial ni (hélas) le projet de loi avec tous les amendements adoptés par le CNESER (en même temps, il ne resterait plus grand chose, dans cette hypothèse)1.

      Sur la négociation, on peut se poser la question : « est-ce qu’on a obtenu tout ce qu’on voulait ? ». La réponse est évidemment non. Mais on n’a pas non plus rien obtenu. On a obtenu pas mal de points positifs, qui auront un impact concret sur des personnes concrètes.
      Est-ce qu’on a obtenu assez pour justifier un vote pour ? Je ne le pense pas, mais je n’étais pas présent à 6h du matin au moment du vote crucial. Un négociateur se demande aussi : « est-ce qu’on a obtenu tout ce qu’on pouvait obtenir ? », et sur ce point là je penche vers l’affirmative.

      https://academia.hypotheses.org/24791

    • LPPR : 25 Md€ d’ici 2030 dont 104 M€ pour 2021 ; détail des trois programmes de la Mires impactés

      Une hausse des moyens alloués à la recherche de 23,776 Md€ sur la période 2021-2030, dont +104 M€ pour l’année 2021. Tels sont les deux principaux chiffres à retenir du titre 1er du « Projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 » qui sera présenté par le gouvernement aux membres élus et personnalités qualifiées membres du Cneser le 12/06/2020 et dont News Tank a obtenu copie le 07/06.

      Dans le détail, l’évolution cumulée des crédits de paiements, entre la loi de finances initiale 2020 et celle de 2030, des trois programmes de la #Mires concernés par l’article 2 du projet de loi doit être de :

      • +16,555 Md€ pour le programme 172 « #Recherches_scientifiques_et_technologiques_pluridisciplinaires »,
      • -1,038 Md€ pour le 193 « #Recherche_spatiale », une baisse liée à « un effort particulier et conjoncturel en 2019 et encore plus en 2020, pour rembourser la dette que [la France] avait contractée au cours des années précédentes vis-à-vis de l’#ESA » ;
      • +8,259 Md€ pour le 150 « #Formations_supérieures_et_recherche_universitaire » (hors contribution du titre 2 au compte d’affectation spéciale « pensions »).

      L’objectif est de prévoir un « #réinvestissement massif dans la #recherche_publique, dont l’effet de levier doit permettre d’aller vers l’objectif d’un #effort_national_de_recherche atteignant 3 % du PIB » et « vient consolider les outils actuels de #financement et de #pilotage de la recherche avec un #effort_budgétaire supplémentaire de 25 Md€ pendant les dix prochaines années, ce qui est sans précédent depuis plusieurs décennies ».

      La somme des crédits supplémentaires par année pour chaque programme tels qu’annoncés par le texte, et calculée par News Tank, montre toutefois une différence de 1,33 Md€ par rapport aux 25 Md€ annoncés. Interrogée sur ce point le 08/06, Frédérique Vidal indique : « les marches qui sont prévues aboutissent bien à 25 Md€, mais de la même façon qu’il va y avoir extinction de la dette de l’ESA cette année, il y a aura extinction d’autres dettes au fur et à mesure de la programmation budgétaire telle qu’elle a été faite ».

      « Le président de la République a fixé un cap, qui porterait enfin l’effort de recherche de la nation à 3 % de notre PIB », indique le rapport annexé au projet de loi, ajoutant que : « les difficultés économiques que nous traversons à la suite de la crise sanitaire rendent d’autant plus important un réinvestissement massif dans la recherche pour éviter qu’elles ne se traduisent par une forte baisse des budgets de #R&D qui obérerait durablement notre avenir ».

      L’analyse des budgets alloués à l’ANR et des mesures liées à son fonctionnement feront l’objet d’un prochain article de News Tank dédié à ce sujet.

      La #ventilation globale sur 2021-2030

      Selon l’article 2 du projet de loi, les #crédits supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale 2020 pour les programmes « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » (P172), « Recherche spatiale » (P193) et « Formations supérieures et recherche universitaire » (P150 hors contribution du titre 2 au compte d’affectation spéciale « pensions ») évolueront entre 2021 et 2030, à périmètre constant, comme suit (les colonnes 2023 à 2026 sont masquées par défaut) :

      « #Revalorisation de tous les métiers »

      « L’ensemble des moyens ainsi programmés doit permettre une revalorisation significative de tous les métiers scientifiques, qu’il s’agisse des enseignants-chercheurs, des chercheurs, des ingénieurs, des administratifs, des bibliothécaires ou des techniciens », indique l’exposé des motifs du projet de loi.

      « Cette revalorisation a vocation à porter de façon prioritaire sur les débuts de carrières des enseignants-chercheurs et des chercheurs, où apparaît le différentiel le plus net, tant avec les salaires de chercheurs observés dans d’autres grands pays scientifiques qu’avec les autres métiers publics ou privés auxquels peuvent aspirer les jeunes docteurs ».

      Évolution des #effectifs

      Selon le rapport annexé au PdL, l’incidence de la LPPR sur les effectifs sous plafond de l’État et des opérateurs des trois programmes budgétaires 150,172 et 193 est le suivant :

      92 M€ de revalorisation indemnitaire dès 2021 confirmés

      Pour faciliter les mobilités entre universités et organismes, l’objectif sera de faire converger les montants moyens de primes entre les différents types de personnels « afin de remédier à [d]es disparités historiques, mais peu justifiées aujourd’hui », indique le rapport annexe. « À cette fin, dès l’année 2021, 92 M€ supplémentaires y seront consacrés ainsi que des montants analogues les années suivantes dans le cadre de la programmation pluriannuelle de la recherche. »

      Dotation de démarrage de 10 k€

      Toujours selon le rapport annexé au projet de loi « tous les nouveaux recrutés comme chargés de recherche et maîtres de conférences se verront allouer une #dotation_de_démarrage pour lancer leurs travaux ».

      « Nous maintenons les modes de recrutement traditionnels des maîtres de conférences, chargés de recherche, concours d’agrégation et l’on y ajoute la possibilité pour tous les jeunes recrutés de bénéficier d’une #prime à l’entrée de 10 k€ pour démarrer leurs recherches, sans avoir à chercher de financements », précise Frédérique Vidal, ministre de l’Esri, le 08/06/2020.

      Trajectoire des crédits de paiement des programmes 172 (+16,555 Md€ sur dix ans)

      Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » est donc le principal bénéficiaire de l’effort budgétaire inscrit dans l’article 2 de la loi de programmation :

      Selon le rapport annexé au PdL, cette augmentation des crédits du programme 172 bénéficiera non seulement aux organismes nationaux, dont les subventions pour charges de service public sont intégrées dans ce programme, mais aussi aux universités et aux écoles « puisque la hausse des crédits de ce programme inclut notamment le fort accroissement du budget d’intervention de l’#ANR et l’augmentation des financements en faveur de l’#innovation, qui concernent l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ».

      Trajectoire des CP du programme 150 (+8,259 Md€ sur dix ans)

      Si la programmation budgétaire inscrite à l’article 2 de la LPPR inclut la totalité des crédits inscrits aux programmes 172 et 193, « elle ne concerne, pour le programme 150 “Formations supérieures et recherche universitaire”, que les incidences budgétaires des mesures de la présente loi sur ce programme ».

      Il s’agit des crédits qui financeront, dans les établissements d’enseignement supérieur sous tutelle du Mesri :

      - les #revalorisations_indemnitaires destinées aux personnels des établissements d’enseignement supérieur financés par le programme 150 ;
      – les divers dispositifs relatifs à la valorisation ou au recrutement d’#enseignants-chercheurs : revalorisation de la rémunération des #maîtres_de_conférences nouvellement recrutés, revalorisation du montant et accroissement du nombre des #contrats_doctoraux, environnement des « chaires de #professeur_junior », etc. ;
      – l’attribution de moyens aux établissements d’enseignement supérieur dans le cadre du dialogue contractuel et du dialogue stratégique et de gestion.

      « Ceci signifie notamment que les mesures budgétaires inscrites à l’article 2 de la LPPR n’incluent pas les moyens des universités dont les évolutions sont affectées par la démographie étudiante : ces moyens ne sont pas programmés dans le cadre de la LPPR, et leur évolution sera examinée chaque année dans le cadre du projet de #loi_de_finances ».

      Trajectoire des CP du programme 193 (-1,038 Md€ sur dix ans)

      Si sur le programme 193 « Recherche spatiale », la programmation budgétaire inscrite à l’article 2, en écart à la loi de finances 2020, « peut apparaître en retrait, la réalité est bien celle d’un accroissement structurel de l’investissement dans ce domaine », indique le rapport annexé au PdL.

      « La France a réalisé un effort particulier et conjoncturel en 2019 et encore plus en 2020, pour rembourser la dette qu’elle avait contractée au cours des années précédentes vis-à-vis de l’#Agence_spatiale_européenne, si bien que le montant budgétaire 2020 des crédits de ce programme est un point historiquement haut qui n’est pas réellement significatif.

      Le graphique suivant montre que, si l’on met à part les années 2019 et 2020, les crédits de ce programme sont en croissance régulière sur la période 2017-2030 ce qui témoigne de l’effort structurel de l’État pour la recherche spatiale dans la durée ».

      Des moyens complémanetaires pour les #laboratoires

      En complément des moyens budgétaires dont les évolutions sont fixées à l’article 2 de la LPPR, « les laboratoires bénéficieront également d’autres accroissements de leurs ressources », indique encore le rapport annexé au PdL :

      « En particulier, les programmes d’investissement d’avenir continueront d’apporter un soutien aux écosystèmes de l’Esri. Le gouvernement prévoit que les prochains #PIA permettent de maintenir le niveau de financements additionnels attribués aux établissements de l’Esri. Ce nouveau PIA permettra notamment de financer des #programmes_prioritaires_de_recherche et de soutenir des actions ciblées de #formation, de #recherche et d’innovation liées aux axes prioritaires qui seront retenus pour répondre aux enjeux de #transition de notre économie et de notre société.
      Les laboratoires publics bénéficieront aussi d’une augmentation sensible des #financements_européens, notamment dans le cadre du programme #Horizon_Europe et du fait des efforts de mobilisation accrus de l’ensemble des établissements de l’Esri pour accroître leur participation.
      Enfin, il est attendu que, outre l’accroissement important des financements attribués par l’ANR, les établissements publics de l’Esri continueront à augmenter leurs autres #ressources_propres mobilisées pour financer des travaux de recherche, provenant notamment des #entreprises, des #collectivités_territoriales, ou de tout autre financeur français ou étranger ».

      Concernant ce dernier point, le projet de LPPR prévoit un effort budgétaire cumulé de 7,03 Md€ sur 2021-2030, dont 149 M€ en 2021 et 293 M€ en 2022. L’analyse détaillée de l’évolution du budget alloué à l’ANR via le projet de LPPR fera l’objet d’un article de News Tank dédié.

      Atteindre 3 % du PIB pour la recherche

      À l’article 1 du PdL est approuvé « le rapport annexé à la présente loi, qui fixe les orientations relatives à la politique de recherche et les moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2021-2030 en prenant en compte l’objectif de porter les dépenses intérieures de recherche et développement des administrations et des entreprises à 3 % du produit intérieur brut au cours de la décennie suivante ».

      Selon le rapport annexé au projet de loi, « les grands espoirs que nous plaçons en la recherche et notre volonté de porter une loi ambitieuse s’inscrivent dans un contexte où l’effort de recherche global — public et privé — mesuré par le ratio entre les dépenses intérieures de R&D et le PIB :

      - avoisine 2,2 % en France ;
      – et régresse légèrement depuis plusieurs années : 2,28 % en 2014, 2,23 % en 2015, 2,22 % en 2016, 2,19 % estimés en 2017.

      Cette trajectoire éloigne la France de « l’#objectif_de_Lisbonne », fixé à 3 %. En valeur relative, la Dird française est supérieure à la moyenne de l’UE28, mais inférieure à la moyenne de l’OCDE (2,37 %).

      « L’écart entre la France et les pays les plus ambitieux en matière de R&D s’accroît : en Allemagne, l’objectif de 3 % est désormais atteint et le gouvernement a fixé une nouvelle cible à 3,5 %. Au Japon, le niveau actuel est à 3,2 % et la cible à 4,0 % ; en Corée du Sud, la Dird représente 4,5 % du PIB et la cible est à 5,0 % ».

      Un « #déficit_chronique d’investissement »

      Selon l’exposé des motifs du PdL, ce « déficit chronique d’investissement fragilise l’ensemble de notre système de recherche et a des répercussions immédiates sur les chercheurs et les enseignants-chercheurs en France : la rémunération en début de carrière des scientifiques, recrutés à partir de 1,4 Smic à l’âge moyen de 33 ou 34 ans, est inférieure de 37 % à la moyenne des pays de l’OCDE.

      Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les #carrières_scientifiques attirent de moins en moins les étudiants de sorte qu’en un peu moins de 20 ans, le nombre d’admissions en cycle doctoral est passé de près de 20 000 à 17 000 aujourd’hui ».

      Impact sur la #Dirde

      Selon le rapport annexé au PdL, la LPPR « entraînera cependant une hausse de la Dirde, car elle fait du développement de l’innovation et de l’accroissement des relations des laboratoires publics avec les entreprises une priorité majeure, et porte de nombreuses actions en ce sens.

      Qu’il s’agisse de :

      – celles qui concernent les #doctorants — notamment ceux qui préparent leurs #thèses dans le cadre d’une entreprise — et leur insertion dans les entreprises ;
      - des mesures en faveur de la création et de la croissance des #start-up, notamment les start-up de haute technologie ;
      – de l’amélioration du #transfert vers les entreprises des connaissances et des technologies ;
      – du renforcement de la #recherche_partenariale et de la mobilité entre la recherche publique et la #R&D_privée ;
      – de la mobilisation des acteurs français, publics et privés, dans les programmes de recherche et d’innovation européens ;
      – ou, sur le moyen et long terme, indirectement, de l’accroissement de l’#attractivité et du #rayonnement de la recherche publique française : toutes ces actions, articulées avec celles qui seront menées dans le cadre du #Pacte_productif, des #programmes_d’investissement_d’avenir et par #Bpifrance, contribueront à l’accroissement de la Dirde ».

      CIR : un outil « central »

      Selon le rapport annexé au PdL, « cet effort est particulièrement bienvenu dans le contexte actuel de sortie progressive de crise sanitaire. En effet, la mauvaise conjoncture économique à venir dans les prochains mois pourrait se traduire par une baisse significative du financement privé de la R&D ce qui fragiliserait pour les prochaines années notre potentiel de croissance économique.

      Au-delà des mesures déjà citées, le #CIR (#crédit_impôt_recherche) constituera pendant cette période un outil central de soutien à la Dirde. La dépense fiscale sera amenée à croître afin d’accompagner le réinvestissement des entreprises dans la recherche aussi bien que l’emploi des jeunes chercheurs dans le secteur marchand afin de contribuer à la reprise de l’activité économique ».

      https://education.newstank.fr/fr/tour/news/185191/lppr-25-md-ici-2030-104-2021-detail-trois-programmes-mires-impact
      #budget

    • La loi de programmation de la recherche (LPPR) est tout le contraire de ce que nous voulons

      « Les chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses sont devenus des chercheur·ses d’argent », déplorent trois représentants syndicaux. Face à la précarisation des chercheurs et à la généralisation des recherches de court terme, elles et ils refusent l’austérité imposée par la LPPR et formulent un ensemble de propositions pour le financement de la recherche, « un choix de société ».

      La Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est tout le contraire de ce que nous voulons : un enseignement supérieur et une recherche au service de toutes et tous avec des moyens humains et matériels garantis et pérennes.

      La violence de la crise sanitaire et l’impact économique et social du confinement révèlent la vulnérabilité de sociétés qui reposent sur un capitalisme mondialisé, mis en œuvre par des politiques néolibérales. Depuis maintenant bien trop longtemps, ces politiques se sont employées à soutenir les marchés et la rentabilité des entreprises sans se soucier de l’impact de leur production sur l’emploi et les besoins des populations. Elles conduisent au désengagement de l’État en matière d’orientation de l’économie, de cohésion sociale et de protection des populations. La crise sans précédent que nous traversons montre à quel point un service public fort est indispensable pour maintenir le cap dans la tempête. L’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) n’échappe pas à ce constat. L’ESR a besoin d’un vrai service public national avec des actrices et des acteurs ayant les moyens de travailler sur le long terme en toute indépendance des pouvoirs politiques et économiques. Nous avons vu les limites d’une recherche sur appel à projet, des chercheur·es ayant dû arrêter par le passé leurs recherches sur les coronavirus faute de moyens. Des conflits d’intérêts entre chercheur·ses et des grandes entreprises dans les domaines pharmaceutiques sont apparus à la faveur des recherches thérapeutiques contre la COVID-19. La période que nous traversons souligne l’importance des Comités d’Hygiène, de Sécurité et de Conditions de travail (CHSCT). Leur intervention a permis dans beaucoup d’établissements de protéger les travailleur·ses, que ce soit en améliorant sensiblement l’évaluation des risques et l’organisation du travail, ou à défaut en empêchant les sites de ré-ouvrir dans des conditions dangereuses... Ce sont pourtant ces instances précieuses que la loi Dussopt sur la Fonction Publique entend supprimer.

      Dans ce contexte, nous aurions pu espérer un sursaut de prise de conscience de l’impasse où nous conduisent ces politiques de la part du pouvoir en place, donnant aux personnels du service public de l’ESR des moyens permettant d’assurer leur travail et aux étudiant.es, des conditions de vie et d’études satisfaisantes. Mais la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) annoncée par Mme Vidal accélère au contraire la destruction de ce service public. Dénoncée par les personnels et les étudiant·es mobilisés contre ce projet de loi, la LPPR ne répond non seulement à aucun des enjeux faute de moyens suffisants, mais pire elle accentuerait les défauts du système actuel, notamment en renforçant la précarité des personnels comme du financement des unités et des établissements. Cette loi ne revient pas non plus sur la limitation d’accès aux études supérieures (ParcourSup et hausse des droits d’inscription), la réduction de l’offre de formation, qui accélèrent la marchandisation des savoirs.

      La recherche et l’enseignement supérieur sont malades de l’austérité que subit la Fonction Publique depuis des décennies, mais aussi malades de la succession des lois de démantèlement, marchandisation et désengagement de l’état (Pacte pour la recherche, lois LRU 1& 2, RCE, loi ORE…) ; malades également du management néolibéral, qui promeut toujours plus de compétition avec comme corollaire toujours plus de bureaucratie.

      Les chercheur·ses et enseignant·es-chercheur·ses de la Fonction Publique sont devenus des chercheur·ses d’argent, contraints à travailler toujours davantage sur des recherches de court terme financées par appel à projets générateur d’embauches de précaires sous-payés et largement exploités en lieu et place de recrutement sur postes pérennes. Le travail des personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs et techniques (BIATSS et IT) se réduit trop souvent à former ces jeunes précaires qui se succèdent rapidement faute de perspectives, sans plus aucune implication intellectuelle dans les projets développés. À la perte d’avancées scientifiques faute de financement à long terme, à la déstabilisation des équipes liée à un turn-over accru du personnel et à la mise à mal de l’indépendance de la recherche publique, s’ajoutent une perte de sens et une généralisation de la souffrance au travail. À bien des égards, le diagnostic est proche de celui fait par nos collègues des hôpitaux. Le néolibéralisme tue le service public à petit feu.

      Pour la FERC CGT, il s’agit d’abord de rompre avec l’austérité en donnant enfin des moyens, matériels, financiers et en personnels, au système. Mais, il faut aussi un changement complet de paradigme pour une production de connaissance scientifique et un partage du savoir qui soient à la hauteur des enjeux sociaux et écologiques auxquels nous devrons répondre dans les années qui viennent. La FERC CGT met sur la table un certain nombre de propositions pour exiger la mise en place d’une autre politique :

      Le statut de fonctionnaire est la garantie de l’indépendance des personnels de l’ESR, vis-à-vis des pouvoirs économiques, mais aussi du pouvoir politique. Nous revendiquons que l’emploi statutaire passe par l’embauche de fonctionnaires. La FERC CGT est donc opposée à la généralisation de la précarité, avec notamment les CDI de mission ou des CDD « tenure track » prévus dans la LPPR. Pour cette même raison, la loi de la Transformation de la Fonction Publique qui organise le démantèlement du statut de fonctionnaire et des droits des salariés avec la suppression des CHSCT et des CAP doit être abrogée.

      Les personnels de l’ESR sont très largement sous-payés par rapport à ceux des autres pays de l’OCDE, mais aussi en deçà du reste de la Fonction Publique d’État à niveau de qualification équivalente. Le ministère propose des primes au mérite pour rattraper ce retard. Ces primes ne sont pas la solution, car distribuées de manière différenciée, elles augmenteraient la compétition entre les agent·es et génèreraient un climat délétère sans régler le problème de fond. Pour la FERC CGT, il faut revaloriser les salaires et les carrières, cette revalorisation doit s’accompagner d’une augmentation de 18 % du point d’indice, ce qui correspond à la perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires depuis 2000. Les salaires des fonctionnaires sont devenus miséreux à cause du gel du point d’indice ! Nous le répétons, la FERC CGT est contre le morcellement des 3 Fonctions publiques et n’acceptera pas des différences dans la valeur du point d’indice, selon qu’il s’agisse de la Fonction publique d’État, de la Fonction publique territoriale, de la Fonction publique hospitalière.

      L’emploi statutaire s’érode depuis des années avec une explosion concomitante de la précarité. Après l’échec de la loi Sauvadet dans l’ESR, nous revendiquons un vaste plan de titularisation de tous les précaires actuellement employés sur emplois pérennes. En 2017, la France comptait 23.618 enseignant·es-chercheur·ses (EC), 5116 chercheur·ses, et 31.675 BIATSS ou IT contractuel·les précaires employés sur missions permanentes. Ce plan de titularisation ne suffira pas à lui seul à compenser les suppressions d’emplois dans la recherche et le retour d’un taux d’encadrement des étudiant·es acceptable. De la même façon, les personnels des CROUS, maillon essentiel à l’accueil et accompagnement des populations étudiantes doivent relever du statut de fonctionnaire et il est donc essentiel de lancer une campagne de concours de titularisation conforme aux engagements pris par l’État. La FERC CGT propose un plan de titularisation des personnels précaires et la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de création d’emplois de fonctionnaires dans tous les corps. Il faut au moins l’équivalent de 70.000 emplois titulaires à temps plein supplémentaires sur 4 ans.

      La recherche contractualisée en mode projet nous conduit droit dans le mur. Fondée sur le court terme (projets à 3-4 ans) et des « livrables » prédéfinis, elle limite le développement d’une libre recherche, suivant sur du long terme toutes les pistes possibles. Elle est aussi un véritable gaspillage de temps et d’argent. Si l’on tient compte du temps passé pour monter les projets, les évaluer et en assurer le suivi organisationnel, les frais de gestion du projet s’élèvent à près de 50% de son montant total : 2,3 Mds € sont ainsi perdus en pure perte, au prétexte de ne donner des moyens qu’à des soi-disant « excellents », et en ayant créé de toutes pièces un mille-feuille administratif et bureaucratique. La FERC CGT revendique la suppression de l’ANR, des initiatives d’excellence, ainsi que du Crédit Impôt Recherche (CIR) et propose à l’inverse la redistribution des moyens aux unités et établissements sous forme de dotations pérennes. Les budgets d’État des CROUS doivent être augmentés et pérennes, et les CROUS doivent disposer d’une rallonge financière d’urgence de 230 M€ de crédits d’État au moins.

      Les personnels souffrent de logiques managériales. Ces logiques libérales usent les personnels, provoquent une perte du sens du travail et empêchent la réalisation des missions de service public. La FERC CGT est pour la suppression de l’HCERES et demande le retour des prérogatives du CoNRS et de la CNU. Elle s’oppose à l’évaluation individuelle des EC dont le renforcement est prévu dans la LPPR. Nous sommes aussi pour mettre un terme aux fusions et autres ré-organisations d’universités qui ne font qu’accentuer les inégalités sur le territoire et préparent la marchandisation de grandes « universités de recherche ». La FERC-CGT demande le renforcement des organismes nationaux de recherche et des universités dans leurs missions de développement des connaissances dans toutes les disciplines.

      Nous devons reconstruire un service public de la publication scientifique. L’édition scientifique a été préemptée par des grands groupes privés qui génèrent des profits importants (plus de 20% de marge) sur le dos des scientifiques et de nos impôts. Ce système alimenté par le management selon le « publish or perish » a fait exploser le nombre de publications, mais aussi le nombre de fraudes scientifiques. Nos publications et données doivent redevenir gratuites et accessibles à toutes et tous.

      L’enseignement à l’université doit être repensé, pour lui restituer ce qui en fait un système riche et original de « formation à et par la recherche », de formation à l’esprit critique et à la citoyenneté. Le statut des enseignant·es du supérieur doit rester un statut d’enseignant·e-chercheur·se et la formation dispensée doit rester adossée à la recherche à tous les niveaux ou cycles de formation. Elle doit également contribuer au développement et à la diffusion des connaissances pour l’ensemble de la société. Des moyens pérennes (financiers et humains) sont nécessaires pour cela. La FERC CGT dénonce aussi la tentative de généralisation de l’enseignement à distance, avec l’université « dématérialisée », sans contact humain et sans expérience du collectif, que Mme Vidal voudrait mettre en place pour la rentrée 2020. Le Lien pédagogique assuré durant le confinement grâce à l’implication exceptionnelle des personnels est forcément un pis-aller qui ne permet pas les interactions directes étudiant·es-enseignant·es qui sont irremplaçables. Les classes virtuelles ne sauraient en effet remplacer l’indispensable socialisation estudiantine qui se noue sur les bancs des universités (amphithéâtre, groupes de travaux dirigés…). Comment former des étudiant·es qu’on ne connait pas ? Comment savoir leur degré d’implication ? Comment éviter la sélection sociale, que ce soit par l’accès privilégié aux ressources numériques, l’accès au logement étudiant décent ? Quelle va être la situation pour les enseignant·es et les étudiant·es qui se retrouvent isolés et dépassés par cette « nouvelle » pédagogie ? Comment faire face à un métier qui exige et se nourrit du contact direct et des échanges avec pour objectif l’acquisition de l’autonomie, de la méthodologie et de l’esprit critique dans l’acquisition des savoirs. Le télé-enseignement et plus généralement le travail à domicile doivent demeurer l’exception et non la règle.

      Les étudiants doivent avoir les moyens d’étudier dans de bonnes conditions. La FERC CGT est pour la création d’un véritable service public du logement étudiant, de restauration universitaire et du service social pour la vie étudiante, avec des moyens renforcés pour les CROUS. Vivement opposés à toute hausse des frais d’inscription, nous proposons aussi la suppression des frais d’inscription, qui ne représentent qu’une part infime du budget des universités. L’université publique comme l’école doit être gratuite et accessible à toutes et tous.

      Toutes ces mesures ont un coût, mais les moyens existent. C’est un choix de société. Avec la mise en œuvre de ce plan alternatif ambitieux, l’investissement dans la recherche publique dépasserait à peine les 1% du PIB et l’investissement global dans la recherche serait encore très loin des 3% préconisés par l’Union Européenne. Par ailleurs, la remise à plat de tout le millefeuille bureaucratique de la recherche sur appels à projets (ANR : 672 M€, PIA3, 1 Mds € en 2019) et la suppression du CIR (6 Mds €) qui a démontré son inefficacité, ainsi que le redéploiement des crédits du Service National Universel permettraient de débloquer des moyens.

      Ces propositions sont largement incompatibles avec le projet de loi actuel. Nous demandons l’abandon du projet de LPPR, l’allocation de moyens à la hauteur des besoins du service public d’ESR, et l’ouverture de vraies négociations avec les organisations syndicales sur la base des revendications largement partagées par les personnels de l’ESR. Les propositions que nous faisons sont de nature à libérer les acteurs de l’ESR des contraintes bureaucratiques dans lequel le néolibéralisme les a enfermés, pour produire plus de connaissances scientifiques à travers une recherche de qualité et les partager le plus sereinement possible au plus grand nombre d’étudiants au sein de l’université et participer à l’essor et l’avenir de la société.

      En conclusion, le courrier de Madame Vidal aux membres de la communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ne dit en réalité qu’une chose : malgré le rejet massif de la communauté scientifique, le gouvernement entend continuer et même aggraver la politique mise en œuvre depuis des années à l’encontre du service public national de l’ESR.

      Pour faire face aux enjeux sociaux et environnementaux, nous avons plus que jamais besoin d’une recherche de qualité et de citoyens formés par un enseignement supérieur public correctement financé. C’est le sens de nos propositions, que nous mettons en débat.

      Signataires :

      Cendrine Berger (Secrétaire de la CGT FERC Sup) ;
      Hendrik Davi (Secrétaire de la CGT INRAE) ;
      Josiane Tack (Secrétaire du SNTRS-CGT).

      https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/240620/la-loi-de-programmation-de-la-recherche-lppr-est-tout-le-contraire-d

    • Une université ouverte, combien ça coûte ?

      Après des mois de refus de mettre en discussion le contenu de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche (ESR) entend la faire voter à marche forcée. Nous présentons ici les revendications chiffrées des Facs et Labos en Lutte. Elles correspondent largement à l’avis du Coneil Economique, Social et Environnemental, très défavorable à la LPPR.

      Le projet de loi présenté aux élu·es du Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER, le 18 juin 2020) confirme son manque d’ambition budgétaire et, surtout, poursuit une logique néolibérale de l’ESR fondée sur la précarisation des ressources financières (recherche en mode projet) et des personnels (Chaires de professeur junior, CDD Tenure Track, CDI de mission).

      La future loi prévoit ainsi une augmentation du budget de l’ANR (Agence nationale de la recherche) et le maintien des dispositifs renforçant la concentration des moyens sur une minorité d’unités et de chercheur·ses, comme les initiatives d’excellence, alors même que la crise sanitaire a montré les graves limites de ce modèle, qui a empêché la poursuite de recherches sur les coronavirus en coupant les financements récurrents.
      Ensuite, la création de CDI de mission et de CDD de type Tenure Track en lieu et place du recrutement de fonctionnaires ne feront qu’accroître la précarité. La possibilité de recruter jusqu’à 25% du flux annuel de directeur·trices de recherche et de professeur·es sous cette forme menace à terme l’existence même des statuts de maitre·sses de conférence et de chargé·es de Recherche.
      Par ailleurs, les annonces budgétaires prévues dans la loi sont très en deçà des promesses faites par le président de la République, et encore plus des besoins réels, si l’on prend en compte l’augmentation du nombre d’étudiant·es (+30 000/an) et le volume de recherche nécessaire pour répondre aux enjeux sociaux, de santé et de connaissance. Au mieux, le gouvernement propose une croissance équivalente à celles des années précédentes, et l’essentiel des promesses budgétaires porte sur les gouvernements futurs, qui ne seront nullement engagés par la loi.

      Une augmentation massive des effectifs de fonctionnaires est nécessaire dès à présent du fait de l’accroissement du nombre d’étudiant·es, pour une meilleure qualité d’enseignement et pour mettre en oeuvre les mesures de distanciation physique, tout en maintenant les activités de recherche.

      Contre la marchandisation des savoirs et face aux crises écologiques, sociales et sanitaires, nous exigeons toujours le retrait de ce projet de loi. Par ailleurs, nous proposons un contre-projet défendant les ressources collectives de la production des connaissances qui consiste en un plan massif de titularisation et de création d’emplois statutaires, et qui assure un revenu garanti pour les étudiant·es et une redistribution plus égalitaire des moyens fondé·es sur deux principes :

      l’emploi de fonctionnaires pour résorber la précarité et assurer l’indépendance des chercheur·ses dans la poursuite de leurs travaux sur le temps long ;
      des dotations pérennes aux unités de recherche, à la hauteur des enjeux.

      Sur la base de ces revendications portées par les organisations syndicales et les travaux d’une commission du comité de mobilisation, qui s’est réunie lors des coordinations nationales de la recherche de février et mars 2020, voici les différents éléments de chiffrage à même de constituer la base d’un véritable projet alternatif.
      Une hausse des budgets

      En France, l’ensemble des activités de recherche et développement (R&D), dans les domaines public et privé, atteint 2,19 % du PIB en 2017. C’est en-deçà de l’objectif de l’UE, fixé à 3% dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 », ainsi que de l’objectif français établi par la stratégie nationale de la recherche (SNR). Ce chiffre place la France à la 5ème et avant-dernière place des six pays de l’OCDE les plus importants en termes de volume de dépense intérieure de recherche et développement (DIRD). Dans le projet de loi de Finance 2020, le budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) était de 25,5 Milliards d’euros. De nombreuses estimations basées sur le PIB ont souvent été mises en avant par les organisations syndicales : 1% pour la recherche publique civile, 2% pour l’enseignement supérieur par exemple. Cependant, si ces estimations sont intéressantes pour donner des ordres de grandeur, elles ont plusieurs défauts : elles ne prennent pas en compte la nécessaire décroissance de la production de certains biens ou services pour réduire notre impact écologique – ce qui peut aller de pair avec une réduction du PIB ; elles ne se sont pas révélées robustes ni dans le contexte de crise économique de 2008, ni dans celui de la crise sanitaire d’aujourd’hui. Ici, nous préférons donc mettre en avant une autre démarche qui parte des besoins dans la recherche et l’enseignement supérieur. Nous listons donc une série de propositions qui doivent être mises en place dans les 5 ans à venir avec les budgets correspondants. Certaines de ces revendications ne concernent pas directement le MESRI (comme le revenu étudiant), mais toute la politique gouvernementale.

      Titularisation de tou·tes les précaires sur fonctions pérennes

      Les personnels au statut précaire occupant des fonctions pérennes représentent une ressource considérable et permanente étant donné les besoins non satisfaits de l’ESR ; cela a encore été démontré lors de la crise sanitaire de la COVID-19. En 2017, la France comptait 23 618 enseignant·es-chercheur·ses non permanent·es, 19 901 agents contractuel·les hors enseignant·es employé·es sur missions permanentes. Il y avait 5 116 chercheur·ses non permanent·es et 11 774 Ingénieur·es et personnel·les Techniques de Recherche et de Formation (ITRF) contractuel·les sur missions permanentes. Tou·tes ces agents sont déjà payé·es en grande partie par des crédits publics, souvent dans le cadre de projets financés par l’ANR, les régions, l’Europe ou les initiatives d’excellence. La titularisation de tou·tes ces précaires ne correspond pas à une augmentation budgétaire nette, mais, à terme, elle présente un coût, car ces précaires sont évidemment moins bien payé·es que les titulaires. Pour estimer le différentiel, il suffit d’utiliser les coûts salariaux donnés pour les appels à projet. Nous avons pris en première approximation pour les enseignant·es-chercheur·ses et les chargé·es de recherche (CR), le coût des CDD CR et pour les Ingénieur·es et technicien·nes qui peuvent avoir des rémunérations très variées, celui des CDD IE2. Notons que ce plan de titularisation ne tient pas totalement compte des heures supplémentaires des maître·sses de conférences et du travail des 130 000 vacataires.
      Mise en place d’un plan pluriannuel de création d’emplois pérennes

      Le SNESUP revendique le recrutement de 6 000 enseignant·es-chercheur·ses par an, pendant 5 ans. Sachant que selon les projections, il y aura 350 000 étudiant·es de plus en 2025, le ratio enseignant·es/étudiant·es passerait ainsi de 35 à 41/ 1000 étudiant·es. En 2019, le Comité National de la Recherche Scientifique déclarait qu’il fallait recruter, en plus de la compensation des départs, 3 000 chercheur·ses et 2 000 BIATOSS (personnel·les de bibliothèque, ingénieur·es, administratif·ves, techniques, ouvrier·es de service, sociaux·les et de santé) par an au CNRS. Lors de son congrès de 2019 la CGT INRAE estimait qu’il fallait un recrutement de 300 chercheur·ses- ingénieur·es et 600 technicien·nes. Pour les autres EPST (Etablissements publics à caractère scientifique et technologique), nous avons extrapolé les chiffres du CNRS.
      Augmenter le financement de l’université par étudiant·e et garantir un revenu étudiant

      Notre projet inclut aussi un plan de lutte contre la précarité étudiante. Nous demandons l’annulation des baisses de budget des CROUS et autres coupes budgétaires nuisant à l’activité d’enseignement ou d’étude. Notre plan est motivé par une exigence d’égalité entre tou·tes les étudiant·es. En 2017, la dépense moyenne par étudiant·e était de 12 820 euros, alors qu’elle est de 15 760 euros pour un·e élève de CPGE. Si l’on veut atteindre une dépense moyenne par étudiant·e équivalente pour la totalité des 2,6 millions d’étudiant·es, 7,6 Mds € sont nécessaires, auxquels il faut retrancher les mesures précédentes qui augmentent déjà cette dépense (revalorisation salariale, résorption de la précarité et plan pluriannuel d’emplois). Ces moyens supplémentaires doivent être fléchés essentiellement vers la licence et vers les universités laissées pour compte des politiques dites d’excellence, alors qu’elles accueillent des publics moins bien dotés économiquement que les classes préparatoires, les grandes écoles et les universités lauréates d’une Idex (Initiative d’excellence). Par ailleurs, il est urgent de garantir le droit au logement en augmentant le nombre de places dans les Cités Universitaires, en baissant les loyers et en revalorisant les bourses et en mettant en place un revenu étudiant. C’est l’ensemble de ces mesures qui garantira la réussite de tou·tes ! Il est aussi nécessaire de supprimer tous les frais afférents aux démarches administratives demandées aux étudiant·es étranger·es.
      Une meilleure répartition des moyens

      Les chercheur·ses doivent cesser d’être chercheur·ses de moyens et doivent pouvoir se concentrer sur la recherche scientifique. Pour cela, il faut remettre à plat tout le millefeuille indigeste et bureaucratique de la recherche sur appels à Projets (AAP) : suppression de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR : 672 M€), des Initiatives d’excellence (PIA3, 1 Md € en 2019) et du Crédit Impôt Recherche (CIR : 6 Mds €). Si l’on tient compte du temps passé pour monter les projets, les évaluer et assurer le suivi organisationnel de ces projets, le coût réel d’un projet (montage et mise en œuvre) équivaut à près de 150% du montant alloué pour ce projet. La recherche sur contrat étant financée à hauteur de 4,6 Mds €, ce sont donc 2,3 Mds € dépensés en pure perte pour des raisons bureaucratiques, au prétexte de ne donner des moyens qu’aux prétendument excellent·es.

      Si l’on raisonne sur les frais de fonctionnement (hors salaires et immeubles), les dotations de fonctionnement des tutelles (universités + EPST) représenteraient actuellement environ 21% du financement total contre 79% pour les AAP. Il faut donc revenir à des dotations pérennes. Une bonne estimation consiste à diviser le budget actuel de fonctionnement des unités par le nombre d’agents présent·es. Un travail de ce type fait dans un grand nombre d’unités serait utile pour estimer les dotations pérennes requises par discipline. À titre d’exemple, pour l’INRAE, une première estimation était de 14 000 euros par an et par agent présent·e dans l’unité. Ce nouveau mode de redistribution des crédits permettrait un rééquilibrage entre les crédits récurrents et les ressources sur contrat, qui devraient être limitées à l’acquisition de grands équipements ou de nouveaux projets d’ampleur décidés collectivement. Cette revendication va de pair avec la suppression de l’ANR et des primes au mérite, les EPST et les universités pouvant recouvrer toutes leurs prérogatives quant à l’usage des ressources sur projets. Mais pour éviter un retour au mandarinat, cette revendication doit s’accompagner d’un fonctionnement plus démocratique des unités avec plus de transparence dans la répartition des budgets dans les équipes (avec une AG financière annuelle avec bilans et projets, des comptes rendus mensuels pour toute l’équipe de la répartition budgétaire, vote en AG des règles de répartition budgétaire, etc.).

      La Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), rendue publique la semaine dernière, est aussi destructrice pour le service public de l’ESR que nous ne le craignions depuis le début de notre mobilisation en décembre 2019. Nous continuerons autant que nécessaire à nous mobiliser pour que le gouvernement retire ce projet qui va totalement à l’encontre des nécessités que la crise sanitaire a largement révélées, à savoir un service public de l’enseignement et de la recherche, gratuit et ouvert, des recherches bénéficiant de financement d’État pérennes, sur le long terme, et menées avec des personnels titulaires et correctement rémunérés.

      https://universiteouverte.org/2020/06/25/une-universite-ouverte-combien-ca-coute
      #coût #prix #budget #titularisation

    • Message de la CGT Université de Grenoble du 01.07.2020 :

      Après la séance du CNESER qui s’est tenue dans des conditions déplorables (séance nocturne 20 heures durant, refus de l’administration de le reporter, vote à 6h45 du matin), après le rejet par le Conseil supérieur de la Fonction publique d’État (CSFPE : contre : CGT, FO, FSU, pour : UNSA, abstention : CFDT), et après le vote de l’avis au Conseil économique et social environnemental (CESE : 92 votant·es, 81 pour l’avis et 11 abstentions) , très critique contre le projet de loi, après le boycott du premier CT-MESR, le Comité technique du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (CT-MESR) du 25 juin 2020 vote contre le projet de « Loi de programmation pluriannuelle de la recherche » (LPPR) : 7 contre (CGT, FSU, FO, SUD), 5 pour (SNPTES, UNSA) et 3 abstentions (CFDT).

    • L’Université à bout de souffle

      Après la loi ORE en 2018, le décret « Bienvenue en France » et l’augmentation des frais d’inscription pour une partie des étudiants étrangers hors-UE en 2019, l’année universitaire qui vient de s’achever a vu une nouvelle réforme menacer les principes fondateurs de l’Université française. Le projet de loi LPPR, ou Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, est un texte qui propose, en principe, une évolution du budget de la recherche jusqu’en 2030. Dans les faits, la LPPR s’accompagne également de plusieurs mesures vivement contestées par la communauté scientifique : des « CDI de mission » (contrats appelés à se terminer à la fin d’un projet de recherche), des tenures tracks (recrutement accru de professeurs assistants temporaires), ou encore le renforcement d’un système de financement de la recherche basé sur des appels à projets et des évaluations prospectives.

      Maître de conférence, chercheur en Études cinématographiques à l’Université Paris Sorbonne Nouvelle depuis 2006 et codirecteur du Master Cinéma et Audiovisuel depuis 2019, Antoine Gaudin est en première ligne face à cette nouvelle mesure qui menace le monde, déjà fragile, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons voulu nous entretenir longuement avec lui pour faire le point sur les conséquences de la LPPR sur son travail, sur les dernières réformes du quinquennat Macron à l’encontre de l’Université, mais aussi sur les formes possibles de contestation.

      Avant d’entrer dans le vif du sujet, il serait intéressant de commencer par évoquer les différents statuts que l’on peut trouver dans l’enseignement supérieur : Professeur, Maître de conférences, chargé de cours, BIATSS, etc. Tout ceci n’est pas forcément évident pour qui n’aurait pas un pied à l’université. Comment s’organise et se répartit le travail dans l’enseignement supérieur ?

      C’est bien de commencer par là, car le problème avec les réformes de l’Université, c’est que personne, à l’extérieur, ne semble les comprendre. Le fonctionnement des universités n’est pourtant pas si opaque, mais les médias grand public s’en désintéressent, parce qu’ils jugent cela trop compliqué pour leur public, pour lequel ils n’ont pas une grande considération. Pour résumer, derrière le terme générique de « profs », se cache un certain nombre de statuts. Il y a d’abord les titulaires, c’est-à-dire ceux qui occupent un emploi statutaire : Professeurs et Maîtres de conférences. Maître de conférences est le premier grade d’enseignant-chercheur titulaire. On y accède au niveau bac+8, après avoir rédigé et soutenu avec succès une thèse de doctorat de plusieurs centaines de pages, être devenu expert dans un ou plusieurs champs, et avoir obtenu une qualification de la part du CNU (Conseil National des Universités) sur la base d’une production conséquente et régulière d’articles et de conférences scientifiques ; le tout, en donnant plusieurs centaines d’heures de cours sous des contrats précaires et mal payés, et en s’impliquant, souvent à titre gratuit, dans des tâches d’organisation de la recherche, sur un grand nombre d’années pendant et après la thèse.

      Cela suffit-il pour être recruté ?

      Loin de là. Si l’on a fait tout cela et si on a un talent reconnu, une grosse force de travail, un bon réseau et de la chance, on sera peut-être recruté un jour, à un âge compris entre trente et quarante ans, et parfois même plus tard, sur un des rares postes mis au concours, face à une centaine de candidats d’un niveau comparable. Une fois en poste, on continuera à travailler au moins 50 heures par semaine toute l’année (même hors des périodes de cours), souvent soirs et week-ends compris, pour mener de front activités de recherche, activités d’enseignement et activités administratives – ces dernières étant de plus en plus nombreuses et chronophages au fur et à mesure que la situation des universités se détériore. La fonction de Professeur est assez similaire à celle de Maître de Conférences, c’est simplement le grade au-dessus, avec la différence qu’à ce niveau on dirige des thèses de doctorat. On y accède en moyenne au bout de 10 ou 20 ans de Maîtrise de conférences, après avoir passé un nouveau diplôme, l’HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) et un nouveau concours de recrutement.

      Ça, c’est pour les titulaires, mais la majeure partie des enseignants-chercheurs de l’Université française sont en réalité des précaires…

      En effet, les universités ne pourraient aujourd’hui pas fonctionner sans la vaste cohorte des enseignants non-titulaires : contractuels en CDD (ATER, PRAG, PAST, PRCE), et surtout chargés de cours payés à l’heure, pour la plupart des doctorants ou docteurs bac+8 qui sont engagés au petit bonheur la chance selon les besoins des formations, sans garantie de reconduction d’une année à l’autre ou d’un semestre à l’autre, qui ne bénéficient d’aucun contrat digne de ce nom et d’aucune couverture sociale, qui sont payés en dessous du SMIC horaire si on prend en compte le total de leurs heures de travail, et qui ne touchent leur argent que plusieurs mois après la fin de leurs prestations. Du fait de l’asphyxie budgétaire des universités, la plupart des cours dispensés aux étudiants de Licence le sont ainsi aujourd’hui par des personnes fragilisées socialement, dépensant parfois en billets de train pour rejoindre une université lointaine tout ce qu’elles y gagnent en y donnant cours, obligées de recourir à des petits boulots alimentaires pour survivre, et même pour avoir simplement le droit d’enseigner, car l’Université ne paie pas de charges sociales sur leurs contrats et exige qu’ils soient employés ailleurs. Je connais ainsi des gens qui sont bac+8 et qui, pour avoir le droit d’enseigner à l’Université, sont agents d’entretiens, caissiers, travaillent dans des pressings, etc. Des métiers éminemment utiles et respectables, mais qui ne correspondent pas à leurs compétences et à leurs qualifications. Rappelons qu’en parallèle de cet investissement passionnel, voire sacrificiel, dans l’enseignement, un grand nombre de chargés de cours contribuent gratuitement à la recherche française, en assurant tant bien que mal une production scientifique, par intérêt pour cette activité, mais aussi afin de continuer à exister dans le milieu universitaire, et ainsi nourrir l’espoir de faire un jour parti des rares heureux élus qui décrocheront un poste de Maître de conférences. Du fait de la rareté des postes de MCF mis au concours, ce dernier statut est aujourd’hui vu comme le Graal, c’est-à-dire comme un privilège, alors qu’il devrait simplement être une norme pour les travailleurs de l’Université.

      La réalité de l’Université française aujourd’hui, c’est cela : un système d’exploitation généralisé, qui s’étend également à la situation des personnels techniques et administratifs, les BIATSS, dont les missions sont tout aussi essentielles au bon fonctionnement logistique des établissements. Eux aussi sont en sous-effectif et en surcharge quasiment partout. Faute de budget suffisant pour des CDI pérennes, ils sont le plus souvent recrutés sur des postes temporaires et sous-payés. Cela les empêche de s’inscrire dans la durée sur lesdits postes, ce qui entraîne un important turn-over, avec tout le gâchis de compétences et tous les dysfonctionnements qui accompagnent chaque transition, et qui, évidemment, impactent négativement les étudiants. À tous les niveaux de ce système, on retrouve donc surcharge, pénurie, sous-rémunération et souffrance au travail. Même les plus « privilégiés » en apparence, les Maîtres de conférences et les Professeurs, en pâtissent. Le nombre de postes de MCF mis au concours a chuté de 40 % ces quinze dernières années, alors que le nombre d’étudiants accueillis par l’Université ne cesse d’augmenter. Leur rémunération est de 40 % inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE, ce qui veut dire que la France est, parmi les pays développés, un de ceux qui traitent le plus mal ses enseignants-chercheurs. Comme ces derniers sont les seuls à pouvoir occuper certaines fonctions d’encadrement administratif, qu’ils sont de moins en moins nombreux pour les assurer, et que lesdites tâches sont de plus en plus chronophages tout en étant assorties de décharges horaires absolument ridicules, les enseignants-chercheurs titulaires se retrouvent souvent dans l’impossibilité matérielle de remplir à bien toutes leurs missions, notamment celles pour lesquelles ils sont recrutés, à savoir l’accompagnement pédagogique des étudiants et la production de recherche.

      Justement, la spécificité des enseignants du supérieur, par rapport à ceux du primaire et du secondaire, c’est d’être aussi des chercheurs. Quelle est la situation du côté de la recherche française ?

      Il faut en effet rappeler que les universités ne sont pas seulement des lieux d’enseignement, mais également des lieux de recherche, les deux activités se nourrissant mutuellement. C’est pourquoi nos cours, notamment, changent continuellement, car ils sont en permanence nourris ou réactualisés d’éléments nouveaux issus de nos activités de chercheurs. Cette relation d’enrichissement mutuel entre l’enseignement et la recherche est au cœur du principe de l’Université, elle définit sa fonction première dans une société développée. Or aujourd’hui, quel que soit notre statut, la recherche est devenue un luxe, une activité pour laquelle il faut apprendre à « voler du temps », sur la charge pédagogico-administrative devenue de plus en plus lourde, ou bien, le plus souvent, sur la vie privée et les congés. Beaucoup de collègues n’arrivent même plus à assurer convenablement leur veille scientifique, c’est-à-dire le fait de lire les publications qui paraissent dans un champ donné dont ils sont experts, alors qu’il s’agit de l’activité de base d’un chercheur pour rester à niveau dans son champ. La recherche est également devenue une activité plus difficile à exercer parce qu’elle coûte souvent de l’argent – par exemple quand il s’agit de mener une expérience, d’utiliser du matériel coûteux, d’organiser ou de se rendre à des colloques scientifiques dans d’autres villes ou d’autres pays, etc. Or les financements récurrents ont fondu comme neige au soleil, l’État français étant très loin de tenir ses engagements internationaux de 1 % du PIB alloués à la recherche publique. Cela n’empêche pas les gouvernements successifs de clamer l’importance que la recherche aurait pour eux. Il est vrai que ces déclarations ne leur coûtent pas cher, puisqu’elles ne sont jamais suivies des actes. Au contraire, la recherche n’a jamais été aussi abandonnée par les pouvoirs publics. Les seuls laboratoires qui parviennent aujourd’hui à faire convenablement de la recherche sont ceux qui ont obtenu des financements supplémentaires en passant par des appels à projet, qui sont des procédures très coûteuses en temps, et très sélectives : moins de 20 % des projets présentés à l’ANR, l’Agence Nationale de la Recherche, débouchent sur un financement. Cela veut dire qu’une partie importante des chercheurs français, au lieu d’effectuer leurs recherches et d’en faire profiter la société, passent leurs temps à chercher… de l’argent, et à n’en pas trouver – donc, tout s’arrête là.

      Au-delà de sa sélectivité, le financement de la recherche par les appels à projets est également critiqué pour ses effets sur la recherche elle-même…

      En effet, cette concentration des ressources sur les quelques laboratoires ayant triomphé dans les appels à projets est à l’origine de plusieurs problèmes. D’abord, une logique de concurrence entre les labos qui, au lieu de coopérer pour avancer ensemble sur un sujet, se font la guerre pour devenir les « meilleurs » et obtenir les subsides. Ensuite, une logique d’opportunisme, puisque la prime va souvent aux projets « dans l’air du temps », au détriment de la recherche fondamentale au long cours. Enfin une intensification du népotisme, puisque dans l’examen des projets et la sélection de ceux qui auront le droit de se développer, les relations interpersonnelles et la réputation des différentes équipes prennent souvent le pas sur l’expertise objective. Tout cela est complètement contraire à ce qu’il faudrait pour le développement d’une recherche française forte et innovante. Or, en ne se basant que sur les financements récurrents, un laboratoire ne peut plus fournir à ses chercheurs les moyens nécessaires pour assurer convenablement leurs missions et produire leurs résultats.

      Je prends brièvement mon exemple personnel, pour que ce soit plus parlant. Pour un des derniers colloques internationaux auxquels je me suis rendu, en tant que spécialiste du domaine traité, j’ai dû financer en partie mon voyage et, sur place, dormir sur le canapé d’une amie, car mon labo m’avait déjà payé un autre déplacement international la même année, j’avais donc épuisé mon « crédit ». Mon prochain livre, sur mon autre champ de spécialité, si je veux le publier chez un éditeur universitaire, il va falloir que j’y aille de ma poche à hauteur de 1000 ou 2000 euros, parce que mon labo n’a pas les ressources pour m’aider. Du coup, il est possible que j’y renonce, et que je passe par un éditeur commercial, qui va sans doute m’imposer certaines contraintes de vulgarisation, allant dans le sens de l’atténuation d’une recherche avancée par définition moins accessible au grand public. Dans les deux cas, on parle de champs dans lesquels mon expertise est attestée, ce que je me permets de préciser pour dire que je n’y débarque pas de façon intempestive, au petit bonheur la chance. Quand je vais à l’étranger pour un colloque, c’est pour faire connaître mes travaux et connaître ceux des chercheurs venus d’autres pays, ce qui m’est essentiel ; ce n’est pas pour faire du tourisme, comme si c’était un luxe ou un privilège dont il ne faudrait pas abuser. Dans quel autre métier doit-on ainsi assumer soi-même, sur son argent personnel, ses frais de mission et de fonctionnement ? Difficile, dans ces conditions, pour un chercheur français, de « rayonner » internationalement, comme nos dirigeants ne cessent pourtant de nous enjoindre à le faire.

      Cette situation de pénurie des ressources résulte directement des différentes réformes ayant eu lieu ces quinze dernières années. Et après, nos gouvernants s’étonnent que la recherche française soit en décrochage au niveau international, alors qu’ils ont créé et maintenu toutes les conditions pour qu’elle le soit. Le plus absurde, c’est lorsqu’ils proposent, comme aujourd’hui, d’y remédier en appliquant les mêmes recettes qui ont conduit à ce décrochage. Comme s’ils pensaient qu’en intensifiant leurs logiques managériales nocives, cela finira un jour, magiquement, par fonctionner. C’est ce qui se passe actuellement avec le projet de loi LPPR.

      Cette réforme arrive donc à un moment où l’Université publique ne semble pas dans un très bon état.

      Elle se trouve dans un état catastrophique. Il s’agit d’un service public sinistré, où les conditions de vie et de travail se sont considérablement dégradées : classes de TD surchargées dans lesquelles les étudiants s’entassent, parfois sans y trouver assez de chaises, et au mépris des consignes de sécurité incendie, faute de locaux et de recrutements d’enseignants suffisants (les classes à 50 étudiants dans des salles où il est en théorie interdit d’être à plus de 40 sont aujourd’hui notre lot quotidien) ; matériel de cours défectueux et impossible à remplacer, faute de budget suffisant (en cinéma-audiovisuel, si le vidéoprojecteur de la salle donne une image verdâtre au premier cours, on sait qu’on l’aura tout le semestre, sauf si l’on amène en cours son propre matériel de projection) ; nombreux dysfonctionnements techniques, pédagogiques et administratifs, dont les étudiants se plaignent quotidiennement, et dont ils nous rendent responsables, alors qu’ils sont directement dus au sous-effectif et au sous-équipement ; insalubrité et pénurie dans les lieux de vie, faute de recrutements suffisants de personnel qualifié pour les maintenir (par exemple, des toilettes sans papier et sans savon, même en plein Covid) ; etc.

      Pourquoi cette dégradation en particulier sur les quinze dernières années ? Quelle était l’inspiration des précédentes réformes ?

      Depuis une quinzaine d’années, l’Université a connu une épuisante avalanche de réformes (lois LRU / Pécresse, Fioraso, ORE / Parcoursup, etc.), qui ont lessivé les personnels, lesquels ont dû à chaque fois réadapter toutes leurs procédures, et qui sont toutes allées dans le même sens : celui d’un new public management d’inspiration néolibérale, qui entend assécher les budgets des services publics, et leur imposer les critères de fonctionnement d’une entreprise privée : « flexibilité », c’est-à-dire précarisation maximale des salariés ; concurrence, c’est-à-dire que les financements normaux ou les conditions de travail normales ne sont plus qu’un privilège accordé aux « meilleurs » (ou jugés comme tels) ; et « rentabilité » économique, c’est-à-dire principe des économies de bout-de-ficelle à tous les étages érigé en loi générale de fonctionnement. Car lorsqu’on dit que l’idée, c’est d’aller de plus en plus vers la logique de fonctionnement d’une entreprise privée, il faudrait ajouter, pour être plus exact : d’une entreprise « privée » de moyens. Car les budgets des établissements ont gravement chuté, en conséquence directe de ces réformes, notamment celles de la fin des années 2000, qui ont instauré « l’autonomie » des Universités.

      En quoi consistait cette « autonomie » des Universités ?

      Cette question permet de souligner un autre point commun entre toutes les récentes réformes que je viens d’évoquer. C’est le fait qu’elles ont systématiquement été accompagnées d’une novlangue ronflante qui dissimulait aux non-avertis leur caractère punitif. Qui ne voudrait pas être autonome ? Mais le mot-magique « autonomie » signifiait en fait : asphyxie budgétaire, désengagement continu de l’État, universités livrées pieds et poings liés, sans moyens, à une logique de marché. D’où le gel des postes mis au concours et des rémunérations, d’où le sous-encadrement humain et matériel érigé en principe de fonctionnement, par des établissements qui ont quasiment tous des comptes dans le rouge. Aujourd’hui, en France, les universités ne cherchent plus à assurer un bon niveau de service public, elles cherchent seulement à éviter la faillite en faisant des économies par tous les moyens.

      On arriverait donc à un point de confrontation aigu entre les principes fondamentaux des services publics et l’agenda d’un pouvoir néolibéral.

      À défaut de pouvoir complètement détruire un service public, l’idéologie néolibérale commande en effet de toujours atteindre le point le plus dégradé où il « fonctionne quand même à peu près », c’est-à-dire où il ne coule pas complètement, avec le moins de budget possible. Le but n’est donc plus d’assurer une bonne mission de service public, mais de faire faire des économies à un État qui, lui, peut ainsi distribuer ses faveurs aux grandes fortunes et aux grandes entreprises du pays. Ces dernières sont de leur côté fantasmées comme des modèles de développement harmonieux et efficace, dont les principes devraient valoir dans tous les secteurs, et comme les garants de la prospérité nationale, selon la fameuse théorie du « ruissellement », qui promet que l’enrichissement des plus riches bénéficiera in fine à tous. Évidemment, cette théorie ne fonctionne pas du tout, puisqu’elle n’a eu qu’un seul effet visible sur les quarante dernières années, celui de renforcer les inégalités sociales. Les milliardaires français ont vu leurs revenus et leurs patrimoines exploser, tandis que de l’autre côté de l’échelle sociale, le sentiment de précarité et d’insécurité a augmenté pour une large partie des Français.

      Mais cela va au-delà des privilèges toujours plus grands accordés à une petite catégorie de possédants au détriment de l’ensemble de la population. Dans les attaques continues dont ils sont l’objet, ce qui est perdu, c’est la nature même de ce que sont les services publics, c’est-à-dire des biens communs, une richesse collective, dont tout le monde devrait pouvoir profiter dans une société. L’erreur fondamentale du discours des néolibéraux sur le caractère coûteux des services publics, c’est d’occulter tout ce que ces derniers peuvent faire gagner au pays, dès lors qu’ils sont dignement financés et fonctionnent correctement. Et cela, non seulement en vertu d’idéaux humanistes de partage, de solidarité, de lien social, de savoir et de connaissance, dont on sait que les dirigeants néolibéraux n’ont que faire. Non, même au niveau économique, on peut y gagner, car une population sécurisée, ayant accès quasi-gratuitement à des biens publics fondamentaux qui fournissent des prestations satisfaisantes en termes de santé, d’éducation, c’est aussi une population qui a plus de latitude pour consommer et pour investir, et donc pour faire tourner l’économie. Mais pour s’en rendre compte, il faudrait sortir du paradigme néolibéral érigé en incarnation de la raison et de la « nécessité », et se rendre compte, collectivement, que d’autres solutions sont possibles pour arbitrer les dépenses et les recettes d’un État et pour réguler le fonctionnement du marché capitaliste – dans la perspective keynésienne que je viens de décrire à gros traits, par exemple.

      Tu parlais à l’instant d’une « novlangue » enrobant les réformes anti-sociales, j’imagine que le récent décret « Bienvenue en France », une des dernières réformes tombées ces dernières années, en constitue un exemple saillant.

      Je n’en vois pas de plus révélateur, à vrai dire. À partir du moment où vous avez au pouvoir des gens qui nomment « Bienvenue en France » une mesure ouvertement xénophobe, une mesure qui multiplie par quinze (!) les frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Union Européenne, sans que cette hausse, délirante, ne soit assortie d’aucun avantage par rapport à leurs camarades étudiants français ou européens (ce qui constitue d’ailleurs un cas de discrimination de l’accès à un service public basée sur l’origine géographique), à partir du moment où vous avez au pouvoir des gens qui tordent le langage pour lui faire signifier tout simplement l’inverse ce qui est, vous n’êtes pas simplement face à la pratique de l’enrobage flatteur constituant le support traditionnel de la communication politique. À ce niveau-là, vous avez basculé dans un au-delà de la raison, que l’on appelle parfois post-vérité, que des responsables politiques de haut rang devraient s’interdire d’utiliser, et que des médias critiques et indépendants devraient dénoncer, étant donné le danger qu’il représente pour la démocratie.

      Abordons à présent frontalement la question de la LPPR (Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche). Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur cette réforme en cours ? En quoi consiste-t-elle précisément ?

      Il s’agit d’abord d’une attaque en règle contre l’enseignement universitaire. Le projet prévoit la suppression d’un quart environ des postes de Maître de conférences titulaire, déjà beaucoup trop rares, pour y substituer de nouveaux contrats précaires à durée déterminée : « CDI (sic) de mission » et tenure tracks. « À l’américaine », puisque les dirigeants français ont une certaine propension à importer ce qui se fait de pire dans les autres pays : au moment même où nous allons l’adopter, le système des tenure tracks est ainsi dénoncé massivement dans les pays qui l’ont expérimenté avant nous. Certes, certains de ces contrats précaires présenteront des caractéristiques qui peuvent passer pour des avantages pour leurs bénéficiaires – comme le fait de pouvoir être recruté sans qualification par le CNU (Conseil National des Universités) et de pouvoir diriger des recherches de thèses sans passer par l’habilitation qui l’autorise –, mais ils iront alors, sur ces points, à l’encontre des fondements de la vie universitaire, et notamment du principe des procédures d’évaluation et de recrutement par les pairs. Il s’agit donc d’une attaque énorme contre le statut des enseignants-chercheurs, qui est leur protection et la garantie de leur indépendance. Mais surtout, ce qui va découler de ces nouveaux contrats temporaires venant se substituer aux postes permanents, c’est une nouvelle augmentation de la proportion déjà proéminente des précaires, aux situations sociales souvent alarmantes, parmi les enseignants et les chercheurs. Cela va dans le sens d’une contractualisation toujours plus grande à l’intérieur de la fonction publique, signe d’une politique globale d’importation des méthodes de management du privé. Pour les personnes compétentes en attente de poste, l’âge moyen d’une éventuelle titularisation passerait de 35 ans à 42 ou 43 ans. Sans parler de tous ceux qui sortiront du système sans poste à cet âge-là… Quant aux titulaires, étant toujours moins nombreux, ils seront encore plus accablés par les heures supplémentaires d’enseignement et par les incontournables tâches d’encadrement administratif qui deviennent déjà, pour certains d’entre eux, l’essentiel de leur métier, au détriment de leurs missions d’enseignement et de recherche.

      Justement, il y a aussi un volet recherche dans la LPPR. Qu’en est-il de ce côté ?

      En effet, la LPPR est également une attaque en règle contre la recherche, par le fait qu’elle prévoit l’intensification de la logique du financement sur projets. Au lieu de garantir à toutes les équipes de recherche un financement régulier leur permettant de mener leurs projets et de produire des résultats, l’idée est de développer encore plus le système dans lequel on n’obtient un financement qu’après y avoir candidaté, dans un processus coûteux en temps et en énergie, où la plupart des projets sont rejetés. Encore plus qu’avant, les recherches seront évaluées et financièrement récompensées, non sur leurs résultats effectifs, mais sur leurs promesses de résultats. Encore plus qu’avant, les chercheurs passeront une grande partie de leur temps et de leur énergie à monter des projets qui, finalement, ne seront pas financés, et ne donneront donc lieu à aucun résultat. Encore plus qu’avant, à cause du développement des postes précaires, on va priver les chercheurs du temps long nécessaire à une recherche de qualité. Encore plus qu’avant, on privilégiera les projets que l’on estime immédiatement « rentables » à court-terme, dans des directions industrielles que l’État va en partie fixer lui-même, au détriment de la recherche fondamentale menée de façon indépendante par les chercheurs. Pourtant, l’histoire de nos sociétés nous a montré que la recherche fondamentale était celle qui aboutissait aux travaux les plus solides, aux découvertes les plus significatives, et in fine à la contribution la plus importante à la richesse économique et culturelle d’une nation. Bref, le projet LPPR va à l’encontre des principes de base de la recherche, qui se développe par collégialité et non par concurrence, sur le temps long et non dans la courte-vue, de façon indépendante et non pilotée par des intérêts extérieurs.

      Rappelons que l’on aurait sans doute beaucoup mieux maîtrisé l’émergence du virus Covid si les laboratoires qui travaillaient dessus avant l’épidémie avaient pu poursuivre leurs travaux, jugés « non-rentables » à l’époque, au lieu de les interrompre faute de crédits. Ce seul exemple devrait, dans le contexte actuel, suffire à mettre en lumière l’absurdité de cette idéologie de la rentabilité à court terme, fondée sur la course au profit et sur la précarité matérielle et intellectuelle érigées en principes. La recherche n’est pas une compétition sportive « darwinienne » dans laquelle il faut s’éliminer les uns les autres. La recherche, c’est une aventure collective, qui se nourrit avant tout de coopération : si un labo A progresse sur tel sujet de recherche, c’est à partir des travaux d’un labo B, qui lui-même a amélioré ses résultats grâce aux contre-études d’un labo C, etc. Ainsi, à la fin, tout le monde y gagne : les labos, et au-delà, l’ensemble de la société, bénéficient de ces travaux. À l’inverse, une mise en concurrence des labos pour obtenir les moyens de travailler, cela revient à ne permettre qu’à un seul des trois labos, A, B ou C, d’avancer significativement, et tout seul, sans l’apport de ce qu’auraient pu produire les deux autres qui restent à quai. Cela permet de souligner que les chercheurs ne sont pas opposés, par principe, à la concurrence et à l’évaluation. Ces dernières font partie du métier, mais il faut savoir où les placer. La concurrence, ce doit être de l’émulation entre labos qui ont des moyens comparables et suffisants, et qui vont chercher à s’illustrer en produisant les meilleurs travaux possibles, afin de compter dans leurs champs respectifs. On pourrait parler d’une compétition symbolique, ou de prestige, prenant en compte les travaux finis. Mais une « concurrence » pour obtenir les moyens de fonctionner normalement sur la base d’esquisses des travaux futurs est délétère et éminemment improductive. Nous ne sommes pas non plus, par principe, contre l’évaluation : un chercheur passe sa vie professionnelle à être évalué par ses pairs, avec un impact direct sur le déroulement de sa carrière. Mais l’évaluation-sanction avant travaux pour décider quelles recherches vont avoir le droit ou non d’exister, cela ne doit jamais devenir la base d’un système de financement.

      Ajoutons que la logique du financement sur projets, qui consiste à évaluer les recherches avant qu’elles ne se fassent sur la base de leurs « promesses » de résultats rapides, établies sur des « priorités » qui sont souvent fixées par l’ingérence du politique et de l’industriel, fait peser un certain risque sur les libertés académiques. L’idée de renforcer l’intervention stratégique de l’État dans ce domaine, et d’augmenter la recherche sur fonds privés vont dans ce sens, et promettent une concentration sur la recherche appliquée, ce qui fait peser une lourde menace sur l’ensemble des sciences humaines et sociales en particulier, dont les productions n’ont pas vocation à fournir des débouchés immédiatement rentables pour l’industrie.

      Recherche, enseignement… Ce que l’on comprend de ces explications, c’est que la LPPR ne semble pas être promulguée pour le bien de l’Université ?

      Si les promoteurs de cette réforme prétendent faire le bien de l’Université, c’est soit de la stupidité, soit de la malhonnêteté. Cela traduit dans tous les cas une absence d’écoute envers ce que leur disent aujourd’hui la quasi-totalité des gens qui y travaillent, et une absence de considération pour le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui sont très préoccupantes de la part de responsables politiques. Pourtant, ces derniers feraient mieux d’écouter les acteurs de terrain, car ce qu’ils veulent imposer par la LPPR ne va tout simplement pas fonctionner : les étudiants seront encore moins bien accueillis et encadrés, tandis que la recherche française va encore plus décrocher. La bêtise de nos dirigeants néolibéraux, ici, éclate au grand jour, car même si l’on s’accordait sur la vision réactionnaire qu’ils ont de l’Université-entreprise, les mesures qu’ils entendent imposer sans concertation aboutiront automatiquement à un échec, y compris sur leurs propres critères de « réussite », comme le redressement de la production quantitative de la recherche française, ou l’attractivité de la France pour les chercheurs et les étudiants étrangers. En somme, ils sont « contre-performants » non seulement du point de vue d’une vision humaniste et digne de l’Université, mais également sur leurs propres critères, strictement « économistes », de réussite et d’efficacité.

      N’y a-t-il pas certains aspects positifs, comme le plan d’investissement annoncé par le gouvernement en accompagnement de la LPPR ?

      En réalité, « l’investissement massif » dont on entend parler est dérisoire, bien en-dessous des engagements européens de la France, et de loin inférieur au minimum vital qui permettrait d’assurer un fonctionnement digne au service public de l’Université. Si on prend en compte l’inflation, on peut même dire que cette réforme ne s’accompagne en fait d’aucune amélioration au niveau budgétaire. Au niveau des moyens, ce sera au mieux le statu quo, au pire une nouvelle régression. Il en va de même des promesses de revalorisation salariale pour les titulaires. D’une part, parce que les revalorisations indiciaires, c’est-à-dire intégrées au traitement de base, ne doivent s’appliquer qu’aux débuts de carrière, ce qui a été jugé anticonstitutionnel par le Conseil d’Etat. D’autre part, parce que les revalorisations, lorsqu’elles ne se présentent que sous forme de primes, comme cela est prévu, nourrissent la course à la surcharge et au surmenage, que nous ne cessons de dénoncer, au détriment de la qualité de vie et de travail des personnels. De toute façon, l’enveloppe budgétaire annoncée pour ces « revalorisations » est inférieure à 100 millions, alors qu’il faudrait 2 milliards pour simplement remettre la France au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE… Donc, je crois qu’il faut vraiment relativiser cet effet d’annonce, d’autant plus qu’il n’est, pour l’essentiel, qu’une promesse n’ayant aucun aspect contraignant sur les prochains budgets de l’État, ce qui signifie qu’on n’en verra probablement jamais la couleur.

      Au-delà de son contenu, la LPPR crée actuellement la controverse à cause de sa procédure d’adoption. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ? Pouvait-on s’attendre à ce que le projet de loi revienne aussi vite, juste après le déconfinement et alors que les les universités sont encore fermées au public ?

      Pendant les trois premiers mois de 2020 s’est mise en place une contestation massive de la LPPR, au niveau des enseignants/chercheurs, des personnels et des étudiants, couplée à la contestation de la réforme des retraites, puisque les deux projets relevaient de la même visée idéologique et impactaient aussi violemment qu’injustement toute la communauté. Durant ces trois mois, le mécontentement de la part du monde universitaire a pu prendre d’innombrables formes : manifestations, assemblées générales, tribunes, pétitions, motions, interventions médiatiques, vidéos explicatives, etc. Ce mouvement, qui battait son plein, a été bien sûr interrompu par la pandémie de Covid-19 et par le confinement général de la population. Par esprit de solidarité, les enseignants-chercheurs se sont alors concentrés sur le fonctionnement à distance des cours, des évaluations, des activités de recherche et d’administration. Ils ont notamment renoncé aux actions les plus offensives qu’ils préparaient pour lutter contre la LPPR, comme la rétention des notes du semestre et la démission des fonctions administratives qu’ils assurent quasi-bénévolement, auxquelles ils s’étaient résolus de recourir à cause de la surdité totale du ministère. Et alors que le semestre se boucle, que tout le monde est épuisé par une gestion à distance de la fin d’année très coûteuse en énergie, alors que les notes du semestre viennent d’être enregistrées, nous privant d’un de nos principaux moyens d’action, voici que le gouvernement ressort du chapeau sa LPPR, assortie d’un calendrier d’adoption à marche forcée au moment des vacances d’été, alors même que les principaux concernés, les enseignants et les étudiants, sont toujours privés du droit de se réunir sur leurs lieux d’activité afin de coordonner leur mouvement de contestation.

      Dans ce processus, tout est arraché par la violence. D’abord, l’étude d’impact fournie en précipitation par le ministère a été grossièrement manipulée afin de promouvoir le projet de loi. Ensuite, lors de la réunion du CNESER qui devait examiner le texte de loi avant son passage en Conseil des ministres, le ministère a imposé une séance marathon de vingt heures, au bout de laquelle le texte a été voté de justesse, en l’absence d’un grand nombre de responsables syndicaux qui avaient dû quitter l’assemblée pour attraper leurs trains de retour. Le ministère a misé sur un douteux système de procurations afin d’avoir quand même le quorum permettant le vote, et a refusé une nouvelle séance qui aurait permis d’étudier l’intégralité des amendements, dont un tiers seulement a pu être examiné avant que l’ensemble du texte ne soit voté en faisant fi des réserves exprimées sur plusieurs de ses aspects-clés. Bref, cela s’appelle un passage en force, comme au temps de la réforme qui a installé Parcoursup, et qui s’est faite en toute illégalité, les différentes étapes étant mises en place avant même le vote de la loi au Parlement, de sorte qu’il était ensuite impossible de revenir en arrière. Bref, nos dirigeants n’hésitent pas à recourir à tous les moyens, même les plus irréguliers, pour arracher l’adoption de cette loi de programmation de la recherche, à un moment où la pandémie n’est pas terminée et où les Français ont bien d’autres chats à fouetter.

      Peux-tu nous donner des nouvelles du front ? Comment s’organise actuellement la contestation contre cette réforme, avec l’impossibilité de se réunir ? Que va-t-il se passer à la rentrée, avec le risque que les universités demeurent encore fermées à l’automne à cause d’un éventuel regain de la pandémie de Covid-19 ?

      L’accablement et la colère sont à leur comble aujourd’hui dans la communauté universitaire. Les derniers sceptiques, qui avaient encore l’illusion que l’actuel gouvernement pouvait œuvrer pour le bien de cette dernière, comprennent désormais que nous avons en lui, non un allié, mais un adversaire, et que la LPPR n’est pas une réforme pour l’Université, mais une réforme contre elle. La confiance est donc totalement rompue. Sur le fond de la réforme, à part une infime minorité de ravis de la crèche qui, par naïveté, prennent pour argent comptant les déclarations mensongères de la ministre Mme Vidal, ou qui s’imaginent qu’ils pourraient tirer les marrons du feu dans le nouveau système, tout le monde est d’accord pour dire qu’il s’agit d’une catastrophe. Actuellement, les débats chez les enseignants-chercheurs ne portent pas sur le fait de savoir si oui ou non la LPPR est une bonne chose, mais bien plutôt sur les modalités de la mobilisation contre elle. Et c’est là que se situe l’enjeu pour la rentrée, car si tout le monde est d’accord pour dire que la LPPR est un désastre, tout le monde n’est pas prêt à aller dans le sens d’une mobilisation musclée contre elle. Cela, malgré le constat que toutes les formes de mobilisation douces employées durant l’hiver n’ont eu absolument aucun résultat, du fait de l’absence totale de considération et de concertation avec laquelle le gouvernement fonce, tête baissée, dans son projet absurde et contraire à l’intérêt général. Or, face à un pouvoir irresponsable qui ne comprend rien, n’apprend rien, n’écoute pas et ne négocie pas, la mobilisation musclée devient le dernier recours.

      Comment expliquer ces hésitations par rapport aux formes plus offensives de mobilisation ? De quoi s’agirait-il, d’ailleurs ?

      Si l’épidémie ne reprend pas et qu’un nouveau confinement n’est pas à l’ordre du jour, il faudrait d’abord refuser en bloc la rentrée autrement qu’en présentiel. Les cours donnés par écran interposé sont un pis-aller insupportable et inefficace, qui impacte très durement les enseignants comme les étudiants, il n’est pas normal d’y avoir recours alors que toutes les autres activités sociales reprennent. On peut supposer que le gouvernement souhaite couper l’herbe sous le pied du mouvement de contestation universitaire : lorsque tout le monde est cantonné chez soi, c’est tout de même bien plus facile d’atteindre cet objectif. Mais si on considère que tout rouvre, jusqu’aux transports urbains et aux boîtes de nuit, le « traitement de faveur » reçu par l’Université n’est plus tenable politiquement.

      Dans tous les cas, il s’agirait de dire : pas de retrait, pas de rentrée. Et d’interrompre toutes les activités de l’Université, tous les cours notamment, mais également nos charges administratives et nos activités de recherche, tant que nous n’aurons pas obtenu l’ouverture d’un dialogue digne de ce nom avec nos responsables politiques. Avec l’idée d’aller vers des facs mortes et un semestre blanc, sans délivrance de notes, si le gouvernement s’obstine dans sa voie autoritaire et butée. Ce serait évidemment une décision difficile à prendre, car nous aimons tous notre métier, et la prise en charge des étudiants est notre première préoccupation. Nous nous mettrions alors dans une situation où nous souffririons nous-mêmes considérablement. Hélas, les signaux envoyés par le pouvoir sont assez clairs : ce dernier n’est plus dans la rationalité, mais dans l’idéologie. Nous avons épuisé toutes les ressources du dialogue argumenté et sommes désormais contraints, acculés, à durcir le ton. Provoquer collectivement une perturbation majeure de notre service public, qui impacte provisoirement ses missions et ses usagers, sera sans doute le seul moyen d’être entendus, convenablement couverts par les médias, et d’avoir une chance d’éviter, pour les prochaines années, la nouvelle dégradation générale des universités qui suivra automatiquement la LPPR si elle est adoptée. Car on peut considérer que c’est cela, agir politiquement en tant que citoyens responsables : instaurer un rapport de force en relation avec l’attaque subie, afin de préserver les intérêts fondamentaux d’un service public ou d’une société. Être un citoyen responsable, c’est prendre la responsabilité de devenir le contre-pouvoir quand tous les autres ont lâché. Ce n’est pas laisser un pouvoir politique autoritaire et en roue libre faire n’importe quoi sous prétexte qu’il a été élu.

      Pour résister, la mobilisation devra donc être musclée et largement partagée. Mais cela n’est pas gagné, car chez les enseignants-chercheurs, beaucoup de personnes ont des résistances mentales vis-à-vis de cela : certains ont en horreur l’idée même de mobilisation ou de perturbation temporaire du service, d’autres pensent que ce n’est pas leur rôle d’intervenir politiquement pour aller contre un gouvernement élu, etc. Quelle Université veut-on, et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour la défendre ? Est-il plus important d’assurer « normalement » le semestre, ou bien d’envoyer un message clair de résistance face à la nouvelle avanie qui se profile et qui nous impactera des années durant ? Les prochains mois nous le diront.

      On comprend bien l’impact qu’aurait la LPPR sur les conditions de travail des enseignants et des personnels administratifs, ainsi que sur la recherche. Et on comprend aussi que les étudiants étrangers hors-UE vont être priés de passer à la caisse à cause de « Bienvenue en France ! ». Mais les étudiants français pourraient se dire que tout cela les concerne assez peu. Quel sera l’impact de la LPPR pour eux spécifiquement ?

      Si la LPPR va en effet impacter au premier chef les travailleurs de l’Université, les étudiants en seront les victimes indirectes immédiates. Ils bénéficieront d’un encadrement encore plus dégradé, opéré par des enseignants surchargés, pour la plupart précaires, c’est-à-dire empêchés de s’inscrire dans la durée. Le turn-over toujours plus important des enseignants et des personnels administratifs entraînera un facteur supplémentaire affectant la cohérence et la continuité dans les offres de formation. Les étudiants en difficulté seront encore plus largués qu’avant, car il sera encore moins possible pour les enseignants de les accompagner convenablement durant leurs parcours. Quant à l’avenir, les universités seront tellement exsangues au niveau budgétaire que cela ouvre la voie à plusieurs évolutions. Faisons ici un peu d’anticipation. La première évolution possible serait la diminution des effectifs étudiants, qui permettrait aux universités de fonctionner malgré la pénurie de personnels. On en a déjà un peu pris le chemin avec la loi ORE de 2018, aussi nommée Parcoursup, qui a instauré le principe de la sélection à l’entrée de l’Université. Avec la fin d’un accès de droit à l’Université pour tous les bacheliers, on laisse un certain nombre de jeunes gens sur le carreau, en les empêchant d’accéder à un niveau d’études dans lequel ils auraient pu éventuellement se révéler. L’autre solution, pour pouvoir continuer à accueillir l’essentiel d’une classe d’âge chaque année, ce serait l’augmentation du coût des études, c’est-à-dire des frais d’inscription, afin de permettre aux universités devenues « autonomes » d’opérer les recrutements indispensables à un fonctionnement à peu près normal. On sait d’ailleurs, grâce aux MacronLeaks, que c’est globalement cela, le projet à terme, et que la multiplication par quinze des frais d’inscription des étudiants étrangers n’est qu’une façon d’amener ce qui sera sans doute la prochaine grande réforme de l’Université, si jamais la LPPR passe, c’est-à-dire la même hausse des frais d’inscription pour l’ensemble des étudiants. La plupart devront donc souscrire des emprunts bancaires pour faire face au coût de leurs études, ce qui signifie qu’ils passeront plusieurs années, au début de leur vie professionnelle, à rembourser un crédit.

      Bref, l’enseignement supérieur va sans doute à terme se transformer complètement en marché, et les étudiants en entrepreneurs d’eux-mêmes, dans un univers concurrentiel qui les forcera à rationaliser leurs parcours (adieu l’idée de se réorienter, de chercher sa voie, de se cultiver avant tout), afin d’être immédiatement « employables » dans la grande machine économique, et donc de ne pas trop pâtir de leur dette à rembourser. L’idée de l’Université, non seulement comme espace d’apprentissage et d’insertion professionnelle, mais surtout comme espace pour former des citoyens conscients, critiques et émancipés, prendrait alors un nouveau plomb dans l’aile. Quand bien même ce très probable scénario-catastrophe serait finalement abandonné au profit d’une plus grande sélection à l’entrée des facs, ou bien au profit d’une dégradation continue des conditions d’accueil et d’accompagnement, la LPPR nous fait foncer tête baissée vers une nouvelle remise en cause de l’accès à tous à des études gratuites de qualité. Si j’étais étudiant, je m’en inquiéterais et je refuserais cette perspective qui, associée aux réformes des retraites et de l’assurance-chômage, notamment, prépare un avenir bien sombre, où l’autonomie vis-à-vis des mécanismes tout-puissants du marché sera fortement réduite. Ce monde que nos dirigeants politiques sont en train de mettre en place pour eux, il faut que les étudiants disent maintenant, nettement et massivement, s’ils l’acceptent ou le refusent. Après, ce sera trop tard, car hélas on ne revient quasiment jamais sur des réformes de régression sociale une fois qu’elles ont été adoptées.

      Pour revenir sur la mission de formation des esprits qu’assure l’Université, très récemment, Emmanuel Macron jugeait les chercheurs coupables d’avoir « cassé la République en deux » à partir du moment où ils se sont mis à souligner les inégalités et les systèmes de domination qui sévissent dans nos sociétés. Des disciplines telles que la sociologie et les cultural studies sont pointées du doigt comme étant coupables des problèmes qu’elles soulèvent dans leurs recherches. Serait-il donc aussi question d’affaiblir les champs universitaires dont les recherches ne flatteraient pas l’unité et l’orgueil de la « République » ?

      Cette déclaration lunaire n’est peut-être qu’une petite phrase échappée au détour d’une interview. Mais elle est inquiétante par ce qu’elle révèle : d’une part de la méconnaissance totale du sujet abordé, c’est-à-dire de la réalité des fractures sociales et culturelles et de leur traitement par les enseignants-chercheurs spécialisés sur ces questions, d’autre part de la vision d’une Université qui serait dépendante du pouvoir politique et qui devrait œuvrer à consolider l’illusoire contrat social instauré par un gouvernement en place. Par ailleurs, l’idée que des chercheurs engagés en cultural studies auraient fait main basse sur l’Université française est un fantasme, surtout quand on compare avec d’autres pays. Le fait que certains de ces chercheurs produisent une recherche militante, ce qui leur est souvent reproché, n’est un problème en soi que si ladite recherche témoigne d’un irrespect des procédures intellectuelles et scientifiques qui assurent la viabilité du discours. On rappelle au passage à ceux qui trouveraient étrange le concept de recherche militante qu’il n’existe de toute façon pas de recherche totalement neutre et objective : le simple fait d’étudier un phénomène implique des choix, d’instruments de mesure, de méthodes, de corpus, de problématique, d’hypothèses, qui sont toujours des choix qui engagent et portent une position dans l’espace public. Enfin, contrairement au fantasme exprimé par notre président, les productions des enseignants-chercheurs qu’il met en cause sont loin d’être des dogmes intangibles que l’Université se serait mise à transmettre massivement et unilatéralement à ses publics. Ce sont au contraire des productions nouvelles qui posent des problèmes, qui sont discutées sur de nombreux points, parfois même contestées aux niveaux intellectuel et théorique, comme c’est l’usage au sein de cet espace critique de recherche et de confrontation d’idées qu’on appelle l’Université. Le fait que certains sujets, comme l’impact social de la couleur de peau, soit davantage étudiés qu’auparavant, devrait plutôt interpeller M. Macron sur sa gestion de la population multiculturelle qu’il administre, car si ces sujets n’étaient pas vécus comme de vrais enjeux sociaux et politiques aujourd’hui, la modeste vogue universitaire qui ambitionne de les examiner d’un point de vue critique et engagé n’existerait même pas. Dans tous les cas, il semble surestimer grandement leur impact, en reprenant une rhétorique paranoïaque que l’on a plutôt tendance à retrouver à l’extrême-droite du spectre politique.

      Côté étudiant, quand on envisage de s’orienter vers les métiers de l’enseignement et de la recherche, la perspective peut sembler décourageante. On a l’impression que ces différentes réformes ne servent qu’à transformer notre parcours en terrain miné. Qu’aurais-tu envie de dire actuellement à celles et ceux attiré(e)s par ces métiers ?

      Lorsque je suis face à un bon étudiant de Master qui est motivé pour poursuivre en thèse et viser le métier d’enseignant-chercheur, je commence par lui dire que je le comprends, car cela reste, malgré tout, un magnifique métier-passion, globalement encore autonome et libre, à l’accomplissement duquel on éprouve régulièrement de grandes joies, tout en ayant le sentiment, à mon avis assez juste, d’accomplir des missions d’une utilité sociale et culturelle indiscutable – à condition de ne pas ménager son énergie et de ne pas compter ses heures pour cela, évidemment. Ensuite, je lui parle de l’extrême difficulté du parcours, des sacrifices immenses auxquels il faut être prêt à consentir tout du long (y compris une fois en poste), de l’absence totale de garantie d’avoir un jour un poste, de la rémunération, très incertaine avant la titularisation, et qui, une fois cette dernière acquise, compensera très mal le niveau d’excellence atteint et l’importance des responsabilités occupées.

      En général, ce discours, qu’il serait malhonnête et même un peu criminel de ne pas tenir à quelqu’un de 25 ans avant qu’il ne s’engage pour un parcours d’une dizaine d’années avant une éventuelle titularisation, en décourage environ un sur deux. Il faut pourtant le tenir, afin de ne pas envoyer des gens au casse-pipe. Aujourd’hui, il y a facilement plus de 100 candidats sur chaque poste de Maître de conférences mis au concours, et parmi eux une trentaine d’excellents dossiers, de gens qui devraient déjà être en poste étant donné tout ce qu’ils ont déjà apporté à l’enseignement et à la recherche. Un type de trajectoire est désormais devenu la norme plutôt que l’exception : être recruté, quand on a la chance de l’être, sept ou huit ans après la fin de thèse, à l’âge de 40 ans après avoir sorti deux livres personnels, plusieurs autres en codirection, publié une trentaine d’articles scientifiques et organisé une demi-douzaine de colloques ou de journées d’études, parfois même après avoir assuré illégalement, à cause de sous-effectif, des missions dévolues aux titulaires comme la direction de mémoires de Master ou la responsabilité administrative d’une année de Licence. Et on évoque encore ici des personnes qui ont la chance d’obtenir un poste ! Le destin de celles, beaucoup plus nombreuses, qui n’y parviennent jamais (alors qu’elles avaient toutes les compétences pour), est encore plus tragique, et constitue un gâchis d’intelligence collective, qui serre le cœur quand on l’observe concrètement, et qui constitue une perte très dommageable de compétences de haut niveau pour notre pays.

      Quel serait ton souhait pour le futur de l’Université ?

      Idéalement, peut-être même illusoirement, on pourrait souhaiter avoir affaire à un personnel politique capable de gouverner, c’est-à-dire capable, non pas d’imposer brutalement, mais de prendre le temps de convaincre, et si cela ne marche pas, de prendre la mesure d’une contestation, d’écouter et de négocier, de lâcher du lest s’il le faut. Gouverner, ce n’est pas : « on est élus, on fait ce qu’on veut. » L’élection au suffrage universel n’est pas un blanc-seing. Gouverner, c’est aussi être capable de contrebalancer, d’équilibrer entre le bien collectif et les intérêts privés, et de ne pas systématiquement sacrifier le premier au profit des seconds. C’est respecter les règles fondamentales de la démocratie, ne pas recourir aux méthodes les plus violentes permises par une Constitution de nature monarchique pour balayer d’un revers de main tous les contre-pouvoirs. Quant à l’Université, il faudrait que les gouvernements français des années 2000 comprennent qu’elle n’est pas leur joujou. Il s’agit d’une institution millénaire et d’un bien public inaliénable. C’est à son service que nous sommes, et pas à celui de quelques politiciens de passage. Et c’est pour cela que nous allons tenter, collectivement, d’envoyer un grand « Non » à ce gouvernement irresponsable, qui, par son aveuglement idéologique, ses discours hypocrites et ses méthodes brutales, est en train de faire un mal considérable, non seulement à l’Université publique, mais également à notre pays et à notre démocratie.

      https://www.critikat.com/panorama/entretien/luniversite-a-bout-de-souffle

    • « Un #débat_public au sujet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche nous semble plus que jamais nécessaire »

      Plus de 180 chercheurs en sciences de gestion dénoncent, dans une tribune au « Monde », l’obsession « gestionnaire » du projet de LPPR, qui ignore la réalité de son mode de gouvernance collective par les pairs.

      Tribune. Le 13 mai, la « communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation » a reçu une lettre de la part de sa ministre de tutelle, Frédérique Vidal. Elle nous y remercie pour notre engagement tout au long de la crise sanitaire et se tourne également vers l’avenir, mentionnant la société « post-crise » que le monde universitaire va devoir contribuer à « penser ». Pour cela, elle compte sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), considérant ainsi comme acté un projet de réforme qui avait pourtant été suspendu à la veille du confinement, dans un contexte de mobilisation quasi unanime de la communauté universitaire contre lui.

      De fait, alors que les universités n’ont pas encore le droit d’ouvrir leurs portes aux étudiants, qu’il faut parvenir à boucler l’année universitaire tout en préparant, dans l’incertitude, la rentrée de septembre, le calendrier s’est brusquement accéléré. Comme si cette réforme, issue du monde d’avant, était urgente au point de devoir renoncer au débat public.

      A l’heure où l’on commence à reconnaître que les réformes conduites au cours des deux dernières décennies dans les services publics au nom d’une « meilleure gestion » ont échoué, un débat public au sujet de la LPPR nous semble au contraire plus que jamais nécessaire. Il nous semble également essentiel que nous, enseignants et chercheurs en sciences de gestion et en management, prenions la parole. Une fois de plus, notre discipline apparaît guider la réforme en cours, à travers, notamment, les notions d’« optimisation », de « performance », d’« efficience », de « changement » et de « compétition ». Pourtant, les orientations de cette réforme empruntent davantage à l’idéologie qu’aux sciences de gestion.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/03/un-debat-public-au-sujet-de-la-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-rech
      #paywall

    • Communiqué du #Comité_d’éthique_du_CNRS (#COMETS) portant sur les textes du projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, rendus publics en juin 2020.

      Le 24 février 2020, le COMETS avait publié une contribution aux discussions préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche. En juin 2020, le gouvernement a présenté aux organes consultatifs le projet de loi et les documents associés (exposé des motifs, annexe, étude d’impact).

      Le COMETS prend acte de l’accroissement substantiel de la part du budget de l’État consacré à la recherche à l’horizon 2030 figurant dans le projet de loi.

      Il prend aussi note que l’annexe au projet de loi adhère au préambule de la contribution du COMETS du 24 février en affirmant « La science est un des socles de notre modèle républicain et cette fonction lui confère les plus grandes responsabilités : elle suppose de porter la plus grande attention à l’exemplarité́ et l’impartialité́ de la communauté́ scientifique, ainsi qu’aux questions d’intégrité́ scientifique et de déontologie, sur lesquelles se noue le pacte de confiance entre la recherche et la société́. »

      Toutefois, le COMETS s’étonne que l’étude d’impact n’examine que de manière restreinte le projet de loi à la lumière de l’intégrité scientifique et de l’éthique. L’effet-loupe de la crise sanitaire actuelle met en évidence des risques de dérives tant dans les pratiques que dans la communication des résultats de la recherche, alors que le grand public et les décideurs politiques sont en attente de résultats fiables. Au-delà du contexte particulier d’urgence, ces dérives interrogent le fonctionnement de la recherche française hérité des précédentes lois la structurant. Ainsi, nous constatons que la crise stimule un foisonnement de réflexions au sein de la communauté scientifique dont la richesse plaide pour un projet de loi ambitieux qui laisse le temps à une large concertation s’inscrivant pleinement dans le « monde d’après ».

      Cependant, dans la perspective du maintien d’un calendrier accéléré, le COMETS renouvelle dès à présent ses inquiétudes et complète ses recommandations exprimées le 24 février 2020 découlant de ses précédents avis (voir https://comite-ethique.cnrs.fr/avis-publies).

      Un équilibre entre compétences et moyens récurrents et contractuels est nécessaire pour garantir l’indépendance des chercheurs, stimuler la découverte de nouveaux objets d’étude et favoriser la recherche fondamentale sur le long terme.

      La domination de priorités thématiques dans le financement de la recherche a des conséquences négatives sur la diversité et la créativité de la production scientifique.

      De plus, la précarité programmée des personnels de la recherche, touchant notamment les femmes et les jeunes, n’est favorable ni à la recherche de base, qui nécessite le temps long, ni au travail dans une ambiance sereine, coopérative et productive.

      L’instauration de la compétition comme dynamique de la recherche est propice au développement de conduites inappropriées, telles la falsification des résultats ou l’obscurcissement des données et des sources. Par ailleurs, la pression s’exerçant sur le chercheur peut générer diverses formes de harcèlement. Là-aussi, la précarité des personnels n’est pas sans conséquence en risquant de favoriser de tels manquements à l’intégrité et à la déontologie. Une vigilance est requise pour accompagner l’ensemble du personnel et le former à une recherche intègre et responsable.

      L’incitation au recrutement et à l’évaluation des personnels principalement selon des critères bibliométriques ne garantit pas le développement d’une recherche de qualité, pas plus que l’embauche de « stars » selon ces mêmes critères. Le projet de loi permet une substitution jusqu’à un quart des recrutements comme maitre de conférence ou chargé de recherche par des postes contractuels de 3 à 6 ans avant une éventuelle titularisation. Or, la réduction des postes de fonctionnaires titulaires amplifiera le manque d’attractivité des filières des métiers de la recherche, menaçant ainsi les viviers tant pour la recherche publique que pour la recherche privée françaises.

      L’incitation à des activités contractuelles directes ou via des institutions, si elle peut aider à pallier le manque d’attractivité des métiers de la recherche et répondre à un objectif économique, génèrera une multiplication des liens d’intérêts qui pourrait exposer les chercheurs à des conflits d’intérêts. Elle devrait s’accompagner d’un renforcement de la sensibilisation des personnels à ces risques. Or, dans sa rédaction actuelle, la loi ne garantit pas que les employeurs publics auront les moyens d’un contrôle et d’un conseil efficaces en matière de déontologie.

      Pour répondre à ces nouveaux enjeux, le COMETS considère que la loi de programmation, dans son ensemble, doit faire sienne la promotion de l’intégrité et de la responsabilité scientifique de tous les acteurs de la recherche.

      https://comite-ethique.cnrs.fr/1932-2

    • Le Conseil d’État étrille la LPPR

      Jeudi 23 juillet, le #Conseil_d’État a rendu son avis sur la LPPR (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_avis-conseil-etat.pdf), et ce n’est pas brillant. Comme le souligne Libération (https://www.liberation.fr/direct/element/le-conseil-detat-aussi-est-reserve-sur-le-projet-de-loi-budgetaire-pour-l), les promesses budgétaires – qui sont supposément la raison d’être de cette loi – sont particulièrement peu crédibles. Comment en effet croire un gouvernement qui, à moins de deux ans de la fin de son mandat, promet que des fonds seront débloqués sur dix ans…et surtout après la fin dudit mandat ?

      Derrière cet écran de fumée budgétaire, qui ne trompe décidément plus personne, le Conseil d’État déplore le côté « bric-à-brac » de la loi, véritable cheval de Troie difforme, cadeau trop évidemment empoisonné pour que quelqu’un·e en veuille. Il faut donc, selon le Conseil d’État, renommer la loi : « Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur » ce qui donne #LPRA2021A2030PDDRRES ou #LPRA2130PDDRRES en version simplifiée.

      Le Conseil d’État souligne à nouveau la médiocrité de l’étude d’impact, qui a dû être remaniée après saisine afin de sembler remplir a minima les prescriptions de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009. Il relève également des incohérences : « par exemple en ce qui concerne les financements sur appels à projets de l’#Agence_nationale_de_la_recherche (#ANR), critiqués pour la lourdeur de leurs modalités et leurs coûts, mais regardés comme un outil décisif et à privilégier pour la politique publique de la recherche. » On en revient toujours à cette grande idée présente dès les rapports préparatoires : soigner le service public de la recherche avec les outils de sa destruction.

      Pour le reste, le Conseil d’État tacle le texte sur la forme, tout en acceptant le pire. A propos des tenure track, il est est bien obligé de noter qu’il s’agit d’une attaque portée au statut des chercheur·es et enseignant·es-chercheur·ses et d’une forme de sortie du #fonctionnariat, mais il considère que « ça va, ça passe », puisque ce dispositif sera limité à « 25 % au plus des recrutements autorisés annuels dans chaque corps et, sur la suggestion du Conseil d’État, 50 % au plus des recrutements annuels de chaque établissement ». On retrouve là la rigueur si particulière du Conseil d’État, qui considérait au début du mois que des frais d’inscription s’élevant à 2770 ou 3770 euros sont « modiques » et de nature à garantir un libre accès à l’enseignement supérieur à tou·tes (https://universiteouverte.org/2020/07/03/le-conseil-detat-permet-au-gouvernement-de-fermer-luniversite).

      Bref : le Conseil d’État laisse une fois de plus passer une loi de casse du service public, mais la LPPR est si mal fichue qu’il est bien obligé de faire la moue.

      Pour retrouver tous les avis (tous plus ou moins négatifs) émis sur la LPPR par différentes institutions, vous pouvez consultez ce billet (http://www.groupejeanpierrevernant.info/#FAQLPPR) régulièrement mis à jour par le Groupe Jean-Pierre Vernant. C’est aussi l’occasion d’écouter les prises de paroles d’acteurs et d’actrices de l’université et de la recherche le 8 juillet dernier (https://universiteouverte.org/2020/07/09/le-8-juillet-des-facs-et-labos-en-lutte).

      Pour en savoir plus sur cet avis du Conseil d’État, un excellent fil de Julien Gossa, mais aussi un dossier complet consacré à la LPPR (http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/06/07/lppr-le-projet-de-loi).

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1286217438393180161?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      https://universiteouverte.org/2020/07/24/le-conseil-detat-etrille-la-lppr
      #conseil_d'Etat

    • Scientists disappointed by plan to boost France’s research prowess

      National strategy will add €26 billion to the public research budget over 10 years — but many say it isn’t enough for the country to regain its place as a scientific leader.

      Scientists in France are divided over the creation of the nation’s first ever long-term strategy for research — a multibillion-euro plan designed to help the country to stand out in an increasingly competitive global research landscape. The strategy, which was detailed in a bill that was approved by the cabinet on 22 July and is expected to be passed into law by the end of the year, promises to boost the research budget, create thousands of research jobs, raise salaries and foster innovation. But many scientists agree that the initiative has failed to live up to expectations.

      “It marks the end of 20 years of research-budget stagnation and raises salaries at last, but it doesn’t go nearly far enough,” says Patrick Lemaire, a biologist at the University of Montpellier and president of the French Society of Developmental Biology.

      France’s leading scientists were optimistic about the plan when it was proposed in 2019, because it promised to address long-standing problems in research, by, for example, protecting budgets from politically driven fluctuations and raising the salaries of early-career scientists, who in France are paid 37% below the average for nations in the Organisation for Economic Co-operation and Development.

      The plan approved by the cabinet delivers on many of these commitments, and makes an unprecedented investment in science, says the government. It adds €26 billion (US$30 billion) to the public research budget over 10 years, raising annual public funding for research by €5 billion, from €16 billion in 2020 to €21 billion in 2030. Of the new funding, about €7 billion will go to the National Research Agency, France’s competitive funding organization, to raise the grant success rate from 11% in 2014 to 30% by 2027. Another €4.5 billion will go to improving wages, and most of the rest will pay for blue-skies research grants, new equipment, operating expenses and technology-transfer projects.

      But several scientists and research organizations say the plan lacks clarity and ambition, and complain that they weren’t given enough time to consult and feed back on the details, which were released only last month. The French Academy of Sciences in Paris acknowledges that the strategy will improve career prospects and pay. But it says that the €5-billion rise in the annual research budget is lower than the extra €7 billion needed to reach the European Union target of spending 3% of gross domestic product on research.

      Antoine Petit, head of the French National Centre for Scientific Research (CNRS), Europe’s largest basic-science agency, welcomes the plan overall. “It is an absolute necessity if France is to continue playing an international role in research,” he says. He points to a 13% drop in the CNRS’s investment and operating budget, from €288 million in 2010 to €266 million in 2020, as a key reason why greater investment is needed. “But all of us regret that the increases are greater at the end of the ten-year period than at the beginning. And although €25 billion is significant, we also would have liked to have [had] more,” he adds.

      Salaries for early-career scientists will rise from 1.3 or 1.4 times the minimum wage to double the minimum, adding 10%, or €2,600–2,800, to gross annual earnings. “It is still not much for scientists with ten or more years of higher education behind them,” notes Petit. “But it is a first step.”

      Lemaire adds that the appointment of another 5,200 long-term research staff at research agencies and universities, on top of the existing 170,000 staff, is only half of what is needed. He says that the way the funding will be disbursed will reinforce the research ministry’s grip on scientific strategy. “This is because the ministry will have to validate research agencies’ and universities’ research strategies before it allocates them funding. This is unusual for France,” he says. “It also means that research organizations will concentrate on their strengths, and minority disciplines in the humanities could well disappear.”

      This bill is the result of more than a year of consultations with the scientific community, French research minister Frédérique Vidal told Nature in a statement. “It is vital today to give fresh impetus to research to bolster the economic recovery and to face the challenges ahead, while enabling France to remain one of the world’s major scientific nations. For this, we need to make scientific careers attractive.”

      https://www.nature.com/articles/d41586-020-02217-4

    • Comment la LPPR entend financer la recherche par la baisse de nos cotisations #retraite, et autres questions

      La loi de programmation de la recherche repose sur un dispositif ternaire :

      L’article 18 de la loi sur les retraites prévoit la baisse des cotisations retraite payées par l’Etat comme part socialisée de nos salaires.
      Cet argent, prélevé de nos salaires socialisés, est reversé pour partie en “revalorisation” indemnitaire, pour partie en budget de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), et pour partie en Crédit d’Impôt Recherche (CIR).
      La narration faisant de ce financement de la recherche par nos cotisations retraite un investissement “historique” permet d’acheter l’adhésion nécessaire à faire passer l’accroissement de la précarité par le système de chaires de professeur junior (Tenure Track) et de CDI de mission, qui procèdent d’une dérégulation des statuts et des modalités de recrutement.

      Nous détaillons ici ce dispositif, sous forme de questions et de réponses.

      Billet ci-dessous à retrouver paginé ici :
      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#FAQLPPR

      Bon été à toutes et à tous.

      En guise de cadeau estival, cet article à lire sur la plage :
      Egocentric studies : a new paradigmin medical research

      I Quel est le calendrier prévisionnel de la LPpR ?

      Dès la mi-janvier, indépendamment de l’alerte épidémique donnée par la Chine, nous avons su que le calendrier parlementaire ne permettrait pas l’examen de la LPpR avant l’automne. Le projet de loi a été présenté en Conseil des Ministres le 22 juillet 2020. Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée ce qui signifie qu’il n’y aura qu’une lecture par chambre du Parlement. Le projet de loi devrait être examiné à l’Assemblée Nationale la semaine du 14 septembre, en commission, et la semaine du 21 septembre, en séance publique.

      Ce créneau a été choisi afin que l’examen de la loi par le Parlement ait lieu avant le vote du budget 2021. En effet, ce budget fera apparaître explicitement l’absence de création de postes et d’augmentation du budget de l’Université et de la recherche pour la troisième année du quinquennat. Le mécanisme de vases communicants entre cotisations retraite et “revalorisations” sera alors apparent sans avoir à faire d’effort de compréhension. Rappelons qu’en 2019 et 2020, le nombre de postes pérennes mis au concours a fortement baissé et le budget n’a été augmenté que du montant de l’inflation (-150 millions € par an, en moyenne sur trois ans), ne permettant pas la compensation du Glissement Vieillesse Technicité.

      L’encombrement du calendrier parlementaire ne laisse guère de possibilité d’examen au Sénat avant janvier 2021. Le faible poids politique de Frédérique Vidal permet de supposer que l’examen de la loi donnera lieu à un travail d’amendement et de lobbying conséquent. D’après nos informations, le cabinet ministériel anticipe un possible redécoupage de la loi entre l’examen par les deux chambres, en séparant le volet “Ressources Humaines” du volet budgétaire. En effet, le Conseil d’Etat a prévenu qu’il pouvait s’avérer anticonstitutionnel de reporter les compensations de rémunération liées à la loi sur les retraites à une loi de programmation.

      II Quels sont les documents du projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030 ?

      Le projet de loi :
      http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_projet-loi.pdf

      L’étude d’impact de la loi :
      http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_etude-impact.pdf

      L’avis du Conseil économique, social et environnemental :
      "Peut-on soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade ?"
      https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_13_programmation_pluriannuelle_recherche.pdf

      L’avis du Conseil d’Etat :
      http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_avis-conseil-etat.pdf

      Les mesures indemnitaires :
      http://www.groupejeanpierrevernant.info/LPPR_Mesures_indemnitaires.pdf

      III Quel est le budget exceptionnel alloué à la recherche et à l’Université suite à la crise du coronavirus ?

      Le plan de relance européen a conduit à baisser le budget européen de la recherche (HorizonEU, planifié pour 7 ans) de 94,4 milliards € à 81 milliards €. Le rapport Lamy de 2017 recommandait une somme supérieure à 120 milliards €.

      Dans le projet de loi de finance rectificative de 2020, le Sénat a voté par amendement le transfert de 150 millions € à la recherche (programme 172). L’amendement a été supprimé en commission mixte paritaire. Il n’y a donc aucun budget exceptionnel alloué, ni à la recherche, ni à l’Université.

      IV Comment les crédits de la loi de programmation de la recherche seront-ils prélevés sur nos cotisations de retraite ?

      L’essentiel des sommes que la loi de programmation de la recherche prévoit de redistribuer proviennent de la baisse programmée de la part patronale dans les cotisations de retraite. Les crédits de recherche et la revalorisation des salaires promis proviennent donc de prélèvement dans notre salaire socialisé, sans augmentation budgétaire réelle.

      Le budget brut salarial pour l’Université et la recherche s’élève à 10,38 milliards € par an. La baisse de cotisation patronale de l’État de 74,3% à 16,9% sur 15 ans permettra à terme de redistribuer les 6 milliards € par an prélevés sur notre salaire socialisé — c’est le nom qu’il convient d’utiliser pour les “charges patronales”. Pour la période 2021-2030 couverte par la LPpR, l’article 18 conduira en cumulé à 21,8 milliards € de prélèvement dans nos cotisations de retraite [1].

      V Comment les crédits de la loi de programmation de la recherche seront-ils ventilés ?

      Les annonces budgétaires qui n’ont pas été tenues en temps normal, de l’aveu même de Frédérique Vidal (“Il y a de la défiance car de nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé.”) ont des chances infimes d’être tenues pendant une crise économique. De fait, la crise de 2007-2008 nous a montré que les budgets des services publics servaient de variable d’ajustement pour sauvegarder la “confiance des marchés”.

      La LPpR porte essentiellement sur le programme 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires) auquel est rattaché le Crédit d’Impôt Recherche. La recherche spatiale (programme 193), passée sous la tutelle de Bercy pour accélérer les programmes de privatisation, est également mentionnée mais les chiffres ont été “retraités” (sic) pour escamoter le remboursement de la dette française à l’Agence spatiale européenne. Enfin, “l’incidence” (sic) sur le budget de l’Université (programme 150) est mentionnée, qui couvrira les “revalorisations indemnitaires” et les chaires de professeur junior (tenure track) : 150 millions € par an sur les trois dernières années.

      Selon le communiqué de presse [2], la loi était supposée augmenter les crédits du programme 172 par paliers de 400 millions € pendant le fin du quinquennat, puis plus vite pour atteindre 5 milliards € de plus par an en 2030. Le projet de loi propose une augmentation plus modeste, de 320 millions € par an, sauf… en 2021, où l’augmentation n’est que de 224 millions €. Or, le seul budget qui engage l’exécutif est justement celui de 2021. Par la suite, rien n’oblige le parlement à suivre les recommandations du plan de programmation lors des votes annuels des budgets. Du reste, le mot “pluriannuel” a disparu du titre de la loi. L’augmentation de 224 millions € sur le programme 172 en 2021 doit être comparée à celle réalisée pendant les premières années du quinquennat : +200 millions € par an, ce qui correspond à la croissance moyenne des dépenses fiscales en Crédit d’Impôts Recherche sur les cinq dernières années.

      Résumons nous. Sur dix ans, une fois l’inflation soustraite, l’effort consenti par Bercy dans le programme 172 (CIR, ANR, grands organismes) est de 10,5 milliards € (euros de 2020), à comparer au 17,63 milliards € (euros de 2020) prélevés sur nos cotisations de retraite. Une moitié, environ de ce transfert budgétaire se fera au profit l’ANR [3], soit un petit tiers des économies faites sur le salaire socialisé. Une large partie du reste devrait donc être destinée à augmenter l’aide directe aux entreprises par la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche.

      VI Combien de postes statutaires sont planifiés dans la LPpR ?

      Les annonces budgétaires qui n’ont pas été tenues en temps normal, de l’aveu même de Frédérique Vidal (“Il y a de la défiance car de nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé.”) ont des chances infimes d’être tenues pendant une crise économique. De fait, la crise de 2007-2008 nous a montré que les budgets des services publics servaient de variable d’ajustement pour sauvegarder la “confiance des marchés”.

      Aucun article du projet de loi n’est consacré à l’emploi statutaire. L’augmentation des moyens de l’ANR, la création (article 3) d’un système de chaires de professeur junior (tenure track) et la création (article 6) des CDI de mission participent d’un développement de l’emploi contractuel et d’un renforcement du contrôle bureaucratique de la recherche.

      VII Quel sera le montant des revalorisations compensant partiellement la baisse des cotisations retraite ?

      Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, 77,7 millions € seront consacrés à aligner la cotisation salariale et à compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. La “revalorisation indemnitaire” sous forme de primes n’est donc rien d’autre qu’une compensation de baisses des revenus liés aux systèmes de solidarité nationale. En fait de revalorisation, il s’agit d’un alignement graduel de la partition entre salaire net et salaire socialisé sur le régime du privé, le salaire total baissant. De même, les mesures de “renforcement de l’attractivité” des postes précaires ne sont rien d’autre qu’un transfert entre salaire socialisé et salaire brut, rapprochant la partition de celle en usage dans les pays anglo-saxons.

      Le choix de “revalorisations” indemnitaires (primes) plutôt que de “revalorisations” salariales (augmentation du point d’indice) permet à l’Etat de ne pas payer de salaire socialisé (de “charges”) et d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. Le montant des enveloppes budgétaires, en million € (m€), pour chaque filière en 2021 est le suivant :

      EC : 45 m€ pour 48 793 bénéficiaires soit 77€ en moyenne/mois
      Chercheurs : 17,5 m€ pour 17 188 bénéficiaires soit 85€ en moyenne/mois
      ESAS : 3,6 m€ pour 12 755 bénéficiaires soit 24€ en moyenne/mois
      BIB : 0,3 m€ pour 4 237 bénéficiaires soit 6€25 en moyenne/mois
      ITRF : 1,8 m€ pour 39 129 bénéficiaires soit 3€80 en moyenne/mois
      ITA : 7,5 m€ pour 24 391 bénéficiaires soit 26€ en moyenne/mois
      Contractuels : 7,2 m€ (nombre de bénéficiaire non précisé ; probablement 19 000).

      La rémunération des 128 000 vacataires ne semble pas faire l’objet d’une “revalorisation” dans le cadre de la LPpR.

      Les autres questions à retrouver en ligne :

      VIII Qui soutient ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

      IX Qui est à l’origine de ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

      X Le “Pacte productif” de Bercy empiète-t-il sur le pilotage et le budget de la recherche ?

      XI Quelle est le montant des crédits exceptionnels annoncés par Emmanuel Macron à l’Institut Pasteur ?

      "Le vrai courage c’est, au-dedans de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer."

      Groupe Jean-Pierre Vernant

      Message reçu via la mailing-list ESR, le 24.07.2020
      #cotisations_retraite

    • Le Comité National Français de Géographie et 37 autres sociétés savantes, couvrant la majorité des domaines de la recherche publique, ont réalisé une analyse du projet de loi assortie de pistes d’amendements, dans l’espoir au moins d’améliorer le projet, à défaut d’obtenir plus de résultats après tant de tentatives de faire porter la voix du monde de la recherche. Vous trouverez ce document ici :
      https://societes-savantes.fr/wp-content/uploads/2020/08/Societes-savantes_Analyses-et-propositions-LPR_Assemblee_nationale

      Ce document a été envoyé officiellement aux rapporteur.e.s du projet de loi, aux présidents des commissions parlementaires concernées et à l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST).

      Message reçu via la mailing-list Facs et labos en lutte

    • L’Arnaque

      Un #piège monumental est en train de se refermer sur les universitaires et le monde de la recherche. Alors que la LPPR passe au parlement en procédure accélérée, Frédérique Vidal conditionne un protocole d’accord sur la revalorisation des salaires et des primes à l’adoption de la LPPR, une loi de précarisation et de privatisation de la recherche qui est rejetée par la communauté universitaire.

      Ce billet de rentrée sur la LLPR est encadré par un coup de gueule et une vidéo. Le coup de gueule est le suivant, à triple détente :

      1. Alors que Frédérique Vidal disposait de tout l’été pour préparer une rentrée universitaire sous le signe de la prévention des risques, elle n’a pas été capable de proposer aux établissements d’enseignement supérieur un protocole sanitaire solide dans un calendrier décent. La rentrée avait déjà eu lieu dans de nombreuses universités quand la circulaire Covid est arrivée. Trop tard ! Résultat : 10 clusters.

      2. Alors que Frédérique Vidal fait reposer la gestion de la crise sanitaire sur la liberté et l’autonomie des établissements - et donc de leurs directions -, les présidents d’université se défaussent quant à eux sur les composantes et labos en leur refilant le bébé encombrant de la responsabilité. Dans le contexte d’insécurité juridique de la crise sanitaire, les présidences tentent évidemment de reporter sur les composantes et laboratoires la charge morale, administrative et financière de la gestion de la crise. Une fois de plus ce qui apparait dans le discours comme une proclamation de liberté et d’autonomie pour les composantes et les unités constitue dans les faits une stratégie de déresponsabilisation et une sournoise délégation. Résultats : 10 clusters supplémentaires, soit une vingtaine (situation actuelle au 14-09, selon des informations fiables. À Strasbourg 3 composantes au moins viennent de fermer leur accès aux étudiants).

      3. Alors que Frédérique Vidal promet à la Recherche des milliards - dont on ne verra jamais la couleur -, elle n’est pas fichue de dégager quelques dizaines de millions pour payer des masques aux étudiants, du gel aux établissements, des FFP2 aux personnels fragiles, des fenêtres qui s’ouvrent et quelques ventilations performantes pour les amphis bondés. Madame la Ministre, comme vos présidents d’université, vous vous défaussez, vous déléguez, vous proclamez notre autonomie, mais vous ne nous donnez jamais d’argent. Faudra-t-il que nous traversions la rue pour aller le chercher ? En attendant, vous ne compensez pas les dépenses faites par les établissements lors du confinement et vous ignorez les besoins urgents de la rentrée, alors que les présidents disent à leur composantes et labos : vous devez financer votre propre sécurité et celle de vos étudiants. Aujourd’hui les crédits de fonctionnement des facs et labos étant ce qu’ils sont, il n’y a pas assez de spray et de papier pour nettoyer les tables et bureaux. Résultat assuré : 50 clusters supplémentaires avant la fin de la semaine !

      Merci Frédérique Vidal ! Avec de tels choix, vous aurez bientôt plus de Covid sur les mains que votre collègue Buzyn. Passons à la LPPR, par laquelle vous nous promettez un siècle de précarité.

      –-------------.

      L’État macronien est en passe de devenir le plus grand Arnaqueur des fonctionnaires. Les néolibéraux de droite et de gauche ont fait très fort ces 20 dernières années, mais Macron les surpasse en rapidité et en efficacité. Ses ministres excellent en tromperies en tous genres, en mensonges savamment distillés et en enfumages discrets ou massifs qui leur permettent de progresser rapidement dans leur entreprise de « défonctionnarisation » et de privatisation des services encore un peu « publics ». Mensonges et enfumages n’ont pas non plus manqué dans la gestion calamiteuse de la crise sanitaire. Mais l’une des tromperies les plus manifestes se déroule en ce moment-même, sous nos yeux, sans qu’elle soit dénoncée avec la vigueur qui s’impose : Frédérique Vidal tente d’utiliser le miroir aux alouettes d’un protocole d’accord sur la revalorisation des primes des agents de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) pour faire des organisations syndicales les plus grands dindons de l’histoire des négociations dans la fonction publique. Le SGEN-CFDT, l’UNSA et le SNPTES négocient. Sud, la CGT et FO ne mettent pas le doigt dans l’engrenage et demandent le retrait du protocole. La FSU est retenue d’y aller par le SNESUP - majoritaire chez les enseignants-chercheurs et premier syndicat de la FSU dans l’ESR- qui « s’oppose à la signature d’un accord qui pose comme préalable l’acceptation de la LPPR ». Je rappelle les enjeux de la LPPR pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi les mésaventures de cette loi et je procède à la description de l’arnaque.

      Après l’adoption en août 2019 de la Loi de transformation de la Fonction publique (voir ici pour une critique des principales dispositions), le terrain était préparé pour le passage rapide d’une loi de transformation de la recherche, ce que le gouvernement a lancé dès l’automne 2019 avec la réunion de groupes de travail, en vue de préparer la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dite LPPR. Parmi les nombreuses sources documentaires sur la LPPR, on pourra consulter le dossier conçu par Julien Gossa ou les textes rassemblés sur le site du SNESUP. Dénoncée depuis l’automne 2019, dévoilée partiellement en janvier 2020 (voir les premières analyses de Rogue-ESR ici et là le travail de « Désenfumage » du Groupe Jean-Pierre Vernant), fortement critiquée par la majorité des organisations syndicales, mise au placard pendant le confinement mais relancée par Frédérique Vidal dès la sortie du confinement, rejetée par les instances nationales consultatives en juin, étrillée en juillet par le Conseil d’État (voir ici), faisant l’objet d’une étude d’impact tout à la fois ubuesque et instructive, la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche est, avec la réforme des retraites, le projet gouvernemental qui a provoqué la contestation la plus forte dans l’ESR depuis une dizaine d’années. Nous n’oublions pas que le 5 mars 2020 l’Université française s’est arrêtée (voir ici ou là), que la crise sanitaire n’a pas réduit les opposants au silence (« La LPPR est de retour ? Eh bien nous aussi, et plus déterminés que jamais ! »), et que, tout au contraire, cette crise a mis cruellement en évidence l’urgence à Refonder l’Université et la recherche, un appel signé par plus de 7000 personnes, dont une très grande majorité de chercheurs.

      C’est que la LPPR contient tous les éléments nécessaires au parachèvement de la grande entreprise de privatisation de l’ESR entamée en 2007 par Pécresse et Sarkozy avec la loi LRU : aggravation de la part des financements de la recherche sur appels à projet au détriment des crédits récurrents, renforcement et généralisation des pratiques bureaucratiques de l’évaluation, contrats doctoraux de droit privé, CDI de mission calqués sur les CDI de chantier du privé, tenure tracks à la française créant une voix d’accès au corps de Directeur de recherche et des Professeur d’université par la contractualisation et conduisant ainsi au contournement du CNU, à l’affaiblissement du cadre national des concours, à l’avivement de la concurrence entre collègues au détriment de la collégialité, et surtout - pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore compris - à la remise en cause la plus grave qui soit du statut général des fonctionnaires et de l’égalité des Citoyens devant l’accès à l’emploi public. Voir sur ce point la démonstration implacable dee la rédaction d’Academia. Il n’est donc pas étonnant que 81 % des 2500 collègues qui ont répondu à l’enquête de Rogue-ESR rejettent expressément "le volet managérial et statutaire de la LPPR".

      Afin de faire passer cette loi continument et massivement contestée, Frédérique Vidal et ses conseillers ont mis en place un dispositif ingénieux. D’autres diraient qu’ils ont ourdi un plan retors qui est en passe de produire les résultats escomptés. En fait, la recette est assez simple : emboitez un protocole de revalorisation des carrières et des primes dans la loi, et vous aurez plus de chances de faire passez la loi. C’est écrit noir sur blanc à la page 12 du protocole : « Les engagements pris dans le présent protocole d’accord nécessitent pour leur mise en oeuvre l’adoption des mesures budgétaires et des dispositions législatives qui figurent dans le projet de loi de programmation pour la recherche pour les années 2021 à 2030. » Un message clair est envoyé aux parlementaires : si vous ne votez pas la loi vous refusez aux personnels de l’ESR la revalorisation de leur carrière et de leurs primes.

      En amont il convient de s’assurer que des organisations syndicales seront bien signataires. Vidal et ses petits diables ont mis le paquet, au moyen d’un triple chantage : transmis le 31 août le protocole devait être signé par les syndicats avant le 8 septembre, une date tellement scandaleuse que le ministère a dû accepter un peu de souplesse : le 15 septembre pour amender une version N°2. Par ailleurs l’accord sera validé sans majorité. Vidal l’a écrit. Enfin, le sommet de la pression, dont il faudra tirer toutes les conséquences : seules les organisations syndicales signataires du protocole feront partie du comité de suivi dont le rôle est présenté comme déterminant. En effet, c’est lui qui actera bien des choses et suivra la progression du dispositif jusqu’en 2027. Plus précisément, plusieurs étages du protocole seront définis après la signature de celui-ci. Deux exemples :

      « S’agissant des enseignants-chercheurs et des chercheurs, dont les régimes indemnitaires sont disparates et parfois particulièrement anciens, le comité de suivi réunissant les organisations syndicales signataires du présent accord sera réuni avant la fin 2020 pour définir une nouvelle architecture des primes des enseignants-chercheurs et des chercheurs. »

      « L’objectif est de définir en concertation avec les organisations signataires ce nouveau régime indemnitaire au premier semestre 2021 afin qu’il soit juridiquement adopté au plan interministériel a` l’été 2021 pour une mise en oeuvre au 1er janvier 2022. »

      La logique est la suivante : vous signez d’abord et vous aurez le droit de négocier après. Autrement dit le gouvernement entend acter par cet accord la fin des règles de base du paritarisme et du dialogue social : la négociation et l’établissement de l’accord précèdent la signature. Par un jeu pervers de distribution des décisions avant et après la signature, Vidal entend gagner sur toute la ligne. Les organisations qui signent – lesquelles auront l’honneur insigne de présider en continu à l’amélioration des carrières et jouiront du privilège de communiquer régulièrement à leurs adhérents la quantité de biftons supplémentaires - seront bien sûr affaiblies quand la bise sera venue : augmenter les primes de 300 euros par an n’engage aucun gouvernement à venir. Celles qui ne signent pas seront exclues du cercle des négociations infinies. Mais elles auront un peu sauvé l’honneur de la recherche en refusant des primes - par nature inégalitaires - pour les seuls titulaires, en refusant l’inflation d’emplois contractuels au détriment des postes de fonctionnaire, en refusant l’évaluation permanente qui est destructrice des collectifs de travail, et en refusant de refermer le piège de la LPPR sur les générations de chercheurs à venir et sur plusieurs génération de précaires.

      –-----------

      Ce scénario d’imposition de la LPPR ressemble étrangement aux quatre étapes décrites dans le trailer du film de 1973 de George Roy Hill, L’Arnaque (The Sting) : « D’abord on monte le coup (la LPPR) , … ensuite on met l’appât (le protocole), … puis on fait un court-circuit (division des syndicats par les chantages multiples), … enfin l’arnaque est prête (la signature d’un faux protocole ouvrant le droit à négocier) ».

      https://www.youtube.com/watch?v=QUhAwqvHZnk&feature=emb_logo

      La LPPR comme le protocole d’accord constituent une seule et même escroquerie, exemplaire d’un néolibéralisme cynique qui a remplacé la carotte et le bâton par le masque et les fumigènes. Mais les masques tombent et la fumée se dissipe.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/140920/l-arnaque
      #arnaque

    • Drôle de collision dans l’actualité : les chercheurs mobilisés contre le projet de loi de programmation pour la recherche devaient inaugurer ce lundi une « semaine noire », durant laquelle ils entendaient mettre « l’université et la recherche à l’arrêt ». Ces dernières seront effectivement à l’arrêt, mais pour cause de coronavirus tout comme le reste de l’économie et de la société. Ironie supplémentaire, certains de ces chercheurs se battent parfois depuis plus d’une décennie pour obtenir des moyens dans la durée pour la recherche sur… les coronavirus, comme le raconte Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille, dans un coup de gueule désabusé.

      Une coïncidence révélatrice des défaillances du système de financement et de gouvernance du monde de la recherche, dont les bases ont été refondées il y a quinze ans. L’exécutif entendait cependant en renforcer encore la logique à travers la future loi de programmation, qui devait être présentée en conseil des ministres en avril. Antoine Petit, le PDG du CNRS, n’a pas hésité à appeler de ses vœux « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale ».

      Les chercheurs rejettent l’esprit inégalitaire et darwinien du projet du gouvernement

      Cet « esprit inégalitaire » et « darwinien », c’est précisément ce dont ne veulent plus les chercheurs mobilisés contre le projet du gouvernement. Ils craignent un renforcement de « la mise en concurrence généralisée des établissements, des unités de recherche, des disciplines et des personnels, alors même que nous savons à quel point celle-ci est contre-productive, réduisant le partage et la coopération et accroissant considérablement les risques de fraude ou de dérive éthique », comme l’écrivaient les 800 chercheurs et universitaires signataires de la tribune publiée dans les colonnes du journal Le Monde, qui menacent de démissionner de leurs fonctions administratives si le gouvernement ne retire pas son projet.

      L’instrument de cette compétition exacerbée entre équipes de recherche, c’est l’Agence nationale de la recherche (ANR), créée en 2005 dans le cadre de la précédente grande loi sur la recherche. Sa mission : mettre en œuvre un financement de la recherche par projets, là où prédominait uniquement jusqu’ici une logique de financement par structures. L’objectif du gouvernement était alors de redynamiser le paysage hexagonal de la recherche dominé par des grands organismes comme le CNRS ou l’Inserm, qu’il jugeait inertes et irréformables.

      Logique « top-down »

      L’ANR a cependant très vite buté sur deux écueils. D’abord un défaut de conception. Comme l’expliquait à l’époque l’économiste Elie Cohen, la structure qui a inspiré sa création, la National Science Foundation (NSF) aux Etats-Unis, consacre l’essentiel de son budget colossal (8 milliards de dollars en 2020) à la recherche fondamentale selon un processus « bottom-up », c’est-à-dire à partir de projets remontant du terrain. A l’inverse, « l’ANR est une agence de moyens pour financer de la recherche finalisée, motivée par des enjeux socio-économiques à partir d’une logique top-down [c’est-à-dire descendante, selon des programmes définis, NDLR] », analysait Elie Cohen. Or, les grandes innovations ou les grandes percées scientifiques – comme la lutte contre les maladies – naissent souvent de la recherche fondamentale. D’où l’épithète de « libérale-bureaucratique » accrochée alors à la réforme de 2005 par ses détracteurs.

      « La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate »

      Une logique incompatible avec la lutte contre les épidémies comme le coronavirus, observe le chercheur Bruno Canard, qui rappelle pourquoi les programmes de recherche fondamentale au long cours sont indispensables : « Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience. C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator-bis. » Et d’observer qu’à chaque fois qu’un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser alors que « la science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate ».

      L’autre écueil sur lequel a buté l’ANR depuis sa fondation a été son manque de moyens. Lors de son lancement en 2005, elle s’était vu promettre par le gouvernement que son budget monterait progressivement en puissance pour atteindre 1,3 milliard d’euros en 2010. Las ! Celui-ci a plafonné à 858 millions d’euros en 2008, comme le rappellent les sénateurs Philippe Adnot et Jean-François Rapin dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2020. Soit un maximum de 650 millions d’euros de crédits alloués aux projets de recherche. Ceux-ci ont ensuite diminué année après année jusqu’en 2015, avant de se redresser légèrement.

      Des taux d’échec démotivants

      Cette pénurie d’argent public, conjuguée à l’essor du nombre de dossiers présentés, a provoqué une chute du taux de succès des appels à projets : en 2018, seuls 16,2 % des projets présentés à l’ANR ont été retenus par elle pour faire l’objet d’un financement. « Avec un taux d’échec de 85 % des projets présentés, le rapport entre les charges administratives incompressibles et les financements espérés demeure très défavorable, entraînant une démotivation bien légitime des équipes scientifiques », concluent les deux sénateurs.

      Avec de tels résultats, la France fait figure de lanterne rouge en Europe. Le taux de succès sur appel à projets affiché par l’ANR « demeure très en deçà du taux de sélection pratiqué chez nos principaux partenaires européens, qui varie de 40 % pour le Fonds national suisse (FNS) à 35 % pour la Fondation allemande pour la recherche (DFG), la moyenne européenne se situant à 24 % », soulignent-ils encore. Avant d’ajouter : « Pour parvenir à un taux de succès comparable, l’ANR devrait bénéficier, a minima, d’un budget global d’un milliard d’euros. » Redonner de véritables moyens dans la durée à la recherche fondamentale dans les laboratoires publics, voilà qui inaugurerait d’une véritable « rupture », telle qu’annoncée par le président de la République dans son allocation jeudi dernier.

      #gâchis

    • Coronavirus : « La majorité des projets qu’on avait sur le virus étaient en stand-by » faute de financement, explique un scientifique

      Le monde de la recherche est appelé à la grève jeudi contre la future loi de programmation pluriannuelle, en cours de finalisation par le gouvernement.

      Ce qui pose problème dans les laboratoires, c’est que nous avons des charges croissantes de travail, qui consistent à écrire des projets très faiblement financés", a dénoncé jeudi 5 mars sur franceinfo le microbiologiste Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS, alors que le monde de la recherche est appelé à la grève ce jeudi contre la future loi de programmation pluriannuelle, en cours de finalisation par le gouvernement.

      Le laboratoire d’Etienne Decroly, « Architecture et fonction des macromolécules biologiques », basé à Marseille, travaille sur le coronavirus depuis l’épidémie du Sras en 2003. « Mais la majorité des projets qu’on avait sur ce virus étaient en stand-by, en partie à cause de problèmes de financement », a-t-il regretté. « Une société moderne doit assumer le fait qu’on cherche dans différentes directions, sans savoir pour autant, au préalable, quelles vont être et d’où vont venir les avancées majeures », a souligné Etienne Decroly.

      franceinfo : Travaillez-vous toujours sur le coronavirus aujourd’hui ?

      Etienne Decroly : On retravaille sur le coronavirus, à la suite de l’émergence [en Chine]. Mais la majorité des projets qu’on avait sur ce virus étaient en stand-by, en partie à cause de problèmes de financement et de difficultés à renouveler les contrats de recherches pour financer ce genre d’activités. Nous avions été obligés de « shifter » une partie des projets de recherches vers des projets qui étaient financés. On n’avait donc pas complètement arrêté nos recherches, mais elles avaient été largement diminuées, et donc forcément, ces projets tournaient au ralenti.

      Que demandez-vous au gouvernement qui est en train de finaliser la nouvelle loi de programmation pour la recherche ?

      Ce qui pose problème dans les laboratoires, c’est que nous avons des charges croissantes de travail, qui consistent à écrire des projets très faiblement financés. Pour nous, ce qui est important pour pouvoir être efficaces, c’est de pouvoir consacrer du temps à la recherche d’une part et d’avoir des financements suffisants, d’autre part, pour qu’on ait du personnel statutaire qui puisse se remobiliser rapidement sur des nouveaux sujets de recherches, afin de pouvoir mieux répondre aux crises comme celle qui apparaît maintenant.

      Les autorités de santé doivent, selon vous, s’inscrire dans des processus plus longs et ne pas réagir uniquement en cas de crise, comme avec le nouveau coronavirus ?

      C’est normal qu’on réagisse quand il y a une épidémie. Mais je crois qu’il ne faut pas oublier que les processus de recherches sont des processus lents, dont on ne peut pas prédire initialement quels sont les sujets qui vont émerger. Et donc, une société moderne doit assumer le fait qu’on cherche dans différentes directions, sans savoir pour autant, au préalable, quelles vont être et d’où vont venir les avancées majeures.

      https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-la-majorite-des-projets-qu-on-avait-sur-le-virus-etaient-en

    • #5_milliards : des effets d’annonce mais toujours pas de moyens pour la recherche !

      Les effets d’annonce d’Emmanuel Macron en pleine crise du coronavirus renforcent notre colère et notre détermination : nous voulons des moyens et des postes pour produire une recherche de qualité maintenant !

      Emmanuel Macron, qui n’a de cesse de scandaliser les soignant∙es et les chercheur∙ses mobilisé∙es depuis le début de la crise du #COVID-19, ajoute l’#ignominie à l’#indécence. Il promet ainsi, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur, une « hausse du budget de la recherche à hauteur de cinq milliards d’euros sur dix ans » – ce qui, ramené au budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), représente 2% d’augmentation par an. Les 400 millions promis par Frédérique Vidal dès 2021, sont en dessous des 700 millions d’augmentation en 2018 et des 850 millions en 2019. Ces 5 milliards sont donc au mieux équivalent à l’investissement des 10 dernières années qui nous ont amenés à cette situation catastrophique.

      « La crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d’investir massivement sur le long terme. J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre #effort_de-recherche, effort inédit depuis la période d’après-guerre », tweete-t-il le jeudi 19 mars (https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1240655308604739584).

      Nous supposons que la France est la seule nation qui ait besoin du COVID-19 pour « connaître le caractère vital de la recherche scientifique » et savoir qu’il fallait donner aux équipes de recherches des emplois permanents et des moyens pour travailler. Cet effort est promis depuis 2000 (stratégie de Lisbonne) et demandé depuis tout aussi longtemps par les Universités et les établissements publics de recherche (EPST). Nous aimerions que le Président ne se prévale pas de l’après-guerre, qui a connu la réorganisation du CNRS créé par Jean Zay en 1939, et encore moins d’un « #effort_inédit », lui qui a contribué depuis qu’il a été Ministre de l’économie et des finances à détruire l’#emploi_scientifique_permanent, en multipliant les #contrats_précaires.

      Aujourd’hui, alors que l’ensemble des instances représentatives de la recherche publique demande la création massive de postes titulaires et l’augmentation des financements récurrents aux laboratoires, Emmanuel Macron répond par des postes précaires et des #investissements_fléchés par #appels_à_projet #ANR. Alors que les Universités et la recherche, mobilisées depuis le 5 décembre et à l’arrêt le 5 mars, réclament des moyens de fonctionner décemment, comme nous l’exprimions dans notre motion (https://universiteouverte.org/2020/03/07/motion-de-la-deuxieme-coordination-nationale-des-facs-et-labos-en) issue de la deuxième coordination nationale des facs et labos en lutte qui a réuni 500 universitaires représentant 10 000 personnes mobilisées de toute la France, Emmanuel Macron nous répond avec encore plus de #mépris et nous distribue des miettes pourtant déjà prévues depuis longtemps.

      Jusqu’à présent, cette politique austéritaire ne semblait toucher que les étudiant·es les moins doté·es et les travailleur·ses de l’enseignement supérieur et de la recherche pressurisé·es et précarisé·es dramatiquement. Ce que met en lumière la crise du COVID-19, c’est que cette politique austéritaire est mortelle pour l’ensemble de la population. Faute de moyens donnés aux chercheur·ses pour faire de la recherche, nous sommes privé·es d’une des « armes » les plus efficaces de la « guerre » revendiquée par Emmanuel Macron : celle des résultats scientifiques de qualité permettant de résoudre les crises majeures.

      Emmanuel Macron et Frédérique Vidal feraient mieux d’écouter #Bruno_Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus au CNRS, qui dénonce très exactement la méthode et les logiques dans lesquelles ce gouvernement s’enferre, en qualifiant de « #hold-up » l’#assèchement des financements pérennes au profit de l’ANR et du #Crédit_Impôt_Recherche. Nous réclamons, pour arriver à l’objectif minimal de 1% du PIB dédié à la recherche publique, 10 milliards, immédiatement et dans les trois années à venir, sous forme de titularisations de chercheur·ses précaires, de créations de postes et d’augmentation des crédits aux laboratoires publics.

      Avec cette déclaration d’Emmanuel Macron, nous sommes donc très loin des besoins réels de la recherche publique. Le plus insupportable serait de penser que la hausse de budget promise n’aille pas totalement à la recherche, mais bien plutôt à l’#optimisation_fiscale_privée. Depuis plusieurs années, sur le budget du MESRI, figurent 6,5 milliards de Crédit Impôt Recherche (#CIR), utilisés quasi exclusivement pour de l’#optimisation_fiscale, qui représente un quart du budget de l’enseignement supérieur et recherche et deux fois le budget du CNRS. Nous demandons donc sa suppression.

      Cette suppression du CIR permettra de dépenser utilement et immédiatement ce budget pour les acteurs en première ligne sur le front de la lutte contre l’épidémie et qui en ont cruellement besoin : les patient∙es, les soignant∙es et les personnels de la recherche. Maintenant.

      https://universiteouverte.org/2020/03/19/5-milliards-des-effets-dannonce-mais-toujours-pas-de-moyens-pour-
      #ESR

    • #LPPR/ Des annonces en trompe-l’œil bien loin de la réalité de l’enseignement supérieur et de la recherche

      Le Président de la République vient d’annoncer, le 19 mars 2020, une augmentation du budget de la recherche de 5 Md€ sur dix ans représentant à ses yeux « un #effort_inédit » depuis 1945. Cette annonce faite en plein cœur d’une crise sanitaire majeure qui met les établissements face à une situation très tendue, notamment du point de vue de la protection des personnels et usagers et de la continuité du service public de l’ESR, pose de nombreuses questions.

      Pour l’année budgétaire à venir, cela représenterait une augmentation de 400 millions d’euros a quant à elle précisé Frédérique Vidal.

      Contrairement aux apparences, ces annonces ne font que reprendre certains engagements et sont loin de répondre aux besoins urgents que nous exprimons maintenant depuis des mois. Le financement public de l’ESR nécessite un investissement de 3 milliards d’€/an pendant 10 ans pour atteindre l’objectif de 1 % du PIB pour la recherche publique et 2 % du PIB pour l’enseignement supérieur. Nous sommes loin du compte.

      Par ailleurs, ces annonces posent des problèmes de fond :

      1/ la conversion récente du Président de la République et de son gouvernement à la défense du service public ne nous fait pas oublier les attaques multiples concernant la fonction publique contenues dans les rapports préparatoires au projet de LPPR et au-delà dans la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019. Le SNESUP-FSU rappelle son attachement à un service public de l’ESR au service de l’intérêt général et qui permette l’accès et la réussite de tou·tes les étudiant·es ;

      2/ le sursaut annoncé repose essentiellement dans un premier temps sur une augmentation du budget de l’#ANR. Il ne mettra pas fin aux limites intrinsèques de la recherche sur projet dénoncées par la plupart de la communauté scientifique. Que la recherche publique sur les coronavirus ait été délaissée du fait des mécanismes de concurrence induits par la recherche sur projet devrait pourtant nous alerter sur les dysfonctionnements graves de notre système de recherche. Débloquer des fonds en urgence pour la recherche en « santé globale » et seulement à cause de l’urgence témoigne d’une incompréhension totale de la temporalité propre à la recherche scientifique fondamentale. Faudra-t-il attendre d’autres crises (environnementale, énergétique, alimentaire, sociale, démocratique, etc.) pour que d’autres champs de connaissance bénéficient des fonds nécessaires pour mener leurs recherches ?

      Le SNESUP-FSU réaffirme la nécessité d’un financement pluriannuel reposant sur une augmentation significative des crédits de base de tous les laboratoires et non sur la généralisation des appels à projets ;

      3/ l’urgence d’un plan massif d’emploi scientifique reste complètement absente des propositions alors qu’elle est au cœur des revendications de la communauté universitaire. 6000 emplois par an sur 10 ans, toutes catégories confondues, sont nécessaires pour mettre fin d’urgence à la politique de précarisation et le recours massif aux vacataires.

      Face à la crise actuelle, la responsabilité de toutes et de tous est engagée. La nôtre, mais également celle du ministère qui ne peut se contenter d’annonces en trompe-l’œil. Nous attendons bien mieux.

      https://www.snesup.fr/article/lppr-des-annonces-en-trompe-loeil-bien-loin-de-la-realite-de-lenseignement-su

    • Recherche : la rupture selon E. Macron, c’est de ne rien changer

      En pleine crise épidémique, c’est avec un aplomb consternant tant il est déplacé, qu’Emmanuel Macron et le gouvernement ont annoncé des mesures concernant la recherche et l’enseignement supérieur, présentées comme d’une ampleur rare. Pendant la crise, l’enfumage continue. Décryptage d’un virage... à 360 degrés.

      Le 19 mars, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur à Paris, E. Macron a déclaré « J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre effort de recherche, effort inédit depuis la période de l’après-guerre ». Bien sûr, il est absolument pathétique de constater qu’il a fallu ce genre de crise pour qu’enfin nos dirigeants comprennent, ou feignent de comprendre, « le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d’investir massivement pour le long terme » (un autre élément de la déclaration d’E. Macron).

      Diriger, a fortiori diriger un pays, c’est prévoir, pas prendre des mesures quand on est déjà dans le mur. En complément de cette annonce, la ministre de la Recherche Frédérique #Vidal, également présente, a expliqué que le « #réinvestissement massif de 5 milliards d’euros allait s’ajouter aux 15 milliards d’euros déjà prévus, ce qui « fait une augmentation de 25% ». L’Elysée a précisé que cet effort se fera sur dix ans dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche (« #LPPR ») en cours de préparation et qu’il « se traduira notamment par une nouvelle augmentation du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR, un milliard d’euros supplémentaires, NDLR), une revalorisation substantielle des carrières, la création de nouvelles chaires de #professeurs_juniors et une amélioration de l’#efficacité de notre système de recherche ».

      Voilà les annonces. Alors on hésite entre le « Ouah ! » devant l’« ampleur » des sommes annoncées, le « Aïe ! » au rappel de cette fichue LPPR qui est toujours dans les tuyaux, et le « Euh… » ne s’agirait-il pas d’une opération de communication, au timing particulièrement cynique, et ne seraient-ils pas en train de nous enfumer ? Alors essayons d’y voir plus clair.

      Concernant les sommes tout d’abord. Commençons par rappeler, une fois encore, les engagements européens de la France (depuis le Conseil européen de Barcelone en mars 2002) impliquant notamment que le pays devait consacrer 1% de son PIB à la recherche publique. Notons au passage que cet engagement européen a été maintes fois répété par les gouvernements qui se sont succédés depuis et que le budget de la recherche publique française continue cependant de stagner entre 0.75 et 0.80% du PIB. Comme quoi, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, un point sur lequel nous reviendrons.

      Pour que notre pays tienne, enfin !, ses engagement pris à Barcelone, il faudrait par exemple qu’il augmente par paliers ses dépenses publiques de recherche de 2 milliards d’euros par an pendant 3 ans (voir p. 18), donc, par rapport au budget actuel, +2 milliards l’an prochain, + 4 milliards l’année suivante, et + 6 milliards ensuite. Sur la période de 10 ans évoquée par les annonces récentes, cela représente donc 54 milliards d’euros. Aux contribuables qui seraient effrayés par ces sommes, rappelons que, sur 10 ans, ce ne sont pas moins de 60 à 70 milliards d’euros qui sont offerts aux entreprises par le biais du Crédit Impôt Recherche (CIR), dont l’inefficacité a pourtant été dénoncée par tous depuis longtemps (y compris la cours des comptes), et qui ne nous permet même pas aujourd’hui en retour d’avoir en quantité suffisante les médicaments dont nous aurions besoin (fabriquer en Asie, c’est moins cher ; il ne faudrait surtout pas que le CIR serve à maintenir l’emploi scientifique privé en France, ça ferait baisser les dividendes des actionnaires). Conclusion, même si les intentions ostentatoirement arborées pourraient paraitre bonnes, le compte n’y est pas, loin de là (et, à nouveau, nous reviendrons sur cette notion d’intention).

      Comment ensuite interpréter ce chiffre de 5 milliards ?

      La communication est malheureusement bien floue, ou au contraire très maitrisée dans ce flou, et il est difficile de s’y retrouver. 5 milliards, qui s’ajoutent aux 15 initialement prévus, ce qui fait une augmentation de 25%, le tout sur 10 ans. Triturez-vous les neurones dans tous les sens, rien ne colle. Quand on dit qu’on passe de 15 à 20 milliards, cela fait une augmentation de 33.3%, pas de 25%, mais ça, passe encore, F. Vidal nous a habitués à sa perception très personnelle de l’arithmétique. Quand on me dit que l’on va ajouter 5 milliards aux 15 initialement prévus, je comprends que le budget 2021 de l’ESR sera de 20 milliards d’euros. Si cela était +5 milliards dès l’an prochain et pendant 10 ans, ceci serait, pour le coup, environ ce qu’il manque pour tenir nos engagements de Lisbonne.

      Mais en sortant d’une crise comme celle que nous vivons, on peut raisonnablement supposer qu’il ne s’agit pas de cela. On peut aussi comprendre qu’il va y avoir 5 milliards de plus, en tout, et répartis sur 10 ans, soit 500 millions d’euros de plus par an en moyenne. Si c’est cela, c’est dérisoire au regard des besoins, mais aussi au regard de la crise, et au passage, c’est l’augmentation qui a déjà eu lieu cette année (et voir plus bas ce que cela veut vraiment dire). Mais il semblerait, tel que semble le comprendre la majorité des gens, que ce qui nous est dit, c’est que le budget de la recherche finira, dans 10 ans, par être de 5 milliards de plus par an qu’aujourd’hui. Si tel est le cas, nous sommes donc très loin des 54 milliards d’euros qu’il faudrait dépenser d’ici là pour avoir une recherche publique financée à hauteur de 1% du PIB, surtout lorsque l’on aura pris en compte 10 ans d’inflations et de GVT (cf plus bas).

      Passons maintenant à la « stratégie ». Dans la complète logique de ce qui avait déjà été évoqué concernant la LPPR, un renforcement majeur du financement de l’ANR (un milliard !) est annoncé. C’est absolument contraire à ce qu’attend la majorité des chercheurs, comme exprimé par le Comité National de la Recherche Scientifique, les sociétés savantes, ou encore le rapport à l’Assemblée National de la commission présidée par Amélie de Montchalin et Patrick Hetzel (la question 5, presque à la fin) qui montre que 2% (!) seulement des chercheurs interrogés souhaitent accorder une priorité au financement sur projet alors que 75% souhaitent accorder la priorité au financement récurrent.

      Dans son avis du 24 février dernier, à propos de la préparation de la LPPR, le Comité d’Ethique du CNRS (COMETS) rappelle qu’un « équilibre entre ressources récurrentes et contractuelles est nécessaire pour garantir l’indépendance des chercheurs, stimuler la découverte de nouveaux objets d’étude et favoriser la recherche fondamentale sur le long terme » et que « La domination de priorités thématiques dans le financement de la recherche a des conséquences négatives sur la diversité et la créativité de la production scientifique ». Rappelons que cette domination des #priorités_thématiques est un travers inhérent à la logique d’appel à projet, tout comme bien sûr la logique de #compétition . Qu’en pense le COMETS ? : « L’instauration de la compétition comme dynamique de la recherche est propice au développement de méconduites et fraudes telles que le plagiat et la falsification des résultats. Par ailleurs, la pression s’exerçant sur le chercheur peut générer diverses formes de harcèlement ».

      Un autre point cité de la stratégie, là aussi déjà présenté par ailleurs, est la création de nouvelles chaires de professeurs juniors, dont les modalités restent nébuleuses sauf sur un point évident qui est l’iniquité que ces postes créeraient. L’idée de ces postes est d’attirer des « #stars ». Or, voici ce que nous en dit le COMETS : « L’incitation au recrutement et à l’évaluation des personnels principalement selon des critères bibliométriques ne garantit pas le développement d’une recherche de qualité, pas plus que l’embauche de « stars » selon ces mêmes critères ».

      Quant à l’amélioration de l’efficacité de notre système de recherche, comment peut-on imaginer qu’il sera changé autrement que dans la logique à l’œuvre depuis une vingtaine d’années, les mêmes conseillers, la même idéologie, s’exprimant toujours au sein du ministère ? On ira encore un peu plus loin dans une logique qui a en fait détérioré l’efficacité de notre système de recherche par deux principaux facteurs : la complexification au motif de la simplification, et la pénurie extrême de personnel pérenne, comme expliqué ici.

      Pour autant, malgré ce décryptage, n’est-il pas déplacé de minauder ainsi sur des « « « détails » » » alors que l’on nous annonce une augmentation de budget ? Méfions-nous des effets d’annonce. En début d’année, le ministère plastronnait tel Tartarin, en annonçant un budget 2020 de 25,49 milliards d’euros avec une « hausse de + 500 millions d’euros par rapport à l’an passé représentant 10 % de la hausse du budget de l’État entre 2019 et 2020 ». Mais en janvier 2020, il y avait une inflation à 1.5% sur un an. Tenant compte de cette inflation, le budget 2019, reconduit en euros constant en 2020, aurait donc été de 25.36 milliards. L’augmentation réelle en euros constants n’était donc que de 125 millions d’euros environ. Or, il faut aussi tenir compte de ce que l’on appelle le GVT (Glissement Vieillesse Technicité), lié à la progression des rémunérations des personnels au cours de leur carrière. Au CNRS, le GVT est d’environ 25 millions d’euros par an. Comme le budget du CNRS représente environ 10% du budget du MESRI, on peut estimer à 250 millions d’euros le GVT pour l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).

      Ainsi, entre 2019 et 2020, malgré l’annonce d’une augmentation de 500 millions, il y a donc eu 125 millions d’euros en moins pour faire de la recherche. Certes, d’autres ministères n’ont pas eu l’heur d’une telle augmentation ; au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Alors, quand, nouvelle tartarinade, on annonce une « première marche de 400 millions » dès 2021, selon ce que l’on vient de voir, c’est 100 millions de moins qu’en 2020, ce qui veut dire que ce n’est pas 125, mais environ 225 millions en moins qui seront perdus par la recherche en 2021 par rapport à 2019.

      Surtout, souvenons-nous des engagements pris à Lisbonne, et jamais tenus depuis 18 ans. Soyons aussi extrêmement conscients du fait que notre pays sortira de cette crise épidémique très affaibli économiquement, donc que les recettes de l’Etat seront très diminuées. Qui peut avoir la naïveté de croire qu’un gouvernement néolibéral, dans un monde néolibéral, va accroitre massivement ses dépenses publiques dans une phase de sortie de crise où ses comptes seront encore plus dans le rouge qu’il y a deux mois, quand la cours des comptes l’exhortait à réduire ses dépenses publiques ? (Re)lisez, c’est crucial, ce billet antérieur expliquant qu’en matière de budget, aucun engagement ne peut jamais être tenu. Quelles que soient les annonces carillonnantes faites aujourd’hui, nous n’aurons de certitude sur le budget consacré à l’ESR en 2021 que lorsque le budget de l’État pour 2021 sera voté, idem pour 2022 et toutes les années suivantes.

      En pleine crise, nos dirigeants essaient de faire croire aux français qu’ils ont vraiment compris, et qu’ils vont être les sauveurs de la recherche.

      Mais comme nous l’avons vu, tant pour les montants annoncés que pour la stratégie, rien ne correspond à ce qui serait nécessaire pour qu’il y ait une rupture. Il s’agit donc là de pure #communication, mais aussi d’une façon de mettre en place, en force, le contenu néfaste de la LPPR, à défaut de la LPPR elle-même, alors que l’épidémie fait rage et que les personnels de l’ESR ne peuvent plus mener aucune action pour s’y opposer. Quelle abjection que de faire croire au plus grand nombre que l’on va sauver ce que l’on continue à mutiler ! Quel #cynisme absolu faut-il avoir pour refuser tout débat (cf. la non communication des tous les ministres à ce sujet) concernant l’état désastreux de l’hôpital ou de la recherche, au nom d’une « union sacrée » qui serait indispensable en temps de guerre, tout en profitant de cette période pour couper court à tout débat dans le cadre de la mise en place d’une loi âprement combattue.

      Avec ces annonces, E. Macron et son gouvernement ont montré de la plus éclatante manière que contrairement aux envolées lyriques d’il y a une semaine, absolument rien ne change dans leur logique. En effet, qui peut croire un Président, qui, le 12 mars dernier nous disait qu’il « nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties », qui ajoutait « les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de #rupture en ce sens. Je les assumerai », et qui aujourd’hui propose aux chercheurs exactement les mêmes mesures que celles qu’ils combattent depuis des mois.

      Du 12 au 19 mars, il ne lui aura fallu qu’une semaine pour renoncer à tirer les leçons, interroger le modèle, et, en guise de rupture, proposer aux personnels de l’ESR des mesures strictement inchangées, où l’appel à projet, le pilotage de la recherche, la compétition à outrance sont rois, où absolument rien n’est proposé pour résoudre la crise extrême de l’emploi pérenne, pourtant source de tant de souffrance et de tant d’inefficacité.

      Il est probable que dans les jours qui viennent, devant l’ampleur des mouvements de soutien aux personnels de santé qui, chaque soir à 20h, rassemblent les français à leurs fenêtres, des annonces soient faites concernant l’hôpital public, et qui ont malheureusement toutes les chances d’être dans le même esprit, dans le même aveuglement.

      Car il est effarant tout autant qu’effrayant de constater à quel point l’#aveuglement_idéologique est ici à l’œuvre et empêche toute rupture. Ils ne peuvent pas changer, ils ne peuvent pas prendre et assumer des décisions de rupture car ils sont prisonniers de leur #idéologie. Puisque nos actuels gouvernants sont absolument incapables d’opérer les ruptures que E. Macron pense indispensables, si l’on pense comme lui que ces ruptures sont effectivement vitales, il n’y a pas d’autre solution que de changer de responsables, donc déjà, dans un premier temps, de gouvernement, en attendant les prochaines élections.

      Quand le temps du confinement sera passé, puisque nous savons déjà, pour la recherche au moins, quelles sont les intentions, aux antipodes de toute rupture, espérons que cette crise épidémique aura mis en évidence aux yeux de tous les français l’ampleur de l’incurie dans l’hôpital public et la recherche, qu’ils seront attentifs et solidaires aux demandes des personnels de ces deux institutions, et qu’au-delà, ils pèseront de tout leur poids de citoyens, de toutes les façons, pour qu’il y ait, enfin, les ruptures profondes et véritables qui seules nous donneront les moyens de faire face à la crise climatique, bien plus grave et bien plus durable que celle que nous vivons aujourd’hui.

      https://blogs.mediapart.fr/marchalfrancois/blog/200320/recherche-la-rupture-selon-e-macron-c-est-de-ne-rien-changer

      #stratégie_du_choc

    • L’Agence nationale de la recherche en quarantaine, vite ! - communiqué du SNCS, 19 mars 2020

      La crise provoquée par le SARS-CoV-2 étant brutalement entrée dans sa phase aiguë, un appel à la recherche, en vue de trouver des moyens d’endiguer l’épidémie de CoviD-19, a été lancé par le gouvernement. On ne rattrapera pas le temps perdu à ne pas financer comme elles auraient dû l’être les équipes qui travaillaient, depuis le début du siècle, sur les coronavirus. Mais il faudrait au moins, maintenant, ne pas faire exprès de perdre encore du temps.

      Or à l’heure – car c’est pratiquement une question d’heures – où il conviendrait de doper sans retenue toutes les équipes qui travaillent sur le SARS-CoV-2 et les systèmes qui peuvent lui être apparentés, que fait le gouvernement ? Il charge l’ANR de lancer un appel à projets ! Toujours avec les mêmes idées négatives : 1°) ne risquer dans l’affaire sou qui soit mal placé 2°) ne pas s’exposer à financer des équipes qui pourraient ne rien trouver ... 3°) surtout ne pas faire confiance directement aux établissements publics de recherche, en particulier ne tenir aucun compte de la continuité de leur culture scientifique, de leurs capacités de réaction immédiate ni de leurs compétences collectives ...

      Cette mascarade, ridicule en temps normal, est aujourd’hui potentiellement criminelle. Il faut, sans attendre - sans détour par l’ANR - financer sans restriction, « quoiqu’il en coûte », les équipes de recherche qui peuvent travailler sur le SARS-CoV-2. Des crédits doivent être alloués pour cela immédiatement au CNRS, à l’INSERM, à l’IRD et à l’INRAE.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8688

    • Coronavirus et financement de la recherche : poudre de perlimpimpin

      Les #effets_d’annonce d’Emmanuel Macron en pleine crise du coronavirus renforcent notre #colère et notre détermination : nous voulons des moyens et des postes pour produire une recherche de qualité MAINTENANT !

      Emmanuel Macron, qui n’a de cesse de scandaliser les soignant∙es et les chercheur∙ses mobilisé∙es depuis le début de la crise du COVID-19, ajoute l’#ignominie à l’#indécence. Il promet ainsi, à l’occasion d’une visite à l’Institut Pasteur, une « hausse du budget de la recherche à hauteur de cinq milliards d’euros sur dix ans » — ce qui, ramené au budget du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), représente 2% d’augmentation par an. Les 400 millions promis par Frédérique Vidal dès 2021, sont en dessous des 700 millions d’augmentation en 2018 et des 850 millions en 2019. Ces 5 milliards sont donc au mieux équivalent à l’investissement des 10 dernières années qui nous ont amenés à cette situation catastrophique.

      Nous supposons que la France est la seule nation qui ait besoin du COVID-19 pour « connaître le #caractère_vital de la #recherche_scientifique » et savoir qu’il fallait donner aux équipes de recherches des emplois permanents et des moyens pour travailler. Cet effort est promis depuis 2000 (#stratégie_de_Lisbonne) et demandé depuis tout aussi longtemps par les Universités et les établissements publics de recherche (EPST). Nous aimerions que le Président ne se prévale pas de l’après-guerre, qui a connu la réorganisation du CNRS créé par Jean Zay en 1939, et encore moins d’un « #effort_inédit », lui qui a contribué depuis son arrivée au Ministre de l’économie et des finances, à détruire l’emploi scientifique permanent, en multipliant les contrats précaires.

      Aujourd’hui, alors que l’ensemble des instances représentatives de la recherche publique demande la création massive de #postes_titulaires et l’augmentation des #financements_récurrents aux laboratoires, Emmanuel Macron répond par des postes précaires et des #investissements_fléchés par appels à projet #ANR. Alors que les Universités et la recherche, mobilisées depuis le 5 décembre et à l’arrêt le 5 mars, réclament des moyens de fonctionner décemment, comme nous l’exprimions dans notre motion issue de la coordination nationale des facs et labos en lutte qui a réuni 500 universitaires représentant 10 000 mobilisés de toute la France, Emmanuel Macron nous répond avec encore plus de #mépris et nous distribue des miettes pourtant déjà prévues depuis longtemps.

      Jusqu’à présent, cette #politique_austéritaire ne semblait toucher que les étudiant·es les moins doté·es et les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche pressurisé.e.s et précarisé·es dramatiquement. Ce que met en lumière la crise du COVID-19, c’est que cette politique d’#austérité est mortelle pour l’ensemble de la population. Faute de moyens donnés aux chercheurs de faire de la recherche, nous sommes privés d’une des « armes » les plus efficaces de la guerre revendiquée par Emmanuel Macron : celle des résultats scientifiques de qualité permettant de résoudre les crises majeures.

      Emmanuel Macron et Frédérique Vidal feraient mieux d’écouter #Bruno_Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus au CNRS, qui dénonce très exactement la méthode et les logiques dans lesquelles ce gouvernement s’enferre, en qualifiant de « #hold-up » l’assèchement des financements pérennes au profit de l’ANR et du #Crédit_Impôt_Recherche. Nous réclamons, pour arriver à l’objectif minimal de 1% du PIB dédié à la recherche publique, 10 milliards, immédiatement et dans les trois années à venir, sous forme de #titularisations de chercheur.e.s précaires, de créations de postes et d’augmentation des crédits aux laboratoires publics.

      Avec cette déclaration d’Emmanuel Macron, nous sommes donc très loin des besoins réels de la #recherche_publique. Le plus insupportable serait de penser que la hausse de budget promise n’aille pas totalement à la recherche, mais bien plutôt à l’#optimisation_fiscale privée. Depuis plusieurs années, sur le budget du MESRI, figurent 6,5 milliards de Crédit Impôt Recherche (#CIR), utilisés quasi exclusivement pour de l’optimisation fiscale, qui représente un quart du budget de l’Enseignement supérieur et recherche et deux fois le budget du CNRS. Nous demandons donc sa suppression1.

      Cette suppression du CIR permettra de dépenser utilement et immédiatement ce budget pour les acteurs en première ligne sur le front de la lutte contre l’épidémie et qui en ont cruellement besoin : les patient∙es, les soignant∙es et les personnels de la recherche. Maintenant.

      https://academia.hypotheses.org/21299

    • Coronavirus : « On aurait pu sans doute avoir un vaccin et / ou des traitements prêts… »

      Bonjour, peux-tu d’abord brièvement te présenter ?
      Je suis immunologiste, chercheur CNRS dans une unité INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) en milieu hospitalier, retraité depuis 2009 mais directeur de recherches émérite, et, à ce titre, en temps normal, je vais tous les jours à mon labo.

      Commençons par le commencement : CoVid ?
      C’est un « nouveau » virus, pour l’homme en tout cas, puisqu’il était présent depuis longtemps chez le pangolin et la chauve-souris (la transmission vient plus probablement d’elle). La séquence du génome l’a démontré. Il n’est nul besoin d’imaginer un complot de l’armée US ou des laboratoires chinois. Des transmissions de ce genre se sont déjà produites : Ebola, le Sida où là encore les théories du complot ont surgi alors que les équipes de Pasteur en France et au Cameroun (entre autres) ont démontré le rôle des chimpanzés et/ou du singe vert. C’est un virus « émergent », comme l’a été en son temps (2002-2003) le SARS-CoV-1, responsable du SRAS, lui aussi un coronavirus. Ils appartiennent à la même famille, qui n’a rien a voir avec les virus de la grippe, mais ce coronavirus là est nettement plus contagieux que le SARS-CoV-1.

      Tu parles de virus émergents. Était-ce « prévisible » ?
      Oui, et je renvoie d’ailleurs à l’excellent article du Monde diplomatique de mars1. La multiplication des épidémies et pandémies à intervalles de plus en plus rapprochés est pour beaucoup d’éco-scientifiques liée à la mondialisation : transports aériens (qui nous mènent en quelques heures là où les caravelles prenaient des semaines) et réseaux routiers « désenclavant » les petits villages auparavant isolés – ce qui limitait la propagation – se surimposant à l’envahissement/destruction d’écosystèmes à des fins mercantiles, provoquant inévitablement la « confrontation » de l’homme à des virus avec lesquels il n’a eu aucun contact récent. Dans notre cas, la survenue d’une nouvelle épidémie à SARS était inévitable. D’où l’existence de réseaux d’alerte.

      Mais était-ce prévisible, donc pouvait-on avoir une action préventive ?
      Il est difficile de dire « oui » dans la mesure où les recherches ad hoc ont été stoppées avant d’aboutir. Un petit parallèle avec d’autres virus est utile. Pour la grippe, par exemple, on « prévoit » les mutations à venir, de sorte que l’on vaccine chaque année contre l’épidémie qui va survenir. Cela n’exclut pas une mutation inattendue. Ça a été le cas du H1N1 (2009-2010), mais l’existence d’équipes en alerte continue sur le sujet a permis de détenir très vite un vaccin, et de vacciner en masse. On sait que la mortalité en Europe et USA a été estimée au préalable de façon excessive, ce qui a nourri en 2010, et ensuite, les soupçons de collusion entre OMS et industrie pharmaceutique pour écouler une surproduction vaccinale.
      Là, pour les corona, c’est un peu l’inverse. La structure des virus corona permettait d’envisager un/des déterminant(s) antigénique(s) commun(s) permettant le projet d’un « pan vaccin » anti-corona. Un des meilleurs spécialistes français à ce sujet, Bruno Canard, mérite d’être cité longuement : « On venait alors de lancer de grands programmes de génomique structurale sur les virus pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus. Un projet européen lancé à cette fin à l’époque a été suivi d’autres programmes. L’irruption du SARS-CoV en 2003 a illustré la pertinence de cette démarche. Cela nous a conduits à décrire une première structure cristallographique dès 2004. […] Je pense qu’énormément de temps a été perdu entre 2003 et aujourd’hui pour trouver des médicaments. En 2006, l’intérêt pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. Nous avons alors eu du mal à financer nos recherches. L’Europe s’est dégagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Or, la science ne marche pas comme cela. Cela prend du temps et de la réflexion. […] J’ai pensé à tous les projets ANR (Agence nationale de la recherche) que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés. J’ai pensé à ce projet ANR franco-allemand, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de le redéposer tel quel un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits. »2

      Tu veux dire que des projets de recherche sur des « pan vaccins » existaient et qu’ils n’ont pas été financés ?
      Oui. D’abord, ça prend du temps de rédiger des projets et de les soumettre pour ne pas survivre qu’avec de maigres projets récurrents. Ensuite, il faut attendre et, en France, les projets retenus par l’Agence nationale de la recherche ne sont qu’une fraction des projets soumis, et c’est la même chose au niveau européen.
      De plus, ces projets sont soumis en réponse le plus souvent à des « appels d’offres » qui correspondent aux sujets « en pointe », « prioritaires », à la mode ou « susceptibles de débouchés importants »… On voit ici, je vais y revenir, le danger de collusion public-privé…

      Tu veux dire que les établissements français de recherche ne sont plus subventionnés comme « avant » ?
      Oui. Quand j’ai démarré la recherche je fonctionnais très bien avec les seuls crédits d’État récurrents (normalement reconduits d’année en année). Puis sont apparus, à la fin des années 1970, les « actions thématiques programmées ». Mais elles représentaient une « cerise sur le gâteau ».
      La situation s’est vite dégradée sous Chirac, puis Sarkozy et Hollande. D’abord, les crédits récurrents – hors grands instruments et programmes spatiaux – ont été rognés systématiquement, en dépit des promesses d’atteindre le niveau, défini par l’Europe, de 2 puis 3 % du PIB… Actuellement, un labo INSERM – favorisé par rapport au CNRS – ne fonctionne qu’à 25-30 % sur crédits récurrents, 15 à 20 % pour le CNRS. Puis sont venus les financements « privés », qui certes (ARC, LNFCC pour le cancer, legs à Pasteur ou à Curie) existaient déjà, mais une nouvelle ampleur a été donnée par Téléthon et Sidaction (« La recherche ne doit pas vivre de quêtes » reste un slogan d’actualité). Puis les fameux projets ANR.

      Tu parais très critique sur la recherche sur projets…
      Soyons clairs : jamais au Wellcome Research Institute ni au NIH (Bethesda, près de Washington, USA) on ne m’a demandé dans les années 1973-1974 puis 1980-1981 mon projet comme « exchange fellow » puis « visiting scientist », ni à mon retour sous Mitterrand et même Chirac au début. J’avais, attention – comme on l’a encore – une évaluation annuelle sur « rapport d’activité », et le labo était évalué tous les quatre ans, avec dépôt d’un nouveau projet pour reconduction ou fermeture. La recherche en réponse sur projets change tout. Hors thématiques que l’on ne peut abandonner (la recherche sur le Sida en est un exemple), ça donne beaucoup de définitions programmatiques par des technocrates… Or, comme disaient les manifestants au temps de « Sauver la Recherche », sous Fillon, « l’ampoule électrique n’a pas été inventée en faisant des programmes sur la prolongation de la vie et l’amélioration de la luminosité de la bougie ». Puis sont venues les fausses déclarations sur les budgets en augmentation, et en parallèle les coupes de postes… et l’arrivée des ­partenariats public-privé.

      Le privé joue un rôle ?
      Eh oui ! Merci Jospin, merci Allègre (et aussi Geismar), et la loi innovation recherche qui permet de créer des start-up à côté de son labo, mais aussi le crédit impôt recherche, don de milliards d’euros au privé sans retour vérifié, Cour des comptes dixit. Dans un certain nombre de cas, start-up et grosses boîtes pharmaceutiques deviennent de fait co-directeurs du labo… public.

      Et les postes ?
      Alors là, cata absolue : chute des postes, développement de la précarisation – très net en biologie mais pas que là –, d’où les premières manifestations sous Fillon, et la manifestation récente des collectifs de laboratoires.
      Macron annonce une augmentation du budget recherche sur 10 ans…
      D’abord, le compte n’y est même pas, comme le souligne le communiqué du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). Ensuite, on a l’habitude de ces annonces. Tant qu’il n y aura pas de vote sur ça au Parlement, je resterais plus que sceptique… Pour moi, ce qui compte, c’est la situation actuelle qui est quasi catastrophique…

      Alors, le virus ?
      Bon, on aurait pu sans doute avoir un vaccin et/ou des traitements prêts… Mais ça, c’est un investissement sur l’avenir. Pas toujours à fonds perdus. Parfois oui. C’est comme les machines à amplification génique (PCR, Polymerase Chain Reaction) pour détecter le virus. En avoir un nombre apparemment surdimensionné aurait en fait permis un dépistage à large échelle et une stratégie à la coréenne. Alors, bon, comme dit Bruno Canard, des chercheurs vont être mobilisés en urgence sur un « crash program »… Trop peu, trop tard. Et là encore, avec œil du privé qui, depuis les années 1990, investit peu en vraie recherche, mais engrange les profits. Alors qu’on a refusé entre 2009 et 2019 d’investir dans des projets fondamentaux (j’ai pris Canard comme exemple, il y en a d’autres).
      La recherche, comme les infra­structures hospitalières, est un investissement sur l’avenir et le public, pas une « short run », à flux tendu, avec personnel précarisé, pour profits immédiats. Une politique, disons-le, et on le voit à chaque crise, criminelle.

      https://npa2009.org/arguments/sante/coronavirus-aurait-pu-sans-doute-avoir-un-vaccin-et-ou-des-traitements-pret

    • Refonder l’Université et la Recherche pour retrouver prise sur le monde et nos vies

      La pandémie met à nu les inconséquences des politiques actuelles vis à vis de la recherche, de l’université ou de l’hôpital, estime un collectif de chercheurs et d’universitaires. Dans cette tribune, ils lancent un appel à la mobilisation pour reconstruire une politique scientifique de long terme et relever les défis environnemental, social et démocratique de notre pays.

      Nous affrontons une crise sanitaire majeure qui vient nous rappeler la fragilité de nos vies et de nos sociétés et la nécessité de systèmes de solidarité organisés, solides et pérennes : école, santé, retraites… Il aura fallu la pandémie du Covid‐19 pour que le pouvoir politique se souvienne brusquement de l’importance vitale d’institutions qu’il a pourtant détruites méthodiquement. En quarante ans, l’Hôpital français est passé de 11 à 6 lits pour mille habitants ; sur les seules six dernières années, 17 500 lits de nuit ont été supprimés. Les personnels hospitaliers sont en effectifs si réduits que des étudiants et des retraités sont aujourd’hui réquisitionnés comme forces supplétives. Alors même que les espoirs de traitement du virus dépendent des chercheurs, cela fait quinze ans que la recherche scientifique à l’Université et dans les grands organismes comme l’Inserm ou le CNRS subit le primat donné à des projets de court terme, pilotés bureaucratiquement, et concentrant sur quelques thèmes définis comme “porteurs” des moyens globalement en déclin. Quinze ans de démolition !

      La pandémie agit comme un révélateur : elle confirme aux yeux de tous que l’Université et la recherche publique auraient dû rester une priorité pour nos sociétés et que la diversité des axes de recherche, le temps long et les financements pérennes sont les conditions de son bon développement. Nous voyons bien que les appels à projets lancés de manière improvisée en réaction à chaque crise tiennent plus de la communication impuissante que de la programmation éclairée. Le mal est profond : les procédures bureaucratiques de mise en concurrence ne favorisent que le conformisme quand la liberté de recherche permet des découvertes fondamentales. Ce qui était choquant en temps ordinaire est devenu obscène en temps de crise. La pandémie du coronavirus met ainsi à nu l’inconséquence des politiques menées ces dernières décennies, dont la responsabilité est partagée par tous les gouvernements qui les ont appliquées.

      Derrière l’urgence sanitaire, notre société doit affronter trois autres crises : environnementale, sociale et démocratique

      En plus de l’urgence sanitaire qui révèle la crise de notre système de santé, notre société doit affronter trois autres crises : environnementale, sociale et démocratique. La crise écologique et climatique, au gré des catastrophes toujours plus nombreuses qu’elle engendre, affecte un peu plus chaque jour nos vies. Pas plus que pour les épidémies, l’alerte des scientifiques et de la jeunesse du monde entier sur la gravité du réchauffement climatique n’a conduit à prendre les mesures radicales qui s’imposaient. Sur le plan social, les dernières décennies ont été marquées par le creusement d’inégalités matérielles, territoriales, fiscales et culturelles. Enfin, une crise démocratique et politique conduit les citoyens à se détourner massivement de dirigeants incapables de répondre à leurs attentes ou agissant contre l’intérêt général. Même si chaque jour de nouveaux secteurs de la société expriment une volonté de redonner du sens à l’existence et d’en finir avec l’individualisme et le repli sur la sphère privée, cette aspiration profonde à décider des règles collectives que la société se donne, cette volonté des citoyens conscients de ce qui les relie se heurtent à l’imprévoyance, à la cécité et à l’autoritarisme de gouvernants qui confisquent la décision.

      Tous les savoirs scientifiquement construits par les recherches théoriques, par l’expérience, l’enquête, l’observation, la confrontation des hypothèses et des résultats, sont indispensables pour surmonter ces crises. Or, les institutions qui créent, transmettent, conservent et critiquent les savoirs, sortent exsangues de la période qui s’achève. Elles doivent être reconstruites sur de nouvelles bases, capables de faire vivre des sciences diverses et créatives, aptes à anticiper les défis auxquels notre société doit faire face. Ce travail de refondation de l’Université et de la recherche doit échapper à l’emprise des « experts » et des bureaucrates : il doit s’articuler à l’exigence démocratique et, en cela, il y a une affinité profonde entre le temps long de la science, son ancrage dans l’expérience et la controverse savantes, et l’exercice de la démocratie, impliquant la délibération et l’attention à l’expérience ordinaire des citoyens.

      L’indépendance du monde savant doit être garantie par des statuts protecteurs, des moyens et du temps long

      Pour nous, le temps est venu d’une refondation de l’Université et de la recherche reposant sur deux principes régulateurs. L’aspiration collective à déchiffrer l’inconnu suppose l’indépendance effective du monde savant vis‐à‐vis de tous les pouvoirs : cette autonomie doit être garantie par des moyens répartis entre les disciplines en fonction de leurs besoins, par des statuts protecteurs des libertés académiques et par le temps long nécessaire au développement de toute recherche. Le corollaire de l’autonomie du monde savant est son engagement sur un principe : sa responsabilité vis‐à‐vis de la société. L’usage politique, technique et industriel des travaux scientifiques doit se décider dans un cadre pluraliste et démocratique, en accord avec l’intérêt commun. Cela suppose de réinstituer l’Université comme lieu de formation des citoyens à une pensée autonome et aux savoirs critiques, et comme lieu de production et de transmission au plus grand nombre de connaissances scientifiques et techniques. À rebours des propensions récentes au conformisme, à la bureaucratie et à la généralisation d’une sélection prétendument darwinienne, cette institution implique aussi que l’Université éclaire le débat démocratique par l’élaboration de synthèses plurielles, établies par la confrontation savante, plutôt que par une évaluation technocratique, toujours en retard d’une crise.

      Face à la gravité de la situation qui affecte nos vies, l’heure n’est pas aux mises en cause individuelles. Mais nous n’oublierons pas ce qui a permis que l’on en arrive là. Les morts de cette crise nous obligent. Et nous ne laisserons pas celles et ceux qui n’ont pas su la prévenir ou en réduire la portée, la résoudre par des mesures liberticides, ou mettre en place un énième plan d’austérité justifié par une dette que des politiques aveugles ont contribué à fabriquer. Le métier de scientifique ne consiste pas à aménager la crise ou climatiser l’enfer, ni à bâillonner la démocratie au nom du savoir expert.

      Conscients des crises qui frappent notre société, nous appelons chacun et chacune à se mobiliser pour engager la refondation de notre monde abîmé. Ce printemps, dès la fin du confinement, nous nous engageons à repenser collectivement l’ensemble de nos institutions sociales, politiques et économiques et à poser les jalons d’une société conforme à nos aspirations et à nos besoins. Après l’été, nous convions l’ensemble des citoyens à des Assises de la Refondation, le 20 septembre 2020, pour définir un programme visant à rompre de manière effective avec les politiques actuelles et à juguler les crises environnementale, sociale et démocratique qui menacent notre monde et nos vies. Nous devons à la jeunesse un horizon élargi, un avenir à nouveau ouvert.

      Nous appelons tous les autres secteurs de la société à se joindre à notre démarche, et à écrire leur propre texte de refondation en adaptant ce paragraphe de conclusion.

      La signature de cet “Appel du 20 mars 2020”, qui appelle à repenser les liens entre science et société, est ouverte à tous les citoyens et citoyennes, au‐delà des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, étudiants, universitaires, chercheurs, techniciens, ingénieurs et administratifs.

      https://www.mediacites.fr/forum/national/2020/03/31/refonder-luniversite-et-la-recherche-pour-retrouver-prise-sur-le-monde-et

    • Budget #MESRI : analyse des annonces

      Budget de la recherche : la montagne accouche d’une souris !
      Lors de leur visite à l’Institut Pasteur, le 19 mars 2020, le Président de la République et la ministre chargée de la recherche ont annoncé que 25 milliards d’euros supplémentaires seraient consacrés à la #recherche. Par le dossier de presse diffusé le 25 mars, on apprend que les cinq milliards supplémentaires constituent un #objectif_budgétaire qui devrait être atteint en une décennie. L’effort serait progressif pour atteindre un montant annuel de 600 millions, à partir de 2028…
      https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid150594/un-effort-de-25-milliards-d-euros-pour-relever-les-de
      L’actuel Gouvernement transfère donc aux Gouvernements des deux prochaines mandatures la mission d’honorer l’essentiel de cet #engagement_budgétaire, pourtant bien modeste. En ce qui le concerne, il consent à une augmentation de 400 millions d’euros du budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) pour l’année 2021, la dernière année budgétaire complète du présent quinquennat.
      Comme le précisait la ministre lors de son audition par la commission du Sénat, le 6 avril, cette enveloppe budgétaire supplémentaire serait destinée à l’abondement de la totalité des missions de son ministère. Cette augmentation comprendrait donc aussi les mesures de revalorisation salariale, dont celles destinées à compenser la baisse des pensions, consécutive à l’adoption de la loi de réforme des retraites dont l’examen est pour l’instant reporté.
      http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html
      Pour le budget de l’année 2020, les programmes budgétaires du MESRI et les montants des autorisations d’engagement sont les suivants :

      Ces données budgétaires sont tirées du rapport de la commission des finances du Sénat sur le projet de budget 2020 :
      https://www.senat.fr/rap/l19-140-323/l19-140-3231.pdf
      L’annonce d’un accroissement de 400 millions d’euros du budget global du MESRI pour l’année 2021 représente donc une augmentation d’environ 1,5 %.
      Pour bien comprendre ce qu’elle représente, en euros constants, il faut la comparer à celle du budget des programmes du MESRI pour l’année 2020 :

      L’effort « inédit depuis la période de l’après-guerre » annoncé par le Président de la République, le 19 mars 2020, commencera donc par une hausse du budget 2021 du MESRI inférieure à celle de 2020 ! Il est en effet historique qu’un Président décrive une baisse du soutien à la recherche comme un engagement massif en sa faveur.
      Pour rappel, le crédit d’impôt « recherche » a représenté une dépense fiscale évaluée à 6,2 Md€ en 2018 et à 6,5 Md€ en 2019. Soit une augmentation de 4,8 %. Elle était de 4,4 Md€ en 2009. La véritable augmentation est là !

      –-> Analyse de #Pierre_Ouzoulias, reçu via la mailing-list Facs et Labos en lutte, le 10.04.2020

    • Mensonge d’État ou incompétence ? Frédérique #Vidal au Sénat

      Parmi les mesures de contrôle de l’action de l’exécutif en période d’état d’urgence sanitaire, il est un outil utile pour mettre en jour les incohérences du gouvernement : les questions écrites. Présentées au ou à la ministre concernée, elles permettent à la représentation nationale de clarifier un point touchant à la politique suivant, en invitant le ou la ministère à prendre langue avec son administration pour y répondre avec précision.

      Le 6 avril 2020, plusieurs sénateurs et sénatrices ont donc interrogé la Ministre de l’Enseignement Supérieur http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=c/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&idtable=/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&rch=gs&_c=ouzoulias&al=true), de la Recherche et de l’Innovation, à la fois sur la clôture compliquée de l’année universitaire en cours, mais aussi sur les dispositions prises pour faciliter la recherche pour lutter contre l’épidémie. Cette audition a eu lieu au terme d’un chemin de croix technique.

      N’ironisons pas trop sur les avatars de cette vidéo conférence, précise Sylvestre Huet dans l’article qu’il consacre à l’audition de Frédérique Vidal (https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/08/covid19-vidal-se-melange-les-microscopes) : les sénateurs ont dû s’y reprendre à trois fois – deux la semaine dernière et finalement ce lundi 6 avril – pour parvenir enfin à tenir cette séance de questions/réponses. Le rendez-vous échoua deux fois en raison de défaillances de l’équipement de vidéoconférence du ministère… pour un lien avec le Sénat. N’ironisons pas, mais soulignons que cette situation lamentable illustre le soin étrange avec lequel l’exécutif traite ses relations avec le Parlement. Et la nécessaire modernisation du ministère en charge… de l’innovation.

      Passons rapidement sur certains échanges. Sylvie Robert s’est enquis de la survie alimentaire des étudiant·es les plus précaires1. Jacques Grosperrin a fustigé le retard pris par le Ministère sur la publicisation des algorithmes locaux de Parcoursup. Passons également sur les questions touchant aux tests sérologiques, aux tests cliniques et aux essais thérapeutiques en cours, qui intéressent Laure Darcos, pour porter notre attention sur deux points : le financement supplémentaire prévu par le président Macron et les cryomicrosocopes, désormais indispensables pour qui veut travailler sur les coronavirus aujourd’hui.

      Comptes d’apothicaires au nom du COVID-19

      Citons la Ministre, sur les efforts budgétaires consentis par l’État en cette période de crise profonde :

      S’agissant du financement de la recherche, le Président de la République a annoncé qu’y seraient consacrés 5 milliards d’euros supplémentaires par an. Aujourd’hui, 15 milliards d’euros par an sont investis dans ce domaine. Pour passer à 20 milliards annuels, des étapes successives sont prévues. Au total, 25 milliards d’euros seront investis sur dix ans.

      Le Premier ministre me l’a confirmé ce matin : dès que le calendrier parlementaire le permettra, le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche sera soumis au Parlement [Nous soulignons]. Il est néanmoins très important – c’est le sens de l’annonce du Président de la République – que nous puissions lancer les premiers investissements dès 2021, que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ait été votée ou pas. Nous prévoyons, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, une première augmentation de 400 millions d’euros pour la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires).

      Quelqu’un de peu familier avec ce gouvernement Philippe pourrait être bluffé par l’aplomb avec lequel la Ministre fait équivaloir 5 milliards par an, à 25 milliards sur dix ans (soit 2,5 milliards par an), puis à « une première augmentation de 400 millions d’euros », alors que l’on sait par ailleurs que 6,5 milliards annuels du Crédit Impôt Recherche sont consentis annuellement depuis le début du quinquennant à des fins d’optimisation fiscale. La suite est tout aussi pimentée, puisque la Ministre rappelle l’existence du Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui sera soumise au Parlement « dès que le calendrier parlementaire le permettra »2. Un peu plus tard au cours de son audition, elle précise que 1,5 milliards d’euros sont affectés à l’ANR, soit deux fois plus que ce qu’il a été récemment attesté par l’Hcérès et la Commission des finances du Sénat. Pour autant, notre quidam sait que c’est la loi de finances qui fait foi. Ce ne sera donc pas 5 milliards qui passeront à la recherche — alors que le Ministère en a les moyens avec les 6,5 milliards de CIR — mais 400 millions d’euros en 2021. Prestidigitatrice, la Ministre Vidal continue à essayer de faire croire à la représentation nationale que la recherche, en temps d’épidémie, est une priorité du gouvernement.

      Pour le budget de l’année 2020, les programmes budgétaires du MESRI et les montants des autorisations d’engagement sont les suivants :

      L’annonce d’un accroissement de 400 millions d’euros du budget global du MESRI pour l’année 2021 représente donc une augmentation d’environ 1,5 %.

      Pour bien comprendre ce qu’elle représente, en euros constants, il faut la comparer à celle du budget des programmes du MESRI pour l’année 2020 :

      Pour rappel, le crédit d’impôt recherche a représenté une dépense fiscale évaluée à 6,2 Md€ en 2018 et à 6,5 Md€ en 2019. Soit une augmentation de 4,8 %. Cette dépense était de 4,4 Md€ en 2009. La véritable augmentation est là !

      L’effort « inédit depuis la période de l’après-guerre » annoncé par le Président de la République, le 19 mars 2020 (https://academia.hypotheses.org/21299), commencera donc par une hausse du budget 2021 du MSRI inférieure à celle de 2020 ! Il est en effet historique qu’un Président décrive une baisse du soutien à la recherche comme un engagement massif en sa faveur.

      À quels comptes d’apothicaires la Ministre s’est-elle livrée pour tenter de faire croire que la recherche pour lutter contre l’épidémie, en identifier les causes et les thérapies était une priorité du gouvernement ? Ils ne convainquent personne, et encore moins, après le vote de la loi de finances rectificatives. Il s’avère qu’aucun effort supplémentaire n’a été fait et que, même pour l’appel Flash Covid-19, le financement de ces nouveaux programmes se fait à budget constant, au point où le CNRS est obligé de faire un appel aux dons (https://academia.hypotheses.org/21662) . On pourrait en rire si l’affaire n’était pas si grave et que cela ne touchait pas l’activité de celles et ceux qui se sont engagés dans une course contre la montre et le virus. Comparant l’effort allemand en matière de recherche, dès 2020, Pierre Ouzoulias souligne que les comptes Covid-19 n’y sont pas. Mais qu’en est-il de l’équipement des laboratoires qui travaillent déjà sur ce virus ?
      Compétences à la loupe… ou plutôt au microscope

      S’enquêrant des conditions de travail des laboratoires spécialisés, Pierre Ouzoulias a posé à la Ministre Frédérique Vidal la question écrite suivante :

      Les laboratoires qui sont actuellement sur le front de la recherche insistent sur la nécessité de mettre aux normes leurs équipements et outils de recherche. Tandis qu’un laboratoire chinois travaillant sur le coronavirus dispose de deux cryomicroscopes électroniques valant chacun 5 millions d’euros, les laboratoires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) en demandent depuis quatre ans un plus petit, valant 2 millions d’euros, sans réponse pour l’instant. Sans budget supplémentaire, il sera très difficile pour ces organismes de mettre leurs matériels à niveau, et donc de trouver des financements.

      Je vous approuve sur la nécessité de faire une pleine confiance aux laboratoires, chercheurs et organismes de recherche, sans passer par les appels à projets, dans la situation actuelle d’urgence. Comment leur donner très rapidement les moyens de résoudre leurs problèmes d’équipements ?

      Tout le monde avait entendu la colère de Bruno Canard le 5 mars 2020, dans un texte qu’Academia a reproduit (https://academia.hypotheses.org/20902). Directeur de recherche, spécialisé sur les virus à ARN dont font partie les coronavirus, il avait été empêché de poursuivre ses recherches, entre autres faute de matériel adapté. Depuis 2016, son équipe demande l’acquisition d’un cryomicroscope, dont la technologie révolutionnaire permet d’observer la structure des virus, notamment leur superficie3. Faute de vaccin, s’attaquer à l’enveloppe pourrait en effet affaiblir considérablement la virulence du Coronavirus et ainsi enrayer l’expansion du Covid-19. Depuis le début de l’épidémie, la demande de l’équipe de Bruno Canard n’a pas davantage reçu de soutien du ministère, ce qui préoccupe Pierre Ouzoulias.

      La réponse de la Ministre est lunaire.

      Sur le matériel microscopique d’abord :

      L’acquisition de matériels est bien sûr nécessaire, mais il faut beaucoup de temps pour fabriquer, tester et calibrer un cryomicroscope. Il faudra le faire, et cela est prévu dans la future LPPR. En l’occurrence, ce n’est pas l’urgence du moment, d’autant qu’il y a un cryomicroscope tout à fait utilisable au sein du Centre commun de microscopie appliquée (CCMA), dans mon ancienne université — je connais donc bien le sujet.

      On voit très bien que la technique de gouvernement, pour les microscopes de haute technologie, c’est comme pour les masques : DIY. Alors qu’il s’agit de matériel vendu par des entreprises spécialisées, Frédérique Vidal en appelle à la future LPPR, pour le « fabriquer, tester et calibrer ». Qui plus est, elle indique qu’on trouve déjà un cryomicroscope à l’Université de Nice-Côte d’Azur. Elle conclut : « Je connais donc bien le sujet ».

      On peut se demander si Frédérique Vidal connaît bien le sujet parce qu’elle est censée être biologiste de carrière ou, comme Ministre, suivre l’actualité scientifique — notamment les attributions de prix Nobel, et donc le prix Nobel de chimie de 2017, qui récompensait l’invention de la technologie qu’utilise le cryomicroscope — ou si elle connaît bien le sujet en tant que présidente de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, position qui l’a conduite à suivre le dossier. Dossier qui ne concerne pas un cryomicroscope. À ces trois titres, l’incompétence est manifeste, à moins qu’il ne s’agisse plus simplement d’enfumage et de mensonge.

      Sur la politique de recherche scientifique, ensuite, Frédérique Vidal prend ensuite de la hauteur :

      Nous agissons dans deux directions différentes : le soutien immédiat et la préparation de l’avenir. Nous soutenons ainsi des programmes de recherche permettant de comprendre le fonctionnement du Covid-19 et d’augmenter la connaissance générale sur les coronavirus. Dans l’immédiat, l’urgence est au repositionnement de médicaments et de thérapies, aux essais cliniques et aux tests. Néanmoins, nous devons également accumuler des connaissances pour le long terme. Nous avons ainsi ouvert à travers l’ANR la possibilité de financer des projets à plus longue échéance.

      La ministre distingue donc la recherche médicale et la « connaissance générale sur les coronavirus », sans avoir l’air de comprendre que cette connaissance générale ou fondamentale peut justement apporter des savoirs tout à fait utiles pour enrayer l’épidémie. Et qu’il convient donc de financer de façon importante les équipes qui ont fait la preuve depuis plusieurs années de leur capacité et de leur volonté de contribuer à la lutte contre le COVID19. On peut légitimement se demander ce que cette femme fait à la tête d’un Ministère de la recherche, qui promeut les thèses en 180 secondes, mais pas les recherches fondamentales sur les enveloppes de virus responsables d’une pandémie majeure.

      On a trop négligé lors des trente dernières années l’accumulation de connaissances.

      Tout·e chercheur ou chercheuse digne de ce nom ne tentera même pas à faire l’herméneutique de l’assertion de la Ministre, puisqu’elle n’a aucun sens. Ce qui suit est d’autant plus intéressant.

      La LPPR aura pour objet d’y remédier dans tous les champs disciplinaires, et pas seulement pour la santé. Nous aurons besoin, par exemple, de programmes de recherche de sociologie et d’anthropologie afin d’analyser les comportements en période de confinement ou lorsque le virus, ayant quitté l’Europe, continuera de sévir sur d’autres continents. Les projets financés relèvent donc pour un tiers des sciences humaines et sociales, dont le rôle est de penser et comprendre ces phénomènes. Il faut à la fois gérer l’urgence et respecter le temps de la recherche.

      À la demande d’un cryomicroscope de 2 à 5 millions d’euros, la Ministre répond donc « quand, dans plusieurs années, le virus aura quitté l’Europe, mais qu’on pourra aller l’étudier ailleurs, il faudra financer des sciences humaines et sociales ». Toutefois, l’essentiel n’est pas le soutien inopiné aux SHS, mais bien dans l’excuse « LPPR » dont se drape la Ministre pour justifier le retard, le défaut de financement ou d’anticipation. La LPPR devient désormais un mantra, une incantation, pour rémédier, de façon magique et lointaine, à toutes les insuffisances actuelles de la politique scientifique du gouvernement.

      Il y a fort à parier que la représentation nationale ne sera pas dupe4.

      L’audition de la Ministre Vidal devant la Commission culture du Sénat est ainsi éclairante. Non seulement la Ministre ne comprend pas les grands équilibres du budget de son ministère — dont on comprend qu’ils sont supervisés par Bercy — à moins qu’elle ne les travestisse ; non seulement elle semble être devenue une femme scientifique incompétente sur les sujets qu’elle dit connaître ; mais elle semble parfaitement inapte à engager, en tant que ministre, une recherche d’urgence sur le coronavirus ou la gestion du COVID-19. Elle semble encore plus incapable de conduire une politique scientifique de long terme, comme elle en dit en avoir l’intention en agitant la LPPR. Reste à savoir comment le Sénat peut sanctionner mensonges, incompétence et politique de gribouille.

      Liens :

      - Commission de la culture, audition de Frédérique Vidal, Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 6 avril 2020 : http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=c/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&idtable=/compte-rendu-commissions/20200406/cult.html&rch=gs&_c=ouzoulias&al=true

      - Covid-19 : Vidal se mélange les microscopes, par Sylvestre Huet, Sciences2, 8 avril 2020 : https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/08/covid19-vidal-se-melange-les-microscopes

      – Covid-19 : Vidal se mélange les microscopes (suite), par Sylvestre Huet, Sciences2, 8 avril 2020 : https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/04/09/le-covid-19-vidal-les-microscopes-et-macron-suite

      https://academia.hypotheses.org/22264

    • C’est certainement pas de l’incompétence car nous parlons ici d’une ministre qui a choisi comme conseillé personnel monsieur Frédéric Dardel : c’est à dire le mec qui gérait le centre des dons des corps dans lequel le personnel jouait au foot avec les têtes humaines avant de les revendre au pied de l’université et dont les corps porteurs de VIH et hépatite B et C étaient fournis aux étudiant·es en médecine sans qu’on les préviennent histoires qu’ils chopent le SIDA en TP de dissection avant de choper le covid au CHU.
      https://seenthis.net/messages/833635

  • Fil de discussion autour de la #Loi_de_programmation_pluriannuelle_de_la_recherche (#LPPR) : informations autour du contenu de la loi...

    –---------

    #LPPR : En finir avec « ce stupide calcul des #192_heures du temps de service »

    « Ce stupide calcul des 192 heures du temps de service », c’est ainsi qu’un président d’université présentait la règle principale qui régit le temps de travail des #enseignants-chercheurs (EC). Sa suppression était l’objet de l’ateliers « Référentiel temps des E.C. & Compte Epargne Enseignement et Recherche : quelles évolutions ? » organisé à l’Université de Strasbourg. Ce calcul devrait être entière revu en février prochain. L’occasion de s’interroger sur les enjeux du temps de travail des enseignants-chercheurs.

    Depuis 1984 et la loi Sauvadet, les EC ont un service statutaire d’enseignement de 192 heures. En théorie, cela correspond à un mi-temps, l’autre étant consacré à la recherche. En pratique, c’est un peu plus compliqué. Un historique est disponible ici :

    La règle des 192 heures est difficile à saisir, car elle change de tout au tout selon le point de vue que l’on adopte : Université dans son ensemble, enseignants-chercheurs, dirigeants des universités ou ministère.
    Du point de vue de l’Université…

    Du point de vue de l’Université, la règle des 192 heures a deux fonctions :

    – assurer, qu’à l’Université, l’enseignement soit adossé à la recherche et la recherche à l’enseignement ;
    – assurer une base commune à tous les enseignants-chercheurs, ce qui participe à faire communauté.

    Il est ainsi assez remarquable qu’une ATER (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) en chimie dans un IUT de campagne dispose des mêmes obligations de service qu’un professeur de Lettres de classe exceptionnelle à la Sorbonne. C’est un point commun très fort, et une des richesses principales de notre système universitaires.
    Du point de vue des enseignants-chercheurs…

    Du point de vue des enseignants-chercheurs, cette règle est souvent perçue comme une contrainte lourde et inutile. A différents moments de leur carrière, ils peuvent vouloir investir plus de temps dans l’une ou l’autre des activités. Même si cela est reconnu comme globalement bénéfique, il peut être frustrant de devoir faire cours en plein milieu d’une recherche, ou de devoir publier pendant le montage d’un cours passionnant.

    De plus, durant les 15 dernières années, les gouvernement ont démultiplié le nombre des missions des EC, et les taches administratives se sont notoirement alourdies. Ces raisons font que de nombreux dispositifs affaiblissent déjà la règles des 192h : CRCT, décharges, référentiels de tâches, équivalences horaires, heures complémentaires, etc. Au final, peu d’enseignants-chercheurs effectuent exactement 192h.

    Enfin, la contrainte administrative est souvent lourde : pour une heure d’enseignement en trop ou en moins, c’est plusieurs heures qui pourront être nécessaires pour résoudre le problème avec l’administration. Tout ceci conduit à ce que cette règles n’ait globalement pas une très bonne réputation. Ainsi, son assouplissement représente l’espoir pour les EC de :

    faire moins d’heures d’enseignement, notamment pour chercher plus, mais aussi pour enseigner mieux ;
    avoir moins de contraintes administratives ;
    avoir une meilleure reconnaissance des différentes activités, et donc une augmentation des rémunérations.

    Mais ces espoirs sont vains dans le contexte actuel. En effet, les universités ne disposent plus des marges de manœuvre permettant de baisser le nombre d’heures, de diminuer les charges ou d’augmenter les rémunérations. On pourra seulement organiser un transfert d’un EC à l’autre, opération qui intéresse avant tout les directions.
    Du point de vue des directions des universités…

    Du point de vue des directions des universités, les 192h sont une contrainte lourde. Cette règle empêche notamment d’obliger un EC à faire plus d’heures de cours, quelle que soit sa production scientifique. Elle oblige également à payer les heures de cours supplémentaires, même si le tarif est notoirement bas.

    En période d’augmentation du nombre d’étudiants et de gel des effectifs, les 192 heures peuvent apparaître comme une contrainte intenable aux yeux des directeurs de composante. Ils peuvent alors chercher à l’affaiblir afin de pouvoir « tenir les maquettes », notamment par la négociation à la baisse des référentiels et équivalences horaires.

    Pour les présidences, la règle des 192 heures empêche surtout la « bonne gestion » des personnels. Il est impossible de déployer un « management agile » avec des personnels ayant tous les mêmes obligations. Or, la masse salariale représente environ 80% du budget des universités : 160 M€ en moyenne, et jusqu’à plus de 500 M€. La moitié environ est consacrée aux enseignants-chercheurs.

    Malgré les RCE (responsabilités et compétences élargies), 40% du budget d’une université échappe donc au contrôle de sa direction. Cela peut légitimement être perçu comme une atteinte à l’autonomie de présidences s’estimant à même de mieux utiliser ces centaines de millions d’euros si elles en disposaient vraiment.
    Enfin, du point de vue du ministère…

    Du point du vue du ministère, l’enjeu des 192 heures est surtout un enjeu financier. Avec 90 000 enseignants du supérieur dont 55 000 enseignants-chercheurs, au tarif de l’heure complémentaire, chaque heure en plus représente entre 3 et 5 M€. L’enjeu est donc de taille.

    Cependant, augmenter les services uniformément serait inacceptable pour la communauté, qui risquerait de faire front commun. Il est toujours plus facile d’avoir à faire à une communauté aux intérêts divisés. Supprimer la règle des 192 heures commune à tous les EC est donc aussi un enjeu de gestion du rapport de force pesant sur les réformes.

    La fin de cette règle commune pourrait bien faire voler en éclat la communauté universitaire, déjà beaucoup fragilisée. Cette division s’avérerait extrêmement rentable des points de vue financiers et réformateurs, mais non sans de grands risques pour le bon exercice des missions et les conditions de travail.
    Un peu d’anticipation

    La règle des 192 heures est perçue de façon très différente par les différents acteurs de l’enseignement supérieur, ce qui rend les discussions très compliquées. Il y a peu de chance pour qu’elle soit sèchement supprimée, il sera tout aussi efficace de développer les dispositifs dérogatoires qui existent déjà et d’en proposer de nouveaux, en apparence -et en apparence seulement- avantageux pour les enseignants-chercheurs. On peut alors anticiper les réactions des différents acteurs suite à une dérégulation :

    Le ministère pourra justifier une baisse relative des dotations par étudiant face aux présidences, en argumentant qu’elles ont désormais l’agilité qu’elles réclamait dans la gestion des heures d’enseignement.
    Les présidences pourront (enfin) développer des stratégies d’établissement différenciantes, en clair : proposer des conditions de travail différentes d’une université à l’autre, et même d’un EC à l’autre. Caricaturalement, pour augmenter l’attractivité, on pourra officiellement permettre aux stars d’enseigner ce qu’elles souhaitent, ce qui implique que d’autres devront faire plus d’heures.
    Les enseignants-chercheurs resteront pris dans le système de pressions qu’ils entretiennent déjà eux-mêmes, et qui poussent certains à accepter toujours plus de charges sans contrepartie, pendant que d’autres évoluent toujours plus vite dans leur carrière.

    Les premiers sont ceux qui appliquent une stratégie collective, et les seconds ceux qui appliquent une stratégie individualiste. La communauté devrait donc en sortir notoirement affaiblie, ouvrant des perspective de réformes encore plus intéressantes pour les réformateurs.

    http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/20/lppr-en-finir-avec-ce-stupide-calcul-des-192-heures-du-temps-de-servic
    #ESR #université #France #enseignement #recherche

    sur la #LPPR, voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/816183#message816189

    • À la découpe : sur le vote de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019 , et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 en atteste. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier, de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019. Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.


      *

      À l’issue de la lecture au pas de charge de la trépidante actualité législative touchant enseignement supérieur et recherche, affirmons simplement :

      L’Université est morte
      Vive l’Université

      https://academia.hypotheses.org/7164

    • La commission permanente du Conseil National des Universités vote à l’unanimité une motion sur la LPPR

      La commission permanente du #CNU, réunie le mardi 7 janvier 2020 à Paris en vue de l’installation de son bureau, rappelle son attachement aux missions nationales du CNU, instance garante d’équité, d’impartialité, d’expertise et de collégialité dans l’appréciation des différents aspects de la carrière des enseignants-chercheurs.

      L’assemblée s’alarme de certains éléments évoqués dans les rapports préalables au futur projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche : la suppression de la procédure de qualification, de la clause d’accord des intéressés pour la modulation des services, de la référence aux 192 heures (équivalent TD) d’enseignement et donc de la rémunération des heures complémentaires, ainsi que la création de nouveaux contrats de travail d’exception aux dispositions statutaires.

      Si elles devaient obtenir force de loi, ces dispositions équivaudraient à une remise en cause du statut d’enseignant-chercheur et des fonctions du CNU.

      L’assemblée demande instamment que la CP-CNU soit désormais associée à la réflexion sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      NPPV : 0
      ABST : 0
      CONTRE : 0
      POUR : unanimité des présents

      https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir

    • “La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante” : sur la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Les groupes de travail en préparation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont le vote est prévue au printemps 2020, ont rendu leurs rapports respectifs en septembre 2019. Ils retrouvent une certaine actualité à l’occasion des la polémique lancée par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS et d’Emmanuel Macron, président de la République.

      Le rapport du Groupe de travail n°2, “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, dirigé par Philippe Berta, Philippe Mauguin, Manuel Tunon de Lara1 , commence par un constat simple :

      le niveau de rémunération des emplois de l’ESR, notamment en début de carrière, est très insuffisant, inférieur de près de 40% à la moyenne de l’OCDE. Il est aussi inférieur de près de 35% aux rémunérations des autres corps de rang A de la fonction publique et de plus de 20% de la fonction privée. Le constat n’est pas différent, sinon pire, pour les personnels administratifs et techniques.

      Le niveau de rémunération faible est à mettre en regard des moyens, là aussi largement insuffisant. “Or, a indiqué un chercheur français désormais parti à l’étranger, « les moyens, c’est une façon de dire aux gens que ce qu’ils font est important ». (p.21).

      le nombre d’emplois pérennes a drastiquement diminé depuis 2012

      C’est vrai pour les EPST (-7,8% en 6 ans), comme pour les Universités où le nombre d’enseignants-chercheurs est resté stable alors que les effectifs croissaient. Désormais un tiers des enseignements à l’Université est assuré par des contractuel.les ou des PRAG.
      L’emploi contractuel est massif, tant dans les EPST (25%) que dans les Universités (35%).

      Baisse importante des recrutements de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ingénieurs de recherche, qui est sans doute, à terme, le phénomène le plus dommageable à l’attractivité de l’emploi scientifique. Il envoie un signal négatif à ceux qui veulent s’engager dans les carrières scientifiques. Il conduit parricochet au développement de situations précaires, y compris pour des éléments brillants, sans perspective de débouchés. Il freine les redéploiements nécessaires vers les priorités scientifiques. Il rend plus difficile les promotions et en conséquence l’ouverture des corps de professeur ou de directeur de recherche à des recrutements externes. Cette baisse des recrutements peut être illustrée par quelques exemples qui en montrent l’ampleur :

      Les recrutements de maîtres de conférences ont diminué de 36% entre 2012 et 2018 (1742 à 1108), ceux de professeurs de 40% (1004 à 606).
      Les recrutements de chargés de recherche ont baissé de 27% dans les EPST entre 2008 et 2016, ceux des directeurs de recherche de 11% durant la même période.
      Les recrutements sur concours externes ou réservés des ingénieurs et techniciens des EPST ont baissé de 44% entre 2008 et 2016 (-41% pour lesingénieurs de recherche, -36% pour les ingénieurs d’études, -53% pour les techniciens). Ceux des établissements d’enseignement supérieur, si on excepte les recrutements en catégorie C, sont restés stables entre 2009 et 2016.

      “Attractivité …”, p. 20-1

      À cela s’ajoute l’absence ou la grande faiblesse des moyens de recherche, notamment en début de carrière.

      De ce constat sans appel de la politique scientifique conduite depuis la Ministre Pécresse, on tire deux conclusions simples :

      augmentation importante des emplois pérennes de checheurs, enseignants-chercheurs hommes et femmes, et de personnels administratifs et techniques (j’aime beaucoup “Doter les établissements de budgets sincères” p.7)
      augmentation majeure des niveaux de rémunérations et des moyens

      Pour autant, les auteurs du rapport en tirent des conclusions extrêmement fantaisiste (” La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante, il faut lui substituer associate professor, p. 27) ou idéologique, comme la multiplication de régimes dérogatoires et de création de nouveaux statuts, tel un inventaire à la Prévert,

      Pour autant, de ces constats, qui appelleraient à une réponse simple – augmentation des moyens et des emplois, comme p. 32, revalorisation de 40% des rémunérations ou p. 34, suivre une régularité dans les flux de recrutement ; ou encore p. 35, compenser le vieillissement et l’accroissement mécanique de la masse salariale à hauteur de 100M€), les auteurs du rapport tirent des conséquence à la Prévert : multiplication des statuts et des inégalités liés à ces statuts.

      Création d’un « contrat à durée indéterminée de mission scientifique » aligné sur la durée des projets de recherche pour contribuer à la dé-précarisation des agents concernés (NDLR : précarisation ?)
      Création d’un contrat à durée déterminée post-doc « jeune chercheur »
      La création de chaires d’excellence junior pour attirer les jeunes talents avec un nouveau dispositif de recrutement de type « tenure-track » organisé par les établissements (à hauteur de 150/an, soit moins de 10% du nombre total de recrutements permanents junior)
      La création d’un programme national de chaires d’excellence sénior pour attirer des chercheurs de grande réputation (…)
      Une extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaiteraient et dont les processus de recrutement auront été certifiés.

      Attractivité…, p. 35 et sq.

      Il convient ainsi de renforcer les inégalités par de nouvelles “évaluations de qualité”, qui inclueront l’enseignement, qui reste l’impensé en creux de ce rapport. Par ex. ‘la réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe” (p. 33).

      L’inégalité touche aussi à la dispense de qualification. Le groupe de travail est très favorable à sa suppression, mais juge qu’il n’y a pas consensus. Ainsi il propose d’autoriser les dispenses de qualification à quelques établissements suivants :

      les établissements détenteurs du label européen HRS4R (« Excellence in research » porté dans le cadre de « Human resources strategy for research »),
      les établissements lauréats confirmés des Idex et I- site dont la qualité de la gouvernance a été évaluée positivement par le jury international,
      les candidats issus d’écoles doctorales dont l’accréditation par le HCERES aurait montré une qualité justifiant l’exemption,
      les lauréats de l’European Research Council et des appels d’offre européens,
      les admissibles au concours de chargé de recherche et directeur de recherche d’EPST, dont la qualité scientifique a déjà été vérifiée.

      Attractivité…, p.40

      Outre l’inégalité entre statuts, entre établissement, le raport propose de réfléchir à la gestion des inégalités en matière d’enseignement, en forfaitisant la surcharge (p. 47). `Selon lui, la référence au 192h de service (https://academia.hypotheses.org/5344) est obsolète. Plutôt que de renforcer la formation continue des personnels, il préconise donc une évaluation périodique des enseignants-chercheurs (p. 48), en renforçant encore l’autorité du Haut Comité d’Evaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (HCERES). Faute de prévoir la formation continue, c’est une Ecole du Management de la Recherche qui est donc envisagée (p. 49).

      À l’analyse, le rapport semble approfondir le trou noir dans lequel les derniers gouvernements ont précipité l’enseignement et la recherche français. On aurait attendu une réflexion sur la parité en matière de représentation et de rémunération ; sur la qualité de la transmission, que nenni. Multiplication des statuts, précarité renforcée, confirmation de l’absence d’attractivité des métiers. La dénomination de maître de conférences n’est pas valorisable, écrivent les auteurs ? Il sera bon d’arrêter de confondre le nom et la chose. À quand la fin d’une idéologie à propos de la fonction publique, et ses effets délétères sur l’enseignement supérieur et la recherche qui multiplie l’enfumage et la langue de bois plutôt que les financer à hauteur réelle de 3% ?

      Liens :

      Rapport du Groupe de travail 2, Attractivté des emplois et des carrières scientifiques, 2019, septembre 2019
      Notes de lecture de Julien Gossa (https://twitter.com/JulienGossa/status/1176112784934887425)
      Sur la fusion des corps MCF/PR, par Julien Gossa : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

      Note 1. La composition du groupe de travail est la suivante : Rapporteurs du groupe:Philippe Berta, professeur des universités (biologie),député ;Philippe Mauguin, président de l’INRA ;Manuel Tunon de Lara, professeur des universités –praticien hospitalier, président de l’Universitéde Bordeaux. Membres invités à participer aux travaux : Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS (histoire) ; Bénédicte Durand, maître de conférences (géographie), directrice des études et de la scolarité de Sciences-Po ;Frédéric Fiore, docteur, ingénieur de recherche (biologie)à l’Inserm ; Alain Fuchs, professeur des universités (chimie),président de PSL Université ; Véronique Guillotin, médecin, sénatrice ; Serge Haroche, professeur émérite au Collège de France (physique) ; Pierre Henriet, doctorant(philosophie), député ; Eric Labaye, président de l’Ecole polytechnique ; Marie Masclet de Barbarin, maître de conférences (droit), vice-présidente d’Aix Marseille Université ;Armelle Mesnard, directrice des ressourceshumaines et des relations sociales du CEA ;Catherine Rivière, ingénieure, directrice des ressources d’IFPEN ; Hélène Ruiz-Fabri, professeur des universités (droit), directrice du Max Planck Institute Luxembourg. Source : Composition des trois groupes de travail pour mener la réflexion

      https://academia.hypotheses.org/6107
      #maître_de_conférences

    • Temps de travail #ESR (1) : 192h de service ?

      192 h : voilà le service d’enseignement dû par un·e enseignant·e-chercheur·se (EC) au statut MCF/PR. Le sens de ce « service d’enseignement » a des effets structurants sur les autres statuts et sur les contrats de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Un·e attaché·e temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) fait 192 h d’enseignement, à moins qu’il ou elle ne soit à mi-temps, auquel cas 96 h d’enseignement sont attendues. Un.e professeur·e agrégé·e ou certifié·e employé·e à l’Université (PRAG/PRCE) en assure le double, soit 384 h d’enseignement. Comment comprendre ce nombre d’or des universités ? C’est ce à quoi se sont employés plusieurs auteurs et autrices our Academia.

      Archéologie d’un décompte
      L’origine de ces 192 heures annuelles se trouve dans les réformes menées par le gouvernement socialiste au début des années 1980. Auparavant, le service des professeur·e·s des universités, des maîtres·se·s de conférences et des maîtres·se·s-assistant·e·s est défini de manière hebdomadaire.

      Alors que les premiers doivent trois heures de cours magistral par semaine (l’année universitaire compte alors environ trente semaines), les secondes doivent environ six heures[1]. Le décret n° 83-823 du 16 septembre 1983 introduit une nouvelle définition de l’obligation du service d’enseignement à 128 heures de cours magistral ou 192 heures de travaux dirigés. Cette mesure est transitoire, valable uniquement pour l’année 1983-1984, mais elle prépare le décret n° 84-431 du 8 juin 1984 qui en reprend sur ce point les dispositions.
      Pour bien comprendre ce qui se joue sur cette nouvelle définition de l’obligation de service d’enseignement, il faut avoir à l’esprit plusieurs choses. D’abord, la réforme du statut des enseignant·e·s-chercheur·se·s mise en œuvre par le gouvernement socialiste, et plus particulièrement par le Directeur général à l’enseignement supérieur d’alors, Jean-Jacques Payan, résulte d’un compromis difficile qui ne satisfait pas grand monde, selon l’étude de Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968” [2]. Ensuite, l’une des nouveautés essentielles introduites par les décrets de 1983-1984 est l’annualisation de l’obligation de service. Enfin, le caractère favorable ou défavorable de la mesure dépendait de la répartition des services en interne. Le décret de 1984 conduisait à une légère augmentation du service hebdomadaire dans les cas où l’année universitaire était étalée sur une trentaine de semaines et où un nombre significatif de cours magistraux étaient proposés. La nouvelle norme de 192 heures a mis une décennie à être progressivement adoptée, notamment au travers des intégrations entre universités et autres type d’établissements, comme les IUT, qui ont donné lieu à des harmonisations, y compris des statuts[3].

      Temps de travail : moitié enseignement, moitié recherche
      Le décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences dispose que :

      « I.-Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :
      1° Pour moitié, par les services d’enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance. Ces services d’enseignement s’accompagnent de la préparation et du contrôle des connaissances y afférents. Ils sont pris en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret ;
      2° Pour moitié, par une activité de recherche prise en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret.
      Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu’il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret.

      II.-Dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, dans le respect des dispositions de l’article L. 952-4 du code de l’éducation et compte tenu des priorités scientifiques et pédagogiques, le conseil d’administration en formation restreinte ou l’organe en tenant lieu définit les principes généraux de répartition des services entre les différentes fonctions des enseignants-chercheurs telles que mentionnées aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l’éducation et L. 112-1 du code de la recherche. Il fixe également les équivalences horaires applicables à chacune des activités correspondant à ces fonctions, ainsi que leurs modalités pratiques de décompte.
      Ces équivalences horaires font l’objet d’un référentiel national approuvé par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

      III.-Dans le respect des principes généraux de répartition des services définis par le conseil d’administration en formation restreinte ou par l’organe en tenant lieu, le président ou le directeur de l’établissement arrête les décisions individuelles d’attribution de services des enseignants-chercheurs dans l’intérêt du service, après avis motivé, du directeur de l’unité de recherche de rattachement et du directeur de la composante formulé après consultation du conseil de la composante, réuni en formation restreinte aux enseignants. Ces décisions prennent en considération l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs ».

      Ce décret ne s’applique pas aux enseignant·e·s-chercheur·se·s de la fonction publique hospitalière, ce qui explique en partie que leur service est encore aux alentours de 20 à 50 heures annuelles. Le temps de travail de référence dans la fonction publique étant fixé à 1607 heures annuelles, la moitié de ce temps est donc réputé consacré aux activités de recherche, et pour moitié, d’enseignement, à l’exclusion des tâches administratives, qui disparaissent dans le trou noir du “service” non ou mal quantifié, et qui, sauf exception, relève bien du service supplémentaire. Pourtant, les missions des enseignant·e·s-chercheur·se·s sont beaucoup plus nombreuses que seulement l’enseignement et la recherche. Pour mieux les prendre en compte dans les obligations des universitaires, il faudrait améliorer les référentiels d’équivalence horaire.

      Moitié enseignement, moitié recherche : quid du reste ?
      Malgré ce statut commun, le service d’enseignement des enseignant·e·s-chercheur·se·s titulaires est très variable.
      D’une part, les différents enseignements ne représentent pas le même temps de travail : un cours nouveau demande plus de préparation qu’un cours déjà bien rodé, un cours en petit groupe demande moins de temps de correction de copie que celui devant un amphithéâtre, un enseignement en première année peut être plus facile à préparer qu’un enseignement de M2, etc. Il en est de même pour les décharges pour responsabilités (« équivalences horaires » dans le titre II ci-dessus), variables dans chaque établissement comme entre établissements.
      D’autre part, différents dispositifs permettent plus ou moins ponctuellement de réduire le service d’enseignement dû : CRCT (congé pour recherche et conversion thématique), délégations dans un organisme de recherche comme le CNRS, chaires de 5 ans à l’IUF (Institut universitaire de France), décharges ANR (Agence nationale de la recherche) quand elles sont prévues, contrats ERC (European Research Council) si ceux-ci prévoient le remplacement de l’enseignant·e-chercheur·se lauréat·e, etc. Ces dispositifs ne sont accessibles qu’après une sélection souvent très sévère, dont on peut déplorer le caractère quelquefois discriminatoire (selon le genre ou d’autres critères).

      Par ailleurs, beaucoup d’enseignant·e·s-chercheur·se·s effectuent des heures complémentaires, évoquées en I.2° ci-dessus. Ces heures ne sont pas des heures supplémentaires, puisque leur montant ne varie pas selon l’échelon ou le traitement et qu’elles peuvent être moins bien payées que les heures statutaires. En effet, À l’heure actuelle, l’heure de TD est rémunérée 40,91 € [on parle là en rémunération brute, ce qui représente 31,44 € net], indépendamment du statut, de l’ancienneté et même du corps (c’est le montant que reçoivent également les personnels vacataires). Pour mémoire, une heure de TD est réputée occuper dans le temps statutaire environ 4 h 10 de temps de travail au total, en incluant toutes les tâches obligatoires au-delà de la présence en cours. Si l’on calcule de cette manière, les heures complémentaires sont rémunérées à hauteur de 9,98 € brut [7,78 net] par heure de travail (le SMIC horaire 2019 est de 10,33 € brut, 8,06€ net).

      Enfin, on peut s’interroger sur la référence au temps de travail légal des fonctionnaires : ce temps ne trouve aucune réalité dans le métier des enseignants-chercheurs, qui n’ont notamment pas d’obligation de présence dans un bureau (voire pas de bureau). On notera d’ailleurs que le volume de 192 h n’a pas été modifié lors du passage aux 35 h (qui a en revanche permis à bien des salarié·es des organismes de recherche, selon le règlement de leur laboratoire, de gagner des semaines de congés payés). On retrouve régulièrement cette source de confusion, par exemple à propos de la modulation de service.

      Ce rapide billet sur l’archéologie du nombre d’or du temps de travail des hommes et des femmes enseignants-chercheurs entend ouvrir un débat sur le temps de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche. En effet, les modalités pratiques de comptabilisation de l’activité des EC ont des implications importantes pour les congés (maternité, maladie, etc. qui mériteraient un billet d’explication de la circulaire de 2012), pour l’emploi et pour la recherche. Il invite également à ouvrir le dossier douloureux du burn out et de la santé au travail. Que faire en effet quand les tâches s’accumulent et que les soirées, week-ends et vacances sont travaillées ?

      Loi et décrets de référence

      Loi 68-978 du 13 juillet 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur
      Décret du 7 mars 1936 relatif aux agrégés, chefs de travaux et assistants des facultés de médecine et de pharmacie modifié par décret n° 56-3 du 3 janvier 1956
      Décret n° 50-1347 du 27 octobre 1950 fixant certaines règles relatives au chefs de travaux des facultés de l’Université de Paris, de l’École normale supérieure et des facultés des universités des départements modifié par le décret n° 61-1007
      Décret n° 60-1027 du 26 septembre 1960 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines scientifiques, littéraires et de sciences humaines modifiés par les décrets n° 61-1006 du 7 septembre 1961, n° 78-226 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 62-114 du 27 janvier 1962 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion, modifié par les décrets n°63-212 du 22 février 1963, n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 69-63 du 2 janvier 1969 relatif aux instituts universitaires de technologie, modifié par les décrets n° 77-35 du 13 janvier 1977 et n° 78-327 du 15 mars 1973.
      Décret n° 69-526 du 2 juin 1969 modifié portant statut particulier des maîtres-assistants de pharmacie, modifié par les décrets n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982
      Décret n° 69-930 du 14 octobre 1969 modifié portant application aux instituts de faculté ou d’université préparant à un diplôme d’ingénieur de la loi n° 69-978 du 12 novembre 1968
      Décret n° 79-683 du 9 août 1979 portant statut particulier du corps des professeurs des universités modifié par le décret n° 82-739 du 24 août 1982
      Décret n° 83-287 du 8 avril 1983 portant statut particulier des assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion et des disciplines littéraires et de sciences humaines
      Décret n° 83- 823 du 16 septembre 1983
      Décret 84-431 du 8 juin 1984 (modifié)

      Temps de travail dans la Fonction publique

      Décret 81-1105 du 16 décembre 1981
      Décret n° 85-1022 du 24 septembre 1985 : durée hebdomadaire à 39 heures. 40 pour les personnels assimilés
      Décret n°94-725 du 24 août 1994 relatif à la durée hebdomadaire du travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 39 heures
      Décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 35 heures.

      Lien ; “French PhD students’ pay for teaching falls below minimum wage“, by David Matthew, The Times Higher Education (30 mai 2019

      [1]Georges Amestoy, Les Universités françaises, Paris, Éducation et Gestion, 1968.

      [2]Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968”, Le Mouvement social, 233, 2010, p. 69-91, p. 77. Les débats sur la réforme de 1983-1984 peuvent être documentés par le fonds de la commission Jeantet, déposé aux Archives nationales, versement 19860251.

      [3] Pierre Benoist, Une histoire des Instituts universitaires de technologie (IUT), Paris, Classiques Garnier, 2016.

      https://academia.hypotheses.org/5344

    • LPPR : Evolution du statut, vers la fusion des deux corps ?

      L’Université de Strasbourg organise des ateliers pour se préparer à la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche). Le second, intitulé « Evolution du statut : vers la fusion des deux corps ? », s’intéresse à la question du corps unique d’enseignants-chercheurs (EC), réunissant Maîtres de conférences (MCF) et de Professeurs des universités (PR). De cette question découlent les enjeux d’organisation du pouvoir universitaire et de la compétition entre les universitaires.

      Sur ce constat, on pourra dresser trois perspectives entre lesquelles les établissements devront choisir : la libération, le mandarinat ou l’évaluation continue intégrale. Ce choix représente un véritable enjeu pour la progression de l’autonomie des présidences d’université dans la gestion des masses salariales, et donc la mise en œuvre de stratégies d’établissement différenciées.

      La question de la fusion des corps est difficile à traiter en raison des grandes disparités entre les disciplines : certaines ont une agrégation, d’autres permettent aux MCF de co-encadrer des doctorants, etc.. La disparité des trajectoires personnelles complique encore le débat : les différences de perception sont légitimes, par exemple entre un MCF estimant déjà faire le travail de PR et un autre attendant ce poste pour gagner en liberté.

      Pour traiter cette question comme elle est traitée par le législateur, il convient cependant de faire un grand pas en arrière et de s’affranchir de ces disparités. Ce billet n’a donc pas la prétention de faire écho aux expériences personnelles, mais vise seulement à identifier des grands enjeux qui découlent de la question « vers la fusion des deux corps ? »

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1130848411542933504

      Les enjeux des deux corps

      Dans la construction des deux corps, l’aspect historique est bien sûr central, comme le raconte Jean-Yves Merindol (« Les universitaires et leurs statuts depuis 1968 ». Le Mouvement Social n° 233, nᵒ 4 (1 décembre 2010) : 69‑91). Il est impossible de faire un inventaire exhaustif de toutes les questions qui l’entourent, mais on peut identifier deux enjeux principaux : l’organisation du pouvoir universitaire, et l’organisation de la compétition entre les universitaires.
      Enjeu d’organisation du pouvoir universitaire

      Les PR disposent généralement de plus de liberté académique que les MCF. Cela se retrouve dans leur indépendance pour l’encadrement de thèse, le portage de projet ou encore la demande de financement. La liberté, l’indépendance et le pouvoir sont intimement liés. Ainsi, les PR bénéficient d’une plus forte représentation dans les conseils, d’un meilleur accès aux postes à responsabilité, et donc de plus de possibilités de contrôler les budgets, les recrutements, etc.

      Sous cet angle, la pyramide 1/3 PR, 2/3 MCF représente une structure de management hiérarchique, détaillée en réalité par de nombreux autres facteurs, y compris la renommée scientifique. Cette hiérarchie existe même si elle peut sembler parfois invisible au quotidien. Par exemple, les MCF peuvent être officiellement autorisés à porter tel type de projet, mais les critères d’évaluation peuvent favoriser ceux portés par des PR. Même dans les disciplines où les universitaires aiment afficher la parité au détriment de la hiérarchie, la parole d’un PR a souvent plus de poids dans les discussions -et donc les décisions- que la parole d’un MCF, indépendamment du fond du propos.

      Pour schématiser : MCF < MCF habilité à diriger des recherche < PR < PR avec responsabilité (qui se décline de chef d’équipe à président d’université et même au delà). En modifiant cette hiérarchie, la fusion des corps représente un enjeu dans l’organisation du pouvoir universitaire.

      Enjeu d’organisation de la compétition entre universitaires

      Le deuxième enjeu est celui de l’organisation de la compétition entre les universitaires, considérée comme nécessaire à la production scientifique. Ainsi, le système pyramidal français organise entre les MCF, malgré la permanence de leur poste, une compétition pour « passer prof », qui joue sur leur motivation. Sans cette motivation, certains craignent un « endormissement » des troupes.

      Les critères de promotion permettent également de structurer les investissements individuels. Par exemple, attribuer les postes de PR essentiellement sur des critères de production scientifique va encourager les MCF à publier plutôt qu’à s’investir dans la pédagogie.

      Dans tous les modèles de gestion des carrières, la permanence des postes est cœur de cette compétition. Cette permanence, parfois sous-estimée par ceux qui en ont facilement bénéficié, est vecteur de protection sociale mais aussi de liberté académique, et donc d’attractivité des carrières. L’attractivité du modèle français se base sur un accès à la permanence précoce après la thèse, mais avec des traitements médiocres. D’autres systèmes se basent sur un accès plus tardif et difficile, mais avec un bien meilleur traitement.

      Ainsi, la fusion des corps représente également un enjeu dans l’organisation de la compétition entre les universitaires, à la fois pour la motivation, la structuration des carrières et leur attractivité.

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1199684825197797376?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E11

      Vers la fusion des deux corps ?

      La question que l’on peut se poser maintenant est : comment pourraient être réorganisés le pouvoir universitaire et la compétition entre les universitaires avec un corps unique, donc sans promotion PR pour les MCF ?

      Tout d’abord, il faut rappeler que le principe de cette promotion à l’heure actuelle est une double évaluation par les pairs : nationale par la qualification ou l’aggregation (adéquation avec la fonction), puis locale par le concours (adéquation avec les besoins de l’établissements). Supprimer les deux corps revient à supprimer cette promotion par les pairs.

      Remplacer cette promotion par les pairs va permettre de modifier le système de pouvoir et de compétition. On peut dresser trois perspectives hypothétiques : la libération, le mandarinat, et l’évaluation continue intégrale.
      La libération

      La première perspective consiste à ne remplacer la promotion MCF/PR par rien. Embauchés rapidement après la thèse, les permanents n’auraient plus qu’une évolution à l’ancienneté jusqu’à la retraite, et bénéficieraient tous des mêmes droits, sans distinction, notamment pour l’accès aux responsabilité ou l’encadrement des thèses.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est diluée, et les MCF sont en quelque sorte libérés de la compétition. L’effet principal est une augmentation des libertés académiques et une diminution de la pression à la publication. Par ce biais, on peut améliorer l’attractivité des carrières, malgré des traitements toujours médiocres. La contrepartie peut être une baisse de la motivation et de la structuration par la promotion, et donc probablement une baisse des indicateurs de performance, indépendamment de la qualité des travaux (qui pourrait très bien augmenter).
      Le mandarinat

      La seconde perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par la suppression du corps permanent des MCF. Cela reconstruirait notre modèle sur un mélange des modèles « tenure » et « survivant », avec des voies d’accès aux postes permanents plus ou moins garanties. Seuls les permanents auraient de réelles libertés académiques.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est renforcé autour des postes permanents, et la compétition renforcée autour de leur obtention, mais aussi de l’obtention de financements pour les postes temporaires. C’est un modèle de mandarinat, similaire au modèle français pré-Faure, où les quelques permanents pouvaient faire ou défaire les carrières des nombreux précaires sous leur responsabilité. L’attractivité ne serait plus basée sur la permanence des postes, ce qui rendrait indispensable l’augmentation substantielle des traitements des permanents, pour motiver suffisamment de personne à s’engager dans une longue période de précarité sans garantie de succès.
      L’évaluation continue intégrale

      Enfin, la troisième perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par une évaluation continue intégrale des enseignants-chercheurs. A tout moment ou à un rythme régulier, cette évaluation permettrait de différencier la carrière des enseignants-chercheurs, soit par une promotion, soit par la modification de leurs droits ou de leurs obligations de service, notamment d’enseignement.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est assuré non plus par l’appartenance à un corps ou l’autre, mais par le pouvoir de décision de différenciation des carrières des autres universitaires. Ce modèle correspond à la fin de l’avancement à l’ancienneté. La compétition serait continue, pour l’accès aux promotions, aux primes, et aux temps consacré à telle ou telle activité, notamment la recherche. L’attractivité reposerait sur une apparente méritocratie.
      Une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement

      Difficile de savoir à quel point la LPPR sera contraignante pour les établissements, mais rien n’empêche de laisser chacun d’eux expérimenter et développer son propre modèle de carrière : libération pour les petites structures très bien dotées ; mandarinat pour les grandes universités de recherche très attractives ; évaluation continue intégrale pour les collèges universitaires peu attractifs…

      https://twitter.com/GerminetCY/status/902966496418086912?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E902

      On voit là que la fusion des corps représente une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement. En effet, les dirigeants des universités s’estiment actuellement coincés par une masse salariale rigide, dont ils héritent plus qu’ils ne décident. Leurs plaintes sur l’avancement à l’ancienneté (GVT) en témoignent. Le partage des mêmes obligations par tous les enseignants-chercheurs de leur établissement freine la mise en œuvre des adaptations qu’ils souhaitent. De plus, ces obligations sont identiques d’un établissement à l’autre, ce qui freine le développement de stratégies différenciées.

      La fusion des corps, en remettant en cause les structures universitaires actuelles de pouvoir et de compétition, représente une véritable opportunité de progression dans l’autonomie des présidences d’université, grâce à une gestion plus directe des promotions et différenciations des activités et carrières. On mesure l’enjeu en sachant que la masse salariale représentant 70% à 80% du budget d’une université.

      Reste à savoir si cette opportunité sera saisie et comment. Impossible de le dire, mais on peut faire trois constats :

      La perspective de libération est en totale contradiction avec l’idéologie de l’Excellence qui sous-tend aussi bien la LPPR que toutes les politiques et discours universitaires actuels. Il faudrait énormément de courage politique à un établissement pour la mettre en œuvre.
      La perspective de mandarinat correspond à plusieurs mesures envisagées dans la LPPR, notamment : les « chaires juniors » (évaluées à 150 par an au niveau national) et les tenure-tracks CNRS, ainsi que le renforcement de l’attractivité par les primes.
      La perspective d’évaluation continue intégrale correspond aussi à plusieurs mesures, notamment : la relance du suivi de carrière, la fin de la compensation de l’avancement à l’ancienneté (GVT) par le ministère, l’augmentation des rémunérations à la performance, la fin des 192 heures, et le renforcement des conséquences individuelles des évaluations.

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

    • À quoi sert la #CPU ?

      Alors que la mobilisation a gagné les Universités, au mois de décembre 2019, contre les retraites et contre l’esprit de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) en préparation, plusieurs d’entre nous avons été étonné.es de découvrir un réception organisée par Richard Ferrand et Emmanuel Macron en l’honneur de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), en présence de Frédérique Vidal, Ministre de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation.

      Selon une journaliste présente1 , la ministre Vidal y aurait déclaré

      « La loi de programmation pluriannuelle de la recherche investira dans les carrières scientifiques, qui manquent encore d’attractivité. Je veux encourager les étudiants à se lancer dans la recherche »

      en complète contradiction avec les politiques conduites par ce gouvernement et les précédents, largement documentés : Parcoursup, hausse drastique des droits étudiants étrangers, rétraction de l’emploi scientifique, etc. Le président de la CPU, Gilles Roussel2, ne le dit pas autrement dans un entretien du 18 décembre 2019 à AEF.

      Quid de l’emploi statutaire et de droit public ? demande AEF. La CPU y est attachée… mais il faut s’adapter à la place importante prise désormais par les personnels temporaires, doctorants, post doc, ingénieurs de recherche. « C’est un fait, et cela se passe ainsi partout ailleurs dans le monde ». C’est donc pour le bien de tous que l’on doit délier les CDD de leur durée maximal de 6 ans afin de pouvoir conserver les personnels de recherche non statutaire pendant toute la durée d’un projet de recherche. « Je suis donc favorable, de ce point de vue là, à donner plus de visibilité et de lisibilité sur des temps plus longs aux personnes employées sur contrats ».
      La revalorisation des carrières et du niveau indemnitaire s’impose, mais pour Gilles Roussel c’est « dans le cadre de la réforme des retraites » et avec des modalités et une entrée en vigueur encore « loin d’être arrêtées ». Pour Roussel la LPPR doit augmenter très vite les rémunérations des doctorants et des jeunes chercheurs. Le reste peut attendre la loi retraite et sa mise en œuvre à partir de 2025. L’important, est de ne « pas décrocher » et susciter des vocations.

      Inviter à susciter des vocations à un moment de contraction drastique de l’emploi permanent dans l’enseignement supérieur, de faiblesse historique des traitements (40% inférieurs aux fonctions équivalentes dans le reste de l’OCDE et inférieurs aux grades équivalents dans la fonction publique française, selon le rapport préparant la LPPR) et de mépris envers l’enseignement supérieur et la recherche, sensible dans le discours vide de la Ministre Vidal3, voilà qui et bien curieux et à l’encontre des prises de positions toute récentes des Conseils scientifiques du CNRS, qui exigent en termes clairs des moyens et des emplois permanents.

      Si les collègues du CNRS ont pu se demander à quoi leur servait un pdg qui ne représente aucun personnel ni instances, il est ainsi légitime d’examiner, dans le cadre de notre réflexion sur la gouvernance de l’enseignement supérieur et la recherche, les propositions de la CPU pour la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
      La CPU et la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Au cours de l’automne 2019, la CPU publie deux textes, à la suite de la demande du Premier ministre Philippe à la ministre Vidal de préparer une Loi de programmation pluriannuelle de la recherche en janvier 2019, en organisant la réflexion autour de trois thèmes :

      la recherche sur projet et l’articulation entre financement compétitif et financement récurrent des laboratoires ;
      l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ;
      l’innovation et la recherche partenariale.

      Des deux publications automnales de la CPU, la seconde, parue le 8 octobre 2019, est sans doute le plus curieux : intitulé “L’Université, un investissement pour la France”, il n’est ni plus ni moins qu’une plaquette publicitaire pour la CPU et son action au nom des 74 universités et établissements d’enseignement supérieur, regroupant 1,6M d’étudiant-es, 57 000 enseignants-chercheurs et 74 000 doctorant-es. Coup de griffe au gouvernement et à sa politique de discrimination des étudiant-es étrangers, elle déclare ses établissements “1èredestination francophone e t4ème rang mondial pour l’accueil des étudiants internationaux (245 000 /an)”. Sans davantage parler d’investissements, ni d’avenir, l’essentiel du texte est une défense et illustration de l’action de l’organisme.
      L’Université, un investissement d’avenir, CPU, 8 octobre 2019 (p. 4-5)
      La CPU au service de l’Université

      Créée en 1971 et organisée en association depuis 2008, la Conférence des présidents d’université (CPU) rassemble les dirigeants des 74 universités de notre pays, ainsi que ceux de ses 3 universités de technologie, 3 instituts nationaux polytechniques, 4 écoles normales supérieures, plusieurs grands établissements et l’ensemble des communautés d’universités et d’établissements (COMUE).

      La CPU compte ainsi 124 membres, sur l’ensemble du territoire national, et représente, grâce à ses liens avec les organismes et écoles, la plus grande part des forces d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation françaises.Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle d’accompagnement des présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      La CPU est présidée par un Bureau élu pour deux ans et composé d’un (e) président(e) et de deux vice-président(e) s, tous président(e) s d’université ou responsables d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Le Bureau a un rôle de pilotage, d’animation et d’orientation de la Conférence. Le travail de la CPU est organisé en commissions thématiques et comités : formation et insertion professionnelle, recherche et innovation, moyens et personnels, vie étudiante et vie de campus, relations internationales et européennes, questions de santé, questions juridiques, regroupement politiques de sites, numériques, transition écologique et énergétique… Chacun est dirigé par un(e) président(e) d’université élu(e).

      La CPU a de plus mis en place une instance permanente à Bruxelles, mutualisée avec les organismes de recherche au sein du Clora (Club des Organismes de Recherche Associés), et une fonction de conseiller parlementaire auprès du Sénat et de l’Assemblée nationale.L’équipe permanente de la CPU s’appuie, pour élaborer les prises de position politiques, sur l’expertise de l’ensemble des réseaux universitaires et associations professionnelles des universités.L’activité de la CPU est rythmée par de grands rendez-vous annuels : colloques, séminaires de formation et débats sur les grandes thématiques qui éclairent la société ou propres aux universités, évènements à destination du grand public ou des membres de la communauté universitaire, organisation du concours international « Ma thèse en 180 secondes ».

      Le concours de “Ma thèse en 180 secondes” serait-elle la principale réalisation de la CPU de ces dernières années ? La CPU n’a pourtant de cesse d’affirmer qu’elle est :

      “Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche” (p.3).

      Devrait-on en douter ? En période de préparation budgétaire, au lendemain d’une loi sur la transformation de la fonction publique4, et au lendemain de la publication des rapports des groupes de travail en préparation à la LPPR, réaffrimer ce rôle de représentant est pour le moins curieux, à moins qu’il ne soit mis en cause justement.

      Quelles sont les propositions de la CPU pour la LPPR ? Présentées dans une plaquette richement illustrée le 5 septembre 2019, elles se veulent, sous la plume du président de la CPU un manifeste”visant à convaincre l’opinion publique, les élus, le monde socio-économique que miser sur l’université c’est miser sur la réussite du pays”. Gilles Roussel, dans son introduction, adopte pourtant une posture défensive :

      “Les propositions que nous présentons dans ce document cherchent-elles à défendre une chapelle, ou encore la recherche contre un autre secteur de la société ?
      Non, clairement non ! (…)
      La société française toute entière doit prendre conscience qu’il faut pour cela investir dans la jeunesse qu’incarnent nos étudiants, nos futurs docteurs, nos chercheurs.”

      depuis des années, malgré les progrès de la loi de 2007, l’autonomie, et donc la capacité de prendre des initiatives, a été freinée par une complexification parfois ubuesque.
      C’est pourquoi la Conférence des présidents d’université ne se contente pas de demander des financements à la hauteur des défis, mais souhaite une remise à plat d’une organisation parfois obsolète et souvent complexe.

      Compte tenu de la population étudiante, il ne fait aucun doute que la société française fait confiance aux Universités française. Ce n’est donc pas la société qu’il faut convaincre, mais le gouvernement et le “monde socio-économique” qui continue d’émarger au budget du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), à hauteur d’un quart envrion (Crédit impôt recherche).

      La suite du document souligne le rôle cardinal de l’Université dans la formation à la recherche. “La question à laquelle la loi de programmation
      de la recherche devra répondre : Peut-on continuer avec la différence de financement entre les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur post-bac sans mettre en péril la recherche ?” (p. 4). Considérant l’Université comme premier opérateur de la recherche, la CPU ajoute “4 questions auxquelles la loi de programmation
      de la recherche devra répondre :

      Comment repenser les interactions des universités avec les organismes (EPST et EPIC) ?
      Comment faire converger audacieusement nos politiques de ressources humaines et de mobilité ?
      Comment faire de la gestion de proximité en l’affranchissant de ses pesanteurs ?
      Comment simplifier la gestion des laboratoires en harmonisant les règles trop complexes ?”

      avant de faire des propositions :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 5) Ce que nous proposons :

      Avec nos partenaires des organismes de recherche, il s’agit de franchir un nouveau cap dans la cohérence du système autour d’une réelle gestion de proximité :
      En coordonnant au niveau de chaque site les recrutements des personnels entre EPST et universités, pour attirer et fidéliser les meilleurs scientifiques dans les universités.
      En optimisant la gestion des personnels de soutien à la recherche et des fonctions support trop souvent redondantes, en les mutualisant.

      Ces propositions touchant à l’emploi et aux ressources humaines n’ont fait l’objet d’aucune discussion dans les établissements, à peine dans les COMUE, non sans conflit5.

      Au chapitre investissement, la CPU propose d’investir 1 Mds€ dans la recherche publique6. La CPU souligne, à juste titre, la misère administrative (“ratio personnel de soutien”) des Universités, et insiste sur le caractère contre-productif du financement par projet, relativement au reste de l’OCDE.

      Les taux de sélection aux appels à projets ANR sont de 15 % pour un budget de 673,5 M€ (contre 30 % et 2 milliards d’€ pour la DFG en Allemagne). Ceci a pour les chercheurs des effets délétères (découragement, rejets des projets les plus novateurs, considérés comme trop risqués). De plus, les coûts supplémentaires, liés à ces projets et supportés par les universités, ne sont pas pris en compte à leur juste niveau.

      En conséquence, la CPU émet deux préconisations :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 6)

      Augmenter le budget de plus d’1 milliard d’€ par an afin de passer de 0,79% à 1 % du PIB pour la recherche publique.
      Créer à partir de l’ANR une seule grande agence de financement de la recherche, en portant ses moyens à au moins 1 Md€ et en diminuant la complexité bureaucratique.

      Pour ce qui est de la relation contractuelle avec l’État, force est de constater que la loi sur l’autonomie des Universités (dite relative aux Libertés et Responsabilités des Universités), celles-ci n’ont gagné que des responsabilités (personnel, patrimoine, etc.) sans la libertés et les financements qui les rendent possibles. Pour la CPU, “il est temps aujourd’hui de franchir une nouvelle étape en faisant confiance aux universités”.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 7)

      Refonder la contractualisation avec l’État, avec la participation des organismes de recherche, à partir d’une évaluation rénovée.
      Confier aux universités la coordination de la recherche en région.
      Reconnaître à toutes les universités le droit à l’expérimentation.

      Ces propositions qui semblent répartir l’organisation scientifique territoriale entre régions et Île-de-France se fait dans le droit fil des regroupements COMUE — du moins là où elles n’ont pas été abandonnées — et de la politique du CNRS en régions. Il reste à savoir si le modèle peut être étendu, s’il est souhaitable et ce que veut dire “évaluation rénovée” et “droit à l’expérimentation La dernière page du document précise pourtant un moyen “en élargissant le périmètre d’application de l’ordonnance du 12 décembre 2018 actuellement circonscrit aux établissements nouveaux issus de fusions ou de regroupements”, soit les établissements publics expérimentaux – au 1e janvier 2020 feu Université de Nice, désormais Université Côte d’Azur, anciennement présidée par la Ministre Vidal et feue l’UPEC, désormais Université Gustave Eiffel, actuellement dirigée par Gilles Roussel.

      Côté Recherche&Développement, la CPU dénonce sans ambage la dépense fiscale du Crédit Impot-Recherche (6,3Mds€) qu’il faut “mieux orienter” selon elle.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 9)

      Simplifier la contractualisation en imposant la notion de mandataire unique avec une politique claire entre toutes les tutelles.
      Augmenter le nombre de thèses CIFRE pour les PME et les collectivités territoriales, avec une hausse du financement du MESRI.
      Simplifier les prises de participation de nos établissements dans les entreprises, notamment dans des start-up à fort potentiel.

      Au chapitre “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques”, la CPU anticipe les conclusions du groupe de travail péparatoire à la LPPR7 et pose deux questions auxquelles la LPPR doit répondre :

      Peut-on laisser l’écart des rémunérations se creuser entre nos chercheurs et les autres catégories équivalentes de la fonction publique ou avec les autres pays européens diminuant l’attractivité des métiers de la recherche ?
      Peut-on continuer à faire payer par les établissements des décisions prises par l’État sans compensations suffisantes ?

      Le problème du vieillissement des personnels et de l’accroissement mécanique non compensée de la masse salariale asphyxie désormais les Universités à un point dangereux, alors qu’un tiers des enseignements et 40% de l’emploi est devenu contractuel.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 10)

      Revaloriser toutes les rémunérations, en particulier celles de début de carrière pour les titulaires et celles des contrats doctoraux et ATER.
      Repenser les processus de recrutement des enseignants-chercheurs pour converger vers les standards internationaux.

      La CPU propose, à la fin de ses Propositions pour la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, une “synthèse” de ses propositions. La plupart sont reprises des proprositions intermédiaires, ou précisent celles-ci. Une proposition est à la fois neuve et savoureuse, quand on sait comment les présidents d’Universités se sont précités dans les regroupements COMUE avant de faire des pas de côté, ou même marche arrière toute devant ces mastodontes coûteux et sans bénéfices apparents :

      Justifier, à la création de tout nouveau dispositif, sa plus-value par rapport aux programmes déjà existants notamment au niveau européen.

      Toutefois un chapitre entier n’a fait l’objet d’aucune présentation auparavant, et intéresse tout particulièrement Academia, consacré à l’emploi dans l’enseignement supérieur.
      “Repenser le recrutement“, Propositions pour la LPPR, CPU, 5 sept. 2019 (p. 11)

      Repenser l’ensemble du processus de recrutement des enseignants-chercheurs de façon à converger avec les standards internationaux et notamment européens.
      Donner aux universités la maîtrise de leurs recrutements, en modernisant les procédures et en supprimant le préalable de la qualification.
      Assouplir le cadre des missions des enseignants-chercheurs et revoir la comptabilisation de leurs activités.
      Réfléchir à un seul statut allant de l’enseignant au chercheur.
      Permettre aux expérimentations de la tenure track, d’aller jusqu’à un processus spécifique de titularisation.
      Donner la possibilité aux universités d’expérimenter le contrat de chantier.
      , (nos italiques)

      Supprimer la qualification — supprimer par la même occasion le Conseil national des Universités ? —, supprimer les corps distincts des EPST et des Universités, développer le contrat de chantier aux enseignants-chercheurs8, voilà qui est aller un peu vite en besogne. Ces propositions représentent, à nos yeux, une rupture profonde avec les personnels des Universités, qui ont particulièrement souffert des regroupements absudes, de la sous-dotation chronique, et du mépris dans lequel les tiennent ses dirigeants.


      Alors que l’essentiel de ces propositions pourrait susciter une adhésion profonde de la communauté de recherche et d’enseignement que la Conférence des présidents d’Universités, on lit dans ces dernières lignes une démarche isolée, voire hors sol, très différente donc du rôle dont elle se prévaut le mois suivant. On peut faire l’hypothèse d’une certaine déconnexion entre présidents et communautés universitaires9.

      Pour mieux comprendre l’évolution récente de la CPU, il n’est pas inutile de revenir sur son histoire et son fonctionnement aujourd’hui.

      Création en 1971

      La Conférence des présidents d’universités est crée le 24 février 1971 par décret.

      La CPU réunit les présidents d’universités et des établissements à caractère culturel et scientifque hors Universités. Le décret précise que le Ministère met à disposition des locaux ainsi que ses services pour son fonctionnement et que ses réunions ne sont pas publiques.

      Son statut change plusieurs fois avant de devenir, en 2007, une association loi 1901 à l’occasion de la Loi sur les Libertés et les Responsabilités des Universités (dite LRU), reconnue d’utilité publique par le Ministère l’année suivante10. Son siège social est maintenu à la Maison des Universités, au 103 boulevard Saint-Michel Paris 5e.

      Ses missions, précisées à l’article 2, sont diverses :

      Article 2
      En accord avec l’article L233-2 du Code de l’ducation, cette association a vocation à représenter auprès de l’Etat, de l’Union Européenne et des autres instances internationales compétentes en matière d’enseignement supérieur et de recherche les intérêts communs des établissements qu’elle regroupe. L’association donne son avis au ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche sur les questions concernant ces domaines. Elle peut lui proposer des vœux et des projets. Elle peut représenter tout ou partie de ses membres dans des projets nationaux ou internationaux, qu’elle peut gérer.

      Les moyens d’action de l’association sont notamment : la mise en place de manifestations, la publication et diffusion de rapports, analyses et prises de position, la concertation avec les tutelles et partenaires, la signature de conventions et accords.

      L’association s’octroie des tâches d’influence (lobbying) auprès du Ministère et de communication. Academia avait déjà repéré la novlangue utilisée dans un questionnaire à destination des partis politiques (élections européennes 2019), dont elle n’a pas publié les réponses obtenues des partis politiques, contrairement à son homologue allemande. Toutefois, au vu de la misère croissante dans laquelle est tenue l’Université française, on peut se demander l’efficacité de ce lobbying, comparé par exemple à celui de la GuildHE au Royaume-Uni.

      Plus vraisemblablement, la CPU participe à la “professionnalisation” des présidents et (rares) présidentes d’Universités, soit selon ses propres termes11 :

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle de soutien aux présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      Partager idées, savoir-faire, et éléments de langage, dans l’adversité, à défaut de représenter la communauté universitaire et d’en défendre valeurs et personnels : tel est sans doute le rôle que s’est dévolue la CPU.
      Fonctionnement et financement

      Pour ce qui est des moyens en termes de personnels, l’article 2 précise que des agents publics titulaires ou contractuels du Ministère ou des Universités, et qu’elle peut en recruter sur ses fonds propres((“Afin de mettre en œuvre ces actions, l’association peut bénéficier du concours d’agents publics titulaires ou contractuels mis à sa disposition par l’administration ou l’établissement public dont ils dépendent, de fonctionnaires placés en position de détachement, et de personnels recrutés sur ses fonds propres.”)).

      Enfin, pour ce qui est de la dotation, celle-ci cesse de peser sur le Ministère pour revenir à ses membres – enfin plus précisément, aux Universités qu’ils président. Les montants des cotisations est fixé en Assemblée plénière de la CPU. En cas de non-paiement, la sanction quasi immédiate est la radiation ((“Article 5 .La cotisation annuelle des membres est fixée annuellement par la CPU plénière, selon des modalités inscrites dans le règlement intérieur.
      Article 6 La qualité de membre de l’association se perd :

      par la démission ;
      par la radiation prononcée par la CPU plénière pour non-paiement de la cotisation (après mise en demeure non suivie d’effet dans un délai d’un mois) [nos italiques] ;
      par la radiation prononcée pour motifs graves par la CPU plénière sur proposition du bureau après que le membre intéressé a fait valoir ses observations auprès de la CP2U. Le membre intéressé est préalablement appelé à fournir ses explications.)).

      Les montants demandés sont élevés, même si les Universités les tiennent souvent secrètes : 15 000€ à l’ENS de Lyon, 8 300€ à l’EHESS12. À l’Université de Strasbourg, c’est 30 000€ que le Conseil d’administration a dû allouer pour 2019, sans y trouver à redire et sans que le bénéfice attendu soit bien clair pour les administrateurs et administratrices13. La cotisation, à l’Université de Strasbourg, figure au titre — technique — de “Cabinet de la Présidence : cotisations (de l’année)” ; ceux-ci sont pourtant bien plus difficiles à connaître ailleurs. Les débats conduits au sein de ce Conseil d’administration sont éclairants, si tant est qu’on peut parler de débats :

      On peut se demander ainsi dans quelle mesure la CPU représente les membres des Universités. Faute de comptes à rendre à quiconque, n’est-ce à pas plutôt les seules personnes des présidents — très majoritairement des hommes — que l’association sert ?
      Déclin de la CPU ?

      Parmi les cotisations de l’Université de Strasbourg, on trouve d’autres associations moins connues du grand public universitaire : la LERU (League of European Research Universities) et la CURIF (Coordination des universités de recherche intensive françaises)14. Les Universités moyennes de villes moyennes se regroupent, quant à elles, dans l’Association des Universités de Recherche et de Formation ou AUREF15.

      L’histoire de la CURIF, que relate le site de l’association, laisse penser que, depuis la LRU, l’avenir est darwinien.
      L’histoire de la CURIF, selon son site institution (consulté le 22/12/2019) La CURIF a été créée en 2008 sous forme d’une coordination informelle. Il s’agissait de défendre les spécificités des universités les plus actives dans le domaine de la recherche, alors que se discutait le remplacement du système d’affectation des ressources SAN REMO. En effet, les systèmes d’affectation proposés avec une belle constance par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, ne prennent pas en compte les besoins des activités de recherche à un niveau réaliste, ce qui obère le maintien d’une recherche de haut niveau dans nos établissements.

      Il est alors apparu que la position des grandes universités ne pouvait pas être développée dans son intégralité par la CPU qui doit tenir compte du point de vue de toutes les universités dont certaines ont parfois des besoins urgents en enseignement et relativement moins criant en recherche. Il est aussi apparu que la plupart des pays européens, suivant en cela l’exemple de la LERU [NDLR : League of European Research Universities], se sont dotés eux aussi d’un groupe de liaison des universités de recherche intensive afin de défendre la recherche universitaire et faire comprendre aux pouvoirs publics que, sans une réflexion et des moyens adaptés à l’exercice de la recherche intensive, leurs universités seront exclues de la compétition internationale avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraîne en termes d’innovation et d’attractivité du territoire.

      (…)

      La CURIF fut lancée donné fin 2008 par les universités françaises membres de la LERU : Strasbourg (Louis Pasteur), Paris-Sud et UPMC. Les principes de cooptation qui furent adoptés étaient :

      de se restreindre à de réelles universités (hors grandes écoles),
      de ne prendre qu’une université par ville, sauf à Paris
      de tenir compte du nombre de laboratoires mixtes de recherche (pour l’essentiel, avec le CNRS et l’INSERM).

      Alors que les deux premiers principes sont faciles à appliquer, le troisième doit tenir compte des disciplines puisque le CNRS est inégalement représenté selon les disciplines (très peu représenté en droit et gestion, par exemple). Le principe d’une université par ville posait surtout des problèmes à Aix-Marseille et Bordeaux puisque dans ces villes deux grandes universités coexistaient. Cette difficulté est maintenant fort heureusement résolue.

      En application de ces principes les universités suivantes, qui à elles seules couvraient plus de 85 % de la recherche dans le domaine de la santé et 70 % dans le domaine d’action du CNRS ont été sollicitées.

      Peu après, Paris 2 Panthéon-Assas, Nancy 1 Henri Poincaré et Nice furent invités à rejoindre la coordination. Les universités contactées participèrent depuis lors à la coordination, à l’exception de Panthéon-Sorbonne, Panthéon-Assas, Paris-Descartes, Paris-Diderot et Toulouse Paul Sabatier qui cessèrent leur participation en 2012 suite aux élections, provisoirement en ce qui concerne Paris- Diderot.

      En 2013, la CURIF dont l’intendance et le secrétariat étaient assurés depuis l’origine par l’UPMC, décida de se doter d’une personnalité morale sous forme d’association loi 1901 et d’appeler une cotisation.

      On se trouve ainsi, pour résumer, avec une Conférence des Présidentés d’Université, et une Conférence des Universités Excellentes, dont la trésorière était Frédérique Vidal, jusqu’à sa nomination au Ministère16. Ni l’une, ni l’autre n’ont de compte à rendre à la communauté universitaire, qu’elles ne représentent pas. En revanche, les liens avec le Ministère semble plus avéré, comme le montre le récent cocktail — au cours duquel Frédérique Vidal énonce une nouvelle fois des contre-vérités sur la politique mené par son Ministère, sans opposition manifeste des Présidents d’Universités présents.


      L’AEF questionne Gilles Roussel enfin sur le silence embarrassant dans lequel il a été relégué, en tant que président de la CPU, aux côtés du présidents de la République, lors des 80 ans du CNRS. Roussel répond que l’épisode, « si désagréable qu’il ait été », est anecdotique. Sa seule présence d’ailleurs « montre que la dimension universitaire de la recherche a voulu être marquée symboliquement ».

      Le rôle de la CPU serait-il devenu “symbolique” ? Ou plus précisément, “anecdotique“, à l’image du strapontin laissé à son président Gilles Roussel par le gouvernement actuel ? Si ni la CPU, ni la CURIF, ni l’AUREF — pourtant grassement financées par les Universités — ne représentent les communautés universitaires qui leur délèguent pourtant leurs présidents élus, si ces associations rendent difficile, voire impossible l’accès à leur documentation de travail, et que, dans le même temps, les communautés universitaires souffrent de sous-financement et de précarité de l’emploi, nous sommes à bon droit de demander — dans la mesure où elles ne servent pas aux communautés qui les financent — qui ces Conférences servent.


      https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/cpu_lppr_propositions.pdf

      Et ainsi, se demander s’il ne serait pas heureux, pour suivre le relevé des décisions de l’Assemblée générale des Universités qui s’est tenue le 14 décembre 2019, s’il ne faut pas les supprimer, si du moins elles n’ont pas déjà de facto disparu.

      https://academia.hypotheses.org/6624

    • Biatss, ITA et CDI de chantier dans l’ESR

      À l’occasion de la réflexion collective en préparation du projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l’équipe des Rédacteurs d’Academia est heureuse d’accueillir des femmes et des hommes #ITA (personnels ingénieurs, administratifs, techniques) et #BIATSS (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques) mobilisés pour leurs métiers. Dans ce blog consacré à l’emploi en sciences humaines et sociales, ces femmes et ces hommes représentent plus de la moitié des effectifs ; pour autant, ces personnels, injustement subalternes, sont peu audibles. Ces corps de l’enseignement supérieur et de la recherche ont pourtant connu d’inquiétantes mutations de leurs niveau et conditions d’emploi, qui pourraient préfigurer l’avenir de l’emploi de recherche et d’enseignement. ITA et BIATSS mobilisés pour leurs métiers inaugurent, avec ce billet, une réflexion pour que vraiment toutes et tous, ensemble, imaginions l’avenir de la recherche et le contenu de la LPPR.

      Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 le CDI de chantier ou contrat de chantier est une possibilité ouverte à tous les corps de métier sous réserve d’accords de branche ou de convention collective (articles 30 et 31) ; il est donc possible de recruter des agentes et agents pour une durée indéterminée, pour une mission spécifique liée à une opération ou un projet à l’échéance non prévisible. Les agent·e·s seront ensuite licencié·e·s lorsque l’opération ou le projet seront considérés comme achevés, l’achèvement étant considéré alors comme une cause réelle et sérieuse de licenciement (article 31).

      Le CDI de chantier ou d’opération est l’aboutissement logique du pilotage par projet, devenu massif et sans doute structurel dans l’ESR depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, 2007), dont la logique est de pulvériser la notion d’emploi ou de métier ou lui substituant l’opération (forcément limitée dans le temps et sanctionnée par un livrable) et la compétence (mouvante, associée à des projets et que les agentes et agents sont supposés accumuler et activer par la formation continue ou l’expérience de terrain). Cet aboutissement s’inscrit bien sûr dans la logique de défonctionnarisation des services publics, c’est-à-dire par la nécessité du recours à une main-d’oeuvre managérialisée, ne possédant plus sa qualification au sens du statut d’agent de l’État titulaire, libérée de la culture du service public et bien entendu beaucoup plus soumise aux injonctions dites modernisatrices des établissements s’inscrivant désormais dans un marché de l’éducation et de la recherche notoirement concurrentiel au niveau mondial.

      Il n’est donc pas étonnant que l’apparition de ces CDI de chantier dans le dernier rapport des groupes de travail préparant la loi de programmation pluriannuelle de la recherche émeuve, à juste titre, le monde de l’ESR.

      Mais nous regrettons que cette émotion vienne bien tard, et qu’elle soit principalement motivée par la crainte que certains corps de métier (les CR et MCF) soient touchés par ces CDI de chantier. Car l’expérimentation en la matière est déjà ancienne, la destruction de l’ESR français continue depuis plus de dix ans, et les ITA et Biatss subissent depuis des années les conséquences de l’idéologie de la flexibilité et du précariat qui menace aujourd’hui les enseignants-chercheurs. Ces conséquences n’en sont pas moins des atteintes aux missions de recherche et d’enseignement supérieur de nos établissements que lorsqu’elles touchent les CR et MCF.
      La précarité des agents techniques et administratifs de l’ESR : les chiffres

      Pour le CNRS

      Le dernier bilan social du CNRS pour l’année 2018 comptabilise :

      24548 permanent·e·s dont 13322 ITA
      7022 contractuel·le·s dont 2945 ITA et 1834 doctorantes et doctorants.

      Si on laisse de côté le problème spécifique des doctorant·e·s dont la précarité est connue et relayée depuis des années, on constate que les ITA contractuel·le·s sont plus nombreux que les chercheuses et chercheurs (2243). Ces chiffres sont stables avec une tendance à la hausse de la proportion de contractuel·le·s pour les ITA.

      Pour les Universités

      À titre d’exemple dans quelques universités :

      À l’Université Paris-Sud, la part des contractuel·le·s parmi les personnels BIATSS est passée de 15,3% en 2014 à 17.75% en 2017 [Source : https://www.u-psud.fr/_attachments/paris-sud-en-chiffres-article/Bilan%2520Social%25202014-2017%2520UParisSud%2520EXE.pdf?download=true]
      À Aix-Marseille Université, les contractuel·le·s représentent plus de 30% des personnels BIATSS depuis plusieurs années [voir par exemple https://www.univ-amu.fr/system/files/2019-07/DIRCOM-bilan_social_2018.pdf]. Si le taux de contractuel·le·s a baissé en 2018 (il est de 32%) , il reste particulièrement élevé alors que 30% de ces emplois contractuels sont financés sur contrat de recherche (mission spécifique à durée déterminée et rémunérée grâce aux crédits générés par le contrat de recherche).
      À l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, ce sont entre 200 et 300 emplois qui ont été supprimés depuis 2013, ce qui, combiné avec la loi Sauvadet, a permis de réduire de 50 à 40% la part des contractuel·le·s BIATSS par rapport aux titulaires.

      La “déprécarisation” ou quand l’enfer se pave de bonnes intentions

      Dans le cadre du dispositif d’autonomie des établissements, la “déprécarisation” implique nécessairement des effets contradictoires qui permettent de mieux comprendre ces “contrats de chantier” qui vont désormais s’abattre sur les EC (même s’ils sont en vérité déjà expérimentés depuis 2007 par ce qu’on appelle les “enseignants LRU” – souvent des maîtres de langues payés 1300€ nets pour les 192 heures réglementaires, sans aucune perspective de carrière ou de titularisation, car ne rentrant pas dans le cadre du décret de 1982 régissant les agents titulaires et contractuel·le·s de l’ESR).

      Depuis 2007, la logique est donc la même : la “déprécarisation” (dont personne – à part Laurence Parisot, alors Présidente du MEDEF, qui déclarait « La vie est précaire, l’amour est précaire. Pourquoi n’en serait-il pas de même du travail ? » – ne conteste ouvertement la nécessité) se paye, à budget constant, d’une chute des postes ouverts (les fameux “gels de postes”) et, partant, du burn-out de celles et ceux qui restent… La précarité, dans son versant culturel, a en effet deux faces : elle est, vue du haut, une chance, une capacité de “disruption” qu’il va s’agir d’utiliser pour un temps (et l’on se souvient des BIATSS de “chantier” néo-managers de 2007-2009, aux salaires sans commune mesure avec les cadres des tableaux de la fonction publique chargés par les présidences des universités de “moderniser” leurs services – pilotage, gestion, externalisation…) mais aussi, vue du bas (l’armée de précaires sous-payé·e·s et sur-diplomé·e·s qui composent désormais une bonne moitié des fonctions dites “support” de l’ESR – contrats, ANR, ressources propres…) l’impossibilité d’inscrire les fonctions dans le temps long d’un poste, au double détriment de l’institution et des personnes concernées.
      La meilleure manière de détruire le service public d’enseignement et de recherche, c’est évidemment de l’empêcher de fonctionner, puis de lui imposer sa libéralisation sur le constat de son dysfonctionnement préalablement organisé !
      Précarité et souffrance au travail

      Les services centraux des universités, mais aussi les structures chargées de gérer les EX (IDEX, Labex, Equipex) et de manière plus générale la recherche sur projet (ANR, ERC, etc.) sont les plus massivement touchés par cette précarisation des ITA et BIATSS. Elle se traduit par un grand nombre de personnes en CDD, parfois la majorité voire la totalité d’un service1 mais aussi, et c’est le corollaire, par un turn over important qui déstabilise les équipes comme les services. Mais les ressorts de la précarisation vont au-delà : l’appel à des sous-traitants, auto-entrepreneurs souvent, pour assurer des missions parfois récurrentes, par exemple ; et le recours à des CDI ou CDI de chantier, souvent sans évolution de carrière possible, et parfois affectés à des structures de droit privé de type filiale d’université. Les mêmes fonctions peuvent ainsi être remplies au sein d’un même service par des personnes avec des statuts très différents. Ce recours large à des supports d’emploi précaire non seulement n’est plus questionné, mais il participe à la logique de détricotage de l’emploi comme des métiers ITA et BIATSS. De l’emploi parce qu’il permet de s’accommoder du faible recrutement de titulaires sur ces fonctions, des métiers parce qu’il soumet les compétences et les missions à une logique de gestion et d’accompagnement de projet, à court terme, et non à la construction de profils autonomes et de haute technicité nécessaires à l’ESR sur le long terme. Enfin, nous voyons déjà arriver ce que l’appellation CDI de chantier a de trompeur : les premiers CDI sur EX arrivent à échéance et les personnels commencent à être informé·es qu’ils et elles vont perdre leur emploi.

      La solution proposée par les délégués régionaux, directeurs d’instituts et gouvernances des universités aux situations de souffrance induites par ce management très particulier n’est pas le recrutement ou la consolidation des postes, mais de très jolies plaquettes consacrées à la gestion des risques psycho-sociaux… Vive la “qualité de vie au travail” – alors même que les représentants des personnels vont bientôt perdre les deux instances dans lesquelles ils avaient encore une voix : les CHSCT et les CAP qui perdent l’essentiel de leurs attributions avec la nouvelle loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019…2
      Quelques exemples récents de restructurations ou comment les ITA et BIATSS servent de variable d’ajustement

      Le PDG du CNRS Antoine Petit vient de l’Inria, qui s’est signalé par une démarche de restructuration (OptIn) particulièrement douloureuse. Tout figure explicitement dans le Rapport de Mission de 2018 sur cette restructuration :

      “maintenir la qualité du service apporté en diminuant les effectifs des fonctions support par l’optimisation des processus et des outils qui les supportent. Pour les RH, la mutualisation touchera dans un premier temps le processus de recrutement des personnels non permanents” (p. 3).

      C’est le programme qui a été suivi et qui, à l’horizon 2020, aura terminé de démanteler les RH de l’Inria – et aboutira à une compression de personnel sans précédent, avec près de 80 postes supprimés. Mais c’est le prix à payer selon A. Petit pour ne pas diminuer le recrutement des chercheurs – c’est l’argument qui a été explicitement présenté aux agents de l’Inria le 29 février 2016 lors du lancement officiel d’OptIn… Les ITA sont donc des variables d’ajustement officielles pour préserver l’emploi scientifique.
      Le Grand équipement documentaire(GED) du Campus Condorcet est un cas typique des expérimentations subies ces derniers temps par les ITA. Le GED lui-même est un Établissement Public administratif (EPA). Un établissement public à caractère administratif (EPA) est en France une personne morale de droit public disposant d’une certaine autonomie administrative et financière afin de remplir une mission d’intérêt général autre qu’industrielle et commerciale, précisément définie, sous le contrôle de l’État ou d’une collectivité territoriale.

      Concrètement cela veut dire que les agent·e·s rattaché·e·s au GED, qui viennent des différentes structures qui rejoignent depuis septembre le campus Condorcet, vont avoir un statut encore très incertain (le GED n’est pas encore ouvert du fait d’un retard de livraison du chantier)3. Ils et elles ne seront plus rattaché·e·s à leur unité d’origine mais mutualisé·e·s au sein du GED. Depuis plus d’un an les différents CHSCT concernés font remonter les inquiétudes des agent·e·s destiné·e·s à travailler au sein du GED, qui à l’heure actuelle ont très peu de visibilité sur leur futur statut. Mais ce qui est déjà acté c’est l’explosion de leur fiche de poste : les agent·e·s transféré·e·s à Condorcet doivent candidater sur les fiches de poste émises par l’établissement avec une majeure, une mineure et 10% de “service au public” (= qui correspond par exemple à des astreintes de permanences, ce qui n’est pas négligeable dans un équipement documentaire qui va proposer de très larges amplitudes horaires y compris le week end et la nuit). Pour les agent·e·s refusant le transfert, ce sera un recours aux Noemi c’est à dire une mobilité interne au CNRS sur les postes ouverts à la mutation – sans fléchage particulier pour les agent·e·s concerné·e·s. Flexibilisez-vous… ou partez.
      Le bilan social des ANR

      Un autre grand terrain d’expérimentation a été ouvert par les financements type ANR ou ERC. On voit régulièrement apparaître au fil de l’eau des profils aberrants destinés à recruter des ITA en CDD financés par et pour des ANR. Ces profils proposent très souvent des recrutements au plus bas niveau possible (IE voire AI plutôt qu’IR), avec une feuille de route impossible à tenir dans le temps imparti, et des exigences délirantes en terme de compétences. Ainsi il n’est pas du tout inhabituel de solliciter chez le candidat aussi bien des compétences en pilotage (gestion de projet, gestion d’équipe) qu’en informatique, avec si possible un niveau au moins équivalent au Master dans différents domaines disciplinaires allant de la linguistique à la sociologie. C’est un sujet particulièrement sensible en LSHS, où de plus en plus de projets de recherche souhaitent (pour des raisons pas toujours scientifiques mais parfois très opportunistes) se doter d’un volet numérique. Il est alors tentant de faire d’une pierre deux coups, et de chercher à caser sur un seul CDD ce qui occuperait déjà largement deux équivalents temps plein4…

      Pourquoi de telles contorsions ? Parce que l’emploi IT est sinistré, et que les ressources nécessaires pour faire tourner les projets et les services n’existent plus. On se retrouve même parfois à devoir financer par projet non seulement les fonctions techniques mais aussi les fonctions support administratives et financières ; il arrive de plus en plus régulièrement que les unités et les équipes n’aient plus de gestionnaire titulaire, et que cette fonction pourtant hautement stratégique et de plus en plus complexe à l’heure des audits et des multitutelles soit mutualisée entre différentes unités, différents sites, différents établissements, et confiée à des contractuel·le·s payé·e·s sur des reliquats d’IDEX ou des chutes d’ERC.
      Nous ne voulons plus servir la science à nos dépens !

      Dans un tel contexte, le CDI de chantier a pu apparaître à certains comme une solution pas si absurde, permettant de pérenniser un petit peu les contractuel·le·s dont la recherche a besoin. Le double gros problème du CDD pour l’employeur, c’est qu’il coûte cher (du fait de la bonification de précarité, le coût consolidé du poste est donc important) et que son échéance n’est pas adaptable : si le projet n’est pas terminé, il faut renouveler le CDD – et si le CDD est trop souvent renouvelé, on se retrouve avec un agent, horreur, titularisable.
      Le CDI de chantier coûtera moins cher (pas de prime de précarité puisque c’est un CDI !) et permettra de s’ajuster exactement aux besoins du projet et de l’employeur. Il est donc une parfaite aubaine et est promis pour cela à un très bel avenir. Et si effectivement l’arbitrage doit se faire entre pérenniser des ITA et recruter des chercheurs, nous savons très bien où penchera la balance – car nous savons très bien qui prend les décisions.

      Dans ce contexte, la politique en faveur du handicap tant vantée par le CNRS peut-elle perdurer ? En 2018, 14,5 % des salarié·e·s handicapé·e·s de l’ESR étaient des agent·e·s de catégorie B, et 43,3 % de catégorie C. Les agent·e·s de l’ESR handicapé·e·s occupent donc déjà majoritairement des postes d’ITA et de BIATSS, certes moins qu’en 2012 (où ils et elles appartenaient à 53,3% à la catégorie C, ces postes d’oubliés de l’ESR). 18,9 % d’entre eux étaient contractuel·le·s en 2018, ce qui est tout sauf un statut rassurant pour qui vit au quotidien avec un handicap. Les orientations que souhaitent prendre l’ESR, basées sur l’obsession de la compétitivité et le CDI de projet, sont-elles réellement compatibles avec une insertion réelle et durable des personnels handicapés dans le monde de la recherche, que le CNRS est si fier de mettre en avant ?

      Il est donc temps pour les ITA et BIATSS de faire entendre leur voix au sein de l’ESR. C’est ce qui a été fait, et brillamment mardi 17 décembre par les équipes des plates-formes d’OpenEdition qui ont proposé une action de grève originale (le blocage de l’ensemble des services numériques pendant 24 h, les sites affichant un message de mobilisation en différentes langues), permettant à la fois de souligner l’importance du travail des “soutiers du numériques” et de visibiliser des revendications trop souvent invisibles. Cette action a fait du bruit (en témoigne le débat très vif sur la liste de diffusion des usagers d’hypotheses.org [carnetiers] ; nous espérons qu’elle marque le début d’un véritable mouvement de protestation de tous les personnels techniques et administratifs, les oublié·e·s de l’ESR.

      https://academia.hypotheses.org/6294

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) Ce à quoi il faut s’attendre - Newsletter n° 44, 10 janvier 2020

      Toujours plus d’évaluation, toujours plus de financement sur projets, toujours plus de hiérarchisation et de différenciation, et pour cela la possibilité d’imposer plus de 192h annuelles aux enseignants-chercheurs et la fin du paiement des heures supplémentaires, telles sont les propositions centrales formulées dans les 3 rapports officiellement commandés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pour préparer la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (la LPPR). Voici une présentation par SLU de ces 3 rapports qui font froid dans le dos quand on sait ce qu’est déjà devenu notre métier.

      Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire - oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale.
      Antoine Petit, PDG du CNRS, Les Échos, 26 novembre 2019.

      Les déclarations réitérées du PDG du CNRS ont fait largement réagir la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Elles ne sauraient passer pour de simples provocations. Le darwinisme social et l’inégalité qui y sont revendiqués sans fard sont au cœur des trois rapports remis le 23 septembre 2019 à la Ministre de l’ESR en vue de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      On ne s’étonnera donc pas de retrouver Antoine Petit aux côtés de Sylvie Retailleau (présidente de Paris-Saclay) et de Cédric Villani (député La République en Marche chargé des questions de l’ESR, vice-président de l’OPECST [1]) comme rédacteur du premier rapport consacré au financement de la recherche. Un second groupe de travail, composé de Philippe Berta (généticien, député LREM), Philippe Mauguin (PDG de l’INRA dont la nomination en 2016 par François Hollande a été contestée car il avait été directeur de cabinet de Stéphane Le Foll) et Manuel Tunon de Lara (pneumologue, président de l’université de Bordeaux, dont le principal fait de gloire est d’avoir fait matraquer les étudiants de son université le 7 mars 2018), était chargé du rapport « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques ». Quant au rapport « Recherche partenariale et innovation », il a été placé sous la responsabilité de Francis Chouat (député LREM d’Evry), Isabel Marey-Semper (directrice des moyens communs au sein du département Recherche et Innovation de L’Oréal entre 2010 et 2018 après être passée par PSA Peugeot, Nokia…) et Dominique Vernay (ancien directeur technique de Thales, président du campus Paris-Saclay en 2011, vice-président de l’Académie des technologies depuis janvier 2019).

      Cet aréopage d’anciens scientifiques passés du côté administratif et politique est représentatif du tout petit milieu qui gouverne la science depuis 15 ans en France et se recrute notamment parmi les anciens présidents d’université, lesquels ne retournent pratiquement plus à l’enseignement et à la recherche après leur mandat. Les mêmes noms sont souvent revenus depuis les années 2000 parmi les conseillers des politiques, rédacteurs de rapport, présidents de diverses instances mises en place par les réformes. On retrouve bien entendu ces administrateurs et managers de l’ESR au premier rang des personnes consultées pour l’élaboration des rapports. Les syndicats, les sociétés savantes et les académies ont certes été auditionnés : mais certains ont protesté contre le décalage existant entre le contenu de leurs auditions et les préconisations finales. Les rédacteurs des rapports doivent quant à eux leur rôle à leur allégeance au pouvoir en place. Malgré des divergences sur certains points, ils partagent les mêmes grandes options idéologiques et politiques que ceux qui ont conseillé ministres et présidents dans l’élaboration des précédentes lois, depuis la loi LRU en 2007.

      La lecture des trois rapports frappe ainsi d’abord par la grande continuité avec les politiques menées par les gouvernements successifs durant la dernière décennie, malgré les constats alarmants qui y sont faits, comme si ces constats ne pouvaient avoir valeur de bilans de ces politiques.
      Des constats sans bilan des réformes antérieures

      Nombre d’éléments de l’état des lieux dressé par les rapports seront familiers aux chercheurs et enseignants-chercheurs qui en font l’expérience quotidienne. Ils partagent le constat d’une perte de terrain de la recherche française et de la nécessité d’investir prioritairement dans ce domaine. Ils insistent sur le sous-financement de la recherche publique, sur l’insuffisance des crédits de fonctionnement dont disposent les chercheurs, sur la faible rémunération dans l’ESR, notamment pour les entrants : le salaire moyen de ces derniers se situe à 63% de la moyenne des pays européen et de l’OCDE pour une entrée en carrière à l’âge de 34 ans, un âge où 1800 euros nets constituent bel et bien, suivant les termes mêmes du rapport, un salaire « indécent » voire « indigne ». La baisse du nombre des doctorants ainsi que les conditions déplorables de préparation de la thèse sont mises en évidence : durée inadaptée, nombre de financement insuffisant (39% en SHS pour 70% en moyenne), contrats doctoraux indignes (à peine plus de 1300 euros nets), manque de reconnaissance du diplôme.

      Le rapport 2 pointe la dégradation de l’emploi scientifique en raison de cette rémunération peu attractive, avec un décrochage marqué depuis 2013, des conditions de travail de plus en plus contraignantes, l’érosion des emplois permanents. Entre 2012 et 2016, celle-ci se chiffre à 3 650 ETPT (équivalent temps plein annuel travaillé), soit une baisse de 7,8% des personnels de support et de soutien, mais aussi des chercheurs dans les EPST (Établissements publics à caractère scientifique et technologique). Le rapport 2 chiffre très précisément la baisse importante des recrutements de chercheurs (-27% pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016), d’enseignants-chercheurs (-36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, -40% pour les professeurs d’université) et d’ingénieurs de recherche (-44% dans les EPST entre 2008 et 2016).

      La diminution des fonctions support a en outre occasionné un transfert important des charges administratives et techniques vers les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Le faible niveau de rémunération des personnels d’appui à la recherche ainsi que leur contractualisation rendent très difficile leur recrutement et leur « fidélisation » surtout dans les métiers nouveaux du numérique ou de la valorisation, mais également dans les fonctions classiques et indispensables de gestion et d’administration (R2, p. 23).

      Si la dégradation des conditions de travail et les difficultés des personnels de l’ESR sont en partie mises en évidence de ce rapport, rien n’est dit des politiques qui ont conduit à cette situation. La cause est principalement imputée à une mesure technique interne à la mise en place de l’autonomisation budgétaire des universités ; et la solution proposée laisse pantois.

      Pour les rapporteurs, la raison principale tient à l’auto-financement par les établissements et organismes du glissement vieillesse technicité (GVT), cette immense entourloupe budgétaire reconduite depuis la mise en place de l’« autonomie » des universités. En clair, depuis la loi LRU, l’État abonde la masse salariale des universités sans tenir compte de l’augmentation mécanique du coût des agents du fait de leur vieillissement. La nécessité de faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants a alors conduit les universités à « geler » les postes mis au concours et à préférer recruter des enseignants disposant de peu de temps pour la recherche (effectuant 384h TD au lieu de 192h), alors même, peut-on ajouter, qu’au niveau national, on affiche ces postes gelés (ainsi, les fameux 1000 postes annuels promis en 2012 par Geneviève Fioraso jamais pourvus intégralement).

      Autre raison mentionnée, le développement des financements sur projet a eu pour corollaire l’« augmentation du nombre de contractuels financés sur projet, en situation souvent précaire et généralement mal rémunérés. Les universités et les EPST sont ainsi parmi les organismes du secteur public qui comptent la plus forte proportion de contractuels (près de 35% pour les universités et 25% pour les EPST) » (R2, p. 20). Mais aucun rapport n’en conclut à une remise en cause du management de la recherche par projets, bien au contraire : les rédacteurs louent le programme d’Investissements d’Avenir et ses Labex, Idex et Equipex, supposés avoir donné les moyens de conduire une véritable politique scientifique à leurs bénéficiaires, sans que jamais ne soient évaluées les réalisations de ces monstres technocratiques que les enseignants chercheurs et les chercheurs ne connaissent eux-mêmes que très imparfaitement.

      Plus encore, les rapports s’accordent sur le constat d’un décrochage rapide de la France en tant que puissance industrielle et économique depuis 15 ans, ainsi que sur son affaiblissement dans le domaine de la recherche depuis 10 ans. Pourtant, jamais ce décrochage n’est mis en relation avec les politiques menées durant ces périodes, avec le tournant néo-libéral des politiques publiques, avec les désorganisations structurelles et la dégradation des conditions de travail engendrées par les réformes successives dans l’ESR depuis 2007, avec le choix politique de la précarité, avec les logiques managériales et économiques qui ont présidé à ces réformes que les rapports souhaitent encore intensifier.

      Seul point mis en avant, seul véritable mal expliquant les constats qui sont faits pour l’ESR : le manque de financement dans un contexte de compétition internationale accrue. D’emblée, le ton est donné : le rapport 1 reprend le discours de Jean-Pierre Bourguignon, président de l’European Research Council (ERC), prononcé le 23 mai 2019 à Stockholm qui expliquait le retard européen en matière de recherche par la faiblesse de son financement et à la dispersion des moyens. Une seule solution pour y remédier : concentrer les moyens sur les établissements en haut de la hiérarchie. Le groupe de travail fait siennes ces explications. Autant dire que la vision inégalitaire d’Antoine Petit est partagée par ses comparses et correspond clairement à celle développée depuis quinze ans par les décideurs en matière de politique de l’ESR.
      Continuités sémantiques et principe de hiérarchie : le management de la recherche

      Dans la forme, la continuité se marque dans le langage managérial constamment employé dans ces rapports dont le but reste de « conquérir de nouveaux leaderships » : « système vertueux », « performance et évaluation », « compétitif », « émergent », « innovation », « financement compétitif » (pour désigner le financement à la performance et le financement par appel à projets, mis sous une même étiquette ce qui n’est pas neutre)… Et surtout « ressources humaines » employé une trentaine de fois. Le mot « excellence » est en recul, sans doute parce qu’il a été trop contesté entre 2009 et 2012, peut-être parce qu’il suppose encore une évaluation par les pairs que la logique managériale entend remplacer.

      Sur le fond, l’objectif constamment réaffirmé depuis le processus de Bologne en 1998 et jamais atteint de porter l’investissement dans la recherche à 3% du PIB est rappelé. Ce chiffre serait réparti en 1% pour l’État et 2% pour le privé, contre respectivement 0,78% et 1,44% actuellement, ce qui supposerait de faciliter la recherche et développement dans le privé par des incitations. Il n’est donc jamais question de remettre en cause le crédit impôt recherche (CIR), présenté de façon tout à fait évasive dans le rapport sur le financement (une mention p. 30-31), dont il a pourtant été largement démontré qu’il n’a que très peu d’impact sur le développement de la recherche privée au regard de l’énormité de la dépense [2].

      Continuité encore dans l’inégalité fondamentale qui préside à la politique préconisée. Hiérarchiser est le maître mot de ces rapports. En langage technocratico-managérial, cela se dit, lorsqu’il s’agit de l’organisation de l’ESR, « Développer la capacité de la France à opérer des choix stratégiques et à agir en cohérence » (R1, p. 11). D’où la recommandation d’un conseil stratégique de la recherche et de l’innovation rattaché au Premier Ministre, qui viendrait remplacer l’inutile Conseil Supérieur de la Recherche mis en place en 2013, et peut-être se substituer aux institutions ayant pour mission d’informer le pouvoir comme l’Académie des sciences, l’Académie de médecine, l’OPECST [3], etc., dont l’action serait jugée inefficace. Le Premier Ministre assisterait personnellement aux réunions de ce conseil dont la composition ne devrait pas excéder 12 membres. Moins on est nombreux, plus on est à même de décider, sans tenir compte des compétences, de l’expérience et des avis des personnels, des chercheurs voire des services de l’État au contact du terrain.

      De même, une cellule stratégique placée auprès du Premier Ministre serait chargée d’élaborer la stratégie d’innovation de la France (déterminer les domaines dans lesquels la France jouit d’avantages comparatifs pour relever les grands défis sociétaux auxquels sont confrontés tous les pays). Cette équipe, devrait bien entendu être « de taille très restreinte » (R3, p. 19) pour « définir les 5-7 transformations sociétales pour lesquelles la France dispose d’avantages comparatifs pour développer des leaderships de portée mondiale » (R3, p. 14). Pourquoi 5-7 ? Mystère. Ce qui est certain, c’est qu’une « transformation sociétale » se résout avant tout par la technologie et l’industrie assaisonnées d’un peu de SHS. Telle est la logique économique qui entend présider aux grandes orientations de recherche du pays. Ces grands défis « sociétaux » seraient déclinés en programmes opérationnels grâce à un financement dédié sur le long terme – « long terme » signifiant 10 ans pour ces scientifiques en herbe et ces technocrates en chef. À la tête de chaque défi sociétal, il y aurait un secrétaire d’État placé auprès du Premier Ministre, à moins qu’une Agence des Grands Défis Sociétaux placée sous l’autorité du Premier Ministre ne soit créée [4]. Puisqu’on vous dit qu’il faut simplifier…

      D’où aussi la volonté de rendre effective la coordination par le MESRI des politiques de recherche menées par les autres ministères, de désigner un seul organisme de recherche comme chef de file ayant la responsabilité de coordonner chaque grande priorité nationale déterminée par le Conseil stratégique, de reconnaître les universités comme des opérateurs de recherche à part entière et d’en « tirer les conséquences stratégiques et budgétaires » : autrement dit, financer celles qui seront jugées les meilleures et qui répondront aux priorités décidées en haut lieu par le Conseil stratégique, et les laisser réorganiser leur recherche en interne à cet effet.

      Les collectivités territoriales et l’ANR sont ainsi appelées à mettre en cohérence leurs appels à projets et leurs financements avec les grandes priorités nationales de l’État. En échange et conformément à une demande de l’association Régions de France, le soutien à la recherche des régions ne serait plus comptabilisé dans l’enveloppe budgétaire de fonctionnement contraint par la contractualisation avec l’État. Les régions devront également articuler leur stratégie de recherche partenariale et d’innovation avec celle de l’État et celles de leurs universités, le président de la région ou le vice-président étant chargé de coordonner l’ensemble des dispositifs – autant dire que ni les universités, ni bien sûr les universitaires et les chercheurs, n’auront la main sur ceux-ci. La politique à l’échelle régionale doit être définie par le président de région, le préfet de région, le recteur de région académique, les présidents d’université en lien avec les organismes de recherche, les présidents des pôles de compétitivité de la région et le président de Bpifrance.

      Tout est donc mis en place pour les grandes orientations de la recherche française soient décidées en toujours « plus haut lieu ». Et pour que ces décisions trouvent leur application sur le terrain, le financement doit être attribué en fonction de la conformité des recherches effectuées dans les universités et les laboratoires. Car si les dotations, notamment les crédits de base des laboratoires, doivent être augmentés selon le rapport 1 (qui semble ainsi répondre à une forte demande de la communauté des chercheurs), la contrepartie est qu’ils le seraient de manière inégalitaire, sous forme de « crédits compétitifs », c’est-à-dire qu’ils devraient aller aux universités sur la base de critères de recherche et que celles-ci distribueraient les fonds de manière différenciée en fonction de la « performance » (on ne dit plus « excellence ») de leurs unités. Comme, par ailleurs, ces universités devraient développer une politique scientifique répondant aux grands domaines définis en « haut lieu », on peut penser que les unités inscrites dans ces domaines seraient favorisées pour l’obtention de ces « crédits compétitifs ». La hiérarchisation est bien aussi une orientation politique de la recherche.

      L’ANR voit d’ailleurs ses pouvoirs renforcés puisque la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux devrait lui être confiée. L’augmentation préconisée de son financement pour que 25 à 40% des projets – c’est le taux aux États-Unis – soient retenus (contre 16% actuellement) répond à une demande émanant notamment des sciences dures. Là encore il y aurait une contrepartie : la modulation de l’aide financière en fonction de la durée et des thématiques des projets, et notamment des transferts ou applications technologiques possibles (Technology Readiness Level, soit le degré de maturité d’une technologie). Comme le financement de la généralisation des allocations doctorales à tous les doctorants n’est pas mentionné, il est probable que les rapporteurs songent à les faire abonder par les ANR, avec tous les effets mandarinaux que cela implique.

      Seule « l’innovation » comptant, il faudrait d’ailleurs renforcer les liens entre recherche publique et industrie par des dispositifs de recherche partenariale, l’association des citoyens et des territoires (traduction : des lobbies comme Alyss et des collectivités territoriales) dans le développement des innovations, des synergies au niveau régional favorisant les interactions avec les PME. La plupart des mesures préconisées en ce sens ne font qu’étendre des dispositifs déjà mis en place ces dernières années : doublement du nombre de thèses régies par une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), du nombre de chaires industrielles de l’ANR, augmentation des crédits des projets collaboratifs entre grandes entreprises, PME et laboratoires pour les porter à 200M€ minimum, etc. La « recherche partenariale » serait elle aussi renforcée en étendant le principe de l’abondement des laboratoires Carnot à tous les laboratoires : autrement dit, le lien des laboratoires avec les entreprises sous forme de partenariats public-privé devrait être généralisé [5] et l’ANR aurait à en tenir compte dans le choix des projets qu’elle finance.

      Projets encore et toujours : les rapports souhaitent améliorer la participation de la France aux appels à projet européens (tout particulièrement en SHS), notamment en donnant des primes aux chercheurs et enseignants-chercheurs porteurs de tels projets. Là aussi, il faut hiérarchiser.

      On le voit, contrairement aux déclarations louant la recherche fondamentale, c’est bien la recherche financée sur projets, principalement porteurs de potentielles applications, qui est prioritaire pour les « managers » de l’ESR comme pour le gouvernement.
      Un régime autoritaire pour la science

      Qui établira cette hiérarchie et comment, voilà toute la question. Évaluation, contrôle et verticalité sont les corollaires techniques de la fabrique de l’inégalité. On l’a vu, la « gouvernance » doit être concentrée entre les mains de quelques personnes, et ce à tous les niveaux. Celle des infrastructures de recherche doit en outre être resserrée autour des principaux partenaires financeurs. L’organisation de la recherche ne se conçoit, dans ces rapports, que par l’autoritarisme.

      Le financement « à la performance » suppose quant à lui des évaluations. Le HCERES devrait être reconduit et réaménagé : il se voit notamment confiée l’évaluation régulière des infrastructures de recherche, dont dépendra désormais le niveau de leurs crédits (R1, p. 27). Mais ce sont les tutelles des unités qui auront elles-mêmes à élaborer des critères d’évaluation en fonction de leurs visées stratégiques, en déterminant une cotation pour chaque critère. Ah, noter, chiffrer… de vrais garants de la science, comme chacun sait ! La place du HCERES dans l’évaluation de la vie interne des unités deviendrait donc secondaire. En revanche, son rôle dans l’accréditation des processus d’évaluation, des organismes, des laboratoires ou des individus, chercheurs et enseignants-chercheurs, serait renforcé. La candidature de Thierry Coulhon à sa tête en est le signe le plus évident : conseiller spécial de Valérie Pécresse en 2008, « père » de la loi LRU, il est actuellement conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation auprès d’Emmanuel Macron. Aucune évaluation sérieuse n’a pourtant été faite de cette institution, ni de son coût en expertise, ni du temps qu’il fait perdre à chacun. Du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) et du Comité national des universités (CNU), dernières instances collégiales réelles dans l’ESR, il n’est pas question sinon sous une forme menaçante : il faut « moderniser ces instances en les recentrant sur leur rôle de représentation des grands équilibres disciplinaires » (R2, p. 41). Comprendre : les vider de leur substance.

      Contre tout ce qui a pu être démontré, notamment par les sociologues de l’évaluation, les enseignants chercheurs sont dits « insuffisamment évalués » (R2, p. 28) : les rapporteurs préconisent donc un retour à leur évaluation tous les quatre ans. L’objectif est clairement affiché : les universités elles-mêmes seraient en charge de cette évaluation de leurs personnels qui serait couplée aux politiques indemnitaires et de promotion, à « une gestion managériale des emplois et des compétences, et à une répartition plus objectivée des financements » (R2, p. 28). Hiérarchiser pour contrôler, contrôler pour hiérarchiser. La liberté académique sera désormais laissée à la discrétion des présidents d’université et des évaluateurs : « La réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe » (R2, p. 33).

      En liant explicitement l’évaluation à la « gestion des ressources humaines », les rapports préconisent d’accomplir ce que la loi LRU et les « Responsabilités et compétences élargies » (RCE) déployées entre 2009 et 2011 n’avaient pu mettre complètement en place en raison de la mobilisation universitaire. Les enseignants-chercheurs et les chercheurs perdraient entièrement la maîtrise de l’évaluation de leur travail qui serait confiée à des supérieurs hiérarchiques ou à des organismes non-collégiaux, suivant des objectifs managériaux de contrôle et de différenciation des carrières. La mutation insidieuse qui s’est développée depuis 10 ans est ici entérinée, et serait renforcée, avec cette fois des effets très concrets et directs sur les carrières et les salaires.

      L’orientation de la recherche passe par les recrutements. En ce domaine aussi, il faut donc centraliser, ce qui passe par une gestion prévisionnelle de l’emploi scientifique sur 5 ans élaborée par le MESRI et par les universités et organismes de recherche. La politique de recrutement serait donc décidée en (plus) haut lieu, avec sans doute à la clé une généralisation des fléchages, qui se sont déjà développés et retirent le pouvoir d’évaluation des besoins et de décision aux enseignants-chercheurs et aux chercheurs. Comme toujours, les « meilleures pratiques internationales » (qui en décide, cela n’est dit nulle part) sont convoquées pour justifier ces changements, notamment la mise en place d’un tenure-track et l’autonomie de recrutement des établissements grâce à l’augmentation des dispenses de qualification par le CNU pour les établissements accrédités par des labels, appartenant à des Idex, les lauréats de l’ERC, etc.

      Toutes ces préconisations, si elles sont mises en place, ne peuvent qu’aboutir à un renforcement considérable du contrôle direct des présidents d’université sur leur personnel. Elles achèvent de faire tomber aux oubliettes ce qui fut, avant la loi LRU, le statut des universitaires, fonctionnaires d’État jouissant de droits et d’obligations particulières qui devaient leur garantir les libertés nécessaires pour mener leurs recherches à l’abri des pressions des pouvoirs, quels qu’ils fussent.
      Détruire les statuts d’enseignant-chercheur et de chercheur : la carotte est le bâton

      Comme souvent, les rapports agitent des carottes pour mieux faire avaler le bâton (si l’on peut dire). Les carottes, ce sont par exemple ici la demande de stabilisation de l’emploi scientifique permanent (les budgets alloués par l’État doivent tenir compte du GVT), la préconisation d’un allègement de service à l’entrée de carrière et d’une augmentation du volume des congés sabbatiques, ainsi que la recommandation de primes Le rapport sur l’attractivité préconise une augmentation générale des rémunérations des personnels de l’ESR. Est-ce là une bonne nouvelle ? Anticipant explicitement sur la réforme des retraites qui doit inclure les primes dans le calcul des pensions, les rapporteurs préconisent une augmentation générale des primes, sans toucher aux rémunérations indiciaires. S’il est question de privilégier la revalorisation pour tous, une « revalorisation ciblée » permettrait de renforcer encore la différenciation déjà amorcée des carrières. Hiérarchiser, cela veut bien dire ainsi, en matière de ressources humaines, tenir compte de la « performance » des enseignants-chercheurs et des chercheurs dans la revalorisation de leurs salaires : par des primes et non par la rémunération indiciaire, bien sûr. La logique de l’excellence revient donc, ce que montre clairement l’objectif d’attirer les « stars » de la recherche par un programme de « chaires d’excellence senior » qui donneraient à leurs titulaires, pour une période limitée, des financements récurrents. Stars internationales bien sûr, alors même que les droits d’inscription des étudiants étrangers ont été augmentés récemment : vous avez dit « attractivité » ?

      Les carottes auront pourtant du mal à rendre les bâtons plus digestes. L’allègement des obligations de service en début de carrière pour les enseignants-chercheurs pourrait ainsi être mise en place, au choix et sans exclusive, grâce à quatre procédés : un recours plus important aux PRAG et enseignants contractuels, une participation plus importante des chercheurs à l’enseignement, la suppression de la clause d’accord des intéressés pour la modulation de service, une « régulation collective » assurée par l’UFR ou le département concerné dans la répartition des services entre ses membres, chercheurs compris. De même l’augmentation du volume de congés sabbatiques (R2, p. 45) est articulée à l’accroissement des possibilités de modulation de services, que les rapporteurs ne présentent plus comme une piste possible mais comme une évolution par rapport au dispositif existant. Ainsi la modulation de service sans consentement des intéressés est explicitement prônée par le deuxième rapport. Elle s’accompagne de la fin de la référence aux 192h TD, posée comme un objectif, avec pour corollaire la disparition des heures complémentaires et la mise en place d’expérimentations pour que le service soit désormais calculé en ECTS et non en heures équivalent TD. Une indemnité forfaitaire pour lourde charge d’enseignement pourrait venir compenser dans certains cas cette mesure… De même, pour contrer la baisse des recrutements (il n’est évidemment jamais question d’augmenter ces derniers), les chercheurs devraient être amenés à enseigner davantage. Chercheurs et enseignants chercheurs verraient désormais leur charge d’enseignement régie non par un statut national, mais au cas par cas, sous la houlette du président d’université et des responsables d’UFR et de départements, en fonction des nécessités de service.

      Le deuxième rapport préconise en outre la mise en place d’un tenure-track en France, procédure dite de « recrutement conditionnel ou titularisation conditionnelle » qui pourrait prendre la forme de « chaires d’excellence junior » (le recrutement s’accompagnerait alors d’un financement adéquat de l’environnement du recruté). D’une durée de 5 à 7 ans, ces contrats se termineraient non par un concours, mais par une procédure dite de « go-no go », à savoir une évaluation suivant des « critères d’excellence internationaux » (bien sûr), tenant compte des résultats publiés mais aussi « de la capacité démontrée à obtenir des financements sur contrat »… Ou comment contraindre ceux qui poursuivent leurs recherches depuis des années sans entrer dans la course aux projets à s’y mettre… Bref, les heureux élus seront dans la main de leur employeur qui sera en outre chargé d’évaluations intermédiaires tout au long de la durée du contrat. Vous avez dit libertés académiques ?

      Si, selon les rapporteurs, cette mesure de tenure-track n’a pas vocation à être généralisée en raison de son coût, il est pourtant aisé de comprendre ce qui est visé par ces réformes, toujours présentées comme des « expérimentations », notamment parce que le rapport préconise d’analyser l’opportunité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs. Une telle mesure ne pourrait être mise en place que par une généralisation progressive des tenure-tracks qui ne seraient plus conditionnées à une enveloppe associée (la carotte). L’extinction du corps des maîtres de conférences est une visée constante depuis de longues années. La loi promet d’avancer en ce sens, en maniant carotte et bâton et en masquant à peine ses intentions. Une telle disparition permettrait de réduire le nombre des titulaires, désormais en charge d’assurer le pilotage d’équipes composées de contractuels recrutés tant pour les activités de recherche que d’enseignement.

      Autre « innovation » de haut vol, les « CDI de mission scientifique », adaptation des CDI de projet dont les BIATSS font déjà l’amère expérience, seraient censés « dé-précariser » les agents concernés. Cette déclinaison dans la recherche des « CDI de chantier » qui existent ailleurs permettrait en fait de contourner la loi Sauvadet qui oblige un employeur à recruter en CDI un agent employé en CDD au bout de 6 années de contrats. La guerre, c’est la paix. Qu’on en juge plutôt :

      Le terme du projet pourrait être lié à sa réussite mais également à la fin du financement du projet ou à son abandon. Il constituerait un motif de licenciement pour cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit possible de remettre en cause la réalité de ce motif. [6] Il donnerait donc lieu au versement d’une indemnité de licenciement, mais ne conduirait pas à l’application d’une obligation de reclassement. (R2, p. 36).

      Autrement dit, ces faux CDI s’affranchiraient des obligations de la loi Sauvadet. Si l’on ajoute à cela la mise en place des tenure-tracks et l’application depuis le 1er janvier 2020 de la rupture conventionnelle dans la fonction publique, c’est bien le statut même de fonctionnaire des enseignants-chercheurs tel qu’il était conçu jusque-là, adossé à la garantie de l’emploi, qui est foncièrement remis en cause. Ces faux-CDI sont les faux-bijoux posés sur les habits neufs de l’ESR, puisqu’ils seraient la récompense d’autres contrats courts, en particulier des post-doctorats de trois ans que les rapporteurs proposent de développer au nom de la lutte légitime contre la précarité des ATER, post-doc nécessairement moins nombreux qui auraient sans doute mécaniquement pour effet darwininien de précariser le plus grand nombre et d’augmenter les besoins en vacataires des universités.

      Et pour bien faire comprendre que l’avenir n’est plus dans la fonction publique, les rapports entendent favoriser encore les liens entre les chercheurs et le privé. Plusieurs mesures sont préconisées en ce sens, depuis le fait de rendre obligatoire une « exposition de l’ensemble des doctorants à la recherche privée ou partenariale » (R3, p. 33) à la volonté de créer davantage de start-ups deep tech et de faciliter leur croissance vers des entreprises de taille intermédiaire, ou encore de favoriser l’activité entrepreneuriale et la création d’entreprises par les chercheurs en les autorisant à y consacrer la moitié de leur temps de travail, à conserver 49% des parts dans le capital et à percevoir un complément de rémunération jusqu’à 76 000 euros à date. Les problèmes que posent ces intrications entre service public et intérêts privés ne sont évidemment pas envisagés.
      Un mot sur les sciences humaines et sociales, transformées en « sciences sociétales »

      Les SHS font l’objet de considérations spécifiques dans les trois rapports. La baisse de 12% des inscriptions d’étudiants français en 1re année de thèse entre 2010 et 2017 y est explicitement liée à la limitation du financement à 3 ans, limitation qui n’est pas adaptée à toutes les disciplines, et particulièrement pas aux SHS. La possibilité d’un allongement de ce financement est cependant conditionnée à un stage en immersion de 3 à 6 mois dans une entreprise ou une administration (où on fait beaucoup de recherche, comme chacun le sait).

      Plus généralement, les spécificités et l’importance reconnues aux SHS sont conditionnées à leur enrôlement au service des « défis sociétaux » (intelligence artificielle, développement durable, relations homme/machine, radicalisation, éducation… édu-quoi ?). Le rapport 1 se fend d’une citation tronquée et détournée de Barack Obama datant de janvier 2009 : « Il faut faire en sorte que les faits et les preuves ne soient pas déformés ou occultés par la politique ou l’idéologie. Il faut écouter ce que les scientifiques ont à nous dire, même si cela dérange, surtout si cela dérange ». Mais c’est une pensée scientiste que de croire que la science serait dépourvue de politique ou d’idéologie, que le domaine politique serait hors de la science et que celle-ci viendrait nécessairement déranger les politiques. Les rapports proposés à la ministre de l’ESR en sont un merveilleux exemple : les actuels managers de la science, souvent eux-mêmes d’anciens scientifiques, sont des idéologues qui s’échinent à défaire toute possibilité de compréhension critique du monde, attaquant les fondements mêmes des SHS.
      *

      La réalisation des préconisations de ces trois rapports supposerait un effort financier considérable de la part de l’État. Le rapport 1 chiffre celui-ci à 2 à 3,6 milliards d’euros par an. Mais cette estimation, dont on appréciera la précision, ne comprend pas le financement de tout un ensemble de préconisations qui ne sont pas chiffrées par les rapporteurs (combien seront payés les membres du nouveau Conseil stratégique par exemple ?), ni le coût annuel pour l’État de la revalorisation salariale préconisée par le deuxième rapport et estimée à 2,41 milliards d’euros par an ! Et cela sans toucher au CIR ? Après « Un nouvel espoir » cet automne, vous adorerez l’épisode « Bercy contre-attaque » cet hiver !

      Tout cela n’est pas sérieux. Ce qui l’est en revanche, c’est l’idéologie qui sous-tend la réforme qui vient, et dont les rapports sont l’expression manifeste.

      Elle conduit à poursuivre méthodiquement la mise en place de la compétition de tous contre tous, du management comme mode d’organisation de l’ESR afin d’instaurer un ordre autoritaire sur des chercheurs et des enseignants-chercheurs aux statuts de moins en moins stables ainsi qu’un contrôle renforcé sur la recherche. Les analyses faites depuis 2007 ont dégagé les logiques profondes des réformes engagées depuis trois décennies. C’est à leur aune qu’il faut lire les rapports préparatoires à la LPPR. Celle-ci entend bien achever ce qui a été commencé et que le mouvement de 2009 avait contrarié sur quelques points non négligeables. Seule une réaction de grande ampleur pourra faire échec à cette nouvelle tentative.

      Sauvons l’Université !
      Documents joints

      Newsletter n°44 (PDF - 209.4 ko)

      [1] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983

      [2] Le CIR coûte plus de 6 milliards d’euros par an à l’État. Il représente 6% de la totalité des dépenses fiscales, second poste après le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Pour mémoire, le budget du CNRS est d’environ 2,6 milliards d’euros.

      [3] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983.

      [4] Il est intéressant de constater comment la soi-disant modernisation de l’université passe par un transfert de compétences du ministère de tutelle au premier ministre, ce qui était déjà advenu avec la gestion du CIR et des produits du Grand emprunt.

      [5] Partenariats dont le coût pour le public est tel, les effets si négatifs que la ministre Fioraso elle-même avait préconisé « zéro PPP à Paris » en 2013

      [6] SLU souligne

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8594

    • Lien établi par anticipation entre réforme des retraites et « mécanismes de revalorisation des rémunérations » prévus par la LPPR

      –-> ci-dessous les deux extraits où il en est question, reçus d’un collègue via email, le 10.01.2020

      - art. 1er de l’exposé des motifs (p. 5) : « le Gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants et chercheurs que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique. Cette revalorisation sera également applicable, conformément à l’article L. 914-1 du code de l’éducation, aux maîtres contractuels de l’enseignement privé sous contrat. Cet engagement sera rempli dans le cadre d’une loi de programmation dans le domaine de l’éducation nationale et d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. »

      – art. 1er du projet de loi (p. 46) : « Les personnels enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire et relevant du titre V du livre IX du code de l’éducation ou du titre II du livre IV du code de la recherche bénéficient, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes de revalorisation […] de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’État. »

    • Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Après la casse de l’assurance-chômage et l’attaque contre les retraites…
      Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      D’ici février 2020, un nouveau projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) sera présenté par le gouvernement. Il a été préparé par trois groupes de travail, dont les rapporteurs et rapporteuses sont des député-e-s LREM, des président-e-s ou vice-président-e-s d’université et d’organismes de recherche ou encore une ancienne cadre dirigeante de multinationales.
      C’est donc sans surprise que les trois rapports vont dans le sens de la politique gouvernementale en préconisant un accroissement des logiques de mise en concurrence, de précarisation et d’intensification du travail.
      Leur diagnostic : une recherche insuffisamment compétitive

      Au lieu d’aborder la recherche comme un bien commun et de prendre en compte l’importance de son enseignement, les trois rapports – « Financement de la recherche », « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques » et « Recherche partenariale et innovation » parus [1] en septembre 2019 – l’appréhendent comme une marchandise au service des entreprises privées. Ces rapports font certes le constat partagé par la communauté scientifique de :

      l’insuffisance du financement public de la recherche et la concentration croissante des moyens par le biais des appels à projets,
      la baisse du nombre d’emplois stables,
      l’insuffisance des rémunérations des personnels de la recherche.

      Pour autant, c’est le « décrochage » de la France au niveau international qui est leur préoccupation majeure. Ils insistent sur l’insuffisante compétitivité de la recherche française, entendue au sens de la capacité de la recherche à profiter aux entreprises privées. Le troisième rapport se focalise d’ailleurs sur la création d’entreprises, sur les start-up qui valent un milliard (les « licornes ») et les grandes entreprises fondées sur des découvertes scientifiques ou technologiques comme Airbnb, Amazon, Uber, etc. dont aucune n’est française.
      Leur solution : une promesse d’augmentation du budget de la recherche au prix de la concurrence généralisée

      Ces rapports préconisent une augmentation du budget de la recherche au prix d’une réforme structurelle qui s’inscrit dans la continuité de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2007. Il s’agit d’accentuer considérablement les logiques de concurrence généralisée qui minent déjà l’enseignement supérieur et la recherche.
      L’accroissement des financements serait concentré sur les établissements, laboratoires et chercheurs et chercheuses considéré-e-s comme « excellent-e-s ». Il passerait par un renforcement des appels à projets et de l’Agence nationale de la recherche (ANR), donc d’un pilotage externe de la recherche, très orienté vers la compétitivité économique. Les rapports préconisent le rétablissement de la notation dans les évaluations du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), afin de moduler des crédits alloués aux laboratoires.
      Dans la logique des ordonnances de décembre 2018 sur la politique de site, ces établissements « excellents » pourraient déroger aux règles communes, par exemple en recrutant des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses sans qualification du Conseil national des universités (CNU), ou encore en recrutant des collègues sur de nouveaux types de contrat limités à quelques années, les contrats de projet.
      L’augmentation du budget de la recherche serait prévue sur dix ans, mais pourrait être remise en cause chaque année lors du vote de la loi de finances, dont on sait à quel point elle est marquée par une politique d’austérité aujourd’hui.
      Conséquence : une précarisation accrue des travailleurs et travailleuses de la recherche

      Cette logique de concurrence s’appliquerait non seulement aux structures, mais aussi aux personnes puisqu’il s’agirait d’accroître le poids de l’évaluation individuelle. La hausse de la rémunération passerait par des primes (de performance et d’engagement) et non par le salaire fixe ou le point d’indice, gelé depuis 2010 : elle serait donc étroitement conditionnée à l’évaluation, à l’instar du RIFSEEP [2] déjà mis en place pour les personnels BIATSS.
      Cette concurrence entre collègues se jouera sur les rémunérations, les moyens de recherche, mais aussi sur le service d’enseignement pour les enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. Le deuxième rapport préconise en effet la suppression de la référence aux 192 h équivalent TD annuelles des enseignant-e-s titulaires et son remplacement par le poids de chaque cours en crédits d’ECTS, en permettant également la modulation des services en fonction de l’évaluation individuelle. C’est précisément ce contre quoi se sont battu-e-s les travailleurs et travailleuses des universités en 2009. Cela signifie une augmentation de la charge de travail des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs sans contrepartie salariale, un recul accru des recrutements de titulaires et une individualisation des services destructrice des solidarités collectives.
      Rien n’est dit concernant la précarité qui ne cesse de s’étendre via le système des vacations. A la suite de la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019, l’augmentation du nombre de postes de chercheurs et chercheuses ou d’enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs passerait par de nouveaux types de contrats comme les « contrats de mission scientifique », contrats de projet ou d’autres contrats précaires prétendument revalorisés. Derrière ces contrats présentés comme intermédiaires entre un CDD et un poste de titulaire, ce qui se profile à terme, c’est la suppression du corps des maîtres-ses de conférences et des chargé-e-s de recherche. Les rapports proposent de renommer les MCF en « Professeurs assistants », comme aux États-Unis ou avant Mai 68, ou de fusionner ce corps avec celui des professeur-e-s (ce dont on pourrait se réjouir s’il ne s’agissait d’accroître la précarité pour les jeunes collègues).
      Pour tou-te-s, un seul horizon : le burn-out

      Finalement, que nous promettent toutes ces préconisations ? Précarité, concurrence et pression accrues y compris pour les titulaires. Une concurrence généralisée entre collègues qui minera le fonctionnement collectif des équipes, déjà mis à mal. Encore plus de temps passé à répondre à des appels à projets, à des procédures d’évaluation à tous les niveaux, une pression à la performance sans lien avec nos propres objectifs et questionnements scientifiques, plus d’heures de cours pour la majeure partie des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses qui n’auront pas la chance d’être « excellent-e-s » ou de se consacrer au management de leurs collègues. Bref, le renoncement à la qualité et à la sérénité de l’enseignement et de la recherche, surtout si cette dernière n’entre pas dans les objectifs nationaux de compétitivité économique… et le burn-out assuré pour tou-te-s !
      Un déni démocratique qui remet en cause l’indépendance de la recherche vis-à-vis des intérêts privés

      Outre cette nouvelle dégradation de nos conditions de travail, ce que la LPPR promet, c’est un service public d’enseignement supérieur et de la recherche mis sous pression par des agences de pilotage managérial et placé sous la tutelle des intérêts privés.
      La préparation de la loi de programmation a constitué un déni démocratique, puisque la consultation des personnels de la recherche notamment par le biais des sociétés savantes ou au sein du CNRS a fait ressortir des constats et des attentes largement partagées, comme la réduction du poids des appels à projets et des évaluations, la réduction du service d’enseignement, l’augmentation des financements pérennes et l’augmentation du nombre de postes de fonctionnaires, seuls à même de garantir l’indépendance de la recherche et du temps pour en faire.

      https://www.sudeducation.org/Ce-qui-nous-attend-dans-le-projet-de-Loi-de-programmation-pluriannuell

    • Vous n’aurez peut-être pas la loi annoncée (la LPPR), mais vous aurez la réforme !

      Les trois rapports remis à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en septembre 2019, dont SLU vous a proposé l’analyse, étaient destinés à donner les grandes orientations d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche présentée par le gouvernement comme un moment important de la politique d’Emmanuel Macron, signalant un nouvel engagement fort de la France en ces domaines.

      Le calendrier parlementaire ne permettra pas la présentation de cette loi en 2020. On aurait tort de s’en réjouir : l’abandon d’une ambition législatrice forte ne signifie en rien l’abandon de la réforme. La loi PACTE, les décrets de Réforme de la fonction publique ainsi que quelques dispositions introduites comme « cavaliers législatifs » dans la loi sur les retraites (qui implique pour les enseignants-chercheurs et chercheurs des mesures compensatoires), voire quelques ordonnances ici ou là peuvent suffire à mettre en place les éléments clés de la réforme annoncée, tout en affranchissant le gouvernement de tout engagement financier pluri-annuel.

      Les trois rapports partagent pourtant le constat alarmant de la situation critique de l’enseignement supérieur et la recherche français, de son décrochage dans les dix dernières années, du manque de moyens et de personnel criants dans l’ESR, de la dégradation des conditions de travail de tous les personnels. Ils posent la nécessité d’une intervention forte pour y remédier. SLU aurait pu en signer sans ciller certains passages…

      Reste que non seulement, jamais ces constats ne sont mis en relation avec les politiques menées par tous les gouvernements depuis plus de 15 ans, mais les solutions prônées s’inscrivent dans leur continuité exacte : renforcement du pouvoir sans partage des présidents d’université, détricotage du statut des enseignants-chercheurs, développement de la contractualisation (et donc de la précarité) au détriment des postes de fonctionnaires, augmentation du temps de travail, renforcement de la différenciation salariale entre personnes de mêmes catégories, instauration des méthodes managériales dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche mis au service des intérêts privés.

      Qu’on en juge par les principales mesures préconisées par ces rapports :

      Affaiblissement du statut des enseignants-chercheurs
      – fin du consentement des intéressés pour la modulation de service afin de pallier le manque d’effectifs ;
      – possibilité d’imposer aux chercheurs des charges d’enseignement désormais fixées au cas par cas, dans les universités, sous la houlette des présidents d’université, voire des responsables d’UFR ou de département, en fonction des nécessités de service ; fin du référentiel des 192h TD, donc du paiement des heures complémentaires, expérimentation d’un calcul du temps d’enseignement en ECTS, et non en heures ; mise en place de « tenure-tracks » à la française, sous forme de contrats de 5 à 7 ans dont les heureux détenteurs seraient soumis à évaluation régulière des résultats publiés et de la capacité à obtenir des financements sur contrat pour être finalement recrutés ou remerciés ;
      – possibilité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs, de manière à réduire le nombre de titulaires et à remplacer peu à peu les maîtres de conférences par des contractuels ; mise en place de CDI de mission scientifique, adaptation des « CDI de projet » déjà en place pour les BIATS, dont le financement serait lié à la durée d’un projet sans nécessité de reclassement à la fin de ce dernier ;
      – différenciation des salaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs par des primes accordées selon leurs « performances », l’évaluation étant directement couplée aux politiques indemnitaires et de promotion.

      Renforcement de la #gestion_managériale et de la recherche sur projets
      – capacité conférée aux établissements et aux universités de décider de leurs propres critères d’évaluation de leurs personnels, avec accréditation de l’HCERES ; concentration du pouvoir décisionnaire en matière de grandes orientations de la recherche au plus haut sommet de l’État (premier ministre) ; hiérarchisation des dotations aux établissements et aux universités en fonction de leur participation aux grandes orientations décidées en haut lieu et de leurs « performances » ; suppression ou refonte du rôle du CNU et de celui du Comité national du CNRS ;
      – augmentation des moyens accordés à l’ANR qui se verrait confier la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux ; aide financière de celle-ci modulée suivant la durée des projets, leur thématique et leur possibilité de transfert rapide vers des applications technologiques ; priorité accordée à la recherche sur projets dans les financements accordés ; renforcement des liens entre recherche publique et industrie par tout un ensemble de dispositifs favorisant la recherche partenariale, les synergies avec les PME, la recherche tournée vers les innovations technologiques et industrielles.

      Après la destruction des services publics de l’hôpital, des transports, de la poste, de l’éducation nationale, vient donc celle du service public d’enseignement supérieur et de recherche : un changement de paradigme dans la conception des missions de l’ESR, désormais strictement indexées à l’industrie, qui passe donc par une transformation radicale de ses structures et de ses métiers. L’autonomie de la recherche, les engagements à l’élévation d’une société par l’enseignement supérieur, la notion même de formation sur la longue durée sont jetés aux ordures. Les préconisations des administrateurs qui ont rédigé ces rapports visent la mise aux ordres des personnels de l’ESR, leur hiérarchisation et leur mise en concurrence, l’instrumentalisation des financements en vue d’une gestion managériale des « ressources humaines ».

      Nous devons aux étudiants, aux doctorants, aux jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs qui entrent dans la carrière, nous devons à nos engagements propres dans nos métiers d’enrayer la mise en place de ces mesures. Voilà des années que chercheurs et enseignants-chercheurs sont les analystes les plus aigus des conséquences économiques et sociales des politiques en cours, des années que d’autres propositions sont faites, des années que l’on sait où est l’argent (au CIR par exemple).

      Exigeons un cadre législatif digne des enjeux pour l’enseignement supérieur et la recherche, exigeons un calendrier clair de Mme Vidal. Entrons dans la discussion sur l’avenir de l’ESR. Ne laissons pas aux technocrates de Bercy la gestion de l’enseignement supérieur et la recherche parce que, en effet, il s’agit d’une priorité nationale.

      Seule une mobilisation massive des universitaires et des chercheurs peut faire reculer le gouvernement. Cette mobilisation passe tout de suite par des réunions d’information auprès des collègues, des étudiants, des doctorants, par des AG, par la participation à la préparation et à l’organisation de prochains Etats généraux de l’ESR. La question de l’arrêt des cours, de la suspension des examens et des évaluations, de l’acceptation de siéger dans les commissions se pose dès aujourd’hui. À vous d’agir et d’inventer vos formes de combat.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8595

    • À la découpe : sur l’adoption de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019, et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail (https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir) et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 (https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/Calendrier-Se%CC%81nat-2020.pdf) et les échanges avec les sénateurs le confirme : plusieurs lois importantes doivent être examinées avant et après la suspension prévue pour les élections municipales jusqu’à l’été, après lequel le Sénat sera renouvelé par tiers, avant d’examiner le projet de loi de finance2. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“ (https://academia.hypotheses.org/6107), ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier (https://academia.hypotheses.org/6294), de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne (https://academia.hypotheses.org/6294) :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (https://academia.hypotheses.org/6783) à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019.

      "Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !"

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/thierry-coulhon-conseiller-enseignement-superieur-et-recherche-a-l-elysee.), à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.

      https://academia.hypotheses.org/7164?mc_cid=123b8a4fc8&mc_eid=eec2f49428

    • Grave : un aspect du projet de réforme des #procédures_disciplinaires concernant les étudiantEs.

      –-> L’atteinte à la réputation de l’université pourrait être sanctionnée...

      L’article R 811-11 du code de l’éducation deviendrait rédigé ainsi (p. 27 de la 1ère PJ et p. 10 de la 2ème PJ) :

      « Relève du #régime_disciplinaire prévu aux articles R. 811‐10 à R. 811‐443 tout usager de l’université lorsqu’il est auteur ou complice : [...] De tout fait de nature à porter #atteinte_à_l'ordre, ou au bon fonctionnement ou à la #réputation de l’université »

      La modification du texte actuellement en vigueur est en gras surligné. SI ce rajout passe c’est la fin de la #liberté_d'expression des étudiants (ou alors il faudra attaquer la légalité du décret lui-même au regard de disposition constitutionnelle en vigueur ce qui est long et aléatoire).

      Avant de devenir définitif, le texte est soumis pour avis au CNESER du 16/12. Les organisations syndicales professionnelles boycottent cette séance dans le cadre du mouvement social. Le texte passera par contre le 23/12 avec ou sans les organisations syndicales (plus besoin de quorum pour faire siéger le CNESER, si les syndicats de professionnels sont absents, les orga patronales et les représentants nommés par le ministère auront la majorité pour emettre un avis favorable à la modification).

      Défavorable ou pas l’avis du CNESER n’est de toute façon que consultatif. Seule une mobilisation étudiante sur cette question est susceptible d’empêcher cette modification qui au final crée un #délit_d'opinion spécifique aux étudiants.

      #procédure_disciplinaire #discipline

      Reçu via une mailing-liste militante, 15.01.2020

    • Pas directement en lien avec la LPPR, mais un effet d’annonce par Madame la ministre... qui est à la fois mensonger et qui ne répond pas aux besoins des facultés...

      Annonce :

      Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an.

      Pourquoi cette annonce est mensongère et pas attractive du tout pour la profession ?
      La réponse ici :
      https://seenthis.net/messages/821974

    • Désenfumage

      Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la loi sur la recherche et sur l’Université annoncée pour la mi-février, pour adoption au printemps, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Pour le comprendre, il convient d’en passer par l’arithmétique.

      Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [1]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce #déficit_créé_de_toute_pièce sur le montant des pensions [2] [3].

      Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [4].

      En présentant de manière favorable ce système de #vases_communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de #fabriquer_le_consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les #éléments_de_langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la #reconstitution_de_carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [5].

      On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la #recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.

      Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de #tenure_track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de #précarité. Au passage, les modalités de #recrutement et de #titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des #postes_statutaires, déjà raréfiés, pour les #jeunes_chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande portée par les syndicats de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.

      Hormis les vases communicants liés à l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre l’absence totale de surprise dans ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [6]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :

      - l’#autonomieadministrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un #board_of_trustees, etc) : actée ;

      - l’#autonomie_pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec #Parcoursup ;

      - l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;

      - l’#autonomie_financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.

      Que les réformes structurelles menées depuis quinze ans conduisent à l’effet inverse de celui qu’elle prétendait obtenir ne les arrêtera pas. L’#obsession_néolibérale consistant à utiliser les moyens de l’Etat pour construire un #marché_international_des_universitaires, des chercheurs, des établissements et des formations est telle, dans la sphère managériale, qu’elle ne perçoit plus le moins du monde la réalité des dégradations qu’elle engendre. Elle persiste, dans une période où le nombre de candidats de qualité par poste ouvert explose, à répéter la fiction d’un « défaut d’attractivité » supposément constitué par la fraction limitée de candidats étrangers [7]. Cette séparation de la sphère décisionnaire avec l’expérience concrète des conditions d’exercice de la recherche et de l’enseignement est dramatique : la reprise en main bureaucratique est en train de sacrifier une génération de jeunes chercheurs ainsi que le niveau d’exigence dans la création et la transmission des savoirs.

      –---
      Notes :

      [1] Cette chute se fera au rythme de 2 milliards € par an d’économie jusqu’en 2036, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 Milliards € sur 15 ans pour la fonction publique d’Etat.

      [2] L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une manière d’obtenir cette baisse des pensions. Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation en est une autre ( 15% de baisse depuis 10 ans).

      [3] Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’Etat et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel pour le passage FPE vers la FPT ou la FPH. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

      [4] Selon l’arbitrage, le recrutement se fera à l’échelon 3 par une addition de 73 points d’indice ou à l’échelon 4.

      [5] Les vœux de Mme Vidal comportaient cette incohérence arithmétique flagrante : “Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an. Tweet du 21 janvier”

      [6] Rapport Aghion-Cohen

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportCohenAghion.pdf

      voir aussi

      www.groupejeanpierrevernant.info/SlidesAghion.pdf

      Rapport Attali-Macron

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportAttali.pdf

      voir aussi notre billet

      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#ChatTour

      [7] Les trois rapports centraux sur lesquels est construite la loi à venir :

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteIdex.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteTerraNova.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteSiris.pdf

      Reçu par email, le 23.01.2020

      #calculs

    • Point info sur la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR)

      Point d’information (donc relativement bref et non exhaustif) sur le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), lors de l’Assemblée générale de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence le 15 janvier 2020 par Isabelle Luciani.

      https://www.youtube.com/watch?v=LbdJbnXvdd0

    • Des luttes contre le projet de reforme des retraites dans l’enseignement supérieur et la recherche

      Cette semaine, on vous a parlé des luttes contre le projet de reforme des retraites du coté de l’enseignement supérieur et la recherche avec des membres du collectif Université Ouverte. La réforme des retraites n’est qu’un aspect des politiques néolibérales mises en place par les gouvernements successifs depuis une trentaine d’années. Il est urgent de prendre conscience de la situation actuelle. La réforme des retraites ne peut être isolée des autres réformes passées ou en cours, celle de l’assurance chômage, celles qui touchent l’éducation nationale et l’enseignement supérieur (loi ORE et Parcoursup, Réforme Blanquer, augmentation des frais d’inscription à l’université, notamment pour les étudiant·es étranger·es extra-européen·nes, réforme du recrutement et de la formation des enseignants du second degré, LPPR…).

      http://www.loldf.org/spip.php?article753

    • Universitaires, la fin de l’indépendance ?

      La future « Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche » suscite une très vive opposition au sein de l’enseignement supérieur. Elle semble en effet vouloir poursuivre les attaques menées depuis plusieurs années contre le statut particulier des universitaires. Un #statut qui garantit leur #indépendance, à la différence des autres fonctionnaires, et constitue l’une des meilleures défenses face aux appétits des prédateurs économiques, et aux pressions politiques.

      Le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), annoncée pour le printemps 2020, suscite de très vives contestations dans le monde universitaire. Son inspiration clairement « néolibérale » est critiquée. Elle est perçue comme visant un renforcement du mode concurrentiel d’exercice de la recherche « sur projets », que ne supportent plus les chercheur·e·s à l’Université et dans les grands organismes de recherche (type CNRS), au bout d’environ vingt ans de mise en place croissante.

      Elle appliquerait même cette mise en compétition aux universitaires dont les missions et rémunérations dépendraient de leurs « #performances » à court terme. Elle prévoit également des embauches sous #contrats_privés en contournant le système de validation paritaire des universitaires par les universitaires. Elle renforce ainsi un « #management » de la recherche et des chercheur·e·s, façon entreprise privée à but lucratif, appelé « #pilotage_stratégique », qui est en opposition avec le statut protégé d’indépendance académique et de service public des universitaires.

      Les universitaires[1] sont en effet des fonctionnaires d’État à statut particulier. Cette #indépendance est fondée sur la nécessité impérative d’indépendance et de liberté de production des connaissances scientifiques (par la recherche), de la diffusion de ces connaissances (par l’enseignement et les publications), des modalités de ces missions (auto-organisation), qui doivent être protégées des censures ou instrumentalisations politiques, économiques, religieuses, etc. Cette indépendance s’inscrit dans une longue tradition de « #franchises_universitaires » et de « #libertés_académiques », mises en place dès le Moyen-Âge (protection par le Pape de La Sorbonne contre le pouvoir temporel en 1229). Émile Durkheim le rappelait en 1918 [2]. Ce statut particulier était déjà inscrit dans la #loi_Faure de novembre 1968 et il a été confirmé par le Conseil d’État dans une décision de 1975.

      Ce statut est défini, aujourd’hui, par un décret de 1984 « portant statut particulier », dont la valeur constitutionnelle a été affirmée par le Conseil Constitutionnel[3]. Il a été régulièrement confirmé par différents décrets, par différents jugements (par exemple du Conseil d’État en 1992[4]), et intégré dans le #Code_de_l’Éducation [5]. Ce statut déroge au droit commun de la fonction publique. Il s’agit donc d’un statut supra-législatif, auquel même une loi ne peut porter atteinte.

      Les franchises universitaires incluent jusqu’à l’interdiction aux forces de polices ou militaires (dirigées par le pouvoir exécutif) de pénétrer dans une université, sauf sur demande ou autorisation de la communauté universitaire représentée par le/la président·e élu.e de l’université.

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités », les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités.

      Grâce à ce statut fortement protecteur, les universitaires « jouissent d’une pleine indépendance ». Ils ou elles n’ont pas de #supérieur_hiérarchique et sont pour cela nommé·e·s par le ou la Président·e de la République pour les Professeur·e·s, et par le ou la Ministre de l’enseignement supérieur et la recherche pour les Maitres de Conférences – et non pas par les Recteurs ou Rectrices d’académie, ni par les Président·e·s d’universités qui ne sont ni leurs patrons, ni leurs employeurs. L’ensemble des procédures et décisions de #recrutement, de #suivi_de_carrière, d’#évaluation, de #mesures_disciplinaires éventuelles, ne peut être effectué que par des pairs et en toute indépendance. Les universitaires sont « inamovibles », ce qui signifie qu’ils ou elles ne peuvent pas être déplacé·e·s, rétrogradé·e·s, révoqué·e·s ou suspendu·e·s de leurs fonctions, sans la mise en œuvre de procédures lourdes et complexes, différentes du droit commun disciplinaire [6].

      Les universitaires jouissent aussi « d’une entière #liberté_d’expression, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du code de l’éducation, les principes de tolérance et d’objectivité ». Les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures ne sont donc pas soumis à l’obligation de #neutralité [7] dans l’exercice de leur fonction, contrairement aux autres fonctionnaires, sachant que cette fonction inclut des prises de paroles publiques et des écrits au delà des cercles scientifiques (mission de diffusion publique des connaissances).

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités » (#LRU), les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités. D’autres tentatives avaient eu lieu précédemment mais n’avaient pas réussi (projet de loi Devaquet en 1986, projet Raffarin en 2003, retirés face aux vives contestations) ou n’avaient réussi à infiltrer l’Université que de façon indirecte (processus de Bologne 1999, loi Villepin 2006).

      En 2018 et 2019, le gouvernement Philippe et la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal ont accentué cette offensive. D’abord avec la loi dite « Orientation et Réussite des Étudiants » (#ORE), qui met en place une #sélection à l’entrée en première année d’université. Ensuite avec l’ordonnance de décembre 2018 sur les « expérimentations » afin de créer des universités dérogatoires au Code de l’Éducation. Avec l’annonce enfin, en 2019, du projet de LPPR… Il est utile de noter que toutes ces mesures ont été contestées par l’ensemble des syndicats de l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), y compris les syndicats réputés enclins à négocier ces réformes pour les accepter.

      Parmi les arguments développés par les opposants à ces mesures, il y a toujours celui des attaques menées contre le statut des universitaires. L’indépendance des universitaires et leur liberté d’expression pose un problème majeur à l’autoritarisme « néolibéral ». D’une part, les gouvernements craignent la force des mouvements étudiants et universitaires au moins depuis Mai 68 : ces mouvements obtiennent régulièrement gain de cause (cf. projets Devaquet et Raffarin ci-dessus) et pas seulement sur des questions universitaires (comme en Mai 68 ou contre le Contrat Première Embauche en 2006). Quand certains des principaux acteurs potentiels de ces « réformes » prennent publiquement la parole pour les critiquer avec des méthodes efficaces d’analyse et d’exposé, l’effet de contestation est puissant.

      D’autre part, les universitaires, s’appuyant sur leur indépendance, peuvent refuser de réaliser des tâches qui ne figurent pas explicitement et précisément dans leurs obligations statutaires protégées par le décret de 1984. C’est ce qui s’est passé avec le refus collectif de centaines de départements, d’UFR (de facultés) et parfois d’universités entières de participer au dispositif Parcoursup instauré par la #loi_ORE en 2018. Il en a été de même pour l’augmentation des #frais_d’inscription des étrangers et étrangères hors Union Européenne décidée en 2018 par le Premier Ministre : la quasi totalité des universités a refusé de l’appliquer[8].

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007

      Parmi les attaques menées directement ou indirectement, administrativement ou symboliquement, contre le statut des universitaires ces deux dernières décennies, on trouve les « #dérogations_expérimentales » prévues par l’ordonnance de décembre 2018, qui permettent de réduire à une minorité, sans pouvoir de décision, les représentations des personnels et des étudiant·e·s dans les instances de direction de ces regroupements d’universités. D’autres que des universitaires pourraient désormais gouverner une université et imposer, de l’intérieur des instances, des modalités d’exercice de leur mission à des universitaires.

      Un article de la « #Loi_de_transformation_de_la_fonction_publique » (2019) dispose que, quand il siège en formation disciplinaire liées à des accusations de faute professionnelle, le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (composés d’universitaires élu·e·s) n’est plus présidé par un professeur des universités élu mais « par un Conseiller d’État désigné par le Vice-président du Conseil d’État », qui ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif.

      L’incitation à recourir massivement à des #emplois_contractuels pour effectuer les missions d’enseignement et de recherche des universitaires (LRU, projet de LPPR), permet de contourner les emplois statutaires et même de contourner les instances de recrutement et de suivi de carrière, exclusivement composées d’universitaires pour les postes de statut universitaire. Cela va jusqu’au projet de suppression, dans la LPPR, du #Conseil_National_des_Universités, instance nationale de validation des candidatures sur les postes d’universitaires et de suivi de carrière, exclusivement composée d’universitaires élu·e·s et nommé·e·s.

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007. Ils et elles ne se pensent parfois plus comme des élu·e·s chargé·e·s d’administration par leurs pairs mais comme des « supérieurs hiérarchiques » (qu’ils et elles ne sont pas). Certain·e·s président·e·s ou responsables de composantes, comme des directeurs·trices d’UFR aussi appelés parfois « doyen de faculté », ont prétendu imposer aux universitaires des contraintes contradictoires avec le statut de 1984. De nombreuses saisines des tribunaux administratifs et du conseil d’État par des universitaires ont assez rapidement établi une jurisprudence limitant ces pouvoirs.

      Les universitaires font, depuis quelques années, l’objet de menaces ou de poursuites pour « #diffamation » par des organismes privés mis en question à l’issu de recherches ou des groupes de pression politiques. Cela arrive même de la part d’un président d’université, comme en 2015 contre un universitaire qui avait ironisé sur une liste de diffusion interne en commentant l’accueil du Premier ministre M. Valls à l’université. Il s’agit de « #procédures_bâillons » destinées à limiter la liberté d’expression des universitaires.

      On assiste même à une remise en question au plus haut niveau de l’indépendance des universitaires. C’est la ministre Frédérique Vidal qui déclare le 16 janvier 2019 au Sénat : « Les présidents d’universités sont fonctionnaires de l’État et à ce titre, tenu à un devoir d’#obéissance et de #loyauté ».

      L’asphyxie de l’université facilite le chantage aux moyens et provoque le dilemme moral des personnels

      Il y a, enfin, un moyen indirect efficace pour réduire l’indépendance des universitaires, pour réduire les franchises universitaires en général et avancer dans l’asservissement de l’Université au pouvoir autoritaire « néolibéral » : la mise en difficulté quotidienne voire la mise en #faillite_financière. La LRU a permis aux gouvernements de lâcher financièrement les universités. Nombre d’entre elles se sont retrouvées en grande difficulté (environ 25 dès 2015) voire carrément en déficit, ce qui a conduit des recteurs et rectrices, représentant les ministres de l’enseignement supérieur et la recherche, à prendre la main sur ces universités. Presque toutes, en tout cas, se sont retrouvées en situations difficiles en termes de moyens, qu’il s’agisse de personnels administratifs et techniques, enseignants et enseignants-chercheurs, ou de moyens financiers, pour assurer leurs missions. Et ceci dans une période d’accroissement démographique des effectifs étudiants (en augmentation de 25% en moyenne).

      Cette #asphyxie provoque deux choses. D’une part, la facilité pour le pouvoir de faire du chantage aux moyens : « appliquez notre politique et nous vous donnerons davantage de moyens » (par exemple les postes liés à l’application de la loi ORE). D’autre part, la mise en dilemme moral des personnels : soit ils se laissent happer par la #surcharge_de_travail qui permet de répondre tant bien que mal aux besoins des étudiant·e·s et de faire fonctionner à peu près l’université, soit ils et elles vont au blocage en laissant les étudiant·e·s subir les conséquences de l’abandon de l’université par un État lointain qui sera plus rarement estimé fautif que les personnels.

      Cela conduit les universitaires à accepter de « jouer le jeu » de l’université néolibérale en acceptant de multiplier les heures d’enseignement sous-payées voire pas payées du tout, en acceptant de multiples tâches administratives non statutaires. Et ces tâches sont multipliées par une politique « de projets », de candidatures à des labels et à des financements précaires, d’évaluation incessante qui conduit à remplir toutes sortes de tableaux et dossiers pour obtenir les moyens de travailler. L’exercice de l’indépendance académique et de la liberté d’expression devient de plus en plus contraint, difficile, secondaire, dans un tel contexte.

      Le statut particulier des universitaires est méconnu du grand public. Pourtant, cette indépendance statutaire, historique et liée à leurs missions, constitue l’une des meilleures défenses de l’Université comme lieu d’élaboration, de renouvèlement et d’enseignement des connaissances scientifiques, face aux appétits des prédateurs économiques et aux pressions politiques. Ce statut très protecteur des universitaires constitue un obstacle majeur pour la mise en place d’une politique « néolibérale » autoritaire en matière d’universités. Faute de pouvoir s’attaquer frontalement aux universitaires, les gouvernements « néolibéraux » cherchent à les contourner, à rogner leur indépendance, à remettre en question leur liberté d’expression et d’exercice de leurs missions de service public.

      NDLR : Philippe Blanchet publie Main basse sur l’Université chez Textuel

      [1] Le terme officiel les désignant est « enseignants-­chercheurs et enseignantes-­chercheures ».

      [2] dans La vie universitaire à Paris, publié en 1918 par le Conseil de l’université de Paris.

      [3] Décret du 6 juin 1984, d’abord réservé aux professeurs des universités, puis élargi en 1987 à l’ensemble des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures incluant donc les maitres et maitresses de conférences.

      [4] Les décision du CE utilisent toujours l’une de ces deux mentions : « le principe constitutionnel d’indépendance des professeurs des universités » ou « le principe fondamental reconnu par les lois de la République d’indépendance des professeurs des universités ».

      [5] Article L-952.

      [6] D’autres corps de fonctionnaires bénéficient de cette protection.

      [7] Qu’on appelle souvent, à tort, « devoir… » ou « obligation de réserve », notion qui n’existe pas en tant que telle en droit français.

      [8] Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fini par leur donner raison.

      https://aoc.media/opinion/2020/01/27/universitaires-la-fin-de-lindependance
      #liberté_académique #France

    • L’enseignement supérieur et la recherche face à l’évaluation et à la performance

      L’évaluation fait partie des traditions, voire des routines universitaires, qu’il s’agisse de porter une appréciation sur la copie d’un étudiant, sur les travaux de chercheurs en vue de leur éventuelle publication, sur le recrutement d’un futur collègue, ou encore sur l’organisation et le fonctionnement de telle ou telle institution universitaire (institut, laboratoire, etc.). Mais alors pourquoi inquiète-t-elle tant les chercheurs et les enseignants-chercheurs ? Tout simplement parce que celle qui s’installe depuis les années 1980 ne ressemble guère à celle qui faisait auparavant partie du paysage académique.

      Pour dire les choses autrement, dans le cadre d’un nouveau contexte national et international, on serait en présence d’un « nouvel esprit de l’évaluation (…) incarné et agissant dans et par des discours, des pratiques, des instruments, des acteurs, des institutions, des processus et des relations, qui suscite des critiques et qui a des conséquences ». Telle est du moins la position défendue par un ouvrage coordonné par Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Haakenstad. Les auteurs entendent rendre de compte de la façon dont ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle gestion publique » (« new public management »), s’est progressivement insinuée dans les relations entre les institutions académiques et d’autres institutions. Mais aussi comment les établissements d’enseignement supérieur et de recherche se sont peu à peu reconfigurés, du moins en partie, sur le modèle de l’entreprise.

      Ces transformations, portées et défendues par certains acteurs individuels et collectifs dans et hors l’Université et les organismes de recherche CNRS, INSERM, etc., ont cependant fait l’objet de critiques internes et externes plus ou moins importantes. Une des originalités du livre est de considérer que ces tensions sur la nature et les conséquences de l’évaluation qui s’expriment à travers des discours et des récits ne sont pas extérieurs à elle. Ils contribuent à « fabriquer » l’évaluation et ne sont donc pas sans conséquences sur la manière dont elle fonctionne.

      https://sms.hypotheses.org/11253

      –—

      Le #livre...
      Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la #performance


      https://www.pressesdesmines.com/produit/faire-et-dire-levaluation
      via @mondes

    • Mondes Sociaux et le débat sur la recherche

      Comme les lois qui l’ont précédée depuis une douzaine d’années, la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche suscite de nombreuses controverses. Mondes Sociaux a publié plusieurs articles qui analysent la situation et le fonctionnement actuel de la recherche en France. Souvent ces articles questionnent les allant de soi et les croyances plus ou moins partagées qui fondent les politiques de recherche, et les débats qu’elles suscitent.

      Dans le contexte actuel, nous avons pensé utile de sélectionner des articles récents ou plus anciens qui peuvent contribuer au débat.


      https://sms.hypotheses.org/22765

    • Qu’est-ce-qu’une #recherche_autonome ?

      Depuis maintenant deux mois, et un discours prononcé par Emmanuel Macron au 80 ans du CNRS sur les bons et les mauvais chercheurs, le milieu de la recherche interpelle les autorités par tribunes interposées.

      Il faut dire que le gouvernement prépare une loi de programmation de la recherche fondée sur un ensemble de trois rapports qui lui ont été remis à l’automne. De nombreuses manifestations ont eu lieu depuis lors, accusant ce projet de loi d’accentuer encore la concurrence entre chercheurs sans augmenter suffisamment les financements nécessaires à une recherche de qualité dans laquelle la liberté académique serait préservée.

      Chercheurs en grève : éléments d’explication et moyens d’action

      Mobilisation dans les labos : les raisons de la colère, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/mobilisation-dans-les-labos-les-raisons-de-la-colere?onglet=full
      Loi recherche : le gouvernement écarte les sujets les plus sensibles, Les Echos, le 22/01/2020 : https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-recherche-le-gouvernement-ecarte-les-sujets-les-plus-sensibles-1165322
      « Projet de réforme : la recherche sans développement », analyse de Simon Blin et Olivier Monod, pour Libération, le 19/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/19/la-recherche-sans-developpement_1773955
      Réforme de la recherche : des revues ‘en lutte’ », Libération, le 23/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/23/reforme-de-la-recherche-des-revues-en-lutte_1774843
      La recherche trouve de nouveaux modes d’action, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/petits-coeurs-flash-mob-candidatures-multiples-greve-des-revues-la-recherc

      Tribunes

      « La recherche ne peut s’inscrire dans une logique de compétition individuelle », Libération, le 20/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/20/la-recherche-ne-peut-s-inscrire-dans-une-logique-de-competition-individue
      « Le darwinisme social appliqué à la recherche est une absurdité », Le Monde, le 06/12/2019 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/06/le-darwinisme-social-applique-a-la-recherche-est-une-absurdite_6021868_3232.
      « La recherche, une arme pour les combats du futur », Les Echos le 26/11/2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759
      « Nous, chercheurs, voulons défendre l’autonomie de la recherche et des formations », Le Monde, le 20/01/2020 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formatio

      https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/quest-ce-quune-recherche-autonome

    • La LPPR facile ou Pourquoi les enseignant(e)s s’opposent au nouveau projet de loi sur la recherche (LPPR)

      La loi que le gouvernement prépare est à l’opposé de ce que souhaitent les enseignant(e)s- chercheur(e)s à l’université et les chercheur(e)s au CNRS. Elle vise à les hiérarchiser, suivant une conception fausse des mécanismes par lesquels la connaissance nouvelle est produite.
      C’est que l’objectif est d’abord financier : prétendre que l’important est d’identifier et favoriser les meilleurs laboratoires justifie la poursuite du sous- financement global de la recherche. Non sans conséquences sur l’enseignement délivré aux étudiant(e)s.
      La LPPR : c’est quoi ?

      Une loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) est en principe une bonne chose : un engagement financier de l’État sur plusieurs années. La France en a besoin : depuis quinze ans, les postes à l’université ont énormément diminué, alors que les étudiants sont de plus en plus nombreux et que la recherche est une activité vitale pour l’avenir du pays.
      Or les rapports commandés pour préparer cette loi (rédigés par des administrateurs proches des vues de la ministre), s’ils reconnaissent que la recherche manque d’argent, ne prévoient que des décisions qui vont permettre de continuer la politique de diminution des crédits publics. Une des mesures cruciales préconisées consiste à pouvoir imposer aux enseignants à l’université plus de 192h de cours par an (le plafond actuel) au motif qu’ainsi les « meilleurs » parmi eux pourront se consacrer à leurs recherches, tandis que leurs collègues assureront les cours. Cette disposition présente un immense avantage pour le pouvoir : elle permettra de continuer à ne pas recruter les enseignants nécessaires (et fera de la grande majorité d’entre eux des professeurs de seconde catégorie).

      Pas plus d’enseignants-chercheurs titulaires, mais des enseignants plus hiérarchisés : un plus pour la formation à l’université ?
      La recherche pilotée d’en haut

      Depuis plusieurs années, les crédits de fonctionnement alloués tous les ans aux laboratoires se réduisent, et les chercheurs sont fortement incités à présenter des projets à des organismes nationaux qui en sélectionnent un tout petit nombre pour les financer. Les rapports préparatoires à la loi préconisent d’approfondir cette tendance, en faisant de la capacité à obtenir de l’argent par ce moyen un critère essentiel de l’évaluation des universitaires. Sur la base d’une telle évaluation, le président de l’université pourrait, ce qui est impensable aujourd’hui, décider de diminuer ou d’augmenter les heures de cours d’un enseignant. En outre, il est prévu de créer des contrats courts de chercheurs en diminuant la place des fonctionnaires. Toutes ces mesures vont dans le sens d’un pilotage de la recherche depuis le sommet de l’État dont les présidents d’université seront un relais essentiel.

      Les changements de statuts prévus produiront des chercheurs plus soumis. Mais un chercheur soumis peut-il être un bon chercheur ?
      Une recherche sans autonomie

      La production de connaissance est menacée par ce système où des chercheurs peu nombreux consacrent beaucoup de temps à la quête de financements, tandis que leurs travaux sont formatés par les conceptions nécessairement limitées de ceux qui attribuent les crédits.
      La recherche – la bonne – nécessite des chercheurs indépendants et qui ont du temps devant eux – c’est pourquoi le statut de fonctionnaire est bien adapté à cette profession.
      Mais cela ne signifie pas que l’activité des chercheurs soit hors de tout contrôle. Faire avancer la connaissance exige un effort permanent pour dépasser le savoir existant, faire surgir de nouvelles questions et de nouvelles méthodes. Les chercheurs ne cessent donc de juger les travaux les uns des autres, pour les utiliser, ou pour les surpasser, et chaque chercheur éprouve la pression que fait peser sur lui la communauté de ses collègues.
      La recherche française peut très bien retrouver la qualité qui en faisait l’une des meilleures du monde. Il faut pour cela augmenter le nombre de chercheurs, et garantir leur indépendance.
      Un système universitaire à deux vitesses

      Le même principe hiérarchisant les chercheurs s’appliquera au niveau des équipes de recherche : on ne gardera que les meilleures d’entre elles. Ce principe s’appliquera encore au niveau des établissements : quelques grandes universités concentreront les activités de recherche, les autres seront cantonnées à l’enseignement. Ainsi beaucoup d’étudiants n’auront plus devant eux des professeurs qui dispensent un savoir appuyé sur leur recherche, alors que c’est là l’originalité – et la force – de l’enseignement à l’université. Et leurs diplômes seront dévalués.

      L’articulation de la recherche et de l’enseignement à l’université est au cœur du principe de démocratisation de l’enseignement. On y renonce ?
      La baisse continue des crédits pour la recherche

      Le ministère répète année après année que le budget de la recherche ne baisse pas, mais il y inclut le Crédit d’Impôts Recherches (CIR), dont le montant ne cesse d’augmenter. Le CIR est un dispositif censé encourager les entreprises à mener des activités de recherche : en réalité un simple moyen pour elles de réduire leur impôt. Il coûte 6 milliards d’euros par an au budget de la recherche, quand on estime que pour retrouver un niveau suffisant d’investissement, ce budget devrait augmenter d’un milliard d’euros. Pour notamment recruter des enseignants-chercheurs, du personnel administratif qu’il faudrait rémunérer correctement, et pour augmenter les bourses de doctorat, en nombre très insuffisant.
      Le sous-investissement de l’État dans la recherche relève d’un choix politique de très court terme. Un bon budget n’est pas du tout hors des possibilités du pays.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8613

      A télécharger en pdf :

      http://www.sauvonsluniversite.fr/IMG/pdf/lppr_facile.pdf

    • Réforme de la recherche : vers des jeunes chercheurs toujours plus précaires

      En s’attaquant aux spécificités du modèle de la recherche publique française, la future loi de programmation pluriannuelle risque de renforcer les difficultés de début de carrière des jeunes chercheurs, alerte un collectif.

      En cette période de préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), nous, jeunes chercheurs et chercheuses, sommes inquiets pour notre avenir dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). En effet, lors de ses vœux à l’ESR le 21 janvier dernier, Mme Frédérique Vidal a déclaré que « tout chargé de recherche (CR) et tout maître de conférences (MCF) sera recruté à au moins 2 smic ». Cette mesure est censée redonner, selon elle, une « attractivité » aux carrières de chercheuses et chercheurs qui ainsi « n’hésiteraient plus à embrasser » la voie de la recherche. Cependant, les jeunes chercheurs et chercheuses motivées sont bien là et n’hésitent déjà pas à s’engager pleinement dans une carrière dans l’ESR ! Malgré la chute vertigineuse du nombre de postes ouverts au cours des deux dernières décennies, tous les ans plusieurs centaines de candidats et candidates se battent pour une demi-dizaine de postes dans chaque discipline. En 2020, le nombre de postes de CR au CNRS a atteint le niveau historiquement bas de 239 postes, alors qu’il était de 359 en 2011, augmentant d’autant la pression de recrutement sur chaque poste. Une chute similaire a eu lieu du côté des universités : c’étaient près de 3 500 postes de MCF qui étaient publiés chaque année jusqu’à la fin des années 1990, pour uniquement 1 600 en 2019, alors même que la démographie étudiante ne cesse d’augmenter.

      À lire aussi« On ne peut pas réformer la recherche sans les chercheurs »

      Face à cette situation d’effondrement de nos chances de poursuivre notre carrière, le PDG du CNRS se félicite de la sélection « darwinienne » qui pèse sur nos épaules. Pourtant, avec une telle pression sur chaque poste ouvert, le processus de sélection perd son sens tant le hasard et la chance deviennent des paramètres de sélection prédominants. Face à l’injustice et l’inefficacité d’un tel système, les nombreux sacrifices auxquels nous avons consenti depuis le début de notre carrière semblent vains alors même que ce système nous maintient dans une situation de précarité toujours plus grande. Ainsi, certains doctorants et doctorantes se retrouvent à financer leur fin de thèse avec leur allocation-chômage. Dans quel autre secteur accepterait-on de travailler gratuitement ?
      Stress, dépression, burn-out

      Egalement, nombre d’entre nous financent leurs travaux de recherche en accumulant de courts contrats d’enseignement à l’université. En effet, 30% des enseignants-chercheurs de l’université sont des contractuels, vacataires, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, et ce, sans soutien matériel et financier de leur activité de recherche. Ces contrats d’enseignement sont, pour la plupart, payés au semestre, en dessous du smic horaire, le plus souvent avec plusieurs mois de retard et n’offrant aucune cotisation chômage ou retraite. Ces conditions de travail ont un impact catastrophique sur nos vies personnelles : stress, dépression, burn-out pour cause de course effrénée à la performance, manque de visibilité à moyen et long terme de nos situations professionnelles, difficulté à obtenir un prêt, mobilité géographique quasi obligatoire sans prise en compte des situations personnelles et familiales (grossesse, maladie, handicap, enfant(s), conjoint et conjointe, double résidence, …). Enfin, l’allongement de ces périodes de recherche postdoctorale aboutit à des situations dramatiques, lorsqu’il nous faut tirer un trait sur nos espoirs d’obtenir un poste alors même que l’employabilité de chercheurs et chercheuses en fin de trentaine hors du milieu académique est très faible en France.

      Malgré ces difficultés, nous sommes un grand nombre à vouloir consacrer le reste de notre carrière à la recherche, avec ou sans recrutement à 2 smic. Premièrement, étant recrutés de plus en plus tard, les chercheurs et chercheuses bénéficient déjà d’un salaire équivalent à 1,7 ou 1,8 smic en début de carrière. L’augmentation promise par la ministre est ainsi bien modeste. Deuxièmement, en trente ans, le pouvoir d’achat des chercheurs et chercheuses a baissé de 30% (sans compter que l’actuelle réforme des retraites aggravera cette situation). Les 2 600 à 2 800 € d’augmentation annuelle annoncée ne compensent donc pas cette dégradation. Enfin, quand bien même l’objectif du gouvernement serait de replacer la France dans la compétition internationale, le recrutement à 2 smic ne sera pas suffisant. En effet, le salaire d’entrée d’un MCF ou d’un CR en France est aujourd’hui équivalent à 63% du salaire des chercheurs des pays de l’OCDE. Le rattrapage proposé n’est donc pas à la hauteur de la situation sociale des jeunes chercheurs en France, pas plus qu’il n’est adapté à la réalité internationale.
      « CDI de projet »

      Non, « l’attractivité » de la recherche française ne repose pas sur sa politique salariale mais sur son modèle unique : le statut des chercheuses et chercheurs leur offrant le moyen de travailler sur le long terme et une recherche fortement collaborative et soutenue techniquement par du personnel de haute qualité. Il est d’autant plus dommageable que ces atouts qui ont fait la force de la recherche française soient les principales cibles des réformes récentes et en cours. Ainsi, la situation des personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé s’est dramatiquement détériorée. En ce sens, les premières annonces concernant la LPPR à venir sont inquiétantes. La transformation des CDD « post-doc » en CDI de projet ne changera rien à la problématique actuelle : que faire à leur échéance ? Même si nous publions correctement, même si nous trouvons des fonds pour poursuivre notre travail, même si nous nous soumettons aux exigences d’excellence toujours plus fortes et même si nous souhaitons finalement juste exercer notre métier, les lois actuelles nous obligent à changer d’employeur tous les six ans. Comment concilier vie personnelle et vie professionnelle quand on nous demande de tout quitter et de repartir à zéro régulièrement dans un nouvel environnement et un nouveau laboratoire ? Pourtant en diminuant drastiquement les postes aux concours, voir en les supprimant, c’est la seule voie que ce gouvernement nous propose, ainsi qu’aux prochaines générations.

      Avec la préparation de la LPPR, le gouvernement avait annoncé avoir pris conscience de l’urgence de la situation et qu’une loi ambitieuse était nécessaire pour sauver la recherche. Après les annonces faites ces dernières semaines, nous ne sommes pas déçus : nous sommes désabusés et en colère. La maigre augmentation salariale proposée au faible nombre de jeunes titulaires ne rattrapera pas le retard pris depuis plusieurs années, et ne sera qu’une goutte d’eau face à l’écart par rapport à nos voisins. Pire, sans augmentation du nombre de postes ouverts aux différents concours, il est demandé à certains et certaines d’accepter cette aumône en échange d’une aggravation de la précarité de leurs collègues non titulaires. De plus, nous sommes extrêmement inquiets quant à la mise en place de « CDI de projet » et de « tenure track » à la française. Dans le contexte budgétaire actuel, il nous semble que ces nouveaux contrats seront juste un moyen de repousser la sélection de quelques années. Ceci aboutira à des situations de reconversions forcées vers la quarantaine encore plus difficiles.

      Alors que la France s’était engagée, il y a vingt ans, à porter l’investissement dans la recherche publique à 1% du PIB, elle continue à ne pas remplir ses engagements en stagnant à 0,8% depuis quinze ans. Il a maintes fois été répété que sans un effort conséquent d’environ 6 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre les fameux 1% d’investissement public du PIB, la recherche française était condamnée à décliner. Avec la mesure phare demandant un investissement de l’ordre de 120 millions d’euros, il est flagrant que ce gouvernement a décidé d’entériner ce déclin. La responsabilité historique qui est celle de Mme Vidal ne sera pas oubliée.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/02/05/reforme-de-la-recherche-vers-des-jeunes-chercheurs-toujours-plus-precaire

    • La recherche est un #bien_commun

      La Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche qui s’annonce rencontre une opposition de plus en plus grande, tant elle paraît vouloir consacrer une politique, menée ces dernières années, qui fragilise les laboratoires et ceux qui y travaillent. La Vie des Idées revient dans ce dossier sur cette évolution.

      Le monde de la recherche s’interroge aujourd’hui, à juste titre, sur son avenir. Le mécontentement gagne les laboratoires, les revues et les personnels qui s’inquiètent des mesures annoncées : les évaluations seraient plus nombreuses, les financements de moins en moins pérennes, le statut des enseignants chercheurs pourrait être réévalué. Ces annonces confirment le désintérêt grandissant des pouvoirs publics pour une recherche en règle générale sous-financée, au sein de laquelle les emplois deviennent de plus en plus précaires, et qui, en dépit de ces obstacles, continue en France à être de qualité – et reconnue comme telle à l’étranger.

      La Vie des Idées s’associe à ces inquiétudes et à la réflexion que ces projets doivent engager : sur les moyens donnés à l’accroissement des connaissances, sur les statuts de ceux qui s’y consacrent, sur l’évolution d’un métier qui voit les tâches administratives prendre le pas sur la recherche, sur le gel chronique des postes qui affaiblissent les structures d’enseignement et les laboratoires. Cette dégradation a une histoire : les articles que nous avons publiés ces dernières années, et que nous rappelons ici, montrent que le débat sur la recherche est souvent mal posé, et que bien souvent les pouvoirs publics croient s’inspirer de modèle de financement (le plus souvent d’outre-Atlantique) qui en réalité n’existent pas. Ils montrent aussi que l’accroissement de l’évaluation procède souvent d’une méconnaissance profonde de la manière dont la recherche se développe et obéit davantage à la pression des classements internationaux.

      https://laviedesidees.fr/La-recherche-est-un-bien-commun-4642.html

    • Frédérique Vidal au séminaire des nouveaux directeurs et directrices d’unité

      Le séminaire d’accompagnement des nouveaux directeurs et directrices d’unité, organisé conjointement par le CNRS et la Conférence des Présidents d’Université le mardi 4 février 2020, a réuni plus d’une centaine de participants. Il a donné l’occasion à Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation, de répondre à de nombreuses questions soulevées par la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche. La première partie de cet échange a été menée par une animatrice. Le texte ci-dessous en est la transcription.

      Madame la Ministre, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est en préparation depuis de nombreux mois. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui des grandes lignes de ce projet de loi ?

      Frédérique Vidal : La recherche a besoin de temps, de moyens et de #visibilité : c’est tout l’objet de cette loi. Elle est en cours de construction sur la base d’énormément de contributions, notamment les rapports des trois groupes de travail, mais aussi une consultation sur Internet, des discussions avec des parlementaires, des directeurs de laboratoires, des enseignants-chercheurs et des chercheurs avec lesquels j’ai échangé à chacun de mes déplacements, etc.

      La recherche en France souffre d’un #sous-investissement massif depuis des années, mais aussi d’un manque de décisions concrètes de la part de beaucoup de gouvernements précédents, même quand ils affirmaient que la recherche était une priorité.

      Depuis 30 mois, mon action vise à remettre la science et la connaissance au cœur de la société et des politiques publiques. Mon premier combat a été de faire reconnaître qu’investir dans la recherche est la seule façon de permettre à notre pays de conserver sa souveraineté, son rayonnement, sa place parmi les pays qui comptent en termes de recherche.

      Le deuxième front a été celui des #rémunérations. Je sais que l’on ne choisit pas ce métier pour l’argent, que les scientifiques, en France, ont la chance de pouvoir mener une recherche libre. Pour autant, on ne peut plus recruter à 1,4 smic des personnes qui ont fait 8 à 10 ans d’études et qui ont plusieurs expériences postdoctorales.

      Je souhaite que cette loi de programmation de la recherche soit faite pour les scientifiques, avec un réinvestissement massif et une #trajectoire_budgétaire, mais aussi pour la société. Car il faut réapprendre à nos concitoyens que la parole scientifique a plus de valeur qu’une opinion, leur redonner de la connaissance et du sens critique.

      Il était question d’une présentation du projet de loi avant fin février en conseil des ministres, puis au printemps. Quel est le calendrier de la LPPR aujourd’hui ?

      Frédérique Vidal : Le projet de loi sera rendu public au printemps, sans doute fin mars-début avril. L’objectif est que le Parlement puisse commencer à l’examiner avant l’été et qu’elle soit prise en compte dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances.

      Certains scientifiques estiment que la loi a été préparée par une minorité et que les propositions formulées par les directeurs et directrices d’unité ne se retrouvent pas dans les rapports des groupes de travail. Que leurs répondez-vous ?

      Frédérique Vidal : J’entends et je vois circuler beaucoup d’affirmations, souvent erronées. Non, il n’est pas question de supprimer les maîtres de conférences ni de mettre ce corps en extinction. Non, il n’est pas question de supprimer le CNU ou de toucher aux obligations de service, aux 192 équivalents TD ou de relancer l’épouvantail de la modulation de service. Ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis ici pour que cessent de circuler ces inquiétudes totalement infondées.

      Certains tirent aujourd’hui parti des rapports des groupes de travail. Mais précisément, ce ne sont que des rapports et je l’ai toujours dit, à la fin, c’est le Gouvernement qui choisira de retenir ou non telle ou telle proposition.

      Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de #programmation_budgétaire, avec une trajectoire financière spécifiquement dédiée à l’investissement dans la recherche. C’est une chance exceptionnelle. C’est cette ambition que je porte au sein du Gouvernement, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre. Il faut que nous nous emparions tous.

      Puisque vous l’évoquez, pouvez-vous nous en dire plus sur l’évaluation qui suscite des inquiétudes dans la communauté scientifique ?

      Frédérique Vidal : On entend parfois dire qu’il n’y a pas d’évaluation. Rien n’est plus faux, vous le savez, je le sais. Être dans la recherche, c’est être évalué tous les ans, soit individuellement, soit collectivement. C’est être évalué dans le cadre de ses projets, de son laboratoire, de ses multiples établissements de tutelle, dans le cadre de procédures qui évaluent toutes à peu près la même chose, mais un peu différemment et qui, à la fin, n’ont pas vraiment de conséquences. C’est trop et on doit pouvoir alléger tout cela. L’évaluation doit avoir un objectif : permettre de savoir où on en est et donner les moyens de s’améliorer. Être évalué en permanence sans que cela ait la moindre conséquence me semble totalement contre-productif. C’est cela qu’il faut changer.

      Il est question de revaloriser les salaires des entrants. Cette mesure préfigure-t-elle une revalorisation de l’ensemble des carrières des chercheurs et enseignants-chercheurs ?

      Frédérique Vidal : Oui, bien-sûr, c’est l’objectif et il y aura bien une revalorisation d’ensemble. Et nous avons choisi de donner, pour commencer, la priorité aux jeunes chercheurs : à partir de 2021, tous les maîtres de conférences et de chargés de recherches nouvellement recrutés seront rémunérés à 2 SMIC au moins. Cela représente 26 millions d’euros et un gain de 2 600 à 2 800 euros en moyenne pour nos futurs collègues.

      J’entends ici et là dire : « la revalorisation des jeunes chercheurs, c’est bien, mais il n’y aura rien d’autres et surtout rien pour ceux qui sont déjà là. » C’est absolument faux et je l’ai dit à de multiples reprises : au cœur de la loi de programmation, il y a la question de l’#attractivité des métiers et des carrières, de toutes les carrières, chercheurs, enseignants-chercheurs, ITA ou BIATSS.

      Dès l’an prochain, nous avons prévu une première enveloppe de 92 millions d’euros pour garantir que les jeunes chercheurs recrutés avant 2021 ne perdront pas au change et d’engager la revalorisation indemnitaire des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ce ne seront pas les seules mesures et toutes vont monter en puissance.

      Nous allons également prendre en compte l’ensemble des missions des personnes qui s’engagent pour le collectif, en matière d’enseignement comme de recherche ou de valorisation. Je pense par exemple aux directeurs ou directrices d’unité, qui doivent souvent mettre leur production scientifique entre parenthèses pendant leur mandat. Certains d’entre vous touchent une prime comme directeur d’unité, d’autres pas et les mandats varient fortement d’une situation à l’autre.

      La recherche française souffre d’une baisse de l’#attractivité de ses carrières, comment comptez-vous créer ou recréer les conditions de l’attractivité ?

      Frédérique Vidal : L’attractivité de la recherche dépend de plusieurs facteurs : évidemment les #salaires - et je viens d’en parler - mais aussi la dynamique et l’environnement. La loi de programmation que nous préparons doit nous permettre de jouer sur tous les plans : en rénovant profondément les modalités d’entrée dans la carrière, avec plus de contrats doctoraux, un vrai contrat post-doctoral et des recrutements qui devront intervenir plus tôt. Je veux également que nous puissions recruter plus d’ingénieurs et de techniciens : ils ne sont pas assez nombreux dans les laboratoires et c’est une vraie fragilité pour nous tous. Enfin et surtout, la loi de programmation, c’est plus, beaucoup de moyens pour la recherche : ce qui fragilise le système français, c’est que nos collègues étrangers savent que les équipes ont de plus en plus de mal à se financer. Et ça, bien évidemment, c’est rédhibitoire. Il faut remettre à niveau les moyens dont disposent les scientifiques.

      Les directeurs d’unité ici présents, les scientifiques en général, espèrent et demandent une augmentation de leur budget. Une des questions que chacun se pose est de savoir si l’augmentation des ressources financières mises à disposition dans le cadre de la LPPR aura une conséquence sur la progression des budgets des organismes et des établissements.

      Frédérique Vidal : On a longtemps parlé d’atteindre le chiffre de 3 % du PIB pour la recherche : le Président de la République l’a confirmé, ce n’est plus aujourd’hui un simple objectif, mais bien un engagement et la loi de programmation va tracer le chemin pour le mettre en œuvre. Comme je viens de le dire, une part de ces financements sera affectée à la nécessaire revalorisation salariale. Une autre part doit permettre à l’ANR d’afficher des taux de succès décents, au niveau des autres agences dans le monde. Enfin, je viens de signer une nouvelle vague de contrats avec des universités et des organismes, dont le CNRS. Je souhaite que cette loi permette de prévoir un volet financier à ces contrats.

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a également répondu à plusieurs questions de directeurs et directrices d’unité.

      Une recherche qui privilégie la #performance, les #stars et la #compétition ne détruit-elle pas sa crédibilité auprès du public ?

      Frédérique Vidal : Les premières annonces que je viens de rappeler montrent qu’il ne s’agit en aucun cas de prendre des mesures réservées à telle ou telle catégorie de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Bien au contraire ! Et quiconque est passé par un laboratoire sait bien qu’il n’y a pas deux catégories de chercheurs. Au fil d’une carrière, tout le monde passe par des hauts et des bas, certains projets prennent plus de temps, certains n’arrivent pas à leur terme, rien ne se fait jamais en un claquement de doigt.

      Ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une #compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “#coopétition” – ce mot-valise qui mêle compétition et coopération - traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche.

      Par ailleurs, je pense que notre pays a besoin d’être fier de ses scientifiques, de ses prix Nobel et de ses médailles Fields, fier qu’une découverte majeure, reconnue par la communauté internationale, ait été produite dans un laboratoire français. Il n’y a pas de contradiction entre rendre hommage à certains de nos collègues, dont les travaux ont abouti à des résultats remarquables, et faire en sorte que nos concitoyens soient fiers de leur recherche. Reconnaître la qualité d’un chercheur ou d’une chercheuse, c’est aussi reconnaître tous ceux qui constituent son équipe. C’est une évidence, même.

      Sur la future loi, les communautés scientifiques ne disposent pour l’instant que des rapports des groupes de travail. Quel est l’esprit de la loi ? Comment éviter de favoriser des systèmes de financement inégalitaires à double ou triple vitesse comme aux États-Unis ?

      Frédérique Vidal : L’époque est anxiogène. Les multiples rapports remis depuis 10 ans sur l’état de la recherche et autres grands exercices, du type états généraux ou assises, qui ont beaucoup mobilisé, mais qui n’ont pas été suivis de grand effet, ont usé les communautés scientifiques. Mais ils ont eu un avantage : le diagnostic est connu et partagé.

      On me parle souvent des rapports des groupes de travail. Mais ces rapports ne sont en aucun cas la préfiguration de la loi ! Ils sont l’expression de propositions faites par leurs auteurs, comme il en a été de même pour les propositions faites sur le site internet dédié que nous avons mis en place. Je regrette que ces propositions nourrissent, de manière volontaire ou involontaire, un climat d’#anxiété. C’est pourquoi je tenais à échanger directement avec vous et c’est pourquoi je continuerai à échanger directement avec nos collègues pour dire précisément ce que nous allons faire et ce que nous n’allons pas faire. Ce que je fais avec vous aujourd’hui, je vais le renouveler dans les jours et les semaines à venir.

      Pour en revenir à votre question, le système à l’anglo-saxonne à double ou triple vitesse, ce n’est pas et ça ne sera jamais le système français ! Si nous devions passer à ce système, nous perdrions ce qui fait que la France ne décroche pas complètement en termes de production scientifique : la #liberté_scientifique, qui nous donne une vraie profondeur de réflexion et qui nous permet de rester à l’avant-garde sur de nouveaux concepts. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas améliorer les choses. L’#ANR par exemple. La première évidence, c’est le manque de financement : la faiblesse des moyens est telle que le système ne peut que dysfonctionner. Par ailleurs, c’est sans doute aujourd’hui un outil qui est trop « monobloc ». À force de faire la même chose pour tout le monde, nous créons des outils qui fonctionnent mal pour tout le monde. Un chercheur en physique appliquée n’a pas les mêmes besoins qu’un chercheur en anthropologie. Il faut donner les bons outils pour que chacun puisse faire sa recherche : c’est cela qui fait la philosophie de la loi et je tiens à ce que nous soyons attentifs à la diversité des besoins des disciplines.

      Il est question de créer un système de « #tenure_track » à la française…

      C’est précisément un bon exemple de la diversité des besoins selon les disciplines. L’idée sur laquelle nous travaillons est celle de « chaires de #professeurs_juniors ». Il faut permettre, au sein de certaines disciplines, le recrutement de scientifiques sur une première période de 5 à 6 ans, en prévoyant des moyens d’environnement spécifiques et qui existent ou de remplacer les concours, mais d’offrir des possibilités de recrutement en plus et de le faire dans des disciplines où ce besoin est exprimé. Il faut bien voir notre situation dans certains champs du savoir : la #concurrence_internationale est rude, certains jeunes chercheurs se voient offrir des contrats de ce type par d’autres institutions de recherche dans le monde ou sont tout simplement recrutés, durant leur thèse ou leur post-doc, dans le secteur privé. C’est le cas, par exemple, dans une partie des sciences de l’information.

      Comment rendre compatible la demande unanime d’un renforcement du soutien de base avec le développement de financements individualisés ?

      Frédérique Vidal : Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet. Ce qu’il nous faut, c’est trouver un bon équilibre et sortir du débat opposant l’un à l’autre : il nous faut les deux. Pourquoi ? Le financement sur projet, c’est aussi ce qui permet à une équipe de prendre son autonomie, de ne dépendre de personne et de développer sa thématique de recherche propre. Mais en même temps, nos laboratoires ont besoin de pouvoir conduire une politique scientifique, tout comme les organismes. Et oui, c’est devenu difficile, faute de moyens.

      Je crois enfin qu’il faut arrêter de durcir les oppositions. Qui dit financement sur projet ne dit pas nécessairement absence de collectif, loin s’en faut. Comme vous, j’ai vu des chercheurs qui avaient décroché une ERC et qui mobilisaient une partie de leurs financements pour appuyer le développement de tout le laboratoire. L’individu et le collectif peuvent aussi marcher ensemble.

      Le CIR permet aux entreprises d’obtenir des financements sans beaucoup de contrôle alors que les laboratoires sont soumis à des exigences très fortes. Comment corriger ce déséquilibre ?

      Frédérique Vidal : Pour atteindre les 3 % du PIB pour la recherche française que nous visons, il nous faudra augmenter l’investissement public à 1 %, mais également faire en sorte que les entreprises passent de 1,4 % à 2 % leurs investissements en #R&D. Il faut donc trouver des moyens pour que la R&D des entreprises s’installe, reste et grandisse en France. Le #crédit_impôt_recherche est l’un de ces moyens - même s’il est certainement perfectible.

      Quelles perspectives peut-on leur offrir aux jeunes doctorants nombreux dans les laboratoires ? Quelles perspectives également pour le personnel d’appui à la recherche ?

      Frédérique Vidal : Il faut donner des perspectives aux jeunes dès le doctorat qui ne doit pas se faire sans contrat doctoral. C’est un vrai sujet, tout comme l’encadrement des doctorants. Je suis prêt à travailler sur une augmentation du nombre de contrats doctoraux, si nous sommes capables, en parallèle, de garantir que chacun de ces doctorats sera effectivement encadré. Et nous constatons tous aujourd’hui que ce n’est pas le cas partout.

      Néanmoins, tout ne passe pas par l’emploi. Nous devons également simplifier. Alors que les mêmes règles s’appliquent à tous, les laboratoires fonctionnent avec des logiciels de gestion et de pratiques différents ! Nous perdrions beaucoup moins de temps et nous libérerions du temps de réflexion si nous avions des systèmes optimisés et communs. Cela fait partie de ces fameuses mesures de simplification que j’évoquais à l’instant et sur lesquelles nous avons engagé le travail. C’est l’évidence, ces chantiers vont trop lentement nous devons trouver le moyen d’accélérer le pas.

      Un mot enfin de nos personnels d’appui et de soutien, qui se sentent parfois oubliés : ils seront au cœur de la loi de programmation de la recherche, non seulement parce que l’attractivité de leurs carrières doit être renforcée, mais parce que les conditions d’exercice de leur métier doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Nous pouvons faire mieux, pour eux aussi.

      La loi sera une loi de programmation, donc portant une vision à long terme. Comment cela s’articulera-t-il avec les outils (Equipex, labex, IRT, SATT, etc.) créés par le programme d’investissement d’avenir et qui arrivent à échéance ?

      Frédérique Vidal : La question des équipements est centrale – et pas seulement des TGIR ou des équipements financés dans le cadre du PIA. J’y travaille et des propositions seront faites en ce sens. Je pense par ailleurs que la loi de programmation doit nous permettre de donner de la visibilité aux projets qui ont d’ores et déjà été engagés dans le cadre des PIA successifs et dont les financements viennent à terme.

      Va-t-on faire pencher la balance plutôt du côté de la collaboration ou de la compétition ? Quelles réponses donner à l’inquiétude raisonnée de nombreux collègues ?

      Frédérique Vidal : Je crois que personne n’ignore la place centrale que tient le collectif de recherche. L’équipe, c’est la réalité de la recherche. Après, les personnalités jouent leur rôle et chacun sait aussi qu’elles existent, que les individus ne se ressemblent pas. Je trouve curieux cette manière de nous demander en permanence de choisir. Nous devons permettre aux environnements qui ont été capables de produire des succès exceptionnels, de continuer à le faire et donner les moyens de le faire à ceux qui n’en ont pas encore eu l’occasion. Et je crois que toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes : elles nourrissent les solidarités et les dynamiques collectives. On peut tout à fait imaginer que l’obtention d’un financement ANR par une équipe conduise le laboratoire à recevoir une enveloppe supplémentaire, non fléchée, pour lui permettre de conduire une politique scientifique.

      Comment simplifier les outils de gestion dans des unités qui comptent trois ou quatre tutelles ?

      Frédérique Vidal : Dans un laboratoire, on n’arrive pas le matin en demandant à l’autre qui est son employeur… Je vais mettre suffisamment d’énergie pour faire en sorte que ce chantier de l’harmonisation démarre, mais j’ai aussi besoin de vous tous !

      Comment faire partager la recherche française au plus grand nombre, notamment à travers la formation et l’éducation ?

      Frédérique Vidal : La recherche doit rejaillir sur l’ensemble de la société. Il faut valoriser la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle. Tous les professeurs des écoles doivent être capables de parler un petit peu de science, de méthodologie scientifique aux enfants dès leur plus jeune âge. Dans le cadre de la LPPR, un volet important sera consacré à la promotion de la science dans la société.

      Nous avons entendu parler de CDI de chantier, nous aimerions vous entendre à ce sujet.

      Frédérique Vidal : Je ne me retrouve pas dans cette formulation. Une fois encore, il faut repartir du problème que nous rencontrons tous dans les laboratoires : nous passons du temps à former des personnes que nous devons laisser partir ensuite faute de financement ou parce que la barre des six ans risque d’être atteinte ! L’enjeu, c’est de savoir si nous sommes capables de sortir de cette logique et de proposer un vrai contrat de projet scientifique, qui tienne compte à la fois de l’incertitude du financement et du fait que les agents ont besoin de pouvoir se projeter dans la durée. Pour moi, ce doit pouvoir être une forme de CDI.

      http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/frederique-vidal-au-seminaire-des-nouveaux-directeurs-et-directrices-dunite

      –------

      Analyse pas Julien Gossa sur twitter :

      #LPPR : Imiter le système anglo-saxon nous ferait perdre notre plus grande force : la liberté scientifique.
      Et c’est pourquoi nous allons faire des tenure-tracks.

      (Et là, vous vous dites que je déconne, que c’est fake... Mais non. Désolé.)

      "Il faut arrêter d’opposer l’eau et le feu, nous avons besoin des deux. Le feu ça mouille et l’eau ça brûle".

      Le financement sur projet, moyen d’émancipation, de partage et de construction du collectif.
      Il fallait oser.

      #LPPR Haaa ! Enfin une annonce claire !
      Les 3% de PIB seront atteint par l’augmentation du CIR (ou un dispositif équivalent).

      Là, c’est crédible ! Là, on y croit !

      « - Et pour l’emploi des jeunes docteurs ?
      – Il n’y aura pas plus d’emploi. »

      C’est quand même un peu con, c’est LE SEUL TRUC QU’ON DEMANDE !!!

      "Je trouve curieux cette manière de demander aux dirigeants d’expliciter leur direction"

      (Vous vous dites que je déconne encore... Mais non)

      « toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes »

      Qué sappelerio « #Mandarinat ».

      « - Comment simplifier le merdier administratif que vous avez mis ?
      – Démerdez-vous »

      L’adossement de l’enseignement à la recherche ?
      Oui... Pour les professeurs des écoles.

      (Sisi vraiment, je sais, ça parait délirant à une époque où on sépare enseignement et recherche en premier cycle)

      Et on termine avec « l’incertitude c’est la certitude ».

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1225709135385300992

    • Version 09.01 de la LPPR...

      1/ Le projet de #LPPR dans sa version du 9 janvier contient, contrairement aux affirmations de @VidalFrederique des jours derniers, bien plus que des questions budgétaires. Elle se compose de cinq parties.
      2/ Titre I. Article 2. Programmation budgétaire 2021 - 2027 prévoyant de redistribuer une fraction de l’argent que l’Etat ne mettra plus en cotisation patronale pour les retraites et d’augmenter le budget de l’ANR.
      3/ Titre I. Article 3. Les EPCST ne paieront pas la taxe sur les salaires qui touche ceux qui sont exemptés de TVA. Une autre petite partie de ce que l’Etat ne mettra plus dans nos pensions de retraites passe donc par ce curieux dispositif.
      4/ Titre II. Précarisation de l’emploi scientifique.
      L’article 4 prévoit l’instauration de chaires de professeur junior (tenure track) allongeant la durée de précarité de 5 ans, et mettant de facto en extinction les postes de jeunes chercheurs pérennes.
      5/ L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral pour accroitre la dépossession inhérente au rapport salarial, et creusant la dégradation par rapport à l’ancienne allocation doctorale, attribuée pour 3 ans, avec une part socialisée (cotisations) et plus de protections
      6/ L’article 6 organise un autre mode de recrutement qui échappe lui-aussi au contrôle du CNU et se fait en dehors de toute collégialité et de tout statut : le CDI de mission scientifique.
      7/ L’article 7 dérégule le cumul d’activités, permettant à des salaires payés pour l’enseignement et la recherche publiques d’être détournés au profit du privé, sans contrôle.
      8/ Titre III. Renforcer le pilotage bureaucratique et l’évaluation punitive. Articles 8 à 10. La contractualisation des laboratoires, des établissements et des chercheurs (ANR) se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, instaurant une obligation de résultats.
      9/ Titre IV. L’Etat au service et sous le contrôle du marché.
      Article 11. Facilitation de l’indifférenciation des sphères publique et privée, par facilitation du cumul d’activités à temps partiel.
      10/ Article 12. Protection des secrets industriels. (?)
      Article 13. Droit de courte citation des images. Tiens ? Un point positif.
      11/ Titre V. Liste des ordonnances.
      Dérégulation des statuts des établissements.
      Transfert de droit de l’Université publique à l’enseignement privé.
      Dérégulation des fondations de coopération scientifique
      Dérégulation du recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs

      12/ Notre commentaire : c’est du lourd.

      Note : le calendrier parlementaire ne permet pas de passer cette loi, hors 49-3, avant l’automne prochain.
      Note 2 : Vidal ne portera pas cette loi et sera limogée en mars.

      https://twitter.com/Gjpvernant/status/1225867039010586625

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Premières analyses du texte

      La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, essentielle pour notre avenir, a été rédigée dans l’opacité la plus grande, après une phase de consultation étriquée. Le ministère n’a, à ce jour, pas souhaité dévoiler ce projet de loi à la communauté académique. Il s’est contenté d’une communication maladroite destinée à désamorcer le mouvement de réaffirmation de l’autonomie et de la responsabilité du monde savant qui se développe partout, des syndicats aux sociétés savantes, des laboratoires de biologie aux Facultés de droit et de science politique, en passant par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. De toutes parts monte un même appel à la création de postes pérennes, à des crédits récurrents, à une suppression de la bureaucratie et à une réinstitution des libertés académiques.

      Nous en appelons au Président de la République pour que cessent cette conduite blessante de la réforme et cette gestion confuse et désordonnée de la rédaction de la loi. L’Université et la recherche méritent respect, éthique intellectuelle, transparence et intégrité, toutes valeurs qui fondent nos traditions académiques et que nous entendons défendre et incarner.

      Nous produisons ici une première analyse de cette loi en traitant successivement de sa portée d’ensemble, du financement de la recherche, du statut des universitaires et des chercheurs et enfin de la question de l’évaluation, inséparable de celle des libertés académiques. Notre analyse repose principalement sur deux sources que nous confrontons : la version courte du projet de la loi, datée du 9 janvier 2020, et la communication de la ministre devant les nouveaux directeurs et directrices d’unités, le 4 février dernier. Les propos de Mme Vidal sont en contradiction manifeste avec le texte du projet de loi.

      La ministre, pour lever les inquiétudes et apaiser les colères, défend une représentation irénique de la loi, visant à en réduire la portée : « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire. » Dans sa version du 9 janvier, le projet de loi se compose de cinq parties dont seule la première est budgétaire, alors que les quatre suivantes organisent des bouleversements structurels. Alors que la deuxième partie de la loi instaure la dérégulation des statuts des jeunes chercheurs et met à mal l’indépendance de la recherche en permettant de contourner le recrutement par les pairs, la troisième partie conforte l’évaluation punitive et l’injonction aux résultats pour toutes les formes de contractualisation. La quatrième partie comporte des dispositions sur le cumul d’activités visant, comme la loi sur les retraites, à accroître la porosité entre le secteur public et le secteur privé. La cinquième partie contient les autorisations à légiférer par ordonnance sur un ensemble de dérégulations qui vont du transfert au privé de prérogatives de l’enseignement public aux règles de fonctionnement des fondations de coopération scientifique, en passant par les modalités de recrutement des chercheurs et des universitaires. Il est à souligner qu’une version plus longue de la loi, postérieure à la version du 9 janvier, réintègre une partie des ordonnances du Titre V dans le texte de loi lui-même. Quels sont les arbitrages qui ont conduit la ministre à affirmer que la LPPR serait réduite à la seule question budgétaire (Titre I), en l’amputant de ses quatre autres parties, sans en informer ni la communauté universitaire ni les parlementaires ? Est-ce à dire que le reste de la loi fera l’objet de décrets, d’ordonnances, voire de simples dispositions réglementaires ? Le hiatus irresponsable entre la communication ministérielle et le texte du projet de loi peut-il être expliqué par le départ de Mme Vidal du ministère dans les mois qui viennent ?

      En l’état, l’article 2 du projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire — dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel. Cet article 2 propose de réaffecter une partie des sommes que l’État ne dépensera plus en cotisations pour les retraites en revalorisations indemnitaires — c’est-à-dire en primes plutôt qu’en revalorisation du point d’indice. Le salaire d’entrée d’un universitaire ou d’un chercheur est aujourd’hui, après reconstitution de carrière, de 1,8 SMIC en moyenne. Son salaire socialisé, qui comprend la cotisation de l’Etat pour sa retraite, baissera de 1,2 SMIC en 15 ans, comme prévu par l’article 18 de la loi sur les retraites. La revalorisation du salaire net à 2 SMIC ne restitue qu’une petite partie de cette somme (0,2 SMIC). La raréfaction des postes pérennes et la titularisation décalée de cinq à six ans, induite par les dispositifs de type tenure track, introduisent trouble et confusion dans l’annonce de revalorisation pour les futurs recrutés. Quant au soutien de base des laboratoires qui aurait désormais les faveurs de la ministre (« Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet »), il est contredit par la loi : l’article 2 du projet de loi prévoit bien un accroissement des appels à projet, le budget de l’ANR étant augmenté par ponction dans les cotisations de retraites des universitaires et des chercheurs. Or la consultation en amont de la préparation de la loi a fait apparaître que neuf chercheurs et universitaires sur dix sont en faveur d’une augmentation des crédits récurrents et d’une limitation des appels à projet. Dans sa version du 9 janvier, la loi n’en tient nullement compte.

      Le statut des personnels des universités et de la recherche est au cœur de la loi. Nous devons accorder la plus grande attention au fait que les Titres II à V traitent tous de cette question. La LPPR vise en priorité une modification profonde des métiers, des missions, des catégories et des statuts des personnels. Le point le plus sensible est dans le Titre V : les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs seraient modifiées par ordonnance. Sont en jeu le caractère national des concours, le contournement du CNU et la part des recrutements locaux. Une telle disposition, qui revient à statuer sans aucun débat parlementaire – et plus encore sans aucune consultation des chercheurs et des universitaires eux-mêmes – s’apparenterait à un coup de force revenant sur une tradition de collégialité longue de huit siècles selon laquelle les universitaires sont recrutés par leurs pairs. L’AUREF elle-même (Alliance des universités de recherche et de formation) a cru utile de redire dans son communiqué du 31 janvier dernier « son attachement au statut national de l’enseignant-chercheur et à l’évaluation par les pairs ». Au lieu de garantir et de consolider les statuts et le cadre national des concours de recrutement, qui sont les garants fondamentaux de l’équité, de l’exigence et de la qualité de l’Université et de la recherche, le projet de loi multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, au risque d’aggraver la précarité qui mine notre système. Ainsi l’article 4 du projet de loi instaure les chaires de professeur junior (tenure track) d’une durée de cinq ou six ans et introduit par là-même un contournement des recrutements sur des postes statutaires pérennes. L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral et l’article 6 prévoit un nouveau mode de recrutement échappant à la collégialité, aux statuts et aux droits associés : le « CDI de mission scientifique ». Par ailleurs, les articles 7 et 11 du projet de loi prévoient la dérégulation du cumul d’activités, permettant l’emploi par le secteur privé de salariés du public, hors de tout contrôle. Dérégulations et contractualisation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une précarisation et une dépossession accrues des métiers de l’enseignement et de la recherche. Si l’on en croit la ministre, « la recherche française souffre d’une baisse de l’attractivité de ses carrières », mais la loi qu’elle conçoit ne fera qu’aggraver la situation, en sacrifiant une génération de jeunes chercheurs.

      En initiant une candidature collective à la présidence du HCÉRES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), nous avons ciblé avec justesse l’instance qui jouera un rôle cardinal dans la nouvelle architecture de l’ESR. Plus encore que la seule carrière des universitaires et les modifications statutaires, l’évaluation définira et structurera tout l’enseignement supérieur et la recherche. Toute contractualisation se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, amplifiant ainsi l’obligation de résultats quantitatifs. Les articles 8 à 10 instaurent un conditionnement fort des moyens alloués aux résultats obtenus : l’évaluation-sanction des laboratoires, des établissements et des formations (HCÉRES), comme celle des chercheurs (ANR), deviendra la norme. Selon la ministre, « ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “coopétition” — ce mot-valise qui mêle compétition et coopération — traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche ». Non. Ce sont la collaboration fertile et la disputatio qui fondent la recherche. La compétition, quel que soit le nom par lequel on la désigne, dénature le travail des universitaires, accroît les inconduites scientifiques et met en difficulté les laboratoires, les composantes et les services. En outre, fondée presque exclusivement sur une pratique exacerbée de l’évaluation quantitative, elle favorise la reproduction, le conformisme, les situations de rente et les pouvoirs installés. La science a pour seule vocation la société qui la sollicite et pour seul objet l’inconnu qui est devant elle. Elle a besoin du temps long. Une loi de programmation qui la soumet à la seule concurrence, aux évaluations-sanctions permanentes et aux impératifs de rentabilité à court terme, la conduit à sa perte.

      Dès lors, quel peut être l’avenir d’une telle loi ? A-t-elle même encore un avenir ? La défiance de la haute fonction publique et de la technostructure politique vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a gâché l’occasion historique d’écrire enfin une loi de refondation d’une Université et d’une recherche à la hauteur des enjeux démocratique, climatique et égalitaire de notre temps.

      Une telle loi impliquerait des mesures énergiques de refinancement, un grand nettoyage de la technostructure administrative accumulée depuis quinze ans et un retour aux sources de l’autonomie du monde savant et des libertés académiques. Ainsi que l’a fort bien dit le président du Sénat, M. Larcher, au sujet de la LPPR : « Il faut d’abord trouver un agenda, un contenu et des moyens, mais peut-être aussi une méthode d’approche. » De tout ceci le ministère s’est bien peu soucié, et c’est la communauté académique qui en paiera le prix fort. Nous devons tout recommencer.

      Car, parmi les trois scénarios désormais envisageables, aucun n’est satisfaisant. Soit la loi ne comprendra in fine que la partie budgétaire et se concentrera sur la réaffectation d’une partie des cotisations de retraites que l’État ne versera plus. Soit elle sera retirée afin de soustraire un gouvernement très affaibli à une fronde des universitaires et des chercheurs qui, laissant leurs différences partisanes de côté, se montrent aujourd’hui prêts à réaffirmer les fondements de leurs métiers. Soit les réformes structurelles et statutaires passeront par des décrets, par des cavaliers législatifs et par des ordonnances, ou par une combinaison de ces trois voies. Ce serait le pire scénario, car il supprimerait toute occasion d’un débat public et contradictoire sur la politique de la recherche en France.

      Analyse de RogueESR, reçue par email via la mailing-list de mobilisation, le 10.02.2020

      Disponible aussi ici :
      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/100220/devoilement-et-analyse-de-la-loi-de-programmation-de-la-recherche

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche : « Une réforme néolibérale contre la science et les femmes »

      Depuis quelques semaines, les protestations grondent dans le monde universitaire contre le projet gouvernemental annoncé d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Cette réforme, inscrite dans le sillage de politiques néolibérales engagées au milieu des années 2000, prévoit de diminuer encore davantage le nombre d’emplois publics stables au profit d’emplois précaires, de concentrer les moyens sur une minorité d’établissements, de subordonner la production scientifique à des priorités politiques de courte vue, d’accroître les inégalités de rémunération et de soumettre les universitaires et chercheurs à une évaluation gestionnaire plutôt qu’à celle de leurs pairs.

      On connaît les effets délétères que ces politiques vont continuer d’engendrer sur la diversité, l’originalité et l’excellence des savoirs produits, sur la qualité de la formation dispensée aux jeunes générations et, in fine, sur la capacité de la France à répondre à de grands défis de société, comme l’urgence environnementale, les problèmes de santé publique, ou encore la montée des régimes autoritaires.

      « #Gestionnarisation » à outrance de l’université

      Les technocrates qui font ces réformes, coupés de nos métiers, ne voient pas que la « gestionnarisation » à outrance de l’université, comme celle de l’hôpital, est « contre-performante », pour reprendre leurs termes. Mais ces projets contiennent une autre menace, plus rarement dénoncée : ils vont accroître les inégalités liées à la classe, à l’assignation ethnoraciale, à la nationalité, au handicap, à l’âge, ainsi que les inégalités entre les femmes et les hommes.

      Le monde académique, qui fut jusqu’aux années 1970 un bastion masculin, ne diffère pas d’autres univers de travail : les hommes y occupent la plupart des positions dominantes. Alors que les femmes représentent 44 % des docteurs, elles sont 45 % des maîtres de conférences mais 25 % des professeurs des universités.

      En fait, 83 % des universités et 95 % des regroupements d’établissements (ComUE) sont dirigés par des hommes. Les femmes sont concentrées dans les fonctions les moins valorisées et rémunératrices, et les plus exposées à la détérioration continue des conditions de travail : au CNRS, elles représentent 65 % des personnels administratifs et techniques de catégories B ou C, mais 34 % seulement des chercheurs (catégorie A +), ce qui place d’ailleurs la France au bas des classements européens en la matière.

      « Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur »

      Les inégalités sont donc déjà là, mais les réformes à venir, en concentrant les ressources sur un petit nombre d’établissements et d’individus « performants », vont les aggraver. Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur et fundraiser [celui qui collecte les fonds], à la tête d’une équipe composée majoritairement de petites mains au statut précaire, lui permettant de publier en quantité.
      Précarisation accrue

      Parce que les hommes bénéficient plus souvent de certaines ressources (certitude de soi forgée dans la socialisation masculine, soutien de leur conjointe, accès à des réseaux de pouvoir, présomption de compétence, etc.), ils sont les gagnants de ce système fondé sur la compétition individuelle et le principe du winner takes it all [« le gagnant rafle tout »].

      Le bataillon des travailleuses et travailleurs invisibles de l’excellence scientifique, exclu des privilèges symboliques et matériels accaparés par une minorité d’individus, continuera, quant à lui, à se féminiser. Un bilan des réformes déjà menées atteste ce renforcement des inégalités. En France, par exemple, l’introduction de « primes au mérite », aux critères opaques, n’a fait qu’accroître les écarts de rémunération : les femmes représentaient 29 % des récipiendaires de la « prime d’encadrement doctoral et de recherche » en 2017, alors qu’elles étaient 38 % du vivier.

      Dans des pays généralement présentés comme des modèles à suivre, la précarisation des emplois s’est considérablement accrue, frappant plus durement les femmes. Aux Etats-Unis, en 2013, les femmes n’occupaient que 38 % des emplois permanents (tenured jobs), un statut de plus en plus rare (moins de 30 % de l’ensemble des postes), mais leur part était estimée à 62 % des emplois précaires à temps partiel (adjuncts).

      En Allemagne, les contrats courts représentent aujourd’hui 80 % des emplois scientifiques. Au sein de cette armée du Mittelbau au service de mandarins, les femmes sont surreprésentées : en 2014, 77 % des enseignantes-chercheuses avaient un contrat à durée limitée (contre 64 % des enseignants-chercheurs) et, parmi elles, 51 % travaillaient à temps partiel (contre 30 % parmi les hommes). En haut de la pyramide, les hommes composent plus des trois quarts du corps professoral titularisé.
      Développer une approche structurelle

      Le monde académique affiche pourtant une forte préoccupation en matière d’égalité femmes-hommes. L’obligation de représentation équilibrée dans différentes instances, et les politiques menées dans certains établissements (campagnes contre les violences sexistes et le harcèlement, notamment) ont amélioré la position de certaines femmes. Mais ces initiatives se condamnent à être un simple affichage pour les classements internationaux si elles s’appuient sur une approche individuelle, plutôt que structurelle, des inégalités.

      Si le gouvernement souhaite réellement que la France demeure un pays d’excellence scientifique et dispense une formation de qualité aux générations futures, tout en soutenant avec force les valeurs d’égalité, il est urgent de construire un autre projet pour l’université et la recherche publiques : un projet ambitieux, fondé sur la création massive d’emplois stables, sur un financement public pérenne, sur la collaboration scientifique, sur des garanties d’indépendance à l’égard des pressions politiques et gestionnaires, mais aussi sur des mesures transformatrices contre les inégalités, les discriminations et les violences au travail.

      Sans ces impératifs, c’est non seulement la science, mais aussi les femmes scientifiques, qui seront sacrifiées sur l’autel de la concurrence effrénée et de la « #managérialisation » de l’enseignement et de la recherche.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche-une-reforme-neoliberale-c

    • Tuer l’enseignement en massacrant la recherche ?

      Lors de mon premier cours de L2 du semestre, j’ai expliqué aux étudiants les enjeux de la LPPR et les raisons de la colère que ce projet de loi provoque dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Loi de programmation pluriannuelle de la recherche », force est de constater que son nom même n’invite pas à se positionner sur ses enjeux en termes d’enseignement, et il me semble que cette question, sans être absente, reste seconde dans la plupart des prises de position qui courent depuis plusieurs semaines.

      Les attaques sur la recherche, sur les carrières des jeunes chercheur∙se∙s, l’accroissement de la tension autour des appels à projets chronophages et déprimants, le mépris affiché, via la promotion de « l’excellence » et des « talents » qui nécessairement viendraient d’ailleurs, pour la recherche pratiquée actuellement dans les universités, sont autant de points d’ancrage d’une opposition multiforme (et je ne reviens pas ici sur la question de la grève « générale », « un peu faite », « pas faite », dont j’ai parlé ailleurs). Dans ce que j’ai dit aux étudiant∙e∙s, j’ai abordé tout ceci. J’ai cependant insisté également sur les conséquences lourdes de cette évolution que l’on tente de nous imposer – que l’on nous impose de fait depuis une bonne décennie – en termes d’enseignement, et notamment d’enseignement de premier cycle, ou de continuité de la formation, ou de maintien de chances sinon égales (il y a longtemps qu’elles ne le sont plus), du moins accessibles au plus grand nombre.

      Plusieurs éléments me semblent devoir être pris en compte :

      Le risque clair d’une distinction croissante (là encore, arrêtons de faire comme si elle n’existait pas : bien des dispositifs existent aujourd’hui pour que quelques-uns mettent en œuvre l’excellence de leur recherche en enseignant le moins possible) entre enseignant∙e∙s et chercheur∙se.
      Que ce soit par ces fameux tenure tracks « à la française », par le renforcement du principe de l’appel à projets en matière de recherche, qui permet aux lauréats d’éventuellement négocier leur charge d’enseignement, par le recours à des contractuels d’enseignement aux dépens des postes d’ATER ou de maître∙sse∙s de conférences, tout concourt à distinguer une majorité dévolue aux basses tâches d’enseignement, notamment de premier cycle, et une minorité qui a besoin de tellement plus de temps pour faire une recherche tellement plus intéressante. C’est totalement délétère, et pas seulement parce que la majorité aimerait disposer de plus de temps pour sa recherche : c’est ruiner la spécificité de l’université dans l’enseignement supérieur français, à savoir cette association des deux fonctions dans une seule et même personne, l’enseignant∙e-chercheur∙se. L’université est un lieu de formation à et par la recherche.
      On me rétorque volontiers que ce n’est pas (plus) vrai en premier cycle : je pense pour ma part que ce l’est toujours, et que c’est ce qui fait la qualité de cet enseignement, qui n’est pas là pour donner une masse de connaissances, mais bel et bien des compétences (qui ne sont pas nécessairement une grossièreté, si on arrête d’en faire l’alpha et l’oméga des formations, de la communication et de l’employabilité immédiate), intimement liées à cette pratique de la recherche par les enseignant∙e∙s.
      Cette distinction se fera non seulement entre enseignant∙e∙s, mais entre établissements, entre universités « de recherche » et universités « tout court » (auquelles on donnera toujours le nom d’universités pour maintenir l’illusion…). Là encore, rien de nouveau sous le soleil, mais c’est l’accentuation d’une tendance qui, en dehors de donner des aigreurs à certains enseignants-chercheurs considérant qu’ils sont sous-employés, et/ou sous-estimés, en enseignant dans une « PMU » (petite et moyenne université), fragilise surtout les étudiants les moins armés pour intégrer grandes classes préparatoires, grandes écoles, grandes universités. Or, maintenir un premier cycle de grande qualité partout est un devoir de l’État, une responsabilité collective, afin que les perspectives d’avenir ne soient pas réservées à quelques cercles étroits. Croire qu’un étudiant « qui veut, peut », à 18 ans, en sortant du lycée, c’est au mieux de la naïveté.
      La précarisation touche principalement, on le sait, l’enseignement de premier cycle, et plus précisément de L1 et L2. Dans un contexte de sous-encadrement, les titulaires ont tendance à délaisser les premières années, pour des raisons qui vont de leur intérêt propre (beaucoup trouvent ça plus intéressant, plus gratifiant, et voient dans les L3 les viviers où trouver de futurs masterant∙e∙s, puis doctorant∙e∙s) à la logique considérant que l’expérience accumulée permet de préparer plus aisément un cours plus avancé du cursus. Soit dit en passant, étant donné le nombre de précaires qui ont toutes les qualifications d’un titulaire et une expérience longue comme le bras, ce dernier point peut évidemment se discuter. Quoiqu’il en soit, de fait, et quelle que soit la qualité et le dévouement des « chargé∙e∙s de cours », cette précarisation a des effets négatifs sur l’enseignement : d’une part, nos collègues cumulent ces enseignements avec un ou plusieurs autres postes, et une activité de recherche qu’ils maintiennent dans l’espoir d’accéder à un poste de MCF un jour ; ce n’est pas leur faire offense, je pense, que de croire que cela ne leur permet pas de préparer ces enseignements dans les meilleures conditions. D’autre part, les équipes pédagogiques sont rarement stables, évoluant au gré des mutations de nos collègues du secondaire, des dysfonctionnements chroniques quant à leur (médiocre) rémunération, des aléas des services des titulaires. La notion même d’ « équipe pédagogique » semble souvent bien difficile à défendre, notamment en L1, quand le nombre de groupes de TD et les conditions de travail des uns et des autres rendent toute rencontre quasi impossible. La communication par courriel a des limites que nous connaissons tous… Oui, je pense que l’enseignement mérite d’être assuré par des titulaires sereins sur leur avenir.

      Un vice-président d’université m’a dit un jour qu’il était normal de ne pas mettre de moyens sur la première année, puisque de toute façon cela ne sert à rien (comprendre : la L1 sert à trier ceux qui suivront et les autres qui n’ont rien à faire là, et faire des TD à 70 ou 25 n’y change rien), et qu’il fallait se concentrer sur les années supérieures, et notamment le second cycle (le master) afin de développer la recherche. Avec des principes comme celui-ci, évidemment, la précarisation ou l’exploitation des enseignant∙e∙s en charge des premières années est somme toute logique : après tout, leur fonction n’est finalement pas tellement de former au mieux ces jeunes femmes et ces jeunes hommes, mais de s’assurer qu’un nombre raisonnable, mais pas trop élevé sous peine de déséquilibrer le budget de leur établissement, accèdera à l’année supérieure. Il me semble que toute la LPPR repose sur cette logique-ci, en fait, et je trouve cela proprement dramatique – et pas seulement parce qu’avec les perpectives actuelles, on se demande bien pourquoi vouloir à tout crin former des chercheur∙se∙ L’université est un lieu de construction et de diffusion du savoir, et des méthodes de construction du savoir (cette phrase est fort alambiquée, je le reconnais), accessible en principe à toutes et tous. Le mépris du corps enseignant et de la fonction même d’enseignant∙e-chercheur∙se telle qu’elle existe aujourd’hui est aussi un profond mépris de nos étudiant∙e∙s.

      https://academia.hypotheses.org/11700

    • Le sommaire du projet de loi dans une version de travail du 09/01

      Extraits d’une dépêche du 7 février 2020

      Intitulé « Dispositions relatives aux orientations stratégiques de la recherche et à la programmation financière », le titre I de cette version se décompose en trois articles, dont un article 2 sur la programmation budgétaire 2021-2027, les financements de l’ANR et la trajectoire de l’emploi scientifique.

      L’article 3 vise lui à « exonérer les EPST de la taxe sur les salaires ».

      Le titre II du projet de loi vise à « Attirer et retenir les meilleurs scientifiques » via

      des chaires de professeur junior (art.4),
      la fixation d’un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral (art.5),
      des « CDI de mission scientifique » (art.6) et

      des mesures de simplification en matière de cumul d’activités (art.7).
      Le titre III s’attache lui à « Mieux piloter la recherche et encourager la performance » via une « rénovation de la contractualisation et évaluation », et des mesures concernant les unités de recherche et l’ANR (articles 8 à 10).

      L’objectif du titre IV est de « Diffuser la recherche dans l’économie et la société » par :

      l’élargissement des mobilités par les dispositifs de cumul d’activités à temps partiel (art. 11) ;
      la protection du secret des sources (art. 12) ; et un « droit de courte citation des images » (art.13).

      Enfin, baptisé « Mesures de simplifications et autres mesures », un titre V propose :

      la « prolongation de l’expérimentation bac pro BTS »,
      une « ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentateurs »

      et des habilitations à légiférer par ORDONNANCES sur les points suivants :

      enseignement privé ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement interne des EPSCP ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement des fondations de coopération scientifique, de l’Institut de France et des académies qu’il regroupe ;
      simplification du contentieux relatif au recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs.

      Selon les informations de News Tank, les évolutions apportées depuis le 09/01 à cette version concernent, entre autres, une réduction de la liste des points concernés par les ordonnances, avec réintégration de certains dans le corps du projet de loi.


      *

      Selon une autre source, ce projet de loi est complètement abandonné. Il n’en reste pas moins que ce texte ponctue, plutôt qu’il n’initie, des pratiques qui ont déjà cours dans l’esneignement supérieur et dans la recherche, ou peuvent être mises en œuvre par voie réglementaire.

      https://academia.hypotheses.org/11740

    • Quelques réflexions sur les politiques scientifiques françaises

      La section 6 du Comité national de la recherche scientifique a invité les chercheurs et chercheuses qui devaient lui envoyer leurs rapports et des projets de recherche à leur joindre, si tel était leur souhait, leurs doléances concernant les politiques actuelles en matière de recherche en France et les projets d’évolution de ces politiques. Je n’avais pas un temps énorme à consacrer à cela, d’où un caractère assez décousu de mes réflexions, mais j’ai rédige le texte suivant :

      On annonce une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Il ne faudrait pas que celle-ci, censée apporter du dynamisme dans la science française, alourdisse au contraire la bureaucratie au détriment des intérêts de recherche et d’enseignement. Je vais ici passer en revue quelques dysfonctionnements du système actuel et fausses bonnes idées de réformes, et parfois formuler des suggestions.
      Des financements sur projet inefficaces

      Bien loin d’être le système « darwinien » bénéficiant aux recherches les plus prometteuses, le maquis d’appels à projets à tous niveaux (établissement, région, agences d’état, Europe…) est au contraire inefficace et n’alloue pas les ressources où il le faudrait. Les raisons en sont multiples.

      Le financement des doctorants et post-doctorants sur projets aboutit à ne pas pouvoir recruter, faute d’argent, les personnes intéressantes quand elles sont disponibles, et parfois à recruter des personnes qui n’auraient pas dû l’être, de peur de perdre un budget. Paradoxal, alors qu’on prétend que ce système est censé financer les meilleurs.

      Certains appels à projet (RIA…) imposent un lourd formatage, avec usage d’une langue de bois et de figures imposées (impact sociétal, impact sur la compétitivité…), tellement éloignées de la science que des prestataires privés se proposent pour aider les chercheurs à monter des dossiers. Beaucoup d’énergie, de temps de travail, et d’argent se perdent dans une bureaucratie tant publique que privée.

      Les taux d’acceptation trop bas de certains appels à projets, notamment de l’ANR, conduisent les chercheurs à déposer trop fréquemment des dossiers, au prix d’un travail de montage important et d’un grand stress — dossiers qu’il faut ensuite évaluer, là encore temps de travail.

      Quant aux projets ERC, si leur évaluation est plus scientifique et moins bureaucratique, ils ne sont pas forcément adaptés : ils concentrent des moyens considérables sur un petit nombre de lauréats, qui ensuite peinent à recruter les personnels contractuels ainsi financés (j’en ai fait l’expérience).

      On nous parle sans cesse d’une science qui devrait être agile, mal servie par des structures vétustes. Or le système des appels à projets est le contraire de l’agilité. Le délai entre la demande de financement et la conclusion du contrat est élevé et souvent incertain (ce qui empêche de prospecter efficacement en amont pour des embauches de contractuels, les candidats exigeant en général une date ferme). On attend parfois des chercheurs qu’ils présentent un planning précis, découpé en tâches et sous-tâches, avec un diagramme de GANTT, présentant d’avance à quelle date telle ou telle découverte aura été faite, et ce sur 4 ou 5 ans !

      Les règles de fonctionnement des appels à projets changent régulièrement, parfois en cours de route. Ceci crée du stress auprès des services administratifs et financiers, dont la hantise est que telle ou telle dépense ne soit pas considérée comme « justifiable » ; ces services ont donc tendance à imposer des restrictions supplémentaires, au cas où. Certains appels ont des règles de fonctionnement biscornues, permettant par exemple de rémunérer des contractuels mais pas des stagiaires de master. Là encore, les chercheurs dépensent une énergie considérable à contourner des problèmes administratifs, même s’ils ont obtenu un financement.

      Notons un paradoxe. On nous dit qu’il faudrait que les universités et organismes recherchent plus de financements industriels, mais en fait le système fonctionne à l’envers : les industriels et notamment leur R&D recherchent constamment des subventions publiques !
      Un manque de financements doctoraux

      Dans notre école doctorale, seuls 15% des doctorants (environ) bénéficient d’un contrat doctoral sur budget de l’école doctorale (« bourses du Ministère »), les autres étant financés par d’autres biais (une minorité de CIFRE, mais principalement des contrats de recherche). C’est insuffisant : de bons étudiants se voient refuser de tels contrats. L’intérêt scientifique serait probablement mieux servi s’il y avait un budget suffisant pour plus de contrats doctoraux, quitte à prendre le budget sur d’autres modes de financement.

      Un intérêt des financements sur contrat, dans certains contextes, a été de permettre à de jeunes chercheurs d’avoir un budget et des doctorants alors que des « mandarins » locaux le leur auraient refusé. Il faudrait donc prendre garde à ce que les procédures d’attribution de ce nombre accru de financements doctoraux non liés à des projets ne souffrent pas du mandarinat.
      Une multiplication de structures à la gestion hasardeuse

      On a multiplié les structures de recherche hors du cadre du fonctionnement normal des organismes : IDEX (initiative d’excellence), LABEX (laboratoire d’excellence), IRT (institut de recherche technologique)… Chacune de ces structures dispose de budgets et de règles de fonctionnement spécifiques (il semble ainsi que le statut juridique et le mode de fonctionnement change d’un IRT à l’autre). Ceci multiplie les catégories administratives et complexifie la gestion.

      Parfois, ces structures (LABEX, IRT) ne sont pas pérennes, mais renouvelés par périodes, ce qui interdit notamment de pouvoir enclencher un projet qui recouvre deux périodes (puisque rien ne garantit que le budget pour la période suivante). Il y a parfois une période de césure entre la fin d’une structure et son renouvellement, qui imposerait de renvoyer les personnels pour les réembaucher quelques mois plus tard. Ceci n’est guère respectueux des personnels ainsi précarisés.

      À plus grande échelle, les restructurations incessantes enclenchées depuis dix ans (constitution de communautés d’universités aux contours changeants, fusions d’universités, établissements expérimentaux…) ont créé de l’incertitude et du stress, et nécessité un important travail. Sans prétendre qu’il faille sacraliser des structures, des découpages, qui peuvent dans certains cas être dépassés, on doit cependant rappeler que les restructurations ne devraient avoir pour objectif que l’amélioration de la recherche et de l’enseignement et non un affichage politique.
      Une évaluation lourde et bureaucratique

      On raconte parfois que les chercheurs ne sont pas évalués et refusent de l’être. Ces remarques, parfois colportées dans les médias, ne collent pas à ma réalité. En 2019, j’ai rempli un compte-rendu d’activité (CRAC) et un dossier de demande de promotion, et rédigé une part importante d’un rapport de laboratoire pour l’HCERES. En janvier 2020, j’ai rédigé un compte-rendu d’activité et un projet quinquennaux personnels. Encore ai-je la chance (du moins pour l’aspect évaluation) de ne pas être dans une équipe projet INRIA, sinon j’aurais à remplir un « Raweb ».

      L’évaluation par le HCERES mérite qu’on s’y attarde. Cet organisme, s’il fait expertiser les laboratoires par des comités d’experts du domaine, leur impose une grille rigide de rubriques de rédaction ; il impose aux laboratoires le remplissage de tableaux d’indicateurs souvent mal définis et d’intérêt douteux. La bureaucratie a pris le pas sur l’évaluation scientifique.

      L’usage d’indicateurs a ceci de pervers que les personnels évalués finissent par vouloir optimiser l’indicateur au détriment de ce que celui-ci était censé mesurer. Ainsi, on a prétendu mesurer la performance de chercheurs au nombre de leurs publications. La conséquence bien connue est que certains se sont mis à augmenter artificiellement le nombre de leurs publications, par exemple en découpant inutilement des travaux en plusieurs articles et en publiant des articles médiocres dans des revues peu sélectives (des revues se sont d’ailleurs créées pour cela). Même les bons chercheurs se sentent obligés de suivre. Ce phénomène est d’ailleurs accentué si l’on attribue des primes basées sur cet indicateur, comme cela se fait dans certains pays, ou si l’on attribue des budgets au prorata des publications, comme cela se fait hélas dans certains laboratoires français. Le CNRS a signé la déclaration de San Francisco (DORA), mais les premières questions des dossiers de promotion portent le nombre de publications au cours des n dernières années.

      La préparation de l’évaluation HCERES (simultanément des laboratoires, des formations, des écoles doctorales, de l’établissement entier) est une tâche lourde — et on dit que l’on voit une baisse des indicateurs de publication l’année de cette préparation. Une telle lourdeur est-elle vraiment nécessaire ?
      Des effets de mode et des coups de bélier

      Dans l’intérêt de la science et de la société, il est nécessaire de formuler et suivre une politique scientifique qui ne se limite pas à la reconduction des thématiques existantes. Il faut toutefois se défier d’un pilotage de la recherche à la traîne des thématiques à la mode, et dans certains cas vite démodées.

      Parfois, le pilotage se fait brutal. On a ainsi annoncé que l’intelligence artificielle était une priorité nationale. Soit. Puis, après des tergiversations, on a annoncé des instituts d’intelligence artificielle (3IA). Celui de Grenoble dispose d’un financement pour 40 nouveaux doctorants par an — à comparer avec les 15 financements distribués par le procédé normal. Où les trouver ? Les étudiants français visent souvent une carrière industrielle directement en sortie d’école d’ingénieur ; attirer des bons étudiants étrangers est difficile, et nécessite la construction de réseaux, de filières, qui ne monteront pas en charge du jour au lendemain.

      Ce pilotage binaire, avec ouverture et fermeture brutales de la vanne des crédits sur tel ou tel sujet, ne conduit là encore probablement pas à un bon usage des deniers publics. De même que l’on recommande de ne pas manier brutalement les vannes hydrauliques afin d’éviter des « coups de bélier », il conviendrait de ne pas agir ainsi avec la recherche.
      Des prescriptions bureaucratiques : l’exemple des Zones à Régime Restrictif

      La méthode bureaucratique souvent employée pour gérer la recherche publique peut être illustrée par la mise en place des « zones à régime restrictif » (ZRR). Rappelons ce dont il s’agit.

      On veut protéger les intérêts français tant industriels que stratégiques du pillage et de l’espionnage : vrai problème, objectif louable. Malheureusement, l’approche employée (le passage de certains laboratoires en ZRR), de l’avis de nombreux chercheurs et notamment de directeurs de laboratoires, est inadaptée. Je ne reviendrai pas sur les arguments (ils ont notamment été exposés par J.-M. Jézéquel, de l’IRISA), mais plutôt sur la méthode.

      On désigne apparemment comme « sensibles » des laboratoires ou des équipes sur la base de mots-clefs sans s’interroger sur ce que ceux-ci recouvrent et sur la réalité des dangers dans ces laboratoires ou ces équipes.

      On veut appliquer des procédures (e.g. restrictions d’accès de visiteurs) adaptées à des laboratoires où on laisse des échantillons de produits ou de matériels sensibles dans des salles d’expérimentation à des laboratoires où l’on n’a rien de cela.

      On ne tient compte ni des remarques des laboratoires concernant le caractère inadapté de certaines mesures de sécurité proposées, ni de leurs demandes d’améliorations de la sécurité plus adaptées à leur contexte (moyens de sécurité informatique, notamment).

      On est donc dans un système parfaitement bureaucratique : pilotage d’en haut sans prise en compte des réalités du terrain, négation de la compétence des acteurs de terrain à analyser leur situation.
      Les standards internationaux

      On justifie souvent les réformes dans la recherche française par l’idée qu’il faudrait mettre celle-ci au niveau des « standards internationaux ». On pourrait s’interroger sur cette notion, qui recouvre des réalités aussi différentes que celle des universités allemandes, étatsuniennes et chinoises, mais ce serait un trop long exercice pour ce texte. Je me bornerai donc à quelques constats.

      Lorsque l’on compare les universités françaises aux universités américaines, on pense à Stanford, Harvard, au MIT, où circulent massivement l’argent des agences fédérales (NSF, DARPA, ONR, DOE…) ; on ne pense pas aux community colleges. Or les universités françaises (même celles qui se présentent comme des « universités de recherche ») doivent à la fois remplir le rôle d’un community college et en même temps se mesurer aux universités internationalement les plus réputées. Leurs enseignants-chercheurs sont sommés de prendre en charge des effectifs importants, d’où des heures complémentaires d’enseignement au détriment de la recherche ; mais on va ensuite leur reprocher de ne pas assez publier dans des revues ou des conférences au plus haut niveau !

      L’université française, et ses personnels, est soumise à des injonctions contradictoires : il faut atteindre la visibilité et le dynamisme de recherche des plus célèbres universités internationales tout en n’en ayant pas les moyens budgétaires. Cela n’est pas tenable.
      Le statut des personnels

      Les chercheurs français sont comparativement moins bien payés que ceux d’autres pays. La France a en revanche divers atouts compétitifs, dont le statut de chercheur sans enseignement imposé dans les EPST dont le CNRS, et le statut de fonctionnaire accordé relativement tôt dans la carrière. On ne comprend donc pas très bien comment la qualité de la recherche française serait servie par la multiplication de statuts plus ou moins instables, sauf peut être en cas de salaires considérablement plus élevés que les actuels, ce qui ne semble guère compatible avec les contraintes budgétaires.

      Perspectives

      L’accumulation de réformes et de réorganisations (j’aurais pu aussi évoquer celles du baccalauréat, du DUT, des licences…) épuise les personnels, toujours sommés de s’adapter à une nouveauté incertaine, les réformes devant parfois être mises en place avant d’avoir été votées par le Parlement. Et on nous annonce encore d’autres réformes d’ampleur ! Peut-être serait-il pertinent de déjà faire fonctionner l’existant, en tentant de simplifier les structures, débureaucratiser les procédures, et mettre des moyens suffisants pour assurer les besoins d’enseignement.

      https://academia.hypotheses.org/12080

    • Ton université va craquer

      Si le mouvement de grève généralisé entamé en décembre 2019 semble peu à peu s’essouffler, certain·e·s, moins visibles ou moins médiatisé·e·s, continuent leur mobilisation. Les enseignant·e·s-chercheur·e·s, notamment, qui constatent une précarisation de leur situation et une crise de l’université généralisée. Parmi leurs moyens d’action : le fait de cesser de faire vivre, médiatiquement, le produit de leurs recherches.

      Dans quel état est l’université française aujourd’hui ? Que donnerait un espace public dont aurait disparu la parole des chercheur·e·s ?

      https://www.binge.audio/ton-universite-va-craquer

    • La recherche française en quête de modèle ?

      Alors que le gouvernement doit présenter une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, de nombreuses voix s’inquiètent de la remise en cause du modèle de la recherche française.

      À mes collègues scientifiques, je veux dire que le gouvernement a entendu leur appel à réinvestir massivement dans la recherche » : c’est dans une tribune publiée dans Le Monde que la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal a tenté de rassurer les acteurs du monde de la recherche scientifique ce lundi (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/frederique-vidal-a-mes-collegues-scientifiques-je-veux-dire-que-le-gouvernem).

      Le gouvernement finalise actuellement sa loi de programmation pluriannuelle de la recherche et a déjà annoncé une augmentation du budget pour la recherche à 3% du PIB. Mais de nombreux enseignants-chercheurs demeurent inquiets : aux conditions de travail, jugées de plus en plus difficiles, s’ajoutent les craintes de l’accroissement de la compétition au détriment de la coopération, de la précarisation des personnels ou encore d’une atteinte à l’indépendance de la recherche.

      Pour en parler, nous recevons Olivier Coutard, président de la conférence des présidents de sections du comité national de la recherche scientifique et socio-économiste, chercheur au CNRS et Sylvestre Huet, journaliste spécialisé en sciences depuis 30 ans, actuellement journaliste indépendant, auteur du blog sur le site du Monde “Sciences ²”.

      Ils seront rejoints en seconde partie d’émission par Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Angers et membre du comité de mobilisation des facs et des labos en lutte, et Jean Chambaz, président de Sorbonne Université et de la Ligue européenne des universités de recherche, professeur de biologie cellulaire.

      "La société peut-elle résoudre ses problèmes avec une recherche publique stagnante ? Non. Depuis 20 ans, tous les gouvernements de l’Union Européenne ont constaté qu’il fallait augmenter l’effort de recherche public." Sylvestre Huet

      Aujourd’hui, la France décroche, en termes de performances, de capacités, de parts de production scientifique, à cause du budget. Jean Chambaz

      https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-recherche-francaise-en-quete-de-modele

    • LPPR : 2 SMIC pour les titulaires, des cacahuètes pour les précaires ?

      Après trois semaines de mobilisation contre le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), la ministre F. Vidal a annoncé avec fracas dans ses voeux de début d’année une mesure censée mettre tout le monde d’accord : la revalorisation des salaires des “jeunes chercheurs” - c’est-à-dire, selon la ministre, les maître·sse·s de conférences (MCF) et chargé·e·s de recherche CNRS (CR) nouvellement recruté·e·s (1).Les médias ont largement relayé cet accès de générosité (2) : avec la LPPR, “la priorité ira aux jeunes chercheurs”. Vraiment ?

      L’ANCMSP ne considère pas que la revalorisation des salaires des primo-MCF et primo-CR, recruté·e·s en moyenne à 34 ans, soit une mesure qui donne la priorité aux “jeunes” chercheur·ses, ni la première des priorités en l’état actuel de la recherche et du service public universitaire. En prétendant répondre à la contestation par des étrennes dérisoires aux enseignant·e·s titulaires mobilisé·e·s, la ministre renouvelle son mépris pour la situation des véritables “jeunes chercheur·se·s”, à savoir les précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche : doctorant·e·s, financé·e·s ou non, enseignant·e·s vacataires, docteur·e·s sans poste ou en contrats précaires, post-docs.

      Cette annonce est l’occasion pour l’ANCMSP de préciser ses positions concernant les rapports préparant la LPPR et la mobilisation en cours. Puisque la ministre nous promet une « revalorisation d’ensemble », cette mobilisation est l’occasion de protester à nouveau contre la précarisation généralisée dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), dont les personnels BIATSS et les chercheur·se·s non-titulaires sont les premier·e·s à faire les frais.

      Les rapports de la LPPR eux-mêmes en font le constat : l’ESR est sous-financé, les carrières doivent être “revalorisées” pour être “attractives”. Les solutions proposées sont pourtant étrangement baroques : “CDI de chantiers”, “CDD jeunes chercheurs” et “tenure tracks” complèteraient la jungle des statuts non-permanents. Pour l’ANCMSP, la création de nouveaux types de contrats, si elle répond à un besoin urgent de statuts plus stables pour les docteur·e·s, ne suffira pas pour freiner la précarité des candidat·e·s aux métiers de la science politique et LSHS.

      A côté de ces nouveaux statuts, la question du budget consacré aux doctorant·e·s et aux docteur·es n’est jamais abordée. Combien d’argent injecté dans l’ESR ? Pour qui ? Si la promesse faite par la Stratégie Lisbonne il y a vingt ans devait être concrétisée par la LPPR (3 % de PIB consacrés à l’ESR au lieu des 2,2% actuels), il y aurait de quoi en finir avec la précarité dans l’ESR. Rien de tel ne semble cependant prévu dans le projet actuel.
      Sur les “CDI de Chantier” et les “CDD Jeune Chercheur”

      “CDI de Chantier” :

      Contrats à durée indéterminée bien que limitée (3 à 6 ans préconisés) à la durée d’un projet, ces CDI temporaires ne sont pas une nouveauté et sont déjà rendus possibles par l’article 17 de la Loi n°2019-828 du 9 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui crée des “Contrats de projet” dans toutes les administrations de l’Etat pour une durée allant de 1 à 6 ans.

      Ces contrats sont des pis-aller faute de postes permanents ouverts au concours : ils contribuent à normaliser la précarité et s’avèrent cohérents avec la logique générale du financement par projet qui irrigue les rapports de la LPPR. Néanmoins, ces CDI de Chantier sont susceptibles de représenter une amélioration par rapport aux contrats de post-doc actuels. S’ils portent effectivement sur des projets de long terme avec une durée minimale de trois ans, ils représenteront une nette avancée par rapport aux contrats de post-doctorat indignes, de 3 mois à 1 an, qui sont monnaie courante.

      Malgré tout, ces contrats connaissent - comme un grand nombre des autres propositions faites par les rapports - des dispositions particulièrement floues. A la lecture des rapports, il est impossible de savoir s’ils sont destinés à remplacer les contrats de post-doctorat, s’ils sont susceptibles d’être interrompus avant la fin du “projet” pour lequel a été fait le recrutement (amenant donc à un remplacement qui serait de courte durée), quelle sera la rémunération de ces CDI de chantier, etc. La durée minimale (3 ans) et maximale (6 ans) de ces contrats n’est que “préconisée” et, par ailleurs, l’idée d’une durée minimale est en soi contradictoire avec l’objectif de faire correspondre la durée de ces contrats à la durée des projets. Enfin, la multiplication des évaluations des projets de recherche recommandée par les rapports augmente d’autant les risques de voir ces derniers stoppés en cours de route en cas d’évaluation négative - et les rémunérations des chercheur·se·s qui y sont engagés avec (3).

      “CDD Jeune Chercheur” :

      Ces contrats, qui “contribuerai[en]t à renforcer la lisibilité des situations d’emploi des jeunes docteurs en France”, sont supposés remplacer les post-doctorats et les ATER (mais n’est-ce pas là une mise en concurrence avec le merveilleux CDI de chantier ?). Une nouvelle fois, faute de postes permanents, ces contrats pourraient représenter une amélioration par rapport à la situation actuelle, puisque le rapport du groupe de travail n°2 (GT2) indique que “la durée totale des contrats “jeunes chercheurs” pourrait être limitée à six ans (soit deux fois trois ans)”. Toujours aussi imprécis dans la formulation et le chiffrage, le rapport ne permet pas néanmoins de savoir si ce nouveau statut est destiné à remplacer complètement le post-doctorat par des contrats correctement rémunérés de trois ans minimum qui pourraient bénéficier à chaque docteur·e·s qui le souhaite, ou à institutionnaliser la précarité en permettant à des “jeunes” chercheur·se·s déjà très âgé·e·s de poursuivre leur travail dans un ESR précarisé à l’extrême.
      Sur les tenure tracks : les excellent·e·s et les médiocres

      Enfin l’excellence ! Afin d’empêcher les “cerveaux de fuir” et “attirer les jeunes talents”, le rapport du GT2 sur la LPPR propose de créer un nouveau statut d’enseignant·e-chercheur·se : les “chaires d’excellence junior” ou “tenure-tracks”. Dans les trois ou quatre années qui suivraient la thèse, les bénéficiaires de ce nouveau statut seraient embauchés pour une durée allant de 5 à 7 ans. De manière dérogatoire aux concours de MCF et de CR, les bénéficiaires seraient recruté·e·s de manière définitive dans le cas où leurs évaluations intermédiaires et finales s’avèreraient positives (selon, bien sûr, “des critères d’excellence internationaux”).

      Le rapport du GT2 préconise de réserver ces “chaires d’excellence juniors” à seulement 150 docteur·e·s par an. Ceux-ci bénéficieraient d’un “volume raisonnable d’enseignement” (c’est-à-dire de décharges) ainsi que de la possibilité d’encadrer des doctorant·e·s sans HDR (Habilitation à Diriger des Recherches). Le rapport recommande que leur rémunération soit “compétitive au plan international”.

      Pour l’ANCMSP, ces “chaires d’excellence juniors” constituent des postes sur-dotés attribués à une petite élite de docteur·e·s jugé·e·s excellent·e·s tandis que la vaste majorité des autres n’obtiendront que des contrats médiocres (vacations, ATER, post-docs) pour assurer les enseignements dont les premier·e·s auront été déchargé·e·s. Ce dispositif ne permettrait donc en aucun cas de favoriser l’attractivité de la recherche publique et renforcerait les inégalités entre les docteur·e·s.
      Sur l’augmentation des contrats doctoraux : des mots, des mots, puis rien

      Le rapport du GT2 sur la LPPR établit les constats suivants, que l’ANCMSP partage amplement :

      Le nombre de docteur·e·s diplômé·e·s chaque année augmente (11 000 en 2000, 13 500 en 2009, 15 000 en 2017) alors que le nombre de postes d’EC diminue (2600 MCF et CR recrutés en 2009, 1700 en 2016) ;

      L’âge moyen de recrutement comme EC est tardif (34 ans pour les MCF, 33 ans pour les CR en 2016 ) ;

      Le nombre de primo-inscrit·e·s en doctorat chaque année est en baisse (-12% de doctorant·e·s primo-inscrit·e·s entre 2010 et 2017) et ceci particulièrement en SHS (8709 doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en 2010 contre 6844 en 2017) ;

      La durée du contrat doctoral (3 ans) est insuffisante ;

      Les doctorant·e·s en SHS restent largement sous-financé·e·s, puisque seulement 39% des doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en SHS avaient un financement dédié pour la réalisation de leur thèse en 2017 (contre 70% toutes disciplines confondues) ;

      La rémunération prévue par le contrat doctoral est insuffisante : 1758 euros brut / mois sans mission d’enseignement (le SMIC étant fixé en 2018 à 1521 euros brut / mois).

      Très logiquement, le rapport du GT2 recommande de “généraliser [...] le fait que les doctorants en formation initiale aient un financement dédié pour réaliser leur thèse”, allonger la durée du contrat doctoral et revaloriser les rémunérations (1,5 fois le SMIC, soit 2281 euros brut / mensuel). Le rapport du GT2 propose également d’augmenter les thèses réalisées en CIFRE en portant leur nombre à 2000 toutes disciplines confondues (contre 1500 CIFRE en 2018).

      Bien moins logiquement, aucune proposition budgétaire n’est formulée pour satisfaire ces objectifs. L’absence de mesures chiffrées implique que la revalorisation et la généralisation promises des contrats doctoraux ne sont rien d’autre que des voeux pieux qui n’engagent personne, ce qui est pour le moins fâcheux dans une Loi dite de “Programmation Pluriannuelle” de la Recherche.

      Dans sa contribution aux groupes de travail sur la LPPR, la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC) a calculé que la généralisation des financements dédiés pour les seul·e·s doctorant·e·s en Lettres et SHS représente un effort financier de 726,2 millions d’euros sur les six prochaines années (4). Cet effort permettrait de financer les 3 875 contrats manquants pour les doctorant·e·s qui débutent chaque année une thèse en Lettres et SHS.

      Par conséquent, au vu des besoins, l’absence d’engagement chiffré dans les rapports amène l’ANCMSP à conclure que la LPPR ne prévoit en aucun cas de résorber la précarité des doctorant·es dans l’ESR. Les sommes annoncées par F. Vidal lors de ses voeux (26 millions d’euros) afin de réduire la précarité des “jeunes chercheurs” (qui sont en fait les MCF et CR nouvellement recruté·e·s, et non les doctorant·es ou docteur·es) apparaissent dérisoires, sinon insultantes.

      L’ANCSMP appelle à un véritable plan de financement pluriannuel afin que chaque doctorant·e en science politique, en Lettres et SHS et dans toutes les autres disciplines bénéficie d’un financement dédié pour réaliser sa thèse.
      Sur ce que ne disent pas les rapports : les vacations et la question de l’enseignement

      Nous partageons donc les constats énoncés par les rapports sur la situation de trop grande précarité des chercheur·se·s non-titulaires. Mais quand les rapports se posent les bonnes questions, leurs réponses sont en revanche peu intelligibles. L’ANCMSP s’inquiète de l’absence au sein des trois rapports de la question de l’enseignement, qui se trouve pourtant au coeur des dysfonctionnements de l’ESR.

      En effet le gouvernement prétend faire une loi sur la recherche universitaire sans jamais parler d’enseignement (à l’exception de la proposition tant critiquée de faciliter la modulation de services des EC titulaires). L’expansion désastreuse du recours aux Attachés Temporaires Vacataires (ATV) et aux Chargés d’Enseignement Vacataires (CEV) pour pallier les manques d’effectifs enseignants ne fait ainsi l’objet d’aucune ligne. Pourtant, les universités françaises ne fonctionneraient simplement pas sans les quelques 130 000 vacataires qui y enseignent dans des conditions inadmissibles (5).

      Puisque les rapports ne fournissent aucun chiffre sur les enseignant·e·s précaires, en grande majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s payé·e·s en-dessous du SMIC pour effectuer un travail équivalent à celui de chercheur·se·s sous contrat, l’ANCMSP rappelle les points suivants :

      En France, les enseignant·e·s vacataires représentent plus de 130 000 personnes, sur lesquel·le·s repose une immense part des enseignements de premier cycle. Parmi ces enseignant·e·s, 17 000 effectuent au moins 96 heures équivalent TD, soit la moitié d’un service de MCF (6).

      Ces enseignant·e·s vacataires sont rémunérés à la tâche, non mensuellement mais une à deux fois par an en fin de semestre, à hauteur de 9,89 euros brut l’heure de travail effectif - soit 26 centimes en dessous du SMIC horaire depuis le 1er janvier 2020 (7). Ils ne bénéficient d’aucune protection sociale (chômage, maladie, congé parental), ni ne peuvent justifier de feuilles de paie régulières ou d’un statut de personnel de l’université.

      Ces “postes” invraisemblables sont en très large majorité occupés, rappelons-le, par des doctorant·e·s et des docteur·e·s non-financé·e·s pour leurs recherches, dont la part est bien supérieure en SHS qu’ailleurs (60% des doctorant·e·s).

      Dans ces conditions, alors que les effectifs d’étudiant·e·s augmentent chaque année, tandis que le nombre de postes titulaires mis au concours diminue, et que le recours aux travailleur.se.s précaires ne fait que s’accroître, l’ANCSMP s’interroge sur ce que signifie “l’attractivité de l’emploi scientifique” pour le gouvernement. Tolérer un recours aussi abusif à la vacation, c’est en effet faire peu de cas de l’attractivité des métiers de la recherche et de l’enseignement. C’est également mépriser ce que devrait signifier l’apprentissage universitaire, quand celui-ci repose en grande partie sur des enseignant·e·s employé·e·s dans des conditions indignes.

      Nous attendons d’une réforme budgétaire de l’ESR qu’elle redonne son sens initial au mot vacations : des contrats pour des interventions extérieures exceptionnelles ; et que celles-ci soient remplacées par des recrutements, a minima en CDD d’enseignement pour tou.te.s les vacataires ATV. Nous nous étonnons que, malgré l’expertise produite par l’ANCMSP et la Confédération des Jeunes Chercheurs depuis plusieurs années, et la connaissance détaillée de cette situation catastrophique des chercheur·se·s non-titulaires, ces dernier·e·s se trouvent systématiquement absent·e·s des allocations budgétaires et des revendications corporatistes de titulaires.
      Conclusion : Que vaut l’ESR ? 2 SMIC et des cacahuètes

      Les réformes proposées par la LPPR partent du constat - partagé par l’ANCMSP - du sous-financement de l’ESR. Mais les solutions évoquées dans les rapports sont grotesques et les rares propositions budgétaires plus qu’en-deçà de la situation. Il serait temps de réfléchir à l’endroit où doit aller l’argent.

      Si le statut des MCF et CR en début de carrière peut être considéré problématique, celui des enseignant·e·s vacataires n’est simplement plus tolérable. Comment Mme Vidal peut-elle se réjouir de faire (faussement) passer le salaire des MCF et CR en début de carrière au double du SMIC, alors que des milliers d’enseignant.es chercheur·se·s sont des précaires payé·e·s en dessous du SMIC ?

      Même cette revalorisation du salaire des MCF et CR nouvellement recruté·e·s à deux SMIC promise par F. Vidal lors de ses voeux est un leurre grossier (8). Personne ne peut se réjouir de ces annonces mensongères : divisée par le nombre total d’agent·e·s employé·e·s dans l’ESR, l’enveloppe promise de 92 millions d’euros distribués en primes ne représente en moyenne que 38€ brut / mois par personne (9)... Cerise sur le gâteau, les propres chiffres du gouvernement montrent que les enseignant·e·s-chercheur·e·s verront leurs retraites diminuer si le projet de réforme actuel est adopté (10).

      Au vu du montant ridicule des sommes annoncées par F. Vidal pour les "jeunes chercheurs", l’ANCSMP doute fortement que l’objectif promis par la Stratégie de Lisbonne de consacrer 3% du PIB à la recherche soit tenue par la LPPR. Seule une augmentation réelle du budget public consacré à l’ESR (3% du PIB, au rythme de 3 milliards d’euros supplémentaires par an sur les dix prochaines années, ainsi que le revendique l’intersyndicale de l’ESR) permettrait d’en finir avec la précarité des “jeunes” chercheur·se·s, redonner son “attractivité” à la recherche publique et recruter de manière pérenne les personnel·le·s enseignant·e·s chercheur·e·s et BIATSS qui manquent actuellement.

      L’enveloppe de 118 millions annoncée par le Ministère pour les “jeunes” chercheur·se·s et la “revalorisation” indemnitaire des carrières représente donc une goutte d’eau dans l’océan des besoins actuels. Par ailleurs, même à considérer le flou entretenu autour du chiffrage des différentes mesures, l’extrême modestie de cette somme doit être appréciée au regard des besoins financiers induits par les autres propositions des rapports, à savoir :

      passer de 680 millions à 1,2 milliards (fourchette basse), voire 2,7 milliards d’euros (fourchette haute) pour financer l’ANR

      créer 150 “tenure-tracks” annuelles pour les chercheur·se·s “excellent·e·s” (non chiffré)

      contractualiser l’ensemble des doctorant·e·s (726,2 millions d’euros sur les six prochaines années) et docteur·e·s (via le CDD jeune chercheur - non chiffré).

      Ces dernières mesures (contractualisation des doctorant·e·s et docteur·e·s), si elles sont appliquées, sont les mesures les plus urgentes pour en finir avec les conditions de travail inacceptables que vit la majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s en LSHS (recherche non-financée, contrats précaires, vacations). Sans cet effort financier significatif, les doctorant.es et les docteur.es resteront les laissés pour compte de l’Université française.

      L’ANCMSP invite donc l’ensemble des titulaires et non-titulaires à se demander : que vaut l’ESR et dans quelles conditions acceptons-nous de travailler ? Faut-il, sous prétexte d’obtenir une revalorisation de quelques salaires des MCF et CR, accepter de faire l’impasse sur la situation des précaires de l’ESR, sur lesquel·le·s repose une part croissante de l’enseignement et de la recherche ? Pour l’ANCMSP, les calculs sont faits. Les questions de fusion des corps, de modulation de service ou de suppression du CNU, si elles doivent être posées, ne nous semblent pas constituer les premières des urgences. Sans, à court terme, l’abrogation du “statut” de vacataire (ATV), la contractualisation de tou·te·s les doctorant·e·s, et la création d’un statut de post-doc véritablement protecteur pour les docteur·e·s ; sans, à moyen terme, une création massive de postes titulaires, pour combler les 8 700 à 12 250 postes d’EC manquants pour l’ESR, les métiers et le service public de l’enseignement supérieur et la recherche continueront de se précariser (11).

      –-

      (1) Frédérique Vidal, Discours prononcé lors de la Cérémonie des vœux à la communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 21/01/20

      (2) Le Monde, “Le gouvernement annonce une revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Les Echos, “Le gouvernement annonce une forte revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Liberation, “Deux smic à l’embauche pour les jeunes chercheurs dès 2021”, 22/01/20

      (3) Voir sur ce dernier point : Julien Gossa, “LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?”, Blog EducPros, 18/01/20.

      (4) Contribution de la Confédération des Jeunes Chercheurs au GT2 LPPR, 31/05/19.

      (5) https://cjc.jeunes-chercheurs.org/positions/communique-2019-05-23.pdf

      (6) https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires

      (7) https://ancmsp.com/les-vacataires-sous-le-smic-mobilisons-nous

      (8) Compte-tenu de leur ancienneté dans l’emploi public (contrat doctoral, contrats de post-doctorat etc.), le salaire d’entrée actuel des CR et des MCF se situe entre le 2e (1,6 SMIC) et le 3e échelon (1,8 SMIC) et non au 1er (1,4 SMIC). L’embauche directe au 4e échelon (2 SMIC) ne représente donc nullement un doublement du salaire des nouveaux CR et MCF. Une véritable revalorisation aurait consisté à revoir à la hausse les grilles salariales et à dégeler le point d’indice pour l’ensemble des postes. Sur ce point, voir également : Groupe Jean-Pierre Vernant, “Désenfumage”, 05/01/20.

      (9) Selon le Bilan Social du Ministère, l’ESR comptait en 2017-2018 un total de 199 686 agents toutes catégories confondues (vacataires non-inclus)

      (10) https://www.aefinfo.fr/depeche/620618

      (11) Voir nos estimations sur le nombre de postes manquants auxquels pallient les embauches d’enseignant·e·s vacataires ou en contrat LRU : https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires. Ce sont environ 84 postes en science politique et 150 postes en sociologie que les vacataires et enseignant·e·s LRU remplacent dans des conditions de travail déplorables.

      https://ancmsp.com/lppr-2-smic-pour-les-titulaires-des-cacahuetes-pour

    • Liste des #dispositions_législatives relatives à l’ESR votées depuis mai 2017

      Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) n° 2018-166 du 8 mars 2018
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-193.html
      Article 1
      Les universités peuvent sélectionner leurs étudiants. Par dérogation au principe général de libre accès aux documents administratifs, les critères de sélection des dossiers de candidature, y compris lorsque le traitement est automatique, ne sont pas communicables aux tiers.
      Article 9
      « Les établissements d’enseignement supérieur mettent en œuvre un enseignement modulaire capitalisable ».
      Article 12
      Création de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Le montant perçu par les universités est soumis à un plafond défini chaque année par la loi de finance.

      Loi relative à la protection du secret des affaires n° 2018-670 du 30 juillet 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-388.html
      L’article premier de cette loi donne une acception très large à la notion d’affaires et donc à la protection des produits et des informations des entreprises. Cet élargissement risque de leur donner de nouveaux moyens judiciaires pour mettre en œuvre des procédures dissuasives contre les lanceurs d’alertes et les chercheurs.

      Loi pour un État au service d’une société de confiance n° 2018-727 du 7 août 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-259.html
      Article 28 (n° 52 de la loi promulguée)
      Cet article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures expérimentales sur :
      -- de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et de leur regroupement ;
      -- de nouveaux modes d’intégration, sous la forme d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel regroupant plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui peuvent conserver ou non leur personnalité morale pendant tout ou partie de l’expérimentation.
      L’expérimentation est menée pour une période maximale de dix ans. Elle fait l’objet d’une évaluation par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Dans un délai de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un premier bilan des expérimentations engagées dans ce cadre, recensant les différentes formes juridiques adoptées par les établissements et identifiant les voies adaptées afin de les pérenniser, le cas échéant.
      Ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037800979&categorieLien=id
      Elle comprend 22 articles.
      Article 6
      Cet article permet à l’établissement public expérimental de déroger à la règle de la majorité du conseil d’administration et l’autorise, de façon dérogatoire, à exercer des prestations de service, à prendre des participations, à créer des services d’activités industrielles et commerciales, à participer à des groupements et à créer des filiales.
      Article 7
      Cet article règle les relations entre l’établissement public expérimental et ses établissements-composantes. Il organise les transferts de compétences et la représentation de l’établissement public expérimental dans les conseils d’administration des établissements-composantes pour :
      -- « vérifier qu’ils respectent sa stratégie » ;
      -- « émettre un avis sur les candidatures recevables aux fonctions de dirigeant » ;
      -- « soumettre à l’avis ou à l’approbation d’une de ses instances collégiales tout ou partie des recrutements ».
      Article 9
      « Les statuts de l’établissement public expérimental définissent le titre, les modalités de désignation et les compétences de la personne qui exerce la fonction de chef d’établissement ».
      Les autres articles portent sur des procédures dérogatoires pour la composition du conseil d’administration, le comité technique ou les relations avec l’autorité de tutelle.
      Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été enregistré par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2019, mais n’a pas encore été voté :
      http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl1627.asp

      Selon le Gouvernement, douze sites universitaires ont exprimé leur intérêt pour cette démarche expérimentale. Dix décrets ont déjà été pris pour permettre à des établissements de mettre en œuvre les dispositions de l’ordonnance :
      -- Université de Paris, décret n° 2019-209 du 20 mars 2019 :
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038252458&categorieLien=id
      -- Institut polytechnique de Paris, décret n° 2019-549 du 31 mai 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038535183/2020-02-11
      -- Université Côte d’Azur, décret n° 2019-785 du 25 juillet 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038821787/2020-02-11
      -- Université Polytechnique Hauts-de-France, décret n° 2019-942 du 9 septembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039070284/2020-02-11
      -- CY Cergy Paris Université, décret n° 2019-1095 du 28 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039287925/2020-02-11
      -- Université Grenoble Alpes, décret n° 2019-1123 du 31 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039306168/2020-02-11
      -- Université Paris-Saclay, décret n° 2019-1131 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323233/2020-02-11
      -- Université Paris sciences et lettres, décret n° 2019-1130 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323049/2020-02-11
      -- École nationale supérieure des mines de Paris (Mines ParisTech), décret n° 2019-1371 du 16 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039630764/2020-02-11
      -- Université Gustave Eiffel, décret n° 2019-1567 du 30 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039701273/2020-02-11

      Loi relative au Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), n° 2019-486 du 22 mai 2019
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-028.html
      Article 41 (n° 119 de la loi promulguée)
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205001.html#R41
      Article 41 bis
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205003.html#R41bis
      Les dispositions de ces deux articles sont destinées à renforcer celles de la loi dite « Allègre II ». Elles facilitent la création d’entreprises pour « valoriser des travaux de recherche ». Les chercheurs peuvent consacrer la moitié de leur temps de travail à leur entreprise.
      Ils peuvent aussi participer aux organes de direction des entreprises et en tirer rémunération. L’avis de la commission de déontologie sur ces participations devient facultatif. Ces articles fixent de nouvelles règles sur la copropriété des découvertes ou des brevets. Les chercheurs peuvent conserver une part dans leur capital de leur entreprise, après leur réintégration dans leur corps d’origine.
      Loi dite « Pour une école de la confiance » n° 2019-791 du 26 juillet 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-323.html
      Article 10 (nos 43 à 46 de la loi promulguée)
      Création des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) en remplacement des ÉSPÉ. Ces instituts sont dirigés par des directeurs nommés par les deux ministères de tutelle et le programme pédagogique de la formation obéit à un cadrage national définit par l’Éducation nationale. Est ainsi créée, au sein de l’université, une entité qui échappe à son autonomie.
      Article 16 (n° 52 de la loi promulguée)
      https://www.senat.fr/seances/s201905/s20190517/s20190517018.html#Niv3_art_Article_16
      Bel exemple de « cavalier législatif » : « les statuts d’un établissement public d’enseignement supérieur peuvent prévoir que le président ou le directeur de l’établissement peut présider la formation restreinte aux enseignants-chercheurs du conseil d’administration ou du conseil académique ou des organes en tenant lieu ».

      Loi de transformation de la fonction publique n° 2019-828 du 6 août 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-532.html
      Article 3 (n° 4 de la loi promulguée)
      Création d’un comité social d’administration du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’une formation spécialisée pour les enseignants-chercheurs et les assistants de l’enseignement supérieur.
      Article 8 (n° 17 de la loi promulguée) : le contrat de projet
      « Les administrations de l’État et les établissements publics de l’État autres que ceux à caractère industriel et commercial peuvent, pour mener à bien un projet ou une opération identifié, recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. Le contrat est conclu pour une durée minimale d’un an et une durée maximale fixée par les parties dans la limite de six ans. Il peut être renouvelé pour mener à bien le projet ou l’opération, dans la limite d’une durée totale de six ans. Le contrat prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’État ».
      Ce nouveau contrat est l’équivalent du CDI de chantier, pratiqué dans le privé. Il constitue une alternative au CDD de droit public. Il n’ouvrira pas le droit à bénéficier d’un CDI au terme d’une durée de six ans, conformément à la loi dite Sauvadet. Un bilan des possibilités de recrutement de contractuels dans la fonction publique est disponible dans le rapport du Sénat : https://www.senat.fr/rap/l18-570-1/l18-570-111.html
      Le décret qui fixe les conditions d’application de ces dispositions n’a pas encore été pris.
      Articles 9, 9 bis, 10 (nos 18, 19, 21 de la loi promulguée)
      L’article 18 de la loi élargit la possibilité de recruter des agents contractuels dans la fonction publique de l’État sur la majorité des emplois permanents.
      Le décret d’application de ces articles a été publié et ces dispositions sont applicables depuis le 1er janvier 2020.
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039654288&categorieLien=id
      Article 15 ter (n° 33 de la loi promulguée)
      « Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire est présidé par un conseiller d’État désigné par le vice-président du Conseil d’État ».
      Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette disposition ce qui démontre la fragilité du principe de liberté académique.
      https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2019-790-dc-du-1er-aout-2019-communique-de-presse
      Article 16 (n° 34 de la loi promulguée)
      L’avis donné pour la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprises et aux activités des entreprises existantes n’est plus donné par la Commission de déontologie de la fonction publique, mais par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

      #liste #lois #loi

      Reçu par email, le 11.02.2020

    • À la conquête du « meilleur des mondes » – à propos de la Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche (LPPR)

      Entre le « meilleur des mondes » parfaitement programmé d’Aldous Huxley, et un monde fait uniquement pour les « meilleurs », la frontière est ténue. Ainsi le monde de la recherche, acculé depuis les années 2000 par toutes sortes de réformes « darwiniennes », dont la très néolibérale LPPR constitue en quelque sorte la suite logique. Face la dystopie de la normalisation rampante jusque dans les laboratoires, il faut résister.

      Depuis quelques semaines, on peut lire dans les journaux et sur Internet, ou entendre à la radio, de multiples interventions et protestations contre la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche. La ministre s’est même crue obligée déjà de lancer des contre-feux et d’apaiser les craintes à son avis excessives de la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs.

      On tentera ici de sortir des arguments déjà échangés, maintes fois utilisés aussi à propos d’autres moments critiques dans les relations houleuses entre le monde universitaire et de la recherche et les gouvernements successifs. Les hasards du calendrier font parfois bien (ou mal, selon le point de vue) les choses. Au cours du mois de mars, va s’ouvrir le procès Fillon, dont il n’est pas besoin de rappeler l’origine.

      Ce qu’on a peut-être oublié, c’est que cet homme politique, maintenant retiré des affaires publiques pour les affaires privées, fut, en son temps, ministre de la recherche, confronté au mouvement « Sauvons la recherche » qui déjà protestait contre une autre loi de programmation en 2003-2004. Il lança un certain nombre des réformes dont la LPPR est en quelque sorte le point d’aboutissement. C’est à lui notamment qu’on doit tous ces acronymes (à déclinaison variable) qui rendent le discours sur la recherche et l’enseignement supérieur totalement opaque aux profanes : ANR, AERES (aujourd’hui HCERES), etc.

      Il s’agissait alors de tuer à petit feu ce qui était insupportable à la droite depuis sa tentative ratée de suppression du CNRS en 1986 : les grands organismes de recherche nés dans l’entre-deux-guerres ou à la Libération pour sortir (déjà) l’université de son marasme et de son incapacité à s’ouvrir aux nouvelles disciplines et aux nouveaux champs de recherche. Pour les libéraux, cette recherche d’État, destinée à refaire de la France après 1945 un pays d’invention et d’innovation puisque les entreprises en avaient été incapables, était un casus belli puisqu’elle démontrait l’échec du laissez-faire antérieur.

      Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang.

      En outre, ce milieu de la recherche était alors clairement orienté à gauche (voire communiste si l’on pense au premier directeur d’après guerre du CEA, Frédéric Joliot-Curie). La gauche socialiste avec Jean-Pierre Chevènement au début des années 1980 avait aggravé l’image de cet espace original en fonctionnarisant les chercheurs qui jusque-là, pour la plupart, n’avaient qu’un statut précaire et contractuel mais qui s’en sortaient néanmoins grâce aux recrutements, alors massifs, dans les universités en croissance ou dans une industrie française encore en forme.

      Au même moment, la loi Savary de 1984 réorganisait les corps universitaires et confortait les enseignants-chercheurs de rang B dans un statut, sinon enviable, du moins bien supérieur à celui de leurs homologues des pays étrangers, au point que la France a attiré depuis cette époque nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs de valeur que la précarité et les crises dans leur propre pays (ainsi l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne) avaient empêché d’avoir des carrières normales.

      Il fallait rappeler tous ces épisodes pour éclairer la crise actuelle et les réactions massives provoquées par les nouveaux projets. Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire et de recherche à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang en détricotant cinquante années d’une politique où l’État a joué un rôle central pour compenser le manque d’allant de l’industrie et des fondations privées à jouer leur rôle, comme c’est le cas aux États-Unis, en Allemagne ou au Royaume Uni.

      Nos milliardaires se portent bien, nous sommes même conviés à nous en réjouir puisque les journaux nous en parlent presque tous les jours, mais ils préfèrent investir leurs profits florissants dans des collections d’art – contemporain ou non, fonder des musées, donner à quelques bonnes œuvres (Notre-Dame leur dit merci !). Mais la recherche et l’université sont pour eux des terres inconnues, sauf s’il y a retour immédiat sur investissement grâce au crédit impôt recherche, cette niche fiscale intouchable dont l’efficacité n’a toujours pas fait ses preuves comme l’indique le pourcentage insuffisant de dépenses de recherche rapporté au PIB dont la part publique n’est pas l’unique responsable.

      Il est loin le temps ou marquises, banquiers et industriels léguaient des millions de francs-or aux universités qui les honoraient en écrivant leurs noms en lettres d’or dans les halls de marbre de leurs palais récemment inaugurés par la Troisième République.

      Il serait pourtant fallacieux, comme on le fait en ce moment, de se limiter à dénoncer une certaine philosophie politique néolibérale répandue à droite et au centre de l’éventail politique et dont on a trouvé même des adeptes à gauche comme l’indique l’incapacité du quinquennat Hollande à rompre avec les « réformes » de l’ère Chirac-Sarkozy. C’est qu’il faut aussi pointer certains groupes académiques qui adhèrent à cette philosophie et l’actuel président du CNRS, Antoine Petit, a dit tout haut ce que se disent entre eux les néo-mandarins adeptes du discours social-darwinien sur l’excellence et l’éjection des « médiocres » du monde compétitif de la recherche internationale.

      Leur point de référence est clair : dans les sciences de la nature aux lourds investissements, il faut de plus en plus d’argent, les budgets publics ne suffisent pas, il faut multiplier les ressources et les partenariats, avec des parrains multiples ou des accords internationaux. C’est Claude Allègre qui avait lancé le mouvement, incarnation par sa politique et son parcours de cette vision néo-mandarinale.

      Les scientifiques les plus puissants ont besoin de collaborateurs dévoués, tenus en main par la précarité, interchangeables et si possibles toujours jeunes, donc précaires, parce que disponibles pour la compétition. Le chercheur ou l’enseignant chercheur fonctionnaire ou titulaire d’un contrat long n’est pas assez souple et dépendant, il peut refuser un projet, il peut avoir ses propres idées ou ne pas accepter qu’on signe à sa place l’article ou le brevet qui apportera la gloire à celui qui signe en premier parce qu’il est le financeur ou le patron du laboratoire et de l’institut.

      Il est frappant de voir combien les protestations actuelles émanent surtout du secteur des sciences humaines et sociales, pourtant très loin de ces enjeux massifs et où les financements n’ont rien à voir en termes d’échelle. Il faut l’avouer, des organismes comme l’ANR ou les programmes européens ont permis à ces disciplines d’accéder à des ressources très supérieures à celles que pouvaient donner les fonds de recherche des universités ou des laboratoires type CNRS.

      Mais la contrepartie a été l’introduction d’une extrême inégalité entre les équipes, les grandes écoles et les universités plus ou moins dotées et surtout entre les thématiques pratiquées. Même s’il existe des « programmes blancs » (non thématiques), le but de l’ANR ou des autres grands financeurs externes est d’avantager des sujets qui peuvent avoir une résonance « sociétale », comme on dit, en matière d’environnement (un peu d’écologie fait toujours bien) ou de santé publique, et d’éventuelles retombées économiques.

      On voit même des chercheurs ou des universitaires qui bricolent leurs sujets pour essayer de rentrer dans ces « axes » porteurs avec quelques artifices rhétoriques ou l’usage de mots-clés qui doivent attirer les suffrages des experts. Tout cela est un peu dérisoire, traduit des jeux de pouvoir entre centres et périphéries, entre les décideurs et la foule des universitaires et chercheurs ou chercheuses ordinaires qui tentent de jouer ce jeu dont ils et elles savent qu’il est en partie pipé.

      C’est toute cette désillusion qui s’exprime en ce moment face à une aggravation supplémentaire de ces nouveaux usages annoncés de l’argent public pour les financements des laboratoires et des équipes ou les contrats d’embauche précaires. Et qui vont donc encore augmenter la population des précaires, retarder les carrières, pousser au départ vers d’autres pays moins frileux.

      Mais il y a plus grave que ces antagonismes entre générations, entre catégories hiérarchiques, entre les laboratoires et universités de premier rang et les autres, parce que les gouvernements successifs ont été incapables de corriger toutes les dérives nées des empilements de réformes aux effets contradictoires. Après la multiplication des universités et des centres de recherche à partir de la fin des années 1980, pour faire face à la deuxième massification, a été développée une politique inverse de recentralisation autour des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), puis des ComUE (communauté d’universités et d’établissements) et de la floraison des « ex » (Idex, Labex, équipex) pour, affirmait-on, recadrer ce monde protéiforme et lui redonner sa compétitivité internationale, mesurée à l’aune des récompenses qui font référence (Nobel, médailles Fields, prix académiques, classements universitaires, projets internationaux pilotés).

      La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes

      Les fusions d’universités lancées en relation avec la loi Pécresse de 2007 ont commencé à se mettre en place avec les conséquences connues : faire renaître des établissements ingérables où la lutte des disciplines dominantes et dominées occupe l’ordinaire des conseils et des arbitrages et mettre en difficulté financière nombre d’établissement contraints de geler les postes et de recourir aux précaires puisque les budgets ne suivent pas l’augmentation des effectifs.

      Là encore les disciplines littéraires et de sciences humaines se sont retrouvées à la peine face aux dominants (médecins, juristes, scientifiques durs dans tous les sens du terme), à la fois parce que l’autonomie financière a joué au profit de ces derniers pour des raisons prévisibles (leurs besoins sont plus grands, seuls ils peuvent attirer des contrats et en retirer les plus gros bénéfices). Or les taux d’encadrement sont sans rapport aussi bien dans les établissements universitaires que dans les équipes de recherche.

      À partir du moment où la compétition pour les ressources et les fléchages de poste se déroule non entre secteurs homogènes mais entres groupes de disciplines inégalement dotées dès le départ, on sait d’avance que les arbitrages et les rapports de force vont toujours jouer au détriment des mêmes et accroître les inégalités et les tensions entre « pairs » théoriques – qu’il s’agisse d’allocations de thèse, de fléchage des postes, de l’accueil des chercheurs invités, des semestres sabbatiques, des budgets des composantes, etc.

      C’est pourquoi le combat en cours ne se réduit pas à une défense d’un statut et de l’autonomie intellectuelle et sociale qu’il permet. Il vise aussi à défendre la qualité de l’enseignement et de la recherche et à rompre avec la rhétorique fallacieuse de l’excellence auto-proclamée par les puissants du monde académique. La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements orientés par les urgences du moment produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes (budgets gonflés, course aux contrats, science normalisée, délits d’initiés ou plagiats, exploitation des « petites mains »).

      Maints scandales récents le montrent. Ce qui est peut-être bon pour faire de fausses promesses et se faire élire sur des malentendus n’est pas la bonne méthode pour trouver les bonnes questions et les bonnes réponses aux problèmes à long terme de nos sociétés que seuls la recherche et l’enseignement supérieur pourront résoudre parce qu’ils construisent du nouveau et travaillent pour et sur l’avenir. Apparemment, une telle liberté est insupportable aux soi-disant libéraux.

      Ce déclin annoncé au détriment de toujours les mêmes secteurs n’émeut guère, on s’en doute, les dominants des nouvelles règles et les politiques qui les appuient. Il y a bien longtemps que les sciences humaines et sociales n’intéressent plus ces groupes d’autant qu’elles n’annoncent que les catastrophes et les problèmes non résolus que ces politiques et ces règles portent en elles.

      Même les économistes ont perdu un peu de leur aura d’autrefois à mesure que leurs nouvelles figures les plus médiatiques ont adopté un discours très critique face aux politiques officielles théoriquement fondées sur la « science » économique orthodoxe. L’imprévisibilité d’un monde multipolaire et interconnecté rend les modèles standards d’autrefois bien fragiles quand le moindre virus mal détecté en Asie peut mettre à mal les prévisions de croissance des grands organismes internationaux théoriquement les mieux « informés ».

      Dans Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley annonçait une société parfaitement programmée grâce à la biologie et au clonage. Ce cauchemar de normalisation dès la naissance ne s’est pas encore réalisé même si la biologie s’est beaucoup rapprochée de la programmation du vivant. En revanche, la dystopie de la normalisation des comportements grâce aux réseaux sociaux et à « l’intelligence artificielle » ou aux big data est allée beaucoup plus loin que ce que prévoyait le romancier britannique, comme nous l’indiquent tous les jours le règne des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et la mise au service du pouvoir chinois de la reconnaissance faciale pour classer les citoyens méritants ou déviants.

      Il est un point plus fort encore de convergence entre ce « meilleur des mondes » et notre monde fait uniquement pour les « meilleurs », en recherche comme ailleurs, c’est la peur panique de l’esprit critique et donc d’une recherche qui ne soit pas sous contrôle comme elle tend à l’être un peu partout, sauf dans quelques niches comme la France, et en son sein dans les sciences encore humaines et toujours plus sociales.

      https://aoc.media/opinion/2020/02/16/a-la-conquete-du-meilleur-des-mondes-a-propos-de-la-loi-de-programmation-plur

    • LPPR – Derrière les injonctions à publier, une mise en danger de l’#édition_scientifique

      Les rapports préparatoires à la LPPR annoncent d’importantes menaces sur les #publications_scientifiques et la #diffusion_de_la_recherche.

      L’édition scientifique est la grande absente des rapports préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR). Cette absence peut étonner alors même que les trois rapports s’appuient sur une vision de la recherche accordant une place centrale aux logiques d’#évaluation faisant la part belle à la #bibliométrie. L’impensé dissimule une contradiction de taille : l’#injonction_à_publier plus s’accompagne d’une #mise_en_danger de l’édition scientifique.

      L’hégémonie du #financement_par_projet et ses conséquences

      Ce sont en premier lieu les logiques de #financement défendues par la LPPR qui mettent en danger l’édition scientifique. L’hégémonie du financement par projet entre en contradiction avec les exigences de l’édition scientifique tant pour l’expertise et l’accompagnement scientifique que pour la fabrication des ouvrages et revues. La généralisation des #contrats_de_chantier, déjà dénoncée dans la tribune des revues en grève (Le Monde, 29/01/2020), fragiliserait les emplois dédiés à l’édition dans un domaine où le travail s’inscrit dans la durée.

      La LPPR parait ignorer qu’il faut plusieurs années de publications effectives pour qu’une revue ou une nouvelle collection soit reconnue, identifiée par les pairs, mais également pour que les équipes de chercheurs (comités scientifiques, éditoriaux, auteurs) et celles dédiées à la fabrication (secrétaires d’édition, maquettistes…) parviennent à optimiser leurs relations de travail dans un environnement en tension permanente.

      La #temporalité de l’appel à projets n’est pas celle de la #publication. L’intégration de budgets de médiation dans les projets ANR ne semble pas conçue pour financer la publication scientifique : la durée de ces projets ne permet pas, dans un même temps, de mener les recherches et d’en finaliser les publications. De même, les soutiens temporaires annoncés par le plan #science_ouverte ne sont pas en mesure de garantir la pérennité des projets éditoriaux qui choisiraient le modèle de la publication en ligne en #accès_libre.

      La réduction des #financements_pérennes fragilisera un peu plus l’#économie_de_l’édition_scientifique qui n’est pas viable sans soutien public. Alors que l’effort des établissements pour soutenir l’édition scientifique n’est jamais reconnu ou valorisé dans les rapports préalables à la LPPR, que deviendra ce secteur quand l’assèchement des crédits récurrents des laboratoires ne leur permettra plus d’accorder des subventions à la publication ?

      Quant à la concentration prévisible des crédits sur les quelques universités qui bénéficieront du label « unités intensives de recherche », elle ne peut que susciter l’appauvrissement parallèle de l’ensemble des autres établissements. Risque alors de disparaître du paysage de la science tout un écosystème de presses universitaires et de #revues, affaiblissant du même coup le #pluralisme de la recherche comme sa visibilité. Il est douteux d’imaginer que le crowdfunding, comme l’envisage sans rire la nationale science ouverte ((NDLR. Les auteurs désignent ici Open edition centre, USR 2004, qui détient désormais le quasi monopole de la publication électronique en sciences humaines et sociales, alors qu’en France, l’édition numérique a commencé dans un paysage ouvert. Sur ce point cf. Marie-Luce Rauzy, « Un parcours éditorial au service des sciences humaines », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #18 | 2018, mis en ligne le 20 mai 2019, consulté le 14 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/traces/8947 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.8947. Le modèle contributif auquel font allusion l’auteur et l’autrice du texte est le Freemium.)) puisse sérieusement constituer une alternative viable aux #financements_publics.

      Les #SHS particulièrement menacées

      Le rétrécissement des crédits menace tout particulièrement les SHS et plus généralement la #recherche_fondamentale. Le modèle de l’essai y est encore déterminant, le critère de publications d’ouvrages personnels restant souvent décisif dans l’appréciation et l’évaluation des carrières scientifiques. Assigner les SHS à des programmes prioritaires autour de « #grands_défis_sociétaux » fait craindre que le modèle de la #thèse_en_180_secondes l’emporte sur celui de l’ouvrage prenant le temps de dérouler son argumentaire et que le secteur de l’édition universitaire ne puisse y trouver son compte et son équilibre.

      Quelle #science_ouverte ?

      La promotion de la science ouverte et de l’édition scientifique #open_source constitue un enjeu fondamental dans lequel se sont engagées les #presses_universitaires qui proposent déjà des modes de publication diversifiés. Encore faut-il ne pas s’imaginer que la science ouverte puisse exister, elle aussi, sans financements pérennes et sans personnel qualifié qui puisse s’engager au-delà d’un contrat de chantier. Il importe tout autant que la #valorisation de la science ouverte ne se fasse pas au détriment des stratégies d’acquisition des bibliothèques universitaires, ni dans le déni des logiques de publications scientifiquement et collégialement validées.

      ----------------------------

      La logique d’évaluation de la #performance_scientifique qui fonde la LPPR repose sur une absence complète de réflexion sur le #financement des publications supposées appuyer la mesure de cette performance et sur une méconnaissance évidente des conditions effectives de ce travail, supposé immédiat et bénévole. Les 3 rapports de la LPPR projettent en creux l’image d’une publication scientifique fragilisée, précarisée. En ignorant un des acteurs majeurs de la diffusion des savoirs et de la valorisation de la recherche dans la communauté scientifique comme auprès de la société civile, et contrairement aux objectifs affichés, la LPPR offre à la recherche française l’assurance de décrocher du classement international en matière de publications.

      À Saint-Denis,
      le 5 février 2020

      Damien de Blic,
      co-directeur de la collection Libre cours des Presses Universitaires de Vincennes

      Cécile Sorin,
      administratrice provisoire des Presses Universitaires de Vincennes

      https://academia.hypotheses.org/14565
      Publication originale : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/02/LPPR-et-e%CC%81dition.pdf

    • CNESER 19 et 20/11/2019 - Motion BUDGET présentée par le SNESUP-FSU, le SNCS-FSU et le SNASUB-FSU

      Chaque année, la situation des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se dégrade de part d’une #austérité budgétaire prolongée et d’une hausse continue de la démographique étudiante. Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2020 en est une nouvelle illustration. Le sous-financement structurel de l’ESR public est une réalité que le CNESER reconnait et qui est ressenti tous les jours par les collègues dans les établissements.

      Au point où en sont les débats parlementaires, le CNESER considère que le budget de l’ESR pour 2020 est loin de répondre aux besoins réels des établissements et des personnels.

      · La note d’information de la DEPP sur la dépense intérieure d’éducation publiée le 25 octobre 2019 confirme aussi ce constat :

      le coût par étudiant suit une tendance à la baisse depuis 2010 (- 0,8 % en moyenne annuelle). Il est estimé à 11 470€ en 2018, son plus bas niveau depuis 2008. Plus particulièrement, à l’université, le coût moyen annuel par étudiant est de 10 120€ contre 14 180€ pour un étudiant de STS et 15 890€ pour un élève de CPGE ! Un.e étudiant.e sur deux est obligé.e de travailler pour payer ses études. Ce n’est pas acceptable, les universités sont des lieux où l’on doit tout faire pour faciliter la vie des étudiants, et plus particulièrement ceux en situation de précarité, de plus en plus nombreux et souvent invisibles.

      · La réforme des études de santé n’est pas encore totalement financée : La Ministre a précisé lors son audition devant le Sénat que 10 M€ supplémentaires seront peut-être nécessaires « en fonction des besoins ».

      · les mesures indemnitaires PPCR ne sont pas budgétées à la hauteur des annonces initiales (+38M€ pour 200000 agents alors que les EPST à eux seuls requerraient +28M€ …) et les congés et primes sur la reconnaissance de l’investissement pédagogique.

      · le GVT est estimé à 75 M€ environ. S’il n’est pas financé, comme l’a indiqué la Ministre dans sa lettre-circulaire du 8 octobre 2019 aux présidents d’universités, cela représenterait potentiellement un gigantesque gel d’emplois de 1251 postes pour les universités.

      · Toutes les enquêtes montrent que les personnels sont au bord de l’épuisement face à la surcharge de travail notamment due au manque de moyens ; ils et elles portent les universités à bout de bras et l’effondrement est proche.

      Le compte n’y est clairement pas ! Le CNESER exige des moyens à la hauteur des objectifs fixés. Pour la recherche, avec 2,21% du PIB en 2017, la France est en deçà de l’objectif de 3% fixé par l’UE dans le cadre de la stratégie Europe 2020 et aussi de son propre objectif dans le cadre de la stratégie nationale de la recherche (SNR).

      Quant à la répartition de ce manque de moyens, le CNESER exige un modèle d’attribution des dotations d’établissement permettant de réduire les inégalités, basé sur des critères nationaux clairs et publiquement débattus. La répartition doit permettre une convergence des moyens afin que les taux d’encadrements et l’investissement par étudiant soit comparable d’un établissement à l’autre en fonction des spécificités disciplinaires et non pas en fonction de l’historique de dotation. Le CNESER est légitime pour participer à la construction d’un modèle de répartition et demande la création d’une commission spécialisée à cet effet.

      Abonder les postes, compenser totalement le GVT, prendre en compte l’augmentation de la population étudiante, améliorer les conditions de travail doit être la priorité du gouvernement pour un accueil digne des étudiant.e.s et pour leur réussite. Pour le programme 172 qui finance la recherche et plus particulièrement les organismes de recherche, le PLF 2020 prévoit unbudget de 6,94 milliards d’euros (G€), exactement comme la loi de finance initiale 2019, pas un euro d’augmentation ! Cette stagnation du budget de la recherche représente en fait une baisse de plus de 1 % en tenant compte de l’inflation, et de plus de 2 % par rapport au PIB en euros courants. Les financements affichés supplémentaires de 79,4 M€ sont les suivants :

      · 21 M€ pour le plan Intelligence artificielle

      · 1,4 M€ pour le dispositif Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre)

      · 28 M€ pour les rémunérations des personnels des organismes au titre de PPCR

      · 2,5 M€ pour accompagner la fusion INRA-IRSTEA

      · 4,5 M€ pour les très grandes infrastructures de recherche

      · 12 M€ pour permettre au CNRS de recruter 250 chercheurs, 310 ingénieurs et techniciens ainsi que des doctorants.

      Pour permettre ces financements supplémentaires à budget constant, les crédits de paiement de l’Agence nationale de larecherche (ANR) seront amputés de plus de 120 M€, annihilant une bonne part de l’augmentation de ces dernières années. Le taux de succès de l’ANR va donc toujours rester critique. Ce budget en stagnation jette une lumière crue sur les intentions du gouvernement, qui a par ailleurs déployé de grands efforts de communication sur la préparation d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Il est unanimement reconnu, y compris par les trois groupes de travail qui ont élaboré les rapports de préparation de la LPPR, que les besoins de financement de la recherche publique sont considérables et urgents.

      Le CNESER dénoncent l’hypocrisie du gouvernement et demandent, dès 2020, une augmentation d’un milliard d’euros, effort qui devra être fortement amplifié dans les premières années de la LPPR pour atteindre rapidement les 1 % du PIB pour la recherche publique pour palier au décrochement constaté dans le secteur de la recherche et permettre à la France de raccrocher le groupe des pays européens qui font la course en tête.

      https://www.snesup.fr/article/cneser-19-et-20112019-motion-budget-presentee-par-le-snesup-fsu-le-sncs-fsu-e

      #budget

    • La recherche publique en France en 2019 : Diagnostic et propositions du Comité national

      Extrait des propositions du Comité National (p. 20) :
      Pour le seul CNRS, et s’il l’on veut seulement revenir aux effectifs de personnels scientifiques permanents de 2005, campagnes de recrutement de 400 chercheur·se·s et 700 ingénieur·e·s et technicien·ne·s par an pendant au moins trois ans.

      Pour les universités publiques, si l’on veut augmenter les effectifs d’enseignants-chercheurs dans la même proportion que les effectifs étudiants sur la même période (+ 16%), il faudra environ 3000 recrutements supplémentaires par an pendant (au moins) trois ans, auxquels il convient d’ajouter, en proportion, le recrutement de 2000 personnels BIATSS supplémentaires par an.

      https://www.c3n-cn.fr/sites/www.c3n-cn.fr/files/u88/Propositions_Comite-national_Juillet-2019.pdf

    • Macron perd ses facultés

      Les corps étudiant et enseignant ainsi que tous les autres personnels de l’enseignement supérieur font front commun contre la casse de la recherche publique par le gouvernement.

      L’université a ses précaires que Macron ignore. Mardi 11 février, des collectifs de précaires de l’enseignement supérieur ont fait couler du faux sang sur les pavés parisiens, place de l’Hôtel de Ville. Au sol, une affiche : « La précarité tue. » De Rouen à Montpellier en passant par Nanterre, de nombreuses facs ont multiplié les actions symboliques toute la journée pour faire entendre leur colère face au mépris du gouvernement. « Nous refusons d’être invisibles et de disparaître en silence », clame Mathilde*, doctorante sans poste présente au rassemblement parisien. Depuis des années, les personnels des universités et de la recherche alertent sur leurs conditions de travail. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), dont le contenu doit être dévoilé au printemps, est la réforme de trop.

      Pénalisé·es par le nouveau système des retraites, qui ne calcule plus leur pension sur les six derniers mois de leur carrière mais sur son ensemble, les universitaires se mobilisent depuis décembre. Dans leurs rangs, on dénonce aussi la réforme de l’assurance—chômage, Parcoursup, l’augmentation des frais d’inscription et la LPPR. « Malgré les déclarations d’intention, cet ensemble de réformes n’offre aucune solution à la précarité généralisée mais, bien au contraire, l’aggrave », peut-on lire dans la motion adoptée par la première coordination nationale des « Facs et labos en lutte », qui avait lieu à Saint-Denis, les 1er et 2 février. Le mouvement se consolide à coups de centaines de motions signées par des universités, des laboratoires et des revues scientifiques. « La mobilisation actuelle est à la hauteur de celle de 2009. La vague ne cesse de grossir et les prochains mois seront explosifs », affirme Pascale Dubus, maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

      Les universités souffrent des réformes néolibérales depuis plus de dix ans. En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, a octroyé aux facs une autonomie budgétaire aux effets pervers. « Le budget des facs, c’est 85 % de masse salariale. L’enveloppe prévue par le dispositif n’a pas pris en compte l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires selon leur ancienneté ou leur grade. Par conséquent, le nombre de postes à pourvoir diminue et on emploie des vacataires », détaille Christophe Voilliot, cosecrétaire général du Snesup-FSU, syndicat national de l’enseignement supérieur. Avec un nombre d’élèves en constante augmentation, l’effet de ciseau se fait ressentir dans les amphis. « On est obligé de mutualiser et on se retrouve à donner un cours magistral au lieu de deux. Les salles sont surchargées et les précaires dispensent la majorité des cours », déplore Pascale Dubus. En licence, 70 % des cours sont délivrés par des précaires de l’enseignement supérieur.

      Ces précaires sont des vacataires, jeunes doctorant·es ou docteur·es sans poste qui cumulent recherche et enseignement pour un maigre salaire. « On est payé à l’heure de cours donnée, environ 9 euros. Mais, en réalité, une heure de cours demande trois heures de préparation, en plus de l’administratif », explique Clément, doctorant en histoire à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Surveillance de partiels, secrétariat, rendez-vous pédagogiques, autant de tâches non comprises dans leur rémunération, qui arrive souvent tardivement. « J’ai été payée six mois après mon contrat d’Ater [attachée temporaire d’enseignement et de recherche] », confie Solène, doctorante en histoire. Véronique, comme d’autres, a abandonné sa thèse après avoir enchaîné les jobs pour la financer : « J’ai tout fait : ménage, caissière, accueil dans un musée… Mais j’ai surtout été dégoûtée du milieu universitaire, où règnent la compétition et la cooptation », lâche cette professeure en collège.

      Doctorat en poche, les jeunes chercheurs et chercheuses se heurtent au gel des postes permanents et doivent enchaîner les contrats courts. Les plus chanceux et chanceuses peuvent espérer obtenir leur titularisation vers l’âge de 34 ans, en moyenne. Alors qu’aucun texte officiel n’a encore été publié, des mesures de la future LPPR circulent et font déjà craindre un allongement de cette période de précarité. Parmi les nouveautés, des « CDI de mission » alignés sur la durée d’un projet de recherche. Une autre mesure prévoirait la création de « chaires juniors » en tenure track, c’est-à-dire des contrats à durée déterminée avec possibilité de titularisation si le chercheur ou la chercheuse a fait ses preuves. « Tout cela va accroître la logique de compétition entre nous, au lieu de favoriser une émulation scientifique. On va devoir produire plus, publier plus et plus vite », déplore Gilles Martinet, docteur en géographie.

      Encore faut-il pouvoir le faire. Plus d’une centaine de revues scientifiques sont en grève depuis décembre pour dénoncer la grande fragilité de leur économie. Un rapport du ministère de la Culture, paru le 24 janvier, affirme que la plupart des fonctions essentielles à la rédaction de ces revues, rédaction comprise, ne sont pas rémunérées. Le passage au numérique a augmenté les dépenses de ces publications, déjà victimes de la baisse des abonnements papier et du caractère variable de leurs subventions. « Les revues sont un service public peu connu pour lequel il faut se battre. Il garantit la diffusion d’une grande variété de travaux », clame Claire Sécail, bénévole de la revue d’histoire Le Temps des médias. Aux côtés des « Facs et labos en lutte », les « Revues en lutte » défilent à chaque manifestation contre la future LPPR et ses injonctions néolibérales.

      « En creux de cette future loi se dessine une clientélisation accrue de la recherche », dénonce Gilles Martinet. Trois rapports préparatoires à la LPPR ont été rendus publics et préconisent, entre autres, de renforcer le rôle et les moyens de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Cet organisme fait le tri entre les projets de recherche et décide de l’attribution des financements. « Depuis trop longtemps, la recherche fondamentale est négligée au profit d’une logique de la performance », déplore Jamil Jean-Marc Dakhlia, président de l’université Paris-III Sorbonne-Nouvelle, dans une lettre adressée aux personnels et aux étudiant·es. En plus de cela, les rapporteurs et rapporteuses préconisent d’adosser les dotations des laboratoires à l’évaluation de leurs résultats. En clair, la LPPR entérine une logique « darwinienne » de la recherche, d’après le terme employé par Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

      L’évaluation à outrance de la recherche pose une autre question, celle de son indépendance. « Dans le système actuel, Emmanuel Macron et la ministre Frédérique Vidal comptent sur le Haut Conseil de -l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [HCERES] pour décider de qui est bon et qui est mauvais », rappelait le journaliste Sylvestre Huet au micro de France Culture. Seulement voilà, le président de cette instance a démissionné et laissé son poste vacant. Plus de 5 000 chercheurs et chercheuses du collectif RogueESR en ont profité pour envoyer une candidature collective, afin de « se réapproprier le contrôle sur les valeurs et le sens de leurs métiers », explique une tribune publiée dans Le Monde du 21 janvier. Alors que la recherche valorise l’évaluation des pairs par les pairs, le candidat pressenti pour décrocher la présidence du HCERES n’est autre que Thierry Coulhon, actuel conseiller scientifique à l’Élysée.

      « On n’a aucune confiance en ce gouvernement et en ce qu’il prévoit pour la recherche », assène Pascale Dubus. Le projet affiché par la future LPPR est pourtant vendeur. Il s’agirait d’un réinvestissement « à la hauteur » pour l’enseignement supérieur et la recherche, en y consacrant 3 % du PIB. « Si c’est vraiment une loi budgétaire, elle doit s’inscrire dans le processus budgétaire annuel qui commence actuellement. Le manque de clarté sur le calendrier est irritant », commente Christophe Voilliot. Le Snesup-FSU a réclamé, le 7 février, la publication par le gouvernement d’un avant-projet de loi pour y voir plus clair.

      Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 10 février, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, affirmait à ses « collègues scientifiques » (elle est biochimiste de métier) que leur message avait été « entendu » sur la nécessité d’un investissement massif, sans en détailler les conditions. « La situation nécessite un choix politique fort et non des mesurettes destinées à constituer des rustines qui accroîtront la précarité », argue Anne Roger, cosecrétaire générale du Snesup-FSU. Le syndicat réclame notamment un plan d’emploi scientifique d’envergure de 6 000 personnes par an, sur dix ans, aussi bien pour des postes de chercheurs et de chercheuses que des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques, dits Biatss.

      En attendant, la perspective est celle d’une grève illimitée. Les « Facs et labos en lutte » appellent à « arrêter la recherche » le 5 mars. « En 2009, on a vu les conséquences que pouvait avoir la grève sur les étudiant·es. On ne veut pas les pénaliser, alors il faut s’organiser et les appeler à nous rejoindre », commente Pascale Dubus. Jeudi 13 février, une « déambulation festive » des élèves et des universitaires devait se rendre au Crous de Paris. Pendant deux heures, une nasse policière au Centre Pierre-Mendès-France de Paris-I a empêché les étudiant·es de manifester. Ils et elles ont déjà prévu de gonfler les cortèges des prochaines manifestations intersyndicales.

      Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.

      https://www.politis.fr/articles/2020/02/macron-perd-ses-facultes-41374

      –----

      Et cette magnifique phrase introductive:

      L’université a ses précaires que Macron ignore.

    • Crise dans la recherche : « Je passe 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail »

      Isabelle This Saint-Jean, professeur à l’université Sorbonne Paris Nord et secrétaire national du PS en charge des études, et Raphaël Rodriguez, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe à l’Institut Curie, sont les invités du grand entretien de Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid à 8h20.

      La recherche française est en crise profonde, assure Isabelle This Saint-Jean, notamment sur la question de ses moyens : « Il y a un problème majeur de #sous-financement de la recherche française. Tous les chiffres en attestent, dès lors qu’on fait les comparatifs internationaux, dès lors qu’on regarde au moyen terme. Un problème lié aussi à ce qui se passe dans l‘enseignement supérieur, puisque l’immense majorité des chercheurs sont des enseignants chercheurs. »
      Une crise que ressent aussi sur le terrain Raphaël Rodriguez : « La difficulté majeure que nous avons aujourd’hui, c’est de financer les salaires des gens, les machines qui nous permettent de fonctionner, de payer les consommables : c’est beaucoup de contraintes. Le travail de chercheur devrait être focalisé sur la réflexion intellectuelle, sur des projets ambitieux. Je dois bien passer 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail. Du temps pour mes chercheurs, j’en ai de moins en moins. »

      Pour Isabelle This Saint-Jean, le problème vient du fonctionnement du financement de la recherche, par appel à projets : « On ne peut pas tout ramener à l’idée que le principe de #concurrence est le principe ultime d’#efficacité. Il y a un aveuglement, avec l’idée qu’il faudrait hyper concentrer la recherche. Ça ne fonctionne pas, et les comparatifs internationaux montrent que ce n’est pas comme ça dans des pays cités comme exemples. »

      « L’#échec est absolument indispensable en recherche », souligne Raphaël Rodriguez. « Je pense qu’il faut être capable de prendre des risques et d’échouer. Les gens qui financent doivent accepter le fait qu’on va financer des gens qui peuvent ne rien trouver. Ça rend inutile certaines évaluations : le fait que certaines personnes ont échoué font que d’autres vont réussir ».

      https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-20-fevrier-2020

    • Inquiétudes sur l’avenir de la recherche

      Incertitude sur les financements, précarité accrue : malgré le flou qui l’entoure, la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche suscite de vives craintes parmi les enseignants-chercheurs.

      Le monde de la recherche est en ébullition. Depuis décembre, des enseignants-chercheurs participent aux manifestations presque toutes les semaines, d’autres ont choisi la grève illimitée, des dizaines de revues scientifiques ont cessé leurs publications… En plus de protester contre la réforme des retraites, particulièrement pénalisante financièrement pour eux et leurs collègues du primaire et du secondaire, ces professeurs et chercheurs se mobilisent contre la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui, selon eux, annonce, une précarisation accrue des personnels de l’université.

      Signe que leur mobilisation a porté, la présentation du projet de loi, prévue initialement pour la mi-février, a été repoussée à avril. Mais c’est en partie une victoire à la Pyrrhus, car depuis le gouvernement a verrouillé la communication. « On connaît peu de choses, nous n’avons pas eu beaucoup d’informations du ministère. Et surtout, nous n’avons aucune confirmation écrite », regrette Philippe Aubry, secrétaire général adjoint du SNESUP. « On négocie dans un véritable flou artistique », renchérit Xavier Duchemin chargé du CNRS et des personnels en CDD et CDI au SNPTES. De quoi alimenter encore davantage les rumeurs et peurs que suscite d’ores et déjà la loi dans la communauté des enseignants-chercheurs.
      Darwinisme managérial

      Au moment de son lancement, l’intention paraissait louable, pourtant : avec la LPPR, lancée en février 2019, le gouvernement entend relancer la recherche française en lui octroyant de nouveaux moyens et en la rendant attractive, tant pour les chercheurs internationaux que pour les docteurs français, de plus en plus souvent tentés de partir à l’étranger pour mener leurs travaux. Dans l’Hexagone, les dépenses en recherche et développement plafonnent depuis plus d’une dizaine d’années et ne représentent que 2,3% de son PIB selon l’Unesco. Loin de l’objectif de 3% défini en 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne, qui devait être atteint… en 2010. Et, surtout, loin de pays comme la Suisse (3,2%), la Finlande (3,2%), la Suède (3,1%) ou encore l’Allemagne (2,9%). Mais les premiers rapports rendus et bruits de couloir laissent craindre des contreparties à ces nouvelles mesures qui ne sont pas au goût des chercheurs.

      Dès la fin novembre, le PDG du CNRS Antoine Petit a, il est vrai, jeté un froid en appelant de ses voeux « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. » De quoi braquer d’entrée de jeu des chercheurs qui se sont toujours mobilisés contre les réformes visant à instaurer une recherche à deux vitesses. Car cette logique est déjà en partie à l’oeuvre : selon le rapport sur le financement de la recherche, co-rédigé par Sylvie Retailleau, Cédric Villani et – déjà - Antoine Petit à la demande du gouvernement et remis en septembre 2019, une vingtaine d’universités reçoivent 80% des subsides attribués par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui, depuis 2005 finance une partie de la recherche française sur la base d’appels à projets. Une logique que ce groupe de travail invite à approfondir, jugeant « indispensable d’affirmer que les universités sont des opérateurs de recherche à part entière et que la différenciation entre elles est une réalité. Dans ce cadre, il est légitime de donner la possibilité à celles dont la recherche est intensive et la plus compétitive au niveau mondial de disposer de moyens supplémentaires pour mener une politique scientifique à la hauteur des ambitions de la France ».

      En recherche… de financements

      Lors des 80 ans du CNRS, à la fin de l’année dernière, le président de la République lui-même avait insisté sur la nécessité de mettre en place une politique d’évaluation pour récompenser les recherches les plus performantes. Pour les chercheurs, ce sont justement les critères de cette évaluation qui ne vont pas de soi. Ils craignent en particulier que la recherche dite appliquée, visant un objectif pratique et donc plus facilement valorisable, soit avantagée par rapport à la recherche « fondamentale », n’obéissant qu’à sa propre nécessité (un bon nombre de scientifiques jugeant par ailleurs qu’une telle dichotomie est parfaitement oiseuse).

      Quoi qu’il en soit, pour le ministère, cette revalorisation économique de la recherche passera en grande partie par une augmentation des moyens accordés à l’ANR. Une politique là encore peu appréciée par les chercheurs, qui estiment que la préparation des dossiers de candidatures est très chronophage, pour des résultats hélas bien maigres. « Nous ne sommes pas forcément opposés à une augmentation du budget de l’ANR mais il est essentiel que le taux de réussite des appels à projets passe au moins à 30%. Aujourd’hui, il se situe plutôt entre 10 et 13% en fonction des années », explique Xavier Duchemin.

      Mais concrètement, de quel budget parle-t-on ? Si Emmanuel Macron assurait fin novembre que « les chiffres seraient au rendez-vous », là encore, aucun montant n’a été avancé ou confirmé par le ministère. « On ne nous donne aucun chiffrage. Tant que cela n’a pas été arbitré par Bercy, on ne sait pas du tout où l’on va, explique Xavier Duchemin. Pour atteindre les 3% de Lisbonne, ça coince au niveau du budget de l’Etat. Plus on attend, plus on a tendance à penser que le budget sera réduit à peau de chagrin. Et si cet argent n’est pas mis sur la table, on va avoir du mal à rendre la recherche française attractive ».
      Précarité généralisée ?

      Si aucun montant global n’a été divulgué, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a déjà annoncé une enveloppe budgétaire de 118 millions d’euros dès 2021 destinée à la revalorisation des rémunérations des enseignants-chercheurs, notamment des plus jeunes, sous forme d’augmentation de salaire ou de primes. Une annonce plutôt bien accueillie par les syndicats. Mais, malgré le flou persistant, d’autres mesures annoncées dans la loi de programmation pourraient, elles, faire fuir d’éventuels candidats.

      Le ministère a notamment confirmé la mise en place d’une nouvelle voie de pré-recrutement, les « chaires d’excellence junior », basée sur le modèle de ce que le monde anglo-saxon appelle des « tenure tracks ». « Il s’agirait de déroger au statut de la fonction public et d’engager quelqu’un sous la forme contractuelle pour une durée de 3 à 6 ans en lui fixant un certain nombre d’objectifs. A la fin, un comité évaluerait si les objectifs ont été atteints, et cela détermine la titularisation ou non de l’enseignant-chercheur », explique Philippe Aubry.

      « Si ces contrats sont amenés à se développer, cela peut poser un vrai problème. Ne serait-ce que parce que les universités font évoluer leur politique scientifique : si elles estiment que finalement, elles ont besoin d’un chercheur dans un autre domaine, elles ne vont pas titulariser cette personne alors qu’elle a atteint ses objectifs », poursuit-il. La mise en place de « CDI de projet », autrement dit des contrats de mission scientifique qui s’interrompent à la fin d’un projet de recherche, constitue un autre point de crispation alors qu’une bonne partie du personnel faisant tourner les universités et les laboratoires est déjà sous statut précaire.

      Car derrière toutes ces annonces, la communauté de la recherche craint la suppression progressive des statuts de maître de conférences ou de professeurs des universités, même si le gouvernement assure que cela ne sera pas le cas. « Nous avons dit et répété à la ministre que nous avions déjà tout ce qu’il fallait pour des besoins ponctuels en personnel. Il n’y a pas la nécessité de créer de nouveaux contrats. Reste à savoir avec ce CDI de mission scientifique comment il sera utilisé et s’il sera pénalisant ensuite dans l’accès à la titularisation », précise Xavier Duchemin.

      Malheureusement, chercheurs et enseignants-chercheurs vont devoir prendre leur mal en patience, le syndicaliste jugeant même « fort possible que cela se décide après les élections municipales » – signe que les nouvelles seront probablement mauvaises… Pour conjurer le sort, plusieurs syndicats ont d’ores et déjà appelé à une journée « université morte » le 5 mars prochain.

      https://www.alternatives-economiques.fr//inquietudes-lavenir-de-recherche/00091940

    • Enseigner et chercher au pays des « #Shadoks »…

      Sur la première chaîne de l’ORTF à la fin des années 60, de petites bestioles stupides dotées de longues pattes et d’ailes rabougries passaient leur vie à pomper sur des machines inventées par le professeur Shadoko, devin plombier, dont l’ambition était notamment de créer le mouvement perpétuel. La série résolument avant-gardiste et insolente avait déclenché l’agacement de nombre de téléspectateurs pour devenir culte quelques années plus tard. Incarnant l’absurdité des tâches laborieuses dépourvues d’objectifs clairs, les pauvres Shadoks s’abîmaient sous la férule de chefs ignorants dont la devise « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ou les conseils « En chassant les frottements, la mécanique devient parfaite », semblent tristement caractériser la situation critique dans laquelle le monde de l’enseignement et de la recherche s’asphyxie depuis plus d’une décennie.

      Tandis que nos ministres de tutelle font mine d’ignorer la #colère de tout un secteur professionnel à bout de souffle, dont les tâches ancillaires ne cessent de se multiplier au détriment du temps accordé à la transmission des savoirs et à l’émergence de la connaissance, les motions, tribunes, manifestations, pétitions, happenings, grèves bourgeonnent dans tout l’Hexagone sans qu’une réaction digne de ce nom ne vienne combler les attentes urgentes d’un personnel dont la colère n’a d’égal que le #mépris par lequel il est traité.

      Il faut dire que si le projet de réforme du #Capes, la #réforme_du_baccalauréat, et les pré-rapports de la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche ont allumé la mèche, la fusée incendiaire était déjà bien armée depuis la #LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités) de 2007. Dans la logique visant à réduire les #dépenses_d’État, la LRU, qui a donné l’#autonomie aux universités sans les moyens, n’a cessé d’accentuer les tensions internes entre administrateurs et gouvernés. En particulier, le transfert de la #masse_salariale aux universités s’est traduit par des #gels_de_postes de titulaire, des #non-renouvellements à la suite des départs en retraite, et des recours massifs aux #vacataires et #précaires, sous-payés, quand ils le sont. Dans le même mouvement, les rivalités externes entre sites, préfigurant la volonté affichée du PDG du CNRS d’appliquer au monde de la recherche « une loi inégalitaire, concurrentielle et darwinienne », se sont exacerbées. Avec une masse salariale réduite, il faudrait par ailleurs, pour rayonner, trouver les moyens de recruter des #stars_internationales, sur des #chaires aux salaires attractifs. C’est évidemment faire insulte aux collègues en poste, qui ne seraient pas assez bons, et aux docteurs et candidats dont on estimerait qu’ils ne feraient pas l’affaire face à quelques gloires débauchées dans des universités anglo-américaines. De ce point de vue, les #PIA (#Programmes_d’investissement_d’avenir, depuis 2010), et plus récemment la #loi_Fioraso ont pavé la route des universités de « #recherche_intensive », dotées de #Graduate_Schools qui permettront à certaines universités de caracoler au top des établissements dotés d’#Idex, d’#I-Site, de #Labex, etc., tandis que les autres se contenteront d’#enseignements_au_rabais, déconnectés des sites de recherche, dans une structure dualisée de collèges d’enseignements de premier cycle à cheval sur le lycée et le bac réformé, autrement dit les fameux parcours -3/+3. Le modèle est d’ailleurs bien enclenché, avec un CNRS qui depuis longtemps concentre l’essentiel de ses moyens sur une dizaine de gros sites universitaires, qui sont aussi ceux ayant obtenu les IDEX (#Initiatives_d’excellence du PIA)… #The_winner_takes_it_all. Comme l’avait souligné #Danielle_Tartakowsky dans son ouvrage Construire l’université au XXIe siècle, il faudra donc craindre pour les universités les mêmes stratégies de contournement d’établissements dont est victime aujourd’hui le secondaire. La fin de l’#égalité_de_traitement entre sites, et donc entre élèves, avec cette réforme du bac, au sein de laquelle chaque établissement a finalement composé un jeu d’épreuves à la carte, achève cette casse systématique de la #méritocratie_républicaine. Très concrètement, alors que certaines formations master-recherche seront arrosées de moyens pour emmener les étudiants vers des #doctorats adossés eux-mêmes à des « #missions_scientifiques » post-doctorales gagées sous le sceau de l’éphémère (statuts précaires, vacations d’enseignements, et maintenant #tenure_track, c’est-à-dire contrats à durée déterminée sur objectifs de levée de fonds et de publications), les filières plus ordinaires et humbles vivoteront pour, par exemple, former à des concours d’enseignement pour lesquels les candidats se font de plus en plus rares. Et ça tombe bien, puisque le Capes pourrait subir lui-aussi une réforme le vidant de son contenu disciplinaire, pour transformer les futurs professeurs en animateurs scolaires.

      Il ne faudrait donc surtout pas croire que les projets actuels sont uniquement le fruit d’un amateurisme qui toucherait de façon erratique différentes catégories professionnelles dont les métiers ne sont pas tout à fait les mêmes. Ces réformes sont systémiques, organisées depuis plus de dix ans, parfaitement cohérentes, et touchent l’ensemble de nos formations, de l’école élémentaire à l’université. Il faut les rapprocher et les décoder pour en comprendre la logique délétère et c’est précisément le but de cette tribune. Ces décisions appliquent le #new_public_management, un ensemble de #réformes imposant aux #services_publics les modalités de #contrôle et de #gouvernance du #secteur_productif_privé, sur le modèle qu’a subi l’hôpital public, définissant des objectifs de #retours_sur_investissement, alors même que la #recherche et l’#éducation sont, dans une société, des #investissements sur l’avenir, par nature incommensurables. À l’aune du #classement_de_Shanghai ou des critères d’#internationalisation du #Times_Higher_Education, ces réformes consistent à faire de la #mesure un objectif à atteindre et à gouverner en fonction des #indicateurs (nombre de publications, nombre de recrutements internationaux, nombre de prix Nobel, d’ERC, et d’IUF, taux d’encadrement, taux de réussite, taux d’achèvement des thèses). Il s’agit non plus d’accompagner vers les #projets, mais de #pénaliser les départements et disciplines qui n’atteignent pas les objectifs, en imposant à la fois des logiques d’#excellence, de mise en #concurrence des sites et des établissements, en reportant les logiques d’arbitrage de #budgets d’#austérité sur les collègues et les directions, en assurant l’écrasement des collègues sous la multiplication des tâches de « #remontée_d’indicateurs », au détriment évidemment des fondamentaux du service public d’enseignement et de la recherche. Une #perte_de_sens aux conséquences dramatiques est au cœur de ce système. La candidature collective de plus de 5 000 collègues à la présidence du HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation et de la Recherche de l’Enseignement Supérieur) à l’initiative du collectif RogueESR, s’est organisée dans cet esprit : il s’agit de reprendre le #contrôle_collectif des modalités d’appréciation et de gestion des métiers de l’éducation, systématiquement orientés vers une logique du secteur marchand (l’#économie_du_savoir). Car nous ne sommes pas dupes : il y aurait pour certains acteurs de l’argent à se faire si les universités rejoignaient le #modèle_concurrentiel et payant des écoles de commerce et des MBA, au détriment bien évidemment des étudiants et des élèves, futurs étudiants de l’université. Il faut donc être lucide et rassembler les pièces de ce puzzle complexe pour comprendre et dénoncer une #destruction du navire éducatif, de la cale au nid-de-pie, de la maternelle au doctorat !

      Lorsque les enseignants-chercheurs expliquent qu’ils n’en peuvent plus de répondre à des #appels_à_projets, de remplir des dossier d’évaluations, de construire des maquettes de licence détricotées systématiquement tous les 4 ou 5 ans, de multiplier les lettres de soutien pour des post-docs condamnés à une longue, voire définitive précarité [3], courant d’un CDD à l’autre à travers le monde, leurs collègues du secondaire font face à des réformes dont les conséquences sont funestes sur la qualité des enseignements donnés. Tandis que les #E3C (#Épreuves_communes_de_contrôle_continu) qui visaient à alléger l’organisation du #bac ont été imposées à marche forcée et de manière brutale dans certaines académies, sans anticipation, sans préparation, sans concertation, forçant les enseignants à sacrifier le temps des apprentissages sur l’autel de l’#évaluation_permanente, les élèves angoissés par les sélections de #ParcourSup doivent se positionner et sélectionner des formations, dans un brouillard total, sans construire leur savoir avec le temps et l’attention qu’ils méritent. Lorsque les jeunes chargés de TD de l’université crient leur détresse face à des salaires de misère et payés au lance-pierre, plusieurs mois après les missions dans de nombreux cas, que les enseignants-chercheurs confirmés explosent les 50 heures par semaine pour des rémunérations qui les placent à 63% du salaire correspondant des pays de l’OCDE, les jeunes professeurs des écoles en France tout comme les professeurs du secondaire se placent au 20e rang des pays de l’OCDE, avec des rémunérations 50% moins élevées qu’en Allemagne pour ne donner qu’un exemple. Mais c’est bien connu : l’enseignant est un fainéant, une brave bête qui a trouvé sa vocation et ne se plaint pas (#PasDeVagues), qui a la passion de son métier et qui, dans des conditions matérielles et humaines sans cesse dégradées, se nourrit d’un sourire, d’un remerciement appuyé lorsqu’un de ses jeunes élèves ou étudiants vient lui dire à la fin d’un cours combien il s’en trouve grandi, ou quelques années plus tard qu’il a signé un contrat d’embauche. Après tout, comme le disait le devin #Shadoko « Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles, il faut toujours taper sur les mêmes ». Alors chargeons la mule, continuons à geler le point d’indice, qui n’a pas bougé d’un iota depuis plus de 10 ans, cessons les #recrutements à l’université, tandis que le nombre d’étudiants est en constante hausse, reculons l’âge de la retraite et bien sûr entamons ladite retraite, surtout pour les femmes.

      Contrôler, punir, développer les #inégalités, et diviser pour imposer : voilà les maîtres mots d’une #politique_néolibérale qui ne se cache plus et qui applique de simplistes #lois_de_gestion à un monde de l’éducation et de la recherche dont la richesse réside dans la liberté d’apprendre et la diversité des savoirs. Dans des collèges et lycées où l’enseignement disciplinaire se réduira à une peau de chagrin et dans des universités où les appels à projet de recherche excluent déjà tout ce qui ne relève pas des « #défis_sociétaux » homologués par la « #cellule_stratégique_ministérielle », la #créativité et la #flexibilité qui permettent à l’humanité de faire face, d’innover et de s’adapter à la variabilité du monde, s’étioleront pour laisser place à une société violente, brutale, égoïste et incapable d’assumer l’imprévisible et de s’y adapter [4]. Récemment, Nucio Ordine, professeur de littérature à l’université de Calabre, s’inquiétait de la perte de sens et du #tournant_utilitariste que l’on fait prendre à l’université, et pas seulement en France. [5] L’université n’est pas une école pratique et ne forme pas à un métier, mais le métier est une conséquence des études qu’elle dispense. L’école doit laisser du temps à l’esprit pour penser, réfléchir imaginer. Or, les réformes actuelles s’inscrivent dans une logique du #rendement à court terme qui force les enseignants comme les chercheurs à se couler dans une #culture_du_résultat_immédiat, poussant les élèves et les étudiants à s’auto-exploiter, soumis à la #peur de l’#échec et de la voie sans issue. Des exigences immédiates de résultats trimestriels dans les E3C, au programme de l’#European_Research_Council de l’Union Européenne, tout est orchestré pour brider la pensée. Alors non Mme Vidal, non M. Blanquer, les prix Nobel ne s’obtiennent pas en 5 ans, les docteurs en sciences humaines n’accouchent pas d’une thèse en 3 ans et un adolescent ne maîtrise pas les ressorts de la construction de la souveraineté nationale en 3 semaines !

      Saluons la manière dont les pré-rapports de la LPPR ont ciblé correctement les problèmes de notre environnement professionnel, mais disons clairement que les solutions préconisées ne peuvent qu’envenimer la situation.

      L’historien sait combien l’homme ne peut se construire sans la connaissance du passé. Le géographe sait combien l’appréhension de l’espace par les sociétés et la construction des territoires, de leurs hiérarchies et des inégalités qui les traversent, le positionne dans le monde. Nos disciplines sont les vigies de ce bateau ivre ; elles ne cessent d’alerter les capitaines que le naufrage est imminent. Contrairement à ce que l’on veut faire croire, nous ne sommes pas figés dans des certitudes passéistes. Mais le changement ne doit pas se faire au prix d’une #dégradation de nos conditions d’exercice et du #sacrifice de ce qui constitue l’ADN de nos professions : la liberté de choisir nos sujets de recherche, le #temps pour en assurer la #transmission_des_résultats. Seul un cadre stable et pérenne permet au chercheur de prendre des risques, de sortir des sentiers battus et … de trouver. Seul un cadre stable et pérenne permet à l’enseignant de développer ses #compétences et de révéler les potentiels et les talents. Pour cela nous appelons, comme nombre de nos collègues, à des #Etats_généraux_de_l’enseignement_et_de_la_recherche, animés, non par des #technocrates hantés par la #culture_d’entreprise, du #management et du #résultat_immédiatement_utile, mais par des femmes et des hommes rompus à l’exercice de métiers qui seuls leur donnent le droit de s’exprimer et de proposer. Le Conseil National des Universités, les sociétés savantes et les associations d’enseignants constituent autant de viviers pour alimenter sereinement et positivement le processus de réforme.

      De la perte de sens à l’expression du bon sens, il n’y a qu’un pas salvateur qu’il faut nous donner les moyens d’accompagner.

      Continuer à nier la #détresse et le #désarroi des enseignants et des enseignants-chercheurs serait sacrifier les forces vives de notre système académique, longtemps envié par les étrangers pour son égalité des chances et l’excellence de ses résultats.
      À moins que nous ne vivions au pays des Shadoks et dans ce cas : « S’il n’y pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ! ».

      https://www.aphg.fr/Enseigner-et-chercher-au-pays-des-Shadoks

      #utilitarisme

    • Les vacataires de l’université sont-ils vraiment payés en dessous du #smic_horaire ?

      Selon des collectifs contre la précarité des enseignants chercheurs, les vacataires de l’enseignement supérieur sont payés en dessous du smic, si l’on se réfère au taux horaire effectif.

      Bonjour,

      Depuis plusieurs semaines, les enseignants vacataires des universités se mobilisent pour dénoncer la précarité de leur métier. Libé a consacré un article à ce sujet, le 12 février, recensant plusieurs témoignages de précaires. La question de leur rémunération y est abordée :

      « Les vacataires, "ceux pour qui c’est le pire", comme le souligne Juliette, touchent 41,41 euros brut de l’heure. "Sauf qu’on est payés uniquement à l’heure de cours donnée !", rappelle Paula, exaspérée. »

      Ces rémunérations sont dénoncées par plusieurs collectifs de l’enseignement supérieur depuis des mois : en temps de travail effectif, les vacataires seraient payés moins que le smic horaire. Ainsi, la Confédération des jeunes chercheurs s’insurgeait, en mai de l’année dernière : « Depuis le 1er janvier 2019, les vacations d’enseignement du supérieur sont payées 17 centimes sous le smic. »

      Les vacataires sont des enseignants auxquels fait appel l’enseignement supérieur, mais qui ne sont pas titulaires de la fonction publique. Il peut s’agir de professionnels qui exercent une activité à côté, et sont invités à intervenir ponctuellement en raison de leur expérience : des chargés d’enseignement vacataires, ou bien des doctorants qui ont encore le statut d’étudiants ou des retraités de moins de 67 ans : il s’agit alors d’agents d’enseignement vacataires. Ceux qui ne sont pas doctorants doivent pouvoir justifier d’au moins 900 heures d’activité rémunérée à côté ou être chefs d’entreprise. « Ça varie selon les universités, mais certaines demandent même à des docteurs qui n’ont pas de postes de se déclarer autoentrepreneurs pour pouvoir les embaucher comme vacataires », dénonce auprès de CheckNews Frédéric Erard, de la CGT Ferc Sup.

      Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le nombre de vacataires s’élève à près de 128 000 en 2018-2019. Les agents d’enseignement vacataires ne peuvent enseigner sur l’année plus de 96 heures de travaux dirigés ou 144 heures de travaux pratiques. Les chargés d’enseignement vacataires peuvent aussi effectuer 64 heures de cours. Leur statut est défini dans ce décret du 29 octobre 1987. « Un vacataire n’effectue le plus souvent que quelques heures d’enseignement par an, seulement 18% des chargés d’enseignement vacataires ont exercé plus de 96 heures dans l’année », précise le ministère.
      Une heure de TD équivaut à plus de 4 heures de cours effectif

      En plus de la conférence des jeunes chercheurs, l’université ouverte, le collectif des travailleurs précaires de l’enseignement supérieur, et plusieurs collectifs d’universités ont fait le calcul pour dénoncer un salaire inférieur au smic. Leur logique est simple : selon le bulletin officiel de l’enseignement supérieur, les vacataires sont rémunérés 41,41 euros brut par heure de travaux dirigés (TD). Or, selon un arrêté sur les équivalences horaires pour les enseignants-chercheurs, une heure de TD correspond à 4,2 heures de travail effectif. Cela signifie que, pour les TD, les vacataires sont payés (41,41/4,2), 9,85 euros brut de l’heure. Or, le smic brut horaire s’élève aujourd’hui à 10,15 euros.

      Pourquoi cette comparaison avec les heures de TD ? Car les vacataires sont rémunérés en équivalent d’heures de TD. Un cours magistral équivaut à 1,5 heure de TD (soit 62,09 euros brut) et une heure de travaux pratiques à deux tiers seulement d’un TD (27,58 euros).

      Ce calcul s’appuie donc sur les textes publiés par le gouvernement, concernant la rémunération des vacataires et le calcul des heures effectives des enseignants-chercheurs. Certains vacataires, tout comme leurs collègues enseignants-chercheurs, assurent passer beaucoup plus que quatre heures à préparer un cours, voire un examen, donner le cours et corriger des copies.

      C’est d’ailleurs ce qu’expliquaient plusieurs vacataires interrogés par Libé le 12 février. A propos de Paula, le journal écrivait : « Elle a été vacataire pendant sa thèse à Montpellier [agrégée mais refusant son poste le temps de finir sa thèse], et se souvient des heures de travail à rallonge, non rémunérées : "J’avais dû préparer un concours blanc d’agrégation. L’écriture m’a pris une semaine, la surveillance sept heures, la correction huit heures. Et j’ai été payée uniquement pour une heure de cours". »

      Le ministère de l’Enseignement supérieur, de son côté, relativise. « Cette équivalence [entre les heures effectives et les heures de cours, ndlr] est applicable à la gestion des obligations de service des enseignants-chercheurs et non de celle des chargés d’enseignement vacataires qui ne sont pas soumis à de telles obligations. Elle ne signifie pas que toute heure de TD se traduirait obligatoirement par 4,1849 heures de travail effectif. Dans certains cas, la préparation d’un cours peut être longue, dans d’autre cas, la reprise d’un cours déjà dispensé peut-être plus brève. » D’ailleurs, à propos de l’arrêté selon lequel une heure de TD serait équivalente à 4,2 heures de travail effectif, il précise : « C’est plus une construction statutaire qu’une réalité pédagogique. »

      Interrogé sur une éventuelle revalorisation des salaires des vacataires, le ministère répond : « Nous réfléchissons à cette question au milieu de nombreuses autres dans le cadre des transformations à venir du monde de la recherche. »

      Cordialement

      https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/23/les-vacataires-de-l-universite-sont-ils-vraiment-payes-en-dessous-du-smic

      #fact-checking #smic #salaire

  • Hausse des #démissions chez les #professeurs #stagiaires
    https://www.podcastjournal.net/Hausse-des-demissions-chez-les-professeurs-stagiaires_a27203.html

    Le bilan #social de 2017-2018 du ministère de l’#éducation nationale et de la #jeunesse a révélé que le taux de démission des #enseignants stagiaires avait augmenté de 209% depuis 2012. Il s’agit d’une progression inquiétante selon les parlementaires. Si la création de 60 000 postes sous le quinquennat de François Hollande a pu en convaincre certains de s’orienter ou se reconvertir dans cette voix, la confrontation avec la réalité du métier peut être brutale. En cause, l’attribution de postes dans des #écoles en REP (réseau d’éducation prioritaire) malgré le manque d’expérience, la pression de devoir valider l’année de formation tout en réalisant des travaux de recherche, ou encore la difficulté à obtenir un poste fixe.

    #France

  • L’évolution du salaire des #enseignants depuis 1983

    Une nouvelle version de mon graphique sur l’évolution du salaire des enseignants depuis 1983, comparé à l’évolution du #salaire_moyen. J’ai corrigé des données erronées pour 1988 et 1990 (j’avais compté 2 fois les primes) et j’ai précisé la légende.

    Pour construire le graphique original j’étais parti des rapports annuels sur la fonction publique (https://www.fonction-publique.gouv.fr/rapports-annuels-sur-letat-de-la-fonction-publique-archives) pour les données avant 1994. Problème, les tableaux ne sont pas tjrs précis dans ces rapports.

    Je suis donc remonté aux sources INSEE utilisées dans ces rapports pour décrire les salaires dans la fonction publique. Il s’agit des enquêtes sur l’exploitation des fiches de paie réalisées tous les 2 ans par l’INSEE entre 1976 et 1994.

    Les données complètes sont disponibles dans des INSEE Résultats disponibles sur epsilon pour les rapports de 1986 à 1992 (par ex. ici pour 1986 https://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/31726/1/ir_er_012-013.pdf) et sur Gallica pour les enquêtes de 1976 à 1984 (par ex. ici pour 1982 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9612990p)

    Ces publicat° donnent tous les détails de salaires des enseignants selon leur statut. La catégorie utilisée dans les RAFP (et sur ce graphique) est ainsi celle de prof. certifiés et assimilés qui regroupe les certifiés, CPE, prof. d’EPS mais aussi les prof. des écoles après 1990.

    Malheureusement, à partir de 2010 et de la mise en oeuvre du SIASP (https://insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1132), les catégories utilisées changent et les RAFP ne publient plus que les rémunérations pour les professeurs certifiés et agrégés regroupés, les professeurs des écoles étant comptés à part.

    On peut cependant à partir de cette date (de 2011 plus exactement), utiliser le bilan social (https://education.gouv.fr/cid74482/bilan-social-du-ministere-de-l-education-nationale-et-de-la-jeunesse-) publié par la DEPP pour le MEN pour connaître les rémunérations par corps et statut des enseignants.

    Autrement dit, pour un salaire de 100 euros en 1983, un salarié du privé touche aujourd’hui 120 euros contre 86 pour un enseignant.
    Assez parlant comme décrochage.

    Et encore, je suppose que le salaire moyen du privé n’est pas corrélé au niveau d’études. Il faudrait comparer aux revenus des bac + 3 uniquement jusqu’à la masterisation, puis aux bac +5 depuis.

    https://twitter.com/knhede/status/1207330880756363264

    #travail #professeurs #salaire #rémunération #statistiques #chiffres #graphique #visualisation #fonction_publique #France

    signalé par @reka que je remercie

    J’ajoute aussi à cette métaliste
    https://seenthis.net/messages/816183

  • Éducation. La #répression des #professeurs est déjà en marche | L’Humanité
    https://www.humanite.fr/education-la-repression-des-professeurs-est-deja-en-marche-670419

    Il faut dire que les profs visés ne sont pas n’importe qui dans le collège. Unanimement décrits comme des « piliers » de l’établissement, trois d’entre eux y sont présents depuis dix-huit, vingt-deux et même vingt-sept ans. Un choix qui témoigne d’un engagement professionnel indiscutable, dans un collège d’un quartier populaire de Bobigny qui est classé REP + (enseignement prioritaire), qui comprend une section Segpa (enseignement adapté), un dispositif Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire)… Un de ces collèges où l’un des principaux problèmes tient justement au manque d’expérience et à la difficulté de stabiliser les équipes. Mélanie (1), une mère d’élève, témoigne de leur rôle : « Je suis effondrée, nous dit-elle. Ce sont des enseignants aguerris, qui accueillent et épaulent les novices. Si on les fait partir, je crains pour le fonctionnement même du collège. »

    • (puisque #paywall) :

      Jean-Michel Blanquer a-t-il, comme Janus, deux visages ? Celui, lisse et bonhomme, qu’il a montré tous ces derniers jours pour expliquer notamment que l’article 1 de sa loi n’a pas pour but de faire taire, au prix de la liberté d’expression, toute velléité de contestation. Et celui, raide et coupant, qu’il arbore dans les arcanes de la rue de Grenelle, où il multiplie les tentatives d’intimidation à l’encontre de celles et ceux qui tentent de contester sa politique et les effets qu’elle produit.

      Au collège République de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, on ne connaît que ce deuxième visage. Le 27 mars, quatre professeurs ont reçu des courriers officiels. Deux d’entre eux y ont appris qu’une procédure disciplinaire était engagée à leur encontre ; les deux autres, qu’ils feraient l’objet d’une « mutation dans l’intérêt du service ». Une mesure « qui n’est pas considérée comme une sanction », ainsi qu’on nous l’a précisé au rectorat de Créteil… mais qui est peut-être encore plus brutale, puisque décidée à la discrétion de la hiérarchie, sans passage devant une commission disciplinaire.

      Dès vendredi 29 mars, puis le lundi suivant, avec le soutien de l’intersyndicale (CGT Educ’Action, FO, Snes, Snep et SUD éducation), un certain nombre d’enseignants du collège se sont mis en grève pour soutenir leurs collègues. Un comité de soutien s’est mis en place, qui demande l’arrêt des procédures. Il est également actif sur les réseaux sociaux (« Répression collège République » sur Facebook et Twitter) et a d’ores et déjà lancé une cagnotte, pour couvrir d’éventuelles dépenses de justice.

      Il faut dire que les profs visés ne sont pas n’importe qui dans le collège. Unanimement décrits comme des « piliers » de l’établissement, trois d’entre eux y sont présents depuis dix-huit, vingt-deux et même vingt-sept ans. Un choix qui témoigne d’un engagement professionnel indiscutable, dans un collège d’un quartier populaire de Bobigny qui est classé REP + (enseignement prioritaire), qui comprend une section Segpa (enseignement adapté), un dispositif Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire)… Un de ces collèges où l’un des principaux problèmes tient justement au manque d’expérience et à la difficulté de stabiliser les équipes. Mélanie (1), une mère d’élève, témoigne de leur rôle : « Je suis effondrée, nous dit-elle. Ce sont des enseignants aguerris, qui accueillent et épaulent les novices. Si on les fait partir, je crains pour le fonctionnement même du collège. »

      Vice-président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, siégeant depuis quinze ans au conseil d’administration du collège, Abdel Sadi connaît bien les professeurs visés. Il s’est lui aussi ému de la situation, au point d’écrire mercredi au recteur, Daniel Auverlot. Ces enseignants « développent de nombreux projets de qualité pour leurs élèves », écrit-il, et « ont toujours été très bien notés durant leurs carrières ». Puis l’élu pose la question qui fâche : « Je ne peux donc m’empêcher de penser que ces professeurs, tous syndiqués (…), sont sanctionnés aujourd’hui en raison de leurs activités syndicales et pour avoir, au fil des ans, manifesté avec énergie pour la défense de leurs conditions de travail et contre les inégalités territoriales subies dans nos collèges de Seine-Saint-Denis. »

      C’est que, outre leur engagement professionnel, ces profs sont aussi des militants syndicaux, dont trois à SUD éducation, syndicat très actif dans ce collège. L’un d’eux a même été tête de liste académique et nationale lors d’élections professionnelles. Notons aussi que Jean-Michel Blanquer, recteur de l’académie de 2007 à 2009, connaît bien le collège République… et ses professeurs. Mais évidemment, au rectorat, on nie toute intention de discrimination syndicale. « Nous ne nous sommes pas dit que nous allions viser explicitement SUD éducation ! » ose la responsable des relations presse. Elle préfère évoquer les « relations extrêmement tendues » dans l’établissement, des « cas d’intimidation entre collègues », voire – sans plus de précisions – des « conduites inappropriées envers des élèves », et au final la nécessité de « garantir une atmosphère sereine » dans le collège.

      Sabine, l’une des profs visés, bondit : « On a une expérience, on connaît les textes… on s’en prend à nous parce que nous ne sommes pas impressionnables. » Elle comme ses collègues peuvent fournir une liste longue comme le bras de leurs interventions : refus d’affichage des listes électorales, extincteurs absents ou défectueux, élèves qui se voient attribuer une AVS (assistante de vie scolaire) individuelle par la maison départementale du handicap et doivent finalement se partager une seule AVS à plusieurs, absence de consultation du conseil d’administration sur des suppressions de postes… « Nous avons un principal qui communique exclusivement par mail », témoigne Damien Green, un prof d’anglais syndiqué, lui, au Snes et qui soutient ses collègues. Sabine reconnaît d’ailleurs les tensions qui existent au sein de l’établissement, mais les attribue d’abord « au contexte de manque de moyens : avec de moins en moins d’heures pour nos projets, cela crée de la concurrence entre collègues. Et face à cela, il y a ceux qui acceptent la situation, et ceux qui refusent… ».

      Eux refusent. Et se battent. Ils ne sauront que les 9 et 12 avril, dates auxquelles ils auront le droit de prendre connaissance de leurs dossiers, ce qui leur est reproché exactement. À partir de là, ils pourront se défendre, avec tous ceux qui les soutiennent.

      Olivier Chartrain

      (1) Le prénom a été changé à sa demande.

      #répression_syndicale #liberté_d'opinion #école_de_la_confiance (mon cul)

  • Pourquoi il faudrait raser les écoles de commerce par #Martin_Parker - 27 avril 2018 - © The Guardia https://www.theguardian.com/news/2018/apr/27/bulldoze-the-business-school?CMP=share_btn_tw
    Un article du Guardian. Merci à Frédéric Durand pour la traduction !
    https://www.pauljorion.com/blog/2018/05/07/pourquoi-il-faudrait-raser-les-ecoles-de-commerce-par-martin-parker

    Il existe 13.000 écoles de commerce dans le monde, c’est 13.000 de trop. Je sais de quoi je parle puisque j’ai enseigné dans ces écoles pendant 20 ans.

    Si vous vous rendez sur le campus d’une #université ordinaire il y a des chances que le bâtiment le plus récent et le plus tape à l’œil soit l’#école-de-commerce. C’est elle qui occupe le meilleur bâtiment parce qu’elle dégage les plus gros profits (par euphémisme « contribution » ou « surplus ») ce qui n’est pas surprenant de la part d’une forme de savoir qui enseigne à réaliser des bénéfices.

    Les écoles de commerces exercent une grande influence mais elles sont aussi considérées par beaucoup comme étant des lieux où la #supercherie intellectuelle règne, encourageant la culture du court-termisme et la #cupidité. (On trouve un tas de blague sur la réelle signification de Maîtrise en administration des entreprises-MBA en anglais- : « #Médiocre et #arrogant », Maitrise et accidents », « Mauvais avis et #duperies », « Maîtrise en #art_foireux » et ainsi de suite. Les critiques des écoles de commerces, sous toutes ses formes, ne manquent pas : les employeurs déplorent le manque d’expérience des diplômés, les conservateurs raillent les #arrivistes, les européens se plaignent de l’américanisation, les radicaux protestent contre la concentration du pouvoir entre les mains des tenants du capitalisme de meute. Beaucoup depuis 2008 ont avancé l’idée selon laquelle les écoles de commerces sont responsables dans l’avènement de la crise.

    Pour avoir enseigné pendant 20 ans dans les écoles de commerce j’en suis venu à la conclusion que la meilleure solution pour faire face à ces problèmes consiste à fermer définitivement ces écoles, une position peu répandue parmi mes collègues. Toutefois depuis ces dix dernières années il est remarquable de constater que la masse de critiques formulées à l’encontre des écoles de commerces proviennent de ces écoles mêmes. De nombreux professeurs des écoles de commerce, notamment en Amérique du Nord, affirment que leurs établissements se sont terriblement détournée du droit chemin. Selon eux les écoles de commerce sont corrompues par les #doyens guidés par l’argent, les #professeurs qui se plient aux attentes des clients, des chercheurs qui débitent des #poncifs dans des revues que personne ne lit et des étudiants qui espèrent obtenir un diplôme à la hauteur de leur investissement (ou plutôt celui de leurs parents). A la fin des fins la plupart des diplômés de toute manière ne deviendront pas des cadres de haut niveau mais occuperons des postes #précaires de petits soldats travaillant dans des boxes à l’intérieur d’une tour aseptisée.

    Ces critiques ne proviennent pas de professeurs de sociologie, de responsables politiques ou même d’activistes anticapitalistes indignés mais de livres écrits par des gens bien informés, des employés d’école de commerce qui eux même ressentent un malaise voire du dégout par rapport à ce qu’ils font. Bien sur ces vues divergentes appartiennent à une minorité. La plupart des écoles de commerce restent complètement indifférentes aux manifestations de doutes, les acteurs étant trop occupés à huiler les rouages pour s’inquiéter de la direction que prend la locomotive. Malgré tout la critique interne résonne de manière importante.

    Le problème c’est que cette contestation des initiés est tellement institutionnalisée dans l’épais velours des couloirs qu’elle passe désormais inaperçue comme simple contrepoint au « #business as usual ». Certains par le truchement de livres ou de journaux font carrière en déplorant vigoureusement les problèmes liés aux écoles de commerce. Deux personnes appartenant au milieu ont décrit l’école de commerce comme « une machine cancérigène produisant des #déchets inutiles et toxiques ». Même des titres tels que : Contre le management, #Management-de-merde et Le guide des salauds #cupides pour les affaires, ne semblent pas exposer leurs auteurs à quelque problème que ce soit. J’en sais quelque chose puisque je suis l’auteur des deux premiers. Franchement qu’on m’ait laissé écrire cela en toute impunité en dit long sur la totale innocuité de ce genre de critiques. En vérité c’est gratifiant car le fait de publier est plus important que ce qui est publié.

    Dans la réponse aux problèmes posées par les écoles de commerce on évite d’avoir recours à des restructurations radicales pour leur préférer un retour à de prétendues pratiques commerciales plus traditionnelles ou alors à une forme de réarmement moral enjolivé de termes comme « #responsabilité » ou « #éthique ». Toutes ces idées n’abordent pas le vrai problème à savoir que les écoles de commerce n’enseignent qu’une forme d’organisation : l’encadrement gestionnaire du marché.

    C’est pourquoi je pense que l’on devrait en appeler aux bulldozers et exiger une toute autre manière de penser le management, les affaires et les marchés. Si nous voulons que les gens du pouvoir deviennent plus responsables alors nous devons arrêter d’apprendre aux étudiants que les dirigeant héroïques dédiés aux œuvres de la transformation sont la réponse à tous les problèmes ou que le but de connaître la #fiscalité est d’échapper à l’impôts ou que la visée de la #stratégie_commerciale est de créer des nouveaux désirs Dans tous les cas l’école de commerce agit par la #propagande en vendant une #idéologie sous les habits de la #science.

    Les universités existent depuis un millénaire mais la grande majorité des écoles de commerce n’est apparue qu’au siècle précédent de commerce. En dépit de la vive et persistante affirmation qu’elles ont été inventé par les Etats-Unis il semble que la première fut L’Ecole Supérieure de Commerce créée en 1819 afin de tenter de façonner une grande école commerciale financée par des fonds privés. Un siècle plus tard des centaines d’écoles de commerces ont émergé dans toute l’Europe et les Etats-Unis pour se répandre rapidement partout ailleurs à partir de 1950.

    En 2011 « Association to Advance Collegiate Schools of Business » estimait à 13000 le nombre d’écoles de commerce dans le monde. L’#Inde à elle seule compterait 3000 écoles de commerces privées. Arrêtons-nous un moment pour se pencher sur ce chiffre. Imaginez le nombre considérable de personnes employées par ces établissements, l’armée de jeunes qui en sortent avec un diplôme en commerce, des sommes gigantesques qui circulent au nom de l’enseignement du monde des affaires. (En 2013, les vingt meilleures écoles de commerce coûtaient an moins 100 000$ (80 000€). En ce moment la #London_Business_School fait campagne en proposant une inscription à 84 5000£ (96 000€) pour son #MBA Pas étonnant dans ces conditions que la tendance continue à gagner du terrain.

    La plupart des écoles de commerces adopte des formes identiques. L’#architecture est moderne sans originalité composée de verre, de panneaux et de briques. A l’extérieur on trouve un affichage dispendieux présentant un #logo anodin, il y a des chances qu’il soit bleu et qu’il comporte un carré. Les portes sont automatiques, à l’intérieur on trouve une réceptionniste bien mise dans un code habit de bureau. Quelques créations d’art abstrait sont accrochées aux murs et il y a un bandeau comportant un ou deux slogans au contenu prometteur “We mean business”, “Teaching and Research for Impact.” On trouvera quelque part au-dessus du hall d’entrée un grand écran diffusant un téléscripteur #Bloomberg, la promotion de conférenciers de passage et des discussions sur la manière de bien formuler son #CV. Des dépliants publicitaires en papier glacé sont à disposition sur des présentoirs, on y voit sur la couverture toutes sorte de visages innocents d’étudiants. Shiny marketing leaflets sit in dispensing racks, with images of a diverse tableau of open-faced students on the cover. Sur les prospectus on trouve la liste des diplômes : MBA, MSc Management, MSc Accounting, MSc Management and Accounting, MSc Marketing, MSc International Business, MSc Operations Management.

    On y trouvera une somptueuse salle de conférence à la moquette épaisse, qui tirera peut-être son nom d’une société ou de donateurs privés. De fait on retrouve empreinte du logo imprimé presque partout comme quelqu’un qui marquerait de son nom ses affaires de peur qu’elles soient volées. Contrairement aux bâtiments défraichis des autres parties de l’université l’école de commerce s’efforce de donner une image d’efficacité et de confiance. L’école de commerce sait ce qu’elle fait et son visage bien poli est fermement tournée vers le futur plein de promesse. Il lui importe de savoir ce que les gens pensent d’elle.

    Même si la réalité n’est pas toujours aussi reluisante, un toit qui fuit des toilettes bloquées, c’est ce que les doyens aiment à penser à quoi ressemble leur école ou telle qu’ils voudraient qu’elle soit. Une rutilante machine qui transforme l’argent des étudiants en bénéfices.

    Mais qu’enseignent réellement les écoles de commerce ? C’est une question plus compliquée qu’il n’y parait. On a beaucoup écrit sur la façon dont « un programme dissimulée » serait dispensé aux étudiants de manière implicite. A partir des années 70 les chercheurs ont étudié la manière dont les catégories comme la classe sociale, le genre, les origines ethniques, la sexualité et d’autres encore étaient enseignées implicitement dans les salles de classes. Cela peut se traduire par la différenciation des étudiants comme mettre les #filles à l’économie domestique et les garçons à la métallurgie d’où découle par la suite une #norme qui’ s’impose aux différents groupes de la population. Ce programme dissimulé peut être aussi dispensé par d’autres manières, par la façon d’enseigner et d’évaluer ou par le contenu même du programme. Il nous dit également ce qui importe, quelles sont les #personnalités importantes, quels sont les lieux les plus influents et quels sont les sujets qui peuvent être écartés.

    Il y a eu de nombreux travaux sur ces sujets dans beaucoup de pays. La documentation est désormais très répandue sur l’histoire des noirs, la place de la femme dans le monde scientifique ou de la chanson populaire et la poésie. Cela ne signifie pas que le programme dissimulé ne pose plus de problème mais qu’au moins dans les systèmes d’éducation les plus progressistes il est communément admis qu’il existe un récit, un groupe d’acteurs, une manière de raconter l’histoire.

    Mais dans les écoles de commerce le programme implicite et explicite ne font qu’un. Le contenu et la forme des enseignements sont telles qu’ils riment avec la #pensée qui tient pour acquis que les vertus de l’encadrement du marché capitaliste représentent la seule vision du monde possible.

    Si l’on enseigne à nos étudiants que le caractère prédateur du #capitalisme est incontournable il ne faut pas s’étonner que l’on finisse par justifier les #salaires démesurés de ceux qui prennent des risques importants avec l’argent des autres. Si l’on enseigne que seul le résultat compte alors des notions comme la viabilité, la #diversité, la responsabilité et autres ne deviennent plus que de simples ornements. Le message souvent dispensé par la recherche en management et l’enseignement sous-tend que le capitalisme soit incontournable et que les techniques financières et légales qui dirigent le capitalisme fassent parties d’une science. Cette conjonction d’idéologie et de technocratie explique le fait que l’école de commerce soit devenue une institution si efficace et dangereuse.

    On peut analyser son fonctionnement en s’intéressant de près à son programme et la façon dont il est enseigné. Prenons la finance par exemple, ce champ qui s’intéresse à la manière dont les gens qui ont du capital investissent leur argent. Elle repose sur le principe que les détenteurs d’argent ou de capitaux peuvent être utilisés comme garantie et suppose donc des différences importantes de revenus ou de richesses. Plus les #inégalités sont importantes dans un pays donné plus les #opportunités s’ouvrent pour la finance comme pour le marché de luxe des yachts. Les universitaires enseignant la finance considèrent que le retour sur le capital (sans se soucier de son acquisition) est une activité légitime et même louable au point d’aduler les investisseurs pour leurs compétences techniques et succès. La forme de ce savoir consiste à maximiser la #rente d’un capital, le plus souvent en développant les mathématiques ou des mécanismes légaux qui permettent de le multiplier. Les stratégies performantes en finances sont celles qui fournissent un retour maximal sur investissement en un temps le plus court, et qui du même coup aggrave d’autant plus les inégalités qui les rendaient au préalable possibles.

    Ou penchons-nous sur le management des #ressources_humains. Ce champ met en mouvement les théories de l’égoïsme rationnel- c’est-à-dire en gros l’idée selon laquelle les hommes agissent en fonction de calculs rationnels qui maximiseront leurs propres intérêts- pour l’appliquer à l’organisation des êtres humains. Le nom de ce champ est en lui-même révélateur en ce sens qu’il laisse entendre que les êtres humains sont semblables à des ressources technologiques ou financières dans la mesure où ils sont utilisés en tant que paramètre par le mangement dans le but de produire une organisation efficace. Malgré l’utilisation du mot humain, les ressources humaines font très peu de cas de ce que signifie être humain. Son intérêt se fixe sur les catégories comme les femmes, les minorités ethniques, les employés qui n’atteignent pas les objectifs, et leur rapport avec le fonctionnement de l’organisation. Cela rentre souvent dans les attributions des écoles de commerces que de s’intéresser aux formes d’organisations, incarnées habituellement par les syndicats, qui s’opposent aux stratégies du management. Et s’il était nécessaire de le rappeler le management des ressources humaines n’est pas du côté des syndicats, ce serait être partisan. Sa fonction, sous sa manifestation la plus ambitieuse, cherche à être stratégique dans le but d’aider les responsables du management à l’élaboration de l’ouverture d’une usine ici ou de la fermeture d’un bureau là.

    On pourrait appliquer la même analyse sur les autres modules d’enseignement que l’on trouve dans la plupart des écoles de commerce, la comptabilité, la mercatique, le commerce international, l’#innovation, la #logistique. Mais je finirai par l’éthique dans les affaires et la responsabilité social de l’entreprise, ce sont pratiquement les seuls domaines dans lesquels s’est développé une critique constante des conséquences de l’enseignement du management et de ses pratiques. Ces domaines se targuent d’être la mouche du coche des écoles de commerce et insistent sur la nécessité à réformer les formes dominantes de l’enseignement et de la recherche. Les griefs qui motivent les écrits et les enseignements de ces spécialités sont prévisibles mais n’en demeurent pas moins importantes, il s’agit du développement durable, les inégalités, la fabrique d’étudiants à qui l’on enseigne que la cupidité est bénéfique.

    Le problème c’est que l’éthique des affaires et la responsabilité sont des sujets de façades pour la promotion des écoles de commerce semblable à une feuille de figuier qui recouvrerait la conscience du doyen de l’école de commerce, comme si évoquer l’éthique et la responsabilité équivalait à agir. Ils ne s’attaquent pratiquement jamais à la simple idée que si les relations économiques et sociales actuelles produisent les problèmes qui sont traités par les cours d’éthique et de responsabilités sociale des entreprises alors ce sont ces mêmes relations sociales et économiques qui doivent être changées.

    Vous pourriez penser que chacune de ces spécialités d’enseignement et de recherche sont en elles même inoffensives et qu’ensemble ils ne font que traiter des différents aspects du monde des affaires, de l’argent, de la population, de la technologie, du transport, de la vente et ainsi de suite. Mais il est indispensable d’exposer les présupposés partagés par chacun des sujets étudiés en école de commerce.

    Tous ces champs partagent d’abord l’idée profondément ancrée que les formes managériales du marché qui organisent l’ordre sociale sont requises. L’accélération de commerce mondialisé, l’utilisation des mécanismes de marché et des techniques managériales, le développement des technologies comme dans la comptabilité, la finances et son fonctionnement ne sont jamais remis en cause. Il s’agit du récit progressif du monde moderne fondé sur la promesse technologique, le choix, l’opulence et la richesse.

    Au sein de l’école de commerce, le capitalisme est considéré comme marquant la fin de l’histoire, un modèle économique qui a pris le pas sur tous les autres, et qui est maintenant enseigné en tant que science, plutôt que comme une idéologie.

    La seconde est l’hypothèse selon laquelle le comportement humain, des employés, des clients, des gestionnaires et ainsi de suite, est mieux compris si nous considérons que nous sommes tous des égoïstes rationnels. Cela fournit un ensemble d’hypothèses de base qui permettent de développer des modèles qui conçoivent la façon dont les êtres humains pourraient être dirigés dans l’intérêt de l’organisation de l’entreprise. Motiver les employés, corriger les défaillances du marché, concevoir des systèmes de gestion allégée ou persuader les consommateurs de dépenser de l’argent sont tous des cas qui font partie de la même problématique. L’intérêt majeur réside ici pour celui qui cherche le contrôle, et ceux qui sont objets de cet intérêt, deviennent alors des personnes qui peuvent être manipulées.

    La dernière similitude que je voudrais souligner concerne la nature des connaissances produites et diffusées par l’école de commerce elle-même. Parce qu’il emprunte la robe et le mortier de l’université, et qu’il cache ses connaissances dans l’attirail de la science – revues, professeurs, jargon – il est relativement facile d’imaginer que le savoir prôné par l’école de commerce et la façon dont elle le vend apparaît en quelque sorte moins vulgaire et stupide qu’il ne l’est réellement

    Pour résumer simplement ce qui précède, et qui permettrait à la plupart des gens de comprendre ce qui se passe à l’école de commerce, c’est de les appréhender comme des lieux qui enseignent les méthodes pour prendre de l’argent aux gens ordinaires et de le s’approprier. Dans un certain sens, c’est une description du capitalisme, mais il y a aussi le sentiment que les écoles de commerce enseignent que « l’avidité est bonne ». Comme Joel M Podolny, ancien doyen de la Yale School of Management, a pu déclarer un jour : « La façon dont les écoles de commerce sont aujourd’hui en concurrence amène les étudiants à se demander : » Que puis-je faire pour gagner le plus d’argent ? et la forme de l’enseignement prodigué par les professeurs conduit les étudiants à ne considérer qu’après coup les conséquences morales de leurs actions.

    Cette image est, dans une certaine mesure, étayée par la #recherche, bien qu’une partie soit d’une qualité douteuse. Il existe diverses enquêtes auprès des étudiants des écoles de commerce qui suggèrent qu’ils ont une approche instrumentale de l’éducation, c’est-à-dire qu’ils veulent ce que le marketing et le #branding leur disent qu’ils veulent. En ce qui concerne les cours, ils attendent de l’enseignement des concepts et des outils simples et pratiques qu’ils jugent utiles pour leur future carrière. La philosophie c’est pour les imbéciles.

    Comme j’ai enseigné dans des écoles de commerce pendant des décennies, ce genre de constatation ne me surprend pas, bien que d’autres proposent des constats plus virulents. Une enquête américaine a comparé des étudiants en MBA à des personnes emprisonnées dans des prisons de basse sécurité et a constaté que ces dernières étaient plus éthiques. Un autre a laissé entendre que la probabilité de commettre une forme quelconque de délit d’entreprise augmentait si la personne concernée avait fait des études supérieures en administration des affaires ou si elle avait servi dans l’armée. (Les deux carrières impliquent probablement la dissolution de la responsabilité au sein d’une organisation). D’autres sondages montrent que les étudiants arrivent en croyant au bien-être des employés et à la satisfaction de la clientèle et qu’ils partent en pensant que la valeur actionnariale est la question la plus importante, et également que les étudiants des écoles de commerce sont plus susceptibles de tricher que les étudiants des autres disciplines.

    Je doute que les causes et les effets (ou même les résultats) soient aussi nets que le suggèrent des enquêtes comme celle-ci, mais il serait tout aussi stupide de suggérer que l’école de commerce n’a pas d’effet sur ses diplômés. Avoir un MBA peut ne pas rendre un étudiant cupide, impatient ou contraire à l’éthique, mais les programmes explicites et cachés de l’école de commerce enseignent des leçons. Non pas que ces leçons sont reconnues quand quelque chose ne va pas bien, parce qu’alors l’école de commerce nie habituellement toute responsabilité. C’est une position délicate, car, comme le dit un éditorial d’Economist de 2009, » Vous ne pouvez pas prétendre que votre mission est d’éduquer les leaders qui changent le monde » et de vous laver les mains des actes de vos anciens élèves lorsque leur changement a un impact nuisible. »

    Après la crise de 2007, il y avait comme un jeu à se renvoyer la balle, Il n’est donc pas surprenant que la plupart des doyens des écoles de commerce essayaient aussi de blâmer les consommateurs d’avoir trop emprunté, les banquiers d’avoir un comportement si risqué, les #brebis_galeuses d’être si mauvaises et le système d’être, eh bien, le système. Qui, après tout, voudrait prétendre qu’ils n’ont fait qu’enseigner la cupidité ?

    Dans les universités les sortes de portes qui ouvrent sur le savoir sont basées sur des exclusions. Un sujet est constitué par l’enseignement de ceci et non pas de cela, de l’espace (géographie) et non du temps (histoire), des collectifs (sociologie) et non des individus (psychologie), etc. Bien sûr, il y a des fuites et c’est souvent là que se produisent les pensées les plus intéressantes, mais cette partition du monde est constitutive de toute discipline universitaire. On ne peut pas tout étudier, tout le temps, c’est pourquoi il y a des noms de départements au-dessus des portes des immeubles et des couloirs.

    Cependant, l’école de commerce est un cas encore plus extrême. Elle est bâtie sur le principe qui isole la vie commerciale du reste de la vie, mais subit ensuite une spécialisation supplémentaire. L’école de commerce assume le capitalisme, les entreprises et les managers comme forme d’organisation par défaut, et tout le reste comme histoire, anomalie, exception, alternative. Du point de vue du programmes d’études et de recherche, tout le reste est périphérique.

    La plupart des écoles de commerce sont intégrées dans des universités, et celles-ci sont généralement appréhendées comme des institutions ayant des responsabilités envers les sociétés qu’elles servent. Pourquoi, dans ce cas, supposons-nous que les filières d’études commerciales ne devraient enseigner qu’une seule forme d’organisation – le capitalisme – comme si c’était la seule façon d’organiser la vie humaine ?

    Ce n’est pas un monde agréable celui qui est produit par la gestion de marché et que l’école de commerce professe. C’est une sorte d’#utopie pour les riches et les puissants, un groupe que les étudiants sont encouragés à s’imaginer rejoindre, mais ce privilège est acheté à un coût très élevé, entraînant des catastrophes environnementales, des #guerres de ressources et des migrations forcées, des inégalités à l’intérieur et entre les pays, l’encouragement de l’#hyperconsommation ainsi que des pratiques #antidémocratiques persistantes au travail.

    Promouvoir l’école de commerce fonctionne en passant outre de ces problèmes, ou en les mentionnant comme des défis et ne pas les prendre en considération ensuite dans les pratiques d’enseignement et de recherche. Si nous voulons être capables de répondre aux défis auxquels est confrontée la vie humaine sur cette planète, nous devons faire des recherches et enseigner autant de formes d’organisation différentes que nous sommes capables d’imaginer collectivement. Pour nous, supposer que le capitalisme mondial peut continuer tel qu’il est c’est prendre la responsabilité d’emprunter la voie qui mène à la destruction. Donc, si nous voulons nous écarter du business as usual, nous devons également ré-imaginer radicalement l’école de commerce telle qu’elle est. Et cela signifie plus que des murmures pieux sur la responsabilité sociale des entreprises. Cela signifie en finir avec ce que nous avons érigé, et reconstruire.

  • Canada : Vote d’une journée de grève pour 8800 professeurs de la CSDM Le Devoir - Sarah R. Champagne - 13 avril 2018
    https://www.ledevoir.com/societe/education/525186/menaces-de-greve-pour-8800-professeurs-de-la-csdm

    Réunis en assemblée jeudi soir, les membres de l’Alliance des #professeures et #professeurs de Montréal ont voté la tenue d’une journée de grève le 1er mai prochain.

Quelque 77% des membres ont voté pour cette proposition, qui concernera environ 8800 #enseignants de la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

    Un premier vote s’était déroulé durant la journée, pour permettre aux membres qui travaillent le soir, dans des centres d’ #éducation des adultes notamment, de voter. Inversement, le vote de jeudi soir s’adressait aux enseignants avec un horaire de jour, dans les écoles primaires et secondaires.

    L’Alliance est en négociation d’une convention collective locale, après avoir appuyé les négociations nationales en 2015 et 2016. La dernière grève remonte d’ailleurs à 2015, quand des grèves tournantes avaient été coordonnées par le Front commun intersyndical.

    À l’initiative de #professeurs
    Les propositions de grève n’émanaient pas de la direction de ce syndicat, mais de groupes de professeurs, alors que les moyens de pression restaient mesurés.

    Les enseignants de Montréal réclament notamment davantage de journées pédagogiques et davantage d’heures chaque semaine à consacrer à la préparation des cours. Un plus grand nombre de congés pouvant être attribués à la conciliation travail-famille, pour s’occuper d’un proche malade notamment, est aussi demandé.

    La #pénurie d’enseignants est devenue tellement critique que la CSDM cherche à recruter des suppléants « non légalement qualifiés » pour faire des remplacements de moins de cinq jours.

    L’embauche d’enseignants non légalement qualifiés a commencé discrètement au cours des dernières années, mais prend de l’ampleur à cause de la pénurie de suppléants, ont indiqué des sources au Devoir en janvier dernier.

    Le réseau semble aussi à bout de souffle du point de vue matériel. Plus de 150 #roulottes sont déjà utilisées pour donner des cours sur le territoire de Montréal, selon le syndicat, un nombre qui grimpe d’année en année. Une majorité des écoles montréalaises sont considérées comme étant très vétustes.

    #Canada #Quebec #Montréal #1er-Mai #Gréve #éducation #école #education #enseignement #journées_pédagogiques

  • Expérience douteuse sur l’esprit critique ( « Les étudiants face aux fake news ») Michèle Janss - 26 Mars 2018

    Les étudiant(e)s de l’université de Gand ont été soumis à une « expérience » sociale . Lors de trois cours différents, des professeurs ont soutenu des théories douteuses ou des affirmations provocantes dans un grand auditoire. L’objectif était de tester leur esprit critique.
     
    Un professeur expliquait que tout n’était pas forcément exact dans la théorie de l’évolution de #Darwin. Un autre a affirmé que les étudiants étaient devenus les esclaves de leur #smartphone. Et finalement, dans un cours d’entreprenariat, il a été affirmé de manière catégorique que les étudiants n’avaient pas d’idées et étaient incapables de mener à bien un projet d’entreprise.
     
    On s’étonne de la faiblesse des provocations. « Esclave de son écran, incapable, manque de créativité » les étudiants ont déjà dû entendre cela de la part de parents agacés ou des enseignants du secondaire. Ce sont des attaques verbales, pas vraiment de fausses affirmations. Quant à la théorie de Darwin, elle a, en effet, été critiquée à plusieurs reprises, entre autres pour sa dimension raciste, souvent oubliée (1).
     
    L’école a habitué les élèves à se taire.
    On voyait sur le visage des étudiants un réel désaccord, ils n’ont pas trop osé réagir. Si l’université de Gand voulait démontrer qu’il faut penser par soi-même et se méfier des « #fake-news », elle a surtout démontré que les étudiants n’osent pas s’opposer à l’enseignant qui les évaluera dans quelques mois, le #rapport-de-force n’étant pas en leur faveur. Cette « expérience » peut aussi montrer clairement qu’il n’est pas facile de s’exprimer devant un grand nombre de personnes et que le débat libre, éclairé n’est pas habituel dans les auditoires.
     
    Bernard Rey, chercheur en sciences de l’éducation à l’ULB, faisait lui aussi, le constat que les étudiants sont trop soumis et que l’école devrait ébranler les cerveaux, éveiller la curiosité, la réflexion et la remise en question (2).
     
    Si nous faisons bien le calcul, ces étudiants sont précisément ceux qui ont passé leurs études secondaires dans des écoles où il n’était souvent pas très bien vu de « ne pas être #Charlie » (3) ou de critiquer les politiques guerrières en cours. Ils ont plus certainement appris à se méfier, à se taire qu’à remettre en question les affirmations de leurs enseignants.
     
    Baisse de niveau ?
    Cette expérience ne démontre strictement rien par rapport aux « fake news » (4) ou à l’ #esprit-critique des jeunes. Par contre, elle témoigne du peu de rigueur des #enseignants qui ont imaginé cette farce et qui l’ont livrée à la presse. Si on peut se plaindre d’une possible baisse du niveau dans l’enseignement, il faut sans aucun doute se questionner sur le niveau de certains #professeurs pour en connaitre la cause.
     
    Michèle JANSS
    Source : https://www.investigaction.net/fr/experience-douteuse-sur-lesprit-critique
     1) Quiconque a vu un sauvage dans son pays natal n’éprouvera aucune honte à reconnaître que le sang de quelque être inférieur coule dans ses veines. J’aimerais autant pour ma part descendre du petit singe héroïque qui brava un terrible ennemi pour sauver son gardien, ou de ce vieux babouin qui emporta triomphalement son jeune camarade après l’avoir arraché à une meute de chiens étonnés, – que d’un sauvage … Charles DARWIN, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle,1876.
    (2) Bernard REY (ULB) : « L’école aurait besoin de plus d’idées de 1968 », LE SOIR, mis en ligne le 9/03/2018
    (3) Souvenons-nous des questionnements qui semblaient insupportables à la ministre française de l’Éducation, Najat VALLEAU-BELKACEM
    (4) C’est ainsi que l’expérience a été présentée dans Le VIF, PARIS MATCH et L’ECHO : « Les #étudiants face aux fake news »
    Test de #soumission #université #Gand #pouvoir