• Inégalités mondiales : pour les riches, la norme d’abondance

    Dans son rapport annuel, publié ce lundi 14 janvier, jour de l’ouverture du Forum de Davos, l’ONG Oxfam dénonce l’extrême concentration de la richesse depuis 2020 et le pouvoir des multinationales, alors qu’une large partie de la population mondiale souffre de l’inflation.

    La France n’a plus de Première ministre, mais elle a « gagné » une « pionnière » d’un tout autre genre. En effet, la première femme à avoir vu sa fortune dépasser les 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) est française, il s’agit de Françoise Bettencourt Meyers, l’héritière du fondateur de L’Oréal, selon l’indice Bloomberg des milliardaires de fin décembre (elle est repassée depuis sous cette barre symbolique). Pour autant, dans cette coterie-là non plus, les inégalités entre les hommes et les femmes ne sont pas près de disparaître. Bernard Arnault, le fondateur de LVMH, qui figure dans le trio des plus riches du monde, détient une fortune bien plus importante que sa compatriote, estimée aujourd’hui à 162 milliards de dollars par le même indice.

    Pendant qu’une grande partie de la population se débattait avec l’inflation, ces deux-là comme les 40 autres milliardaires français, se sont considérablement enrichis. Ils ont gagné, en cumulé, 230 milliards de dollars ces trois dernières années, calcule l’ONG Oxfam, en s’appuyant sur les données du magazine américain Forbes. Au total leur fortune atteint près de 600 milliards de dollars.

    « Danger bien réel »

    Ce lundi 15 janvier, jour de l’ouverture du 54e Forum économique mondial dans la station de ski suisse de Davos, où Emmanuel Macron mettra les pieds mercredi pour la première fois depuis six ans, Oxfam publie son rapport annuel sur les inégalités mondiales. Ces dernières s’accroissent. Tandis que les plus riches le sont toujours plus – depuis 2020, la fortune des milliardaires s’est appréciée de 34 %, soit de 3 300 milliards de dollars, trois fois plus que l’inflation –, près de cinq milliards de personnes se sont appauvries, estime Oxfam en compilant plusieurs sources. Constatant que « l’augmentation spectaculaire de l’extrême richesse observée depuis 2020 est désormais gravée dans le marbre », l’ONG s’alarme du « danger bien réel de voir cette aggravation devenir la norme ».

    Le rapport décrit une extrême concentration de la richesse, sur différents plans. Entre les zones géographiques. « Seulement 21 % de l’humanité vit dans les pays du Nord, mais ces pays abritent 69 % de la richesse privée et 74 % de la richesse mondiale des milliardaires. » Dans la détention des actifs financiers : les 1 % les plus riches possèdent 43 % de tous les actifs financiers mondiaux. Entre les entreprises : « Au niveau mondial, les 0,001 % d’entreprises les plus importantes empochent environ un tiers de tous les bénéfices des entreprises. »
    « Eviter le piège à la con »

    Ces multinationales, et leurs propriétaires par la même occasion, viennent de vivre des années de crises ultraprofitables. En analysant les profits de 148 des plus grandes entreprises mondiales, Oxfam constate qu’en 2021 et 2022, ils sont en hausse de 89 % par rapport à la moyenne des années 2017 à 2020. D’après les premiers chiffres disponibles, « l’année 2023 devrait battre tous les records de bénéfices pour les grandes entreprises », note aussi le rapport. Les compagnies pétrolières et gazières, les marques de luxe, les entreprises du secteur financier ainsi que les laboratoires pharmaceutiques apparaissent comme les plus gagnantes, comme d’autres études l’avaient déjà démontré. Pendant que les revendications de hausses salariales ont été ravivées dans de nombreux pays par le choc inflationniste, le partage de la valeur dans les grandes entreprises reste loin d’être équitable. En considérant cette fois 96 d’entre elles et les douze mois précédant juin 2023, Oxfam calcule que pour chaque tranche de 100 dollars de bénéfices, 82 dollars sont allés vers les actionnaires, en rachats d’actions ou en distribution de dividendes.

    Oxfam s’attaque aux monopoles et à leur pouvoir, qualifié de « machine implacable à fabriquer des inégalités » – un sujet de préoccupations et débats particulièrement vifs aux Etats-Unis. Rappelant les évolutions des trois dernières décennies, comme les fusions successives qui ont abouti à l’avènement des dix géants mondiaux de l’industrie pharmaceutique, ou l’émergence des « Big tech » avec Meta (maison mère de Facebook), Alphabet (maison mère de Google) et Amazon qui raflent les trois quarts des dépenses publicitaires en ligne, Oxfam dénonce « un pouvoir des monopoles qui s’accroît et alimente les inégalités », notamment avec une coordination implicite pour augmenter les prix et les marges. La hausse de ces dernières est même soupçonnée d’avoir nourri l’inflation dans la zone euro, formant une boucle prix profits, selon les travaux de plusieurs économistes du Fonds monétaire international publiés en juin.

    Afin de réduire les inégalités, l’ONG continue de plaider pour une réforme de la fiscalité. Son antenne française, dirigée par Cécile Duflot, propose plusieurs mesures fiscales, qui mettraient davantage à contribution seulement 30 % des Français. Parmi elles, un ISF climatique. Celui-ci prendrait en compte le niveau de patrimoine des plus aisés ainsi que son empreinte carbone et pourrait rapporter autour de 15 milliards d’euros par an. Au printemps dernier, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz esquissaient dans leur rapport sur les aspects économiques de la transition climatique une version plus restreinte de ce mécanisme, avec un impôt temporaire dédié au financement de la transition, qui serait prélevé sur le patrimoine financier des 10 % les plus riches et générerait environ 5 milliards d’euros par an. Emmanuel Macron avait alors tenté de clore les discussions, en enjoignant à la Première ministre, selon des propos tenus en Conseil des ministres et rapportés par le Figaro, « d’éviter le piège à la con du débat sur la fiscalité des riches ». Rien n’indique qu’il a changé d’avis.

    https://www.liberation.fr/economie/inegalites-mondiales-pour-les-riches-la-norme-dabondance-20240115_LGVC6SH
    #richesse #pauvreté #riches #pauvres #inégalités #visualisation #graphique #France #statistiques #chiffres #inflation #multinationales #concentration_de_la_richesse #milliardaires #Bernard_Arnault #LVMH #fortune #impôts #fiscalité

    • Multinationales et inégalités multiples : nouveau rapport

      Depuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune tandis que, dans le même temps, la richesse cumulée de 5 milliards de personnes a baissé. C’est ce que révèle le nouveau rapport d’Oxfam sur les inégalités mondiales.

      Si cette tendance se poursuit, nous pourrions voir dans près de 10 ans la fortune d’un multimilliardaire franchir pour la première fois le cap de 1000 milliards de dollars alors qu’il faudra encore 230 ans pour éradiquer la pauvreté.

      Malgré les crises successives, les milliardaires prospèrent. Pourquoi ? Car ils achètent le pouvoir politique et économique.

      Inégalités mondiales : les chiffres-clés
      Monde

      – La fortune des 5 hommes les plus riches a grimpé de 114 % depuis 2020.
      - La fortune des milliardaires a augmenté de 3 300 milliards de dollars depuis 2020, à une vitesse 3 fois plus rapide que celle de l’inflation.
      - Les 1 % les plus riches possèdent 48 % de tous les actifs financiers mondiaux.
      - Les pays riches du Nord détiennent 69 % des richesses mondiales et accueillent 74 % des richesses des milliardaires alors qu’ils n’abritent que 21 % de la population mondiale.
      - Au rythme actuel, il faudrait plus de deux siècles pour mettre fin à la pauvreté, mais dans à peine 10 ans nous pourrions voir pour la première fois la fortune d’un multimilliardaire franchir le cap des 1 000 milliards de dollars. Avoir 1 000 milliards, c’est comme gagner plus d’un million d’euros par jour depuis la naissance de Jésus-Christ.
      - Sept des dix plus grandes entreprises mondiales sont dirigées par un·e milliardaire.
      - 148 grandes entreprises ont réalisé 1800 milliards de dollars de bénéfices cumulés – soit 52 % de plus en moyenne sur les 3 dernières années – et distribué d’énormes dividendes à de riches actionnaires tandis que des centaines de millions de personnes ont été confrontées à des réductions de salaires réels.

      France

      - Les quatre milliardaires français les plus riches et leurs familles – la famille Arnault, la famille Bettencourt Meyers, Gérard et Alain Wertheimer – ont vu leur fortune augmenter de 87 % depuis 2020. Dans le même temps, la richesse cumulée de 90% des Français a baissé.
      - Sur cette même période, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d’euros, autant que pour faire un chèque de 3 400 euros pour chaque Français-e.
      - Les 1 % les plus riches détiennent 36 % du patrimoine financier total en France alors que plus de 80% des Français ne déclarent posséder ni assurance-vie, ni actions directement.
      - 11 des plus grandes entreprises françaises ont réalisé 101 milliards de dollars de bénéfices entre juin 2022 et juin 2023, soit une augmentation de 57% par rapport à la période 2018-2021.
      – L’héritière Françoise Bettencourt est devenue la première femme milliardaire à voir sa fortune atteindre les 100 milliards d’euros.

      Grandes entreprises, médias : comment les milliardaires achètent le pouvoir

      Depuis 2020, l’accroissement de la fortune des milliardaires et l’accumulation de profits des multinationales sont intrinsèquement liés.

      A l’heure où l’élite économique se réunit à Davos, le rapport « Multinationales et inégalités multiples » révèle notamment que sept des dix plus grandes entreprises mondiales ont un·e PDG milliardaire ou un·e milliardaire comme actionnaire principal·e.

      Les grandes entreprises ont un pouvoir démesuré et sont une machine à fabriquer des inégalités. Salaires qui augmentent moins que la rémunération des PDG, bénéfices majoritairement utilisés pour rémunérer les actionnaires, optimisation fiscale : les milliardaires veillent avant tout à ce que les multinationales contribuent à leur propre enrichissement, au détriment du reste de la population.

      Ils utilisent par ailleurs leur richesse pour asseoir et conforter leur influence politique, en particulier via leur emprise sur les médias et leurs relations avec les hautes sphères de l’Etat.
      En France aussi, les milliardaires s’enrichissent et la pauvreté s’intensifie

      Les 4 milliardaires français les plus riches (Bernard Arnault et sa famille, Françoise Bettencourt Meyers et sa famille ainsi que Gérard Wertheimer et Alain Wertheimer) ont vu leur fortune augmenter de 87% depuis 2020.

      Sur la même période, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d’euros, soit l’équivalent d’un chèque de 3 400 euros pour chaque Français·e. Alors que les Français et Françaises subissent l’inflation de plein fouet et sont confronté·e·s à une véritable crise du pouvoir d’achat, l’enrichissement continu des ultra-riches fracture la société.

      Comme dans le reste du monde, l’omniprésence des milliardaires dans les mondes économique, politique et médiatique, est indéniable. En tête de proue : Bernard Arnault, à la tête de l’empire du luxe LVMH et de certains des plus grands médias français comme Les Échos ou Le Parisien, mais aussi le milliardaire Vincent Bolloré, qui fait des médias dont il est actionnaire principal une arme au service de l’extrême droite.

      https://www.oxfamfrance.org/rapports/multinationales-et-inegalites-multiples
      #rapport #oxfam

  • #José_Vieira : « La #mémoire des résistances face à l’accaparement des terres a été peu transmise »

    Dans « #Territórios_ocupados », José Vieira revient sur l’#expropriation en #1941 des paysans portugais de leurs #terres_communales pour y planter des #forêts. Cet épisode explique les #mégafeux qui ravagent le pays et résonne avec les #luttes pour la défense des #biens_communs.

    Né au Portugal en 1957 et arrivé enfant en France à l’âge de 7 ans, José Vieira réalise depuis plus de trente ans des documentaires qui racontent une histoire populaire de l’immigration portugaise.

    Bien loin du mythe des Portugais·es qui se seraient « intégré·es » sans le moindre problème en France a contrario d’autres populations, José Vieira s’est attaché à démontrer comment l’#immigration_portugaise a été un #exode violent – voir notamment La Photo déchirée (2001) ou Souvenirs d’un futur radieux (2014) –, synonyme d’un impossible retour.

    Dans son nouveau documentaire, Territórios ocupados, diffusé sur Mediapart, José Vieira a posé sa caméra dans les #montagnes du #Caramulo, au centre du #Portugal, afin de déterrer une histoire oubliée de la #mémoire_collective rurale du pays. Celle de l’expropriation en 1941, par l’État salazariste, de milliers de paysans et de paysannes de leurs terres communales – #baldios en portugais.

    Cette #violence étatique a été opérée au nom d’un vaste #projet_industriel : planter des forêts pour développer économiquement ces #territoires_ruraux et, par le même geste, « civiliser » les villageois et villageoises des #montagnes, encore rétifs au #salariat et à l’ordre social réactionnaire de #Salazar. Un épisode qui résonne aujourd’hui avec les politiques libérales des États qui aident les intérêts privés à accaparer les biens communs.

    Mediapart : Comment avez-vous découvert cette histoire oubliée de l’expropriation des terres communales ou « baldios » au Portugal ?

    José Vieira : Complètement par hasard. J’étais en train de filmer Le pain que le diable a pétri (2012, Zeugma Films) sur les habitants des montagnes au Portugal qui sont partis après-guerre travailler dans les usines à Lisbonne.

    Je demandais à un vieux qui est resté au village, António, quelle était la définition d’un baldio – on voit cet extrait dans le documentaire, où il parle d’un lieu où tout le monde peut aller pour récolter du bois, faire pâturer ses bêtes, etc. Puis il me sort soudain : « Sauf que l’État a occupé tous les baldios, c’était juste avant que je parte au service militaire. »

    J’étais estomaqué, je voulais en savoir plus mais impossible, car dans la foulée, il m’a envoyé baladé en râlant : « De toute façon, je ne te supporte pas aujourd’hui. »

    Qu’avez-vous fait alors ?

    J’ai commencé à fouiller sur Internet et j’ai eu la chance de tomber sur une étude parue dans la revue de sociologie portugaise Análise Social, qui raconte comment dans les années 1940 l’État salazariste avait pour projet initial de boiser 500 000 hectares de biens communaux en expropriant les usagers de ces terres.

    Je devais ensuite trouver des éléments d’histoire locale, dans la Serra do Caramulo, dont je suis originaire. J’ai passé un temps fou le nez dans les archives du journal local, qui était bien sûr à l’époque entièrement dévoué au régime.

    Après la publication de l’avis à la population que les baldios seront expropriés au profit de la plantation de forêts, plus aucune mention des communaux n’apparaît dans la presse. Mais rapidement, des correspondants locaux et des éditorialistes vont s’apercevoir qu’il existe dans ce territoire un malaise, qu’Untel abandonne sa ferme faute de pâturage ou que d’autres partent en ville. En somme, que sans les baldios, les gens ne s’en sortent plus.

    Comment sont perçus les communaux par les tenants du salazarisme ?

    Les ingénieurs forestiers décrivent les paysans de ces territoires comme des « primitifs » qu’il faut « civiliser ». Ils se voient comme des missionnaires du progrès et dénoncent l’oisiveté de ces montagnards peu enclins au salariat.

    À Lisbonne, j’ai trouvé aussi une archive qui parle des baldios comme étant une source de perversion, de mœurs légères qui conduisent à des enfants illégitimes dans des coins où « les familles vivent presque sans travailler ». Un crime dans un régime où le travail est élevé au rang de valeur suprême.

    On retrouve tous ces différents motifs dans le fameux Portrait du colonisé d’Albert Memmi (1957). Car il y a de la part du régime un vrai discours de colonisateur vis-à-vis de ces régions montagneuses où l’État et la religion ont encore peu de prise sur les habitants.

    En somme, l’État salazariste veut faire entrer ces Portugais reculés dans la modernité.

    Il y a eu des résistances face à ces expropriations ?

    Les villageois vont être embauchés pour boiser les baldios. Sauf qu’après avoir semé les pins, il faut attendre vingt ans pour que la forêt pousse.

    Il y a eu alors quelques histoires d’arrachage clandestin d’arbres. Et je raconte dans le film comment une incartade avec un garde forestier a failli virer au drame à cause d’une balle perdue – je rappelle qu’on est alors sous la chape de plomb du salazarisme. D’autres habitants ont aussi tabassé deux gardes forestiers à la sortie d’un bar et leur ont piqué leurs flingues.

    Mais la mémoire de ces résistances a peu été transmise. Aujourd’hui, avec l’émigration, il ne reste plus rien de cette mémoire collective, la plupart des vieux et vieilles que j’ai filmés dans ce documentaire sont déjà morts.

    Comment justement avez-vous travaillé pour ce documentaire ?

    Quand António me raconte cette histoire d’expropriation des baldios par l’État, c’était en 2010 et je tournais un documentaire, Souvenirs d’un futur radieux. Puis lorsqu’en 2014 un premier incendie a calciné le paysage forestier, je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette.

    J’ai travaillé doucement, pendant trois ans, sans savoir où j’allais réellement. J’ai filmé un village situé à 15 kilomètres de là où je suis né. J’ai fait le choix d’y suivre des gens qui subsistent encore en pratiquant une agriculture traditionnelle, avec des outils de travail séculaires, comme la roue celte. Ils ont les mêmes pratiques que dans les années 1940, et qui sont respectueuses de l’écosystème, de la ressource en eau, de la terre.

    Vous vous êtes aussi attaché à retracer tel un historien cet épisode de boisement à marche forcée...

    Cette utopie industrialiste date du XIXe siècle, des ingénieurs forestiers parlant déjà de vouloir récupérer ces « terres de personne ». Puis sous Salazar, dans les années 1930, il y a eu un débat intense au sein du régime entre agrairistes et industrialistes. Pour les premiers, boiser ne va pas être rentable et les baldios sont vitaux aux paysans. Pour les seconds, le pays a besoin de l’industrie du bois pour décoller économiquement, et il manque de bras dans les villes pour travailler dans les usines.

    Le pouvoir central a alors même créé un organisme étatique, la Junte de colonisation interne, qui va recenser les baldios et proposer d’installer des personnes en leur donnant à cultiver des terres communales – des colonies de repeuplement pour résumer.

    Finalement, l’industrie du bois et de la cellulose l’a emporté. La loi de boisement des baldios est votée en 1938 et c’est en novembre 1941 que ça va commencer à se mettre en place sur le terrain.

    Une enquête publique a été réalisée, où tout le monde localement s’est prononcé contre. Et comme pour les enquêtes aujourd’hui en France, ils se sont arrangés pour dire que les habitants étaient d’accord.

    Qu’en est-il aujourd’hui de ces forêts ? Subsiste-t-il encore des « baldios » ?

    Les pinèdes sont exploitées par des boîtes privées qui font travailler des prolos qui galèrent en bossant dur. Mais beaucoup de ces forêts ont brûlé ces dernière décennies, notamment lors de la grande vague d’incendies au Portugal de 2017, où des gens du village où je filmais ont failli périr.

    Les feux ont dévoilé les paysages de pierre qu’on voyait auparavant sur les photos d’archives du territoire, avant que des pins de 30 mètres de haut ne bouchent le paysage.

    Quant aux baldios restants, ils sont loués à des entreprises de cellulose qui y plantent de l’eucalyptus. D’autres servent à faire des parcs d’éoliennes. Toutes les lois promues par les différents gouvernements à travers l’histoire du Portugal vont dans le même sens : privatiser les baldios alors que ces gens ont géré pendant des siècles ces espaces de façon collective et très intelligente.

    J’ai fait ce film avec en tête les forêts au Brésil gérées par les peuples autochtones depuis des siècles, TotalEnergies en Ouganda qui déplace 100 000 personnes de leurs terres pour du pétrole ou encore Sainte-Soline, où l’État aide les intérêts privés à accaparer un autre bien commun : l’eau.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/021223/jose-vieira-la-memoire-des-resistances-face-l-accaparement-des-terres-ete-

    #accaparement_de_terres #terre #terres #dictature #histoire #paysannerie #Serra_do_Caramulo #communaux #salazarisme #progrès #colonisation #colonialisme #rural #modernité #résistance #incendie #boisement #utopie_industrialiste #ingénieurs #ingénieurs_forestiers #propriété #industrie_du_bois #Junte_de_colonisation_interne #colonies_de_repeuplement #cellulose #pinèdes #feux #paysage #privatisation #eucalyptus #éoliennes #loi #foncier

  • Cette #hospitalité_radicale que prône la philosophe #Marie-José_Mondzain

    Dans « Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays », Marie-José Mondzain, 81 ans, se livre à un plaidoyer partageur. Elle oppose à la #haine d’autrui, dont nous éprouvons les ravages, l’#amour_sensible et politique de l’Autre, qu’il faudrait savoir adopter.

    En ces temps de crispations identitaires et même de haines communautaires, Marie-José Mondzain nous en conjure : choisissons, contre l’#hostilité, l’hospitalité. Une #hospitalité_créatrice, qui permette de se libérer à la fois de la loi du sang et du #patriarcat.

    Pour ce faire, il faut passer de la filiation biologique à la « #philiation » − du grec philia, « #amitié ». Mais une #amitié_politique et proactive : #abriter, #nourrir, #loger, #soigner l’Autre qui nous arrive ; ce si proche venu de si loin.

    L’hospitalité fut un objet d’étude et de réflexion de Jacques Derrida (1930-2004). Née douze ans après lui, à Alger comme lui, Marie-José Mondzain poursuit la réflexion en rompant avec « toute légitimité fondée sur la réalité ou le fantasme des origines ». Et en prônant l’#adoption comme voie de réception, de prise en charge, de #bienvenue.

    Son essai Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays se voudrait programmatique en invitant à « repenser les #liens qui se constituent politiquement et poétiquement dans la #rencontre de tout sujet qu’il nous incombe d’adopter ».

    D’Abraham au film de Tarkovski Andreï Roublev, d’Ulysse à A. I. Intelligence artificielle de Spielberg en passant par Antigone, Shakespeare ou Melville, se déploie un plaidoyer radical et généreux, « phraternel », pour faire advenir l’humanité « en libérant les hommes et les femmes des chaînes qui les ont assignés à des #rapports_de_force et d’#inégalité ».

    En cette fin novembre 2023, alors que s’ajoute, à la phobie des migrants qui laboure le monde industriel, la guerre menée par Israël contre le Hamas, nous avons d’emblée voulu interroger Marie-José Mondzain sur cette violence-là.

    Signataire de la tribune « Vous n’aurez pas le silence des juifs de France » condamnant le pilonnage de Gaza, la philosophe est l’autrice d’un livre pionnier, adapté de sa thèse d’État qui forait dans la doctrine des Pères de l’Église concernant la représentation figurée : Image, icône, économie. Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain (Seuil, 1996).

    Mediapart : Comment voyez-vous les images qui nous travaillent depuis le 7 octobre ?

    Marie-José Mondzain : Il y a eu d’emblée un régime d’images relevant de l’événement dans sa violence : le massacre commis par le Hamas tel qu’il fut en partie montré par Israël. À cela s’est ensuite substitué le tableau des visages et des noms des otages, devenu toile de fond iconique.

    Du côté de Gaza apparaît un champ de ruines, des maisons effondrées, des rues impraticables. Le tout depuis un aplomb qui n’est plus un regard humain mais d’oiseau ou d’aviateur, du fait de l’usage des drones. La mort est alors sans visages et sans noms.

    Face au phénomène d’identification du côté israélien s’est donc développée une rhétorique de l’invisibilité palestinienne, avec ces guerriers du Hamas se terrant dans des souterrains et que traque l’armée israélienne sans jamais donner à voir la moindre réalité humaine de cet ennemi.

    Entre le visible et l’invisible ainsi organisés, cette question de l’image apparaît donc extrêmement dissymétrique. Dissymétrie accentuée par la mise en scène des chaînes d’information en continu, qui séparent sur les écrans, avec des bandes lumineuses et colorées, les vues de Gaza en ruine et l’iconostase des otages.

    C’est avec de telles illustrations dans leur dos que les prétendus experts rassemblés en studio s’interrogent : « Comment retrouver la paix ? » Comme si la paix était suspendue à ces images et à la seule question des otages. Or, le contraire de la guerre, ce n’est pas la paix − et encore moins la trêve −, mais la justice.

    Nous assistons plutôt au triomphe de la loi du talion, dont les images deviennent un levier. Au point que visionner les vidéos des massacres horrifiques du Hamas dégénère en obligation…

    Les images deviennent en effet une mise à l’épreuve et une punition. On laisse alors supposer qu’elles font suffisamment souffrir pour que l’on fasse souffrir ceux qui ne prennent pas la souffrance suffisamment au sérieux.

    Si nous continuons à être uniquement dans une réponse émotionnelle à la souffrance, nous n’irons pas au-delà d’une gestion de la trêve. Or la question, qui est celle de la justice, s’avère résolument politique.

    Mais jamais les choses ne sont posées politiquement. On va les poser en termes d’identité, de communauté, de religion − le climat très trouble que nous vivons, avec une indéniable remontée de l’antisémitisme, pousse en ce sens.

    Les chaînes d’information en continu ne nous montrent jamais une carte de la Cisjordanie, devenue trouée de toutes parts telle une tranche d’emmental, au point d’exclure encore et toujours la présence palestinienne. Les drones ne servent jamais à filmer les colonies israéliennes dans les Territoires occupés. Ce serait pourtant une image explicite et politique…

    Vous mettez en garde contre toute « réponse émotionnelle » à propos des images, mais vous en appelez dans votre livre aux affects, dans la mesure où, écrivez-vous, « accueillir, c’est métamorphoser son regard »…

    J’avais écrit, après le 11 septembre 2001, L’#image peut-elle tuer ?, ou comment l’#instrumentalisation du #régime_émotionnel fait appel à des énergies pulsionnelles, qui mettent le sujet en situation de terreur, de crainte, ou de pitié. Il s’agit d’un usage balistique des images, qui deviennent alors des armes parmi d’autres.

    Un tel bombardement d’images qui sème l’effroi, qui nous réduit au silence ou au cri, prive de « logos » : de parole, de pensée, d’adresse aux autres. On s’en remet à la spontanéité d’une émotivité immédiate qui supprime le temps et les moyens de l’analyse, de la mise en rapport, de la mise en relation.

    Or, comme le pensait Édouard Glissant, il n’y a qu’une poétique de la relation qui peut mener à une politique de la relation, donc à une construction mentale et affective de l’accueil.

    Vous prônez un « #tout-accueil » qui semble faire écho au « Tout-monde » de Glissant…

    Oui, le lien est évident, jusqu’en ce #modèle_archipélique pensé par Glissant, c’est-à-dire le rapport entre l’insularité et la circulation en des espaces qui sont à la fois autonomes et séparables, qui forment une unité dans le respect des écarts.

    Ces écarts assument la #conflictualité et organisent le champ des rapports, des mises en relation, naviguant ainsi entre deux écueils : l’#exclusion et la #fusion.

    Comment ressentir comme un apport la vague migratoire, présentée, voire appréhendée tel un trop-plein ?

    Ce qui anime mon livre, c’est de reconnaître que celui qui arrive dans sa nudité, sa fragilité, sa misère et sa demande est l’occasion d’un accroissement de nos #ressources. Oui, le pauvre peut être porteur de quelque chose qui nous manque. Il nous faut dire merci à ceux qui arrivent. Ils deviennent une #richesse qui mérite #abri et #protection, sous le signe d’une #gratitude_partagée.

    Ils arrivent par milliers. Ils vont arriver par millions − je ne serai alors plus là, vu mon âge −, compte tenu des conditions économiques et climatiques à venir. Il nous faut donc nous y préparer culturellement, puisque l’hospitalité est pour moi un autre nom de la #culture.

    Il nous faut préméditer un monde à partager, à construire ensemble ; sur des bases qui ne soient pas la reproduction ou le prolongement de l’état de fait actuel, que déserte la prospérité et où semble s’universaliser la guerre. Cette préparation relève pour moi, plus que jamais, d’une #poétique_des_relations.

    Je travaille avec et auprès d’artistes − plasticiens, poètes, cinéastes, musiciens −, qui s’emparent de toutes les matières traditionnelles ou nouvelles pour créer la scène des rapports possibles. Il faut rompre avec ce qui n’a servi qu’à uniformiser le monde, en faisant appel à toutes les turbulences et à toutes les insoumissions, en inventant et en créant.

    En établissant des #zones_à_créer (#ZAC) ?

    Oui, des zones où seraient rappelées la force des faibles, la richesse des pauvres et toutes les ressources de l’indigence qu’il y a dans des formes de précarité.

    La ZAD (zone à défendre) ne m’intéresse effectivement que dans la mesure où elle se donne pour but d’occuper autrement les lieux, c’est-à-dire en y créant la scène d’une redistribution des places et d’un partage des pouvoirs face aux tyrannies économiques.

    Pas uniquement économiques...

    Il faut bien sûr compter avec ce qui vient les soutenir, anthropologiquement, puisque ces tyrannies s’équipent de tout un appareil symbolique et d’affects touchant à l’imaginaire.

    Aujourd’hui, ce qui me frappe, c’est la place de la haine dans les formes de #despotisme à l’œuvre. Après – ou avant – Trump, nous venons d’avoir droit, en Argentine, à Javier Milei, l’homme qui se pose en meurtrier prenant le pouvoir avec une tronçonneuse.

    Vous y opposez une forme d’amitié, de #fraternité, la « #filia », que vous écrivez « #philia ».

    Le [ph] désigne des #liens_choisis et construits, qui engagent politiquement tous nos affects, la totalité de notre expérience sensible, pour faire échec aux formes d’exclusion inspirées par la #phobie.

    Est-ce une façon d’échapper au piège de l’origine ?

    Oui, ainsi que de la #naturalisation : le #capitalisme se considère comme un système naturel, de même que la rivalité, le désir de #propriété ou de #richesse sont envisagés comme des #lois_de_la_nature.

    D’où l’appellation de « #jungle_de_Calais », qui fait référence à un état de nature et d’ensauvagement, alors que le film de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval, L’Héroïque lande. La frontière brûle (2018), montre magnifiquement que ce refuge n’était pas une #jungle mais une cité et une sociabilité créées par des gens venus de contrées, de langues et de religions différentes.

    Vous est-il arrivé personnellement d’accueillir, donc d’adopter ?

    J’ai en en effet tissé avec des gens indépendants de mes liens familiaux des relations d’adoption. Des gens dont je me sentais responsable et dont la fragilité que j’accueillais m’apportait bien plus que ce que je pouvais, par mes ressources, leur offrir.

    Il arrive, du reste, à mes enfants de m’en faire le reproche, tant les font parfois douter de leur situation les relations que je constitue et qui tiennent une place si considérable dans ma vie. Sans ces relations d’adoption, aux liens si constituants, je ne me serais pas sentie aussi vivante que je le suis.

    D’où mon refus du seul #héritage_biologique. Ce qui se transmet se construit. C’est toujours dans un geste de fiction turbulente et joyeuse que l’on produit les liens que l’on veut faire advenir, la #vie_commune que l’on désire partager, la cohérence politique d’une #égalité entre parties inégales – voire conflictuelles.

    La lecture de #Castoriadis a pu alimenter ma défense de la #radicalité. Et m’a fait reconnaître que la question du #désordre et du #chaos, il faut l’assumer et en tirer l’énergie qui saura donner une forme. Le compositeur Pascal Dusapin, interrogé sur la création, a eu cette réponse admirable : « C’est donner des bords au chaos. »

    Toutefois, ces bords ne sont pas des blocs mais des frontières toujours poreuses et fluantes, dans une mobilité et un déplacement ininterrompus.

    Accueillir, est-ce « donner des bords » à l’exil ?

    C’est donner son #territoire au corps qui arrive, un territoire où se créent non pas des murs aux allures de fin de non-recevoir, mais des cloisons – entre l’intime et le public, entre toi et moi : ni exclusion ni fusion…

    Mon livre est un plaidoyer en faveur de ce qui circule et contre ce qui est pétrifié. C’est le #mouvement qui aura raison du monde. Et si nous voulons que ce mouvement ne soit pas une déclaration de guerre généralisée, il nous faut créer une #culture_de_l’hospitalité, c’est-à-dire apprendre à recevoir les nouvelles conditions du #partage.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/271123/cette-hospitalite-radicale-que-prone-la-philosophe-marie-jose-mondzain
    #hospitalité #amour_politique

    via @karine4

    • Accueillir - venu(e)s d’un ventre ou d’un pays

      Naître ne suffit pas, encore faut-il être adopté. La filiation biologique, et donc l’arrivée d’un nouveau-né dans une famille, n’est pas le modèle de tout accueil mais un de ses cas particuliers. Il ne faut pas penser la filiation dans son lien plus ou moins fort avec le modèle normatif de la transmission biologique, mais du point de vue d’une attention à ce qui la fonde : l’hospitalité. Elle est un art, celui de l’exercice de la philia, de l’affect et du lien qui dans la rencontre et l’accueil de tout autre exige de substituer au terme de filiation celui de philiation. Il nous faut rompre avec toute légitimité fondée sur la réalité ou le fantasme des origines. Cette rupture est impérative dans un temps de migrations planétaires, de déplacements subjectifs et de mutations identitaires. Ce qu’on appelait jadis « les lois de l’hospitalité » sont bafouées par tous les replis haineux et phobiques qui nous privent des joies et des richesses procurées par l’accueil. Faute d’adopter et d’être adopté, une masse d’orphelins ne peut plus devenir un peuple. La défense des philiations opère un geste théorique qui permet de repenser les liens qui se constituent politiquement et poétiquement dans la rencontre de tout sujet qu’il nous incombe d’adopter, qu’il provienne d’un ventre ou d’un pays. Le nouveau venu comme le premier venu ne serait-il pas celle ou celui qui me manquait ? D’où qu’il vienne ou provienne, sa nouveauté nous offre la possibilité de faire œuvre.

      https://www.quaidesmots.fr/accueillir-venu-e-s-d-un-ventre-ou-d-un-pays.html
      #livre #filiation_biologique #accueil

  • Les ménages les plus aisés ont échappé au piège de l’inflation, pas les plus modestes

    L’#Insee publie deux études qui permettent de mesurer l’impact de l’inflation sur le niveau de vie. Conséquence d’une #politique_antiredistributive du gouvernement, les 10 % les plus aisés sont les seuls à avoir vu leur capacité d’acheter progresser.

    LaLa France a connu en 2022 le plus fort taux d’inflation depuis le milieu des années 1980, avec un niveau moyen de 5,2 %. Cette accélération de la hausse des prix est souvent difficile à traduire en termes d’impact sur le niveau de vie, car le taux d’inflation concerne un panier moyen assez éloigné de la réalité des dépenses quotidiennes des ménages. De même, il est parfois difficile de saisir la réalité de l’évolution des revenus qui viendrait compenser cette hausse des prix.

    Deux études de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publiées jeudi 23 novembre dans le cadre de son « Portrait social de la France » annuel tentent néanmoins de saisir le phénomène. La première décrypte l’impact sur les niveaux de vie des mesures sociofiscales, c’est-à-dire des mesures prises par le gouvernement sur le plan des allocations, exceptionnelles ou non, et des changements fiscaux. La seconde tente d’établir un état des lieux de l’évolution du niveau de vie en 2022 en estimant l’impact de l’évolution des différents types de revenu.

    Cela ne surprendra personne, mais le résultat de cette dernière étude confirme la baisse majeure du niveau de vie en France en 2022. Selon l’Insee, les mesures sociofiscales et l’évolution des revenus n’ont, en moyenne, compensé que 90 % de la hausse estimée des dépenses liées à l’inflation. C’est-à-dire que les revenus ont augmenté 10 % en deçà de la hausse des dépenses.

    Mais la facture n’a pas été la même pour tout le monde. Pour 80 % des Français, l’impact négatif est plutôt compris entre 15 % et 20 %, et plutôt proche de 20 %. Mais pour les 10 % qui bénéficient des revenus les plus élevés, l’année 2022 a été une année où les revenus ont dépassé de 10 % la hausse des prix.

    Autrement dit, l’inflation a encore creusé les inégalités réelles. Cette vérité est d’autant plus dure que pour les plus modestes, la compensation n’est liée qu’à des mesures ponctuelles, alors que pour les plus riches, ce sont les revenus primaires qui ont augmenté.
    Les effets des mesures gouvernementales

    Pour comprendre le phénomène, il faut revenir à l’impact de la hausse des prix sur les dépenses des ménages. L’Insee a travaillé sur l’hypothèse d’une stabilité des comportements, autrement dit sur une structure stable des dépenses. Dans les faits, bien sûr, l’inflation conduit à des changements de comportement de consommation. Mais l’idée ici est de comparer l’effet de l’inflation de 2022 sur le niveau de vie de 2021, l’hypothèse est donc cohérente.

    L’Institut estime que le renchérissement de ces dépenses s’élève en moyenne à 1 320 euros sur 2022. Mais là encore, la situation n’est pas la même selon le niveau de revenu. Si les plus riches ont une facture plus élevée en euros courants, ce qui est logique puisqu’ils consomment davantage, l’impact de cette hausse est beaucoup plus faible. Ainsi, les Français qui ont les 10 % des revenus les plus hauts ont vu leur niveau de vie amputé par l’inflation de 3,6 %. Mais pour ceux qui ont les revenus les 10 % les plus bas, cet impact négatif est de 7,4 %, soit plus du double.

    En face, deux sources de revenu sont venues compenser cette dégradation : d’un côté la politique sociofiscale, de l’autre l’effet des revenus primaires, c’est-à-dire l’effet des revenus du travail et du patrimoine.

    Sur le premier terrain, le gouvernement a multiplié les mesures ponctuelles comme le chèque énergie, la prime exceptionnelle de rentrée, l’indemnité inflation ou la revalorisation anticipée de certaines prestations. À cela se sont ajoutées quelques mesures pérennes de revalorisation, notamment celle de l’allocation pour les familles monoparentales ou la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé. Enfin, il y a eu la dernière phase de la suppression de la taxe d’habitation, imposée à l’État après sa décision de supprimer cette taxe pour les classes moyennes lors du premier quinquennat.

    Toutes ces mesures ont coûté 5,7 milliards d’euros en termes nets et, logiquement, elles ont d’abord profité aux plus modestes. Cumulées, elles ont apporté 190 euros supplémentaires par ménage en moyenne, mais l’effet est de 360 euros pour le premier décile de revenus (les 10 % qui ont les revenus les plus bas), soit un effet positif de 3,4 % sur leur niveau de vie. On voit qu’on est loin de la hausse des dépenses.

    A contrario des autres mesures sociofiscales, qui ont logiquement moins d’effet à mesure que le revenu augmente, la fin de la taxe d’habitation, qui concerne les 20 % de la population aux revenus les plus élevés, a, elle, permis d’ajouter 0,4 % de niveau de vie à cette seule population. Ce qui a un effet intéressant : l’effet des mesures sociofiscales sur les hauts revenus est, au total, plus important que pour les classes moyennes supérieures (les 30 % de la population dont les revenus sont supérieurs à la moyenne, mais inférieurs aux 20 % les plus riches).
    Des revenus du travail en faible progression

    Le deuxième élément clé pour saisir l’évolution du niveau de vie est celui des revenus primaires. Pour les plus modestes, l’essentiel des revenus est lié au salaire. Plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus la part des revenus du patrimoine (immobilier, produits financiers divers, dividendes) augmente.

    Ce que montre l’étude de l’Insee, c’est que l’évolution des salaires a été très éloignée de celle des prix. Ils n’ont en effet augmenté le niveau de vie qu’entre 1,5 % et 2 % en moyenne, bien loin, par conséquent, des effets inflationnistes. Et là encore, ce sont les plus modestes qui en ont le moins profité.

    Pour les plus aisés, notamment les 10 % de la population aux revenus les plus élevés, l’augmentation des salaires n’a pas été très élevée en termes de niveau de vie. Mais elle est plus que compensée par l’augmentation des revenus du patrimoine. Cette dernière représente pour ces 10 % pas moins de 970 euros en moyenne, soit 1,5 % du niveau de vie. Pour les 90 % de la population restante, l’effet des revenus du patrimoine est en moyenne de 150 euros, soit entre 0,5 et 0,8 % du niveau de vie.

    Cette situation n’est pas étonnante, et elle est le fruit d’un phénomène de long terme en partie explicable par la stratégie du gouvernement de supprimer en 2018 l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et d’introduire un niveau maximal d’imposition sur les revenus du capital à 30 % (c’est le prélèvement forfaitaire unique ou PFU). Cela a conduit une partie des individus aisés à faire basculer leur revenu du salaire vers le dividende, plus intéressant fiscalement. C’est ce qui explique aussi l’écart de performance entre ces deux types de revenu.

    Au total, l’effet de l’évolution des revenus est très faible pour les plus modestes : ils ne compensent qu’à 25 % la hausse du prix des dépenses pour les 10 % aux revenus les plus faibles. Mais les plus aisés, eux, sont bien protégés : les 10 % aux revenus les plus élevés voient leurs revenus primaires compenser à 95 % la hausse de leurs dépenses liées à l’inflation.

    C’est ainsi que l’on en arrive au résultat final : malgré un effort de compensation important de l’État, les plus modestes restent les plus grandes victimes de l’inflation, tandis que les plus aisés, eux, gagnent sur tous les tableaux : hausse des revenus primaires grâce aux revenus du patrimoine et surplus de revenu grâce à la suppression de la taxe d’habitation.

    Il convient de le souligner : si les plus aisés voient leurs revenus augmenter plus vite que leurs dépenses, c’est certes grâce aux revenus du patrimoine, mais aussi et surtout à cause de cette suppression de la taxe d’habitation, qui est une mesure antiredistributive. Or, si le Conseil d’État a contraint le gouvernement à supprimer l’ensemble de cette taxe, rien n’empêchait ce même gouvernement de trouver des mesures compensatoires pour ne pas favoriser les revenus des plus aisés tout en appauvrissant la puissance publique et sa capacité de redistribution.

    Ce résultat est d’autant plus préoccupant que les plus modestes doivent principalement compter sur des mesures provisoires qui les laissent à la merci du bon vouloir de l’État, tandis que les plus riches, eux, peuvent s’appuyer pour leurs revenus sur des mesures pérennes (fin de la taxe d’habitation, baisse de l’impôt sur le capital).

    Si donc on réfléchit aux effets durables de l’inflation, il est important de noter, puisque les prix ne baisseront pas, que la perte de niveau de vie des Français sera durable. Le décalage entre le niveau des prix et les revenus va rester constant, faute de dynamique des revenus du travail et compte tenu du retrait des mesures anti-inflationnistes, qui ne prennent pas en compte cet aspect durable. Les plus riches, eux, peuvent se réjouir puisque l’amélioration de leur sort, déjà très favorable, sera encore plus notable avec le ralentissement des prix.
    La responsabilité du gouvernement

    Derrière ces chiffres déjà désastreux, il y a une réalité encore plus dure. Pour les ménages les plus modestes, les revenus du travail sont insuffisants et les revenus sociaux sont incertains, et même souvent menacés. La politique d’attaques contre les allocations-chômage en 2023 en a apporté la preuve formelle : le gouvernement n’est pas un garant fiable de l’évolution future de leur niveau de vie.

    On notera d’ailleurs que, malgré les « chèques énergie » et autres « indemnités inflation », les ménages les plus exposés aux dépenses importantes d’énergie et de carburant ont été les plus touchés. Le niveau de vie des ménages ruraux est ainsi plus dégradé que celui des ménages de la région parisienne, qui, en moyenne, est plutôt stable.

    En réalité, la responsabilité gouvernementale dans la situation décrite par l’Insee est bien plus vaste. Emmanuel Macron l’avait annoncé dès sa conférence de presse du 14 juillet 2020 : il défend une politique de « modération salariale » en vue de favoriser les profits et l’accumulation du capital. Cette logique sous-tend l’ensemble des réformes du marché du travail, des retraites et de l’assurance-chômage menées depuis 2017. Et elle va se poursuivre, comme l’a confirmé le chef de l’État mardi 21 novembre.

    Il n’y a donc aucune surprise à ce que les revenus salariaux ne suivent pas les prix. Évidemment, l’autre conséquence de cette politique, c’est que l’État, pour tenter de modérer l’effet désastreux de sa propre politique, doit intervenir avec des mesures coûteuses mais forcément partielles. Mesures que ce même État fera payer aux plus modestes plus tard par une politique de dégradation de la redistribution et des services publics au nom de la « réduction de la dette », puisqu’il refuse toute hausse d’impôts.

    La boucle est bouclée. Ce refus de la redistribution fiscale est, comme on l’a vu, très favorable aux plus aisés sur le long terme. L’État apparaît alors comme un Don Quichotte économique, feignant de lutter contre un mouvement de fond. À cette différence près avec l’Hidalgo de la Mancha que c’est lui-même qui initie et soutient ce mouvement de fond.

    Les satisfecit continus du gouvernement se glorifiant des différentes mesures d’aides contre les effets de l’inflation ne peuvent donc pas dissimuler l’échec patent de sa stratégie. En donnant la priorité aux profits et aux rentes, il met à contribution le travail et expose les ménages modestes aux conséquences directes de l’inflation.

    Ainsi, l’effet de l’inflation, plus fort pour le bas de la distribution des revenus, n’est pas le fruit d’une force économique malheureuse et incontrôlable, elle est directement le produit d’une politique. Et de fait, la faiblesse de la hausse des revenus du travail face aux prix confirme l’importance de l’indexation salariale pour préserver le niveau de vie des travailleurs. Mais le gouvernement préfère protéger les revenus des plus riches, et c’est même le cœur de sa philosophie économique.

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/231123/les-menages-les-plus-aises-ont-echappe-au-piege-de-l-inflation-pas-les-plu
    #redistribution #économie

    #pauvreté #richesse #riches #pauvres #inflation #statistiques #chiffres #France #fiscalité #niveau_de_vie

  • Selon #Oxfam, les 1 % les plus riches du monde émettent autant de #CO2 que les deux tiers des plus pauvres

    77 millions de fortunés émettent autant de gaz à effet de serre que les cinq milliards de personnes les plus pauvres de la planète, dénonce un rapport d’Oxfam publié dimanche 19 novembre.

    Le poids des plus riches pèse lourd dans la balance du dérèglement climatique. Selon un rapport d’Oxfam publié dimanche 19 novembre, les 1 % les plus riches de la planète, soit 77 millions de personnes, émettent autant de gaz à effet de serre que les deux tiers de la population la plus pauvre, soit environ cinq milliards de personnes. L’empreinte carbone de ces très riches s’est ainsi établie en 2019 à « 16 % des émissions mondiales », et a « occasionné 1,3 million de décès supplémentaires dus à la chaleur », chiffre le rapport.

    Si la lutte contre le changement climatique est un défi commun, certains en sont donc plus responsables que d’autres et les politiques gouvernementales doivent être adaptées en conséquence, a exhorté Max Lawson, coauteur du rapport publié par l’ONG de lutte contre la pauvreté. « Plus vous êtes riche, plus il est facile de réduire vos émissions personnelles et celles liées à vos investissements, selon lui. Vous n’avez pas besoin d’une troisième voiture, de quatrièmes vacances ou […] d’investir dans l’industrie du ciment. »

    Selon Oxfam, « les 50 % les plus pauvres sont responsables d’à peine 8 % des émissions mondiales de CO2 ». Parmi les autres principales conclusions, le rapport alerte aussi sur le fait que « depuis les années 1990, les 1 % des super-riches ont brûlé deux fois plus de budget carbone que la moitié la plus pauvre de l’humanité réunie ». Le seuil de revenu annuel pour faire partie des 1 % les plus riches a été ajusté par pays : aux Etats-Unis, le seuil est de 140 000 dollars, alors qu’il se fixe à environ 40 000 dollars au Kenya.
    Bernard Arnault émet 1 270 fois plus de gaz à effet de serre qu’un Français moyen

    Ces « inégalités extrêmes » n’épargnent pas la France, selon Oxfam. Si l’on exclut les émissions associées à ses investissements, Bernard Arnault, le PDG français du groupe de luxe LVMH, a une empreinte carbone 1 270 fois supérieure à celle d’un Français moyen. En 2019, le Français le plus riche du pays aurait ainsi émis près de 8 100 tonnes de CO2, contre 6,4 tonnes pour un Français moyen. Ces émissions de carbone dans l’atmosphère présentent des « conséquences dramatiques pour les pays et les communautés les plus pauvres – avec en première ligne les femmes et les enfants –, qui sont pourtant les moins responsables de la crise climatique », détaille l’ONG. Dans l’Hexagone, les 1 % les plus riches auraient émis autant de carbone en un an que les 50 % les plus pauvres en dix ans.

    « Nous pensons qu’à moins que les gouvernements n’adoptent une politique climatique progressiste, où les personnes qui émettent le plus sont invitées à faire les plus grands sacrifices, nous n’obtiendrons jamais de bonnes politiques dans ce domaine », a estimé Max Lawson. Cela pourrait consister à la mise en place d’un « ISF climatique » ; à « mettre fin aux niches fiscales climaticides comme celle sur le kérosène de l’aérien » ; ou encore à une « taxe sur les dividendes pour les entreprises ne respectant pas l’Accord de Paris ». Selon Oxfam, ces différentes mesures de fiscalité écologique pourraient engranger « 50 milliards d’euros de recettes par an à la France ».

    Intitulée « L’égalité climatique : une planète pour les 99 %», cette étude, la plus complète jamais réalisée sur l’inégalité climatique mondiale, s’appuie sur des recherches compilées par l’Institut de l’environnement de Stockholm et analyse les émissions liées à la consommation associées à différentes catégories de revenus jusqu’en 2019. Selon elle, « l’accroissement des inégalités » et le « dérèglement climatique » se présentent comme « deux crises entrelacées, fusionnées, et [qui] s’alimentent mutuellement ». Un cercle vicieux qui doit cesser au plus vite.

    https://www.liberation.fr/environnement/climat/selon-oxfam-les-1-les-plus-riches-du-monde-emettent-autant-de-co2-que-les

    #classes_sociales #climat #changement_climatique #rapport #riches #richesse #chiffres #statistiques

    • Les inégalités des émissions en 2030 : L’empreinte carbone par habitant et l’objectif de 1,5⁰C

      Les inégalités des émissions en 2030 : L’empreinte carbone par habitant et l’objectif de 1,5⁰C
      En 2030, on estime que les 1 % les plus riches de la planète auront une empreinte carbone par habitant 30 fois supérieure à celle compatible pour limiter le réchauffement à 1,5°C, objectif inscrit dans l’Accord de Paris. En revanche, l’empreinte carbone de la moitié la plus pauvre de l’humanité restera bien en-dessous de ce seuil. D’ici à 2030, les 1 % les plus riches représenteront une part encore plus importante des émissions mondiales de CO2 qu’au moment de la signature de l’Accord de Paris. S’attaquer aux inégalités extrêmes et identifier les émissions excessives liées à la consommation et aux investissements des personnes les plus riches du monde est crucial pour maintenir en vie l’objectif de 1,5°C.

      https://policy-practice.oxfam.org/fr/resources/les-inegalites-des-emissions-en-2030-lempreinte-carbone-par-h

      #oxfam

  • Immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de #Gérald_Darmanin, la France s’illustre encore dans le #repli, le #rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaire, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. Quelques réflexions alternatives sur la « #misère_du_monde » et son « #accueil », parce qu’on ne peut plus se rendre complice de cinq mille morts chaque année.

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de Gérald Darmanin, la France s’illustre encore dans le repli, le rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaires, et alors que s’annonce l’examen parlementaire d’un projet de loi plus brutal et liberticide que jamais, signé par le même Darmanin, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. C’est ce à quoi s’efforce Pierre Tevanian dans le texte qui suit. Dans la foulée de son livre « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort->, co-signé l’an passé avec Jean-Charles Stevens, et à l’invitation de la revue Respect, qui publie le 21 septembre 2023 un numéro intitulé « Bienvenue » et intégralement consacré à l’accueil des migrants, Pierre Tevanian a répondu à la question suivante : de quelle politique alternative avons-nous besoin ? De son article intitulé « Repenser l’accueil, oser l’égalité », le texte qui suit reprend les grandes lignes, en les développant et en les prolongeant.

    *

    Lorsqu’en juillet 2022 nous mettions sous presse notre ouvrage, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, l’association Missing Migrants recensait 23801 morts en méditerranée pour la décennie passée, ainsi que 797 morts aux frontières Nord et Est de la « forteresse Europe ». Un an plus tard, l’hécatombe s’élève à 20 089 morts en méditerranée et 1052 au Nord et à l’Est [Chiffres produits le 20 septembre 2023]. Soit 5340 vies de plus en un an, fauchées par une politique concertée qui, adossée à ce simple dicton sur la « misère du monde », s’arroge insolemment le monopole de la « raison » et de la « responsabilité ».

    C’est de là qu’il faut partir, et là qu’il faut toujours revenir, lorsqu’on parle d’ « immigration » et de « politique d’immigration ». C’est à ce « reste » consenti de la « gestion » technocratique des « flux migratoires » que nous revenons constamment, opiniâtrement, dans notre livre, afin de ré-humaniser un débat public que cinq décennies de démagogie extrémiste – mais aussi de démagogie gouvernante – ont tragiquement déshumanisé.

    L’urgence est là, si l’on se demande quelle politique alternative doit être inventée, et tout le reste en découle. Il s’agit de libérer notre capacité de penser, mais aussi celle de sentir, de ressentir, d’être affectés, si longtemps verrouillées, intimidées, médusées par le matraquage de ce dicton et de son semblant d’évidence. Ici comme en d’autres domaines (les choix économiques néolibéraux, le démantèlement des services publics et des droits sociaux), le premier geste salutaire, celui qui détermine tous les autres mais nécessite sans doute le principal effort, est un geste d’émancipation, d’empowerment citoyen, de sortie du mortifère « TINA » : « There Is No Alternative ».

    Le reste suivra. L’intelligence collective relèvera les défis, une fois libérée par ce préalable nécessaire que l’on nomme le courage politique. La question fatidique, ultime, « assassine » ou se voulant telle : « Mais que proposez-vous ? », trouvera alors mille réponses, infiniment plus « réalistes » et « rationnelles » que l’actuel « pantomime » de raison et de réalisme auquel se livrent nos gouvernants. Si on lit attentivement notre livre, chaque étape de notre propos critique contient en germe, ou « en négatif », des éléments « propositionnels », des pistes, voire un « programme » alternatif tout à fait réalisable. On se contentera ici d’en signaler quelques-uns – en suivant l’ordre de notre critique, mot à mot, du sinistre dicton : « nous » - « ne pouvons pas » - « accueillir » - « toute » - « la misère du monde ».

    Déconstruire le « nous », oser le « je ».

    Tout commence par là. Se re-subjectiver, diraient les philosophes, c’est-à-dire, concrètement : renouer avec sa capacité à penser et agir, et pour cela s’extraire de ce « on » tellement commode pour s’éviter de penser (« on sait bien que ») mais aussi s’éviter de répondre de ses choix (en diluant sa responsabilité dans un « nous » national). Assumer le « je », c’est accepter de partir de cette émotion face à ces milliers de vies fauchées, qui ne peut pas ne pas nous étreindre et nous hanter, si du moins nous arrêtons de l’étouffer à coup de petites phrases.

    C’est aussi se ressouvenir et se ré-emparer de notre capacité de penser, au sens fort : prendre le temps de l’information, de la lecture, de la discussion, de la rencontre aussi avec les concernés – cette « immigration » qui se compose de personnes humaines. C’est enfin, bien entendu, nourrir la réflexion, l’éclairer en partant du réel plutôt que des fantasmes et phobies d’invasion, et pour cela valoriser (médiatiquement, politiquement, culturellement) la somme considérable de travaux scientifiques (historiques, sociologiques, démographiques, économiques, géographiques [Lire l’Atlas des migrations édité en 2023 par Migreurop.]) qui tous, depuis des décennies, démentent formellement ces fantasmagories.

    Inventer un autre « nous », c’est abandonner ce « nous national » que critique notre livre, ce « nous » qui solidarise artificiellement exploiteurs et exploités, racistes et antiracistes, tout en excluant d’office une autre partie de la population : les résidents étrangers. Et lui substituer un « nous citoyen » beaucoup plus inclusif – inclusif notamment, pour commencer, lorsqu’il s’agit de débattre publiquement, et de « composer des panels » de participants au débat : la dispute sur l’immigration ne peut se faire sans les immigré·e·s, comme celle sur la condition féminine ne peut se faire sans les femmes.

    Ce nouveau « nous » devra toutefois être exclusif lui aussi, excluant et intolérant à sa manière – simplement pas avec les mêmes. Car rien de solidement et durablement positif et inclusif ne pourra se construire sans un moment « négatif » assumé de rejet d’une certaine composante de la « nation française », pour le moment « entendue », « comprise », excusée et cajolée au-delà de toute décence : celle qui exprime de plus en plus ouvertement et violemment son racisme, en agressant des migrant·e·s, en menaçant des élu·e·s, en incendiant leurs domiciles. Si déjà l’autorité de l’État se manifestait davantage pour soutenir les forces politiques, les collectifs citoyens, les élus locaux qui « accueillent », et réprimer celles qui les en empêchent en semant une véritable terreur, un grand pas serait fait.

    Reconsidérer notre « impuissance »… et notre puissance.

    Nous ne « pouvons » pas accueillir, nous dit-on, ou nous ne le pouvons plus. L’alternative, ici encore, consisterait à revenir au réel, et à l’assumer publiquement – et en premier lieu médiatiquement. La France est la seconde puissance économique européenne, la sixième puissance économique du monde, et l’un des pays au monde – et même en Europe – qui « accueille », en proportion de sa population totale, le moins de réfugié·e·s ou d’étranger·e·s. Parmi des dizaines de chiffres que nous citons, celui-ci est éloquent : 86% des émigrant·e·s de la planète trouvent refuge dans un pays « en développement ». Ou celui-ci : seuls 6,3% des personnes déplacées trouvent refuge dans un pays de l’Union européenne [Ces chiffres, comme les suivants, sont cités et référencés dans notre livre, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, op. cit.].

    Reconsidérer notre puissance, c’est aussi, on l’a vu, se rendre attentif au potentiel déjà existant : publiciser les initiatives locales de centres d’accueil ou de solidarités plus informelles, dont il est remarquable qu’elles sont rarement le fait de personnes particulièrement riches. C’est aussi défendre cette « puissance d’accueil » quand elle est menacée par des campagnes d’extrême droite, la valoriser au lieu de la réprimer. C’est donc aussi, très concrètement, abroger l’infâme « délit de solidarité » au nom duquel on a persécuté Cédric Herrou et tant d’autres. Aucun prétexte ne tient pour maintenir ce dispositif « performatif » (qui « déclare » l’accueil impossible, par l’interdit, afin de le rendre impossible, dans les faits). « Filières mafieuses », sur-exploitation des travailleurs sans-papiers, « marchands de sommeil » : tous ces fléaux sociaux pourraient parfaitement être combattus avec un arsenal légal délesté de ce sinistre « délit de solidarité » : le Droit du travail, le Droit du logement, et plus largement tout l’appareil pénal qui réprime déjà toute forme de violence, d’extorsion et d’abus de faiblesse.

    Repenser l’accueil, oser l’égalité.

    Si notre livre combat le rejet et valorise la solidarité, il critique pourtant la notion d’accueil ou celle d’hospitalité, telle qu’elle est mobilisée dans notre débat public. Pour une raison principalement : en entretenant la confusion entre le territoire national et la sphère domestique, le paradigme de l’hospitalité encourage les paniques sociales les plus irrationnelles (à commencer par le sentiment d’ « invasion »), mais aussi les régressions autoritaires les plus nocives (ce fameux « On est chez nous ! », qui assimile les étranger·e·s, fussent-ils ou elles titulaires d’un logement qui leur est propre, d’un bail ou d’un titre de propriété, à des intrus qui nous placent en situation de « légitime défense »). Ce qui est ainsi évacué du débat, c’est ni plus ni moins qu’un principe constitutionnel : le principe d’égalité de traitement de toutes et tous sur le territoire d’une république démocratique. Plusieurs dispositifs légaux, ici encore, seraient à abroger, parce qu’ils dérogent à ce principe d’égalité : la « double peine » , les « emplois réservés » – sans parler de la citoyenneté elle-même, qui gagnerait à être, comme dans la majorité des pays européens, ouvertes au moins partiellement aux résident·e·s étranger·e·s.

    Enfin, bien en deçà de ces mesures tout à fait réalisables, une urgence s’impose : avant de se demander si l’on va « accueillir », on pourrait commencer par laisser tranquilles les nouveaux arrivants. À défaut de les « loger chez soi », arrêter au moins de les déloger, partout où, avec leurs propres forces, à la sueur de leur front, ils ou elles élisent domicile – y compris quand il s’agit de simples tentes, cabanons et autres campements de fortune.

    Repenser le « tout », assumer les droits indivisibles

    Là encore la première des priorités, celle qui rend possible la suite, serait une pédagogie politique, et avant cela l’arrêt de la démagogie. Car là encore tout est connu, établi et documenté par des décennies de travaux, enquêtes, rapports, publiés par des laboratoires de recherche, des institutions internationales – et même des parlementaires de droite [Nous citons dans notre ouvrage ces différents rapports.].

    Il suffirait donc que ce savoir soit publicisé et utilisé pour éclairer le débat, en lieu et place de l’obscurantisme d’État qui fait qu’actuellement, des ministres continuent de mobiliser des fictions (le risque d’invasion et de submersion, le « coût de l’immigration », mais aussi ses effets « criminogènes ») que même les élus de leurs propres majorités démentent lorsqu’ils s’attèlent à un rapport parlementaire sur l’état des connaissances en la matière. Nous l’avons déjà dit : à l’échelle de la planète, seules 6,3% des personnes déplacées parviennent aux « portes de l’Europe » – et encore ce calcul n’inclut-il pas la plus radicale des « misères du monde », celle qui tue ou cloue sur place des populations, sans possibilité aucune de se déplacer. Cette vérité devrait suffire, si l’on osait la dire, pour congédier toutes les psychoses sur une supposée « totalité » miséreuse qui déferlerait « chez nous ».

    À l’opposé de cette « totalité » factice, prétendument « à nous portes », il y a lieu de repenser, assumer et revendiquer, sur un autre mode, et là encore à rebours de ce qui se pratique actuellement, une forme de « totalité » : celle qui sous-tend l’universalité et l’indivisibilité des droits humains, et du principe d’égalité de traitement : « tout » arrivant, on doit le reconnaître, a droit de bénéficier des mêmes protections, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, que sa peau soit claire ou foncée, qu’il vienne d’Ukraine ou d’Afghanistan. Le droit d’asile, les dispositifs d’accueil d’urgence, les droits des femmes, les droits de l’enfant, le droit de vivre en famille, les droits sociaux, et au-delà l’ensemble du Droit déjà existant (rappelons-le !), ne doit plus souffrir une application à géométries variables.

    Il s’agit en l’occurrence de rompre, au-delà des quatre décennies de « lepénisation » qui ont infesté notre débat public, avec une tradition centenaire de discrimination institutionnelle : cette « pensée d’État » qui a toujours classé, hiérarchisé et « favorisé » certaines « populations » au détriment d’autres, toujours suivant les deux mêmes critères : le profit économique (ou plus précisément le marché de l’emploi et les besoins changeants du patronat) et la phobie raciste (certaines « cultures » étant déclarées moins « proches » et « assimilables » que d’autres, voire franchement « menaçantes »).

    Respecter la « misère du monde », reconnaître sa richesse.

    Il n’est pas question, bien sûr, de nier la situation de malheur, parfois extrême, qui est à l’origine d’une partie importante des migrations internationales, en particulier quand on fuit les persécutions, les guerres, les guerres civiles ou les catastrophes écologiques. Le problème réside dans le fait de réduire des personnes à cette appellation abstraite déshumanisante, essentialisante et réifiante : « misère du monde », en niant le fait que les migrant·e·s, y compris les plus « misérables », arrivent avec leurs carences sans doute, leurs traumas, leurs cicatrices, mais aussi avec leur rage de vivre, leur créativité, leur force de travail, bref : leur puissance. Loin de se réduire à une situation vécue, dont précisément ils et elles cherchent à s’arracher, ce sont de potentiels producteurs de richesses, en tant que travailleurs et travailleuses, cotisant·e·s et consommateurs·trices. Loin d’être seulement des corps souffrants à prendre en charge, ils et elles sont aussi, par exemple, des médecins et des aides-soignant·es, des auxiliaires de vie, des assistantes maternelles, et plus largement des travailleurs et des travailleuses du care – qui viennent donc, eux-mêmes et elles-mêmes, pour de vrai, accueillir et prendre en charge « notre misère ». Et cela d’une manière tout à fait avantageuse pour « nous », puisqu’ils et elles arrivent jeunes, en âge de travailler, déjà formé·es, et se retrouvent le plus souvent sous-payé·es par rapport aux standards nationaux.

    Là encore, la solution se manifeste d’elle-même dès lors que le problème est bien posé : il y a dans ladite « misère du monde » une richesse humaine, économique notamment mais pas seulement, qu’il serait intéressant de cultiver et associer au lieu de la saboter ou l’épuiser par le harcèlement policier, les dédales administratifs et la surexploitation. L’une des mises en pratique concrète de ce virage politique serait bien sûr une opération de régularisation massive des sans-papiers, permettant (nous sommes là encore en terrain connu, éprouvé et documenté) de soustraire les concerné·e·s des « sous-sols » de l’emploi « pour sans-papiers », véritable « délocalisation sur place », et de leur donner accès aux étages officiels de la vie économique, ainsi qu’au Droit du travail qui le régit.

    Il y a enfin, encore et toujours, ce travail de pédagogie à accomplir, qui nécessite simplement du courage politique : populariser le consensus scientifique existant depuis des décennies, quelles que soit les périodes ou les espaces (états-unien, européen, français, régional), concernant l’impact de l’immigration sur l’activité et la croissance économique, l’emploi et les salaires des autochtones, l’équilibre des finances publiques, bref : la vie économique au sens large. Que ces études soient l’oeuvre d’institutions internationales ou de laboratoires de recherche, elles n’ont cessé de démontrer que « le coût de l’immigration » est tout sauf avéré, que les nouveaux arrivant·e·s constituent davantage une aubaine qu’une charge, et qu’on pourrait donc aussi bien parler de « la jeunesse du monde » ou de « la puissance du monde » que de sa « misère ».

    Redevenir moraux, enfin.

    Le mot a mauvaise presse, où que l’on se trouve sur l’échiquier politique, et l’on devrait s’en étonner. On devrait même s’en inquiéter, surtout lorsque, comme dans ce « débat sur l’immigration », il est question, ni plus ni moins que de vies et de morts. Les ricanements et les postures viriles devraient s’incliner – ou nous devrions les forcer à s’incliner – devant la prise en considération de l’autre, qui constitue ce que l’on nomme la morale, l’éthique ou tout simplement notre humanité. Car s’il est à l’évidence louable de refuser de « faire la morale » à des adultes consentants sur des questions d’identité sexuelle ou de sexualité qui n’engagent qu’elles ou eux, sans nuire à autrui, il n’en va pas de même lorsque c’est la vie des autres qui est en jeu. Bref : l’interdit de plus en plus impérieux qui prévaut dans nos débats sur l’immigration, celui de « ne pas culpabiliser » l’électeur lepéniste, ne saurait être l’impératif catégorique ultime d’une démocratie saine.

    Pour le dire autrement, au-delà de la « misère » que les migrant·e·s cherchent à fuir, et de la « puissance » qu’ils ou elles injectent dans la vie économique, lesdit·es migrant·e·s sont une infinité d’autres choses : des sujets sociaux à part entière, doté·e·s d’une culture au sens le plus large du terme, et d’une personnalité, d’une créativité, irréductible à toute appellation expéditive et englobante (aussi bien « misère » que « richesse », aussi bien « charge » que « ressource »). Et s’il n’est pas inutile de rappeler tout le potentiel économique, toute l’énergie et « l’agentivité » de ces arrivant·e·s, afin de congédier les fictions anxiogènes sur « l’invasion » ou « le coût de l’immigration », il importe aussi et surtout de dénoncer l’égoïsme sordide de tous les questionnements focalisés sur les coûts et les avantages – et d’assumer plutôt un questionnement éthique. Car une société ne se fonde pas seulement sur des intérêts à défendre, mais aussi sur des principes à honorer – et il en va de même de toute subjectivité individuelle.

    Le réalisme dont se réclament volontiers nos gouvernants exige en somme que l’on prenne en compte aussi cette réalité-là : nous ne vivons pas seulement de pain, d’eau et de profit matériel, mais aussi de valeurs que nous sommes fiers d’incarner et qui nous permettent de nous regarder dans une glace. Personne ne peut ignorer durablement ces exigences morales sans finir par le payer, sous une forme ou une autre, par une inexpugnable honte. Et s’il est précisément honteux, inacceptable aux yeux de tous, de refuser des soins aux enfants, aux vieillards, aux malades ou aux handicapé·e·s en invoquant leur manque de « productivité » et de « rentabilité », il devrait être tout aussi inacceptable de le faire lorsque lesdit·es enfants, vieillards, malades ou handicapé·e·s viennent d’ailleurs – sauf à sombrer dans la plus simple, brutale et abjecte inhumanité.

    https://blogs.mediapart.fr/pierre-tevanian/blog/220923/immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente

    #complicité #Pierre_Tevanian #mourir_aux_frontières #morts_aux_frontières #migrations #réfugiés #asile #déshumanisation #There_is_no_alternative (#TINA) #alternative #courage_politique #intelligence_collective #raison #réalisme #re-subjectivation #émotion #fantasmes #phobie #invasion #fantasmagorie #nationalisme #résidents_étrangers #nous_citoyen #racisme #xénophobie #impuissance #puissance #puissance_d’accueil #délit_de_solidarité #solidarité #extrême_droite #performativité #égalité #hospitalité #paniques_sociales #principe_d'égalité #double_peine #emplois_réservés #citoyenneté #hébergement #logement #pédagogie_politique #fictions #obscurantisme_d'Etat #droits_humains #égalité_de_traitement #lepénisation #débat_public #discrimination_institutionnelle #discriminations #déshumanisation #richesse #régularisation #sans-papiers #économie #morale #éthique #humanité #agentivité #potentialité_économique #valeurs
    #ressources_pédagogiques

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    • « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : la vraie histoire de la citation de #Michel_Rocard reprise par #Macron

      Le président de la République a cité, dimanche 24 septembre, la célèbre phrase de Rocard. L’occasion de revenir sur une déclaration à laquelle on a souvent fait dire ce qu’elle ne disait pas.

      C’est à la fois une des phrases les plus célèbres du débat politique français, mais aussi l’une des plus méconnues. Justifiant la politique de fermeté vis-à-vis des migrants arrivés à Lampedusa, Emmanuel Macron a déclaré hier : « On a un modèle social généreux, et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. »

      https://twitter.com/TF1Info/status/1706009131448983961

      La citation est un emprunt à la déclaration de Michel Rocard. La droite aime à citer cette phrase, ce qui est une manière de justifier une politique de fermeté en matière d’immigration en citant un homme de gauche. Tandis que la gauche a souvent tendance à ajouter que le Premier ministre de François Mitterrand avait ajouté un volet d’humanité en rappelant que la France devait aussi « prendre sa part » (ou « s’y efforcer »), et donc que sa formule, loin d’être un appel à la fermeture des frontières, était en réalité un appel à l’accueil.

      En réalité, comme Libération l’avait expliqué en détail il y a quelques années, les choses sont moins simples. Contrairement à ce que la gauche aime dire, cette déclaration de Michel Rocard n’était, initialement, pas vraiment humaniste, et était invoquée par le responsable socialiste pour justifier la politique draconienne vis-à-vis de l’immigration du gouvernement d’alors.

      On retrouve la trame de cette formule dans un discours prononcé le 6 juin 1989 à l’Assemblée nationale (page 1 797 du document) : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles », déclare ce jour-là Michel Rocard, avant d’ajouter qu’il faut « résister à cette poussée constante ». Il n’est nullement question alors d’un quelconque devoir de prendre part à cet afflux.

      A l’époque, le climat est tendu sur la question de l’immigration. L’exclusion d’un collège de Creil de trois élèves musulmanes ayant refusé d’ôter leur foulard a provoqué, en octobre 1989, un vif débat national. En décembre, le FN écrase la législative partielle de Dreux. Les discours sur l’immigration se durcissent. Celui du PS n’échappe pas à la règle, d’autant que la gauche se voit reprocher d’être revenue sur les lois Pasqua. François Mitterrand déclare dans une interview à Europe 1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989, que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers « a été atteint dans les années 70 ». Se met en place le discours qui va être celui du PS pendant quelques années. D’un côté, une volonté affichée de promouvoir l’intégration des immigrés réguliers en place (c’est en décembre 1989 qu’est institué le Haut Conseil à l’intégration). De l’autre côté, un objectif affirmé de verrouiller les flux migratoires, avec un accent mis sur la lutte contre l’immigration clandestine, mais pas seulement. Dans la même interview à France 2 et Europe 1, Mitterrand explique ainsi que le chiffre de « 4 100 000 à 4 200 000 cartes de séjour » atteint selon lui en 1982 ne doit, « autant que possible, pas être dépassé ».

      C’est dans ce contexte, le 3 décembre 1989, que Michel Rocard prononce la formule qui restera dans les mémoires. Michel Rocard est l’invité d’Anne Sinclair dans l’émission Sept sur sept sur TF1. Il précise la nouvelle position de la France en matière d’immigration et le moins qu’on puisse dire c’est que ses propos sont musclés. La France se limitera au respect des conventions de Genève, point final, explique-t-il : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. […] Il faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières 66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux frontières ! A quoi s’ajoutent une dizaine de milliers d’expulsions du territoire national. Et je m’attends à ce que pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts. »

      Après l’émission, Michel Rocard décline la formule à l’envi lors de ses discours les mois suivants, pour justifier de sa politique d’immigration. Le 13 décembre 1989, il déclare ainsi à l’Assemblée nationale : « Puisque, comme je l’ai dit, comme je le répète, même si comme vous je le regrette, notre pays ne peut accueillir et soulager toute la misère du monde, il nous faut prendre les moyens que cela implique. » Et précise les moyens en question : « Renforcement nécessaire des contrôles aux frontières », et « mobilisation de moyens sans précédent pour lutter contre une utilisation abusive de la procédure de demande d’asile politique ».

      Il la répète quelques jours plus tard, le 7 janvier 1990, devant des socialistes d’origine maghrébine réunis à l’occasion d’un colloque sur l’immigration. « J’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule. Il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement. Aujourd’hui je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde », martèle-t-il devant un parterre d’élus pas très convaincus. Avant de conclure : « Le temps de l’accueil de main-d’œuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu. » Le reportage de France 2 consacré au colloque insiste sur le silence qui s’installe alors dans l’auditoire, avec un gros plan sur le visage dubitatif de Georges Morin, en charge du Maghreb pour le PS et animateur des débats.

      Le Premier ministre recycle son élément de langage dans un discours sur la politique d’immigration et d’intégration prononcé dans l’hémicycle le 22 mai 1990 : « Nous ne pouvons pas – hélas – soulager toutes les misères de la planète. » Le gouvernement reprendra aussi à son compte la petite phrase rocardienne, à l’image de Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé du Plan, qui, face à Jean-Marie Le Pen sur la Cinq le 5 décembre 1989, déclare : « Le Premier ministre a dit une phrase simple, qui est qu’on ne peut pas héberger toute la misère du monde, ce qui veut dire que les frontières de la France ne sont pas une passoire et que quel que soit notre désir et le désir de beaucoup d’êtres humains de venir nous ne pouvons pas les accueillir tous. Le problème de l’immigration, c’est essentiellement ceux qui sont déjà là… » On retrouve le double axe de la politique que revendique le gouvernement : effort pour intégrer les immigrés qui sont présents et limitation au maximum de toute nouvelle immigration.

      Il faudra attendre le 4 juillet 1993 pour une rectification tardive de Michel Rocard, en réaction à la politique anti-immigration de Charles Pasqua, raconte Thomas Deltombe, auteur d’un essai sur l’islamophobie dans les médias, dans un article du Monde diplomatique : « Laissez-moi lui ajouter son complément, à cette phrase », déclare alors Rocard dans Sept sur sept. « Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La part qu’elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible. »

      Trois ans plus tard, dans une tribune publiée dans le Monde du 24 août 1996 sous le titre « La part de la France », l’ex-Premier ministre assure que sa formule a été amputée et qu’elle s’accompagnait à l’époque d’un « [la France] doit en prendre fidèlement sa part ». Ce qu’il répète dans les pages de Libé en 2009, affirmant ainsi que sa pensée avait été « séparée de son contexte, tronquée, mutilée » et mise au service d’une idéologie « xénophobe ». Pourtant, cette seconde partie — censée contrebalancer la fermeté de la première — reste introuvable dans les archives, comme le pointait Rue89 en 2009. Une collaboratrice de Michel Rocard avait alors déclaré à la journaliste : « On ne saura jamais ce qu’il a vraiment dit. Lui se souvient l’avoir dit. En tout cas, dans son esprit, c’est ce qu’il voulait dire. Mais il n’y a plus de trace. On a cherché aussi, beaucoup de gens ont cherché mais on n’a rien. »

      Quelques années plus tard, en 2013, le chroniqueur de France Inter Thomas Legrand (désormais à Libération) a reposé la question à Michel Rocard, qui a alors assuré avoir retrouvé le texte d’un discours prononcé en novembre 1989 lors du cinquantenaire de la Cimade (Comité inter-mouvement auprès des évacués) . C’est là, affirme le Premier ministre, que la phrase aurait été prononcée. Voici ce que Rocard dit avoir déclaré : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, raison de plus pour qu’elle traite décemment la part qu’elle ne peut pas ne pas prendre. » Sauf que le verbatim de son discours n’a jamais été publié. Le site Vie publique ne donne qu’un résumé très sommaire de son intervention (« mise en cause du détournement du droit d’asile et importance de la rigueur dans l’admission des réfugiés »).

      Mais que ces mots aient été, ou pas, prononcés, devant la Cimade, ne change rien au fait qu’entre 1989 et 1990, la phrase a bien été assénée par Michel Rocard sans cette seconde partie, comme une justification de sa fermeté vis-à-vis de l’immigration. Et non comme un encouragement à l’accueil des immigrés.

      https://www.liberation.fr/checknews/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-la-vraie-histoire-de-l
      #Emmanuel_Macron

  • #PAUVRETÉ : “IL Y A LARGEMENT ASSEZ DE RICHESSES POUR TOUT LE MONDE”

    Les pauvres sont paresseux, ils ne savent pas gérer leur argent, et ils méritent la situation qui est la leur. Voici quelques clichés sur la pauvreté que l’économiste #Esther_Duflo démonte depuis des années, au travers de son vaste travail sur la pauvreté.
    A l’heure où les #inégalités explosent, qu’une poignée de privilégiés détiennent un niveau de richesses toujours plus important, et ce alors qu’ils sont ceux qui polluent le plus, comment réduire ce fossé, comment lutter contre la pauvreté et offrir des conditions de vie dignes à toutes et à tous ?
    Comment les économistes peuvent-ils impacter les prises de décision des dirigeants politiques, comment lutter contre les #clichés sur les pauvres ? Esther Duflo répond à toutes ces questions au micro de Salomé Saqué.

    0:00 : Introduction
    1:36 : La pauvreté expliquée aux enfants
    8:09 : #Définition de la pauvreté
    9:29 : Pauvreté et #universalité
    12:35 : Le bond en arrière de la pauvreté
    14:13 : L’#extrême_pauvreté
    16:35 : Comment répartir les richesses ?
    20:42 : Un #impôt_international sur les #grandes_fortunes ?
    27:07 : Pauvreté : quel est le #discours_politique ?
    34:38 : Faut-il distribuer de l’argent aux pauvres ?
    36:34 : L’impact de l’#économie sur la #politique
    44:46 : Que peut-on faire en tant que citoyen ?

    https://www.youtube.com/watch?v=H7syPQvbHOU


    #richesse #idées-reçues #répartition_des_richesses #préjugés #interview #vidéo

  • POURQUOI LES HOMMES SONT PLUS RICHES QUE LES FEMMES ?
    https://www.youtube.com/watch?v=MBq4ZRflXig&ab_channel=BLAST%2CLesouffledel%27info

    Les femmes sont plus pauvres que les hommes. De l’argent de poche à la retraite, en passant par les impôts ou l’absence d’éducation financière, un ensemble de mécanismes œuvrent à les appauvrir, à très grande échelle. A chaque étape de leur vie, elles sont structurellement désavantagées, et parfois sans que nous en ayons conscience collectivement. Si les femmes se sont battues pour avoir le droit de gagner leur propre argent, la lutte n’est clairement pas terminée. Alors qu’est ce qui pénalise tant les femmes exactement, comment cela pourrait il en être autrement, comment faire en tant que femme ou en tant qu’homme pour lutter contre cette inégalité ? Salomé Saqué donne la parole à la journaliste Titiou Lecoq, autrice du livre « Le couple et l’argent » aux éditions l’Iconoclaste.

    #sexisme #discrimination #femmes #féminisme #argent

  • Quand on est millionnaire, il faut être riche sans trop en avoir l’air, Anne Bory

    La France est désormais le troisième pays, derrière les Etats-Unis et la Chine, abritant le plus de millionnaires en dollars états-uniens, selon le rapport sur la richesse mondiale publié par UBS, le 15 août https://www.ubs.com/global/fr/media/display-page-ndp/fr-20230815-global-wealth-report-2023.html . Ces plus de 2,8 millions de millionnaires vivant en France en 2022 débordent donc largement les quelques milliardaires médiatiquement connus et les dynasties industrielles.
    Ces « élites ordinaires » ont moins attiré les regards sociologiques et médiatiques que la grande bourgeoisie ou les descendants de la noblesse, alors même qu’elles détiennent un capital économique – financier et immobilier – considérable, et qu’elles occupent l’essentiel des positions de pouvoir dans les mondes économique et politique.

    Le récent 140e numéro de la revue Politix, intitulé « Dominer par l’argent », comprend deux contributions consacrées à ces « riches » qui ne revendiquent que ponctuellement le qualificatif et se sentent obligés de légitimer leur position sociale dans un contexte national et international d’augmentation des inégalités. Rachel Sherman a ainsi enquêté auprès d’une quarantaine de couples fortunés vivant à New York. Lorraine Bozouls, elle, s’appuie sur un corpus équivalent, constitué lors d’une enquête par entretiens au sein de deux villes cossues de la banlieue parisienne. Les deux sociologues ont notamment porté un regard attentif aux façons de dépenser l’argent, à la question du logement et aux enjeux de légitimité.
    Si l’argent des « pauvres » est objet de moult contrôles et soupçons – la rituelle polémique autour de l’utilisation des aides sociales destinées à la rentrée scolaire en est un bon exemple –, l’abondance de l’argent des riches ne le place nullement hors d’un maillage étroit de normes sociales. Dans le cas de ces « élites ordinaires », en France comme aux Etats-Unis, #éthique_du_travail et consommation raisonnable sont en effet deux traits qui reviennent avec une fréquence frappante dans les entretiens. Mais ils ne sont pas propres à ce groupe social : on les retrouve dans d’autres groupes sociaux, bien moins dotés économiquement.

    Minimiser ses ressources

    Ces ménages, dans les deux pays étudiés, manifestent ainsi le besoin de s’appuyer sur une éthique du travail, insistant sur les efforts fournis, professionnellement, mais aussi dans le cadre des tâches relevant de la sphère domestique, tendant à minimiser le rôle des ressources héritées, qu’elles soient financières ou immobilières.
    L’article de Rachel Sherman évoque des enquêtés tous millionnaires au moins en patrimoine immobilier qui valorisent leurs pratiques de consommation à moindre coût, l’utilisation de bons de réduction et leur refus d’acheter une voiture neuve tant que leur « vieille voiture » actuelle fonctionne. Lorraine Bozouls montre, elle, comment le recours au crédit pour acheter une résidence principale contribue à euphémiser la richesse : on emprunte « comme tout le monde » plutôt que de payer comptant comme les « plus riches que soi ». Mais si, comme l’a écrit la sociologue Anne Lambert https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/06/11/anne-lambert-sociologue-avec-la-crise-les-conditions-d-insertion-dans-la-vie , les classes populaires en « prennent pour vingt-cinq ans » avec des mensualités en proportion plus lourdes, au regard des budgets familiaux, ici, au fil des entretiens, on apprend que le prêt sur vingt ans a été remboursé en sept, ou que la part empruntée est très faible dans le prix d’achat.

    Travailler dur, consommer raisonnablement : on retrouve sans surprise dans les entretiens new-yorkais l’écho très fort à l’éthique protestante du capitalisme analysée par Max Weber. Cet écho existe néanmoins aussi clairement dans les entretiens menés par Lorraine Bozouls auprès de ménages de culture catholique, pratiquants pour certains.

    Ainsi, loin de la consommation ostentatoire déjà analysée par Thorstein Veblen à la toute fin du XIXe siècle, il convient pour ces « millionnaires ordinaires » d’être riches, et très souvent héritiers, sans trop en avoir l’air, à la fois aux yeux des autres et pour soi-même.

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/08/30/quand-on-est-millionnaire-il-faut-etre-riche-sans-trop-en-avoir-l-air_618707

    #riches #millionnaires

    • Dominer par l’argent, Politix 2022/4 (n° 140)
      https://www.cairn.info/revue-politix-2022-4.htm

      Ce numéro de Politix a été préparé en 2022 et achevé début 2023, pendant que la France connaissait un de ses mouvements sociaux les plus importants des trente dernières années. Ce dossier thématique n’est pas en lien direct avec la problématique des retraites et ne prétend pas contribuer au débat public sur cette question. Mais il éclaire, à sa façon, l’actualité que nous traversons en disséquant les différentes manières dont les #élites assoient leur #domination et influencent notre monde.
      Le dossier regroupe des contributions qui analysent les relations entre #capital économique et positions de #pouvoir : dans quelle mesure et à quelles conditions la richesse matérielle peut-elle être un ressort de l’accès à, du contrôle sur, et du maintien de ces positions ? À l’heure où la concentration des #richesses dans certains espaces de pouvoir peut paraître parfaitement assumée, les prétentions à l’égalité portées par nos démocraties contemporaines continuent de troubler ce compagnonnage qui, somme toute, pourrait sinon aller de soi. C’est, d’une certaine façon, cette #naturalisation_empêchée qu’explore ce dossier en étudiant des situations concrètes où se mêlent richesse et pouvoir. Plus précisément, ce numéro invite à s’intéresser aux tensions, même légères ou furtives, que fait naître cette relation : lorsque se donne à voir l’inconfort que peut provoquer l’abondance de ressources matérielles quand la pénurie est la règle, lorsqu’apparaissent des tiraillements suscités par l’occupation d’une position de pouvoir, acquise, au moins pour partie, grâce à cette richesse, ou lorsque se décèlent les ajustements, pratiques et symboliques, nécessaires pour contenir ou surmonter ces embarras…

  • Usbek & Rica - « Les riches nous imposent une société de #pornopulence »

    J’aime bien (non) ce nouveau mot dièse.
    https://usbeketrica.com/fr/article/les-riches-nous-imposent-une-societe-de-pornopulence

    Mégayachts, îles artificielles, bitcoin, fusées, soirées arrosées… Les mille visages de la #richesse s’étalent chaque jour en Une de l’actualité, sur les réseaux sociaux et, surtout, dans notre inconscient collectif. Résultat  ? Pour la sociologue et professeure à l’université d’Ottawa, « bernés par les prestidigitations des ultra-riches, nous les regardons, stupéfaits, dilapider les ressources de la planète » tandis que les #inégalités demeurent.

    D’où le titre de son nouvel essai en forme de pamphlet sans concession, à paraître ce 22 août aux éditions Lux : La société de provocation – Essai sur l’#obscénité des riches. Une référence explicite au roman Chien blanc de Romain Gary, dans lequel l’ancien résistant fustige « cet ordre social où l’exhibitionnisme de la richesse érige en vertu la démesure et le luxe ostentatoire tout en privant une part de plus en plus large de la population des moyens de satisfaire ses besoins réels ». De passage à Paris, Dahlia Namian a répondu à nos questions.

  • Paderborn : les évêques négligents face aux abus cloués au pilori Maurice Page - cath.ch

    Dans la crypte de la cathédrale de Paderborn, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est posé un panneau avec le texte suivant : « Les archevêques inhumés ici ont commis pendant leur mandat, du point de vue actuel, de graves erreurs dans leur gestion des abus sexuels. Trop souvent, ils ont fait passer la protection et la réputation de l’institution et des coupables avant la souffrance des personnes touchées ». Le texte a été formulé par le chapitre métropolitain et adopté par la représentation des victimes a expliqué l’archevêché, au site katholisch.de .

    Le porte-parole des associations de victimes, Reinhold Harnisch, a déclaré que les responsables de l’archevêché avaient « rapidement » approuvé cette proposition. Selon lui, il y a toujours des membres du clergé à Paderborn qui occultent la thématique des abus et ne veulent pas en parler. C’est aussi pour cette raison que les représentants des victimes avaient demandé un panneau explicatif.


    La crypte de la cathédrale de Paderborn dans laquelle sont ensevelis les évêques | DR

    Le signe d’un dialogue
    L’archevêché prévoit en outre d’apposer un code QR qui mènera à un site Internet encore en cours d’élaboration. « Ce site Internet présentera non seulement les manquements des deux anciens archevêques de Paderborn, mais aussi des informations sur leur vie et leur œuvre », a déclaré une porte-parole de l’évêché. En combinaison avec le panneau d’information, cette solution est le « signe d’un bon dialogue » et une « forme appropriée de confrontation avec les fautes commises ». 
    Depuis 2020, deux historiennes ont mené une enquête sur les abus commis de 1941 à 2002, sous les épiscopats de Mgr Lorenz Jaeger et Mgr Johannes Joachim Degenhardt. Un premier résultat intermédiaire atteste que les anciens archevêques ont commis de graves erreurs dans leur gestion des auteurs d’abus, en protégeant les accusés et en manquant de sollicitude envers les victimes.

    Faut-il punir les morts ?
    La décision de l’archidiocèse de désigner ainsi nommément des coupables à tous les visiteurs de la crypte n’a pas manqué de faire bondir d’indignation certaines personnes. « Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : ‘Jésus le Nazaréen, roi des Juifs’. (Jn,19,20) Cette association m’est inévitablement venue à l’esprit lorsque j’ai lu avec horreur la décision de poser cette prétendue plaque d’abus », écrit ainsi Sœur Anna Mirijam Kaschner, secrétaire générale de la Conférence des évêques des pays nordiques.

    « Comme les évêques sont soustraits à la justice séculière par leur mort, il faut bien les « punir » ultérieurement d’une manière ou d’une autre »
    Sœur Anna Mirijam Kaschner

    Pour la religieuse originaire de Paderborn, une démarche de clarification est peut-être utile, « mais une clarification n’implique-t-elle pas que les personnes accusées puissent s’expliquer, prendre position et demander pardon ? Tout cela n’est malheureusement pas possible pour les deux cardinaux. Et comme ils se sont soustraits à la justice séculière par leur mort, il faut bien les ‘punir’ ultérieurement d’une manière ou d’une autre – même si c’est par une ‘plaque d’abus’. »

    Une question de foi
    « On peut toutefois se demander pourquoi, en bonne logique, on ne trouve pas de telles plaques de culpabilité sur chaque tombe d’un père de famille pédophile, de chaque violeur, de chaque enseignant qui battait ses élèves il y a 50 ans et sur chaque tombe d’une mère qui a avorté un ou plusieurs enfants ? » poursuit Sœur Anna Mirijam. Les cimetières deviendrait des forêts de panneaux d’accusation.

    Pour la religieuse, il y a fondamentalement une question de foi chrétienne : « Je crois en un Dieu juste, qui ne jugera pas seulement les vivants, mais aussi les morts. Ainsi, le panneau des abus dans la crypte de la cathédrale de Paderborn, sur la tombe des deux cardinaux, n’est finalement rien d’autre qu’un signe d’une profonde incrédulité selon laquelle Dieu n’est précisément pas juste et ne demandera pas de comptes aux deux cardinaux. » Sœur Anna Mirijam appelle dès lors l’archidiocèse, le chapitre cathédral et chaque visiteur à reprendre en mains cette question.

    Prisonnière d’une Église coupable
    Le porte-parole du conseil des victimes auprès de la Conférence des évêques allemands, Johannes Norpoth, a réagi avec « une horreur sans nom » au commentaire de Sœur Anna Mirijam Kaschner. Dans une lettre ouverte, il lui reproche « non seulement l’ignorance de la recherche en la matière, mais aussi le manque d’approche sensible aux traumatismes des personnes touchées. Dans son texte, elle exprime une attitude « qui a conduit notre Église exactement là où elle se trouve actuellement : dans une crise existentielle ».

    « Sœur Anna-Mirijam est prisonnière du système de pouvoir de cette Église constituée de manière absolutiste ».
    Johannes Norpoth

    En tant que victime, Johannes Norpoth se dit consterné par les comparaisons et les relativisations qui se trouvent dans l’argumentation. Selon lui, le lien entre avortement et abus sexuels sur des enfants est faux et ne tient pas compte de la complexité de ces questions.

    Il rappelle en outre que les reproches formulés à l’encontre des évêques décédés de Paderborn ne sont pas de vagues suppositions ou des accusations unilatérales de victimes, mais des constatations issues de l’enquête diocésaine.

    « Abstenez-vous de tenir des propos aussi dénués d’empathie et de sens »
    Johannes Norpoth reproche à la religieuse d’être prisonnière « du système de pouvoir de cette Église constituée de manière absolutiste ». Son horreur est d’autant plus grande quand il sait que la secrétaire générale des évêques nordiques participera au synode mondial cet automne avec un droit de vote, contrairement aux victimes de violences sexuelles.

    Le représentant des victimes met en garde Sœur Anna Mirijam contre la poursuite du « système du mensonge » au sein de « l’organisation coupable qu’est l’Eglise » et contre le mépris qu’elle témoigne ainsi aux milliers de victimes de violences sexuelles. « Si vous ne pouvez pas reconnaître et accepter tout cela, accordez-moi au moins une requête : à l’avenir, abstenez-vous de tenir des propos aussi dénués d’empathie et de sens », conclut-il.

    L’archevêché ne veut pas de polémique
    Contacté par katholisch.de , l’archevêché de Paderborn n’a pas souhaité s’exprimer sur la polémique. « En règle générale, l’archevêché ne répond pas aux lettres ouvertes, aux lettres de lecteurs ou aux commentaires. Chacun et chacune peut et doit exprimer son opinion. Il y a des points de vue différents », a expliqué la porte-parole.

    A l’occasion de la célébration des festivités de saint Liboire (évêque du Mans au IVe siècle) patron de la cathédrale de Paderborn, l’administrateur diocésain Mgr Michael Bredeck a reconnu, le 23 juillet 2023, que la mise en place d’un panneau d’information dans la crypte épiscopale était controversée. « Mais nous sommes convaincus qu’elle est un signe important de dialogue, et ce délibérément dans la crypte, lieu où l’histoire, le présent et l’avenir de notre archevêché se rejoignent ». (cath.ch/katholisch.de/mp)

    #Abus_sexuels #archevêque #Cathédrale #Paderborn #Allemagne #pouvoir #église_catholique #religion #QR #crimes_sexuels

    Source : https://www.cath.ch/newsf/paderborn-les-eveques-negligents-face-aux-abus-cloues-au-pilori

    • 44 millions d’euros de bénéfice pour le diocèse allemand de Paderborn

      L’archidiocèse allemand de Paderborn a clôturé ses comptes 2015 avec un bénéfice de 44,2 millions d’euros. Ce montant représente une augmentation d’environ 3 millions d’euros (9%) par rapport à l’année précédente, a indiqué le diocèse le 25 octobre 2016.

      Les rentrées de l’impôt ecclésiastique se sont montées à 396 millions d’euros en augmentation de 20 millions d’euros. Les revenus totaux de l’archidiocèse ont atteint 514 millions d’euros. Quant à la fortune, elle se monte à 4,16 milliards d’euros . L’archidiocèse de Paderborn est ainsi le deuxième plus riche d’Allemagne après Munich (6,26 milliards) et devant Cologne (3,52 milliards).
      . . . . .
      L’archidiocèse de Paderborn en Rhénanie du Nord-Westphalie compte 1,55 million de catholiques sur une population globale de 4,8 mios d’habitants pour un territoire de 14’745 km2. Il regroupe 703 paroisses dans lesquelles sont actifs 1’711 agents pastoraux dont 683 prêtres. Il compte 19 écoles et 498 jardins d’enfants. (cath.ch-apic/kna/mp)

      #richesse #argent #fric #impôt_ecclésiastique #argent

      Source : https://www.cath.ch/newsf/44-millions-deuros-de-benefice-diocese-allemand-de-paderborn

  • Moins on mange, plus ils encaissent : l’inflation gave les bourgeois
    https://www.frustrationmagazine.fr/inflation-bourgeois

    C’est à n’y rien comprendre. C’est la crise, l’inflation reste très élevée, l’économie n’est ni remise du Covid ni de la guerre en Ukraine qui se poursuit. Et pourtant, les profits atteignent des records, les dividendes sont plus hauts que le ciel, et les milliardaires n’ont jamais accumulé autant de milliards. Si on n’y regarde […]

    • Moins on mange, plus ils encaissent : l’#inflation gave les bourgeois

      C’est à n’y rien comprendre. C’est la crise, l’inflation reste très élevée, l’économie n’est ni remise du Covid ni de la guerre en Ukraine qui se poursuit. Et pourtant, les profits atteignent des records, les #dividendes sont plus hauts que le ciel, et les #milliardaires n’ont jamais accumulé autant de milliards. Si on n’y regarde pas de plus près, on pourrait considérer comme paradoxale une situation qui est parfaitement logique. Pour accumuler les milliards, il faut accumuler les dividendes. Pour accumuler les dividendes, il faut accumuler les profits. Pour accumuler les profits, il faut appauvrir la population en augmentant les #prix et en baissant les #salaires réels. Ça vous parait simpliste ? Alors, regardons de plus près les chiffres.

      Selon l’INSEE, au premier trimestre de cette année, l’#excédent_brut_d’exploitation (#EBE) des entreprises de l’#industrie_agro-alimentaire (c’est-à-dire le niveau de profit que leur activité génère) a progressé de 18%, pour ainsi s’établir à 7 milliards d’euros. Les industriels se font donc de plus en plus d’argent sur le dos de leurs salariés et, plus globalement, sur celui des Français qui galèrent pour se nourrir correctement : les ventes en volume dans la #grande_distribution alimentaire ont baissé de 9% au premier trimestre 2023 par rapport à la même période l’année précédente. La #consommation en France est ainsi tombée en-dessous du niveau de 2019, alors que la population a grossi depuis de 0,3%. Selon François Geerolf, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), cette baisse de la #consommation_alimentaire n’a aucun précédent dans les données compilées par l’Insee depuis 1980. Dans le détail, sur un an, on constate des baisses de volumes vendus de -6% l’épicerie, -3% sur la crèmerie, -1,6% pour les liquides, etc. Cela a des conséquences concrètes et inquiétantes : en avril dernier, l’IFOP montrait que presque la moitié des personnes gagnants autour du SMIC se privait d’un repas par jour en raison de l’inflation.

      Une baisse de la consommation pilotée par les industriels

      Comment les entreprises peuvent-elles se faire autant d’argent, alors que nous achetons de moins en moins leurs produits ? Tout simplement, car cette baisse de la consommation est pilotée par les industriels. Ils choisissent d’augmenter massivement leurs prix, en sachant que la majorité des gens accepteront malgré eux cette hausse, car ils considéreront qu’elle est mécaniquement liée à l’inflation ou tout simplement, car ces industriels sont en situation de quasi-monopole et imposent donc les prix qu’ils veulent (ce qu’on appelle le #pricing_power dans le jargon financier). Ils savent très bien que beaucoup de personnes n’auront par contre plus les moyens d’acheter ce qui leur est nécessaire, et donc que les volumes globaux qu’ils vont vendre seront plus bas, mais cette baisse de volume sera très largement compensée par la hausse des prix.

      Sur le premier trimestre 2023, en Europe, #Unilever et #Nestlé ont ainsi augmenté leurs prix de 10,7%, #Bonduelle de 12,7% et #Danone de 10,3 %, alors que l’inflation tout secteur confondu passait sous la barre des 7%. La quasi-totalité d’entre eux voient leurs volumes vendus chuter dans la même période. Les plus pauvres, pour lesquels la part de l’alimentaire dans la consommation est mécaniquement la plus élevée, ne peuvent plus se nourrir comme ils le souhaiteraient : la #viande et les #céréales sont particulièrement touchés par la baisse des volumes vendus. Certains foyers sautent même une partie des repas. Les #vols se multiplient, portés par le désespoir et les grandes enseignes poussent le cynisme jusqu’à placer des #antivols sur la viande et le poisson.

      Les hausse des profits expliquent 70% de la hausse des prix de l’alimentaire

      Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, les hausses de profit des #multinationales sont déterminantes dans l’inflation que nous traversons. Même le FMI le dit : selon une étude publiée le mois dernier, au niveau mondial depuis 2022, la hausse des profits est responsable de 45 % de l’inflation. Le reste de l’inflation vient principalement des coûts de l’#énergie et des #matières_premières. Plus spécifiquement sur les produits alimentaires en France, d’après les calculs de l’institut La Boétie, « la hausse des prix de #production_alimentaire par rapport à fin 2022 s’explique à plus de 70 % par celle des profits bruts ». Et cela ne va faire qu’empirer : en ce début d’année, les prix des matières premières chutent fortement, mais les prix pratiqués par les multinationales poursuivent leur progression, l’appétit des actionnaires étant sans limites. L’autorité de la concurrence s’en inquiète : « Nous avons un certain nombre d’indices très clairs et même plus que des indices, des faits, qui montrent que la persistance de l’inflation est en partie due aux profits excessifs des entreprises qui profitent de la situation actuelle pour maintenir des prix élevés. Et ça, même la Banque centrale européenne le dit. », affirme Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence, au Parisien.

      La stratégie des multinationales est bien rodée : augmenter massivement les prix, mais aussi bloquer les salaires, ainsi non seulement leur #chiffre_d’affaires progresse fortement, mais ils génèrent de plus en plus de profits grâce à la compression de la #masse_salariale. Les calculs sur longue période de l’Institut La Boétie donnent le vertige : « entre 2010 et 2023, le salaire brut horaire réel (c’est-à-dire corrigé de l’inflation) a baissé de 3,7 %, tandis que les profits bruts réels, eux, ont augmenté de 45,6 % ». Augmenter massivement les prix tout en maintenant les salaires au ras du sol permet d’augmenter le vol légal que les #actionnaires commettent sur les salariés : ce qu’ils produisent est vendu de plus en plus cher, et les patrons ne les payent par contre pas davantage.

      La Belgique a le plus bas taux d’inflation alors que les salaires y sont indexés

      L’une des solutions à cela est bien connue, et était en vigueur en France jusqu’en 1983 : indexer les salaires sur les prix. Aujourd’hui seul le SMIC est indexé sur l’inflation et la diffusion des hausses du SMIC sur les salaires plus élevés est quasi inexistante. Les bourgeois s’opposent à cette mesure en affirmant que cela risque de favoriser encore davantage l’inflation. Les statistiques prouvent pourtant le contraire : la Belgique est le pays affichant le plus bas taux d’inflation en avril 2023 (moins de 5% tandis qu’elle atteint 6,6% en France) alors que là-bas les salaires s’alignent automatiquement sur les prix. Il est urgent de mettre en œuvre ce genre de solutions en France. En effet, la situation devient de plus en plus intenable : la chute des #conditions_de_vies de la majorité de la population s’accélère, tandis que les bourgeois accumulent de plus en plus de richesses.

      Cela dépasse l’entendement : selon le magazine Challenges, le patrimoine professionnel des 500 plus grandes fortunes de France a progressé de 17 % en un an pour s’établir à 1 170 milliards d’euros cette année ! En 2009, c’était 194 milliards d’euros… Les 500 plus riches détiennent donc en #patrimoine_professionnel l’équivalent de presque la moitié de la #richesse créée en France par an, mesurée par le PIB. Et on ne parle ici que de la valeur des actions qu’ils détiennent, il faudrait ajouter à cela leurs placements financiers hors du marché d’actions, leurs placements immobiliers, leurs voitures, leurs œuvres d’art, etc.

      La #France au top dans le classement des gros bourges

      La fortune de #Bernard_Arnault, l’homme le plus riche du monde, est désormais équivalente à celle cumulée de près de 20 millions de Français et Françaises d’après l’ONG Oxfam. Sa fortune a augmenté de 40 milliards d’euros sur un an pour s’établir à 203 milliards d’euros. Ce type a passé sa vie à exploiter des gens, ça paye bien (à peine sorti de polytechnique, Bernard Jean Étienne avait pris la direction de l’entreprise de son papa). Au classement des plus grands bourges du monde, la France est donc toujours au top, puisque non seulement on a l’homme le plus riche, mais aussi la femme, en la personne de #Françoise_Bettencourt_Meyers (patronne de L’Oréal, 77 milliards d’euros de patrimoine professionnel). Mais il n’y a pas que le luxe de représenté dans ce classement, la grande distribution est en bonne place avec ce cher #Gérard_Mulliez (propriotaire des #Auchans notamment) qui détient 20 milliards d’euros de patrimoine ou #Emmanuel_Besnier, propriétaire de #Lactalis, le 1er groupe mondial de produits laitiers, qui émarge à 13,5 milliards.

      Les chiffres sont vertigineux, mais il ne faut pas se limiter à une posture morale se choquant de ces #inégalités sociales et appelant, au mieux, à davantage les taxer. Ces fortunes ont été bâties, et progressent de plus en plus rapidement, grâce à l’exploitation du travail. L’augmentation de valeur de leurs entreprises est due au travail des salariés, seul créateur de valeur. Tout ce qu’ils détiennent est ainsi volé légalement aux salariés. Ils doivent donc être pris pour cible des mobilisations sociales futures, non pas principalement parce qu’ils sont #riches, mais parce qu’ils sont les plus gros voleurs du monde : ils s’emparent de tout ce qui nous appartient, notre travail, notre vie, notre monde. Il est temps de récupérer ce qui nous est dû.

      https://www.frustrationmagazine.fr/inflation-bourgeois

      #profit #économie #alimentation #chiffres #statistiques

  • Épisode 1/4 : Pourquoi reconstituer les étapes de la #croissance ?

    Les économistes s’intéressent aux étapes de la croissance. De nombreux travaux ont été consacrés à la question. A quoi servent-ils donc ?

    En 1960, paraissait Les étapes de la croissance économique. Un manifeste non communiste, un ouvrage rassemblant les conférences données par #William_Rostow à l’Université de Cambridge, puis publiées dans The Economist. L’ouvrage défendait l’idée que le développement économique d’un pays passe nécessairement par cinq phases, allant de la société traditionnelle à société de consommation.
    Une histoire mondiale différente

    Quelques décennies plus tard, l’économiste #Angus_Maddison propose une histoire mondiale différente dans laquelle il reconstitue pour chaque continent les #étapes_de_la_croissance depuis l’An 1. Il montre notamment que la Chine a présenté jusqu’au XIVème siècle un revenu par habitant plus élevé que celui de l’Europe, mais insiste sur « le caractère exceptionnel, dans le développement mondial, de la performance économique sur le long terme de l’Europe occidentale ». « En l’an 1000, indique-t-il, son niveau de revenu était tombé en deçà de celui de l’Asie et de l’Afrique du Nord ; au XIVe siècle, à l’issue d’une longue résurrection, elle avait rattrapé la Chine (premier pays du monde) ; en 1820, ses niveaux de revenu et de productivité étaient plus de deux fois supérieurs à ceux du reste du monde ; en 1913, le niveau de revenu de l’Europe occidentale et des pays d’immigration européenne était plus de six fois supérieur à celui du reste du monde ». Comment expliquer cette évolution ?

    Maddison réfute la thèse de certains de ses prédécesseurs, dont #Paul_Bairoch, selon lesquels l’Europe de l’Ouest aurait été moins riche que la Chine jusqu’en 1800 et aurait, à partir de ce moment, principalement construit sa supériorité sur l’#exploitation des autres pays. Maddison soutient que l’Europe de l’Ouest était déjà riche avant la Révolution industrielle par comparaison aux autres parties du monde, cette position s’expliquant par « son avance scientifique, des siècles de lente accumulation et la solidité de son organisation et de sa #finance ». L’objectif de Maddison est en effet de comprendre les facteurs qui expliquent les divergences entre les pays et notamment l’avancée de certains. Parmi ceux-ci, il souligne la place reconnue à la science au cours de la #modernité occidentale (...)

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/pourquoi-reconstituer-les-etapes-de-la-croissance-7221905
    #économie #richesse

  • Des millionnaires en moins Gérard Bérubé - Le devoir

    Les millionnaires non plus ne l’ont pas eu facile l’an dernier. Ils sont devenus (un peu) moins nombreux et ont encaissé leur plus fort revers de fortune en dix ans. Ce qui n’a pas empêché la taille du marché des jets privés de croître de 5,6 %.

    La firme de consultants Capgemini a publié son World Wealth Report le 1er juin. On y lit que le nombre de particuliers fortunés disposant de 1 million $US ou plus à investir a diminué de 3,3 % à l’échelle planétaire , pour revenir à 21,7 millions de personnes en 2022. Pour sa part, la valeur globale de leur richesse a fondu de 3,6 %, à 83 000 milliards $US. « Il s’agit de la plus forte baisse en dix ans (2013-2022), déclenchée par l’incertitude géopolitique et macroéconomique », précise la firme.


    C’est en Amérique du Nord qu’on a observé la plus forte baisse de la richesse individuelle (-7,4 %), suivie de l’Europe (-3,2 %) et de l’Asie-Pacifique (-2,7 %). À l’opposé, la population des fortunés de l’Afrique, de l’Amérique latine et du Moyen-Orient est sortie du lot en enregistrant un enrichissement personnel accru en 2022 grâce à la solide performance financière des secteurs pétrolier et gazier.

    Au Canada, malgré le poids des énergies fossiles dans l’économie, le nombre de particuliers fortunés s’est replié de 2,4 %, à 428 400, et la valeur de leurs avoirs combinés a reculé de 3,3 %, à 45,7 milliards $US, a repris un blogue du Financial Post. Cette contraction est expliquée par une hausse de seulement 1,6 % du prix moyen de l’immobilier l’an dernier, comparativement à 10,6 % en 2021. Aussi par une érosion de 10 % de la capitalisation boursière et par la forte hausse de l’inflation, qui a atteint une pointe à 8,1 % en juin. Cet impact a été en partie atténué par une augmentation du taux d’épargne et une propension marginale à consommer allant en diminuant plus l’on grimpe dans la grille des revenus.

    Globalement, le gros des avoirs de ces fortunés était détenu sous forme de liquidités l’an dernier. Ce pourcentage de 34 % se voulait le niveau le plus élevé en 27 ans, soit depuis que Capgemini compile ces données. Le reste était réparti entre les actions (23 %), l’Immobilier (15 %), les titres à revenu fixe (15 %) et les placements alternatifs (13 %).

    Et les ESG ?
    Fait intéressant, il ressort du rapport de Capgemini que l’investissement selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) demeure une priorité pour cette clientèle. Même s’ils sont seulement 23 % à déclarer avoir généré plus de rendements à partir d’actif liés aux critères ESG, sous le coup d’une conjoncture économique peu clémente, 41 % des répondants à l’enquête ont cité cette forme d’investissement d’impact comme une priorité absolue, et 63 % ont déclaré avoir demandé des bilans ESG pour leur actif. Ils ont en face d’eux des sociétés de gestion de patrimoine plus frileuse. Une petite majorité d’entre elles (52 %) considère l’analyse des données ESG comme une priorité absolue, et une minorité (31 %) accorde de l’importance à la traçabilité.

    Parmi les gestionnaires interrogés, 40 % ont déclaré avoir besoin de plus de données pour comprendre l’impact ESG, et près d’un sur deux a précisé avoir besoin de plus d’informations ESG pour interagir efficacement avec les clients.

    Les jets privés ont la cote
    Un recul de l’enrichissement et une sensibilité déclarée aux facteurs ESG qui n’ont toutefois pas eu d’incidence sur le volume d’affaires des jets privés, l’un des principaux symboles extérieurs de richesse. Le site Patriotic Millionaires reprend une étude de l’Institute for Policy Studies indiquant que le nombre de ces appareils de la flotte mondiale a augmenté de 133 % au cours des deux dernières décennies, passant de 9895 en 2000 à 23 133 à la mi-2022. La taille de ce marché est passée de 32,3 milliards $US en 2021 à 34,1 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de 5,6 %. Cette croissance s’est accompagnée d’un nombre sans précédent d’opération des avions d’affaires, à 5,3 millions l’an dernier, ajoute l’étude du groupe de réflexion.

    Le site relève l’exemple d’Elon Musk et ajoute une dimension environnementale à son observation. Il est écrit que le patron notamment de Tesla et de Twitter a pris un vol en jet privé environ tous les deux jours en 2022, produisant 2112 tonnes d’émissions de dioxyde de carbone l’année dernière seulement. « C’est 132 fois plus que l’empreinte carbone totale d’un individu moyen aux États-Unis. Il est l’un des plus actifs des États-Unis. Il a acheté un nouvel avion, effectué 171 vols, contribué à la consommation de 837 934 litres de carburéacteur et a été responsable de 2112 tonnes d’émissions de carbone en 2022. »

    Plus globalement, depuis le début de la pandémie, l’utilisation des jets privés a augmenté d’environ un cinquième, et leurs émissions de GES ont bondi de plus de 23 %, selon une étude récente citée par Patriotic Millionaires, qui rappelle qu’ils émettent au moins 10 fois plus de polluants que les avions commerciaux par passager.

    « Bien que les carburants d’aviation durables (SAF) aient un rôle à jouer dans la réduction des émissions de l’aviation, ils ne devraient pas être considérés comme une panacée par l’industrie des jets privés. Les SAF produisent encore des émissions, bien que moins que les carburants traditionnels, et ils sont actuellement coûteux et rarement utilisés. »

    #millionnaires #riches #inégalités #économie #patrimoine #richesse #logement #milliardaires #capitalisme #millionnaire #immobilier #bourse #inflation #jets_privés

    Source : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/792733/chronique-des-millionnaires-en-moins

  • ★ ACCUMULATION DES RICHESSES - Socialisme libertaire

    C’est l’action qui consiste à accumuler et qui a pour résultat d’amasser, d’entasser, d’amonceler les richesses. Il y a là un phénomène économique que détermine automatiquement le régime capitaliste. La situation agricole, industrielle, commerciale et financière qui caractérise ce régime a pour conséquence de dépouiller la fraction la plus nombreuse de la population au profit d’une infime minorité. C’est entre les mains de cette poignée d’individus de plus en plus scandaleusement enrichie que se produit cette accumulation des richesses. « La richesse et la misère, écrit l’économiste J.-B. Say, s’avancent sur deux lignes parallèles ». C’est ce phénomène que Karl Marx a remarquablement constaté et que l’auteur du Capital appelle la concentration capitaliste. Des fortunes fantastiques s’édifient sur le détroussement systématique de la masse qui produit et qui consomme. Plus le régime capitaliste se développe, plus il engendre, par le système des profits additionnés, cette accumulation des richesses (...)

    #richesse #capitalisme #Marx #paupérisme #pauvreté #inégalité
    #Anarchisme #anticapitalisme

    ⏩ Lire le texte complet…

    ▶️ https://www.socialisme-libertaire.fr/2022/05/emile-gravelle-sebastien-faure-l-anarchisme-et-le-machinisme.h

  • #Canada Quand travailler à temps plein ne suffit plus à payer l’épicerie Flavie Villeneuve
    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1953565/inflation-temps-plein-banque-alimentaire-levis-cout-salaire-loyer


    Le visage de la précarité financière s’est métamorphosé ces derniers mois. De plus en plus de familles, même celles dont les parents travaillent à temps plein, sont obligées de faire appel aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts.

    C’est le cas d’une mère de famille monoparentale de Lévis qui ne s’imaginait pas devoir recourir à ce service. Elle s’est confiée à Radio-Canada sous le couvert de l’anonymat pour protéger ses enfants.


    Depuis sa séparation avec son conjoint en 2021, Martine (nom fictif), mère de deux enfants, n’arrive plus financièrement. “On range sa fierté et puis on s’adresse à des organismes et ils sont là pour nous”, raconte-t-elle.

    Martine se rend chaque semaine au comptoir alimentaire Le Grenier, à Lévis, pour remplir un panier et subvenir aux besoins de sa famille.

    “J’ai un travail, j’ai un salaire décent, même au-dessus du seuil, mais malheureusement, en étant monoparentale à l’heure actuelle avec deux enfants, avec un loyer avec toutes les charges, on n’y arrive plus, on n’est plus capable”, dit-elle, épuisée par la situation.

    « L’élément déclencheur, c’est quand on réfléchit entre payer une facture ou payer l’épicerie. Quand on fait le choix entre le lait, le beurre ou les œufs. »
    -- Une citation de Martine, mère de deux enfants

    Aider 800 familles par mois
    Le comptoir alimentaire Le Grenier de Lévis aide plus de 800 ménages par mois. La direction de l’endroit constate que le nombre de familles qui ont des emplois à temps plein et qui font appel à ses services a presque doublé en un an.

    « Ce sont des couples même qui travaillent à un salaire moyen. Avec l’augmentation, le prix des denrées, tout ce qui s’en est suivi a fait en sorte que ces gens-là, dans leur budget, ça a défoncé. »
    -- Une citation de Stéphane Clavet, directeur général, comptoir alimentaire Le Grenier

    Un sentiment de culpabilité ronge souvent ceux qui viennent chercher de l’aide. C’est d’ailleurs le cas de Martine. “J’ai hésité pendant deux semaines en me disant que c’était réservé aux personnes en situation plus critique que moi.”


    Stéphane Clavet, directeur général du comptoir alimentaire Le Grenier. Photo : Radio-Canada / Louis-Philippe Arsenault

    “C’est pas toujours facile pour eux d’admettre qu’ils ont besoin d’aide alimentaire, et aussi de traverser la porte ici pour aller rencontrer quelqu’un pour se faire évaluer. Suite à l’évaluation, c’est là qu’on va déterminer si la personne est admissible à l’aide alimentaire”, explique M. Clavet.
    En 2022, le réseau des Banques alimentaires du Québec aidait 671 000 personnes par mois https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1928251/inflation-hausse-prix-aliments-aide-faim-2022 . Un achalandage record par rapport aux années précédentes.
    Avec les informations de Louis-Philippe Arsenault

    #pauvreté #inégalités #économie #richesse #précarité #crise #pauvres #politique

  • Soudain, le développement
    https://laviedesidees.fr/Oded-Galor-Le-Voyage-de-l-Humanite.html

    À propos de : Oded Galor, Le Voyage de l’Humanité. Aux Origines de la #richesse et des #inégalités, Denoël. Après 200 000 ans de stagnation, le niveau de vie des humains a brusquement commencé à croître il y a deux siècles. Oded Galor en cherche l’explication dans le contexte géographique, mais aussi la dynamique et la structure des populations humaines.

    #Histoire #développement #humanité #croissance #histoire_globale
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20221207_galor.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20221207_galor.pdf