• Loi « immigration » : les associations déterminées avant l’examen devant le Conseil constitutionnel
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/05/loi-immigration-les-associations-determinees-avant-l-examen-devant-le-consei

    Loi « immigration » : les associations déterminées avant l’examen devant le Conseil constitutionnel
    Par Abel Mestre
    Maintenir coûte que coûte la pression, c’est l’état d’esprit des opposants à la loi « immigration ». Voté le 19 décembre 2023, le texte comporte, selon l’exécutif lui-même, plusieurs mesures susceptibles d’être censurées par le Conseil constitutionnel. Saisis par le président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi par l’opposition de gauche, les neuf juges constitutionnels doivent se prononcer d’ici à la fin du mois de janvier sur la conformité du texte. D’ici là, les partis de gauche, les associations, les syndicats et de nombreux juristes essaient d’organiser la riposte.
    Cette dernière se mène sur plusieurs fronts. Juridique, d’abord. Plusieurs « contributions extérieures » (également appelées « portes étroites ») seront adressées au Conseil par des personnes physiques ou morales concernées par la loi « immigration ». Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste du droit des étrangers, a été la cheville ouvrière de cette initiative. L’universitaire a été marqué par le nombre de ses collègues qui ont participé à ce travail, beaucoup plus nombreux qu’à l’ordinaire. « Cela dépasse le noyau dur habituel », estime-t-il. Selon lui, la loi « immigration » « est très mal rédigée, très mal ficelée et va être un nid à contentieux et poser beaucoup de problèmes d’interprétation ».
    Ces contributions extérieures sont organisées par thèmes (nationalité, étudiants internationaux, protection sociale et hébergement d’urgence, étrangers gravement malades, asile, mineurs non accompagnés, contentieux judiciaire et rétention…) et ont été élaborées par des universitaires et des responsables associatifs. Elles donnent donc tous les arguments juridiques pour appuyer une censure des dispositions visées, voire une censure globale du texte.
    Autre secteur qui se mobilise : celui des associations et des syndicats. Quarante-cinq organisations parmi les plus importantes – entre autres : Attac, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, la Ligue des droits de l’homme, France Terre d’asile, la Cimade, Oxfam, la CFDT, la CGT – dénoncent « un point de bascule pour [les] principes républicains ». Les signataires donnent rendez-vous avant fin janvier « pour poursuivre cette dynamique de rassemblement, demander au président de la République de surseoir à la promulgation de la loi, intensifier et élargir la mobilisation contre ce texte et son idéologie ». Problème : on ne sait pas quelle forme prendra cette mobilisation. « La loi fait l’unanimité contre elle, d’où le nombre de signataires. Mais sur les modes d’action, on est un peu dans l’expectative, confesse Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre. Les cultures sont différentes et nous sommes dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel. »
    D’autres ne sont pas aussi patients : plusieurs organisations, parmi lesquelles le Groupe d’information et de soutien des immigrés, La France insoumise (LFI) ou Europe Ecologie-Les Verts, ainsi que plusieurs collectifs de sans-papiers, ont d’ores et déjà appelé à « manifester massivement sur tout le territoire le dimanche 14 janvier pour empêcher que cette loi soit promulguée ». Car c’est là tout le paradoxe des larges fronts d’opposition : il est parfois difficile de mettre tout le monde d’accord sur la marche à suivre. Ainsi, certains poussent pour organiser un grand meeting unitaire où chacun pourrait s’exprimer. L’avantage de cette solution est que le risque est minimal : il suffit de réserver une salle un peu petite pour donner l’illusion du nombre. En revanche, rien de pire qu’une manifestation qui ne fait pas le plein pour casser un mouvement naissant… Les partisans des manifs, eux, rappellent qu’en 1997 les cortèges contre les lois Debré sur l’immigration avaient fait le plein (jusqu’à 100 000 personnes à Paris)…
    Ce dilemme, les partis politiques en ont conscience. La France insoumise pousse pour que la démarche soit unitaire. « Il y a plusieurs cadres de discussion. On souhaite qu’il y ait tout le monde la même date, notamment les premiers concernés, comme la Marche des solidarités et les collectifs de sans-papiers, de même que les syndicats, associations, forces politiques opposés a la loi Darmanin », note Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis. Surtout, une difficulté majeure s’ajoute : l’articulation avec les mobilisations pour la Palestine. Il est vrai que ces rassemblements concernent, en très grande partie, les mêmes organisations, le même milieu militant. Comment faire pour ne pas se marcher sur les pieds et ne pas abandonner un combat au profit de l’autre ? Une solution pourrait être une grande mobilisation mêlant les deux questions, sur le mode de la « convergence des luttes », mais le risque est de brouiller les messages. Une chose est sûre : la décision du Conseil constitutionnel ne réglera pas tout. Le scénario le plus probable est la censure (sur le fond ou comme « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans lien avec la loi) des dispositions les plus « aberrantes », selon l’expression de Serge Slama. Pourraient ainsi être concernées plusieurs mesures issues des amendements présentés par la droite, comme, par exemple, les mesures touchant aux prestations sociales ou celles sur le regroupement familial. Ces censures seraient une sorte de victoire à la Pyrrhus pour les opposants. En effet, le cœur du texte du gouvernement serait validé. Et il serait encore plus difficile de mobiliser contre une loi qui aura perdu ses aspects les plus clivants.

    #Covid-19#migration#migrant#france#loiimmigration#droit#conseilconstitutionnel#syndicat#association#securitesociale#regroupementfamilial

  • « La loi sur l’immigration rompt avec les principes de la Sécurité sociale »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/03/la-loi-sur-l-immigration-rompt-avec-les-principes-de-la-securite-sociale_620

    « La loi sur l’immigration rompt avec les principes de la Sécurité sociale »
    Tribune Elvire Guillaud Michaël Zemmour Economistes
    La loi sur l’immigration adoptée le 19 décembre constitue une rupture politique sur de nombreux plans qui justifieraient amplement son abandon rapide. L’un d’entre eux est le domaine des politiques sociales. Sur la forme, en introduisant une restriction liée à la nationalité sur l’accès à une prestation de sécurité sociale, il rompt avec les principes historiques de celle-ci, instaurant un lien direct entre cotisation et affiliation. Sur le fond, la réforme, si elle était appliquée, provoquerait un appauvrissement important de familles et d’enfants, français ou non, avec des conséquences sociales dramatiques à court et à long terme.
    Le texte voté introduit pour les étrangers, hors Union européenne, une période d’exclusion de trois mois à cinq ans dans l’accès aux aides au logement, mais également une période d’exclusion de deux ans et demi à cinq ans dans l’accès aux allocations familiales. Cette dernière mesure, que l’on retrouvait jusqu’ici dans le programme du Rassemblement national, et non dans le programme présidentiel, constitue une rupture avec le principe posé par l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue « une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».
    Certes, Il existe en France des prestations comme le revenu de solidarité active (RSA) soumises à une période d’exclusion de cinq ans pour les étrangers résidents avec des conséquences sociales graves. Mais le RSA n’est pas une prestation de sécurité sociale : c’est un dispositif d’aide publique financé par le budget des départements, eux-mêmes subventionnés par l’Etat. Aucun mécanisme d’assurance sociale n’a jamais été concerné jusqu’ici par une telle exclusion sur critère de nationalité.
    En effet, le critère de nationalité n’est pas, depuis les origines, dans le répertoire de la Sécurité sociale. Celle-ci, inspirée du paradigme « bismarckien » des assurances sociales, s’est construite dans une logique contributive d’affiliation émanant du salariat : la communauté des assurés est la communauté des cotisants, construisant ainsi une citoyenneté sociale et les bases d’une démocratie sociale. Même les prestations de sécurité sociale devenues avec le temps « universelles », comme celles touchant à la maladie ou à la famille, ont conservé jusqu’ici des dimensions de « contributivité » propres aux assurances sociales. Elles sont financées par des prélèvements – cotisations sociales, contribution sociale généralisée (CSG) et prélèvements fiscaux se substituant aux cotisations exonérées – prélevés d’abord sur les seuls revenus du salariat puis sur l’ensemble des revenus, et servent des prestations à l’ensemble des assurés affiliés.
    C’est d’ailleurs en reconnaissance de ce principe qu’en 2015 la Cour de justice européenne avait dispensé un salarié néerlandais de CSG sur ses revenus du patrimoine, car il était déjà couvert par une assurance sociale obligatoire dans son pays d’origine. Aussi, si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier des prestations comme l’ensemble des assurés. Par exemple, une salariée dont dès le premier jour d’embauche 0,95 point de CSG et de 1,65 % à 3,45 % de cotisations employeur financent directement la branche famille serait, pour ses enfants, privée de la couverture à laquelle elle contribue, en raison de sa nationalité, au contraire des autres salariés de l’entreprise.
    Cette rupture d’égalité d’accès aux droits serait contraire aux fondements de la Sécurité sociale, à moins que le Conseil constitutionnel n’invalide cette mesure, précisément pour cette raison.
    Par-delà les ruptures politiques, la mise en œuvre de la réforme conduirait à appauvrir durablement des dizaines de milliers de familles et d’enfants, français ou non (puisque la loi retient la nationalité des parents, et non des enfants, comme critère d’exclusion). Une mère célibataire de trois enfants, en raison de sa nationalité, pourrait par exemple voir ses revenus mensuels diminuer de 319 euros au titre des allocations familiales et de 516 euros au titre des aides au logement, contrairement à sa voisine ou collègue vivant dans les mêmes conditions et soumise aux mêmes prélèvements. Un couple d’actifs avec un enfant de 6 ans et un enfant de 6 mois se trouverait privé d’allocations familiales (140 euros) et de la prestation d’accueil du jeune enfant (182 euros).
    On peut également anticiper une hausse du taux et de l’intensité de la pauvreté des familles et des enfants vivant en France, même si celle-ci n’est pas encore quantifiée : à notre connaissance, personne, à l’université ou dans les administrations, n’a songé jusqu’ici à évaluer l’impact d’un tel tournant xénophobe de la politique sociale. Ainsi, si les mesures adoptées sont d’abord le fruit d’un marchandage politique de circonstance, les conséquences immédiatement prévisibles sont loin d’être symboliques : appauvrissement des familles et des enfants, difficultés accrues à vivre, à apprendre, à se loger et à participer à la vie sociale dans de bonnes conditions. Cette loi dangereuse pour la cohésion sociale du pays ne doit pas s’appliquer.
    Elvire Guillaud est maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po ; Michaël Zemmour est enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon-II et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po.

    #Covid-19#migration#migrant#france#loiimmigration#securitesociale#xenophobie#appauvrissement#inegalite#politiquesociale#sante

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    « La loi sur l’immigration rompt avec les principes de la Sécurité sociale »
    Tribune Elvire Guillaud Michaël Zemmour Economistes
    La loi sur l’immigration adoptée le 19 décembre constitue une rupture politique sur de nombreux plans qui justifieraient amplement son abandon rapide. L’un d’entre eux est le domaine des politiques sociales. Sur la forme, en introduisant une restriction liée à la nationalité sur l’accès à une prestation de sécurité sociale, il rompt avec les principes historiques de celle-ci, instaurant un lien direct entre cotisation et affiliation. Sur le fond, la réforme, si elle était appliquée, provoquerait un appauvrissement important de familles et d’enfants, français ou non, avec des conséquences sociales dramatiques à court et à long terme.
    Le texte voté introduit pour les étrangers, hors Union européenne, une période d’exclusion de trois mois à cinq ans dans l’accès aux aides au logement, mais également une période d’exclusion de deux ans et demi à cinq ans dans l’accès aux allocations familiales. Cette dernière mesure, que l’on retrouvait jusqu’ici dans le programme du Rassemblement national, et non dans le programme présidentiel, constitue une rupture avec le principe posé par l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue « une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».
    Certes, Il existe en France des prestations comme le revenu de solidarité active (RSA) soumises à une période d’exclusion de cinq ans pour les étrangers résidents avec des conséquences sociales graves. Mais le RSA n’est pas une prestation de sécurité sociale : c’est un dispositif d’aide publique financé par le budget des départements, eux-mêmes subventionnés par l’Etat. Aucun mécanisme d’assurance sociale n’a jamais été concerné jusqu’ici par une telle exclusion sur critère de nationalité.
    En effet, le critère de nationalité n’est pas, depuis les origines, dans le répertoire de la Sécurité sociale. Celle-ci, inspirée du paradigme « bismarckien » des assurances sociales, s’est construite dans une logique contributive d’affiliation émanant du salariat : la communauté des assurés est la communauté des cotisants, construisant ainsi une citoyenneté sociale et les bases d’une démocratie sociale. Même les prestations de sécurité sociale devenues avec le temps « universelles », comme celles touchant à la maladie ou à la famille, ont conservé jusqu’ici des dimensions de « contributivité » propres aux assurances sociales. Elles sont financées par des prélèvements – cotisations sociales, contribution sociale généralisée (CSG) et prélèvements fiscaux se substituant aux cotisations exonérées – prélevés d’abord sur les seuls revenus du salariat puis sur l’ensemble des revenus, et servent des prestations à l’ensemble des assurés affiliés.
    C’est d’ailleurs en reconnaissance de ce principe qu’en 2015 la Cour de justice européenne avait dispensé un salarié néerlandais de CSG sur ses revenus du patrimoine, car il était déjà couvert par une assurance sociale obligatoire dans son pays d’origine. Aussi, si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier des prestations comme l’ensemble des assurés. Par exemple, une salariée dont dès le premier jour d’embauche 0,95 point de CSG et de 1,65 % à 3,45 % de cotisations employeur financent directement la branche famille serait, pour ses enfants, privée de la couverture à laquelle elle contribue, en raison de sa nationalité, au contraire des autres salariés de l’entreprise.
    Cette rupture d’égalité d’accès aux droits serait contraire aux fondements de la Sécurité sociale, à moins que le Conseil constitutionnel n’invalide cette mesure, précisément pour cette raison.
    Par-delà les ruptures politiques, la mise en œuvre de la réforme conduirait à appauvrir durablement des dizaines de milliers de familles et d’enfants, français ou non (puisque la loi retient la nationalité des parents, et non des enfants, comme critère d’exclusion). Une mère célibataire de trois enfants, en raison de sa nationalité, pourrait par exemple voir ses revenus mensuels diminuer de 319 euros au titre des allocations familiales et de 516 euros au titre des aides au logement, contrairement à sa voisine ou collègue vivant dans les mêmes conditions et soumise aux mêmes prélèvements. Un couple d’actifs avec un enfant de 6 ans et un enfant de 6 mois se trouverait privé d’allocations familiales (140 euros) et de la prestation d’accueil du jeune enfant (182 euros).
    On peut également anticiper une hausse du taux et de l’intensité de la pauvreté des familles et des enfants vivant en France, même si celle-ci n’est pas encore quantifiée : à notre connaissance, personne, à l’université ou dans les administrations, n’a songé jusqu’ici à évaluer l’impact d’un tel tournant xénophobe de la politique sociale. Ainsi, si les mesures adoptées sont d’abord le fruit d’un marchandage politique de circonstance, les conséquences immédiatement prévisibles sont loin d’être symboliques : appauvrissement des familles et des enfants, difficultés accrues à vivre, à apprendre, à se loger et à participer à la vie sociale dans de bonnes conditions. Cette loi dangereuse pour la cohésion sociale du pays ne doit pas s’appliquer.
    Elvire Guillaud est maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po ; Michaël Zemmour est enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon-II et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po.

    #Covid-19#migration#migrant#france#loiimmigration#securitesociale#xenophobie#appauvrissement#inegalite#politiquesociale#sante

  • « La loi sur l’immigration rompt avec les principes de la Sécurité sociale »
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    « La loi sur l’immigration rompt avec les principes de la Sécurité sociale »
    Tribune Elvire Guillaud Michaël Zemmour Economistes
    La loi sur l’immigration adoptée le 19 décembre constitue une rupture politique sur de nombreux plans qui justifieraient amplement son abandon rapide. L’un d’entre eux est le domaine des politiques sociales. Sur la forme, en introduisant une restriction liée à la nationalité sur l’accès à une prestation de sécurité sociale, il rompt avec les principes historiques de celle-ci, instaurant un lien direct entre cotisation et affiliation. Sur le fond, la réforme, si elle était appliquée, provoquerait un appauvrissement important de familles et d’enfants, français ou non, avec des conséquences sociales dramatiques à court et à long terme.
    Le texte voté introduit pour les étrangers, hors Union européenne, une période d’exclusion de trois mois à cinq ans dans l’accès aux aides au logement, mais également une période d’exclusion de deux ans et demi à cinq ans dans l’accès aux allocations familiales. Cette dernière mesure, que l’on retrouvait jusqu’ici dans le programme du Rassemblement national, et non dans le programme présidentiel, constitue une rupture avec le principe posé par l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue « une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ».
    Certes, Il existe en France des prestations comme le revenu de solidarité active (RSA) soumises à une période d’exclusion de cinq ans pour les étrangers résidents avec des conséquences sociales graves. Mais le RSA n’est pas une prestation de sécurité sociale : c’est un dispositif d’aide publique financé par le budget des départements, eux-mêmes subventionnés par l’Etat. Aucun mécanisme d’assurance sociale n’a jamais été concerné jusqu’ici par une telle exclusion sur critère de nationalité.
    En effet, le critère de nationalité n’est pas, depuis les origines, dans le répertoire de la Sécurité sociale. Celle-ci, inspirée du paradigme « bismarckien » des assurances sociales, s’est construite dans une logique contributive d’affiliation émanant du salariat : la communauté des assurés est la communauté des cotisants, construisant ainsi une citoyenneté sociale et les bases d’une démocratie sociale. Même les prestations de sécurité sociale devenues avec le temps « universelles », comme celles touchant à la maladie ou à la famille, ont conservé jusqu’ici des dimensions de « contributivité » propres aux assurances sociales. Elles sont financées par des prélèvements – cotisations sociales, contribution sociale généralisée (CSG) et prélèvements fiscaux se substituant aux cotisations exonérées – prélevés d’abord sur les seuls revenus du salariat puis sur l’ensemble des revenus, et servent des prestations à l’ensemble des assurés affiliés.
    C’est d’ailleurs en reconnaissance de ce principe qu’en 2015 la Cour de justice européenne avait dispensé un salarié néerlandais de CSG sur ses revenus du patrimoine, car il était déjà couvert par une assurance sociale obligatoire dans son pays d’origine. Aussi, si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier des prestations comme l’ensemble des assurés. Par exemple, une salariée dont dès le premier jour d’embauche 0,95 point de CSG et de 1,65 % à 3,45 % de cotisations employeur financent directement la branche famille serait, pour ses enfants, privée de la couverture à laquelle elle contribue, en raison de sa nationalité, au contraire des autres salariés de l’entreprise.
    Cette rupture d’égalité d’accès aux droits serait contraire aux fondements de la Sécurité sociale, à moins que le Conseil constitutionnel n’invalide cette mesure, précisément pour cette raison.
    Par-delà les ruptures politiques, la mise en œuvre de la réforme conduirait à appauvrir durablement des dizaines de milliers de familles et d’enfants, français ou non (puisque la loi retient la nationalité des parents, et non des enfants, comme critère d’exclusion). Une mère célibataire de trois enfants, en raison de sa nationalité, pourrait par exemple voir ses revenus mensuels diminuer de 319 euros au titre des allocations familiales et de 516 euros au titre des aides au logement, contrairement à sa voisine ou collègue vivant dans les mêmes conditions et soumise aux mêmes prélèvements. Un couple d’actifs avec un enfant de 6 ans et un enfant de 6 mois se trouverait privé d’allocations familiales (140 euros) et de la prestation d’accueil du jeune enfant (182 euros).
    On peut également anticiper une hausse du taux et de l’intensité de la pauvreté des familles et des enfants vivant en France, même si celle-ci n’est pas encore quantifiée : à notre connaissance, personne, à l’université ou dans les administrations, n’a songé jusqu’ici à évaluer l’impact d’un tel tournant xénophobe de la politique sociale. Ainsi, si les mesures adoptées sont d’abord le fruit d’un marchandage politique de circonstance, les conséquences immédiatement prévisibles sont loin d’être symboliques : appauvrissement des familles et des enfants, difficultés accrues à vivre, à apprendre, à se loger et à participer à la vie sociale dans de bonnes conditions. Cette loi dangereuse pour la cohésion sociale du pays ne doit pas s’appliquer.
    Elvire Guillaud est maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po ; Michaël Zemmour est enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon-II et économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po.

    #Covid-19#migration#migrant#france#loiimmigration#securitesociale#xenophobie#appauvrissement#inegalite#politiquesociale#sante

  • « De chacun selon ses moyens » ?

    Une critique de la sécurité sociale

    Pour critiquer ou défendre l’argent, il faut le comprendre, mais comprendre l’argent c’est toujours choisir un angle particulier pour la défense d’une thèse. Si l’argent n’est qu’un moyen d’échange, alors pourquoi s’en passer ? Si l’argent peut être réapproprié sous forme de nouvelles monnaies éthiques ou sociales, alors pourquoi le critiquer en tant que tel ? Si l’argent actuel n’est que l’effet du rapport d’exploitation capitaliste, pourquoi vouloir l’abolir ? Si l’argent est si plastique et malléable, alors pourquoi souhaiter sa disparition ? 

    Il est un fait que vouloir abolir l’argent n’est pas vu comme très sérieux. Pourtant, les volontés d’abolition et les alternatives qui maintiennent des formes de monnaies rencontrent pour l’essentiel des objectifs similaires. Il s’agit dans tous les cas de contrer la domination de la valeur capitaliste sur les sociétés contemporaines. Celle-ci consiste à sélectionner les activités humaines selon un critère qui domine tous les autres : gagner de l’argent. Pour y parvenir, peu importe les moyens. Mais ceux-ci sont de deux types, qui peuvent être combinés : les gains de productivité et l’exploitation des ressources, humains compris.

    Là où nos positions divergent, entre abolitionnistes de la monnaie et défenseurs d’institutions alternatives avec monnaies, c’est où placer le levier du changement. Pour certaines personnes comme celles du réseau Salariat, il existe à l’intérieur de l’économie capitaliste des institutions non-capitalistes, comme la sécurité sociale de santé. Mais selon d’autres courants, comme celui de la critique de la valeur, ces institutions ne seraient que des enclaves inoffensives à l’intérieur de l’empire de la valeur capitaliste qui l’engloutiront bientôt.

    Dans les deux cas, on peut convenir qu’il est tout de même possible d’organiser un usage alternatif de l’argent -quand bien même il serait fragile ou temporaire- de telle sorte que de puissants mécanismes de solidarité soient possibles. Ainsi, les cotisations sociales en France, prélevées sur des échanges économiques, alimentent depuis l’après-guerre des caisses dont le fonctionnement ne relève pas de l’échange monétaire, puisque ses bénéficiaires peuvent les solliciter en fonction de leurs besoins et en partie gratuitement. Pour le réseau Salariat, lutter contre le capitalisme, ce serait augmenter les cotisations pour étendre ces mécanismes de solidarité à d’autres domaines que la santé, par exemple à l’alimentation et à la production agricole, au travers de la proposition d’une sécurité sociale alimentaire. 

    Il est difficile d’être contre une proposition qui semble être le prolongement heureux d’une réalité sociale déjà là. Le problème est que cette réalité est au moins ambivalente, sinon totalement insatisfaisante. 

    Ambivalente parce qu’elle est entièrement construite sur la contrainte monétaire du rapport salarial : c’est donc en échangeant sa force de travail contre l’argent nécessaire pour (sur)vivre, que l’on construit un pot commun de ressources. Autrement dit, on a construit du commun comme un effet de bord du chantage à la subsistance qu’est le fait de vendre son temps pour simplement reproduire son existence au quotidien. Ce qui est très différent de construire du commun avec du commun. Certes, je peux être satisfait de payer mes cotisations, quand je destine mentalement une partie de mes efforts à ce pot commun et précisément pour cette raison. Cependant, dans la plupart des cas, le travail est d’abord vécu directement, dans le contenu concret des tâches et du cadre où elles s’insèrent, du besoin de gagner de l’argent pour payer les factures, et non par le truchement d’un imaginaire solidariste. 

    Si on peut balayer d’un revers de main la critique patronale des "charges sociales" qui fait baisser la rentabilité de la boîte, il est moins facile de contrer un sentiment plus diffus de ressentiment, lequel peut s’exprimer à l’égard de supposés profiteurs, qui traduit moins la réalité d’abus avérés qu’une insatisfaction de ce que l’on vit soi-même. Payer sa cotisation n’est pas vécu et pensé comme un don, qui produirait une forme de reconnaissance sociale, mais comme un échange monétaire mobilisant un travail contraint, pour lequel on est tous sensés être quittes les uns envers les autres, ce qui est le propre de tout échange. 

    On touche là la limite de communs construits avec des outils qui ne sont pas faits pour construire des communs. Ce sont en réalité des "presque communs" qui, parce que construits sur des échanges marchands inéquitables et contraints, sont toujours susceptibles d’être contestés comme tout aussi inéquitables et contraints. 

    Un véritable commun posséderait des fondements institutionnels cohérents avec sa nature, où des besoins communs sont répondus en commun, par des contributions volontaires propres aux moyens de chacun, selon la première partie de l’adage "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins".

    Les cotisations sociales ne respectent ce principe qu’en apparence, sous la forme de l’abstraction monétaire de taux de cotisations qui peuvent en effet varier selon le niveau de salaire. Mais qu’est-ce que cela change concrètement quand de toute manière chacun travaille trente cinq heures par semaines quel que soit le salaire obtenu ? Dire que le taux d’effort d’un salarié mieux payé est supérieur à un autre salarié moins payé, parce que sa contribution monétaire en cotisations sociales est plus élevée, c’est confondre la dimension vivante de l’activité avec sa représentation monétaire, qui conduit à attribuer plus de mérite et de valeur aux activités qui rapportent plus d’argent. Si cela est bien cohérent avec la convention de valeur capitaliste, cela ne l’est pas avec la prétention du réseau salariat à faire du mécanisme de cotisations sociales une institution anticapitaliste.

    Cette réalité déjà-là des cotisations sociales est aussi totalement insatisfaisante du fait de la dégradation continuelle de la santé physique et mentale des gens depuis plusieurs dizaines d’années, que la sécurité sociale n’a pas pu prévenir. Le cocktail de pollutions et de nuisances psychiques qui font l’ordinaire de nos vies est justement produit par des activités économiques, dont le fondement est de dégager de l’argent avant tout autre critère, et ce sont ces activités qui génèrent les cotisations sociales alimentant la sécurité sociale de la santé. Bien-sûr il n’y pas de lien de cause à effet, entre ceci et cela. Il reste que c’est bien là la manifestation que la valeur capitaliste domine l’ensemble de la société, et que la petite mécanique des cotisations sociales est toujours restée une simple enclave inoffensive. La sécurité sociale dépend de la poursuite d’activités économiques que tout le monde sait néfastes - mais pas l’inverse. Aussi, la médecine elle-même semble au prise avec un paradigme mécaniste qui en limite sérieusement la portée en tant qu’activité de soin, tandis que de vastes firmes engrangent l’argent des cotisations sociales pour vendre des médicaments dont l’efficacité est au minimum discutable.

    #sécuritésociale #abolitiondelargentetdutravail #désargence #critiquedelavaleur

  • "Pendant ce temps, au Sénat, le seul EHPAD de France où la cantine sert de la bouffe acceptable, on parle retraites pour oublier le COVID..."
    #ReformeDesRetraites #SécuritéSociale

    Budget de la sécurité sociale : à 19h la majorité de droite du sénat fait rentrer par un amendement la réforme des retraites rejetée par les Français : report de l’âge de départ et allonger la durée des cotisations. Très choquant en pleine crise #COVID19.
    Laurence Cohen

    La Droite en Marche, complice de L a R épublique qui E borgne, M utile !

    « Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois » (Emmanuel Macron).

    Nombre de votants : 331
    Suffrages exprimés : 318
    Pour : 200
    Contre : 118

  • Providence, notre protection sociale en jeu
    http://www.bienvenueaprovidence.com

    "Marquez l’histoire : prenez le pouvoir et mettez en place le premier programme de protection sociale de Providence. Chacune de vos décisions pourrait changer la vie de vos habitants. Serez-vous à la hauteur de vos responsabilités ?"

    ""Providence" un dispositif transmédia conçu dans le cadre de la campagne "Protection sociale pour tous". Regardez dès à présent le film et jouez au jeu pour mieux comprendre les enjeux de la protection sociale dans le monde."(Permalink)

    #sécuritésociale #webdoc

  • Assurance-santé : un tiers des salariés du privé a renoncé à des soins, Actualités
    http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0203526211745-assurance-sante-un-tiers-des-salaries-du-prive-a-renonce-a-de

    D’après une étude réalisée par YouGov pour Mercer auprès de 1.003 salariés du privé, près d’un tiers d’entre eux ont renoncé à des soins sur les douze derniers mois pour des raisons financières. C’est davantage le cas chez ceux qui ne bénéficient pas d’une complémentaire santé d’entreprise (37 %) et chez les « CSP- » (34 %). Mais 28 % des salariés couverts par un contrat collectif obligatoire ont aussi déjà dû faire un tel choix.

    échantillon faible mais conséquence logique des reculs de la sécu, des options multiples dans les contrats complémentaires et des dépassements d’honoraires légalisés. et la voie semble ouverte pour encore plus de dérégulations :

    En cas de baisse des remboursements par leur mutuelle pour les frais d’optique ou dentaires, 40 % des personnes interrogées prendraient une surcomplémentaire santé. Ce qui devrait conforter les assureurs dans le succès prévisible de ces couvertures additionnelles amenées à fleurir dans les prochains mois.

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