• Mars 1921 : un tournant pour le mouvement révolutionnaire. Focus sur Cronstadt.

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    La vérité sur Cronstadt, par Joseph Vanzler alias Wright
    https://www.paperblog.fr/2349148/la-verite-sur-cronstadt-par-joseph-vanzler-alias-wright

    Des membres du Forum des amis de LO ont traduit ce texte. L’original en anglais se trouve ici, sur le site marxists.org : https://www.marxists.org/history/etol/writers/wright/1938/02/kronstadt.htm (John G. Wright, The Truth about Kronstadt, February 1938)

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    Beaucoup de tapage autour de Cronstadt
    (Léon Trotsky, 15 janvier 1938)
    https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/01/lt19380115.htm

    – Un « front populaire » d’accusateurs
    – Les groupements sociaux et politiques à Cronstadt
    – Les modifications intervenues pendant les années de la guerre civile
    – Les causes sociales du soulèvement
    – Le caractère contre-révolutionnaire de la rébellion de Cronstadt
    – La Nep et l’insurrection de Cronstadt
    – Les « insurgés de Cronstadt » sans forteresse

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    Encore sur la #répression de Cronstadt
    (Léon Trotsky, 6 juillet 1938)
    https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1938/07/lt19380706.htm

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    L’insurrection de Cronstadt

    – Mars 1921 en Allemagne
    – La NEP : une retraite indispensable
    – Adresse à #Max_Hoeltz

    #archiveLO (23 mars 1871)

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    Cronstadt, de Jean-Jacques Marie (494 p.)

    – 1917 : Cronstadt la rouge
    – L’agonie du communisme de guerre
    – Les premières lueurs de l’incendie
    – Les premiers signes de l’orage
    – Chronique d’une #révolte annoncée
    – Un cocktail explosif
    – Au bord du Rubicon
    – Les « privilèges des commissaires »
    – Le passage du Rubicon
    – Les balbutiements de l’insurrection
    – Les ouvriers de Petrograd et l’insurrection
    – Qui sont les insurgés ?
    – L’attente
    – Le comité révolutionnaire provisoire
    – Premier branle-bas de combat
    – L’assaut manqué
    – Cronstadt et l’#émigration
    #Lénine, #Cronstadt et le Xe congrès du parti communiste
    – Une « troisième révolution » ?
    – Vers l’assaut final
    – Le comité révolutionnaire en action
    – L’assaut final
    – Les raisons de l’échec
    – La répression
    – Reprise en main et réorganisation
    – L’exil finlandais
    – Nouvelles alliances
    – Le commencement de la fin
    – Derniers soubresauts
    – Fin de partie
    – Interprétations

    [...] Avec la #NEP, l’#insurrection_de_Cronstadt sort du domaine de la politique pour entrer dans celui de l’histoire. Les #SR_de_droite et de gauche qui l’appuyaient disparaissent. Seuls les #anarchistes revendiquent son héritage ; ils se contentent en général de paraphraser les proclamations, déclarations et appels, pris au pied de la lettre, sans analyser la réalité sociale du mouvement, comme si l’on pouvait étudier l’activité d’un groupe d’hommes en prenant ce qu’ils disent d’eux-mêmes comme critère de vérité. L’impact international de la révolution russe, son influence, le choc en son sein entre le socialisme (national) dans un seul pays de Staline et la révolution internationale incarnée par Trotsky, le plan quinquennal, la collectivisation, tout cela éclipse Cronstadt, qui sombre dans l’oubli, comme #Makhno, mort de tuberculose et d’épuisement dans un hôpital parisien en 1934. La Révolution inconnue de l’anarchiste russe #Voline, consacrée pour un bon quart à Cronstadt, ne sera publiée qu’en 1947, deux ans après sa mort.

    Trotsky a longtemps accordé peu d’attention à l’insurrection. Dans un discours du 28 juillet 1924 sur la situation mondiale Trotsky évoque Cronstadt comme exemple d’explosion sociale « Rationner un pays affamé, écrit-il, est chose difficile, nous le savons par expérience [...]. Nous avons pu constater que le régime de la ration de famine était lié à des troubles croissants qui ont amené en fin de compte l’insurrection de Cronstadt 7 », ainsi présentée comme une conséquence des rigueurs du communisme de guerre. Dans Ma Vie, publiée en 1929, il n’y consacre qu’une demi-ligne. Dans #La_Révolution_trahie, rédigée et publiée en 1936, Trotsky évoque tout aussi brièvement cette révolte, « qui entraîna pas mal de bolcheviks ».

    La guerre civile espagnole qui éclate en juillet 1936 et les procès de Moscou, dont le premier est organisé en août 1936, replacent Cronstadt sous la lumière de l’actualité. En Catalogne et en Aragon, où les anarchistes de la Confederacion National del Trabajo (la #CNT) sont très puissants, les ouvriers et les paysans, qui à peu près seul sont mis en échec le putsch franquiste, créent des comités, collectivisent les fabriques et la terre, forment des milices et constituent un Comité central de milices antifascistes qui rassemblent ouvriers et paysans en armes. Les partisans de l’ordre existant, le PC stalinisé en tête, exigent la dissolution de ces organismes populaires autonomes. La CNT l’avalise et envoie trois ministres au gouvernement, qui proclame l’intangibilité de la propriété privée des moyens de production et de la terre. Un anarchiste, Garcia Oliver, se retrouve ainsi ministre de la Justice, à la tête de l’appareil qui a longtemps persécuté les militants de son #organisation. Pour répondre aux critiques, les dirigeants anarchistes accompagnent leur collaboration gouvernementale avec le PC espagnol d’articles exaltant l’insurrection anti bolchevik de Cronstadt, dont ils se proclament les héritiers. Il est plus aisé d’exalter Makhno et Cronstadt àBarcelone que d’y combattre la politique de Staline. En décembre 1937, Trotsky leur répond : face à Cronstadt et à Makhno « nous avions défendu la révolution prolétarienne contre la #contre-révolution paysanne. Les anarchistes espagnols ont défendu et défendent encore la contre-révolution bourgeoise contre la révolution prolétarienne ».

    Les procès de Moscou d’août 1936, janvier 1937 et mars 1938 dénoncent en Trotsky un terroriste à la solde des nazis. Réfugié au Mexique, Trotsky tente de mettre sur pied une commission d’enquête sur les procès de Moscou. Un ancien député communiste allemand, #Wendelin_Thomas, réfugié aux États-Unis, membre dela sous-commission américaine, l’interpelle publiquement sur Cronstadt et #Makhno, en suggérant que l’attitude des bolcheviks dans ces deux cas annonce Staline et le #stalinisme.

    Trotsky lui répond par une brève lettre où il souligne que les marins de 1917 s’étant disséminés sur les divers fronts, restait à Cronstadt « la masse grise avec de grandes prétentions, mais sans éducation politique et pas prête aux sacrifices révolutionnaires. Le pays était affamé. Ceux de Cronstadt exigeaient des privilèges. L’insurrection fut dictée par le désir de recevoir une ration de privilégié ». Après ce raccourci saisissant, Trotsky affirme : la victoire des insurgés aurait débouché sur celle de la contre-révolution, « indépendamment des idées qui pouvaient être dans la tête des marins », qu’il juge, par ailleurs, « profondément réactionnaires : elles reflétaient l’hostilité de la paysannerie arriérée à l’ouvrier, l’#arrogance du soldat ou du marin pour Pétersbourg “civil”,la haine du #petit-bourgeois pour la #discipline_révolutionnaire ». Une fois maîtres de la forteresse, les insurgés ne pouvaient être réduits que par les armes.

    Un mois plus tard, il écrit dans une lettre à Erwin Wolf : « Ma réponse est beaucoup trop courte, insuffisante. » En septembre 1937, Victor Serge publie un article très critique sur l’attitude des bolcheviks face à Cronstadt. Informé, Trotsky écrit le 15 octobre un bref mot au trotskiste américain Wasserman des éditions Pionners Publishers. Il y affirme nécessaire de clarifier l’histoire de Cronstadt afin de pouvoir discuter avec les anarchistes, mais ajoute : « Cependant pour beaucoup de raisons, je ne puis écrire un article sur cette question » et affirme qu’il a proposé à son fils, Léon Sedov, d’écrire un travail détaillé et documenté qu’il préfacerait. #Wasserman insiste. Trotsky lui répond le 14 novembre qu’il comprend son insistance, mais il n’a en ce moment, répond-il, ni « les matériaux nécessaires ni le temps d’un article [...] absolument exhaustif ». Si Léon Sedov peut faire ce travail, Trotsky l’utilisera pour un article. Cinq jours plus tard, il écrit à son fils : « Il est absolument nécessaire d’écrire sur Cronstadt. » Il insiste sur un point : « Les matelots paysans, guidés par les éléments les plus anti prolétariens, n’auraient rien pu faire du pouvoir, même si on le leur avait abandonné. Leur pouvoir n’aurait été qu’un pont, et un pont bien court, vers le pouvoir bourgeois. » Soulignant néanmoins que « le mécontentement était très grand », il conclut : « les #matelots en rébellion représentaient le #Thermidor_paysan », ce qui n’est pas la même chose que la réduction de la révolte à la volonté d’obtenir des privilèges. #Léon_Sedov se met au travail.

    Trotsky y revient le 16 décembre dans une lettre au trotskyste américain Wright qui vient de terminer un article sur la révolte. Il prend la question sous un angle un peu différent. Il récuse l’idée que les soldats et les marins se soient insurgés pour le mot d’ordre politique des soviets libres. « Le reste de la #garnison de Cronstadt, affirme-t-il, était composé d’hommes arriérés et passifs qui ne pouvaient être utilisés dans la guerre civile. Ces gens ne pouvaient être entraînés dans une insurrection que par de profonds besoins et intérêts économiques. [...] ceux des pères et frères de ces marins et soldats, c’est-à-dire des paysans, marchands de produits alimentaires et de matières premières. En d’autres termes, la mutinerie était l’expression de la réaction de la petite bourgeoisie contre les difficultés et privations imposées par la révolution prolétarienne. »

    Confronté à une campagne sur Cronstadt qui entrave sa bataille difficile contre les falsifications des #procès_de_Moscou, il précise enfin son analyse dans deux articles : Beaucoup de bruit autour de Cronstadt (15 janvier 1938) et Encore une fois à propos de la répression de Cronstadt (6 juillet 1938). L’insurrection, précise-t-il d’abord, exprime la révolte des paysans contre la réquisition de leur production. Les marins, en grande majorité d’origine paysanne, furent les porte-parole « de la réaction armée de la petite bourgeoisie [la paysannerie] contre les difficultés de la révolution socialiste et la rigueur de la dictature prolétarienne. C’est précisément ce que signifiait le mot d’ordre de Cronstadt “Les soviets sans communistes” ».Il affirme ensuite n’avoir personnellement pris aucune part à l’écrasement de l’insurrection, ni à la répression qui suivit, ce qui n’a à ses yeux aucune signification politique, puisque, membre du gouvernement, il a jugé nécessaire la liquidation de la révolte, a participé à la décision d’y procéder si les négociations et l’ultimatum lancé restaient sans résultat et en assume donc la responsabilité politique.

    Il y revient une dernière fois dans son Staline inachevé écrit en 1939-1940, où il range Cronstadt parmi les « #légendes reposant sur l’#ignorance et le #sentimentalisme [...]. Ce que le gouvernement soviétique fit à contrecœur à Cronstadt fut une nécessité tragique ; évidemment le gouvernement révolutionnaire ne pouvait pas “faire cadeau” aux #marins insurgés de la forteresse qui protégeait #Petrograd, simplement parce que quelques anarchistes et #socialistes-révolutionnaires douteux patronnaient une poignée de paysans réactionnaires et de soldats mutinés ». À quelques nuances près, Trotsky, de 1921 à sa mort, maintint donc la même analyse de l’insurrection.

    Tout au long des soixante-dix ans d’#Union_soviétique (#URSS) l’insurrection de Cronstadt fut (à la rare exception des discours de Lénine au Xe congrès du parti communiste) présentée comme une simple émeute contre-révolutionnaire. Le Précis d’histoire du parti communiste publié en1938, revu et corrigé personnellement par Staline, consacre plus d’une page à cet épisode. Tout en reconnaissant le mécontentement de la paysannerie à l’égard des réquisitions, il voit dans « l’émeute contre-révolutionnaire de Cronstadt un exemple patent de la nouvelle tactique de l’ennemi de classe qui se camoufla en empruntant les couleurs soviétiques ; au lieu du vieux mot d’ordre avorté “À bas les soviets !”, il lança un mot d’ordre nouveau : « Pour les soviets, mais sans les communistes” ». Qui s’était soulevé, qui étaient les émeutiers, le lecteur de ce Précis très imprécis ne pouvait pas le savoir. Ses auteurs plaçaient les « gardes blancs, les SR et les mencheviks »à la tête d’une émeute aux insurgés sans visage et sans identité. Le tome 23 de la Grande Encyclopédie soviétique publié en 1953, l’année même où mourut #Staline, reprend l’antienne en y ajoutant les manœuvres des « traîtres trotsko-zinoviévistes » vrais responsables de l’insurrection, oubliés par Staline lui-même en 1938. […]

    #Kronstadt #anarchisme #mythologie

  • 1789... La Révolution !
    https://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/cercle-leon-trotsky/article/1789-la-revolution

    La révolution française (CLT n°32 du 3 mars 1989, #archiveLO)

    1789 : Les premières étapes de la révolution
    – La convocation des #États_généraux
    – Du #Tiers_État à l’Assemblée nationale
    – 12-14 juillet : l’intervention des masses populaires parisiennes
    – Eté 1789 : les paysans entrent en scène à leur tour
    – 5-6 octobre : les femmes du peuple ramènent le roi à Paris

    De 1790 à 1792 : la révolution s’approfondit
    – L’agitation gagne l’armée royale. Le #massacre_de_Nancy (août 1790)
    #Varennes (juin 1791) : La #monarchie perd son crédit
    – L’Assemblée bourgeoise contre les #sans-culottes
    – Le #club_des_Jacobins
    – L’#Assemblée_Législative succède à la #Constituante (Octobre 1791)
    – La révolution face à la guerre (printemps 1792)
    – 10 août 1792 : les sans-culottes abattent la monarchie

    1793 : « #l'année_terrible »
    – Les Girondins dépassés par la radicalisation du mouvement populaire...
    – ...qui porte #la_Montagne au pouvoir (Juin #1793)
    – « Le peuple français debout contre les tyrans ! » (Août 1793)
    – La #Terreur montagnarde s’appuie sur la mobilisation des masses...
    – ... tout en la conservant sous son contrôle
    – La chute de #Robespierre (27 juillet 1794 - 9 Thermidor)

    1794-1799 : la bourgeoisie à la recherche de sa république
    – La #réaction_thermidorienne / #Thermidor
    – ...contre les soulèvements populaires...
    – ... et face aux tentatives royalistes
    – La #Révolution_française et la naissance de l’Europe moderne
    – L’actualité de la Révolution française : celle de la révolution tout court

    ANNEXE
    #Vendéens et #Chouans contre la Révolution
    Repères chronologiques

  • La réédition du Staline de Léon Trotsky
    https://mensuel.lutte-ouvriere.org//2023/01/23/la-reedition-du-staline-de-leon-trotsky_472798.html

    Les #éditions_Syllepse ont eu la bonne idée de rééditer le #Staline de Trotsky, que l’on ne trouvait plus depuis longtemps. Il s’agit d’une édition d’un millier de pages. Augmentée par rapport à celle de 1948, elle intègre des écrits destinés à cet ouvrage que l’on a récemment retrouvés dans les archives de #Trotsky. Elle rétablit aussi le contenu du texte original que, par endroits, le premier traducteur américain avait mutilé ou remanié selon ses propres opinions.

    – Petite et grande Histoire
    – Défense et illustration du #bolchevisme

    #stalinisme #révolution_russe #bureaucratie

    • […] On a là un texte plus fidèle, plus complet, dont l’importance réside d’abord dans le fait qu’il s’agit du tout dernier livre auquel #Trotsky a travaillé, et qu’on y retrouve donc le maximum de l’expérience et de la compétence dont toute une vie de #révolutionnaire l’avait doté.

      Au travers de la biographie de #Staline, il traite sous de multiples angles toute une série de questions qui concernent la #révolution et les tâches des révolutionnaires  : le #Parti_bolchevique, son rôle, ce qu’étaient les militants qui le construisirent et le firent vivre, «  l’air des cimes  », dit-il, qui y soufflait du temps de Lénine  ; l’attitude à l’égard des minorités nationales  ; la construction d’un mouvement ouvrier politiquement conscient  ; l’irruption des masses sur la scène durant les trois révolutions russes et la guerre civile  ; la création et la signification de l’#Internationale_communiste  ; l’#armement_du_prolétariat  ; la lutte pour l’édification d’un #État_ouvrier  ; les flux et reflux de l’histoire  ; le rôle des individus et des partis dans ces bouleversements  ; les ressorts de la dégénérescence bureaucratique de l’#URSS, la comparaison entre le #Thermidor_russe et le #Thermidor de la #révolution_française, la mise en place de la #dictature_stalinienne, la nature de la bureaucratie  ; l’avenir de l’URSS et la confiance que, tôt ou tard, la classe ouvrière internationale reprendra le drapeau de la lutte pour l’avenir communiste…

      Tous ces thèmes, Trotsky les discute au fil d’époques différentes de l’histoire du mouvement ouvrier, au travers de situations concrètes, de leur changement plus ou moins rapide et de la compréhension qu’en ont les masses, des conclusions qu’en tirent militants et dirigeants révolutionnaires. Et ils sont des centaines connus ou moins connus que Trotsky, qui les a côtoyés en tant que camarade de lutte, fait resurgir dans ces pages.

      C’est dire que, quand on veut s’inscrire dans la lignée du combat de #Lénine, de Trotsky et des bolcheviks pour renverser le système capitaliste tout entier, et donc comprendre ce qu’en furent les enjeux et en quoi ils sont aujourd’hui plus actuels que jamais, il y a toutes les raisons de lire ou de relire ce texte. En effet, Trotsky y a concentré ce qui faisait de lui un maillon irremplaçable dans la transmission du flambeau de la révolution aux nouvelles générations  : son expérience unique de #militant_communiste internationaliste, de dirigeant de la première #révolution_prolétarienne victorieuse de l’Histoire. […]

  • 16 novembre 1927 : #Adolf_Joffé se suicide. Il laisse auprès de son corps la lettre suivante, adressée à Léon #Trotsky :

    Cher Léon Davidovitch,

    Toute ma vie j’ai été d’avis qu’un homme politique devait comprendre lorsque le moment était venu de s’en aller ainsi qu’un acteur quitte la scène et qu’il vaut mieux pour lui s’en aller trop tôt que trop tard.

    Pendant plus de trente ans j’ai admis l’idée que la vie humaine n’a de signification qu’aussi longtemps et dans la mesure où elle est au service de quelque chose d’infini. Pour nous, l’humanité est cet infini. Tout le reste est fini, et travailler pour ce reste n’a pas de sens. Même si l’humanité devait un jour connaître une signification placée au-dessus d’elle-même, celle-ci ne deviendrait claire que dans un avenir si éloigné que pour nous l’humanité serait néanmoins quelque chose de complètement infini. Si on croit, comme je le fais, au progrès, on peut admettre que lorsque l’heure viendra pour notre planète de disparaître, l’humanité aura longtemps avant trouvé le moyen d’émigrer et de s’installer sur des planètes plus jeunes. C’est dans cette conception que j’ai, jour après jour, placé le sens de la vie. Et quand je regarde aujourd’hui mon passé, les vingt-sept années que j’ai passées dans les rangs de notre parti, je crois pouvoir dire avec raison que, tout le long de ma vie consciente, je suis resté fidèle à cette philosophie. J’ai toujours vécu suivant le précepte : travaille et combat pour le bien de l’humanité. Aussi je crois pouvoir dire à bon droit que chaque jour de ma vie a eu son sens.

    Mais il me semble maintenant que le temps est venu où ma vie perd son sens, et c’est pourquoi je me sens le devoir d’y mettre fin.

    Depuis plusieurs années, les dirigeants actuels de notre parti, fidèles à leur orientation de ne donner aux membres de l’opposition aucun travail, ne m’ont permis aucune activité, ni en politique, ni dans le travail soviétique, qui corresponde à mes aptitudes. Depuis un an, comme vous le savez, le bureau politique m’a interdit, en tant qu’adhérent de l’opposition, tout travail politique. Ma santé n’a pas cessé d’empirer. Le 20 septembre, pour des raisons inconnues de moi, la commission médicale du comité central m’a fait examiner par des spécialistes. Ceux-ci m’ont déclaré catégoriquement que ma santé était bien pire que je ne le supposais, et que je ne devais pas passer un jour de plus à Moscou, ni rester une heure de plus sans traitement, mais que je devais immédiatement partir pour l’étranger, dans un sanatorium convenable.

    A ma question directe ; « Quelle chance ai-je de guérir à l’étranger, et ne puis-je pas me faire traiter en Russie sans abandonner mon travail », les médecins et assistants, le médecin en activité du comité central, le camarade Abrossov, un autre médecin communiste et le directeur de l’hôpital du Kremlin m’ont répondu unanimement que les sanatoriums russes ne pouvaient absolument pas me soigner, et que je devais subir un traitement à l’Ouest. Ils ajoutèrent que si je suivais leurs conseils, je n’en serais pas moins sans aucun doute hors d’état de travailler pour une longue période.

    Après quoi, la commission médicale du comité central, bien qu’elle eût décidé de m’examiner de sa propre initiative, n’entreprit aucune démarche, ni pour mon départ à l’étranger, ni pour mon traitement dans le pays. Au contraire, le pharmacien du Kremlin, qui, jusqu’ici, m’avait fourni les remèdes qui m’étaient prescrits, se vit interdire de le faire. J’étais ainsi privé des remèdes gratuits dont j’avais bénéficié jusque-là. Cela arriva, semble-t-il, au moment où le groupe qui se trouve au pouvoir commença à appliquer sa solution contre les camarades de l’opposition : frapper l’opposition au ventre.

    Tant que j’étais assez bien pour travailler, tout cela m’importait peu ; mais comme j’allais de mal en pis, ma femme s’adressa à la commission médicale du comité central, et, personnellement, au docteur Semachko, qui a toujours affirmé publiquement qu’il ne fallait rien négliger pour « sauver la vieille garde » ; mais elle n’obtint pas de réponse, et tout ce qu’elle put faire fut d’obtenir un extrait de la décision de la commission. On y énumérait mes maladies chroniques, et on y affirmait que je devais pour un an environ me rendre dans un sanatorium comme celui du professeur Riedländer. « Il y a maintenant huit jours que j’ai dû m’aliter définitivement, car mes maux chroniques, dans de telles circonstances, se sont naturellement fortement aggravés, et surtout le pire d’entre eux, ma vieille polynévrite, qui est redevenue aiguë, me causant des souffrances presque intolérables, et m’empêchant même de marcher.

    Depuis neuf jours je suis resté sans aucun traitement, et la question de mon voyage à l’étranger n’a pas été reprise. Aucun des médecins du comité central ne m’a visité. Le professeur Davidenko et le docteur Levine, qui ont été appelés à mon chevet, m’ont prescrit des bagatelles, qui manifestement ne peuvent guérir, et ont reconnu qu’on ne pouvait rien faire et qu’un voyage à l’étranger était urgent. Le docteur Levine a dit à ma femme que la question s’aggravait du fait que la commission pensait évidemment que ma femme voudrait m’accompagner, » ce qui rendrait l’affaire trop coûteuse « . Ma femme répondit que, en dépit de l’état lamentable dans lequel je me trouvais, elle n’insisterait pas pour m’accompagner, ni elle, ni personne. Le docteur Levine nous assura alors que, dans ces conditions, l’affaire pourrait être réglée. Il m’a répété aujourd’hui que les médecins ne pouvaient rien faire, que le seul remède qui restait était mon départ immédiat pour l’étranger. Puis, ce soir, le médecin du comité central, le camarade Potiomkrine, a notifié à ma femme la décision de la commission médicale du comité central de ne pas m’envoyer à l’étranger, mais de me soigner en Russie. La raison en était que les spécialistes prévoyaient un long traitement à l’étranger et estimaient un court séjour inutile, mais que le comité central ne pouvait donner plus de 1000 dollars pour mon traitement et estimait impossible de donner plus.

    Lors de mon séjour à l’étranger il y a quelque temps, j’ai reçu une offre de 20 000 dollars pour l’édition de mes mémoires ; mais comme ceux-ci doivent passer par la censure du bureau politique, et comme je sais combien, dans notre pays, on falsifie l’histoire du parti et de la révolution, ,je ne veux pas prêter la main à une telle falsification. Tout le travail de censure du bureau politique aurait consisté à m’interdire une appréciation véridique des personnes et de leurs actes - tant des véritables dirigeants de la révolution que de ceux qui se targuent de l’avoir été. Je n’ai donc aujourd’hui aucune possibilité de me faire soigner sans obtenir de l’argent du comité central, et celui-ci, après mes vingt-sept ans de travail révolutionnaire, ne croit pas pouvoir estimer ma vie et ma santé à un prix supérieur à 1000 dollars. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, il est temps de mettre fin à ma vie. Je sais que l’opinion générale du parti n’admet pas le suicide ; mais je crois néanmoins qu’aucun de ceux qui comprendront ma situation ne pourra me condamner. Si j’étais en bonne santé, je trouverais bien la force et l’énergie de combattre contre la situation existant dans le parti ; mais, dans mon état présent, je ne puis supporter un état de fait dans lequel le parti tolère en silence votre exclusion, même si je suis profondément persuadé que, tôt ou tard, se produira une crise qui obligera le parti à expulser ceux qui se sont rendus coupables d’une telle ignominie. En ce sens, ma mort est une protestation contre ceux qui ont conduit le parti si loin qu’il ne peut même pas réagir contre une telle honte.

    S’il m’est permis de comparer une grande chose avec une petite, je dirai que l’événement historique de la plus haute importance que constituent votre exclusion et celle de #Zinoviev, une exclusion qui doit inévitablement ouvrir une période thermidorienne dans notre révolution, et le fait que, après vingt-sept années d’activité dans des postes responsables, il ne me reste plus rien d’autre à faire qu’à me tirer une balle dans la tête, ces deux faits illustrent une seule et même chose : le régime actuel de notre parti. Et ces deux faits, le petit et le grand, contribuent tous les deux à pousser le parti sur le chemin de #Thermidor.

    Cher Léon Davidovitch, nous sommes unis par dix ans de travail en commun, et je le crois aussi par les liens de l’amitié ; et cela me donne le droit, au moment de la séparation, de vous dire ce qui me parait être chez vous une faiblesse.

    Je n’ai jamais douté que vous étiez dans la voie juste, et, vous le savez, depuis plus de vingt ans, y compris dans la question de la » révolution permanente ", j’ai toujours été de votre côté. Mais il m’a toujours semblé qu’il vous manquait cette inflexibilité, cette intransigeance dont a fait preuve Lénine, cette capacité de rester seul en cas de besoin, et de poursuivre dans la même direction, parce qu’il était sûr d’une future majorité, d’une future reconnaissance de la justesse de ses vues. Vous avez toujours eu raison en politique depuis 1905, et Lénine lui aussi l’a reconnu ; je vous ai souvent raconté que je lui avais entendu dire moi-même : en 1905, c’était vous et non lui qui aviez raison. A l’heure de la mort, on ne ment pas et je vous le répète aujourd’hui.

    Mais vous vous êtes souvent départi de la position juste en faveur d’une unification, d’un compromis dont vous surestimiez la valeur. C’était une erreur. Je le répète : en politique, vous avez toujours eu raison, et maintenant vous avez plus que jamais raison. Un jour, le parti le comprendra, et l’histoire sera forcée de le reconnaître.

    Ne vous inquiétez donc pas si certains vous abandonnent, et surtout si la majorité ne vient pas à vous aussi vite que nous le souhaitons. Vous êtes dans le vrai, mais la certitude de la victoire ne petit résider que dans une intransigeance résolue, dans le refus de tout compromis, comme ce fut le secret des victoires de Vladimir Iliitch.

    J’ai souvent voulu vous dire ce qui précède, mais je ne m’y suis décidé que dans le moment où je vous dis adieu. Je vous souhaite force et courage, comme vous en avez toujours montré, et une prompte victoire. Je vous embrasse. Adieu.

    A. Joffé.

    PS. - J’ai écrit cette lettre pendant la nuit du 15 au 16, et, aujourd’hui 16 novembre, Maria Mikhailovna est allée à la commission médicale pour insister pour qu’on m’envoie à l’étranger, même pour, un mois ou deux. On lui a répondu que, d’après l’avis des spécialistes, un séjour de courte durée à l’étranger était tout à fait inutile ; et on l’a informée que la commission avait décidé de me transférer immédiatement à l’hôpital du Kremlin. Ainsi ils me refusent même un court voyage à l’étranger pour améliorer ma santé, alors que tous les médecins sont d’accord pour estimer qu’une cure en Russie est inutile.

    Adieu, cher Léon Davidovitch, soyez fort, il faut l’être, et il faut être persévérant aussi, et ne me gardez pas rancune.

    Source : https://www.marxists.org/francais/4int/urss/joffe_19271115.htm

    #suicide #stalinisme #trotskysme #Lénine

    • je ne puis supporter un état de fait dans lequel le parti tolère en silence votre exclusion, même si je suis profondément persuadé que, tôt ou tard, se produira une crise qui obligera le parti à expulser ceux qui se sont rendus coupables d’une telle ignominie.

      paradoxe, Trotsky avait raison quant à la portée révolutionnaire des soviets de 1905, cette avant-garde de masse, face à un Lénine qui n’admettait alors rien au-delà du parti. effondrement (et pour cause ?), il devint le premier des trotskystes, tragiquement éprouvés par des persécutions criminelles, un courant qui n’a tenu que par une version épurée jusqu’à l’abstraction politique la plus déliée possible des subjectivités sociales qui inventèrent les soviets : la foi en un parti d’avant-garde qu’une autre direction politique (...) viendrait rendre à sa vérité, un néobolchévisme authentique, sans révolution.

      #parti #révolution #révolution_interrompue #soviets

  • La mort de Robespierre ou l’élan de l’égalité brisé
    http://www.marianne.net/La-mort-de-Robespierre-ou-l-elan-de-l-egalite-brise_a240303.html

    La réaction thermidorienne qui allait s’enclencher après l’exécution de Robespierre marque nettement la fin des rêves d’égalité approchés pendant la révolution. Un combat toujours actuel.

    http://www.marianne.net/photo/art/default/984256-1166897.jpg?v=1406451467

    Il y a 220 ans, les 27 et 28 juillet 1794, la Convention renversait Robespierre. Le 10 Thermidor de l’An II, lui et ses amis étaient guillotinés. La signification de cet événement est considérable. Elle a été pourtant sujette à manipulations.

    L’exécution des robespierristes marque d’abord la fin de la révolution. Certes des débats autant idéologiques qu’historiographiques existent quant au terme de la révolution française. Certains le fixent en 1799, au coup d’état de Brumaire qui marque la fin de la République et l’arrivée au pouvoir du consul Napoléon Bonaparte. D’autres retiennent 1815 et l’abdication définitive de l’empereur Napoléon I° qui permet le retour de la monarchie des frères de Louis XVI. Dans le sens d’une rupture dans la recherche de plus l’égalité, la mort de Robespierre marque bien la fin de l’idéal révolutionnaire.

    Elle consacre en fin de compte le triomphe de la deuxième phrase de la l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Celle-ci est trop souvent oubliée, pour ne retenir que la première phrase, nécessaire et consensuelle (les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits). Si celle-ci proclame l’égalité civile (et donc la fin de la société d’ordres et de privilèges de l’Ancien Régime), la seconde se refuse à faire de l’égalité sociale l’horizon commun de la nouvelle société. En effet, les « distinctions sociales » y sont consacrées, même si elles sont contrebalancées par « l’utilité commune » En affirmant ainsi que « les distinctions sociales ne pourront être fondées que sur l’utilité commune », la voie vers une société de classes était ouverte, avec toutes ses injustices contre lesquelles le mouvement ouvrier et socialiste se bat depuis deux siècles. Car la notion d’utilité commune est ce qu’il y a de plus délicat à manier, se prêtant aisément à toutes les formes d’instrumentalisation. Dire que les nobles et les courtisans oisifs avaient une utilité commune toute relative est évident ; en profiter pour établir des hiérarchies parmi les futurs travailleurs beaucoup moins. .......

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    La réaction thermidorienne qui allait s’enclencher après l’exécution de Robespierre le montre nettement. Le rétablissement du suffrage censitaire en constitue un premier exemple.
    Le discours de Boissy d’Anglas pour le justifier est à cet égard édifiant. Trois extraits de son discours en témoignent.

    1 - « L’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger. L’égalité absolue est une chimère » .

    2- « Nous devons être gouvernés par les meilleurs, les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois » .

    3- « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature » .

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    #Histoire
    #Robespierre
    #révolution
    #thermidor
    #égalité