Yanis Varoufákis : « J’avais l’obligation morale d’enregistrer » - Page 1 | Mediapart
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Quand et pourquoi avez-vous réalisé ces enregistrements ?
Yanis Varoufákis : Je n’ai pas enregistré les trois premières réunions à Bruxelles [les 11, 16 et 20 février 2015 – ndlr] parce que cela ne m’était jamais venu à l’idée. J’ai commencé à y penser à la fin de la première réunion, qui a duré plus de dix heures. À la sortie, j’étais dans un état d’étourdissement et de confusion. Je me trouvais au cœur de chantages, d’attaques, de critiques et de pressions. À la fin, je me souvenais à peine de ce qu’il s’était passé.
Mais je devais briefer mon premier ministre, les gens de mon cabinet, le Parlement – et des journalistes, le lendemain. J’ai demandé à ma secrétaire de m’envoyer les minutes. Elle m’a dit que ça n’existait pas. Quoi ? Sur le coup, j’ai refusé de le croire. Impensable ! Je n’avais jamais pensé que l’UE n’avait pas de minutes pour des réunions aussi importantes. Mais pour autant, je n’ai pas réalisé d’enregistrement à ce moment-là.
Vous avez commencé à enregistrer à partir de la séance du 24 février.
J’avais besoin de me souvenir des réponses de chacun à la liste de réformes que nous avions proposées. Je redoutais surtout que [Wolfgang] Schaüble [ministre des finances allemand, plus « dur » qu’Angela Merkel – ndlr], très opposé à l’accord du 20 février, remonte au créneau avec le MoU. À ma grande surprise, ce n’est pas lui mais Dijsselbloem, Pierre Moscovici, le FMI qui ont rouvert le sujet. Alors même que l’on s’était entendu, le 20 février, sur tout cela. Là, j’ai pris conscience que je devais continuer à enregistrer.
Ces gens ne sont même pas capables de respecter leurs propres accords. Ils mentaient sur leurs propres accords ! En plus de cela, ils ont fait « fuiter » à la presse des fake news sur ce qu’il se passait à l’Eurogroupe – sur ce que je disais comme sur ce qu’ils disaient. J’avais donc l’obligation morale d’enregistrer, ne serait-ce que pour l’Histoire.
Pourquoi avez-vous décidé de rendre publics ces enregistrements aujourd’hui, cinq ans après ? Après un livre et un film…
Deux raisons. L’une est liée à l’Europe. Malgré mes efforts, et la campagne de DiEM 25 [son parti – ndlr] pour obliger l’Eurogroupe à conserver des minutes, ils ne l’ont toujours pas fait. Prenez le coronavirus. Les ministres ont eu une téléconférence la semaine dernière. On ne sait pas ce qu’ils ont dit. Ce que vous savez, c’est juste que la réunion n’a rien donné. Avons-nous un droit, en tant que citoyen européen, de savoir ce qu’ils ont dit en notre nom ? Et qui est le ministre, quel est le pays qui a bloqué l’action contre le coronavirus ?
L’autre raison est liée à la Grèce. D’abord, le gouvernement de Nouvelle Démocratie [droite– ndlr] a pris la décision d’une cession de crédits immobiliers à des fonds privés, qui va déclencher une vague d’expulsions massives dans le pays. Or, le ministre des finances grec s’est justifié en me rejetant la responsabilité, parce que j’aurais « énervé » les ministres de la zone euro en 2015.
Et le même jour, ce n’est peut-être qu’une coïncidence, Syriza expliquait dans un rapport interne la capitulation d’Aléxis Tsípras après le référendum [du 5 juillet 2015 – ndlr] du fait de ma stratégie au sein de l’Eurogroupe. Alors même que j’avais son soutien complet durant cette période. Je me suis dit : OK, ils continuent de mentir sur ce qui s’est passé à l’Eurogroupe, y compris pour justifier des actions en 2020. Ce n’est pas juste de l’histoire ancienne.