• Dans ces conditions, à quoi bon une Constitution ? | Lauréline Fontaine | 04.05.23

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    1./ Le Conseil constitutionnel exerce sa mission dans des conditions indignes d’une justice d’un État de droit démocratique,

    2./ en raison de la situation de partialité dans laquelle il juge, des situations de dépendance dans lesquelles il se trouve, d’absence de déontologie, mais aussi des décisions qu’il rend qui ne contiennent pas d’argumentation à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’une cour de justice,

    3./ et qui fait « son marché » dans la Constitution en ignorant les dispositions et les principes qui ne lui conviennent apparemment pas.

    Ce sont ces conditions qui déterminent la « justice » qu’il rend. Il appartient au corps politique et social d’évaluer si ces conditions sont conformes à ce qu’il attend de la justice constitutionnelle, à savoir opposer à l’exercice du pouvoir les limites qu’il estime souhaitables pour la société.

    Cette idée emporte exigence, et notamment pour celui dont la mission est de vérifier que l’exercice effectif du pouvoir reste bien dans le cadre de ces limites. C’est bien parce qu’il est apparu que confier la garde de la Constitution au chef de l’Etat, comme le souhaitait Carl Schmitt, avait des conséquences dévastatrices sur les hommes, que le principe de l’instauration d’une cour constitutionnelle a fait florès en Europe, et surtout au sortir du second conflit mondial. Les cours constitutionnelles ont donc la tâche délicate de dire les limites.

    Poser des limites à l’exercice du pouvoir [ou pas] [pas, donc]

    Malgré les apparences, les limites ne sont pas que de forme. Elles sont presque toujours le résultat d’un processus historique qui a fait émerger certaines règles, principes ou valeurs, comme les plus à même de garantir l’exercice d’un pouvoir souhaitable.

    Si, par exemple, la procédure législative ordinaire repose sur des règles qui font la part belle à l’idée de temps nécessaire pour délibérer, ce n’est pas sans convoquer toute une série de réflexions sur cette question qui ont habité les hommes qui ont pensé le pouvoir depuis plusieurs siècles. Confrontée à une entorse à la procédure, une cour constitutionnelle doit donc interroger en même temps les principes qui la fondent, les faire évoluer éventuellement, en fonction des réflexions nouvelles qui traversent le corps politique et social. Confronté à une demande de référendum qui, selon l’article 11 de la Constitution, doit porter « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent », le moins que l’on puisse attendre d’une cour constitutionnelle est qu’elle explicite, de manière argumentée et en cohérence avec l’ensemble des principes et valeurs constitutionnelles historiquement formés, en quoi une proposition de changement de l’état du droit constitue ou non une « réforme », qui plus est « relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Mais c’est pourtant ce que le Conseil constitutionnel a fait, dans sa première comme dans sa seconde décision RIP des 14 avril et 3 mai. Il n’a pas argumenté et il a prétendu dire le droit de la Constitution.

    S’en tenir à la lettre même des énoncés, sans aucune argumentation, est une manière de ne pas opposer le droit à l’exercice du pouvoir politique et donc de participer à la dévitalisation des principes constitutionnels et de leur histoire. En disant déjà le 14 avril que, parce que les procédures existent dans la Constitution, il n’est pas inconstitutionnel de s’en servir, sans rechercher la raison d’être de ces procédures (décision n° 2023-849 DC sur les retraites), le Conseil constitutionnel définit le rapport entre le droit constitutionnel et les institutions politiques de la République selon une mesure qui contrarie l’idée au fondement du constitutionnalisme, poser des limites à l’exercice du pouvoir.

    Depuis le mois de janvier, de nombreux juristes ont avancé des arguments de droit permettant de juger de la constitutionnalité ou de l’inconstitutionnalité de la réforme des retraites et des moyens qui ont été utilisés pour y parvenir, ainsi que pour la validation ou l’invalidation de la demande de RIP. Cette course à l’argument, saine dans un pays démocratique, apparaît donc vaine. Le prétendu gardien de la Constitution en a remis les clés à ceux à qui il est censé l’opposer, à savoir le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Dans ces conditions, à quoi bon une Constitution, si ce n’est, par l’imaginaire « aimable » qu’elle véhicule, entretenir l’idée discutable que l’exercice du pouvoir est, en France, limité par elle ?