• Baptiste Morizot : « Touver un lieu à aimer personnellement, et à défendre collectivement »
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    Qu’il s’agisse de milieux humides comme à Notre-Dame-des-Landes, ou de méga-bassines comme à Sainte-Soline, nombre de mobilisations ont un rapport avec l’eau. Votre livre en parle aussi beaucoup, notamment à travers la figure du castor.

    Ça fait des années que je bataille pour faire entrer rivières et bassins-versants dans ma philosophie. J’y suis notamment parvenu grâce au castor, ce grand intercesseur entre nous et le « profond mystère de l’eau vive », comme dit l’écrivain américain Jim Harrison ! Avec les ouvrages qu’il bâtit, cet animal constitue une force puissante, capable de réhydrater les continents en retenant l’eau le long de son cours, sans pour autant la capturer pour un seul usage ni l’empêcher de circuler jusqu’à l’océan. Ces effets de terraformation, soit la capacité à augmenter l’habitabilité de la Terre, sont déterminants.

    Le castor incarne une philosophie de la technique qui n’est pas celle de nos grands barrages de béton. Et pour une raison simple : leurs barrages sont faits pour ne pas durer, et les possibilités de régénération de rivières et de milieux humides sont justement liées au caractère transitoire de ces constructions animales : ils sont plus ajustés à la vie des rivières, parce qu’ils ont coévolué depuis des millions d’années.

    Le cas des castors est une façon d’aborder la question centrale de votre livre : « Comment faire entrer les vivants en politique ? »

    Nous héritons d’une manière de voir le monde (l’ontologie naturaliste) qui établit une distinction entre d’un côté, le monde humain et politique, et de l’autre, la nature, vue comme un ensemble inerte qui ne serait régi que par des rapports de force. Cette séparation bute désormais sur un problème : les sciences ont montré que le monde vivant est complexe et régi par une infinité de types de relations. Par exemple, les érables et les lys martagons s’échangent du sucre au moment où chacun en a le plus besoin, par l’intermédiaire d’un réseau de champignons : il y a entre les vivants des formes de communication, via la réception et l’interprétation d’informations.

    Par conséquent, le vivant ne relève plus du domaine de la « nature », il entre dans le champ de la politique. Il faut donc trouver des façons d’établir avec lui des relations politiques. Mais le problème, c’est que depuis le XVIIIe siècle, nos modes de relations politiques se sont stabilisés autour d’un modèle « citoyenniste » où prime l’usage d’une parole argumentée et rationnelle. Ce modèle ne peut accueillir les castors, les loups et les forêts. Il faut trouver autre chose. Et il ne s’agit pas ici de faire de la « démocratie avec les chiens », ni de donner une personnalité juridique aux fleuves. C’est un autre problème que je construis.