Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Non, les jeunes ne sont pas des crétins passifs face à l’information - Interview de Anne Cordier
    https://www.ladn.eu/media-mutants/non-jeunes-cretins-passifs-information

    Une interview indispensable.

    Vous pensez que les adolescents sont juste bons à regarder des influenceurs débiles sur YouTube ? Au terme de 10 ans d’enquête sur les pratiques informationnelles des jeunes, la sociologue Anne Cordier n’est pas du tout du même avis.

    Loin du cliché qui voudrait que les enfants et adolescents soient des victimes complaisantes des réseaux sociaux incapables de s’informer correctement, le livre Grandir informés de la sociologue Anne Cordier a de quoi rassurer. Depuis 2012, cette enseignante-chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Lorraine, suit la vie connectée de jeunes de 6 à 20 ans afin de comprendre leur rapport au numérique et à l’information au fur et à mesure de leur parcours et de leur entrée dans le monde adulte. Il en ressort un constat qui va bien souvent à l’encontre des idées reçues. Pour beaucoup d’ados, il est important – et même plaisant – de bien s’informer même si cette action ne se fait pas sans difficulté. Forgées par le Web et un écosystème d’information décentralisé, les pratiques des jeunes sont pourtant toujours mal perçues par une majorité d’adultes. Explications.

    #Anne_Cordier #Grandir_informés

    • Quand toute l’industrie mondiale du sucre fait tout pour en mettre partout, être pédagogue ne suffit pas, expliquer que « le sucre c’est mal » n’empêche pas de vouloir en manger toujours plus : il faut être proactifs, et interdire au max le sucre transformé à la maison, et manger des brocolis à table. Et de temps en temps quand c’est la fête, anniv, noel etc, on sort un peu de bonnes confiseries et bons chocolats qu’on a choisit si possible avec soin.

      Du coup la comparaison tient plutôt bien : il faut être proactifs aussi et ne pas laisser de chamalows numériques librement à disposition en permanence. Et donc manger des brocolis informationnels en priorité = de la presse papier ou numérique choisie avec vraiment des nutriments informationnels dedans càd du vrai travail journalistique et pas du temps de cerveau pour les publicitaires = Mediapart plutôt que Brut pour schématiser mais yen a d’autres. Avoir des infos ingurgitables en 2min, 5min max, c’est la mort de l’information et de l’analyse. Ne pas laisser le portable et l’ordi dispo en continu. Faire lire des romans, des essais, de la presse totalement papier sans aucune distraction autour.

      Le goût complexe et la diététique (et il faut les deux) ça s’apprend, un enfant n’aimant pas forcément immédiatement sans apprentissage le roquefort et les champignons.

      Cela dit la pression sociale est tellement forte pour le sucre (alimentaire et informationnel) qu’il faut être super surveillant et pointilleux.

      J’ai un bon exemple d’ado à la maison, qui a totalement décliné en capacité d’expression oral/écrite depuis qu’il a le portable disponible en permanence. Et c’est marrant car la comparaison avec le sucre continue de marcher.
      – Toute son enfance ya jamais eu de bonbons et trop de trucs sucrés à la maison. Et bien il mangeait du roquefort à 1 an, et il préfère toujours un bout de comté ou du houmous de papa qu’une sucrerie.
      – Toute son enfance il avait accès à uniquement du papier, des dizaines de livres, et pas youtube bien sûr mais pas de télé non plus : les vidéos étaient uniquement des DVD choisis (et donc à demander pour y accéder). Et bien il a lu ultra tôt, avait un vocabulaire deux fois plus que le moyenne, etc. Il n’y avait pas besoin de surveillance, on pouvait le laisser seul dans sa chambre ou dans la maison, puisque ce qu’il avait accès c’était plein de trucs de qualité en papier.

      À partir de fin collège, sa mère lui a pris un mobile, et il a eu aussi ordi, youtube, tiktok, tous les « médias de flux », etc. Depuis il ne lit plus de papier par lui-même, seulement quand on le force, et il a des difficultés scolaires importantes dans les matières de socle (français, expression, argumentation, etc).

      Alors on pourrait dire « bah fallait pas juste lui donner, fallait surveiller plus ». Certes, mais déjà c’était pas mon choix, et surtout on n’a pas forcément le temps et l’énergie (charge mentale, travail, courses, manger, loyer, etc). Alors que quand il n’y avait pas le mobile du tout, cette surveillance de tous les instants pour ne pas se gaver de sucre pourri n’avait pas lieu d’être. C’est une charge mentale énorme qui s’ajoute aux parents !
      (Perso quand j’étais ado, je jouais énormément aux jeux vidéos, collège et lycée. Mais il y avait la presse papier dans le salon toujours dispo, Libé, Télérama, etc, que je lisais toujours.)

    • Figure toi que le notre, en 1ère, il ne parle plus beaucoup spontanément, et il a du mal quand il faut argumenter, aussi ; c’est aussi l’âge. Mais quand il faut qu’il raconte un film qu’il a vu, c’est affligeant la difficulté qu’il a à synthétiser les éléments importants. A l’approche du bac, on est en train de se dire que bon, mais pourquoi ils ne rédigent plus rien en français au collège et au lycée ? Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on leur demande de faire des commentaires de texte littéraire, et des dissertations au bac, alors qu’on ne leur demande plus d’en faire ni en cours, ni à la maison, sauf 2 ou 3 fois l’an pour les devoirs surveillés. Au collège à une époque, on demandait de faire des résumés, des rédactions. Je n’ai pas le souvenir d’une seule fois où il a eu à faire cet exercice. C’est très bien que la charge de travail à la maison soit moindre, mais... si l’exercice n’est pas réalisé non plus en cours, quand est-ce que le gamin va s’y frotter ? C’est ça la fameuse « baisse de niveau » ?

    • Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on leur demande de faire des commentaires de texte littéraire, et des dissertations au bac, alors qu’on ne leur demande plus d’en faire ni en cours, ni à la maison, sauf 2 ou 3 fois l’an pour les devoirs surveillés.

      Aah mais purée ça fait 3 ans que je me demande la même chose depuis fin collège !

      Moi au collège au moins depuis la 4ème, on nous demandait de faire des « fiches de lecture » super longues, qui devaient avoir un résumé de plusieurs pages A4 + avis personnel long et argumenté (et je détestais ça). Là, même en seconde ils ont pas ça ! WTF pour faire le bac ensuite… Il a dû faire 2 pauvres commentaires en un an…

    • De notre côté, on a retiré le portable depuis plus d’un an à la grande, malgré une nouvelle tentative à Noël. Donc elle l’a au compte-goutte. Parce que c’était totalement ingérable : les gamins ont encore moins de moyens que nous de résister au fait que l’« économie de l’attention », depuis des années, c’est le principal investissement de la Silicon Valley. Les meilleurs psys, comportementalistes, ingénieurs, que sais-je, et des milliards de dollars sont consacrés à la seule et unique tâche de savoir comment capter l’attention. Notre ado est rigoureusement incapable d’y résister (même si elle a conscience du problème, comme c’est dit par Anne Cordier). Les confinements n’ont sans doute pas aidé, d’ailleurs, ce sont des périodes où les mauvaises habitudes semblent s’être lourdement installées.

      Et la différence du smartphone avec la téloche, c’est que c’est rigoureusement incontrôlable : tu te retrouves avec une gamine qui semble épuisée, tu crois qu’elle couve quelque chose et tu te rends compte seulement à la fin de la semaine que c’est parce qu’elle binge-watchait des « les Gacha commentent des animés » jusqu’à 4 heures du mat toutes les nuits sous la couette. (Je me souviens que je bouquinais en loucedé sous ma couette, avec la lampe-poche destinée à aller pisser la nuit ; mais tu peux pas bouquiner tous les soirs jusqu’à 4 heures du mat avec une lampe-poche, tu finis forcément par roupiller avec la loupiotte allumée. Par contre, le smartphone, c’est redoutable.)

      Du coup on a repris le smartphone et les petits n’en auront pas. La grande a un dumbphone pour… téléphoner (ce qu’elle ne fait quasiment jamais, téléphoner apparemment c’est beaucoup trop intrusif). Anne Cordier le dit d’ailleurs à la fin de l’article : les gamins ont bien conscience des pièges, mais n’ont aucun moyen de ne pas y céder. (On a tenté pendant trop longtemps de contrôler grâce aux contrôles parentaux, qui sont directement intégrés dans les trucs Apple, mais c’est un échec retentissant – alors même qu’on est loin d’être des parents analphabètes en matière d’interwebz…).

      La difficulté se déplace alors sur l’ordinateur, parce que là aussi dès qu’on a le dos tourné ça te me binge watch des conneries au lieu de faire les devoirs (c’est pas qu’on voudrait qu’elle ne fasse que ses devoirs avec l’ordi : c’est qu’on voudrait qu’elle ne passe pas 4 heures chaque soir à glander parce que les devoirs prennent des plombes et que tout ça est d’une inefficacité épouvantable). Et qu’on aimerait bien, aussi, qu’elle fasse autre chose dans sa vie d’ado que de rester à glander devant l’ordinateur avec les devoirs toujours à faire, et à n’avoir plus le temps pour rien (ne serait-ce que sortir avec les ami·es).

      Les petits (en sixième), pour l’instant les mauvaises habitudes ne sont pas totalement prises (vu que pas de smartphone), mais ça commence : le collège leur fournit un ipad chacun, qui est relativement bridé, mais ça n’empêche que ça commence à devenir un problème.

      Dans tous les cas, on constate en plus les comportements pénibles. C’est pas totalement surprenant que ça se développe avec l’âge, mais pour le coup, je pense que l’accès aux écrans accentue les mensonges, les tromperies et les dissimulations. Quand la grande arrive à récupérer le smartphone (parce qu’un besoin ponctuel le justifie), derrière on peut être certains qu’on va se fader des méthodes de brigande pour planquer le truc, mentir (« nan, je sais pas où il est… »), attendre qu’on soit couchés pour binge-watcher des merdes, nous entuber pour réussir à faire sauter les limitations parentales…

      Je trouve Anne Cordier légère sur cette partie de l’entretien :

      Après, dans les faits, ils sont comme nous tous. On a conscience qu’on se fait avoir par ces applications : ça nous arrive de tomber facilement dans un tunnel de TikTok. Ils reconnaissent qu’ils sont victimes de ce genre de pratiques et ils se sentent démunis face à ça. Ils parlent de fermer le téléphone, de le mettre en silencieux, mais ils n’ont pas de solutions efficaces. Ce que je trouve difficile, c’est surtout de leur déléguer la responsabilité des pièges tendus par ces applications.

      Je comprends qu’elle ne développe pas parce que ce n’est pas le cœur du sujet, mais pour les parents, à nous lire je vois bien que c’est indissociable du sujet de l’accès à l’information. Elle dit : « ils se sentent démunis », « ils n’ont pas de solutions efficaces », et c’est « difficile de leur déléguer la responsabilité ». Certes, mais les parents n’ont pas de solution non plus, et le fait même que le smartphone soit un objet personnel et incontrôlable fait qu’il n’y a aucune autre solution que de leur « déléguer » la responsabilité de leur usage - sauf à confisquer l’objet…

      Sinon, pour revenir à la consommation d’info par les gamins, je suis assez d’accord sur le fait qu’ils peuvent utiliser les écrans de manière tout à fait constructive pour alimenter leurs centres d’intérêt. Certes on bloque les réseaux sociaux et on surveille pour limiter les comportements de binge-watching de trucs débiles, donc nos 3 gamins, dans le tram, ont l’habitude de discuter ou de dessiner plutôt que de scroller vainement de vidéos rigolotes en vidéos rigolotes sur Insta. Mais du côté de l’« information », franchement, je trouve pas les gamins d’aujourd’hui (y compris les gamins de nos amis) plus nuls que nos générations, qui ont été élevées avec la téloche.

      Après, les parents qui trouvent que leurs gamins sont incultes en matière d’information, ne s’intéressent pas aux « bons » sujets, faut peut-être un peu discuter d’autre chose avec ses gamins que du dernier épisode de Kolantha. On n’attend pas des niards qu’ils se passionnent spontanément pour l’information « noble », m’enfin si tu discutes à table de l’Ukraine, de la réforme des retraites et du SNU, les gamins ils s’intéressent, histoire de participer à la conversation. De plus, de la même façon qu’on n’attend pas qu’ils aillent au musée tous seuls où qu’ils apprennent spontanément le programme de math sans passer par l’école, l’accès à l’information c’est surtout quelque chose qui se fait en famille : outre discuter avec eux, tu peux regarder des documentaires avec eux, choisir un film sur tel sujet qui a éveillé leur intérêt, faire une recherche ensemble sur le Web…

    • Chaque enfant est unique décidément.

      Ici, il a son mobile depuis je ne sais plus quand au collège. En 4è ou 3è. Il se l’est acheté avec ses sous. Et il avait ordre de le déposer hors de sa chambre à 22h00 dernier délai. C’est plus souple désormais, au-delà de 22h je veux dire, mais il ne doit jamais le garder avec lui la nuit. Et il ne tente pas de contourner.

      En ce moment, il me demande de supprimer le contrôle parental de la Switch. Mais il n’a pas encore compris que ce n’était pas pour lui que je le conserve :-))

      On est du genre à faire confiance. Mais quand on détecte qu’il a abusé de cette confiance, on le pourrit. Et ça suffit. Jusqu’alors.

    • Dans ce que vous dites, il y a un mélange entre les ruptures de l’adolescence (qui n’ont pas besoin du smartphone pour cela), les préceptes éducatifs (qui viennent de votre haute conception du travail intellectuel) et les manipulations massives des oligopoles de l’attention.

      Ce qui fait que ce n’est pas forcément facile à suivre.

      Pour mes enfants, c’était avant le numérique, et je n’avais pas la télé... mais j’ai vécu des choses semblables à ce que vous décrivez. Et pour mes petits-enfants, j’ai vu la manière dont elles se redressent après un plongeon dans le youtubisme.

      C’est tout l’intérêt de la sociologie de s’écarter des choses que l’on peut observer autour de soi pour prendre en compte de multiples éléments.

      Et dans le cas du livre de Anne Cordier, c’est sur plus de dix ans en longitudinal... le temps de voir des choses changer.

      Enfin, quand elle dit que les enfants sont démunis, elle dit autant des parents... sa cible est plutôt les pouvoirs politiques (et éducatifs, pouvoirs, pas profs) qui restent les bras croisés devant les méga-machines.

    • Sauf que ceux qui vivent au quotidien avec ces enfants puis ados, ce sont bien les parents, puis en deuxième ligne les profs. Donc on ne peut pas toujours attendre une solution de l’État et des pouvoirs publics/politiques. Surtout à partir du moment où le médium est majoritairement un objet purement personnel comme le smartphone, comme le rappel @arno plus haut, donc bien plus difficilement surveillable/controlable (que la télé ou un ordinateur central, que ce soit à la maison ou dans l’éducation).

      On se doute bien qu’il y a des choses propres à l’adolescence… Mais il faut quand même arriver à distinguer ce qui est propre à cette époque précise avec les objets et médias précis du moment (internet, smartphone, youtube, rézosocios, etc).

      Je trouve pour l’instant toujours que son analogie finale avec le sucre et les brocolis, correspond plutôt bien à la chose, même si je ne sais pas si elle en mesure vraiment toutes les conséquences pratiques.

      Avoir un smartphone dès le collège en libre accès, avec youtube etc, c’est donc très exactement comme si nous les parents on leur laissait un ÉNORME paquet de chamallows en libre accès dans leur chambre et leur sac à dos en permanence. Un paquet virtuellement sans fond. Et on les laisse s’auto-réguler avec ça.

      Pour le sucre, il y a à la fois l’éducation personnel au goût, au fait de pas juste laisser librement l’accès et le choix entre chamallow et brocoli sur une table, donc des actes durant l’éducation des parents et de la cantine de l’école ; et des actions politiques de grande échelle, sur les restrictions au sucre dans les produits transformés, aux lois sur la publicité, à l’organisation de campagne de santé nationale et dans l’éducation nationale, etc. Mais ya bien les deux et en premier lieu les parents au quotidien dès la petite enfance.

      Et je persiste à penser que l’éducation à la lecture, à l’analyse critique et à l’argumentation, ne peut être la même entre des générations qui ont appris ça sur papier et sans distractions puis ont été ensuite sur internet et ont appliqué ce qui avait déjà été intégré dans leur tête, et des générations a qui on tente d’apprendre ça directement dans la profusion d’écrans et des internets.
      Pour filer encore, c’est comme si on avait des générations éduquées à manger pas trop mal, doucement, et sans télé à table, avec peu de sucre accessible, un peu en fin de repas ; et d’autres générations où pendant tous les repas depuis l’enfance, ya des écrans et de la publicité flashy pour des trucs sucrés en continu, et ya des bols de bonbons et de trucs à l’huile de palme tout le long sur la table. On peut pas avoir le même rapport (personnel et social) à la nourriture entre ces deux manières.

    • Un aspect assez rigolo : depuis l’année dernière pour la grande, le sujet « Les réseaux sociaux » revient souvent en classe. Soit sous forme de débat organisé en classe (notamment en anglais pour faire causer les gamin·es), soit sous forme d’épreuve écrite.

      Du coup la grande vient en discuter, et la première chose qui me vient à l’esprit, c’est : « m’enfin tu as à peine 14 ans, les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 13 ans, et avec l’autorisation des parents avant 15 ans ; donc je ne comprends pas qu’on t’impose un sujet sur lequel tu n’as potentiellement rigoureusement aucune expérience… ». Bientôt un sujet « Est-ce que vous pensez que vous payez trop d’impôts ? » au Brevet ?

    • Bah ouais mais rien à voir avec l’accès facile permanent de tous en 2 clics dès google. Là aussi c’est la diff entre « moi j’ai connu ci » et la moyenne d’âge d’une génération entière (rien qu’en 2017 c’était encore 14 ans, là 10 ans maintenant… en 1985 c’était largement plus de 14 la moyenne pour ça).

    • Au collège à une époque, on demandait de faire des résumés, des rédactions. Je n’ai pas le souvenir d’une seule fois où il a eu à faire cet exercice.

      @biggrizzly pour répondre à ton interrogation, il faut se rappeler que le « sujet d’invention » a été supprimé du bac il y a 4 ou 5 ans.
      L’imagination n’est plus au programme !