Les effets des ordonnances Macron de 2017 sur les licenciements étudiés, Bertrand Bissuel, Le Monde
Deux chercheuses se sont penchĂ©es sur lâimpact de ces textes et avancent lâhypothĂšse dâune hausse des licenciements pour faute, qui permettent aux employeurs de ne pas indemniser leur salariĂ©.
La rĂ©forme du code du travail au dĂ©but du premier quinquennat dâEmmanuel Macron a-t-elle eu comme incidence dâaugmenter les licenciements pour faute ? Cette hypothĂšse est avancĂ©e dans une Ă©tude que la trĂšs sĂ©rieuse revue Droit social datĂ©e du mois de juin vient de publier, sous forme de synthĂšse. Ses deux autrices se montrent prudentes : Ă ce stade, notent-elles, il est impossible dâaffirmer de façon certaine quâun lien de causalitĂ© existe.
Julie Valentin, maĂźtresse de confĂ©rences Ă lâuniversitĂ© Paris-I PanthĂ©on-Sorbonne, et Camille Signoretto, maĂźtresse de confĂ©rences Ă lâuniversitĂ© Paris-CitĂ©, ont cherchĂ© Ă cerner lâimpact des ordonnances de septembre 2017. Ces textes avaient pour ambition de « libĂ©rer » la capacitĂ© dâinitiative des entreprises et de mieux « protĂ©ger » les travailleurs, avec comme ligne directrice de favoriser les crĂ©ations de postes.
Pour savoir si la rĂ©forme a eu la rĂ©percussion escomptĂ©e, Julie Valentin et Camille Signoretto ont collectĂ© de nombreuses statistiques, qui mettent en Ă©vidence une inflexion notable : entre la fin de 2017 et la fin de 2021, le nombre de licenciements pour faute sâest accru de 32,3 % ; câest un rythme plus soutenu que celui observĂ© entre le troisiĂšme trimestre de 2015 et le troisiĂšme trimestre de 2017 (+ 28,4 %), avant lâentrĂ©e en vigueur des ordonnances.
Un petit nombre de professions concernées
Cette accĂ©lĂ©ration de la hausse « peut ĂȘtre envisagĂ©e comme un effet » des changements dĂ©cidĂ©s en 2017. Deux dispositions seraient concernĂ©es. Lâune plafonne les dommages-intĂ©rĂȘts accordĂ©s par la justice prudâhomale Ă un salariĂ© ayant fait lâobjet dâun licenciement injustifiĂ©. Le but Ă©tait de « sĂ©curiser » les employeurs et de « lever la peur de lâembauche » en rendant prĂ©visible le coĂ»t dâune rupture du contrat du travail, en cas de contentieux. Ce mĂ©canisme a eu pour consĂ©quence de faire baisser un peu le montant des sommes quâune juridiction octroie Ă une personne injustement congĂ©diĂ©e par son patron.
Lâautre mesure citĂ©e par les deux Ă©conomistes rĂ©sulte dâun dĂ©cret de septembre 2017, qui a augmentĂ© le montant des indemnitĂ©s lĂ©gales versĂ©es par une entreprise quand elle licencie un ou plusieurs membres de son personnel.
Julie Valentin et Camille Signoretto se demandent si la combinaison de ces deux dispositions nâa pas conduit des employeurs Ă privilĂ©gier les licenciements pour faute. Dans ce dernier cas, ils ne sont pas tenus dâindemniser leur salariĂ©. Celui-ci peut, certes, contester la rupture du contrat de travail, mais si les prudâhommes lui donnent gain de cause, les dommages-intĂ©rĂȘts peuvent sâavĂ©rer bien moins importants, donc, quâavant la rĂ©forme. Autrement dit, le patron aurait un intĂ©rĂȘt financier Ă procĂ©der de la sorte. Cependant, pour pouvoir Ă©tablir le lien de causalitĂ©, des investigations complĂ©mentaires seraient nĂ©cessaires, insistent les deux autrices de lâarticle dans Droit social.
Une chose paraĂźt acquise, ajoutent-elles : les licenciements pour faute « sont concentrĂ©s sur un petit nombre de professions » â une quinzaine, en lâoccurrence. Apparaissent dans la liste les employĂ©s du secteur de la #propretĂ©, les salariĂ©s du #commerce_alimentaire et de la #restauration, les #chauffeurs-livreurs. Il sâagit, en somme, dâactivitĂ©s relevant de la « deuxiĂšme ligne », avec des conditions de travail « particuliĂšrement dĂ©gradĂ©es » et oĂč le taux de syndicalisation est, trĂšs souvent, faible.