Le pacifisme, vecteur de l’antisémitisme à gauche dans les années 1930, Michel Dreyfus
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L’antisémitisme de la gauche pacifiste des années 1930 s’inscrit, sur le plan chronologique, dans la troisième grande vague antisémite en France depuis la Révolution française. Depuis celle-ci, plusieurs modèles d’#antisémitisme se sont en effet succédé, d’abord à droite et à l’extrême-droite, mais ce fléau n’a pas non plus toujours épargné la #gauche .
Tout a commencé avec un antisémitisme économique reposant sur le vieil anti-judaïsme religieux, si répandu dans la France catholique. L’image ancienne des Juifs, profiteurs et usuriers, a pris une vigueur nouvelle avec les débuts du capitalisme et ceux qui le condamnaient ont souvent assimilé les Juifs aux « gros », aux capitalistes. Une deuxième expression, apparue vers 1880, a coïncidé avec la naissance de l’antisémitisme moderne, incarné en France par Drumont. Favorisé par la crise économique qui touchait la France ainsi que d’autres pays européens, cet antisémitisme s’est nourri du racialisme - l’exaltation de la supériorité de la race blanche - qui imprégnait alors de nombreux intellectuels, y compris à gauche. Mais l’affaire Dreyfus a constitué un tournant fondamental pour la gauche française ; ceux qui, de plus en plus minoritaires, ont manifesté ensuite en son sein un certain antisémitisme se sont pourtant défendus de le faire. Ensuite, les années consécutives à l’Affaire, puis la période d’Union sacrée durant la Grande Guerre et la décennie 1920 ont marqué une relative accalmie sur le plan de l’antisémitisme.
Puis ce fléau connaît un nouvel essor. Durant la crise économique des années 1930, la vieille image du Juif profiteur et privilégié est en recul. On continue, à gauche, à stigmatiser « Rothschild » mais dans des proportions bien moindres qu’auparavant ; le racialisme est également en perte de vitesse. À droite, les antisémites dénoncent le « complot » mené par les Juifs contre l’économie nationale ; puis, à partir de 1933, ils expriment leur xénophobie à l’encontre des réfugiés juifs d’Allemagne et d’Europe de l’Est. Sous le Front populaire, la droite et l’extrême-droite se déchaînent également contre Léon Blum à travers de nombreuses publications antisémites. De façon plus générale, l’argumentation antisémite se modifie sous la conjonction de deux facteurs : d’une part le pacifisme, un des fondements de la gauche depuis la fin du XIXe siècle, de l’autre l’influence diffuse des Protocoles des sages de Sion, le « best-seller » de l’antisémitisme. L’influence, considérable bien que mal connue, de cet ouvrage dans la France des années 1930, propage dans l’opinion l’image des Juifs complotant pour dominer le monde.
De son côté, la gauche se laisse imprégner par cette image en raison de l’opposition grandissante qui s’exacerbe alors entre antifascistes et pacifistes. Ces derniers en viennent à tenir des propos antisémites. Voulant éviter à tout prix un nouveau conflit mondial, les pacifistes prônent la négociation avec Hitler. Or, dans cette décennie, il existe un « immense besoin de paix dans une France marquée par la Grande Guerre. Incapables de comprendre la nouveauté et la spécificité du nazisme, un nombre croissant de pacifistes en viennent à dénoncer de plus en plus ouvertement les Juifs, et d’abord Blum, comme des fauteurs de guerre irresponsables qui poussent au conflit contre Hitler parce qu’ils veulent se venger du mal que ce dernier fait à leurs coreligionnaires en Allemagne. En invoquant le pouvoir supposé des Juifs sur les affaires du monde, les pacifistes reprennent donc à leur compte, au moins de façon indirecte, l’argumentation des Protocoles. Par ailleurs, Blum, jamais attaqué jusqu’alors au sein de la SFIO en tant que Juif, en vient peu à peu à être considéré comme celui qui pousse à une guerre dont les pacifistes tendent toujours davantage à exonérer Hitler. Le temps passant, le pacifisme devient de moins en moins regardant sur un antisémitisme qui imprègne le Parti radical , la SFIO, les néos-socialistes qui l’ont quitté derrière Marcel Déat en 1933, le mouvement frontiste autour du journal La Flèche publié par Gaston Bergery, ainsi que certaines franges de l’extrême-gauche anarchiste et syndicaliste-révolutionnaire.
Toutefois, ces partis et ces organisations ne pèsent pas du même poids sur la scène politique. Le nombre d’adhérents et de sympathisants de la SFIO et de la gauche socialiste pacifiste est infiniment plus grand que celui des petits groupes anarchistes, syndicalistes minoritaires et pacifistes intégraux. Si des liens existent entre ces deux ensembles, leur influence interdit de les mettre sur le même plan.