Toni Negri : pour la multitude, Michael Löwy
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Antonio Negri et Michael Hardt (2013) © CC BY-SA 4.0/ParkaProjects/WikiCo
En 1997, Toni Negri décide de revenir en Italie, malgré la peine de prison qui l’y attendait, dans l’espoir que son retour susciterait un débat conduisant à une amnistie générale des (milliers de) prisonniers politiques italiens. Ce fut un acte de courage et de générosité comme on en voit rarement… L’écrivain Erri de Luca va lui rendre à cette occasion un émouvant hommage public : « Cher Toni Negri, qui a préféré la prison en Italie aux universités de la moitié du monde […] je veux avant tout te remercier de ton sacrifice. Tu rends l’honneur à un pays qui n’a comme fierté qu’un exercice comptable. »
Le rêve d’amnistie du philosophe optimiste s’est révélé une illusion, et il se trouve condamné à huit années et demi de prison… Mais il ne se laisse pas démonter et termine, derrière les barreaux, la rédaction du livre Empire, avec son ami Michael Hardt (éditions Exil, 2000). On en connaît les principales thèses controversées : l’Empire c’est le marché capitaliste global, qui ne reconnait plus des frontières nationales. Son adversaire principal n’est plus « l’ouvrier-masse » de l’industrie, mais le travailleur immatériel, cognitif, souvent précaire, qui a vocation a devenir hégémonique. Il a connu un immense succès, transformant le philosophe incarcéré en une « star » internationale. Après deux années, il accède à une semi-liberté, constamment sous la surveillance de la police, avec des perquisitions nocturnes dessin domicile. C’est à cette époque que Judith Revel, brillante universitaire française, deviendra, pour le reste de ses jours, sa compagne.
Ce n’est qu’en 2003 qu’il sera finalement libéré – après avoir fait, au total, onze années de prison. Déçu par le recul des luttes en Italie et en conflit avec ses anciens disciples, il décide de revenir à Paris et de s’installer en France. Ayant finalement récupéré son passeport, il pourra maintenant voyager, un vieux rêve qui se réalise. Il fera des nombreux voyages en Amérique Latine, notamment au Brésil et au Venezuela. Hugo Chávez lui rend hommage comme un des inspirateurs, par son livre sur le pouvoir constituant, de la Révolution Bolivarienne. Il sera aussi invité en Chine, où il aura droit à une (décevante) séance avec des réprésentants du Comité Central du PCC. S’il admire le post-modernisme éclatant de Shanghai, il ne pense pas moins que « le Thermidor du PCC a développé le capitalisme avant de développer la démocratie »…
En 2004 paraîtra son deuxième ouvrage avec Hardt, Multitude (La Découverte), qui va lui aussi susciter beaucoup de débats et de polémiques. Francis Fukuyama s’empresse de proclamer que la multitude dont parle Negri est « une horde barbare qui veut détruire le monde civilisé »… Aux yeux de Negri, la multitude est la nouvelle forme que prend l’opéraisme, c’est l’universalisation de la Italian Theory des années 1960-70. Leur troisième livre, Commonwealth (2009, traduit par Elsa Boyer, Gallimard, 2014), sera dénoncé par le Wall Street Journal comme a dark, evil book. Cette théorie du commun est, à ses yeux, une « ontologie marxienne de la révolution », et un premier pas pour un programme politique de la multitude. En 2017 paraît le dernier ouvrage avec Hardt, Assembly (Oup USA), qui proclame la supériorité des mouvements sociaux sur les partis, et de la démocratie directe des assemblées sur la démocratie représentative.
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