• Cohabiter avec le moustique tigre, une question de bon sang

    Plutôt que de tenter de l’éradiquer, il va falloir apprendre à vivre en paix avec cet agaçant insecte. Et compter sur ses #prédateurs_naturels.

    C’est maintenant une évidence, il va falloir apprendre à #vivre_avec le moustique tigre. C’est notre nouveau voisin, si ce n’est notre coloc. Comment s’en accommoder ? Pour commencer, on a eu envie d’interroger des personnes habituées à vivre pacifiquement avec des moustiques – certes non tigrés – en métropole. En l’occurrence Gaël Hemery, directeur de la réserve naturelle nationale de Camargue, une gigantesque zone humide dans laquelle ces bestioles sont chez elles et où, parfois, elles se reproduisent par milliards. Dans la région, les #démoustications sont autorisées dans le parc (principalement via des bactéries larvicides, naturelles mais qui ont un impact sur le reste de la faune), afin d’éviter que les moustiques nés en milieu rural ne se déplacent jusqu’aux nombreuses villes touristiques côtières du coin. En revanche, ces opérations sont interdites dans la réserve naturelle, le site protégé où travaille Gaël Hemery. Comment vit-il dans ce qu’il qualifie lui-même « d’usine à moustiques » ?

    Il s’adapte, comme le font tous ceux « qui ont été habitués à vivre avec les moustiques depuis tout petits ». Il sait que ces insectes sont sensibles à la dessiccation et ne sortent que quand l’air est humide. Il va donc privilégier la mi-journée pour s’exposer. De même, il organise son travail pour bénéficier du vent qui fait fuir les moustiques. En cas de pullulation, il utilise de simples #répulsifs. C’est tout ? Oui. Le naturaliste note toutefois que, dans les villages isolés et les sites qui ne bénéficient pas de démoustication, une solution est plébiscitée depuis quelques années : le #piège_à_moustiques.

    Avant d’installer des pièges à moustique tigre, il faut instaurer de nouveaux #rituels et inspecter ses lieux de ponte favoris

    D’abord, #méfiance. Beaucoup de systèmes bidons ont été vendus, et peu de fabricants ont pu apporter à la fois la preuve de l’efficacité de leurs pièges contre les piqûres mais aussi celle de leur innocuité, explique Johanna Fite, chargée de mission « vecteurs et lutte antivectorielle » à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Deux types de pièges sont habituellement considérés comme sérieux : d’une part, les #pondoirs, qui attirent les femelles en quête d’eau stagnante jusqu’à une surface collante où elles vont rester coincées ; d’autre part, les pièges qui imitent la présence humaine et aspirent le moustique dans un filet. Si l’experte rappelle qu’aucune étude n’a pu prouver qu’un piège pourrait « interrompre la transmission du virus de la dengue » (lire l’épisode 1, « Le moustique tigre, le bzzz de l’été 2024 »), Hugo Plan, le dirigeant d’une des seules marques de pièges bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché en France (Biogents), nous a fourni plusieurs études montrant une réduction très significative du nombre de piqûres après l’installation de ses pièges.

    Les deux sont cependant d’accord sur un point : il faudra bien placer ces pièges, et vérifier régulièrement leur bon fonctionnement pour éviter qu’ils ne se transforment en gîte larvaire – Johanna Fite dit avoir vu la situation se produire chez un voisin ayant manqué d’attention. Un autre point de convergence : aucun piège ne permet de faire l’économie de certains rituels. Rappelez-vous leurs lieux de ponte favoris (lire l’épisode 2, « Le moustique tigre rugit dans les ruines du capitalisme ») : les gouttières mal foutues, les objets en plastique qui traînent, les soucoupes de pots de fleurs… Vivre avec le moustique tigre implique d’inspecter régulièrement ces endroits et de les vider de leur #eau_stagnante. Une pratique à ajouter au manuel du savoir-vivre du XXIe siècle : lavage de mains après les toilettes, port du masque en milieu clos en cas de risque de transmission de maladies aéroportées…

    Une fois ces rituels installés, faut-il utiliser des pièges ? Après un été 2023 pourri par les moustiques, l’auteur de ces lignes a eu la chance de pouvoir en tester un cette année. Le résultat est satisfaisant dans un contexte où les moustiques étaient beaucoup moins nombreux. Mais ces outils nous ont été fournis gratuitement et, forcément, on se demande si notre enthousiasme – modéré – aurait été le même en les ayant payés : il faut compter une quarantaine d’euros pour les pièges pondoirs et quatre fois plus pour ceux qui imitent la présence humaine. Johanna Fite, de son côté, nous a confié ne pas être équipée de pièges. De même pour Mathieu de Flores, entomologiste à l’Opie (Office pour les insectes et leur environnement), qui apprécie l’invention mais dit « ne pas privilégier des solutions techniques et coûteuses ».

    Pour attirer les prédateurs naturels des moustiques, on peut implanter des #mares en milieu urbain ou encore installer des #nichoirs à #chauves-souris

    Mathieu de Flores assure avoir été l’un des premiers de son département, l’Eure-et-Loir, à identifier et à signaler la présence du moustique tigre. Mais il estime que son jardin est un écosystème riche – « ça vole partout » – doté de nombreux prédateurs de moustiques. Est-ce ce qui évite chez lui une pullulation ? L’entomologiste, comme beaucoup d’autres, recommande d’explorer des solutions basées sur la nature. Les nichoirs à chauves-souris – mangeuses de nombreux insectes, dont les moustiques – sont une solution à bas coût (surtout si on les construit soi-même) et maline quand la plupart des populations de #chiroptères sont en déclin. Autre piste : implanter des mares en milieu urbain, afin de favoriser l’installation des très nombreux prédateurs de moustiques. « Cela peut être considéré comme utopiste, reconnaît Mathieu de Flores, surtout par des gens qui voudraient contrôler la nature et éradiquer les moustiques. Mais si on essaye de comprendre le fonctionnement de la nature, c’est très logique. On cherche juste à reproduire des équilibres proies/prédateurs qui sont très connus en science de l’écologie. »

    À ces solutions s’en ajoute une, à prendre avec des pincettes puisque empirique et encore balbutiante. Elle est née près de Toulouse, au sein d’un petit groupe d’habitués des ateliers d’autoréparation, explique aux Jours Denis Paillard, cofondateur de l’association Escale bricole, destinée au « partage de trucs et savoir-faire ». Débordé par les moustiques tigres et intrigué par les pièges à moustiques, cet ingénieur agronome à la retraite s’est amusé à une petite expérience collective de rétro-ingénierie : « On a acheté un modèle d’occasion et on l’a démonté. On a ensuite travaillé en groupe pour concevoir un modèle aussi efficace à partir de matériaux de récupération, comme des ventilateurs d’ordinateur, des boîtes de conserve, des chutes de tuyaux d’évacuation en PVC. On en est à la troisième génération qui est efficace et qui revient à une vingtaine d’euros, huit fois moins que dans le commerce. »

    L’association refuse de commercialiser les pièges pour favoriser la construction en groupe lors d’ateliers réunissant à chaque fois une dizaine de personnes : « On peut fabriquer une dizaine de pièges en une demi-journée, explique Denis Paillard. Et surtout, pendant tout le moment collectif, on parle énormément du moustique, de sa biologie, de son comportement. On partage nos expériences. Ce qu’on fait, c’est de la #low-tech qui repose sur une organisation collective. » La solution n’est pas magique, elle n’éradiquera pas les moustiques tigres et elle n’empêchera pas toutes les piqûres. Mais elle peut sauver l’apéro et permettre aux humains qui le souhaitent de s’associer pour cesser de nuire, même face aux nuisibles.

    https://lesjours.fr/obsessions/moustiques-tigres/ep3-cohabitation

    #moustiques #moustique_tigre #co-habitation #éradication