"ils l’ont arrêté pour prendre les clés. Et il les donnera"
Pourquoi c’est important. Arrestation de Pavel Durov, patron de Telegram : un choc dans la tech
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Un coup de tonnerre dans le monde de la tech. Le patron de la messagerie Telegram, Pavel Durov, a été interpellé samedi par la police française à l’aéroport du Bourget à sa descente d’avion, pour être aussitôt placé en garde à vue. Selon TF1/LCI, qui a révélé l’information, la justice reprocherait au fondateur de Telegram le manque de modération de son application, et son absence de coopération avec les forces de l’ordre, ce qui le rendrait complice d’une multitude d’infractions allant de l’apologie du terrorisme au trafic de stupéfiants, en passant par la criminalité organisée, la pédopornographie ou la fraude.
« Ça suffit l’impunité de Telegram », s’est félicité un des enquêteurs, étonné que le milliardaire ait décidé de se rendre à Paris, a priori pour un dîner. Pavel Durov se savait recherché en France, où un mandat avait été émis par l’office chargé de la lutte contre les violences faites aux mineurs (Ofmin), service coordinateur de l’enquête. Le parquet de Paris s’est refusé dimanche à toute communication, « s’agissant d’une procédure suivie à l’instruction ».
Le « Mark Zuckerberg russe »
Diplômé de l’université de Saint-Pétersbourg, Pavel Durov est à l’origine en 2006 du réseau social Vkontakte (VK), un clone de Facebook qui devient rapidement le plus utilisé de Russie. Il s’en désengage en avril 2014, poussé vers la sortie après avoir refusé de coopérer avec les services russes en livrant des informations sur des opposants au Kremlin, notamment Alexeï Navalny, ou des utilisateurs ukrainiens. Il quitte alors définitivement la Russie. En 2013, il crée avec son frère Nikolai la messagerie Telegram, dont il finit par établir le siège à Dubaï.
Se posant en champion des libertés individuelles, du refus de la « censure » et de la confidentialité de ses utilisateurs, Telegram connaît un succès fulgurant - notamment dans le périmètre de l’ancienne URSS où elle est utilisée à la fois côté russe et ukrainien. En France, elle était encore en 2019 l’application privilégiée par Emmanuel Macron et le gouvernement pour communiquer en toute confidentialité. Mais l’application est également réputée abriter nombre de contenus illicites et problématiques, et se trouve dans le viseur de nombreuses autorités judiciaires européennes.
Panique à Moscou
L’arrestation de Pavel Durov semble avoir suscité l’émoi en Russie, où des manifestants sont venus dimanche déposer des centaines d’avions en papier (le logo de Telegram) devant les grilles de l’ambassade de France à Moscou - une (mise en ?) scène similaire à celle qui s’était produite en 2018, mais devant l’enceinte du FSB, quand le Kremlin avait brièvement tenté de bloquer Telegram. De son côté, l’ambassade russe à Paris a dénoncé le « manque de coopération » des autorités françaises qui lui ont refusé toute assistance consulaire à Pavel Durov, qui est citoyen français. Le milliardaire a été naturalisé français en 2021, à l’issue d’une procédure exceptionnelle au sujet de laquelle le gouvernement n’a jamais fourni d’explication. Pavel Durov possède également la nationalité émiratie.
Au regard de l’omniprésence de Telegram en Russie, y compris au sein du pouvoir et des forces armées, la nervosité du pouvoir russe était dimanche perceptible. Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT et une des propagandistes les plus importantes du Kremlin, a même incité à ne plus utiliser Telegram : « Tous ceux qui ont l’habitude d’utiliser Telegram pour des questions sensibles devraient supprimer leurs messages maintenant, et ne plus recommencer. Parce qu’ils l’ont arrêté pour prendre les clés. Et il les donnera », a-t-elle écrit sur X. Le lanceur d’alerte américain Edward Snowden, en exil en Russie, a également réagi, accusant Emmanuel Macron de « prendre des otages pour accéder à des correspondances privées ».