La Manche, une frontière toujours aussi meurtrière pour les migrants
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La Manche, une frontière toujours aussi meurtrière pour les migrants
Par Service infographie
Depuis le début de l’année, les naufrages et les drames se succèdent dans la Manche : cinq personnes, dont deux adolescents, mortes en janvier ; une petite fille noyée dans un canal alors que l’embarcation sur laquelle elle se trouvait remontait vers la mer, en mars ; cinq migrants morts après avoir essayé de traverser la Manche à bord d’une embarcation chargée de 112 personnes, en avril ; six personnes mortes dans trois accidents distincts, en juillet…
Le 3 septembre, dix femmes et deux hommes, principalement érythréens, sont morts dans le naufrage de leur embarcation au large du cap Gris-Nez, portant à trente-sept le nombre de migrants ayant perdu la vie dans la traversée de la Manche depuis janvier. 2024 est ainsi devenue l’année la plus meurtrière depuis le début des traversées de ce bras de mer de 40 kilomètres à bord d’embarcations de fortune.
Comme le montrent les statistiques collectées par l’Organisation internationale pour les migrations, dans le cadre du Projet migrants disparus, les drames de la migration ne sont pas nouveaux dans ce secteur.Depuis 2014, au moins 280 migrants sont morts ou ont disparu en tentant de rejoindre les côtes britanniques depuis l’Europe continentale, et notamment depuis Calais. Un pic des morts avait été atteint en 2019, année précédant le Brexit, les passeurs faisant croire aux migrants qu’il serait impossible d’arriver au Royaume-Uni après sa sortie de l’Union européenne (UE), prévue le 31 janvier 2020.
Initialement, les décès étaient principalement imputables à des accidents : migrants tombés des camions dans lesquels ils cherchaient à se dissimuler ou encore percutés par des voitures sur la voie rapide menant au port des ferrys (d’où partent pour l’Angleterre au moins cinquante bateaux par jour, soit un transit quotidien de 5 000 à 6 000 camions) ou pour accéder au tunnel sous la Manche (vaste espace de 650 hectares, difficile à contrôler).
Le verrouillage croissant mis en place par les autorités françaises et britanniques pour empêcher l’accès à ces deux sites frontaliers a eu pour effet de dissuader les tentatives d’intrusion, passées de plus de 15 000 en 2016 à 127 en 2023.
Mais il a aussi poussé les exilés à tenter de plus en plus la traversée par voie maritime, à bord de petites embarcations : près de 136 000 personnes ont traversé la Manche sur des small boats à partir de la France, depuis que le Royaume-Uni a commencé à comptabiliser ces arrivées, en 2018.Des traversées particulièrement périlleuses qui, comme l’a rappelé le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, à la suite du naufrage du 3 septembre, se déroulent dans l’une des zones maritimes « les plus fréquentées au monde, avec plus de 600 navires de commerce » par jour, « particulièrement dangereux y compris quand la mer semble belle » et où les conditions météorologiques sont d’ailleurs « souvent difficiles ».
La géographie des morts aux frontières a donc changé, se déplaçant en mer. Avant le naufrage du 3 septembre, l’accident le plus meurtrier s’était produit le 24 novembre 2021 : au moins vingt-sept migrants avaient péri dans le chavirement de leur embarcation, après de nombreux appels à l’aide ignorés par les secours français, qui n’étaient pas intervenus, attendant que le bateau passe dans les eaux britanniques.
Entre Londres et Paris, la question migratoire reste sensible, particulièrement depuis la sortie du Royaume-Uni de l’UE. En déplacement à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), le 3 septembre, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur démissionnaire, a fustigé l’attrait pour le Royaume-Uni, « où on peut travailler sans des papiers et où on a peu de chance d’être expulsé » et réclamé un traité migratoire entre Londres et l’UE pour freiner les départs clandestins. Depuis le protocole de Sangatte de 1991, qui a mis en place les prémices d’une politique d’externalisation de la frontière britannique, et les accords du Touquet de 2003 et de Sandhurst de 2018, qui ont créé des bureaux de contrôles conjoints, la coopération entre Paris et Londres se concentre sur le volet sécuritaire, avec le transfert d’argent britannique à la France pour renforcer les contrôles à Calais. Conclu en novembre 2022, le dernier accord prévoit une augmentation de 40 % des agents français patrouillant la côte de la Manche en échange de près de 72 millions d’euros. Des travaux supplémentaires sont aussi en cours, financés par Londres, pour empêcher l’accès en amont du port de Calais et du tunnel dans une zone déjà largement verrouillée. Une politique qui n’a, jusqu’à présent, pas arrêté les morts à cette frontière.
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