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Chroniques d’actualité avec des attributs royaux qui pendouillent

  • Kohei Saito, le philosophe communiste de la décroissance – Libération
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    Adepte de Karl Marx, sa relecture moderne du « Capital » a explosé les ventes dans l’archipel japonais. Un succès plébiscité par la jeune génération qui met dos à dos partisans de la décroissance et éco-modernistes. Il vient d’être traduit en français.

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      Kohei Saito, professeur agrégé de philosophie à l’université de Tokyo, ici, dans une « forêt commune » à Hachioji, près de la capitale japonaise.. (Philip Fong/AFP)
      par Nicolas Celnik
      publié le 29 septembre 2024

      Ça commence par une paire d’yeux qui s’écarquillent dans un restaurant chic niché sous un pont à Tokyo : « Comment ? Vous avez rencontré Kohei Saito ? » Le décor est planté : dans l’archipel nippon, le jeune philosophe marxiste a l’aura d’une #rock_star. Lui-même s’amuse de cette popularité si soudaine, qu’il décrit comme un « non-sens ». Hitoshinsei no « Shihonron » (« le capital dans l’anthropocène »), dont la version française vient de paraître aux éditions du Seuil sous le titre Moins ! La décroissance est une philosophie, est devenu un petit phénomène de masse au Japon lors de sa sortie en 2020.

      En moins d’un an, le livre s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires, si bien que la chaîne de librairies Maruzen, dans le quartier de Marunouchi, à Tokyo, a ouvert une section intitulée « Redécouvrir #Marx ». Le livre a depuis été publié dans douze pays, et Saito est reçu en invité de marque. En France, c’est l’Institut La Boétie, le think tank de La France insoumise (LFI), qui lui avait offert le micro lors de sa venue à l’automne 2023, avant d’investir le centre Pompidou le 20 septembre dernier. La « hype » autour de Kohei Saito frôle le paradoxe : son succès est devenu un argument de vente en soi, au-delà des apports du livre en lui-même.

      Dans les carnets personnels de Marx

      Il faut reconnaître que la thèse du livre a de quoi intriguer : d’après Kohei Saito, Karl Marx se serait intéressé, sur la fin de sa vie, aux limites de la croissance et aurait développé une pensée écologique qui mérite d’être redécouverte à l’heure de l’anthropocène. Pour justifier ce scoop, Saito propose de relire Marx à l’aune d’un matériau nouveau : les carnets personnels du philosophe allemand, qu’il a étudiés lors de sa thèse à Berlin. C’est à partir de ces écrits que Saito a compris pourquoi « Marx a tant tardé avant de publier les volumes II et III du Capital, alors qu’Engels le harcelait presque pour qu’il le fasse », racontait-il, lors d’une rencontre à Tokyo à l’été 2023. Selon lui, deux découvertes ont bouleversé Marx.

      D’abord, il découvre les #sociétés_précapitalistes, où il est tout particulièrement fasciné par la manière de distribuer les #terres selon un système de tirage au sort renouvelé régulièrement, qu’il considère comme une clé pour minimiser la concentration des richesses. Ensuite, il se passionne pour les #sciences_naturelles, et se documente sur l’appauvrissement des sols en Irlande et l’épuisement du charbon en Angleterre : il en déduit que l’industrialisation crée une « rupture métabolique », c’est-à-dire une situation où les humains consomment plus de ressources que ce que la nature est capable de fournir.

      Fort de ces enseignements, Saito, qui se présente comme ayant longtemps été « un marxiste très classique, occupé uniquement par la lutte des classes », et qui raconte avoir eu une prise de conscience des enjeux environnementaux suite à la catastrophe de Fukushima, en vient à se demander comment Marx analyserait-il les centrales nucléaires ?

      Organiser la production de manière soutenable

      Alors que l’économiste allemand est généralement présenté comme l’un des pères de l’industrialisme, clamant qu’il faut reconquérir et développer les forces productives pour libérer le prolétariat, voilà Kohei Saito qui oppose : « Sur la fin de sa vie, Karl Marx en vient à penser qu’il faut changer le système, mais pas en développant la production, nous exposait-il. Il propose plutôt de revenir à d’anciennes formes de production, tout en utilisant certaines des technologies les plus récentes – celles qui nous permettent d’atteindre l’objectif d’organiser la production de manière soutenable. » Kohei Saito donne un nom à ce type d’organisation : la « société de #communisme décroissant ».

      Il suffisait peut-être de réunir deux des mots les plus controversés en une même formule pour faire exploser les ventes. C’était, en tout cas, assez pour que toutes les obédiences (des ultralibéraux aux primitivistes) s’écharpent sur l’ouvrage pour en faire leur livre de chevet ou un autodafé. Kohei Saito se voit offrir l’occasion de développer ses théories sur la radio nationale japonaise, la NHK, lors d’un long programme dans lequel il décortique la pensée de Marx ; dans la foulée, son éditeur, qui venait de publier une version simplifiée des écrits de Marx, croule sous les demandes de jeunes lecteurs.

      Les préconisations formulées par Kohei Saito

      Pour saisir cet engouement, il faut comprendre que le livre de Saito arrive dans un Japon prêt à entendre de nouvelles voix sur l’#économie. D’abord, le Covid-19 a « mis en évidence les inégalités économiques » et « montré que le capitalisme peut être mis en pause », veut croire Saito. Ensuite, toute une génération, née dans les années 90, n’a connu qu’une économie stagnante, voire en récession, ballottée par la crise de 2008 et la catastrophe de Fukushima en 2011. Une certaine désillusion règne quant aux mesures libérales proposées par le gouvernement pour se tirer du marasme, et de nombreux jeunes japonais préfèrent s’exiler à la campagne plutôt que de s’enfermer dans des bureaux. Un certain nombre était donc désireux de s’entendre dire qu’il faut se débarrasser du capitalisme une bonne fois pour toutes, et preneur de quelques recettes pour le faire.

      C’est d’ailleurs sur les préconisations qu’il formule que Kohei Saito est le plus souvent attaqué : au-delà de certains marxistes qui lui reprochent de n’avoir rien compris à leur icône, Saito est ciblé par les libéraux qui préfèrent miser sur l’économie sociale et solidaire plutôt que faire la peau au marché. A gauche, Kohei Saito s’inscrit, malgré lui, dans un clivage entre deux tendances irréconciliables. D’un côté, les adeptes de la décroissance, dont il reprend les principaux auteurs – il s’appuie régulièrement sur les travaux de Jason Hickel et de Giorgos Kallis. De l’autre, les éco-modernistes, qui, à l’instar du magazine américain Jacobin, pensent que la décroissance de Saito va écraser le prolétariat, et préfèrent s’en remettre au progrès technologique.

      Une autre ligne de critique semble plus pertinente : là où Marx dessinait des perspectives révolutionnaires concrètes pour le prolétariat, Saito se contente d’affirmations péremptoires mais peu crédibles – « toutes les entreprises doivent devenir coopératives [dans la lutte contre le changement climatique] ou arrêter de commercer », écrit-il par exemple, sans que l’on comprenne bien comment faire coopérer lesdites entreprises. Sans être un intellectuel engagé, Saito s’investit depuis plusieurs années dans une ferme coopérative gérée avec des amis, sur des terres communes, et s’en inspire parfois pour illustrer ce à quoi pourrait ressembler une société de #communisme_décroissant. Une manière de montrer, peut-être, que contrairement à ce que dit l’adage, ce qui unit l’#écologie et la lutte des classes, c’est aussi le jardinage.

      Moins ! La décroissance est une philosophie, Seuil, 2024

    • L’ayant entendu sur FC à défaut de l’avoir lu je confirme que si il souligne l’importance chez Marx de la rupture métabolique opérée par la production capitaliste (déjà soulignée par d’autres, qui surent aussi être attentifs à l’apologie présente chez Marx du Mir russe, de la propriété et de la gestion collective des terres, loin du « progressisme » usuel, des théories de l’arriération, ou de toute promotion du « rôle révolutionnaire de la bourgeoisie ») il parait, outre quelque mots clés déjà usés dans nos contrées -depuis Dardot et Laval il doit bien y avoir des coincetaux de la très républicaine LFI pour évoquer les « communs »- n’avoir à peu près rien à dire (il faudra que je prenne le livre en main pour le parcourir pour infirmer cet avis).

      Par ailleurs, il n’échappera à personne que concevoir un projet politique en terme de « décroissance » c’est en rester à des catégories qui n’ont pas d’existence en dehors d’une économie qu’il s’agit précisément de détruire, si il est question de sortir du cercle de la production pour la production.

      Et pour finir, on persiste partout à confondre le marxisme avec Marx. Or, par exemple, le « développement des forces productives » n’est jamais entendu que dans son action industrialiste et productiviste alors que chez Marx, la force productive primordiale, c’est non seulement le prolétariat mais l’humanité, comme labeur et comme intelligence collective, et que la condition du développement de cette force productive là c’est qu’advienne une humanité s’affranchie des rapports sociaux qui l’entravent.
      On voit depuis quelques années déjà l’opposition travail vivant / travail mort gagner en profondeur et en extension (selon des modalités dont certaines interrogent...) à l’occasion des nombreux travaux centrés sur le travail du vivant et de la nature.

      J’ai déjà vu des rock star à la puissance d’évocation plus affirmée. J’en conclus que son succès répond à un besoin politique de nombreux japonais et bien que je soupçonne un brin d’esthétisme dans leur démarche (une belle vie plutôt que la belle vie capitaliste et sa destructivité) je me demande d’une part ce qu’il en est de la circulation au Japon d’oeuvres de langue anglaise ou en français (dont bon nombre ont été signalés ici, de Jason Moore à Chopot et Balaud, par exemple) qui s’attachent à ces enjeux sans bazarder Marx en raison du marxisme, et, d’autre part, à quel moment ces gens sauront se confronter à l’alternative effective que l’on peut résumer, pour paraphraser Trotsky à « notre destructivité contre la leur ».

      #capitalisme #travail_vivant #mise_au_travail_du_vivant