CEPED_MIGRINTER_ICMigrations_santé

Fil d’actualités Covid19-Migration-santé (veronique.petit@ird.fr) relié à CEPED-MIGRINTER-IC MIGRATIONS.

  • « Les médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins français qui préfèrent exercer en libéral »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/30/les-medecins-etrangers-investissent-surtout-les-specialites-hospitalieres-de

    « Les médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins français qui préfèrent exercer en libéral »
    Tribune Pierre Micheletti Médecin
    Le débat sur l’aide médicale d’Etat, dont la suppression renforcerait les recours spontanés aux urgences hospitalières, pourrait également faire apparaître la question des praticiens étrangers, qui doivent être mieux traités par notre système de santé, explique le médecin Pierre Micheletti dans une tribune au « Monde ».
    Marie-Claire Carrère-Gée, ministre déléguée chargée de la coordination gouvernementale, ne va pas manquer de dossiers épineux à articuler entre les différents gestionnaires de portefeuille au sein du gouvernement de Michel Barnier. La nomination de Bruno Retailleau à l’intérieur n’a pas tardé à donner des ailes aux défenseurs de lignes dures sur les questions migratoires. En la matière, les interfaces avec la ministre de la santé vont en particulier générer l’attention, voire la mobilisation des acteurs.
    Deux dossiers concernent directement Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins, et serviront d’utiles baromètres sur l’efficacité de la « coordination gouvernementale ». D’abord, l’avenir de l’aide médicale d’Etat (AME), objet de toutes les manipulations symboliques au service d’un discours martial sur le durcissement de l’accueil des étrangers. Une déclinaison plus subtile sera indubitablement à construire dans le discours politique – et dans la pratique – concernant la place incontournable occupée par des médecins détenteurs d’un diplôme délivré à l’étranger.
    Sur l’épouvantail de l’AME, dont la suppression empêcherait des diagnostics à un stade précoce – aggravant le pronostic des pathologies – et renforcerait les recours spontanés aux urgences hospitalières coûteuses et à bout de souffle, beaucoup a déjà été dit, par les associations comme par les professionnels du champ médico-social. La formule de la Fédération hospitalière de France en résume l’argumentation, évoquant « un contresens moral, sanitaire et économique ».
    Sur la démographie médicale globale, comme sur la répartition territoriale des praticiens, aujourd’hui largement soutenue par des médecins étrangers, les données du Conseil national de l’ordre des médecins apportent des informations éloquentes. La place des médecins étrangers est cruciale dans l’offre de soins. Au 1er janvier 2023, 234 028 médecins étaient actifs en France, dont 48,8 % femmes et 51,2 % hommes. Les moins de 40 ans représentent 28,5 % des effectifs, les 60 ans et plus 31,1 %. L’âge moyen des médecins est ainsi de 50,5 ans. Les médecins à diplômes étrangers occupent une place de plus en plus importante au fil du temps. Alors qu’en 2010 ils comptaient pour 7,1 % des médecins en activité, ils représentaient 12,5 % en 2023.
    La hausse de la proportion de médecins en activité à diplômes étrangers se perçoit notamment chez les spécialistes, qu’ils soient médicaux ou chirurgicaux. Ils représentent 19,8 % des médecins spécialistes chirurgicaux en activité et 16,9 % des médecins spécialistes médicaux (hors médecins généralistes) en activité. La Roumanie, la Belgique et l’Italie sont les trois principaux pays d’obtention de diplômes des médecins en activité à diplômes obtenus au sein de l’Union européenne (UE), hors France.
    L’Algérie, la Tunisie, la Syrie et le Maroc sont les quatre principaux pays d’obtention des médecins titulaires de diplômes obtenus en dehors de l’UE. Les proportions de médecins en activité à diplômes étrangers sont particulièrement importantes dans les départements qui présentent les plus faibles densités médicales, participant ainsi à corriger des déséquilibres démographiques et territoriaux.
    Il existe pourtant un traitement à double vitesse pour les médecins étrangers. Afin de pourvoir les postes d’internes, les hôpitaux embauchent des praticiens à diplômes étrangers hors UE, en tant que « faisant fonction d’internes », « attachés associés » ou « assistants associés ». Ces statuts sont caractérisés par la précarité, une moindre rémunération et un emploi du temps surchargé. La présence de ces médecins reste très mal renseignée. On a par ailleurs connaissance de situations d’illégalité, comme le phénomène des médecins étrangers embauchés comme infirmières/infirmiers, qui demeurent également difficiles à quantifier.
    Les ressortissants européens sont dans une situation un peu différente : la directive européenne de 1989, modifiée à plusieurs reprises depuis, prévoit en effet la reconnaissance mutuelle des diplômes et la liberté de s’installer et d’exercer la profession dans les pays membres. Ces médecins étrangers investissent surtout les spécialités hospitalières désertées par les médecins à diplômes français qui préfèrent exercer en libéral : l’anesthésie-réanimation, la psychiatrie, la radiologie, la chirurgie cardio-vasculaire, la néphrologie ou encore les urgences. L’aboutissement du parcours de ces médecins reste néanmoins l’inscription à l’ordre des médecins, qui incarne l’acceptation symbolique par le groupe des pairs, mais aussi l’autonomie et la liberté de la pratique.
    Les conditions d’exercice des médecins ayant obtenu leur diplôme dans un pays extracommunautaire ont été assouplies en avril 2020, afin qu’ils puissent accéder à des positions professionnelles plus favorables. Dès lors, un personnel hospitalier « à la carte », flexible et éjectable selon le contexte, pourrait devenir la stratégie pour l’avenir de l’hôpital français, les soignants étrangers servant, dans cette logique, de variable d’ajustement.
    Les mois qui viennent ne tarderont pas à dire comment la ministre chargée de la coordination gouvernementale pourra contribuer à trouver des solutions acceptables sur le plan « moral, sanitaire et économique » à ces deux dossiers intriqués qui concernent l’offre de soins et les migrations. En évitant que le dossier de l’AME, qui représente 0,5 % des dépenses annuelles de santé, n’occupe tout l’espace de manichéens débats politiques.

    #Covid-19#migrant#migration#france#sante#medecin#PADHUE#economie#systemedesante#AME#diplome