• UE : von der Leyen durcit elle aussi ses propositions sur l’immigration

    Alors que Donald Tusk en Pologne réfléchit à suspendre temporairement le droit d’asile, la présidente de la Commission a pris position lundi pour l’ouverture de centres dédiés au « retour » des exilés dans des pays tiers, en dehors de l’UE.

    Le mandat de la nouvelle Commission n’est pas encore lancé – ce sera chose faite, au mieux, le 1er décembre. Quant aux dix textes du pacte « asile et migration » adoptés en avril à Strasbourg, ils sont encore loin d’être appliqués, tant ils sont touffus et contiennent des incertitudes et chausse-trappes juridiques.

    Mais tout cela n’empêche pas #Ursula_von_der_Leyen, à la tête de l’exécutif bruxellois, de relancer les hostilités. La conservatrice allemande a envoyé lundi une lettre aux 27 États membres dans laquelle elle plaide pour un nouveau texte sur l’immigration au niveau européen, en amont du sommet des chef·fes d’État et de gouvernement qui s’ouvre jeudi à Bruxelles.

    Dans cette missive, elle écrit : « Nous devrions continuer à explorer les options concernant le développement de “#centres_de_retour” [“#return_hubs”] en dehors de l’UE, notamment dans la perspective d’un nouveau texte législatif sur les retours. » Lors de son discours programmatique pour son second mandat, mi-juillet, devant le Parlement européen, elle s’était contentée de dire : « Il faudra faire davantage [que le pacte asile et migration]. Nous avons besoin d’une approche commune sur les retours, pour les rendre plus efficaces et plus dignes. »

    Ursula von der Leyen acte ainsi une politique basée sur l’externalisation, autrement appelée sous-traitance de la gestion des flux migratoires et des procédures qui y sont liées, dans des #pays_tiers dits « sûrs ». Elle l’assume d’ailleurs dans sa lettre, expliquant vouloir continuer « à établir des partenariats globaux avec des #pays_tiers_clés » : « Développer des partenariats en amont avec des partenaires clés en #Afrique et en #Asie est important pour notre stratégie globale. »

    La présidente de la Commission européenne va jusqu’à vanter les mérites de tels accords en citant les chiffres à la baisse des migrations vers l’Europe. En 2024, « les arrivées irrégulières ont diminué d’environ deux tiers sur la route de la Méditerranée centrale. Cela peut être attribué en grande partie à l’intensification des opérations de gestion des migrations et de lutte contre le trafic de migrants menées par les autorités libyennes et tunisiennes », déroule-t-elle, sans souligner le coût à la fois financier et humain de telles opérations, ni le marchandage que cela peut augurer avec les pays partenaires.

    De nombreux précédents

    Tombée lundi, la lettre de von der Leyen n’est pas forcément une coïncidence : la présidente de la Commission a envoyé ce courrier lundi, qui est aussi le jour où l’Italie a transféré le premier groupe de demandeurs d’asile vers les centres de traitement des demandes créés en Albanie. Elle s’inspire donc de cette expérience très controversée mise en chantier par la présidente du conseil italien Giorgia Meloni, sous la forme d’un accord entre l’Italie et l’Albanie signé en 2023.

    D’après cet accord, les hommes adultes interceptés par la marine italienne seront désormais déportés dans des centres situés en Albanie mais gérés par l’Italie (dont Mediapart avait suivi la construction), d’où ils pourront effectuer une demande d’asile.

    Dans une forme de procédure express, et donc potentiellement bâclée, les intéressés considérés comme légitimes à déposer une demande d’asile pourront se rendre par la suite en Italie, tandis que les autres devront rester en Albanie avant d’être expulsés, sans que l’on sache vers où dans le cas où leur pays serait en proie à des conflits ou à un contexte de chaos politique (comme l’Afghanistan).

    Cette stratégie de sous-traitance de la gestion des migrations à des pays tiers, dénoncée par de nombreuses ONG, n’est pas nouvelle. En juin 2023, Ursula von der Leyen s’était ainsi rendue en Tunisie aux côtés de Giorgia Meloni, afin de signer un accord proposant des fonds européens à Tunis, en échange de son engagement à freiner les départs de personnes migrantes depuis ses côtes vers l’Europe.

    Car durant des mois, alors que les traversées depuis la Tunisie vers l’Italie explosaient, de nombreux acteurs affirmaient que le pays du Maghreb avait « ouvert les vannes » pour faire pression sur l’UE, et ainsi obtenir un juteux accord financier pour permettre de réduire ensuite les départs (la Turquie en avait fait de même en son temps).

    Ces accords se sont multipliés, sous différentes formes, de la Turquie à l’Égypte, en passant par la Libye. À chaque fois, l’UE a financé la formation des gardes-côtes pour intercepter les exilés en Méditerranée centrale – souvent dans des conditions terribles –, pour les renvoyer vers la Libye où ils subissent des traitements tout aussi terribles.

    L’idée de trier les personnes aux frontières de l’UE sans leur laisser la possibilité d’accéder au territoire européen a déjà surplombé les débats autour du pacte migratoire européen. C’est en revanche la première fois que l’UE évoque, par la voix d’Ursula von der Leyen, la perspective d’ouvrir des centres dédiés au « retour » des exilés, sans préciser si ces derniers pourraient ou non demander l’asile.

    Or, l’UE est bien obligée de respecter le principe de non-refoulement, imposé notamment par la Convention de Genève relative aux réfugié·es. Celle-ci interdit d’empêcher une personne de demander l’asile dans le pays d’arrivée. Et les expulsions de personnes étrangères relèvent habituellement des politiques nationales de chaque État membre.
    Une dynamique partagée au sein de l’UE

    Quelques mois après une lettre coécrite et adressée à la Commission européenne par quinze États de l’UE, dans le contexte des élections européennes, von der Leyen semble ainsi céder à la pression. Dans cette lettre, des mesures étaient réclamées pour « prévenir et lutter contre les migrations irrégulières à la racine et le long des routes migratoires » et « faire la promotion du retour » des exilé·es. Et il était proposé d’« encourager l’établissement d’accords et de partenariats durables avec les pays partenaires le long des routes migratoires ».

    La manière dont la conservatrice von der Leyen emboîte le pas de la présidente du Conseil italien, membre d’un parti post-fasciste, sur la question ultra-sensible de l’immigration, peut surprendre. Meloni s’était refusée à soutenir, au Conseil en juin, un second mandat de von der Leyen, tandis que les eurodéputé·es Fratelli d’Italia, suivant la consigne de leur cheffe Meloni, ont elles et eux voté contre la réélection de von der Leyen en juillet.

    Celle-ci ne s’en émeut visiblement pas et a déjà envoyé en septembre le signal qu’elle voulait travailler de manière étroite avec Meloni à Rome : elle avait octroyé une place de choix – une vice-présidence de la future Commission – au candidat italien Raffaele Fitto, issu de Fratelli, provoquant là encore l’indignation des gauches. Au Parlement européen aussi, les alliances entre la droite et certaines formations d’extrême droite devraient être plus régulières au cours du mandat.

    Sur le papier, von der Leyen ne fait que s’inscrire dans une dynamique globale de surenchère presque partout sur le continent. En France, l’exécutif réclame désormais une nouvelle loi qui pourrait être examinée dès 2025, soit un an seulement après la loi Darmanin.

    De son côté, sous la pression des succès de l’extrême droite au niveau régional, l’Allemagne a réintroduit en septembre des contrôles à ses frontières. En Espagne, le chef du gouvernement socialiste Pedro Sánchez, bousculé par la droite et l’extrême droite qui instrumentalisent les arrivées de migrant·es aux Canaries, exhorte l’UE à accélérer la mise en application du pacte asile et migration adopté au printemps dernier.
    L’exception ukrainienne

    Mais c’est sans doute Donald Tusk, au pouvoir à Varsovie, qui a suscité la plus vive polémique : le libéral polonais a proposé à son parti, Coalition civique, de suspendre temporairement le droit d’asile, en réponse à ce qu’il décrit comme des attaques de Moscou et de Minsk organisant des « afflux » d’exilé·es pour déstabiliser la Pologne. La Pologne a déjà proposé d’outrepasser la primauté du droit européen par le passé, notamment sur la question migratoire. Une soixantaine d’ONG ont rappelé Tusk, plutôt considéré comme un progressiste autour de la table du Conseil à Bruxelles, à son devoir d’« humanité ».

    Ces crispations partout sur le continent se déroulent aussi alors que la Hongrie de Viktor Orbán occupe, pour le plus grand plaisir des extrêmes droites, la présidence tournante de l’UE jusqu’à décembre. Début septembre, le patron du Fidesz avait suscité des remous en proposant d’affréter des bus de migrants, de Budapest à Bruxelles, alors que la Cour de justice de l’UE a infligé une amende de 200 millions d’euros à la Hongrie pour non-respect du droit d’asile.

    Parmi les autres mesures proposées par von der Leyen dans sa lettre lundi, un autre point peut heurter : l’exception faite pour les réfugiés ukrainiens, en majorité des femmes, qui bénéficient de la protection temporaire enclenchée à l’échelle européenne (prolongée jusqu’en mars 2026), et pour lesquels la Commission européenne s’engage à présenter « des propositions qui garantiraient la sécurité juridique nécessaire pour continuer à gérer la situation aussi longtemps que nécessaire ». Elle s’engage également à soutenir les pays qui accueillent un grand nombre de ces réfugié·es.

    A contrario, inquiète des conséquences du conflit au Proche-Orient, désormais étendu au Liban, elle évoque un « risque évident de nouveaux déplacements internationaux » et une aide humanitaire supplémentaire en conséquence, d’un montant de 30 millions d’euros pour le Liban, portant le total « à plus de 100 millions d’euros pour 2024 afin d’aider les personnes dans le besoin ». Elle dit aussi étudier les options pour permettre le retour « sûr et volontaire » de réfugiés syriens dans leur pays d’origine, bien que la situation reste dangereuse sur place. Deux poids, deux mesures.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/151024/ue-von-der-leyen-durcit-elle-aussi-ses-propositions-sur-l-immigration
    #UE #Union_européenne #externalisation #asile #migrations #réfugiés

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    ajouté à la métaliste sur les tentatives de différentes pays européens d’#externalisation non seulement des contrôles frontaliers (https://seenthis.net/messages/731749), mais aussi de la #procédure_d'asile dans des #pays_tiers :
    https://seenthis.net/messages/900122