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  • Immigration : le durcissement allemand provoque des débats tendus en Europe
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    Immigration : le durcissement allemand provoque des débats tendus en Europe
    Par Elsa Conesa (Berlin, correspondante) et Philippe Jacqué
    Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’Allemagne, expulsions de réfugiés afghans vers Kaboul, menaces du premier ministre hongrois, Viktor Orban, d’envoyer des migrants par bus de Budapest à Bruxelles… L’Europe a ouvert, en cette rentrée, une nouvelle séquence politique tendue sur le thème inflammable de l’immigration. Le sujet s’invitera au sommet des chefs d’Etat européens de la rentrée, mi-octobre, assurent plusieurs diplomates à Bruxelles.
    Depuis le début de l’année, le nombre d’entrées irrégulières enregistrées dans l’Union européenne par Frontex a pourtant chuté de 36 % (113 400 entrées à la fin de juillet). Les Vingt-Sept ont bouclé le « pacte sur la migration et l’asile » en juin, pour gérer ensemble ces arrivées, tout en multipliant les accords migratoires avec la Tunisie, l’Egypte ou le Liban. Mais cela n’a pas eu les effets politiques escomptés pour les partis au pouvoir. Au contraire.
    En juin, la poussée des partis d’extrême droite aux élections européennes, mais également aux législatives en France et, plus récemment, lors des régionales de deux Länder de l’est de l’Allemagne, le triomphe de l’Alternative für Deutschland et d’un parti de gauche hostile à l’immigration, l’Alliance Sahra Wagenknecht, ont remis la question migratoire au premier plan.
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    L’émotion suscitée par la succession d’attaques meurtrières en Allemagne par des personnes réfugiées radicalisées, fin mai, à Mannheim et, fin août, à Solingen, a conduit la coalition au pouvoir à prendre des mesures dans l’urgence, dès la fin de l’été : expulsion de vingt-huit Afghans, rétablissement des contrôles sur la totalité des frontières du pays à partir du 16 septembre, réduction des prestations sociales pour certains réfugiés. Un virage à 180 degrés pour l’un des pays qui se pensait jusqu’ici comme l’un des plus ouverts d’Europe.
    Désormais, la tendance politique est à un nouveau raidissement de la politique migratoire, partagée entre Bruxelles et les capitales des Vingt-Sept, alors qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, doit détailler dans les semaines à venir la feuille de route de la future commissaire aux affaires intérieures. Le poste, qu’aucun pays n’a réclamé tant il y a de coups à prendre, pourrait revenir à la libérale belge Hadja Lahbib.
    Depuis 2015, les pays de l’espace Schengen, au sein duquel prévaut la liberté de circulation, rétablissent régulièrement les contrôles intérieurs aux frontières pour des raisons sécuritaires. La France ne s’en prive pas. En annonçant simultanément le rétablissement des contrôles aux frontières avec ses neuf pays voisins, l’Allemagne envoie un message fort, qui lui a valu quelques réactions hostiles de partenaires européens.
    « Ce genre d’action est inacceptable », a déclaré, mardi 10 septembre, le premier ministre polonais, Donald Tusk. « Il ne serait pas juste de s’orienter vers une logique d’exemptions ad hoc de Schengen, avec des contrôles aux frontières qui pourraient finalement ne pas permettre la libre circulation des citoyens et nuire aux acquis fondamentaux de l’Union européenne », a, pour sa part, déclaré Kyriakos Mitsotakis, son homologue grec, en voyage à Vienne. Au contraire, M. Orban, en croisade depuis de nombreuses années contre toute politique migratoire commune et qui entend envoyer des migrants à Bruxelles par bus, a salué le geste d’un message goguenard sur X : « L’Allemagne a décidé d’imposer des contrôles stricts aux frontières pour stopper la migration illégale. Chancelier Scholz, bienvenue au club ! #stopmigration. »
    L’Allemagne reproche, de son côté, aux pays voisins, en particulier ceux du sud de l’Europe, de ne pas contrôler suffisamment leurs frontières, et de laisser circuler les réfugiés sans avoir traité en amont leurs demandes d’asile, comme le prévoit le système dit « de Dublin ». « Le problème est que l’Allemagne accueille beaucoup plus de réfugiés que les autres pays, souligne le député Nils Schmid (Parti social-démocrate, SPD), porte-parole du groupe au Bundestag pour la politique étrangère, et proche d’Olaf Scholz. Le système européen du droit d’asile a été réformé, mais il faut que les demandes des réfugiés soient traitées dans les pays d’accueil. Il faut plus de solidarité. »
    L’Allemagne a reçu, cette année, environ un quart du total des demandes d’asile faites en Europe, selon Eurostat. « Il faut tenir compte de la charge globale qui pèse sur l’Allemagne, fait valoir le ministère de l’intérieur allemand. Notamment les capacités limitées des communes en matière d’hébergement, d’éducation et de formation, en raison de l’accueil de 1,2 million de réfugiés en provenance d’Ukraine et de l’immigration d’asile de ces dernières années. » Celle-ci est estimée à quelque 2 millions de personnes supplémentaires depuis 2015. D’après le ministère de l’intérieur, un tiers des 74 622 demandes allemandes de renvoi de migrants vers d’autres Etats européens a échoué en 2023, parce que les pays concernés, comme l’Italie ou la Grèce, ont refusé de les accueillir.
    « Aucun Etat au monde ne peut accueillir des réfugiés de manière illimitée », a averti la ministre de l’intérieur allemande, Nancy Faeser, dans un document transmis à la Commission européenne et cité par le quotidien Süddeutsche Zeitung, qui décrit la situation en Allemagne en termes dramatiques, pour la sécurité du pays. Le gouvernement défend la création de centres d’accueil et de détention aux frontières allemandes, pour examiner les demandes des réfugiés grâce à une procédure accélérée qui ne durerait que cinq semaines, contre plusieurs mois aujourd’hui. Insuffisant pour les chrétiens-démocrates de la droite conservatrice, dont M. Schoz espérait le soutien, mais qui ont claqué la porte des négociations en début de semaine.« C’est un vieux débat autour d’un système qui ne satisfait personne, relativise Sophie Meiners, chercheuse et spécialiste de l’immigration à l’Institut allemand des relations internationales. Les pays du Sud qui accueillent les réfugiés trouvent le système européen injuste parce qu’il repose intégralement sur eux, et les pays comme l’Allemagne, où vont les demandeurs d’asile, leur reprochent de se décharger en les laissant passer. »
    La chercheuse voit néanmoins dans les mesures de la coalition allemande un virage politique évident, en partie lié à la pression exercée par la droite et les partis extrêmes, même si la régulation de l’immigration illégale fait partie des sujets mentionnés dans le contrat de la coalition depuis 2021. « Beaucoup de sociaux-démocrates étaient hostiles à des mesures comme les contrôles aux frontières par le passé », résume-t-elle.
    Cette approche présente toutefois des risques. « Quand on décide de rétablir ses frontières pour des raisons sécuritaires, on cherche à marquer l’opinion publique, décrypte une source diplomatique. Mais c’est un piège, car on ne peut plus revenir en arrière. Comment expliquer que les menaces n’existeront plus dans six mois, un an ou deux ans ? C’est impossible. » Le 29 août, Mme Faeser a rendu visite à Gérald Darmanin, son homologue français démissionnaire, pour évoquer la coopération sécuritaire entre les deux pays. Selon une source de la Place Beauvau, elle n’a abordé que le sujet migratoire. « Sous pression, le SPD est devenu de plus en plus restrictif dans son approche, constate Florian Trauner, spécialiste des migrations à la Vrije Universiteit Brussel, l’université néerlandophone de Bruxelles. Ils restent néanmoins légalistes, tout doit être conforme aux droits européen et international. »
    Tirée vers la gauche par les Verts, l’Allemagne a été éloignée du barycentre politique européen sur la question migratoire ces dernières années. « Lors de la négociation du pacte sur la migration et l’asile, elle était très souvent décalée par rapport au consensus des Etats membres, avec la défense de principes d’ouverture et d’humanisme, au demeurant très nobles, mais qui étaient loin des préoccupations des autres Etats, relève une source diplomatique européenne. Elle revient sur des positions bien plus fermes en matière migratoire, comme souvent, de manière assez soudaine et brutale. »
    A Paris aussi, le risque est grand de basculer vers un nouveau durcissement sur la question migratoire, moins d’un an après la loi sur l’immigration votée et soutenue par le Rassemblement national. Après la prise de fonctions du nouveau premier ministre, Michel Barnier, l’idée d’un ministère de l’immigration a refait surface, démenti, lundi 9 septembre, par Matignon. Dès lors, à Bruxelles, monte une réelle inquiétude. Depuis le printemps, une quinzaine d’Etats membres, menés par l’Autriche et le Danemark, l’Italie ou la République tchèque, réclament à l’exécutif européen « d’identifier, d’élaborer et de proposer de nouveaux moyens et de nouvelles solutions pour prévenir l’immigration irrégulière en Europe ».
    Ces pays ont notamment en ligne de mire la mise en place d’une politique d’externalisation de l’accueil et du traitement des demandeurs d’asile hors du Vieux Continent sur le « modèle Rwanda », développé par la précédente majorité conservatrice du Royaume-Uni. Selon une source, certains pays se prépareraient déjà à la mise en œuvre d’une possible politique d’externalisation, tandis que l’Italie poursuit ses préparatifs en Albanie d’un projet d’externalisation similaire.
    Ces quinze Etats signataires – dont ne font partie ni la France ni l’Allemagne – demandent également à la Commission de travailler sur les retours des demandeurs d’asile déboutés. En juillet, au Parlement européen, lors de son discours de confirmation à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen a promis « une approche commune sur la question des retours, afin de les rendre plus efficaces et plus dignes ». « Après cet engagement, les représentants des quinze pays jubilaient », confie un diplomate européen. Ces Etats souhaiteraient pouvoir renvoyer les migrants dans des pays tiers sûrs, voire dans leurs pays d’origine, y compris en Syrie ou en Afghanistan. L’Allemagne a déjà brisé ce tabou fin août, en renvoyant vingt-huit réfugiés afghans à Kaboul, avec l’aide du Qatar. Et d’autres Etats, dont l’Autriche ou Chypre, veulent faciliter ces solutions inimaginables il y a encore dix ans. « Les idées des pays signataires de la lettre sont en train d’infuser le débat entre les Vingt-Sept, et le ton évolue et se durcit, juge une source, les digues ne tiendront plus longtemps. » De son côté, la Suède a annoncé, jeudi 12 septembre, vouloir porter à 30 000 euros par personne l’aide au retour proposée aux migrants, bien davantage que le montant actuel qui s’élève à 3 512 euros pour une famille.

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